BAYREUTHER FESTSPIELE 2014: LOHENGRIN, de Richard WAGNER le 31 JUILLET 2014 (Dir.mus: Andris NELSONS; Ms en scène: Hans NEUENFELS)

Acte 1 © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte 1 © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Est-ce une si bonne idée que d’insérer un Lohengrin entre deux journées du Ring ? Traditionnellement, le Ring à Bayreuth est interrompu par deux journées de repos, pour les artistes, entre Walküre et Siegfried, et entre Siegfried et Götterdämmerung. Et désormais, il y a quelquefois ces soirs-là  une représentation.

On en perçoit les raisons : les spectateurs qui assistent à toutes les représentations d’un cycle (Ring+ 2 ou 3 opéras) sont relativement rares, plus fréquents sont ceux qui n’ont que le Ring, et ceux qui ont seulement les deux ou trois autres, ou même qui ne viennent que pour un seul titre. La politique de location, pour permettre à plus de monde d’avoir un billet, a consisté à ne plus donner de billets pour toute la série (sauf rares exceptions, et surtout pour le premier cycle, celui des premières, plus fréquenté par les officiels, la presse, les membres de la Gesellschaft der Freunde von Bayreuth-la Société des Amis de Bayreuth-). Ce n’était pas le cas lorsque je suis venu pour la première fois, en 1977 ou 1978, où l’on avait fréquemment 7 représentations sur 10 jours. Les choses ont évolué au moment de la Wende quand le public d’Allemagne de l’Est, et des pays ex-socialistes, a pu accéder au festival : la fameuse queue de la location est passée de 5/6 ans à 10 ans en quelques années…Par ailleurs, insérer une représentation dans un Ring s’est toujours fait, mais il s’agissait de représentations fermées, réservées en général aux associations et aux syndicats. Depuis que ces représentations ont été supprimées, il y a quelques années, on les a remplacées par des représentations ordinaires d’où la situation actuelle.
Évidemment, je fais partie de ceux qui ont un Lohengrin inséré entre deux journées du Ring. On ne se refait pas…
Aurais-je pu manquer, puisque l’occasion se présentait, d’écouter Klaus Florian Vogt dans son rôle fétiche ? Et foin des considérations sur l’homogénéité de l’écoute du Ring, puisque dans ma folle jeunesse, pendant les journées de repos, je filais à Munich écouter Kleiber.
Il reste que je ne sais si c’est le fait d’être plongé depuis quatre jours dans la découverte de la production de Castorf, ou de s’être accoutumé à la direction si particulière de Kirill Petrenko, mais ce Lohengrin, que j’ai tant apprécié en 2011 et 2012, m’est apparu plus fade.

Acte 2 © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte 2 © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Je ne reviendrai que très superficiellement sur la mise en scène de Hans Neuenfels pour en rappeler les éléments forts, puisqu’elle a été l’objet de deux compte rendus (en 2012 et en 2011, cliquer sur les liens) auxquels le lecteur peut se référer. Hans Neuenfels a travaillé sur la relation de Lohengrin a un peuple qui attend le sauveur, un peuple encadré, programmé, comme des rats de laboratoire.

Acte 1, récit d'Elsa © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte 1, récit d’Elsa © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

On a beaucoup disserté sur les rats, c’est ce qu’on retiendra d’une mise en scène où, à y bien regarder, les rats sont certes envahissants notamment au premier acte, pour frapper les esprits, mais en même temps contingents, car c’est le deuxième acte et quelques moments du troisième (avec moins de rats) qui sont à l’évidence les plus réussis. Une fois qu’on a compris que tout peuple est dépendant, que tout peuple a des mouvements collectifs de suivisme, que tout peuple est manipulé, y compris par des fantoches (voir la manière dont est traité Heinrich, comme un roi à la Ionesco, le Bérenger de l’occasion, qui n’a de prise sur rien, à moins que tout ce qui se déroule ne soit qu’une projection de son esprit), on peut se concentrer sur le reste :

Elsa au premier acte © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Elsa au premier acte © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

l’étrange relation entre Elsa, figure de sainte suppliciée à la Saint-Sébastien, percée de flèches, dont la mise en scène dit clairement qu’elle n’aime Lohengrin que d’un amour contraint, qui lui sauve la mise.

 

 

 

Amour...trop tard © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Amour…trop tard © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

 

Le sentiment naîtra (avec le désir) quand il sera trop tard : relation très froide au départ, que Lohengrin conduit, persuadé qu’il suffit de dire pour que cela soit. Lohengrin vient d’un monde où l’être et l’apparence se confondent, et il arrive dans le monde, où non seulement ils ne se confondent pas, mais sont quelquefois contradictoires, un monde qui n’est pas fait pour les Lohengrin de passage et d’ailleurs, la première image du spectacle, un Lohengrin cherchant à forcer la porte de ce monde-là en y réussissant avec difficulté, aurait dû nous en avertir.

Prologue © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Prologue © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Drame de l’inadaptation, drame des faux semblants, drame du héros providentiel au service d’un peuple lâche et sans intérêt (à qui le foetus de l’image finale lancera de manière dédaigneuse son cordon à manger…) : on se demande dans ce monde-là si les deux personnages les plus humains ne sont pas Telramund et Ortrud.
Ce qui frappe en revoyant ce travail, c’est à la fois sa rigueur (excessivement ?) démonstrative  et la réduction de l’intrigue à des épures, à des signes clairs, là où nous nous moulinons nos neurones pour accéder au monde de Castorf. Habitué depuis quatre jour à la complexité et à le recherche obsessionnelle de sens, ce Lohengrin nous apparaît presque trop évident, attendu et pour tout dire presque déjà vieilli.
Après la clarté et le travail minutieux de Kirill Petrenko sur tous les détails de la partition du Ring, l’approche, plus spectaculaire, plus contrastée, plus synthétique, plus romantique aussi (c’est bien le moins pour un romantische Oper) d’Andris Nelsons demande un moment de réadaptation.
La direction d’Andris Nelsons reste très raffinée, particulièrement attentive à ne jamais couvrir les voix, et sensible. Le prélude est un grand chef d’œuvre de subtilité, le son s’installant progressivement, avec un volume allant crescendo qui évidemment convient parfaitement à l’acoustique de la salle. Mais le premier acte a connu (aux cuivres) quelques scories. Il est probable que le manque de répétitions d’orchestre, assez connu à Bayreuth (Boulez le signalait, Kleiber s’en plaignait), dû à l’exiguïté du planning, en est la cause. Le deuxième acte en revanche est une absolue réussite, d’un prélude extraordinaire de retenue et de tension, à l’explosion du chœur phénoménal (qui était apparu légèrement en retrait au premier acte) dans la partie finale. Le troisième acte continue sur cette lancée, initié par un prélude incroyable d’énergie, mené sur un tempo soutenu (plus juste que l’extrême rapidité de Mikko Franck à Vienne en avril dernier) et surtout une clarté du son tout à fait exemplaire. Nelsons est un vrai chef de théâtre, qui sait ménager les effets dramatiques, qui sait aussi être retenu à l’orchestre et valoriser la mélodie, notamment quand elle exprime la tendresse et qu’elle valorise le sentiment (c’est un vrai Puccinien, ne jamais l’oublier), notamment lorsque l’orchestre accompagne d’une manière extraordinaire contenue, le récit de Lohengrin “In fernem Land”. Un travail musical exemplaire, moins dans la sculpture de la partition que dans la peinture d’une grande fresque telles qu’on en verrait à Neuschwanstein, qui respire et qui émeut. Cela confirme la réussite de ce chef dans la fosse de Bayreuth, et nous fait attendre avec envie son Parsifal en 2016.

Final de l'acte 2 © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Final de l’acte 2 © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Du point de vue vocal, on ne s’arrêtera sur Klaus Florian Vogt que pour souligner l’art extraordinaire du chant qui nous est offert ici. Un art du phrasé d’abord, avec une expression d’une simplicité exemplaire, une diction d’une clarté cristalline, et une projection dont l’homogénéité toujours étonne, même si pendant le premier acte il a eu un tout petit accident en montant à l’aigu. La voix est uniformément large, convient idéalement à la salle, avec ce timbre clair et suave, légèrement nasal, reconnaissable entre tous, qui convient si bien à ce Lohengrin venu d’ailleurs. Tout paraît naturel, exempt d’effort, et surtout exempt d’affèteries ou de maniérismes. Rien n’est démonstratif, ni dans l’aigu, ni dans les moments plus dramatiques, c’est un Lohengrin égal, restant toujours cet être étranger qui regarde les aléas du monde avec étonnement et distance. Il reçoit une ovation gigantesque (un boato, diraient nos amis italiens), encore en-dessous de ce qu’il mérite sans doute. Admirable.
Pour cette année seulement, Annette Dasch qui attend un heureux événement,  a été remplacée par Edith Haller. Je me réjouissais d’entendre cette chanteuse appréciée sur cette scène même dans Sieglinde et Gutrune (et que j’ai aussi entendue à Genève). Elle aborde actuellement les plus grands rôles wagnériens (Elisabeth, Isolde). Son Elsa est en revanche décevante.
Elle a les aigus, et le volume (plus que Dasch) mais pas le son voulu, ici trop coupant, trop acéré. Originaire de Meran (ou Merano) au Südtirol, et donc italienne de langue allemande, elle a le défaut partagé par certaines chanteuses de langue allemande, y compris de très grandes, d’émettre des sons fixes et métalliques dès qu’elle monte à l’aigu, c’était dans cette salle si favorable aux voix et qui donc ne leur pardonne rien, très désagréable à entendre, notamment dans les duos ou dans les ensembles, la voix montant tout droit, sans modulation, sans frémissement, sans couleur. Elle a montré une voix puissante, certes, mais n’exprimant aucune sensibilité, et incapable de ductilité. Elle a remporté un très grand succès, parce que la voix sonne, mais c’est nous qui sommes un peu sonnés de cette manière de chanter.
Sa biographie indique qu’elle chante Contessa et Desdemona, je suis très curieux d’entendre le résultat : telle qu’elle est apparue, la voix est incapable des douceurs et de la suavité et de l’un et de l’autre rôle. C’est l’exact opposé d’Annette Dasch, qui avait toutes les qualités qui manquent à Edith Haller (sensibilité, ductilité du son, rondeur), mais qui n’avait ni le volume ni la largeur demandée à Elsa…
Le héraut de Samuel Youn est comme toujours exemplaire. Voix ronde, bien projetée, modèle de phrasé, émission homogène : c’est un rôle qui convient parfaitement à sa voix, dans lequel il n’est pas trop obligé de forcer, et qui met en valeur un timbre chaleureux, presque italien (comme beaucoup de chanteurs coréens…).
Petra Lang revenait chanter Ortrud. C’est sans conteste dans Ortrud qu’elle peut montrer toutes ses qualités : puissance, volume, facilité à l’aigu, et que les défauts (instabilité, justesse quelquefois) sont les moins visibles (ce n’est pas le cas dans sa Brünnhilde), elle est une Ortrud impressionnante, très engagée en scène, et son deuxième acte est extraordinaire de présence.

Ortrud et Telramund © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Ortrud et Telramund © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Thomas Johannes Mayer que j’avais tant apprécié dans le Wanderer à Munich, a montré des signes de fatigue, notamment au premier acte et au début du second. La voix n’a pas l’éclat noble ou le relief que quelquefois on apprécie dans Telramund (Tomasz Konieczny), mais ce timbre un peu mat est compensé par des qualités de diction, de phrasé, de couleur qui sont le signe du grand artiste. Le couple Ortrud/Telramund est ainsi remarquablement dessiné vocalement, une Ortrud violente et imposante, un Telramund un peu looser et en retrait. Leur deuxième acte est vraiment un grand moment dramatique, de tension et de théâtre.
Enfin Wilhelm Swinghammer reprend le rôle de Heinrich der Vogler où il avait succédé en 2012 à Georg Zeppenfeld. Cette jeune basse qu’on commence à voir dans les grands rôles (Sarastro etc…) et qui appartient à la troupe de Hambourg est bien installée vocalement dans le rôle du Roi. Sans être si large, ni si profonde, la voix est bien projetée et montre les qualités nécessaires au chant wagnérien, diction, phrasé, clarté de l’expression. C’est plutôt du point de vue scénique que je le trouve un peu en retrait : Georg Zeppenfeld en 2011 avait presque fait par son incarnation du personnage d’Heinrich un protagoniste dont on attendait les apparitions, il était vraiment fantastique et m’a marqué, alors que l’Heinrich de Wilhelm Schwinghammer reste plus pâle et un peu moins le personnage halluciné dessiné et voulu par Neuenfels.

En conclusion, c’est quand même sans conteste la distribution vocale la plus convaincante qu’on ait à Bayreuth aujourd’hui, malgré mes réserves sur Edith Haller. Avec un chef comme Andris Nelsons, voilà un Lohengrin musicalement remarquable, qui fait honneur à la colline verte. Pour une fois, on ne se plaindra pas du niveau du chant à Bayreuth aujourd’hui. Vive Vogt…
C’est plutôt scéniquement que le voisinage avec le travail luxuriant de Castorf (dans un tout autre ordre d’idées, j’en conviens) fait pâlir l’aura de ces rats qui firent tant couler d’encre à leur création. Sans doute désormais est-on habitué, et peut-être, malgré sa justesse, l’idée de cette communauté de rats figurant le peuple et l’armée n’est-elle peut-être pas la meilleure de ce travail. Pour ma part, le deuxième acte, moins peuplé de rongeurs (magnifique première image de cet équipage renversé et de ce cheval mort) reste l’élément porteur d’un spectacle qui continue à tenir le coup, et à triompher : c’est d’ailleurs le plus demandé du Festival.
[wpsr_facebook]

Image finale © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Image finale © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2012-2013: DAS RHEINGOLD (L’Or du Rhin) de Richard Wagner,(Dir. mus: Philippe JORDAN; ms en scène Günter KRÄMER) à l’Opéra Bastille (12 février 2013)

 

Photo de répétition (févr. 2010) © Opéra national de Paris/ DR

Pour le détail, notamment de la mise en scène, je renvoie le lecteur à mon compte rendu de la représentation de Rheingold du 16 mars 2010, il n’y a rien à changer  de ce qui avait été dit à l’époque.
Malgré la déception passée, et à quelques semaines du magnifique Ring de Munich qui me suit encore à la trace, j’ai voulu profiter du hasard d’un passage à Paris pour revoir ce spectacle, pour constater ou non des évolutions, vu que j’en ai entendu des échos très favorables, voire hyperboliques.
j’ai beaucoup médité sur une conversation saisie derrière moi dont j’ai entendu sans le vouloir un ” Wagner, il faut oser!” au sens où aller voir un Wagner, c’est oser… Bienheureux Richard Wagner  pour qui presque jour pour jour 120 ans après sa mort (13 février 1883)   il y a encore des spectateurs qui considèrent audacieux d’aller voir un de ses opéras ! Mieux, il y a les wagnériens impavides “sic” qui vont voir 5h d’opéra ! (je me disais  “pas seulement les wagnériens pur sucre, sinon les salles seraient clairsemées..”).  A part ces fragments d’un discours ni amoureux, ni musical ni wagnérien, je me suis réjoui de voir tant de gens faire la queue des derniers moments en billetterie, tant de jeunes aussi, et au fond tant de curiosité pour Wagner, dont on ne voit pas fréquemment les œuvres à l’Opéra de Paris, et en particulier le Ring (Rheingold: 1976, 2010, 2013). C’est pourquoi j’ai scrupule à émettre tant de réserves sur cette entreprise, moi qui suis un enfant gâté du wagnérisme, car à part voyager, quelle possibilité a le parisien de voir du Wagner, sinon se contenter de l’offre locale? Car c’est bien Wagner qui provoque cette ruée, à chaque fois, Wagner bien plus que le renom de la production parisienne: le public a une envie très légitime de cette musique, qu’il n’a pas l’habitude d’entendre et pour laquelle globalement il a peu de références autres que des enregistrements.
Si on a des références scéniques nombreuses, alors le regard est forcément différent, même si hier, j’étais disposé à me laisser surprendre, alors que j’avais juré qu’on ne m’y prendrait plus, car en matière de théâtre, rien n’est définitif.
Las, la mise en scène a provoqué à trois ans de distance les mêmes irritations, longs trous noirs générateurs d’ennui, peu de direction d’acteurs, des éléments peu motivés (Germania) sinon que tout pouvoir veut sa trace d’architecture, de Versailles à la Pyramide du Louvre en passant par Germania, le rêve de la cité idéale selon Hitler et surtout Speer et les mêmes appréciations (la scène initiale des Filles du Rhin, esthétiquement réussie). Comme Kriegenburg à Munich, Krämer utilise des figurants humains pour faire le Rhin (encore que chez Krämer le Rhin est figuré par des fumigènes et que ces centaines de bras sont une sorte d’univers animalier du fond du Rhin.) ou pour figurer le dragon ou la grenouille de la scène de Nibelheim. Mais là aussi, le spectateur non averti voit peu de différence entre la figuration du dragon ou de la grenouille vu que l’argument essentiel (le jeu sur les tailles) ne se voit pas clairement sur scène: Kriegenburg utilisait des hommes pour montrer l’humanité en charge du mythe, qui le racontait ainsi en le figurant. Ici, on a l’impression que c’est l’effet pour l’effet, sans objectif précis car au bout de cette deuxième vision, je ne sais toujours pas quel propos nous est tenu. Ah oui, l’idée du pouvoir sur la terre:  Wotan trône sur un globe illuminé,

Photo Opéra National de Paris

et les géants sont des ouvriers en colère qui plantent leurs drapeaux rouges sous les fenêtres des Dieux…une métaphore éculée de la doxa scénique wagnérienne. On ne peut même pas dire qu’il n’y ait pas d’idées, mais elles ne sont exploitées que pour elles mêmes, jamais mises en lien pour construire un discours unifié autour d’objectifs clairs.
Du point de vue de la distribution, incontestablement et dans l’ensemble, on a un ensemble de chanteurs de très bon niveau, qui sont laissés à peu près à eux-mêmes. Les Dieux, Froh, Donner sont vraiment des dieux de luxe aujourd’hui, mais justement, confier Froh à Bernard Richter dont ce n’est pas tout à fait le répertoire, et à Samuel Youn Donner alors qu’il chante aujourd’hui le Hollandais, c’est peut-être sur-dimensionner, car la valeur ajoutée incontestable de ces deux chanteurs de grande notoriété ne rajoute pas grand chose à leur prestation scénique dans des personnages un peu secondaires . Le Wotan assez juvénil d’Egils Silins, entendu à Munich dans ce même rôle, est très correct, avec un joli timbre, mais manque de largeur et ne s’impose pas (peut-être le personnage est-il voulu ainsi?) , pas plus que Kim Begley en Loge, violemment hué et bien en deçà de sa prestation il y a trois ans: la voix est fatiguée, la composition un peu pâle, routinière.
Du côté des géants, rien à dire, ils sont excellents (Groissböck!) avec une belle découverte, le Fasolt imposant de Lars Woldt. Si Wolfgang Ablinger Sperrhacke fait une composition honorable en Mime (il est bien plus convaincant dans le Mime de Siegfried) Peter Sidhom en Alberich est à la limite de l’acceptable: sa première scène est mal chantée, pas de puissance, diction à la dérive, voix mal appuyée sur le souffle, peu colorée. Le reste de ses interventions ne passe que parce qu’il  substitue à la couleur, aux modulations, à la puissance, aux aigus, qu’une manière d’appuyer sur le mot, de nasaliser, de donner un peu de relief au discours, qui reste quand même notoirement indigent. Une erreur de distribution.
Les trois filles du Rhin ne sont pas exceptionnelles, et surtout leurs voix ne fusionnent pas ou fusionnent mal, ce qui est gênant pour des filles du Rhin si élégamment vêtues de robes sur lesquels sont cousus deux seins apparents et un pubis bien poilu.
Sophie Koch en Fricka sans avoir une voix d’exception a un chant  affirmé, et impliqué, ce qui en fait une Fricka très présente et engagée. Bonne prestation aussi d’Edith Haller qui a la voix du rôle, le volume, les aigus de Freia, elle est une Sieglinde en puissance (et en réalité) et cela s’entend, tellement plus convaincante que Ann Petersen il y a trois ans.
Moins convaincante la Erda de Qiu Lin Zhang, affligée d’un fort vibrato, qui traverse deux fois la scène (pendant la remontée du Nibelheim et dans sa scène) de la même manière, et sans vraiment diffuser de mystère ni de conviction.
Peu de mystère non plus dès le départ dans une direction musicale décevante, toujours très précise et très en place mais sans aucun éclat ni relief; cela reste très plat, si plat qu’on entend peu l’orchestre notamment pendant les trois premières scènes, on entend à peine les cuivres, et l’orchestre semble avoir un style “chambriste”, qui prendra du volume vers la fin.
Dès l’accord initial, on n’a aucune couleur, aucun sentiment que quelque chose commence: un discours fait de notes, mais pas de musique. La mise en scène a sans doute quelques idées mais pas de discours global, la direction musicale n’affiche pas de véritable parti pris, pas de point de vue sur l’œuvre, c’est un travail neutre bien sage,  bien fade et sans imagination – quand on pense au parti pris de clarté et de modernité de Nagano à Munich ! on  reste frustré ici du manque d’invention- un travail qui donne de l’espace à la mise en place des instruments, à une construction technique mais sans vraie modulation ni variété ni couleur qui puisse convaincre, sans réponse à la question musicale posée par le Ring.

Pour toutes ces raisons, je suis vraiment resté réservé sur un spectacle pas si mal distribué, mais qui génère une grande insatisfaction musicale et scénique: quand deux pieds sur trois du trépied lyrique sont bancales, cela ne marche pas. J’aurais aimé que quelque lumière se lève sur ce Rheingold, mais l’or est resté bien caché, au profit d’une grisaille sans âme. Je me réjouis cependant du fort succès obtenu, c’est la preuve que Wagner fonctionne en dépit de tout (et c’est sa force!): un Verdi du même niveau n’aurait sans doute pas passé la rampe.
[wpsr_facebook]

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: Die WALKÜRE le 28 juillet 2010 (Christian THIELEMANN – Tankred DORST)

wlkre5.1280484502.jpg

Après la déception de l’Or du Rhin, on pouvait espérer que La Walkyrie relèverait le niveau. Incontestablement, Christian Thielemann est cette fois au rendez-vous, grandiose, au classicisme monumental, mais très attentif aux menus détails de la partition, un vrai travail à la fois de sculpteur et d’orfèvre : cela m’a beaucoup plus frappé qu’il y a quatre ans où j’avais trouvé la direction sans âme et sans effets. Cette année, cette Walkyrie est nettement plus réussie à l´orchestre.

Pour le reste, la déception est presque totalement confirmée : le travail théâtral est inexistant, les idées intéressantes jamais exploitées : le lever de rideau du deuxième acte, claire allusion à un célèbre tableau romantique de Kaspar David Friedrich (Le Wanderer au dessus des montagnes) et tout le reste de l’acte qui se déroule dans un parc où sont remisées des statues de Dieux, et où Wotan est debout sur sa propre tête à demi enterrée, tout cela pourrait être une bonne idée qui se développe, mais n’est pas vraiment exploité, et les scènes restent marquées par un travail théâtral d’une banalité étonnante. Paradoxalement, la tendresse entre Wotan et Brünnhilde semble plus intéresser le metteur en scène que l’urgence de la passion entre Siegfried et Sieglinde : le premier acte semble si peu travaillé : il est vrai que Johan Botha n’est pas vraiment un acteur, mais il ne se passe rien entre les deux protagonistes, ils ne se touchent jamais, semblent empruntés, plâtrés par la situation et se contentent des gestes convenus du pire des opéras (main sur le cœur etc…) : la direction de Thielemann à ce moment, mais c’est bien le seul, pèche aussi par indifférence, rien n’est urgent, rien n’est haletant, aucun pulsation amoureuse.

Les voix sont là aussi en deçà, sauf Johan Botha, à la voix claire, puissante, bien posée, qui donne à Siegmund un relief vocal qui lui manque sur la scène, il obtient un triomphe mérité.

sieglhaller.1280484591.jpgEdith Haller est une Sieglinde honnête sans plus, dont les aigus du premier acte sont souvent criés, mais qui réussit son troisième acte, Hunding est Kwanchoul Youn, la basse abonnée au Festival depuis plusieurs années, un peu froid, un peu indifférent, sans rien de « terrible », où êtes vous les Salminen ou les Ridderbusch ? La Fricka de Mihoko Fujimura confirme la déception de l’Or du Rhin, la voix est présente, mais l’expression plate, le Wotan d’ Albert Dohmen affronte difficilement les aigus du rôle, ils sont péniblement négociés, au prix de trucages de respiration, et la voix est le plus souvent opaque, même si les qualités de diction du texte sont réelles.

brunnhwatson.1280484686.jpgLinda Watson (Brünnhilde) n’a jamais été une de mes chanteuses de prédilection : une grosse voix, mais pas de réel engagement. Cette fois-ci la grosse voix est moins grosse, bouge dangereusement au prix de sons peu convaincants et la prestation est médiocre. Quant aux Walkyries, elles n’ont pas l’homogénéité voulue pour chanter ensemble, et certaines hurlent en produisant de vilains sons en chevauchée solitaire. Désagréable.
Au total, sans Thielemann et son magnifique travail et sans Botha, une Walkyrie à oublier : à Bayreuth, un Ring avec un Wotan et une Brünnhilde problématiques, c’est tout de même un comble.

.wlkre4b.1280484741.jpg