OPER FRANKFURT 2015-2016: IWAN SUSSANIN de Mikhail Ivanovich GLINKA le 27 NOVEMBRE 2015 (Dir.mus: Sebastian WEIGLE; Ms en scène: Harry KUPFER)

Acte I © Barbara Aumüller
Acte I © Barbara Aumüller

Francfort est l’un des meilleurs opéras d’Allemagne, troupe solide, orchestre vraiment remarquable mené par son GMD Sebastian Weigle, titres très variés, avec des raretés fréquentes : un vrai lieu pour le mélomane curieux.
Prenons l’exemple de cet Ivan Soussanine (Иван Сусанин) présenté depuis octobre.
On a choisi non de présenter la version traditionnelle de 1836, Une vie pour le Tsar (Жизнь за царя) , la première œuvre qui marque le début de l’opéra national russe, un manifeste pour le régime tsariste à la gloire de la dynastie des Romanov, déjà assez rare sur les scènes non russes mais celle revue en 1939 par le laminoir stalinien, qui efface le Tsar et glorifie le peuple, encore plus rare et plus étonnante.
Pour mettre en scène ce spectacle, l’intendant Bernd Loebe a appelé Harry Kupfer, grande gloire de la mise en scène allemande, octogénaire, à qui l’on doit le très beau Rosenkavalier de Salzbourg, et aussi un Ring bayreuthien immense et surtout un Fliegende Holländer tout aussi bayreuthien et encore plus légendaire, qui a tenu – un défi – dix ans sur la scène de Bayreuth.
Mais Harry Kupfer est aussi un homme de l’Est, élevé à l’école de Brecht et de Felsenstein, qui a dirigé la Komische Oper. Autant dire qu’il connaît bien la mécanique soviétique.
Avec son exactitude et sa précision coutumières, il présente l’Ivan Soussanine réécrit par Sergey Gorodecky en 1939, pendant la deuxième guerre mondiale après l’invasion de l’URSS par les forces de l’Axe et en fait en quelque sorte l’opéra-spectacle de propagande à la gloire du peuple soviétique que Staline voulait, puisque Staline lui-même utilisait la musique de Glinka dans les parades et faisait même défiler sur scène d’authentiques héros de la guerre. Un siècle auparavant, Glinka en faisait un manifeste national russe, qui jusqu’à la chute du tsarisme ouvrit les saisons du théâtre impérial. Que ce soit Une vie pour le Tsar ou Ivan Soussanine, c’est bien d’un emblème qu’il s’agit, c’est bien d’un opéra-monument qu’il s’agit.

Tout va donc être lu sous le prisme de la propagande : les pauvres paysans évoluant dans les ruines, face aux méchants allemands fêtant au champagne leurs victoires sous un énorme tank, le tout se terminant sur la Place Rouge au pied du Mausolée de Lénine et devant la traditionnelle rangée de dignitaires.
Kupfer travaille avec Hans Schavernoch, son décorateur fétiche, qui imagine un beau dispositif, très poétique, assez proche par l’esthétique de celui de Salzbourg pour Rosenkavalier : une esthétique du noir et blanc, un fond gris, des cloches brisées, le portail monumental détruit d’une église, des arbres squelettiques, nuages, neige, brume.

Glinka désignait les polonais, l’ennemi héréditaire (catholique) contre lequel s’est réveillé le sentiment national russe (orthodoxe) et s’est fondée la mythologie héroïque de la construction de la nation. Du coup, l’acte « polonais » de Glinka fait évidemment penser à l’acte polonais rajouté par Moussorsgki dans son Boris Godunov. Pendant que le peuple russe crève, et que les paysans souffrent, en Pologne, on fait la fête.
Dans cette production, Kupfer a remplacé les polonais par des envahisseurs allemands après la rupture du pacte germano-soviétique, et a proposé une version mixte hélas écourtée  allemand/russe (version spécifique pour Francfort de Norbert Abels et Harry Kupfer). Traduire le texte russe en allemand, pour représenter les allemands, c’est renforcer l’impression d’étrangeté et d’antagonisme et multiplier la force du spectacle. Le tank monumental qui domine la scène rappelle furieusement celui qui trônait à la frontière entre DDR et Berlin Ouest resté bien après la chute du mur et aujourd’hui disparu. Sur ce tank on a inscrit le parcours des allemands : Berlin, Varsovie, Moscou. Et sous ce tank, on danse, on valse, on boit, on chante pendant qu’on projette des vidéos de revues berlinoises qui peu à peu s’effacent pour des vues de guerre. Ceux de l’arrière, les civils allemands de la bourgeoisie proche des nazis, s’étourdissent et se distraient, en une vision si frappante qu’elle a indigné une partie du public à la Première parce que Kupfer fort durement renvoyait les spectateurs au miroir de leur histoire.

Acte II "germanique" © Barbara Aumüller
Acte II “germanique” © Barbara Aumüller

Son travail comme toujours est d’une très grande attention et précision à chaque scène, chaque mouvement et chaque geste : chez les paysans, l’utilisation des cloches brisées comme tribune devant les autres paysans compose des sortes de tableau de genre qu’on verrait bien dans des gravures. Chez les allemands, un aimable désordre, valses, conversations, toasts, petits groupes souriants traversés par des officiers qui peu à peu vont s’agiter aux mauvaises nouvelles qui viennent du front.
Le dernier acte, au fond de la forêt où Soussanine va perdre les allemands et se sacrifier sous la tempête de neige est particulièrement frappant (le monologue de Soussanine est déchirant).

Épilogue sous le Kremlin © Barbara Aumüller
Épilogue sous le Kremlin © Barbara Aumüller

Mais c’est l’épilogue, où la mémoire du héros est célébrée, qui reste l’image la plus emblématique, avec le peuple chantant au premier plan et les dignitaires soviétiques sur le balcon du Kremlin au pied du Mausolée de Lénine comme au bon vieux temps du stalinisme, du kroutchévisme, du brejnevisme. Et peu à peu, d’une manière un peu optimiste, la tribune s’efface, les dignitaires se défont de leur manteau militaire et redeviennent le peuple où hommes et femmes se mélangent sans séparation peuple Nomenklatura, comme un message riche d’avenir radieux. Une vision heureuse et ironique quand on sait que tous ces rêves ont fait long feu.
Si la mise en scène de Harry Kupfer montre comment l’œuvre de Glinka a toujours été un outil de propagande, pour le tsar à l’origine et pour le peuple soviétique ensuite dans la révision de 1939, elle montre aussi en transparence la pérennité des images du peuple russe, vu à travers sa paysannerie, et celle des exemples d’héroïsme patriotique, construits selon les mêmes schémas par le XIXème et par le XXème siècle (et pourquoi pas par le XXIème siècle de Poutine). À travers ce parti pris, Kupfer rappelle des “universaux” internes à la Russie.

Danse "germaniques" sous le tank © Barbara Aumüller
Danse “germaniques” sous le tank © Barbara Aumüller

En représentant, comme nous l’avons rappelé plus haut, un tank monumental et conquérant dans l’acte « germanique » (et non polonais dans cette mise en scène) il rappelle de manière opportune le « Panzerdenkmal » érigé par les soviétiques au poste frontière « Bravo » à Drewitz-Dreilinden à l’ex-entrée sud de Berlin-Ouest , remplacé aujourd’hui sur le même socle par une pelle mécanique rose, geste artistique destiné à effacer ironiquement le bon vieux T34 qui y trônait. Kupfer montre ainsi que tous les totalitarismes fonctionnent de la même manière.

Musicalement, l’œuvre de Glinka est passionnante : on remarque immédiatement qu’en 1836, le compositeur russe utilise les formes « occidentales » de l’opéra monumental (ou du Grand Opéra), avec un chœur important ( qui restera un élément central de l’opéra russe) des airs avec récitatif, air et cabalette, à la mode italienne, un ténor « ténorisant » à la mode des ténors impossibles de Rossini ou Meyerbeer, un soprano lyrique très proche de certains personnages donizettiens, un rôle de travesti (Wanja) cher au Grand Opéra comme dans Guillaume Tell (Jemmy), Les Huguenots (Urbain), Benvenuto Cellini (Ascanio) (Glinka et Berlioz deviendront très amis) , Rienzi (Adriano) et Un ballo in maschera, (Oscar) et même dans Don Carlos/Don Carlo (Thibault/Tebaldo) dernier avatar du Grand Opéra.
Mais malgré des postures musicales « à l’occidentale », le jeu mélodique, le son particulier du chœur et surtout le personnage de Soussanine, notamment dans son monologue du dernier acte nous projettent dans l’avenir de la musique russe. En réalité, oserais-je dire que la musique se « russifie » à mesure des développements de l’intrigue, et notamment quand le drame se noue, c’est-à-dire aux actes III et IV, qui font de Soussanine le héros et le centre de l’action. Ainsi donc, l’opéra évolue de scène en scène, avec un acte II qui sonne « étranger » – qu’il soit polonais ou allemand dans la mise en scène présente, avec une musique légère qui est une jolie caricature de musique facile, pour personnages sans âme, et des acte III et IV où, après l’affèterie de l’acte II, surgit l’âme russe authentique. Comme si Glinka nous montrait au premier acte qu’il peut faire aussi bien que la musique à la mode, au deuxième qu’il peut tout autant la caricaturer, et aux deux derniers il compose une musique plus « nationale » qui correspond à l’héroïsme du personnage principal et à la couleur de l’authenticité.
La réalisation musicale de l’opéra de Francfort est exemplaire : un chœur vraiment engagé, puissant (dirigé par Tilman Michael), qui sait aussi moduler les volumes dans des scènes plus « intimistes », un orchestre impeccable qui sonne sans jamais être trop volumineux ou massif, avec une vraie clarté, et des variations de couleurs entre les actes subtiles et d’une grande justesse : Sebastian Weigle débarrasse la lecture de tout ce qu’elle pourrait avoir de pathétique excessif, (l’ouverture notamment est assez retenue) mais sans excès de sécheresse; il est très attentif aux volumes, aux variations des masses sonores, avec un vrai sens des ensembles et des rythmes.

Il accompagne avec grande cohérence le propos et la version voulue par Kupfer, débarrassée des danses (sauf au deuxième acte, et à dessein), des aspects les plus martiaux, (près du tiers de l’opéra quand même), et le résultat est à l’opposé de la caricature ou du folklore, mais sec sans être rude, et clair comme une parabole.
L’ensemble de la distribution est à la hauteur de l’enjeu, d’abord avec l’Antonida de Kateryna Kasper, une héroïne féminine splendide de contrôle et de technique. Sa voix de soprano lyrique est particulièrement expressive, large, avec une vraie ligne de chant et un véritable engagement vocal et scénique. A ses côtés Wanja, rôle travesti qui convient au timbre sombre du mezzo Katharina Magiera, voix à la belle étendue, au grave profond. Très efficace au niveau scénique, elle remporte un très grand succès notamment à l’acte III où elle est d’une grande authenticité et d’une vraie fraîcheur. Je soupçonne Wanja d’être inspiré du personnage de Jemmy, fils de Guillaume Tell héroïque à sa manière également dans l’opéra de Rossini, de sept ans antérieur.

Le rôle de Sobinin est tenu par le ténor Anton Rositskiy, une voix qui, sans être large, répond aux exigences du rôle, notamment en ce qui concerne le registre aigu, bien sollicité. Le timbre n’est pas exceptionnel, mais la voix est techniquement très bien posée, sans vibrato excessif avec une ligne sûre . Non dépourvu de vaillance, son personnage n’est jamais pâle et toujours crédible.

John Tomlinson (Ivan Soussanine) © Barbara Aumüller
John Tomlinson (Ivan Soussanine) © Barbara Aumüller

La « star de la soirée », c’est cependant John Tomlinson, qui fut dans les années 90 l’une des basses les plus réclamées du répertoire et notamment un Wotan de référence qu’il a chanté sur toutes les scènes du monde et encore assez récemment. D’Ivan Soussanine, il a d’abord le « physique du rôle », paysan paternel, vieillard humain, chaleureux, et énergique. Cette adéquation entre un rôle et un chanteur est rare à ce niveau,  mais le chanteur, à l’unisson avec le reste, débarrasse le rôle des tics que certaines basses rompues à ce répertoire peuvent promener de scène en scène. Tomlinson est sobre, il a la simplicité et le naturel voulus, il “est” plus qu’il ne “joue”. Certes, la voix accuse les années, elle bouge quelque peu, elle a aussi quelques problèmes d’intonation, notamment au premier acte, mais cela convient bien à l’incarnation d’un vieillard vibrant et engagé.

Monologue de Soussanine (Acte IV) © Barbara Aumüller
Monologue de Soussanine (Acte IV) © Barbara Aumüller

Elle a néanmoins encore ce grain sonore, caverneux, idéal ici, et une chaleur qui s’exhale et qui émeut l’auditeur ; le quatrième acte et le très long monologue qui précède la mort de Soussanine sous les coups des soldats allemands sont des moments exceptionnels d’incarnation . Un chant intense, rigoureux, un  brin rugueux, d’une bouleversante humanité.
John Tomlinson trouve dans Soussanine un rôle que bien des théâtres devraient lui demander. Il y est, pourrait on dire, définitif.
Voilà donc close une série de représentations de cette oeuvre rare, présentée dans une version sans doute écourtée, mais en même temps épurée, avec une ligne dramaturgique très cohérente, et une interprétation musicale d’une grande propreté, sans décorations inutiles, sans complaisance aucune, mais ni sèche ni indifférente. Plus qu’une fresque historique, l’opéra prend sous le scalpel de Kupfer la grandeur d’une tragédie. Guettez les saisons futures de Francfort pour découvrir ce chef d’œuvre, à qui il a été rendu justice avec une rare vérité.[wpsr_facebook]

De gche à dte: John Tomlinson, Kateryna Kasper, Katherine Magiera, Anton Rositskyi © Barbara Aumüller
De gche à dte: John Tomlinson, Kateryna Kasper, Katherine Magiera, Anton Rositskyi © Barbara Aumüller

 

 

OPER FRANKFURT 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

Dans mes promenades parmi les opéras européens susceptibles de valoir un petit voyage, j’ajoute cette année Francfort. Depuis longtemps, l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt) a tenu son rang parmi les opéras allemands, sans jamais vraiment accéder au tout premier rangs; et pourtant, c’est une salle à qui l’on doit des choix très clairs de répertoire, l’appel à des metteurs en scène novateurs (elle appela avant bien d’autres Ruth Berghaus ou Hans Neuenfels par exemple). Certes, Francfort est plus connue pour son aéroport ou ses banques que par son opéra et ce n’est pas une ville d’un agrément exceptionnel, même si ses Musées sont vraiment de ces musées qu’il faut avoir vus notamment le Staedel Museum au bord du Main et le MMK (Museum für Moderne Kunst) , et même si une soirée à Sachsenhausen est bien sympa.
L’opéra ancien fut détruit pendant la seconde guerre mondiale et reconstruit (pas formidable, la reconstruction des espaces intérieurs), c’est maintenant une salle de concert (Alte Oper), et le nouveau bâtiment (qui ressemble un peu  à Mannheim, métal, verre, béton) construit dans les années 60 abrite aussi le théâtre (Schauspielhaus) est situé très près du fleuve (le Main) et face à la Banque Centrale Européenne: pas de dépaysement, l’opéra, détruit après la guerre, joua aussi dans la grande salle de la bourse de Francfort!
La scène a brûlé en 1987, la reconstruction dura jusqu’en 1991. C’est aujourd’hui l’une des meilleures salles d’Allemagne, elle vient d’avoir le Opera Award du meilleur opéra du monde, qu’elle disputait avec trois autre nominés, Lyon, Stuttgart, Theater an der Wien. Son intendant Bernd Loebe a fait augmenter de 11000 le nombre d’abonnés. Il est vrai que Francfort aussi est un opéra de bonne tradition musicale: Georg Solti, Christoph Von Dohnanyi, Michael Gielen (ce fut l’âge d’or), Sylvain Cambreling, Paolo Carignani, et depuis 2005, c’est Sebastian Weigle qui en est le directeur musical. Avec une troupe très solide, beaucoup de chanteurs invités, un chef de bonne réputation, un intendant qui a débloqué une machine souvent en panne ou d’intendant ou de GMD, l’opéra de Francfort est aujourd’hui un théâtre qui fonctionne, qui compte, et surtout qui vit: 11 nouvelles productions et deux opéras sous forme concertante, 15 “Wiederaufnahmen”(reprises) soit 28 titres en tout et 8 récitals de chant, des concerts, des manifestations culturelles (un cycle de conférences, colloques, concerts, récitals autour de Verdi), un opéra studio, des lieux décentrés (Musée, Bockenheimer Depot). Bref, une belle fermentation culturelle.
Ce qui frappe dans cette programmation, c’est d’abord son équilibre, entre modernité et tradition, entre œuvres rares et grands standards, mais son constant souci de productions de qualité.
Les nouvelles productions (une par mois environ)  font apparaître des auteurs peu joués sur les scènes: Delius, Eötvös, mais aussi Telemann. En septembre, une production de Rusalka confié au metteur en scène hollandais Jim Lucassen, dirigée en septembre par Sebastian Weigle et reprise ensuite en juin par Johannes Debus (7 soirées en sept/oct, et 2 soirées en juin) avec Zoltán Nyári (le Prince) et Amanda Majeski alternant avec Karen Vuong (Rusalka); c’est un phénomène assez récent, mais le chef d’œuvre de Dvorak fait désormais partie des standards (affiché dans presque tous les opéras importants).
En octobre à partir du 5, et pour 10 représentations courant jusqu’à janvier et presque toutes dirigées par Sebastian Weigle, Ariadne auf Naxos dans une mise en scène de Brigitte Fassbaender avec Camilla Nylund (Primadonna), Brenda Rae (Zerbinetta) et Michael König (Bacchus): une bien intéressante distribution. Strauss sera aussi à l’honneur en fin de saison, en juin, pour deux représentations concertantes de Die Liebe der Danae avec une très belle distribution:  Anne Schwanewilms, Lance Ryan, Karen Vuong et Alejandro Marco-Buhrmester, le tout dirigé par Sebastian Weigle.
Christoph Willibald Gluck et Metastase à l’honneur en Novembre, avec Ezio, une œuvre rarement représentée, dirigée par le jeune britannique Christian Curnyn, claveciniste et spécialiste de ce répertoire dans une mise en scène de Vincent Boussard (et des costumes de Christian Lacroix) avec Sonia Prina, Max Emanuel Cencic et l’irlandaise Paula Murrihy (7 représentations du 10 novembre au 7 décembre).
En décembre et janvier (pour 7 représentations entre le 8 décembre et le 5 janvier) le très attendu et très rare Oedipe d’Enesco dirigé par Alexander Liebreich, qui vient de prendre l’orchestre national de la Radio de Pologne, premier chef allemand à la tête d’une formation polonaise depuis 1945. La mise en scène est assurée par Hans Neuenfels, ce qui est une garantie à la fois médiatique et qualitative, en tous cas elle sera très attendue, avec une distribution très équilibrée (Simon Neal dans Œdipe, Tanja Ariane Baumgartner comme Jocaste entre autres). Il faudra sans doute faire le déplacement!
Fin janvier et début février au Bockenheimer Depot, la scène alternative, la création à Francfort de Die Gespenstersonate (la Sonate des spectres) de Aribert Reimann (création à Berlin au Hebbel Theater en 1984), dirigée par Karsten Januschke qui commence depuis 2010 à diriger à l’opéra après avoir été solo-repetitor.La mise en scène est assurée par le très doué (et jeune) metteur en scène britannique Walter Sutcliffe (qui a déjà mis en scène à Francfort avec grand succès Owen Wingrave de Britten) avec notamment Anja Silja, Brian Galliford et Alexander Mayr.
Falstaff, de Verdi, pour 12 représentations (8 en février-mars dirigées par Bertrand de Billy et 4 en mai par Carlo Franci) dans une mise en scène de Keith Warner, une garantie là aussi, avec Zeljko Lucic et Giorgio Surjan en alternance dans Falstaff, et Artur Rucinski dans Ford, ainsi que l’américaine Leah Crocetto dans Alice, Grazia Doronzio en alternance avec Sofia Fomina (Nanetta), l’américaine Meredith Arwady, alternant avec Isabel Vera dans Quickly tandis que Meg Page sera alternativement Claudia Mahnke et Jenny Carlstedt.
Très belle distribution pour deux représentations concertantes d’Edgar de Puccini toujours en février (16 & 18) avec notamment Bryan Hymel et Angela Meade, le tout dirigé par Marc Soustrot tandis que la saison prévoit des reprises de Tosca (décembre-janvier, 11 représentations dans la mise en scène de Andreas Kriegenburg(!) et sous la direction de Leo Hussain (très bon) et Mark Shanahan avec notamment Lumilya Monastyrska et Erika Sunnegardh (Tosca), Dimitri Platanias et Giorgio Surjan (Scarpia), Alfred Kim et Calin Bratescu (Mario) et en avril et mai (8 représentations du 8 avril au 18 mai) La Fanciulla del West, direction Pier Giorgio Morandi (bon chef de répertoire) dans la mise en scène de Christof Loy (hum), avec notamment Barbara Haveman en Minnie et Ian Storey alternant avec Carlo Ventre en Dick Johnson, reprise d’une novuelle production de cette année(avec Eva Maria Westbroek cependant..).
Une relative rareté rossinienne suivra, la Gazza ladra, dirigée par Henrik Nánási (le directeur musical de la Komische Oper de Berlin) dans une mise en scène de David Alden (un bon metteur en scène) pour 8 représentations du 30 mars au 4 mai, avec Katarina Leoson , Sophie Bevan, Francisco Brito.
Du 11 mai au 25 juin pour 11 représentations dirigées par Sebastian Weigle (en alternance avec Karsten Januschke et Sebastian Zierer) Don Giovanni, mise en scène de Christof Loy, avec notamment le Don Giovanni de Christian Gerhaher (il faudra courir l’entendre!!) alternant avec l’autrichien Daniel Schmutzhard (de la troupe de Francfort) et Brenda Rae dans Donna Anna, Juanita Lascarro Elvira, le jeune Martin Mitterrutzner en Ottavio, le vétéran Robert Lloyd en Commendatore, et le couple Björn Bürger (tout débutant) et Grazia Doronzio en Masetto/Zerlina.
Du 25 mai au 8 juin (8 soirs) au Bockenheimer Depot, une rareté de l’époque baroque, Orpheus oder die Wunderbare Beständigkeit der Liebe de Georg Philipp Telemann, dans une mise en scène de Florentine Klepper, metteur en scène résidente à Bâle, qui commence à bien travailler à Dresde, à Stuttgart, et dirigé par Titus Engel avec Sebastian Geyer, Julian Prégardien (fils de…) et Kateryna Kasper en Eurydice.
Une autre très grande rareté (encore un motif pour faire le voyage), pour 7 représentations entre le 22 juin et le 12 juillet, Romeo und Julia auf dem Dorfe, de Frederick Delius, dirigé par Paul Daniel, dans une mise en scène de Eva-Maria Höckmayr, metteur en scène de 33 ans remarquée (notamment Pelleas à Aix la Chapelle), avec notamment Amanda Majeski et Johannes Martin Kränzle.
Dernière production de la saison pour 6 représentations au Bockenheimer Depot du 1er au 11 juillet, Der goldene Drache (le dragon d’or) de Péter Eötvös, qui dirigera la première le 29 juin et laissera le pupitre à Hartmut Keil pour les 6 représentations restantes, avec notamment Hedwig Fassbender, Simon Bode et Kateryna Kasper.
Dans les reprises de l’année, on compte en ouverture de saison (du 1er septembre au 11 octobre, pour 6 représentations) le seul Verdi, en français, Les Vêpres Siciliennes (enfin depuis quelques années revient sur les scènes la version originale de 1855) dans une mise en scène de Jens-Daniel Herzog (nouvelle production de cette saison à voir en juin 2013), dirigé par Giuliano Carella, dans la distribution suivante: Henri sera Burckhard Fritz. Henri demande un ténor de type français, avec un style très travaillé, une voix très mobile et je ne sais comment ce ténor habitué aux rôles plus lourds va pouvoir l’aborder. La duchesse sera Elza van den Heever, que les théâtres appellent pour du bel canto (en alternant avec Liana Haroutouninan), Procida sera Kihwan Sim, un très jeune baryton-basse qui était il y a à peine deux ans dans l’Opernstudio de Francfort et qui appartient depuis cette année à la troupe, et Montfort sera Quinn Kelsey, un baryton américain qu’on a vu à Rome dans Simon Boccanegra comme Paolo Albiani et à Zurich dans Rigoletto.
Première production mozartienne sur les trois prévues dans les reprises de l’an prochain, Idomeneo, mise en scène de Jan Philipp Gloger (qui a fait le dernier Fliegende Holländer de Bayreuth), pour seulement 4 représentations entre le 14 septembre et le 6 octobre, et qui sera dirigée par Roland Boër, un ex-Kapellmeister de Francfort aujourd’hui appelé un peu partout en Allemagne, à Bruxelles et à Copenhague et qui dirige le Cantiere Internazionale d’Arte de Montepulciano (Toscane). Idomeneo sera Daniel Behle, Idamante Jenny Carlstedt, Elettra Katie Van Kooten et Ilia la talentueuse Anne-Catherine Gillet.
13 représentations du 12 octobre au 20 décembre en revanche pour Die Zauberflöte, qui permettra de mettre en valeur tous les éléments de la troupe de Francfort et la plupart des chefs et Kapellmeister (Sebastian Weigle, Sebastian Zierer, Hartmut Keil, Karsten Januschke), dans une mise en scène d’Alfred Kirchner (Ring à Bayreuth des années 90, Khovantchina de Vienne avec Abbado-voir le DVD-), bref, un vieux routier de la mise en scène. Les distributions varient selon les soirées avec deux Sarastro de bonne facture, Alfred Reiter et Andreas Bauer, trois Tamino, Martin Mitterrutzner, Beau Gibson, et Simon Bode, et trois Pamina, Juanita Lascarro, Kateryna Kasper, Elisabeth Reiter, deux Königin des Nacht, Emily Hindrichs et Sofia Fomina, quant à Papageno, il sera Björn Bürger, Sebastian Geyer ou Daniel Schmutzhard. Une série de représentations “alimentaires”, aux coûts minimaux (essentiellement chanté par la troupe, ce qui ne coûte rien en cachets au théâtre) et qui, vu la popularité de l’œuvre, devrait assurer un bon remplissage.
Au printemps (pour 6 représentations du 7 mars au 10 avril), un troisième Mozart, Così fan Tutte, dans la mise en scène de Christof Loy et dirigé par Hartmut Keil et Sebastian Zierer, avec Brenda Rae (Fiordiligi) et Paula Murrihy (Dorabella), Joshua Hopkins et Sebastian Geyer (Guglielmo) , Paul Appleby et Martin Mitterrutzner (Ferrando) Barbara Zechmeister (Despina) et Simon Bailey en Don Alfonso.
Du 19 octobre au 9 novembre, cinq représentations de Tannhäuser dirigé par une des valeurs montantes des chefs germaniques, le jeune Constantin Trinks, qui fait ses débuts à l’opéra de Francfort, dans une mise en scène (2006/07) de la bulgare Vera Nemirova, à qui l’on doit notamment La Dame de Pique à l’opéra de Vienne ou Lulu au Festival de Salzbourg. La distribution, intéressante, mêle membres de la troupe et chanteurs invités: Annette Dasch en Elisabeth, Tanja Ariane Baumgartner  en Venus, Lance Ryan en Tannhäuser, Daniel Schmutzhard en Wolfram, Andreas Bauer en Hermann.
Pour 4 représentations entre le 16 novembre et le 15 décembre, un couple d’opéras inattendu, Dido and Aeneas de Henry Purcell et le Château de Barbe Bleue de Béla Bartók dirigés tous deux par Constantinos Carydis, mis en scène par Barrie Kosky (actuel directeur de la Komische Oper de Berlin, et metteur en scène décoiffant) avec pour Dido and Aeneas, Paula Murrihy en Dido, Sebastian Geyer en Aeneas, et pour le Château de Barbe Bleue, Johannes Martin Kränzle en Barbe Bleue et Claudia Mahnke en Judit.
On a évoqué plus haut la reprise de Tosca, mais pas la reprise pour cinq représentations du 11 janvier au 7 février de The Tempest (créée à Londres en 2004) de Thomas Adès, mise en scène de Keith Warner et dirigée par la britannique Sian Edwards avec Jenny Carlstedt, Brian Mulligan, et Cindia Sieden et Peter Marsh. La reprise des oeuvres contemporaines est un enjeu essentiel pour garantir un répertoire le plus large possible, ce n’est en effet pas la création de ces œuvres qui compte, mais leur reprise régulière pour garantir leur entrée en répertoire.
Du 15 janvier au 8 février (7 soirs), Werther dirigé par Maurizio Barbacini et mis en scène par Willy Decker avec Tanja Ariane Baumgartner en Charlotte, et le Werther de l’excellent John Osborn, l’Albert de Daniel Schmutzhard et la Sophie de Sofia Fomina. Pour John Osborn, peut valoir le voyage, notamment pour nos amis lorrains et alsaciens, assez proches.
Du 12 février au 14 mars, 7 représentations d’Orlando Furioso de Vivaldi dirigé par Felice Venanzoni, lié à Francfort depuis 14 ans et qui s’est spécialisé dans l’interprétation d’œuvres baroques, et mis en scène par David Bösch (un des jeunes metteurs en scène dont on parle de plus en plus, qui fera Simon Boccanegra à Lyon l’an prochain) avec notamment Lawrence Zazzo, Delphine Gallou et Daniela Pini.
Un autre opéra moins représenté sur les scènes, Daphné de Richard Strauss, mis en scène par Claus Guth en 2010, et dirigé pour ces 5 représentations du 28 février au 22 mars par Stefan Blunier, avec Maria Bengtsson, Tanja Ariane Baumgartner et Daniel Behle, à voir, évidemment!
Nous avons déjà évoqué plus haut en mars,  avril et mai les reprises de Così fan Tutte et de La Fanciulla del West, mais pas celle de Tristan und Isolde du 18 avril au 10 mai pour 4 représentations, dirigées par Constantinos Carydis,  dans la mise en scène de Christof Nel avec le couple Lance Ryan et Jennifer Wilson complété par Andreas Bauer (Marke), Simon Neal (Kurwenal) et Claudia Mahnke (Brangäne). J’avoue être tenté par l’Isolde de Jennifer Wilson, car j’ai toujours ce souvenir impressionnant de sa Brünnhilde à Valencia il y a quelques années.
Encore un opéra qu’on ne voit jamais en France,  Tiefland, d’Eugen d’Albert pour une belle reprise de 4 représentations  du 31 mai au 14 juin, dirigée par Sebastian Weigle dans une mise en scène d’Anselm Weber (2006) avec Heidi Brunner,  Johan Botha et Simon Neal, tout comme Les voyages de Monsieur Broucek (Výleti pánĕ Broučkovy) de Janacek pour 4 représentations du 5 au 13 juillet dirigé par Johannes Debus et mis en scène d’Axel Weidauer (production 2007-2008), assistant metteur en scène à Francfort de 2001 à 2008, avec le Broucek d’Arnold Bezuyen, Aleš Briscein, Juanita Lascarro, Andreas Bauer, Simon Bailey.

A revoir l’ensemble des titres rares proposés (plus d’un tiers), Ezio, Œdipe, Die Gespenstersonate, Orpheus oder die Wunderbare Beständigkeit der Liebe, Romeo und Julia auf dem Dorfe, The Tempest, Der goldene Drache, Les voyages de Monsieur Broucek, Tiefland, Daphné et en le mettant en perspective avec l’augmentation des abonnés, on comprend que cette politique très ouverte, un peu comme à Lyon, est une garantie et non un risque: le public a confiance dans son opéra et y vient; l’utilisation intelligente de la troupe, l’équilibre entre les nouvelles productions et le répertoire, le travail sur les productions, y compris les reprises, la présence d’une quinzaine de soirées d’opéra par mois en moyenne dans le calendrier (ce qui n’est pas peu, mais pas non plus excessif et n’épuise donc pas la troupe), tout cela garantit un excellent niveau moyen et une offre qui stimule la curiosité. Francfort, via l’avion ou le TGV Est est très accessible aux français: vaut le voyage et même plusieurs week ends.
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BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, le 26 juillet 2011 (dir.mus: Sebastian WEIGLE, ms en scène: Katharina WAGNER)

Comme Eva est un rôle ingrat!  Le rôle est scéniquement et vocalement assez plat pendant deux actes, et la chanteuse surtout sollicitée au dernier acte où les aigus du fameux quintette sont ravageurs, ainsi que la scène avec Sachs qui précède. Pour ma part, je me souviens de deux Eva très différentes, Lucia Popp, avec Wolfgang Sawallisch à Munich, et Anja Harteros, à Genève il y a quelques années, deux magnifiques personnalités, deux Eva très présentes. Cette année, comme l’an dernier c’est Michaela Kaune qui chante Eva à Bayreuth. L’an dernier c’était passable, cette année c’est un peu plus difficile : les aigus que cette voix n’a pas vraiment naturellement sont tirés et mobilisent toute l’énergie, d’où des sons métalliques et des difficultés dans les passages. On l’oubliera assez vite dans ce rôle qui ne lui convient pas : pas de poésie, interprétation plate, difficultés techniques. A ses côtés, la Magdalena de Carola Guber est carrément inexistante : on ne l’entend simplement pas. On n’entend pas beaucoup non plus (à Bayreuth c’est un comble) Burkhard Fritz, le nouveau Walther qui succède à Klaus Florian Vogt. Autant Vogt avait une voix sonore, autant Fritz, qui s’applique et qui sait chanter, a une voix trop petite pour le rôle (il disparaît dans les ensembles) et des aigus lui aussi difficiles (c’est très perceptible dans l’air final). L’interprétation scénique est tout à fait satisfaisante dans ce rôle d’artiste insupportable et mauvais garçon, mais on est assez déçu de la prestation vocale, en dépit, je le répète, d’évidente qualités. Je doute que Walther apporte quelque chose d’intéressant pour sa carrière.
James Rutherford en Hans Sachs manque de personnalité vocale. Le timbre est voilé, la puissance limitée, même si cette année certains moments sont vraiment musicalement très réussis (les plus retenus, les plus lyriques : début du second acte, magnifique, et première moitié du troisième acte). Il est aidé par l’orchestre qui l’a vraiment accompagné de manière exceptionnelle.
Encore une fois, j’ai aimé le David de Norbert Ernst, ténor de caractère techniquement parfait, à la voix claire, bien posée, très bien contrôlée, et bien sûr le magnifique Beckmesser d’Adrian Eröd, qui sans moyens exceptionnels, mais avec un phrasé modèle, un texte dit à la perfection, et des qualités d’acteur exceptionnelles, très sollicitées dans cette mise en scène propose un personnage complexe, polymorphe, d’une présence ahurissante. Une interprétation de très grand niveau. On signalera aussi le Pogner de Georg Zeppenfeld, basse de très grande qualité, l’une des meilleures basses en Allemagne aujourd’hui (il fut le Sarastro d’Abbado) et dans l’ensemble le reste de la distribution n’appelle pas de réserves (un bon point pour Friedemann Röhlig, Nachtwächter toujours efficace).
Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est comme toujours exceptionnel, et notamment dans les parties moins spectaculaires (le tout début par exemple), et la direction de Sebastian Weigle m’est apparue un peu plus intéressante que l’an dernier, notamment dans les parties plus lyriques, mais elle manque tout de même de relief (c’est frappant dans l’ouverture) : le final du second acte semble toujours aussi brouillon on ne sent toujours pas le crescendo qui doit gouverner toute la fin de l’acte. C’est dommage.
Quant à la mise en scène de Katharina Wagner, last but not least, elle garde tout son intérêt et son intelligence. C’est une mise en scène sur le conformisme et l’originalité : sur le conformisme en art (y compris dans la fausse marginalité artistique représentée par Walther – puisque les rôles sont inversés à la fin, Sachs et Walther étant les conformistes et Beckmesser celui qui dit non et qui fuit le totalitarisme- et sur le conformisme du public qui siffle l’artiste qui sort du rang, et qui applaudit aux valeurs télévisuelles et consensuelles. Un conformisme qui mène tout droit au totalitarisme (Hans Sachs en métaphore d’Hitler, est à la fois inquiétant et tellement juste). Un regard à rebours sur une œuvre qui a symbolisé largement l’âme et la culture allemandes (et qui fut la préférée des nazis, jamais interdite à Bayreuth, au contraire de Parsifal): voilà où la culture allemande nous a menés, semble dire Katharina Wagner, notamment dans ce terrible bal des gloires germaniques ou quand Sachs brûle tous ces oripeaux culturels et reste seul, illuminé par une flamme qui rappelle étrangement, par ses jeux d’ombre et de lumière, les films de propagande des grands rassemblements de Nuremberg, réunis autour du bûcher de la pensée..

Ce spectacle fourmille d’idées, les chanteurs sont magnifiquement dirigés, les mouvements sont d’une redoutable précision. Katharina Wagner est un authentique metteur en scène, qui affronte bravement les huées du public (de ce même public qui hue les travaux originaux à la fin de sa mise en scène des Maîtres), et dont le travail mérite tout notre intérêt. J’ai écrit précédemment combien ce spectacle gagnait à être revu. Avec une distribution vraiment à la hauteur, et un chef moins banal, c’eût été un très grand soir. Notons tout de même que – fait rarissime – il y avait des gens qui vendaient des billets « biete Karte » alors qu’on voit habituellement des « Suche Karte » (je cherche un billet). Alors, si vous avez des velléités de Bayreuth cette année, n’hésitez pas, vous trouverez des places pour ces Maîtres Chanteurs et vous le ne regretterez sans doute pas.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG le 2 août 2010 (Sebastian WEIGLE – Katharina WAGNER)

 

020820102257.1281000874.jpgLe sort m’a attribué cette année non pas des billets pour le nouveau Lohengrin, dirigé par Andris Nelsons, mis en scène par Hans Neuenfels, avec Jonas Kaufmann, Annette Dasch, Evelyn Herlitzius et Hans Joachim Ketelsen remplaçant Lucio Gallo, mais pour les Meistersinger, avec un Hans Sachs nouveau, le jeune britannique James Rutherford. J’ai déjà écrit l’an dernier sur cette production : à la revoir, on l’apprécie de plus en plus. Elle pose directement la problématique de l’artiste et du social, et s’affiche comme ouvertement idéologique, refusant de s’intéresser à la relation Eva-Stolzing (s’intéressant d’ailleurs un peu plus à la relation Sachs-Eva) c’est-à-dire évitant de traiter les relations entre individus, mais traitant bien plutôt la situation artistique et idéologique.

Du point de vue théâtral, les scènes d’ensemble sont assez bien traitées, la « Festwiese » finale manquant peut-être de mouvement, mais la partie finale est une telle explosion d’idées diverses que l’on n’y prête pas trop attention.
On peut rappeler le concept : au départ Hans Sachs et Walther von Stolzing sont les non conformistes, Beckmesser étant un personnage totalement coincé, engoncé dans la tradition et le conformisme bourgeois. Sachs refuse les rituels des maîtres, marche pieds nus, lui le cordonnier, et Walther est une véritable « tête à claques » pendant presque les deux premiers actes dans leur ensemble. Tout bascule au final du second acte, sorte de happening général (avec allusion à la Campbell Soup de Warhol) qui confine à l’anarchie, Sachs et Walther réalisent qu’ils ne veulent pas voir l’art mener à ça : Walther commence à nettoyer les peintures qu’il a gribouillées. Beckmesser au contraire se décoince ! Et c’est tout l’enjeu du troisième acte que de voir comment Sachs et Walther se « normalisent » au point de devenir l’un une sorte d’Hitler (Sachs), l’autre (Walther) un médiocre promoteur de l’art officiel., pendant que Beckmesser se lance dans la
performance échevelée, et fuit devant cette normalisation artistique encadrée par Sachs.

kthrina.1281001402.jpgBeaucoup de huées pour la mise en scène à la fin. La nouveauté venait donc de ce jeune anglais, James Rutherford, succédant à Franz Hawlata (génial acteur, mais sans voix), puis à Alan Titus (voix vieillie et acteur peu à l’aise dans le personnage voulu par la mise en scène ). La performance n’est pas concluante. Il est visiblement lui aussi mal à l’aise avec ce que la mise en scène lui demande (notamment à la fin), et ne bouge pas vraiment avec bonheur. Le chant n’est pas vraiment tout à fait au rendez-vous. Non qu’il chantât mal, mais la voix est engorgée, opaque, sans vraie projection, ce qui gêne beaucoup notamment au premier acte et dans les longs monologues. L’absence de personnalité scénique et aussi sans doute de maturité rendent son chant complètement inexpressif. Le reste de la distribution est honorable, avec trois magnifiques prestations, 

– d’abord le Beckmesser d’ Adrian Eröd, en tous points remarquable: c’est lui qui, avec Klaus Florian Vogt, emporte tous les suffrages : expressivité, intelligence du jeu et du chant, voix claire, bien projetée, une vraie performance, alors qu’il m’avait moins impressionné l’an dernier. En tous cas, voilà un chanteur à ne pas manquer. eroed.1281001429.jpg

– ensuite, Klaus Florian Vogt est vraiment l’un des plus beaux Walther qui soient, la voix est saine, lumineuse, solaire, puissante et il compose un personnage délirant !

– enfin, David (Norbert Ernst) est excellent à tous égards, et remporte un triomphe mérité (décidément, nous sommes dans une années à ténors).

On reste plus réservé sur les prestations de chanteuses : Michaela Kaune est une Eva correcte, mais sans vraie poésie, Magdalene (Carola Guber) semble cette année avoir plus de difficulté, sons désagréables, voix inégale et peu homogène.

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est éblouissant comme toujours, et l’orchestre dirigé par Sebastian Weigle, directeur musical à Francfort, reste comme l’an dernier un peu plat, sans mettre en exergue certains pupitres (les bois notamment). Même si tout cela sonne fort bien dans la salle, on reste avec l’ impression mitigée d’un travail très professionnel sans touche vraiment personnelle.

Il reste que la soirée a été bonne, et comme d’habitude, malgré les plaintes, les remarques acerbes, les critiques des productions, on n’a qu’une seule envie, c’est de revenir…

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BAYREUTHER FESTSPIELE 2009: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG (Ms en scène: Katharina WAGNER, Dir.Mus: Sebastian WEIGLE))

 

Je suis en train d’écouter un bel enregistrement de Die Meistersinger von Nürnberg dirigé en 1953 par Fritz Reiner au MET, le 11 janvier 1953 (4 CDs Walhall). Je suis toujours frappé par la qualité des interprétations de ce chef, respecté, mais qui n’est pas très connu du grand public (sauf peut-être pour sa Salomé avec Ljuba Welitsch), limpidité de l’orchestre, tempi très étudiés, en fonction du texte, attention visible à ce qui se passe sur scène, sens du lyrisme, avec des chanteurs qui ont pour nom Paul Schöffler, Victoria de Los Angeles, Josef Greindl, seul Hans Hopf en Walther ne me touche pas trop, comme toujours. Une magnifique soirée. J’ai acheté ce coffret pour la somme de 14,99 à Berlin, chez Dussmann, le paradis des mélomanes de tous poils, à côté duquel la FNAC fait figure de petite échoppe. Si vous allez à Berlin, il faut vous y précipiter, on peut même y fureter après une soirée à la Staatstoper, toute proche, puisque c’est ouvert jusqu’à minuit (Métro Friedrichstrasse).

Bon, je reviens à mes Maîtres: cette audition de Reiner m’a fait mettre en perspective une fois de plus, la production actuelle de Bayreuth de Katharina Wagner, moins horrible que certains ont pu le dire, mais à la direction musicale d’une fadeur désespérante. La cuvée 2009 du Festival, en demi-teinte, ne présentait aucune production nouvelle, et quelques modifications des productions existantes. En fait, l’attraction était la première année effective du tandem Katharina Wagner-Eva Wagner-Pasquier, demi-sœurs qui succèdent à leur père Wolfgang. Interviews, reportages des magazines musicaux et non, conférences de presse, mais aussi difficultés initiales avec menaces de grève des techniciens, événement incroyable et unique dans les annales. C’est que le Festival a vécu durant les années Wolfgang sur des principes et un fonctionnement héritant largement des années cinquante, qu’il faut aujourd’hui revoir complètement, tant au niveau économique qu’organisationnel et artistique. Cette redoutable tâche, les deux sœurs semblent l’assumer avec énergie, Katharina se consacrant plus sur la production et l’organisation, et Eva sur l’artistique. Premier objectif, le bicentenaire de 2013, année Wagner. En attendant, on a revu avec plaisir le Tristan mis en scène par Christoph Marthaler, même si l’Isolde de Irène Theorin crie un peu, le Parsifal très intelligent et dérangeant de Stefan Herheim (voir l’article dans ce blog), magnifiquement dirigé par Daniele Gatti, chanté par la même compagnie que l’an dernier, mais un peu fatiguée, et ces Meistersinger, qui après deux ans offraient rien moins qu’un nouveau Sachs (le vétéran Alan Titus) et un nouveau Beckmesser (le jeune Adrian Eröd). La mise en scène de Katharina Wagner a été légèrement modifiée selon l’habitude du neues Bayreuth, atelier de réflexion sur le théâtre de Wagner(« Werkstatt Bayreuth ») pour s’adapter aux nouveaux chanteurs, mais l’esprit en est toujours le même : il s’agit pour la première fois au Festspielhaus, d’évoquer le problème idéologique posé par l’œuvre, et notamment sa relation au nazisme. Pour ce faire, elle inverse la lecture traditionnelle : Sachs et Walther de marginaux au départ (dans cette lecture) deviennent conformistes, le discours final de Sachs étant même assimilé à un discours d’Hitler, avec ses tics et ses gestes, tandis que Beckmesser au contraire peu à peu devient le créatif, le marginal, celui qui trouve enfin son identité artistique. Ce travail, marque d’une réflexion intelligente, pêche par radicalité et manque de « musicalité », des moments musicaux marquants sont en effet gauchis par une mise en scène envahissante (final du II° acte, ou quintette du III° acte que les rires du public empêchent d’entendre). La direction de Sebastian Weigle manque de sensibilité, même si elle est un peu plus énergique que les années précédentes., mais tout cela reste d’une grande platitude. Quant aux chanteurs, Adrian Eröd, baryton élégant, excellent technicien, compose un Beckmesser dandy et maniéré, et c’est très réussi, mais la voix reste un peu légère, et la couleur un peu claire pour le rôle. Il ne fait pas oublier Michael Volle dont la composition alliait élégance et puissance. Paradoxalement, Alan Titus ne fait pas oublier non plus Franz Hawlata, alors que vocalement, il lui est supérieur. Mais Hawlata était le personnage exactement voulu par la mise en scène et sa composition restait impressionnante malgré un chant problématique . Titus est gauche, mal à l’aise dans le personnage, et son chant peu expressif et linéaire ne peut compenser l’absence de présence scénique : une très grosses déception. En revanche Klaus Florian Vogt est un magnifique Walther, pleinement convaincant, la voix qui s’est élargie est claire, l’émission parfaite, et le personnage totalement crédible. Micaela Kaune est une Eva honorable, sans être exceptionnelle, et Norbert Ernst un David solide face à une Magdalena honnête (Carola Guber). Mais, malgré les réserves, c’est toujours une fête d’entendre Die Meistersinger, que j’écoute et j’aime de plus en plus, peut-être est-ce l’oeuvre la plus complexe et la plus passionnante du Maître de Bayreuth, en tous cas elle a alimenté bonne partie du symphonisme de la fin du XIXème, Mahler en tête (dernier mouvement de la 5ème symphonie!).

BAYREUTH 2009
Die Meistersinger von Nürnberg
3 Août 2009

Hans Sachs, Schuster Alan Titus
Veit Pogner, Goldschmied
Artur Korn Kunz Vogelgesang, Kürschner Charles Reid Konrad Nachtigall, Spengler Rainer Zaun Sixtus Beckmesser, Stadtschreiber Adrian Eröd Fritz Kothner, Bäcker Markus Eiche Balthasar Zorn, Zinngießer Edward Randall Ulrich Eisslinger, Würzkrämer Timothy Oliver Augustin Moser, Schneider Florian Hoffmann Hermann Ortel, Seifensieder Martin Snell Hans Schwarz, Strumpfwirker Mario Klein Hans Foltz, Kupferschmied Diógenes Randes Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt David, Sachsens Lehrbube Norbert Ernst Eva, Pogners Tochter Michaela Kaune Magdalene, Evas Amme Carola Guber Ein Nachtwächter Friedemann Röhlig

Direction musicale: Sebastian Weigle Mise en scène: Katharina Wagner Décor: Tilo SteffensCostumes: Michaela Barth
Tilo Steffens
Choeur:
Eberhard FriedrichLumières: Andreas Grüter