3 décembre 2009: ABBADO et BARENBOIM à la TV en Italie (RAITRE)

abbadobarenboim03a.1259884703.JPGCe soir, vraie fête de la musique sur RAITRE, le troisième canal de la RAI, à l’occasion de la très populaire émission “Che tempo che fà” (qu’on pourrait traduire par “quel temps qu’i fait !”, sorte de “Grand échiquier” à l’italienne, avec un animateur  parmi les plus aimés en Italie, plutôt marqué à gauche,Fabio Fazio. L’émission programmée à cause de la PRIMA de la Scala le prochain 7 décembre (qui sera retransmise en direct sur ARTE, mais aussi dans diverses salles de cinéma d’Europe et des USA), était centrée sur Daniel Barenboim, qui a invité Claudio Abbado et Maurizio Pollini. La partie musicale était assez riche (Ouverture de Carmen et préludes des autres actes, 3ème mouvement du concerto n°3 de Beethoven avec Barenboim au piano et Claudio Abbado au pupitre, le 2ème concerto de Brahms dans un enregistrement Pollini-Abbado avec Le Philharmonique de Vienne en 1977, puis de nouveau l’ouverture de Carmen et le lever de rideau, cette fois-ci à la Scala lors de la générale. On a vu aussi un montage autour du documentaire sur la tournée en Palestine du West-Eastern Divan Orchestra et de Daniel Barenboim, ainsi qu’un petit montage sur l’Orchestre National des Jeunes du Vénézuéla Simon Bolivar et Claudio Abbado (visiblement ému en voyant ces images d’ailleurs). Fazio avait aussi invité Stéphane Lissner et Emma Dante, qui met le spectacle en scène. Emma Dante est considérée comme la femme de théâtre la plus radicale du théâtre italien, c’est son premier opéra, elle est sicilienne et travaille à Palerme. On l’a vue dans un court reportage sur les répétitions avec Jonas Kaufmann et la jeune géorgienne qui chante Carmen, Anita Rachvelishvili. (Escamillo sera Erwin Schrott).

L’émission était bien construite, et souvent très émouvante. Daniel Barenboim est une personnalité flamboyante qu’i peut susciter des réserves, mais c’est un homme courageux, qui affirme ses idées politiques de manière claire et forte, et qui prend des risques. C’est un musicien hors pair qui peut être irrégulier, qui peut ne pas convaincre, mais qui peut aussi donner des soirées inoubliables, sensationnelles. Je l’ai redécouvert en lisant ses dialogues avec Edouard Said, “Parallèles et paradoxes” qui racontent sa relation à la musique, à Israël, à la Palestine, et qui est l’un des livres les plus passionnants à lire dans ce type de production. Il est traduit en Français, précipitez-vous.

Le moment où Claudio Abbado a pris la baguette face à ces musiciens qu’il n’avait jamais dirigés pour la plupart, face à cet orchestre qu’il a fondé, a été vraiment très fort. Très émouvant aussi, et très divertissant le dialogue avec Abbado, très en forme, plaisantant, presque libéré, lui qui est plutôt réservé, plein d’a parte complices avec Barenboim (je dois souligner que Barenboim assiste souvent aux concerts d’Abbado, je me souviens de sa présence à la générale de Tristan à Salzbourg à Pâques, à la fin des années 1990). Ils sont très amis, et se sont retrouvés ensemble à Berlin, dans les mêmes années. Abbado a dirigé un Falstaff à la Staatsoper, à l’invitation de Barenboim. Les deux compères étaient très détendus, comme Maurizio Pollini, plus sérieux cependant. Tous ont exprimé leur amour de la musique, le rôle de l’interprétation, le rôle social et politique de la musique, et tous aussi ont très subtilement écorné le gouvernement italien sur ses coupes sombres au budget culturel.

La dernière partie était une discussion sur la Carmen de la Scala, avec un Lissner qui parle assez bien l’italien, et qui a défendu ses choix. Soyons honnêtes au début les années 2000, la  Scala étouffait sous une direction musicale et manageriale qui n’avaient plus rien à dire, ni l’un ni l’autre. N’oublions pas que c’est l’orchestre qui a demandé à Riccardo Muti et Carlo Fontana de partir. Lissner est arrivé seul, dans un milieu qu’il ne connaissait, dans une situation gravissime pour le théâtre. Son habileté, son réseau, ses idées ont fait renaître le phénix de ses cendres. On a revu grands chefs, jeunes chefs, mises en scènes contemporaines, variété du répertoire. Il reste à asseoir mieux l’identité du théâtre:  la programmation, de très grande qualité, n’a pas néanmoins ce “caractère” qu’elle avait aux temps bénis de Grassi-Abbado. Mais pour cela il faudrait disposer de chanteurs capables de défendre le répertoire italien. On sait ce qu’il en est aujourd’hui sous ce rapport et en Italie tout particulièrement, hélas. abbadobarenboimpollini05a.1259884686.JPG

Une très belle soirée, qui mériterait d’être diffusée ailleurs: il est clair que les trois musiciens exceptionnels que nous y avons entendus sont chacun dans leur genre des artistes qui portent en eux beaucoup plus que leur art, ils portent une éthique (c’est très clair pour Abbado et Pollini), un message social et politique (c’est clair pour Barenboim), leur personnalité irradie l’écran. On se prend à regretter quand même l’erreur énorme qui a conduit à évincer Barenboim de la Bastille et de Paris pour le pousser vers Berlin. Il a même porté l’orchestre de Paris un soir à la Scala (il l’a dirigé en 1989 et c’était la première fois qu’il dirigeait dans le théâtre) à l’invitation du Centre Culturel Français de Milan , alors conduit par Patrice Martinet,  talentueux directeur actuel de l’Athénée-Louis Jouvet à Paris. L’orchestre était à des sommets qu’on n’a plus atteints depuis, et Barenboim serait sans doute resté un phare de la vie musicale parisienne, s’il avait dirigé Bastille, si Pierre Bergé ne l’en avait pas chassé. Il coûte cher à Berlin, certes, mais personne ne songerait à le remplacer . Quant à Abbado, après le Simon Boccanegra miraculeux de l’Opéra de Paris à la fin des années 70, il n’a plus voulu diriger un orchestre français (on se rappelle la violence de ses reproches à l’orchestre de l’Opéra sur France Musique), et malgré sa grand croix de la légion d’honneur, on ne le voit pas beaucoup sur nos rives.Tout cela pour dire que j’ai beaucoup vibré ce soir en écoutant ces trois artistes qui ont accompagné pendant des décennies ma vie de mélomane. Les images sont celles de l’émission de RAITREabbadobarenboim01a.1259884650.JPG

ABBADO dirige demain 3 décembre le Philharmonique de la Scala à la RAI (RAITRE) pour la première fois depuis 24 ans

Si vous captez via un bouquet ou un autre RAI3 (RAITRE), la troisième chaîne de la RAI, soyez devant votre télévision demain 3 décembre entre 21h30 et 23h30, l’émission “Che tempo che fà” de Fabio Fazio est dédiée à la Première (La Prima) de la Scala le 7 décembre prochain (Carmen) elle réunira Stéphane Lissner, Emma Dante (mise en scène), Daniel Barenboim (qui dirigera cette première), Maurizio Pollini et Claudio Abbado. Pendant l’émission, Claudio Abbado dirigera, pour la première fois depuis 24 ans le Phiharmonique de la Scala dans le rondo du concerto pour piano n°3 de Beethoven avec Daniel Barenboim au piano.

Un Rendez-vous exceptionnel, qui est vu comme un événement dans la presse italienne.

Il faut aller à LUCERNE

kkl2.1259958180.JPGIl FAUT aller à Lucerne. C’est vraiment aujourd’hui en Europe le Festival le plus complet en matière musicale. J’en ai déjà parlé à propos des concerts de Claudio Abbado en 2009, raison de plus pour 2010 puisque Abbado dirigera le Lucerne Festival Orchestra dans Fidelio (Stemme/Kaufmann), les 12 et 15 août, et la 9ème de Mahler, tant attendue, les 20 et 21 août. Mais Abbado n’est pas la seule raison de rendre une visite à Lucerne, puisqu’on pourra y entendre le Concertgebouw, les Berliner Philharmoniker, le San Francisco Symphony Orchestra, le Cleveland Orchestra, le Gewandhaus de Leipzig et bien d’autres encore. L’orchestre des jeunes du Festival (la Lucerne Festival Academy) sera dirigé comme chaque année par Pierre Boulez qui anime l’académie et les deux artistes étoiles seront cette année Hélène Grimaud et Esa Pekka Salonen. Ce dernier proposera le 10 septembre (avec son orchestre le Philharmonia) le fameux Tristan und Isolde, mis en scène par Peter Sellars avec les vidéos de Bill Viola, que les parisiens purent voir à l’Opéra Bastille; cette production fut conçue pour l’auditorium Dysney de Los Angeles, elle devrait s’adapter à l’espace conçu par Jean Nouvel.

Lucerne est à 90 km de la frontière française à Bâle, et à trois heures de Genève environ. Le voyage vaut le coup, croyez-moi: la région est splendide et même en Suisse on peut trouver en s’y prenant assez tôt des logements pas trop chers, et les hôtels pullulent au bord du lac des Quatre Cantons. Lucerne a en outre un Musée des Transports très important, et une collection de peinture avec des pièces maîtresses du XXème siècle, la collection Rosengart et bien sûr Tribschen où Wagner résida. En plus, cerise sur le gâteau, le Palais des Congrès où se déroule le festival, est l’un des bâtiments les plus réussis de Jean Nouvel, un authentique chef d’oeuvre de l’architecture contemporaine.

Certes, on le sait, la Suisse reste un pays cher (un peu moins depuis l’Euro), et les billets du festival ne sont pas donnés (prix maximum autour de 200-220 Euros), mais en s’y prenant à temps, on peut aussi trouver de bonnes places Galerie IV autour de 30-35 Euros. Il n’est d’ailleurs pas trop difficile d’avoir des places même vers mai juin  (sauf évidemment pour les concerts les plus demandés). L’ambiance des soirées de concerts a beaucoup changé depuis 10 ans, le public qui était un peu froid il ya  quelques années est devenu très enthousiaste, notamment avec Abbado (là c’est carrément du délire), et aussi Dudamel ou Jansons. Et l’ambiance  générale du festival est plutôt bon enfant, et pas vraiment snob.

Pour connaître en détail le programme voici le lien:

http://www.lucernefestival.ch/en/festivals/lucerne_festival_summer_2010/

Mais le festival de Lucerne, c’est aussi en automne Lucerne Piano (du 23 au 29 novembre) et le festival de Pâques ( du 19 au 28 mars) avec cette année l’orchestre des jeunes du Vénézuéla et Abbado, Dudamel, et le jeune Diego Matheuz, mais aussi l’orchestre de la Radio Bavaroise (avec Haitink et Harding), le Concentus Musicus dirigé par Harnoncourt.

C’est (à peu près) seulement à Lucerne qu’on peut entendre le Lucerne Festival Orchestra(LFO), cet orchestre magique fondé par Abbado qui surprend à chaque fois par la perfection technique, l’engagement, la chaleur du son, la sympathie (orchestre rempli de jeunes, qui entretient avec le public un rapport affectif très fort). Dix jours (12 août-21 août) qui ouvrent chaque année le festival. Soyez sans illusion, cet orchestre n’est probablement pas près de visiter Paris, bien qu’il se soit déjà déplacé à Rome, Londres, Tokyo, New York, Pékin, et qu’il doive en septembre 2010 aller à Madrid. En fait rien que cet orchestre vaut le voyage à Lucerne. Les concerts Mahler-Abbado-LFO sont sans doute parmi les événements musicaux les plus marquants de cette décennie, absolument inoubliables (et incroyables), cette expérience vaut la peine d’être vécue, et comme dit Stendhal “c’est pour ces moments là qu’il vaut la peine de vivre” .
Certes, il y a d’autres Mecques musicales, Salzbourg par exemple, où l’on entend souvent quelques uns des  mêmes orchestres, mais à Lucerne, les orchestres sont chez eux, puisque le Festival a été fondé pour la musique symphonique par Arturo Toscanini en 1938, après l’Anschluss; et  de plus l’ambiance de Lucerne n’a rien, mais rien à voir avec celle, compassée de Salzbourg.

L’intendant Michael Haefliger (le fils de Ernst Haefliger) dirige ce festival en authentique manager culturel, c’est un musicien, un vrai mélomane, enthousiaste et discret, qui sait réunir d’incroyables plateaux pour notre bonheur, et qui investit toute son énergie pour faire construire dans les prochaines années (et ce n’est pas gagné) une salle modulable destinée au théâtre musical. C’est aussi cette modestie et cette compétence qui donnent une couleur toute particulière aux moments vécus à Lucerne.

Il y a très peu de visiteurs français, malgré le proche voisinage et la presse française ne rend pas régulièrement (c’est  regrettable) compte des soirées de Lucerne, même si les concerts d’Abbado et du LFO ont quelquefois été commentés dans Le Monde, par exemple, ou quelquefois Le Figaro. Les germanophones liront avec profit les critiques de Peter Hagmann dans la NZZ (Neue Zürcher Zeitung), le journal de langue allemande aux pages culturelles de référence.

Voilà mon conseil de mélomane, j’espère bien vous avoir convaincus qu’un détour par Lucerne s’impose, vous ne le regretterez pas, et comme moi, vous y reviendrez chaque année.sallelucerne.1259958196.jpg

Les programmes 2010 (actualisés au 18 août 2010) de Claudio ABBADO

Vous aimez, comme moi, Claudio Abbado.
Vous considérez, comme moi qu’il est le plus grand des chefs vivants aujourd’hui et que tout au long de sa carrière on lui doit (entre autres)

– d’avoir fait de Simon Boccanegra une des références de l’opéra verdien
– d’avoir imposé une Carmen sans récitatifs mais avec les dialogues
– d’avoir imposé Luigi Nono sur les scènes et dans les concerts
– d’avoir imposé la version originale de Boris Godounov
– d’avoir imposé des morceaux inconnus du Don Carlo de Verdi (notamment le fameux “lacrimosa” concluant la mort de Posa)
– d’avoir mis au répertoire des théâtres “Il viaggio a Reims” de Rossini
– d’avoir mis au répertoire des théâtres “Fierrabras” de Schubert
– d’avoir, dans Parsifal, fait interpréter les enfants et les jeunes chevaliers par des voix d’enfants et non de femmes
– d’avoir, toujours dans Parsifal, inséré des cloches asiatiques pour les deux “Verwandlungmusik” avec une profonde modification des effets
– d’avoir fondé l’Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne
– d’avoir fondé le Chamber Orchestra of Europe
– d’avoir fondé le Gustav Mahler Jugendorchester
– d’avoir fondé le Mahler Chamber Orchestra
– d’avoir refondé le Lucerne Festival Orchestra
– d’avoir fondé l’Orchestra Mozart
– d’être le plus grand interprète actuel de Gustav Mahler

– Et d’avoir toujours soutenu la puissance sociale de la musique, d’avoir toujours voulu travailler avec des jeunes, d’avoir su oser au nom d’une forte idée de la nécessité de la culture dans tous ses effets, d’être en ce sens un authentique visionnaire.
Il ya donc quelque raison de signaler son activité aux mélomanes français, qui auront l’occasion de le revoir à Paris le 11 juin prochain salle Pleyel, c’est pourquoi je vous signale les concerts officiels prévus pour l’instant, mais il y en aura d’autres:

MARS
LUCERNE, KKL
19 mars

Prokofiev: Suite Scythe
Berg: Lulu-Suite (Anna Prohaska)
Tchaikovsky: Symphonie n° 6
Orchestre des Jeunes Simon Bolivar

ROME, Auditorium Parco della Musica
26, 28 & 29 mars
Mendelssohn: Symphonie n°4, Italienne
Mozart: Concerto pour violon K 216
Mozart: Symphonie n°41, Jupiter
Orchestra Mozart

AVRIL
BOLOGNA, Teatro Manzoni

1er avril
Beethoven: Egmont, Ouverture
Schumann: Concerto pour violoncelle (Natalia Gutman)
Beethoven: Symphonie n°2
Orchestra Mozart

FERRARA,Teatro Comunale
11 avril
REGGIO EMILIA, Teatro Valli
13 avril

Rachmaninov: Rapsodie sur un thème de Paganini (Yuja Wang)
Rachmaninov: Concerto pour piano n°2 (Yuja Wang)
Beethoven: Symphonie n°8
Mahler Chamber Orchestra

MAI
BERLIN, Philharmonie
14,15 & 16 mai

Schubert: Trois Lieder
Schönberg: Gurrelieder (Extraits)
Brahms: Rinaldo, Cantate
Christianne Stotijn
Jonas Kaufmann
Berliner Philharmoniker

JUIN

Tous concerts annulés

AOÛT
LUCERNE, Lucerne Festival, KKL
12 & 15 août

Beethoven: Fidelio (version de concert)
20 & 21 août
Mahler: Symphonie n°9
Lucerne Festival Orchestra

SEPTEMBRE
BOLOGNA, Basilica Santo Stefano
18 septembre

BOLOGNA, Teatro Manzoni
19 septembre
PAVIA, Certosa di Pavia
21 septembre
JESI, Teatro Pergolesi
25 septembre

Bach: Airs de la Passion selon St. Matthieu (“Ich will dir mein Herze schenken” + “Erbarme dich, mein Gott”)
Air de la Passion selon St. Jean (“Es ist vollbracht”)
Pergolesi: Stabat Mater
Julia Kleiter
Sara Mingardo
Orchestra Mozart

OCTOBRE
MADRID, Auditorio Nacional 
17 & 18 octobre 2010

Lucerne Festival Orchestra
Mahler Symphonie n°9

PARIS, Salle Pleyel
20 octobre 2010

Lucerne Festival Orchestra
Mahler Symphonie n°9

NOVEMBRE
BOLOGNA, Teatro Manzoni
21 novembre
FERRARA, Teatro Comunale
23 novembre

SCHUMANN:
Ouverture de Geneviève
Concerto pour piano
Symphonie n°3, Rhénane
Radu Lupu
Orchestra Mozart

BOLOGNA, Teatro Manzoni
28 novembre

Beethoven: Symphonie n°5
Orchestra MozartCertains concerts ne sont pas encore ouverts à la réservation, préparez-vous!

LUCERNE FESTIVAL 2009: Et le ciel s’est ouvert…Abbado à Lucerne (Août 2009)

 

Concerts ABBADO

Lucerne

12-22 Août

Programme 1 :

Prokofiev Concerto pour piano n°3, soliste Yuja Wang

Mahler Symphonie n°1

Programme 2 :

Mahler : Rückert Lieder

Mahler : Symphonie n°4

Magdalena Kozena, Mezzosoprano

Lucerne Festival Orchestra

Claudio Abbado


C’est désormais un rituel, le festival de Lucerne, le plus grand rassemblement d’orchestres internationaux au monde, pendant un mois et demi, s’ouvre sur 10 jours au cours desquels Claudio Abbado dirige le Lucerne Festival Orchestra pour quatre à cinq concerts et deux programmes. Rituel est le mot qui convient tant l’attente du public et la ferveur des musiciens  transforment ces moments en des pierres miliaires de l’histoire de l’interprétation musicale. La relation à Mahler du chef milanais est connue, elle accompagne toute sa carrière, depuis ses débuts, et pourtant, comme souvent chez Abbado, chaque concert est un moment tout neuf, où s’oublient toutes les interprétations précédentes, où s’explorent des chemins nouveaux, qui étonnent les musiciens eux-mêmes et frappent les auditeurs. Cette année, l’ouverture du Festival s’est faite avec la Symphonie n°1 de Mahler, et une fois encore, nous sommes projetés ailleurs. L’adhésion affectueuse de l’ensemble des musiciens se lit à la tension extrême pendant les exécutions, tension qui saisit aussi chaque spectateur, il n’est que d’entendre les silences qui suivent les dernières mesures, l’explosion finale des applaudissements, la standing ovation spontanée, les jets de fleurs. Nous sommes ailleurs, ailleurs parce que littéralement, on n’a jamais entendu cela…Dans les mains d’Abbado, une symphonie aussi rebattue que la Titan, œuvre dite de jeunesse, loin d’être cette explosion de sève juvénile dans une nature bouillonnante, devient le premier témoignage d’un parcours cohérent, fait de mélancolie, de tristesse, d’explosion, de refus, d’ironie terrible. Le début du 3ème mouvement, marche funèbre commençant par un incroyable mouvement à la contrebasse (Alois Posch !), est à ce titre absolument inoubliable. Cette couleur, qui porte en elle les 8 autres symphonies, fait de cette nature, thème central du Festival de cette année, non pas une nature sauvage et indomptée, mais au contraire une nature complètement transcendée par le regard de l’art, complètement domptée et sculptée, une nature à la Giorgione dans la « Tempête ». Et l’émotion impossible à contenir envahit la salle, à en hurler. L’émotion est pourtant un sentiment qui semble absent de l’interprétation de la jeune pianiste Yuja Wang, qui propose du concerto n°3 de Prokofiev (en première partie avant la Titan) une vision mécaniste, assez acrobatique, sans âme ni sensation. L’émotion est aussi ce qui manque à Magdalena Kozena, qui dans le second programme propose des Rückert Lieder une interprétation assez plate et sans véritable intérêt. Dans la quatrième de Mahler, son intervention au dernier mouvement est un peu plus sentie, mais on aimerait une voix moins faite, plus enfantine, plus claire. C’est une fois de plus l’orchestre qui stupéfie par sa domination technique, son engagement et la vibration qui en émane, cet orchestre qui vient par choix pour faire de la musique, en témoignent les effusions qui ponctuent chaque concert. Le contraste entre le nombre des pupitres en jeu et un son qui  est toujours contrôlé, qui sonne comme de la musique de chambre, qui s’étiole jusqu’aux limites de l’audible, des pianissimi qu’on pense impossibles à tenir, des musiciens qui sont aussi des solistes (Kolja Blacher dans l’adagio) c’est cela aussi la force de Claudio Abbado sur ses musiciens. La conjonction entre l’engagement personnel d’Abbado et l’impressionnante préparation des musiciens aboutit à ces trente secondes de silence, où l’on a l’impression que le ciel va s’ouvrir, qui précèdent l’explosion du public. Claudio Abbado est un univers, dit de lui Michael Haefliger, l’intendant du Festival de Lucerne, nous dirons qu’il est une planète à lui tout seul, sans aucun doute la plus fascinante et la plus belle de tout notre système musical.