IN MEMORIAM CHRISTA LUDWIG (1928-2021)

Dans “Der Rosenkavalier” à l’Opéra de Paris en 1976

Même les mythes s’éteignent. Avec Christa Ludwig s’éteint la dernière d’une génération d’artistes qui ont illuminé l’opéra pendant des décennies, de la fin des années 1950 à la fin des années 1980. Christa Ludwig est une des rares chanteuses dont le nom m’était connu avant même que je ne fréquente assidûment l’opéra, c’é »tait un de ces noms qu’on voyait sur les couvertures de disques, et dont on entendait de loin en loin parler.
Elle fut ma première Maréchale, dans un Rosenkavalier donné à l’Opéra de Paris en 1976, aux côtés de Lucia Popp (Sophie) et Yvonne Minton, sous la direction de Horst Stein. Elle qui avait été Octavian dans le célèbre disque de Karajan aux côtés d’Elisabeth Schwarzkopf avait repris le rôle de la Maréchale à Vienne en 1971 sous la direction de Leonard Bernstein à l’occasionde nouvelle prodcution d’Otto Schenk (encore au répertoire viennois). Cinq ans après, elle était la première maréchale parisienne puisque Der Rosenkavalier entra au répertoire… en 1976.

Rheingold en 1976 (MeS Peter Stein, dir. Sir Georg Solti) .Les dieux: Christa Ludwig (Fricka), Helga Dernesch (Freia) Robert Tear (Loge) Heribert Steinbach (Froh), Theo Adam (Wotan), Marc Vento (Donner)

Je vis aussi sa Fricka dans Das Rheingold et Die Walküre sous la direction de Sir Georg Solti en décembre 1976, aux côtés de Theo Adam, Helga Dernesch, Franz Mazura,  Gwyneth Jones, Peter Hoffmann et puis son étonnante Ottavia dans L’incoronazione di Poppea aux côtés de Nicolaï Ghiaurov, Gwyneth Jones, Jon Vickers (que vous pouvez encore entendre et surtout voir sur un extrait vidéo Youtube:

https://www.youtube.com/watch?v=cslSuMe0f78

Elle fréquentait l’Opéra de Paris depuis 1972, un an avant Liebermann, puisqu’elle avait été La femme du Teinturier aux côtés de Walter Berry (son ex-mari), dans Die Frau ohne Schatten et je l’avais entendue pour la première fois dans l’Elektra de tous les sommets comme Klytämnestra aux côtés de Birgit Nilsson et Leonie Rysanek sous la direction de Karl Böhm.

Klytemnästra dans Elektra (1974), MeS August Everding, Dir. Karl Böhm

Oui, telle fut mon école de l’opéra, entre 20 et 25 ans, et Ludwig fut l’un de mes phares que j’entendis aussi plusieurs fois en récital, car elle était et elle est restée l’une des références du Lied. Le Lied, qui est une telle école de l’écoute pour un amateur d’opéra et qui pourtant disparaît dans la plupart des théâtres hors Allemagne et Autriche. Elle savait immédiatement captiver, par la perfection de l’émission, par son art de la couleur qui traçait immédiatement l’univers de la soirée. C’est notamment par elle que j’ai saisi la singularité des grands : on comprend tout ce qu’ils chantent parce qu’ils savent que l’opéra c’est d’abord le mot. Et cette interprète de Lied pouvait ainsi entrer de plain-pied dans Monteverdi et chanter Ottavia, parce que Monteverdi, c’est aussi d’abord le mot.

Souvenir souvenir, programme de salle de la tournée de la Scala à l’Opéra de Paris en 1979, le Requiem de Verdi

Je l’entendis enfin « à l’improviste » dans un Requiem de Verdi donné à l’occasion de la tournée de la Scala à Paris, sous la direction de Claudio Abbado, alors qu’elle remplaçait Agnès Baltsa et que Veriano Luchetti remplaçait Pavarotti.
Elle chanta d’ailleurs aussi le répertoire italien (Eboli, Ulrica, Lady Macbeth) et français (Carmen, Dalila). On trouve sur Youtube un Macbeth viennois de 1970 où elle est Lady Macbeth aux côtés de Sherill Milnes, Karl Ridderbusch et du jeune Carlo Cossutta sous la direction d’un Karl Böhm survolté.
Et pourtant, il y avait les grincheux (chaque génération a les siens), qui chipotaient sur sa Maréchale qu’ils disaient sans élégance par rapport à la Schwarzkopf qu’ils avaient entendue à Salzbourg. J’étais à des années lumières de ces bisbilles car le seul nom de Ludwig était pour moi un Sésame. Et sa Maréchale m’avait fait pleurer, mes premières larmes à l’opéra.

Dans “Der Rosenkavalier” (Die Feldmarschallin) Acte I (MeS Rudolf Steinboeck, décors et costumes Ezio Frigerio)

À l’instar de Gedda, de Nilsson, de Cappuccilli, de Freni et de Ghiaurov, Christa Ludwig m’ouvrit l’univers de l’opéra par la manière de dire le mot, la manière de poser les accents, la manière de rendre sensible le texte et sa musicalité, mais aussi par cette extraordinaire tenue en scène qui la rendait reconnaissable entre toutes.

Fricka dans Rheingold aux côtés de Theo Adam (Wotan) et à gauche d’Helga Dernesch (Freia)

Quelle Fricka impériale elle était aussi aux côtés de Theo Adam, dans son habit de soirée (costumes de l’immense Moidele Bickel) tellement distinctif dans la géniale vision de Peter Stein.
Aucun extrait sonore, ni visuel, ni aucune photo ne traînent sur le web de ces productions parisiennes disparues et qui continuent de vivre dans mes souvenirs, alors j’ai fouillé dans mes archives et trouvé des photos que j’ai reprises du livre de Rolf Liebermann, « En passant par Paris » chez Gallimard et d’un programme de salle religieusement conservé depuis 1979.

Autre pan de l’univers de la jeunesse qui s’envole, l’une des dernières légendes, mais la musique continue de vivre et ces souvenirs exceptionnels dansent dans la tête. Vous vivez, Madame.

IN MEMORIAM JAMES LEVINE (1943-2021)

James Levine @Michael Dwyer Archives Associated Press

Si James Levine n’a jamais appartenu à mon Olympe musical personnel, sa disparition me touche néanmoins profondément parce qu’il est un artiste qui m’a accompagné de loin en loin depuis les années 1970. Je l’ai entendu en direct très souvent et pour la première fois à Salzbourg en 1979, puis à Bayreuth et puis au MET, encore assez récemment.

Je l’ai découvert au disque, à travers ce qui était alors le premier grand enregistrement des Vespri Siciliani de Verdi (Arroyo, Domingo, Milnes, Raimondi)… Rolf Liebermann avait décidé de programmer l’opéra en 1974, dans la mise en scène du MET de John Dexter (sublime décor de Josef Svoboda)  où James Levine avait dirigé Caballé et Gedda (il existe un live de ce moment). Comme trois des quatre protagonistes passèrent à Paris dans la production (les spectateurs d’alors découvraient la voix somptueuse, magnifiquement verdienne, de Martina Arroyo, qui fut l’une des habituées de Paris à cette époque, ainsi que l’Arrigo de Placido Domingo, et le Procida de Ruggero Raimondi; ils ne le chantèrent jamais ensemble, mais ils contribuèrent tous à faire de cette œuvre l’un de mes opéras de l’Île déserte sans doute aussi par la nostalgie de cette période où étudiant émerveillé, je découvrais l’opéra.

J’achetai donc le coffret de Levine, et ce fut à cette occasion que je le découvris.
J’ai pu le vérifier au MET aussi bien dans un Ballo in maschera sublime (Radvanovsky, Beczala, Hvorostovsky, Zajick) mais aussi Ernani (Meade, Domingo, Belosselskiy, Meli) non moins extraordinaire. Il avait dans Verdi à la fois la pulsion et la nervosité, mais aussi un son charnu, plein, et un sens dramatique très développé. Son Verdi fut toujours pour moi une référence.
Levine n’a jamais été un inventeur, et d’ailleurs les mises en scène qu’il dirigea ne furent jamais révolutionnaires non plus (comme souvent aux USA), mais il était une assurance d’un niveau musical exceptionnel, d’une connaissance approfondie des partitions et d’un très grand sens du théâtre ainsi qu’un professionnalisme sans failles.
A la tête du MET comme directeur musical de 1971 à 2017, il dirigea toutes les grandes œuvres du répertoire et c’est peut-être cela qui est notable chez lui : il dirigeait aussi bien Mozart que Strauss ou Wagner, Verdi, Puccini ou Offenbach, mais aussi le Wozzeck de Berg où je l’entendis au MET un soir où Matthias Goerne remplaçait (avec quelle classe) le Wozzeck prévu.
Sa présence au pupitre était pour les chanteurs une garantie, car c’était un immense chef d’opéra, mais aussi pour le public, qui était certain d’avoir une représentation de très haut niveau, même si on pouvait pinailler sur l’approche, et même si d’autres chefs étaient ou sont plus inventifs ou plus novateurs ; il était en quelque sorte un super « Konzermeister » de très grand luxe à l’opéra, une référence de classicisme. Je l’ai entendu dans La Clemenza di Tito à Salzbourg, dans Parsifal et le Ring à Bayreuth où il dirigea une vingtaine d’années. C’est lui qui dirigea la jeune Waltraud Meier dans sa première Kundry Bayreuthienne, et son Parsifal était presque aussi long que celui de Toscanini, une lenteur qui quelquefois, il faut bien le dire, pesait un peu.
Dans Wagner au MET, je l’entendis dans le Ring d’Otto Schenk en 2009, superbement distribué, quelques mois avant la naissance de ce blog, parce que les hasards de mon parcours ne m’avaient jamais permis de voir une production « traditionnelle » du Ring, et 2009 était la dernière année de la production d’Otto Schenk qui était référentielle en la matière, montée comme une réponse à Chéreau (qu’elle suivit de quelques années). Je pense que ce fut dans Wagner et Verdi qu’il fut sans doute incontesté, et pour ma part, plutôt dans son Verdi jusqu’à la fin à la fois vivant, profond, dramatique. Son Wagner était peut-être un poil plus convenu, sans rien nier des qualités de solidité, de théâtralité et de splendeur sonore, comme le démontent ses derniers Meistersinger von Nürnberg et Tannhäuser au MET que je vis dans ces années 2014 et 2015 où il dirigea régulièrement malgré la terrible maladie qui l‘avait terrassé et où j’accourus pour l’y entendre le plus souvent possible
Au total j’ai dû assister à une vingtaine de productions sous sa direction et dans plusieurs concerts : il demeure un des grands chefs des dernières années du XXe siècle. Le dernier concert où je l’entendis à Carnegie Hall (voir lien ci-dessous) montrait notamment un Mahler vraiment vibrant.

Il n’ouvrait peut-être pas des abîmes nouveaux à l’âme, et certains musiciens qui jouaient dans ses orchestres s’étaient prodigieusement lassés mais il était un vrai chef qui savait ce que faire de la musique signifiait. On retient de lui le chef lyrique, sans doute là où il montra la plus grande constance, mais il fut un chef symphonique réclamé, très présent des deux côtés de Atlantique, fidèle en Europe au Festival de Verbier dont il fut la référence incontestée, et n’oublions pas qu’il succéda à Celibidache aux Münchner Philharmoniker,  qu’il dirigea le Boston Symphony Orchestra en succédant à Seiji Ozawa et aussi qu’il fut candidat malheureux à la succession de Karajan à la tête des Berliner Philharmoniker, face à Claudio Abbado. Il faisait partie – on l’a un peu oublié aujourd’hui- du « top Ten » des chefs, et fut sans aucun conteste le dernier grand chef américain.
Les dernières années furent assombries d’abord par la maladie : il ne pouvait plus diriger debout, mais en fauteuil roulant électronique, avec un podium spécial que l’on avait conçu pour lui, mais c’était fascinant de le voir continuer à diriger et à embraser le public américain : le public du MET lui faisait une incroyable fête à chacune de ses apparitions.
Les dernières années furent aussi assombries par les accusations d’abus sexuels que tous les médias citent aujourd’hui (c’est tellement plus gourmand que de parler de sa musique) et qui firent les unes des journaux en 2017.
Ses goûts que tous faisaient semblant de découvrir étaient connus de tous, et évidemment des autorités du MET. Ce n’était pas un secret… mais on feignit la surprise et l’horreur. Le MET assez lâchement cria haro sur le baudet et non seulement le chassa, mais aussi décida d’enlever son effigie du théâtre et de retirer ses disques qui remplissaient les rayons de la Metopera Shop. Signe de grand courage d’achever un homme à terre qu’on avait porté aux nues pendant 45 ans, où il était la garantie du remplissage des salles et de la gloire musicale du théâtre à travers le monde, par de multiples enregistrements audios et les premières vidéos diffusées à grande échelle après celles de Karajan.
Mais ce n’est pas toujours sain de durer aussi longtemps; il était de toute manière temps qu’il quitte ses fonctions après presque un demi-siècle, d’autant que la maladie l’avait contraint les dernières années à s’éloigner plusieurs fois des podiums au point qu’on avait nommé un directeur musical « pro forma », Fabio Luisi qui assura avec beaucoup d’élégance ses remplacements pendant plusieurs années. Le MET ne savait pas comment le contraindre à partir. L’affaire sexuelle fut donc une bénédiction que le théâtre saisit au vol, occasion de montrer en même temps qu’il savait hurler avec les loups, préserver l’honorabilité de sa façade tout en réglant ses comptes…

Nous vivons une époque formidable où d’aucuns fusionnent les artistes dans leur vie et les œuvres qu’ils produisent. J’ai l’habitude de séparer « l’homme et l’œuvre » comme on m’a appris à l’école, et bien des artistes du passé ne furent pas des exemples de moralité, les vies agitées d’un Caravage ou d’un Borromini n’ont pas amené à brûler les tableaux de l’un et les églises de l’autre. On continue de se délecter des ouvrages de Céline qui fut un salaud.  La liste n’est évidemment pas exhaustive.
Ce qui me restera de James Levine est la lumière de sa musique.

Voir les articles du Blog :

Les Contes d’Hoffmann
Ernani
Die Meistersinger von Nürnberg
Concert Mozart-Mahler (Symphonie n°9) Carnegie Hall
Le Nozze di Figaro

Portrait de James Levine au temps de sa splendeur au Metropolitan Opera . (Photo de Ted Thai/The LIFE Picture Collection via Getty Images)

 

WIENER STAATSOPER 2020-2021, NOUVELLE SAISON et NOUVELLE DIRECTION

Haus am Ring

Bogdan Roscic, (venu de Sony Classical) nouveau directeur de l’Opéra de Vienne où il succède à Dominique Meyer, commence son mandat avec une année à surprises motivées par l’épidémie de Covid-19. On ne sait en effet que sera le 6 septembre, jour de l’Ouverture, la situation en termes de circulation du virus, de distanciation sociale, de thérapies, même si les conditions en Autriche ont été moins dramatiques qu’ailleurs en Europe. Chargé de faire souffler un vent nouveau sur l’institution et la programmation, Bogdan Roscic propose effectivement beaucoup de changements, dans beaucoup de continuité aussi.
D’une certaine manière, l’évolution de la Staatsoper de Vienne est comparable – toutes proportions gardées- à celle du Grand Théâtre de Genève, avec les mêmes ingrédients, et une même volonté de changer de logiciel, même si sur le papier cela semble être une révolution. Méfions-nous quand même de la communication triomphaliste…
Des nouvelles productions qui renversent la vapeur, mais dont un certain nombre sont connues parce qu’elles viennent d’ailleurs. C’était attendu et c’était le motto de la nouvelle direction qui faisait fuiter habilement certains noms annonciateurs de crises cardiaques à Vienne, comme Frank Castorf.
Des « Wiederaufnahme » (reprises retravaillées) ou des « Musikalische einstudierungen » (retravail musical) avec des productions sorties du répertoire et qui y entrent de nouveau (Elektra de Kupfer par exemple), c’est en revanche un peu inattendu…
Et le répertoire, parce que dans cette maison on ne peut le changer du jour au lendemain, affiche des masse de granit historiques (Tosca…), et des productions nombreuses de Sven-Eric Bechtolf, c’est à dire une modernité qui-ne-fait-pas-peur  et souvent désolante.
Quelque chose change, c’est sûr, et une institution aussi installée dans l’histoire et la tradition doit le faire sans tout à fait heurter les habitudes…parce qu’à Vienne, les directeurs d’opéra ont souvent valsé, et pas au bal de l’Opéra.

Historiquement, il faut être clair. Vienne est une capitale musicale de premier plan, et la Staatsoper est le navire amiral de la musique à Vienne, c’est une institution énorme, où c’est la musique qui prime sur la scène, et cela a toujours été le cas. Les très grandes productions d’opéra, celles dont on se souvient, celles qu’on aimerait voir et revoir, ne viennent pas de Vienne. Il y a eu des productions qui ont marqué la « Haus am Ring », mais le temps d’une saison et d’un règne, pas sur toute une vie. Même le fameux Rosenkavalier de Otto Schenk, une référence, est plutôt meilleur dans sa version munichoise un peu postérieure. Mais on se souvient de la présence de Karajan, de Bernstein, de Kleiber, d’Abbado, de Muti, de Prêtre, d’Ozawa au pupitre, et plus récemment de Thielemann ou de Rattle. C’est là la force de cette maison, et de cet orchestre qui est le terreau du Philharmonique de Vienne, c’est ce qui fait et qui fera la gloire de Vienne, pas les productions (pas même celles des metteurs en scène que j’aime si dans la fosse il y a un quidam…).
Si l’on veut voir à Vienne des curiosités, ce sont des productions historiques, encore au répertoire, Il Barbiere di Siviglia (Gunther Rennert, depuis 1966, première dirigée par Karl Böhm avec Fritz Wunderlich), Tosca (Margarethe Wallmann depuis 1958, première dirigée par Herbert von Karajan avec Renata Tebaldi en Tosca !), La Bohème de Franco Zeffirelli depuis 1963, copie exacte de celle de la Scala, première dirigée par Herbert von Karajan avec Gianni Raimondi et Mirella Freni (tout comme à la Scala), ou la Salomé de Boleslaw Barlog de 1972, première dirigée par Karl Böhm) et cela ne dérange pas. Pour Bohème et Tosca, on se demande bien ce qu’une nouvelle production pourrait apporter, tant les nouvelles productions de Bohème et Tosca çà et là sont sans intérêt.
Plus important que les productions fétiches citées, ce qui est important à Vienne, c’est le répertoire, c’est la présence de nombreuses reprises qui font que le touriste de passage ou le viennois qui a envie d’entendre un opéra, le puisse pratiquement chaque soir, la plupart du temps (mais pas toujours) dans des conditions plutôt honnêtes et quelquefois pour des soirées musicalement exceptionnelles. Les tentatives de revenir sur le système de répertoire se sont toujours heurtées à l’hostilité du public et de la presse et ont conduit à l’interruption de plusieurs mandats par le passé.

Que cette maison soit celle qui, plus que toute autre en Europe, illustre une certaine histoire de l’opéra, son archive en ligne le montre, qui depuis 1869 retrace beaucoup de soirées avec leur distribution, et depuis 1955 toutes les soirées sans exception, une promenade dans les rêves, les mythes, qui enchante l’amateur d’opéra. Tapez Lilly Lehmann et vous aurez toutes les représentations où elle chanta à Vienne…
Voilà qui fascine ici.

Pour une maison à l’activité aussi énorme, il faut lister les titres pour se faire une idée globale, voici donc les nouvelles productions que nous reverrons point par point pour l’essentiel.

Nouvelles productions (10 et 2 opéras pour enfants):

  • 2020
  • Madama Butterfly (Septembre)
  • Die Entführung aus dem Serail (Octobre)
  • Eugène Onéguine (Octobre)
  • Die Entführung in Zauberreich (Octobre, opéra pour enfants)
  • Das verratene Meer (Décembre)
  • 2021
  • Der Barbier für Kinder (Janvier) adaptation pour enfants de Il barbiere di Siviglia de Rossini
  • Carmen (Février)
  • La Traviata (Mars)
  • Parsifal (Avril)
  • Faust (Avril)
  • L’incoronazione di Poppea (Mai)
  • Macbeth (Juin)

En italique, les productions créées ailleurs.
Hors opéras pour enfants, sur 10 nouvelles productions, seules deux (Parsifal, et Das verratene Meer) sont d’authentiques nouvelles productions…l’imagination ne semble pas vraiment au pouvoir…

Wiederaufnahmen (3 reprises retravaillées) :

  • Elektra
  • Don Carlos (Fr.)
  • Le nozze di Figaro

Musikalische Wiedereinstudierung (1 production retravaillée musicalement)

  • Der Rosenkavalier

Répertoire (26 titres):

  • Simon Boccanegra
  • L’elisir d’amore
  • La Fille du régiment
  • Salomé
  • Don Pasquale
  • Cavalleria/Pagliacci
  • A Midsummer night’s dream
  • Roméo et Juliette
  • Ariadne auf Naxos
  • Arabella
  • Werther
  • La Bohème
  • Tosca
  • Hänsel und Gretel
  • Die Fledermaus
  • Rusalka
  • Nabucco
  • La Cenerentola
  • Don Pasquale
  • Manon
  • Rigoletto
  • Turandot
  • Die Walküre
  • Die Zauberflöte
  • Les contes d’Hoffmann
  • Lohengrin

 

Vienne a eu jusque-là un plus grand nombre de productions de répertoire, à partir de la saison 2020/2021, la Staatsoper sera à peu près dans la bonne moyenne haute des autres théâtres de l’ère germanophone.

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Nouvelles productions

 

Septembre 2020/Janvier 2021/Mars/Avril
Puccini, Madama Butterfly (12 repr.), MeS : Anthony Minghella Dir : Philippe Jordan (sept-janv)/Ramón Tebar (16 janv)/Joana Mallwitz (Mars-Avril) avec :
-sept. : Asmik Grigorian, Freddie De Tommaso, Boris Pinkhasovich
-janvier : Asmik Grigorian, Marcelo Puente, Boris Pinkhasovich
-mars-avril : Hui he, Roberto Alagna, Boris Pinkhasovich
Quelle drôle d’idée ! Non pas d’ouvrir avec Butterfly, mais avec cette production-là. On concède que la production Josef Gielen (Près de 400 représentations depuis la création en 1957 sous la direction de Dimitri Mitropoulos avec Sena Jurinak…) avait vécu depuis longtemps, sans avoir la qualité de la Tosca de Wallmann. Il était temps de la remiser.
Mais au lieu d’ouvrir sur une production maison, ce à quoi on pouvait s’attendre avec une nouvelle équipe de direction, on présente une production née en 2005, dont le metteur en scène est mort il y a douze ans (Anthony Minghella), passée successivement par l’ENO (où elle a été créée), puis le MET, avant d’atterrir à Vienne. Drôle de manière d’annoncer des nouveautés.
Les nouveautés elles sont dans la distribution, avec Asmik Grigorian dans Butterfly, et les deux ténors en alternance qui sont parmi les voix nouvelles intéressantes, Freddie De Tommaso et Marcelo Puente. Dans les reprises de l’année, on retrouvera du plus traditionnel (mais pas moins bon) avec Hui hé et Roberto Alagna, mais sans Jordan puisque c’est la jeune et talentueuse Joana Mallwitz (34 ans) qui dirigera en mars et avril… Un début en mode mineur et c’est dommage. 

Octobre 2020/Juin 2021
W.A.Mozart, Die Entführung aus dem Serail (8 repr.), MeS : Hans Neuenfels, Dir : Antonello Manacorda avec:
– oct: Lisette Oropesa, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
– juin : Brenda Rae, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
Jolie distribution dominée par Lisette Oropesa, une magnifique Konstanze. Je pense cependant que pour une œuvre aussi inscrite dans le répertoire et dans les gênes de la ville de Vienne où elle a été créée (au Burgtheater), le choix du chef Antonello Manacorda, assez irrégulier, peut surprendre, mais qui sait…
Quant à Neuenfels, qui signe la production, c’est sa deuxième apparition après une production du Prophète pendant la saison 1997-1998. On aurait pu tout aussi bien la reprendre d’ailleurs, puisque Manacorda a dirigé Meyerbeer à Francfort…Au lieu de cela on va chercher une production de Mayence de 1999, qui a même eu les honneurs d’une retransmission télévisée.
Il est vrai en revanche qu’une nouvelle production de Die Entführung aus dem Serail s’imposait vu la désastreuse production précédente (signée  Karin Beier et dirigée par Philippe Jordan, avec Diana Damrau) qui n’a duré que 10 représentations en 2006 (pour un ouvrage du répertoire aussi important, c’est un vrai trou noir).
Il est enfin dommage que la production des Herrmann (1989) créée par Harnoncourt n’ait probablement pas été conservée, parce qu’elle aurait été une reprise intéressante.
Là encore, risquer une nouvelle production maison pour un ouvrage aussi essentiel dans le répertoire de Vienne, n’aurait pas été un contresens.

Octobre-Novembre 2020
P.I.Tchaïkovsky, Eugène Onéguine
(5 repr.), MeS : Dmitry Tcherniakov, Dir : Tomáš Hanus avec Tamuna Gochashvili, Anna Goryachova, Andrè Schuen, Bogdan Volkov, Dmitry Ivashchenko
Dans ce Musée de la production moderne, il fallait évidemment une salle Tcherniakov. Le choix est tombé sur une de ses productions premières montrées en Europe occidentale (Barenboim l’avait déjà invité à Berlin pour Boris et Nagano à Munich pour Khovantchina, Eugène Onéguine, créée au Bolchoï et montrée ensuite à Paris (en 2008…) avec les forces du Bolchoï, dont il existe un DVD. Les viennois verront donc du jeune Tcherniakov, en souhaitant qu’il retravaille sa production. Solide distribution : on est heureux de voir l’excellent Bogdan Volkov dans Lenski.
Surprise du chef : Tomáš Hanus qu’on connaît sur un autre répertoire sera au pupitre. C’est plutôt un bon chef, on attendra donc avec confiance.

Décembre 2020
Hans Werner Henze, Das verratene Meer (4 repr.) MeS: Jossi Wieler & Sergio Morabito, Dir: Simone Young avec Vera Lotte Böcker, Bo Skovhus, Josh Lovell
Création à Vienne de cet opéra rarement proposé, créé à la Deutsche Oper de Berlin en 1990, sur un livret de Hans Ulrich Treichel d’après Le marin rejeté par la mer, de Mishima (1963).
C’est la première production maison de la saison, confiée à Jossi Wieler & Sergio Morabito, une garantie dans le monde de la mise en scène d‘aujourd’hui avec Bo Skovhus toujours impressionnant en scène et la jeune Vera Lotte Böcker qu’on a récemment découverte à la Komische Oper de Berlin dans Frühlingsstürme où elle était vraiment excellente. Dans la fosse, la très solide Simone Young.

Février-mars/mai-juin 2021
Georges Bizet, Carmen (11 repr.) MeS : Calixto Bieito, Dir : Andrés Orozco-Estrada (Février-mars-mai-juin)Alexander Soddy (9 juin) avec
– Février-mars : Anita Rashvelishvili, Charles Castronovo, Erwin Schrott, Olga Kulchynska
– Mai-juin : Michèle Losier, Dmytro Popov, Sergei Kaydalov, Vera-Lotte Böcker
Ne rions pas, après avoir fait le tour du monde de l’opéra depuis plus de 20 ans, la Carmen de Calixto Bieito, qui est même passée par Paris, arrive à Vienne pour remplacer la vieille production de Franco Zeffirelli ; j’y avais vu en son temps Baltsa, Carreras et Ramey, dirigés par Claudio Abbado (en 1990) (Soupir…), ce sera cette année Castronovo et Rashvelishvili, ce qui est bien, et Erwin Schrott, ce qui est moins bien, mais le rôle d’Escamillo-Matamore lui va bien…Au pupitre Andrés Orozco-Estrada, l’actuel directeur musical du Symphonique de Vienne, autrichien d‘origine colombienne, ce qui ne devrait pas être mal.
Enfin gageons que Bieito ne fera même plus peur au public de Vienne, c’est dire…

Mars 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata,
(5 repr.) MeS : Simon Stone, Dir : Giacomo Sagripanti avec Pretty Yende, Frédéric Antoun, Igor Golovatenko
Tiens, une mise en scène récent mais bien entendue née ailleurs, la Traviata parisienne signée Simon Stone arrive à Vienne avec ici aussi Pretty Yende dans le rôle-titre et l’excellent Frédéric Antoun en Alfredo. Igor Golovatenko est Germont. Giacomo Sagripanti est pour la première fois dans la fosse viennoise, un chef correct, mais pour une  nouvelle Traviata à Vienne, d’autres chefs ne convenaient-ils pas mieux ?
La production de Simon Stone succède à celle de Jean-François Sivadier, vue aussi à Aix, qui n’était pas si médiocre et qui en valait bien d’autres, d’autant que la production de Simon Stone ne vaut pas cet excès d’honneur, ce n’est pas l’une de ses meilleures créations. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Oui sans doute si on veut montrer à tous prix que la dernière actualité de la scène moderne arrive à Vienne. Inutile.
Voir: http://wanderersite.com/2019/09/le-bucher-des-vanites/

Avril 2021
Richard Wagner, Parsifal (4 repr.) MeS Kirill Serebrennikov, Dir: Philippe Jordan avec Jonas Kaufmann, Elina Garanča, Wolfgang Koch, Georg Zeppenfeld, Ludovic Tézier
Deuxième authentique production maison qui remplace la très récente production d’Alvis Hermanis (12 représentations depuis 2017) d’une œuvre qui il faut bien le dire, était l’objet chaque année de distributions très solides et souvent de chefs remarquables. Quelle raison peut justifier le retrait au bout de si peu de temps? Peut-être sa qualité discutable, peut-être les déclarations d’Hermanis, politiquement très peu correctes, qui ont singulièrement freiné sa carrière ces dernières années. mais ce sont des conjectures. (Et un grand merci au lecteur qui m’a rappelé que la production Mielitz, médiocre, avait été retirée en 2017).
Parsifal est donc un symbole, et c’est Philippe Jordan qui en assurera la direction. Il ne pouvait en être autrement à partir du moment où il y a un directeur musical dans la maison.
C’est Kirill Serebrennikov qui en assurera la mise en scène, mais sa situation en Russie impose la présence d’un dramaturge qui est Sergio Morabito. D’autres théâtres ont fait ainsi travailler Serebrennikov par personne interposée, et le message pacifique de Parsifal convient à la situation difficile à laquelle il doit faire face.
Une distribution hors normes, pour quatre représentations seulement où ce sera la ruée, avec deux prises de rôle, Ludovic Tézier, en Amfortas, deviendra-t-il le lointain successeur d’Ernest Blanc ? Et Elina Garanča aborde Kundry face au Parsifal de Jonas Kaufmann, au Gurnemanz de Georg Zeppenfeld, et au Klingsor de Wolfgang Koch, remarquables tous, voire exceptionnels mais moins nouveaux dans ces rôles.
Une distribution de feu. C’est la production à ne rater sous aucun, mais aucun prétexte.

Mai 2021
Charles Gounod, Faust
(4 repr.) MeS: Frank Castorf Dir: Bertrand de Billy avec Juan Diego Flórez, Adam Palka, Nicole Car, Boris Prygl
Castorf à l’opéra de Vienne !! je présume que des défibrillateurs supplémentaires seront installés dans la salle pour soigner les crises cardiaques.
Pour faire au mieux, on devrait souhaiter que le Burgtheater accueille le Faust de Goethe du même Castorf, pour établir un discours cohérent entre ces deux Häuser am Ring…
La production est connue, elle vient de Stuttgart et Wanderersite en a rendu compte, c’est évidemment une production d’une prodigieuse intelligence, qui travaille sur le mythe de Faust dans un contexte français et parisien (stupéfiant décor de Alexander Denić) .
C’est Bertrand de Billy qui dirige, on espère qu’il connaît la production et c’est Juan Diego Flórez et Nicole Car qui chantent Faust et Marguerite, ce qui nous garantit un chant impeccable. Bien heureusement, c’est le seul survivant de Stuttgart, Adam Palka, qui reprend Mephisto, où il avait été totalement bluffant. Wanderer y sera, peut-il en être autrement ?
Voir: http://wanderersite.com/2016/11/f-comme-faust-f-comme-france/

Mai-juin 2021
Claudio
Monteverdi, L’incoronazione di Poppea (5 repr.) MeS : Jan Lauwers, Dir: Pablo Heras Casado avec Kate Lindsey, Slávka Zámečniková, Xavier Sabata, Christina Bock, Willard White, Vera-Lotte Böcker.
Autre production importée, cette fois de Salzbourg où elle a été présentée en 2018 avec William Christie en fosse. On y retrouve Kate Lindsey entourée du remarquable Xavier Sabata, de Willard White  notamment. La production fortement marquée par le corps, qui souligne où illustre les sentiments et attitudes des personnages avait été assez bien accueillie à Salzbourg, même si certains l’avaient vertement critiquée. Dans la fosse, Pablo Heras Casado  aborde un répertoire où on l’entend très peu, mais la direction de Willima Chrisite avait été critiquée à Salzbourg. Raison de plus pour faire le voyage.

Juin 2021
Giuseppe Verdi, Macbeth,
(6 repr.), MeS Barrie Kosky, Dir: Philippe Jordan avec Luca Salsi, Roberto Tagliavini, Martina Serafin, Freddie De Tommaso
Si la distribution est loin de me convaincre pour les deux protagonistes, car Macbeth exige bien plus que deux grandes voix, et Luca Salsi n’a pas vraiment la subtilité exigée pour un rôle où se sont illustrés un Bruson ou un Cappuccilli. Un Tézier aurait été bienvenu. Quant à Serafin, dans le répertoire italien…(soupir…). Reste Tagliavini, excellent, et Freddie De Tommaso, la voix de ténor émergente qu’on va voir partout. La manière de distribuer le répertoire italien lourd (comme le Macbeth de Verdi) me laisse quand même quelquefois rêveur hors d’Italie, notamment pour ce genre d’œuvre.
Jordan dans la fosse, cela montre aussi l’importance accordée à cette dernière production de la saison…
Car et c’est là le point fort, ce Macbeth venu de Zurich est simplement la plus belle mise en scène de Macbeth de Verdi qu’on ait vu depuis Strehler. Barrie Kosky fait un Macbeth noir, avec un espace de jeu de quatre m2, éclairé, un drame à deux où les deux protagonistes se meuvent et s’étouffent. Un des plus beaux spectacles de ces dernières années, à voir absolument si on l’a raté à Zurich, où le rapport scène salle était idéal.
Voir: http://wanderersite.com/2018/10/les-corbeaux-volent-la-ou-est-la-charogne/

 

Wiederaufnahmen (Reprises retravaillées)

 

Septembre 2020/Juin 2021
Richard Strauss, Elektra (7 repr.), MeS: Harry Kupfer, Dir: Franz Welser-Möst /Alexander Soddy (19 & 22 sept) avec
Septembre: Ricarda Merbeth, Doris Soffel, Camilla Nylund, Derek Welton
Juin: Ausrine Stundyte, Michaela Schuster, Camilla Nylund, Derek Welton

On est évidemment curieux d’entendre Ausrine Stundyte (on connaît l’Elektra de Merbeth)qui devrait mieux lui convenir que Salomé – du moins pour mon goût. Belle distribution, avec Nylund et Doris Soffel, et l’Orest de Derek Welton ne devrait pas décevoir non plus.
Franz Welser-Möst pour son grand retour à Vienne dans une de ses œuvres fétiches, mais surtout le retour (après l’intermède raté Uwe-Eric Laufenberg) de la très belle production de Harry Kupfer, violente et glaciale, créée par Claudio Abbado en 1989, une des rares productions de Kupfer au répertoire de Vienne. Comme le grand metteur en scène vient de disparaître, ce sera aussi un hommage. Par chance, la production n’a pas été détruite. Une excellente initiative.

 

Septembre-Octobre 2020
Giuseppe Verdi, Don Carlos (version originale)
(5 repr), MeS: Peter Konwitschny Dir: Bertrand de Billy avec Jonas Kaufmann, Ildar Abdrazakov, Igor Golovatenko, Eve-Maud Hubeaux, Malin Byström, Roberto Scandiuzzi
Autre belle initiative, la reprise de ce Don Carlos spectaculaire, qui se déroule sur scène, en salle, dans les corridors, avec son ballet délirant et si juste « le rêve petit bourgeois d’Eboli » . D’une part, la production Peter Konwitschny est cohérente et sans concessions, d’autre part elle rend justice au grand opéra spectaculaire. En fosse, Bertrand de Billy et une distribution rompue à cette œuvre (à part Golovatenko…on rêverait là aussi Tézier) où il y a certes  Kaufmann (magnifique dans Carlos) et Byström, mais on remarque en Eboli celle qui à Lyon nous avait tant plu, Eve-Maud Hubeaux, qui entre à Vienne « alla grande », avec le Grand Inquisiteur de Lyon, Roberto Scandiuzzi et le Philippe II de Ildar Abdrazakov, qui le chantait à Paris.

Janvier-Février 2021
W.A. Mozart: Le nozze di Figaro
(5 repr.) MeS: Jean-Pierre Ponnelle (reprise par Grischa Asagaroff) Dir: Philippe Jordan avec Andrè Schuen, Federica Lombardi, Louise Alder, Philippe Sly, Virginie Verrez
On devrait conserver les productions Ponnelle qui circulent encore précieusement, tant elles ne vieillissent pas, avec leurs images magnifiques et leur élégance intrinsèque. Certes, aujourd’hui, la mode est à la trilogie Da Ponte confiée à un seul metteur en scène mais je ne suis pas si sûr que ce soit une idée géniale de notre théâtre contemporain. Il fait donc accueillir ce retour de Ponnelle à Vienne avec une joie sans mélange. Philippe Jordan dans la fosse retrouvera Mozart dans la ville où le compositeur vécut, et où il créa Le nozze di Figaro. Distribution qui ne me convainc pas où l’on entendra cependant avec plaisir l’Almaviva Andrè Schuen, originaire du Sud Tyrol (italien) mais d’origine ni germanophone ni italophone, mais ladine (la langue des Grisons, troisième langue du Sud-Tyrol) que les spectateurs d’Angers ont déjà entendu.

 

 

Musikalische Neueinstudierung (reprise musicale)

 

Décembre 2020/juin 2021
Richard Strauss, Der Rosenkavalier
( 7 repr.) MeS: Otto Schenk. Dir: Philippe Jordan avec

  • Décembre : Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker, Erin Morley, Piotr Beczala
  • Juin : Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso.

Voilà une œuvre fétiche de l’opéra de Vienne, voilà une mise en scène historique de la maison (Otto Schenk, 1968, antérieure à sa production munichoise et un peu moins de 400 représentations) créée en fosse par Leonard Bernstein, voilà aussi la dernière production d’opéra dirigée par Carlos Kleiber… un monument en somme.
Le directeur musical ne peut faire autrement que la diriger, d’autant que Philippe Jordan est un bon straussien et qu’il n’e l’a dirigée que deux fois à Paris, une fois sous Mortier, et une fois sous Lissner.
Il est légitime qu’il retravaille la lecture avec l’orchestre et qu’il « créée des habitudes » dans une œuvre rebattue pour l’orchestre de la Staatsoper et reprise presque chaque année au répertoire.
En décembre, il dirigera un cast excellent  (Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker) avec le chanteur italien de Piotr Beczala, un peu moins excitant en juin (Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso).
Il n’importe, Rosenkavalier à Vienne c’est un « Hausoper », un opéra qui est chez lui. Il s’agit donc d’un enjeu fort pour le directeur musical.

 

 

Chefs engagés :

Philippe Jordan, Directeur musical : Parsifal, Der Rosenkavalier, Madame Butterfly, Le nozze di Figaro, Macbeth

Bertrand de Billy : Don Carlos, Faust, Tosca, Werther, Ariadne auf Naxos
Giacomo Sagripanti : La Traviata, L’Elisir d’amore, La Fille du régiment
Pablo Heras Casado: L’incoronazione di Poppea
Antonello Manacorda : Die Entführung auf dem Serail
Franz Welser-Möst : Elektra
Alexander Soddy : Elektra, Carmen, Salomé
Ramón Tebar: Madama Butterfly
Joana Mallwitz: Madame Butterfly
Simone Young: Das verratene Meer, A Midsummer Night’s Dream
Sebastian Weigle: Arabella
Christian Thielemann: Ariadne auf Naxos
Andrés Orozco-Estrada: Carmen
Marco Armiliato: Cavalleria Rusticana – I Pagliacci, Don Pasquale
Cornelius Meister: Die Fledermaus, Hänsel und Gretel, Lohengrin
Adam Fischer: Die Walküre, Die Zauberflöte
Tomáš Hanus: Eugène Onéguine, Rusalka
Stefano Montanari: Il barbiere di Siviglia
Eun Sun Kim: La Bohème
Gianluca Capuano: La Cenerentola
Axel Kober, Les contes d’Hoffmann
Evelino Pidò: Manon, Roméo et Juliette, Simon Boccanegra
Paolo Carignani: Nabucco, Rigoletto
Pier Giorgio Morandi: Tosca
Giampaolo Bisanti: Turandot

On le voit, parmi les chefs engagés, on remarque quelques chefs de premier plan, comme Christian Thielemann et le retour de deux chefs qui avaient rompu de manière spectaculaire avec Dominique Meyer, Franz Welser-Möst l’ex-GMD de l’Opéra de Vienne et Bertrand de Billy, ce dernier très sollicité, dirigeant trois opéras français, Ariadne auf Naxos une longue série de Tosca, l’une des reprises importantes de l’année, comme on va le voir.

Pour le reste, on remarque quelques noms intéressants comme Gianluca Capuano (La Cenerentola), Cornelius Meister (qui dirige trois productions dont un Lohengrin de fin de saison, Andrés Orozco-Estrada, qui succède à Philippe Jordan à la tête du Wiener Symphoniker (c’est une courtoisie normale que d’inviter le voisin) Sebastian Weigle à qui est confié Arabella. Stefano Montanari, nouveau venu à Vienne pour il Barbiere di Siviglia, nouveau également Giacomo Sagripanti, invité tout septembre pour diriger L’Elisir d’amore et La Fille du régiment .
Dans le regard sur le répertoire, nous avons relevé une sélection de titres qui pourraient être intéressants.

Novembre 2020/Mars 2021
Richard Strauss, Ariadne auf Naxos
(7 repr.) MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Christian Thielemann (Novembre), Bertrand de Billy (Mars) avec
– Novembre : Camilla Nylund, Jennifer Holloway, Stephen Gould, Erin Morley
– Mars : Lise Davidsen, Angela Brower, Brandon Jovanovich, Erin Morley
Christian Thielemann, adoré à Vienne, revient pour Strauss, un de ses compositeurs de prédilection pour une petite série d’Ariadne auf Naxos en novembre. En mars, ce sera Bertrand de Billy, décidément très sollicité dans cette saison.
Les deux distributions, très différentes, sont vraiment d’un (très bon) niveau comparable, avec dans l’une la très belle primadonna de Camilla Nylund, et en mars la présence de Lise Davidsen, entendue dans ce rôle à Aix. Mise en scène de Sven Eric Bechtolf, rien à dire.

Décembre 2020/Janv-Fév 2021/Mai 2021
Giacomo Puccini, Tosca
(12 repr.) MeS: Margarethe Wallmann, Dir: Bertrand de Billy (déc.)Pier Giorgio Morandi (Janv-fév-mai)
Qu’il soit entendu que Tosca à Vienne doit être vu une fois par tout visiteur, c’est une production muséale (1958) et Dominique Meyer avait pris soin de faire restaurer les productions les plus anciennes. Qu’il soit aussi entendu qu’avec 12 représentations, c’est une production alimentaire, avec un prix d’appel, la présence d’Anna Netrebko pour les trois premières (au-delà ce serait hasardeux) avec Monsieur…Dès la quatrième, c’est au tour de l’excellente Saioa Hernandez, qui ne chantera cette saison qu’une représentation.
Décembre : Anna Netrebko/Saioa Hernandez, Yusif Eyvazof, Wolfgang Koch
Janv-Février : Sonya Yoncheva, Roberto Alagna, Alexey Markov
Mai : Anja Harteros, Massimo Giordano, Luca Salsi
On a là une palette de possibilités selon les goûts, avec quatre Tosca qui sont des grands noms (Netrebko, Harteros), des petits noms (Yoncheva) un véritable espoir (Hernandez), palette de ténors aussi desquels on retiendra Alagna évidemment, et Giordano en l’espérant plus en forme qu’à Lyon, et trois Scarpia de choix, Koch pour l’intelligence, Markov pour l’élégance, Salsi pour la grosse voix, mais pour rien d’autre tant il n’a pas le profil pour le personnage. Bref, en douze représentations, une sorte de voyage dans les possibles pour Tosca.

Décembre 2020
Jules Massenet, Werther
, (4 repr.) MeS : Andrei Serban, Dir : Bertrand de Billy avec Piotr Beczala, Gaelle Arquez, Daniela Fally, Clemens Unterreiner.
Andrei Serban fut dans les années 1990 un exemple de metteur en scène ébouriffé. Il s’est coiffé depuis et représente une sage modernité aux yeux du très conservateur Opéra de Vienne. D’où plusieurs productions de répertoire, jouées assez souvent, comme ce Werther qui remonte à 2005 et repris plusieurs dizaines de fois depuis. Intérêt de cette reprise, la présence de Bertrand de Billy en fosse, mais surtout de Piotr Beczala, un Werther exemplaire et Gaelle Arquez en Charlotte.

Janvier 2021
Antonín Dvořák, Rusalka
(4 repr.) MeS : Sven-Eric Bechtolf Dir : Tomáš Hanus avec Piotr Beczala, Elena Zhidkova, Kristine Opolais etc…Bechtolf, la fausse modernité et le vrai conformisme, directeur du théâtre au Festival de Salzbourg jusqu’à 2016. Ce n’est pas de la mise en scène que vient l’intérêt mais du chef, pleinement dans son répertoire, voire une référence, et une belle distribution, avec Opolais, Zhidkova, deux bêtes de scène, et Beczala, moins bête de scène, mais lui aussi référence dans ce type de rôle.

Avril 2021
Wagner, Die Walküre
(4 repr.), MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Adam Fischer avec Andreas Schager, Mika Kares, Günther Groissböck, Camilla Nylund, Martina Serafin.
Là où Walküre passe…le wagnérien fait halte. Avril sera un mois wagnérien à Vienne avec ce Parsifal exceptionnel dont on a parlé et cette Walküre. En arrangeant son emploi du temps, on peut voir la dernière de Parsifal (11 avril) et la première de Die Walküre (14 avril). Adam Fischer est un chef solide, qui fréquente le Ring depuis des décennies, la mise en scène de Bechtolf est attendue, c’est à dire sans intérêt, et la distribution entre Schager, Kares, Groissböck et Nylund est plutôt très flatteuse. Il reste que je me demande ce qu’on continue de trouver à Martina Serafin.

Juin 2021
Richard Wagner, Lohengrin
(4 repr) MeS : Andreas Homoki, Dir : Cornelius Meister avec Kwangchul Youn, Klaus Florian Vogt, Sara Jakubiak, Tanja Ariane Baumgartner, Adrian Eröd.
Continuons la promenade wagnerienne. La production de Homoki, qu’on voit aussi à Zürich est faite pour les amateurs de Dirndl et culottes de peau, la direction de Cornelius Meister ne devrait pas être négligeable, la distribution solide mais pas exceptionnelle, même avec Vogt, le Lohengrin de ce début de XXIe siècle. Vous pouvez combiner avec l’autre production de Zurich, le Macbeth miraculeux de Kosky, qui est présenté dans la même période. Cela vous fera du Zurich sur Danube.

Mai 2021
Jacques Offenbach, Les contes d’Hoffmann
(5 repr.), MeS : Andrei Serban, Dir : Axel Kober avec Juan Diego Flórez, Sabine Devieilhe, Miche!le Losier, Erwin Schrott etc…
Andrei Serban, production de 1993, qui a sans doute épuisé ce qu’elle avait à dire. Axel Kober, bon chef, mais surprenant dans ce répertoire qui n’est pas le sien. Enfin dans la distribution, à part Erwin Schrott qui dans ce rôle (Lindorf etc..) c’est à dire le méchant, en fera des tonnes. On note Michèle Losier dans la Muse, Sabine Devieilhe en Olympia et Juan Diego Flórez dans Hoffmann, celui qui fut le plus grand chanteur pour Rossini et le répertoire romantique à la faveur de l’âge se lance dans le répertoire fin XIXe, Werther, Faust et Hoffmann…soit. L’intelligence, le phrasé, la technique restent… et on l’aime.

 

Conclusion :
Au-delà du souhait que la saison se réalise complètement et dès septembre, c’est une saison un peu bizarre, qui semble une manière de dire : « c’est le changement », en s’appuyant sur une dizaine de productions de metteurs en scène d’aujourd’hui, comme un défilé muséal de mises en scènes contemporaines (enfin pas toutes, parce que certaines sont de vieux souvenirs), de metteurs en scène qui souvent jamais n’ont travaillé dans la maison. Donc c’est la carte de visite d’un futur qu’on espère plus original, plus inventif et moins « conforme » (dans l’autre sens…). Avec Vienne, dernier bastion d’un théâtre plutôt traditionnel, qui rentre dans l’ordre moderne, le « mortierisme » se sera installé dans tous les grands théâtres d’opéra d’Europe occidentale ou peu s’en faut. Mais c’est un faux mortierisme, parce que Gérard Mortier était un intellectuel et un vrai créateur dans son ordre. Ici, on a de la gestion de productions achetées ou louées ailleurs. Le panier de la ménagère, c’est possible une saison mais pas deux. Vienne devra ou bien aller plus loin et se montrer créatif et simplement plus intelligent, ou bien le spectateur verra le même style partout et la routine s’installera.
Du point de vue musical, on est à Vienne et des chefs invités stimulants sont attendus. Vienne est pour moi d’abord un Opéra pour grands chanteurs et grands chefs : grands chanteurs cette année ? Un peu mais pas trop, et quand même pas mal de jeunes artistes qui commencent la carrière et qui vont se faire entendre, ce qui est positif. Grands chefs d’aujourd’hui ? Un peu mais vraiment pas trop. L’impression est celle d’un « plan plan » un peu plus coloré que précédemment, mais pas fondamentalement différent avec d’autres noms d’une qualité comparable. Sans doute la nouvelle direction procède-t-elle prudemment, à l’instar d’un Aviel Cahn à Genève, mais Aviel Cahn a un projet lisible et affirmé, ici il ne l’est pas encore, sinon par l’effet d’annonce : mais à vouloir s’afficher moderne, on arrive à faire sourire : reprendre après 20 ans et une douzaine de théâtres la fameuse Carmen de Bieito, c’est touchant dans la volonté de se montrer risque-tout (on pouvait en dire de même quand cette Carmen a été montrée à Paris). Il valait mieux garder la vieille production Zeffirelli…
Évidemment, d’un point de vue économique avec deux seules vraies nouvelles productions d’opéra sur une dizaine, c’est plutôt de bonne gestion.
En fait, à part la production de Parsifal, vraiment exceptionnelle, les bonnes idées on les trouve dans les reprises de vieilles (et excellentes) productions de la maison, L’Elektra de Kupfer, créée par Claudio Abbado en 1989 et reprise jusqu’à 2012, Le nozze di Figaro de Ponnelle (243 représentations de 1977 à 2010) une production que personne n’a oubliée, d’une suprême élégance, et l’intelligent et spectaculaire Don Carlos de Peter Konwitschny (2004), dont la dernière reprise remonte à 2013. Il reste qu’on aura par ailleurs plaisir à (re)voir le Kosky, le Tcherniakov, le Lauwers etc…Car ces considérations n’empêchent pas les productions présentées d’être intéressantes, mais comme elles sont connues et appréciées, c’est autant de risque que l’équipe de Vienne ne prend pas, Attendons la saison suivante pour nous faire une idée plus précise du nouveau cours que prend cette vénérable maison.

BAYERISCHE STAATSOPER 2015-2016 – MÜNCHNER OPERNFESTSPIELE 2016: Der ROSENKAVALIER de Richard STRAUSS le 17 JUILLET 2016 (Dir.mus:Kirill PETRENKO; Ms en scène: Otto SCHENK)

Acte II, présentation de la rose ©Wilfried Hösl
Acte II, présentation de la rose ©Wilfried Hösl
Richard Strauss
Richard Strauss

Le buste de Richard Strauss qui trône dans l’entrée face à celui de Wagner, les deux compositeurs tutélaires de la maison était fleuri de roses fuchsia ce soir, il y avait d’ailleurs des roses partout dans la maison, et c’était effectivement la fête. On parlera sans doute longtemps de ce Rosenkavalier qui fut un miracle. Au fond, mieux vaut qu’Anja Harteros n’ait pas chanté à Paris, elle n’aurait pas été pleinement Maréchale comme ce soir elle l’a été, parce que ce soir il y avait en fosse Petrenko qui a transformé ce Rosenkavalier en formidable et inoubliable rencontre. Je suis encore sous le choc. Dans la salle et dans la production où j’entendis Carlos Kleiber plusieurs fois pensant que j’avais atteint le sommet, je peux dire que ce soir, nous y sommes à nouveau, dans la même production, 34 ans plus tard, avec un chef qui a l’âge de la production qu’il dirige (né et née en1972).
Otto Schenk a fait en Europe deux productions de Rosenkavalier, à Vienne et à Munich, qui sont encore au répertoire. Celle de Vienne remonte à 1968 (dirigée alors par Leonard Bernstein, avec Christa Ludwig en Maréchale, Gwyneth Jones en Octavian, Walter Berry en Ochs et Reri Grist en Sophie), celle de Munich est donc postérieure de 4 ans, avec de nouveaux décors, plus construits (ceux de Vienne sont pour partie en toile peinte) et c’est Carlos Kleiber qui dirigeait la Première et qui a continué à diriger la production pendant près de vingt ans. L’orchestre de Munich, c’est connu lui déposait sur le pupitre une rose rouge. Il existe un DVD de la production munichoise repris en 1979 (Jones, Fassbaender, Popp) et de Vienne repris en 1994 (Lott, von Otter, Bonney) lors des dernières représentations de l’œuvre dirigées par Kleiber. Ces productions sont donc très largement chargées du souvenir de Carlos Kleiber ; j’ai eu la chance de le voir diriger l’œuvre quatre fois dont les dernières fois en 1982.
Der Rosenkavalier est l’un de ces opéras qui bénéficie toujours d’une distribution flatteuse, on voit rarement de productions médiocres dans les grands théâtres . À Paris, où Liebermann le reprit en janvier 1976, ce fut d’abord Ludwig, Popp, Minton mais on vit entre 1976 et 1985 aussi bien Troyanos, Te Kanawa, Blegen, Fassbaender, Donath, Söderström, et les Ochs de Moll, Ridderbusch et Sotin. Du côté des chefs, ce fut Horst Stein, Silvio Varviso, Marek Janowski et d’autres. Tout ça pour dire qu’à Paris, on eut les grandes titulaires des trois rôles, et je vous assure que le trio final avec Ludwig, Minton et Popp, c’était quand même quelque chose.
Même si je peux paraître un ancien combattant de l’opéra, le monde n’est pas fait d’un présent médiocre et d’un passé mythique. Il y a encore de grandes productions, je viens d’évoquer il y a quelques jour la magnifique soirée scaligère avec Zubin Mehta et la production Kupfer. Trois semaines après, de nouveau une soirée à marquer d’une pierre blanche, sans doute un sommet musical.

Acte I, Günther Groissböck (Ochs ) Anja Harteros (la maréchale) ©Wilfried Hösl
Acte I, Günther Groissböck (Ochs ) Anja Harteros (la maréchale) ©Wilfried Hösl

Je passe aussi pour un adepte incorrigible des mises en scènes dites modernes, ou du Regietheater. Pourtant j’aime le travail d’Otto Schenk, qui est un grand metteur en scène, et qui a laissé à Munich un Rosenkavalier de 44 ans qui porte encore vigoureusement son âge, aussi grâce aux décors de Jurgen Rose (un vrai chef d’œuvre) et qui plaît au public (applaudissements à scène ouverte, rarissimes à Munich, à l’ouverture du rideau de l’acte II), c’est évidemment très « classique », mais remarquablement fait.

Hanna Elisabeth Müller (Sophie) Daniela Sindram (Octavian) ©Wilfried Hösl
Hanna Elisabeth Müller (Sophie) Daniela Sindram (Octavian) ©Wilfried Hösl

C’est un Rosenkavalier auquel il ne manque aucun détail,  avec une belle gestion des personnages (la rencontre des regards entre Sophie et Octavian respirant la rose est un must), une gestion très précise et très ciblée, avec un souci du texte et de sa correspondance scénique incroyable, et une vraie organisation de l’espace. Bref, j’aime ce classique quand il ne se fane pas. La production de Vienne (surtout à cause du décor de Rudolf Heinrich) a un peu vieilli en revanche.

Ainsi donc, l’écrin pour cette distribution de 2016 était très agréable, et même, oserais-je, non dépourvu de fraîcheur. Après tout il y a des quadragénaires qui ne font pas leur âge…Même s’il y eut à Munich une velléité de nouvelle production (Luc Bondy) , Bachler a renoncé avec raison: il faut dans chaque grande institution une production historique symbole, ce sont les Nozze di Figaro de Strehler à Paris, c’est La Bohème à la Scala…

Mais on ne venait pas pour voir la production, même si je crois celle-ci a pris sa part du succès. On venait pour une distribution de grand niveau, Anja Harteros en Maréchale, Daniela Sindram en Octavian et Hanna Elisabeth Müller en Sophie, tandis que Günther Groissböck promenait à nouveau son Ochs inauguré à Salzbourg en 2014, avec le GMD Kirill Petrenko en maître des cérémonies.

Anja Harteros
Anja Harteros

Anja Harteros chante la Maréchale depuis 2011, elle en est l’une des titulaires de référence. Après ses prestations avec Christian Thielemann à Dresde et avec Sir Simon Rattle à Baden-Baden, j’ai à peu près cerné le caractère de sa Maréchale, une femme dans la force de l’âge, vive, ouverte, avec beaucoup d’autorité, et non une femme déjà mûre,  plutôt maternelle et déjà distanciée que d’autres interprètes privilégient. Ce qui caractérise cette Maréchale, c’est l’énergie, c’est aussi une voix forte, des expressions impératives (surtout à l’acte III à l’égard de Ochs) . Sur la scène de Munich, il y a évidemment cela,  mais il y a encore bien plus, tant elle soigne les inflexions et toutes les expressions de son discours avec une attention renouvelée, avec une expressivité inouïe et le ton idoine, d’une incroyable justesse et d’un naturel rarement entendu. Je me suis demandé pourquoi, alors qu’elle est la meilleure Maréchale aujourd’hui sans conteste, une vraie différence avec ses autres prestations. Cela tient je crois à son rapport au contexte.  Elle chante dans son théâtre, dans sa ville, et on sait (les parisiens l’ont appris à leurs dépens) qu’elle ne se déplace pas volontiers trop loin. Et elle chante avec Kirill Petrenko, qui a un soin tout particulier pour la relation texte et musique, et qui met donc le chanteur qu’il suit pas à pas, dans les conditions de travailler le texte, d’envisager les inflexions en fonction d’un orchestre qui respire avec la syllabe, comme dans Le Ring (acte II Walkyrie), et notamment dans Rheingold, comme dans Meistersinger, c’est-à-dire ces œuvres dont certaines parties doivent beaucoup à la Komödie für Musik, où le dialogue (ou le monologue) de théâtre demande concentration et attention, mais aussi vie, naturel, expression, couleur, mot par mot, syllabe par syllabe, des moments où la parole conduit la partition

Acte I, Anja Harteros (la maréchale), Daniela Sindram (Octavian) ©Wilfried Hösl
Acte I, Anja Harteros (la maréchale), Daniela Sindram (Octavian) ©Wilfried Hösl

Rarement on a entendu une telle virtuosité dans le moindre détail au moment du monologue de la Maréchale dans le premier acte, symphonie de couleurs, harmonie expressive qui passe du sourire au sarcasme, à l’ironie, à l’amertume, et à la résignation. Rarement j’ai mieux ressenti que tout est dit dès le premier acte, mais en même temps, la vivacité avec laquelle cette Maréchale réagit au départ d’Octavian, montre ce que sont les intermittences du cœur, les contradictions de la personne. Une interprétation d’une rare profondeur, d’une rare intelligence, saisissante, comme au théâtre, avec l’urgence et le naturel du théâtre : le triomphe indescriptible de l’artiste face au salut du 1er acte en dit long sur le ressenti de tous.
Mais il y a aussi une voix, une voix qui sait à la fois sussurer et imposer, une voix qui n’a rien de métallique ou d’âpre, mais une voix qui a des aigus incroyables et triomphants, dans une forme extraordinaire : le trio final, pris par Petrenko sur un tempo large, permet aux trois voix de se sentir à l’aise, d’abandonner toute urgence et de s’abandonner à la pure musique, car c’est un des trios les plus extraordinaires entendus ces dernières années, avec une osmose singulière des trois artistes, une respiration commune, une puissance émotive d’une rare intensité.

Daniela Sindram (Octavian) ©Wilfried Hösl
Daniela Sindram (Octavian) ©Wilfried Hösl

Face à elle, Daniela Sindram est Octavian. Un Octavian très mesuré, et en même temps d’une vraie fraîcheur, spontanée et sensible. La voix est charnue, sans être d’une puissance marquée (comme Koch) mais très présente et ronde, avec une rare capacité à adoucir, à moduler elle-aussi et surtout, qualité éminente, un chant qui écoute le chant de l’autre, qui sait s’y adapter, s’y fondre, et donc un chant éminemment intelligent dans le sens où il cherche à faire harmonie et non démonstration. J’ai entendu quelquefois cette artiste notamment dans Rienzi, et ce fut une très belle surprise. Dans Octavian, elle se place immédiatement dans les toutes premières, parce qu’elle sait dire le texte, parce qu’elle est désopilante en Mariandl, parce qu’elle sait donner un ton, faire ses simagrées sans exagérer, mais avec cette touche comique qui fait immédiatement rire le public, un public qui n’en est pourtant pas à son premier Rosenkavalier. Elle est un exemple de chant maîtrisé, et de modestie : mais il y a des moments totalement magiques (les deux duos du second acte avec Sophie, la rencontre) sans parler aussi du trio final où entre les deux sopranos qui rivalisent à l’aigu, cette voix s’entend, parfaitement, grâce aussi au soutien de la fosse. Quant au duo final, c’est un  miracle de simplicité, de fluidité et de retenue.

 Günther Groissböck (Ochs) Hanna Elisabeth Müller (Sophie) ©Wilfried Hösl
Günther Groissböck (Ochs) Hanna Elisabeth Müller (Sophie) ©Wilfried Hösl

Enfin, Hanna Elisabeth Müller était Sophie.  Elle a tellement marqué dans Zdenka d’Arabella qu’on l’attendait dans un rôle marqué par d’immenses chanteuses : pour moi c’est Lucia Popp à jamais. Elle a en commun avec Christiane Karg (vue à la Scala il y a peu) la fraîcheur et la jeunesse et déjà Karg était « évocatoire » dans son chant que j’ai beaucoup apprécié. Ici, la voix est à la fois jeune, fraîche, mais incroyablement intense, avec des aigus d’une puissance qui trancherait presque avec ce corps de toute jeune fille. Cette Sophie-là vous fait immédiatement fondre le cœur : la presque-perfection du chant (peut-être le duo initial de l’acte II était un tout petit peu fort), mais le second duo était magique, fusionnel, bouleversant, et quelles interventions de l’acte III, avec le jeu qui allait avec :  crainte,déception, gestes un peu enfantins ou boudeurs! Le trio final trouvait avec Anja Harteros un incroyable équilibre, une merveille à n’en pas croire ses oreilles car on comprenait par la fusion même des voix le choix déchirant d’Octavian, les deux femmes, Sophie et la Maréchale, rivalisant d’intensité voire de gravité ; quant au duo final avec Daniela Sindram, il fut apaisé, tendre, poétique, élégiaque : elle a tout dans cette voix surprenante parce que jeune, fraîche et particulièrement présente et puissante. Ne jamais plus manquer Hanna Elisabeth Müller dans Sophie, elle partage désormais avec Karg la maîtrise du rôle, j’aime Karg, mais Müller a totalement emporté mon cœur.

Günther Groissböck (Ochs) ©Wilfried Hösl
Günther Groissböck (Ochs) ©Wilfried Hösl

Trois semaines auparavant j’avais entendu Groissböck dans un Ochs inhabituel, construit pour lui et en fonction de son physique et de sa personnalité. Cette fois-ci, Groissböck de nouveau, mais dans un Ochs traditionnel, conçu il y a 44 ans avec un profil correspondant à des Walter Berry ou Kurt Moll. Et c’était impressionnant de le voir se fondre avec ses qualités et même son élégance dans cet Ochs-là. D’abord, avec une voix exceptionnelle, des notes aiguës incroyables, une puissance presque inédite, des graves tenus au-delà du raisonnable : Kirill Petrenko le conduisait et l’a poussé au maximum de ses possibilités  : il en est résulté un Ochs qui s’installe désormais durablement dans les grands Ochs du moment sinon l’Ochs du moment. Inutile de dire le naturel et l’élégance avec lesquels il dit le texte, avec un accent qu’il connaît par cœur, si drôle, si marqué, mais aussi avec une bonhommie particulière, déjà notée à Milan. Bien sûr, quand on l’a vu à Milan ou Salzbourg, la prestation ne surprend pas, car elle est débarrassée de bien des tics du rôle. Alors dans une mise en scène aussi « classique », il compose un Ochs jeune, vigoureux, assez sympathique au demeurant qui fait adhérer le public au personnage : son monologue de l’acte II est un modèle qui contient peut-être – même si les rôles conviennent mieux à un baryton-basse- un futur Falstaff…ou son pendant Sachs.

Martin Gantner (Faninal) ©Wilfried Hösl
Martin Gantner (Faninal) ©Wilfried Hösl

Martin Gantner n’a pas le style ni la dégaine de Adrian Eröd, que j’aime beaucoup dans le Faninal qu’il dessine avec Kupfer. C’est un Faninal présent, classique, traditionnel et donc un peu en retrait par rapport au quatuor dont on vient de parler ; voilà un chanteur valeureux, qui n’est pas pris en défaut, mais qui n’a rien de plus que d’autres Faninal, un rôle ingrat d’ailleurs: la prestation est bonne, il tient la scène, rien d ‘autre à signaler.
Annina (Heike Grötzinger) et Valzacchi (Ulrich Ress) sont des piliers de la troupe, très présents, avec une Annina plutôt jeune et élégante, et un Ulrich Ress comme toujours très caractériste (il est un Mime intéressant) : toute la troupe d’ailleurs est distribuée dans les « petits » rôles, chacun toujours très bien caractérisé, aussi bien Dean Power (Haushofmeister bei der Marschallin), Kevin Conners (Haushofmeister bei Faninal),  Christian Rieger (Ein Notar) mais aussi les jeunes « Gäste » comme Scott Conner (Polizeikommissar), la très sonore Jungfer Marianne Leitmetzerin de Miranda Keys ou Josep Kang, un chanteur italien très correct sans avoir l’aura de Benjamin Bernheim à la Scala.

Tout ce beau monde est dans les mains de Kirill Petrenko. On connaît depuis Die Frau ohne Schatten les affinités du chef russe avec l’univers straussien et à force d’entendre ses interprétations, on arrive à comprendre aussi son souci à l’opéra, notamment sur le répertoire post romantique et du début du XXème siècle. Son Ring, sa Lulu, ses Maîtres chanteurs ont comme commune caractéristique un souci du texte souligné par un accompagnement mot à mot par la partition, mettant en valeur le texte (un caractère initié par Wagner) et soulignant par la partition les moments textuels particuliers. C’était, je l’ai dit plus haut, le caractère de l’accompagnement musical du monologue de la Maréchale au premier acte. Ce qui fait dire à certains qu’il n’est pas spectaculaire, à d’autres qu’il n’a rien à dire, comme si le « massage musical » était, après Wagner, autiste, sans tenir compte de ce que disait le livret. Car c’est bien ce que la révolution wagnérienne a porté, la question du livret se pose de manière bien différente avant et après Wagner. Même Verdi, dans sa collaboration avec Arrigo Boito, écrivain et compositeur, la repose à la fin de sa carrière.

Kirill Petrenko
Kirill Petrenko

De tout cela évidemment Kirill Petrenko tient compte, notamment dans des œuvres construites sur une collaboration écrivain/compositeur, comme c’est le cas de Rosenkavalier. Bien sûr, nous avons aussi appris la leçon de Meistersinger von Nürnberg où la parole par son rythme, ses jeux de mots, ses métaphores, sa couleur détermine une manière d’entendre aussi la partition.
C’est d’abord cette manière de conduire la musique qui « étonne », tant elle suit le rythme de la parole, c’est frappant dans la manière d’accompagner Ochs, on l’a vu, dont la voix devient presque instrumentale, et du même coup, on entend les grands duos (je pense à ceux de l’acte II entre Sophie et Octavian) différemment, avec un souci de fusion orchestre-parole, mais aussi celui de faire que les mots et l’expression se distinguent, que la musique ne couvre pas, mais stimule les voix : voilà aussi ce qui pousse les voix à « aller jusqu’au bout » et rend aussi urgente l’impression d’ensemble, tout en décuplant l’émotion.
Ce qui frappe dans l’approche de Petrenko, ce n’est pas tant la clarté ou la précision des sons, cela, d’autres chefs « savent faire » comme on dit aujourd’hui ; c’est une clarté au service du texte, c’est une clarté qui prend place dans un « système », qui se lit dans sa manière même de diriger, sa gestique multiple, où, à la stupéfaction de ceux qui l’observent, tout est mobilisé : on dirait en souriant qu’il est “le Shiva de la direction d’orchestre”, tant œil bras main sont partout, du geste léger demandant à un chanteur d’avancer sur scène, aux attaques de tous les chanteurs, avec en même temps un souci de chaque pupitre. Il fascine parce qu’il est partout, et quelle manière extraordinaire aussi de rassurer les artistes qui sont ainsi portés.

Un autre élément qui a fasciné tous les auditeurs avec qui j’ai échangé est la manière dont il a dirigé le troisième acte, et notamment tout le début. On connaît l’exercice de style obligé de ce début de troisième acte, qui fait entendre notamment aux bois des « bruits divers », une sorte de kaléidoscope sonore qui avait tant réussi à Franz Welser-Möst à Salzbourg jouant sur le clavier céleste des Wiener Philharmoniker en lévitation. C’est sûr, ce début d’acte III est un « morceau de choix » de la direction d’orchestre.

Petrenko, après l’accord initial explosif, met tout en sourdine, n’en faisant absolument pas une démonstration sonore, mais comme un bruissement, installant une ambiance extraordinairement nouvelle, qui va en quelque sorte mimer l’impression de Ochs voyant surgir les monstres. Petrenko installe l’ambiance de préparatifs, secrets, mais qui doivent aussi être essayés pour fonctionner. Il en résulte un rythme rapide, toujours cette clarté phénoménale malgré le volume abaissé qui tranche tant avec d’autres interprétations, mais aussi quelques traits de flûtes, à la limite de l’atonalité, qui eux, sont donnés à plein volume : il en résulte des contrastes violents et assez proches de ce qu’on entend dans la Tempête de la Pastorale de Beethoven, et ces traits, à la limite du grinçant, du désagréable pour l’oreille semblent préparer un sabbat au fantastique très berliozien : la musique n’est plus accompagnement ici, elle est action et part de l’action, d’autant que le lever de rideau de change rien à l’ambiance continue qu’il installe, jusqu’à la musique de scène, à qui, sans jamais en augmenter le volume, il donne une importance inconnue jusqu’alors (on prête souvent peu attention à la musique de scène), étirant le tempo, jouant là aussi sur les contrastes, installant une sorte de danse rassurante en fond de scène, qui contraste avec l’ambiance inquiétante qu’il a installé en fosse. Ce travail tout en contrastes, en jeu sur le volume, en jeu aussi sur les pupitres tour à tour interpellés, font que ce début n’est jamais démonstratif, tout le contraire d’un Welser Môst ou même d’une Thielemann, mais qu’il est exclusivement fonctionnel : il installe une ambiance scénique, une couleur, il fait fonctionner la dramaturgie, rien qu’avec ce jeu musical inédit. On en reste bouche bée.

En grand chef d’opéra, il installe les chanteurs dans un confort qui leur permet de travailler les émotions et l’expression, donnant aux voix toute leur place lorsqu’elles doivent être au premier plan (trio final), mais en même temps isole aussi à l’orchestre des moments étonnants et surprenants : je n’avais jamais remarqué comment certaines phrases de l’acte II, dans la deuxième partie, rappellent l’Elektra, de deux ans antérieur, et comment notamment les phrases « apaisées » qui accompagnent Ochs blessé, (là aussi avec des interventions des bois stupéfiantes) ou l’arrivée tardive d’Annina, semblent rappeler en écho celles qui accompagnent Egisthe, dans une sorte d’ironie grinçante, qui joue sur le contexte, souriant ou tragique.
Enfin, comment oublier aussi tout ce qui danse dans cette musique, où Petrenko démontre combien cet univers viennois (il a étudié et vécu toute sa jeunesse en Autriche) lui est consanguin. On l’avait bien compris dans Fledermaus. Il y  a du rythme et de la légèreté, mais cette légèreté qui masque la mélancolie,  et fait garder malgré tout un sourire, même si un peu automnal.
On ne cesserait de trouver des caractères nouveaux à une direction musicale fédératrice et stimulante, qui entraine le plateau, sans jouer le dramatisme gratuit, sans jouer la démonstration de l’ego en rut, sans jouer autre chose que la comédie, le « drama » c’est à dire l’action, le texte : jouant en quelque sorte, encore et toujours la « Gesamtkunstwerk » et installant une totalité (gesamt) plutôt qu’une prééminence de la fosse qui ne serait que se regarder au miroir sans servir l’œuvre.
Dans ce merveilleux travail, comment ne pas souligner l’incroyable performance de l’orchestre, soumis corps et âme à son chef, capable des plus subtils contrastes, en volume comme en tempo, capable des envolées les plus lyriques et des moments les plus intimes. Certes, Der Rosenkavalier fait partie des gènes d’une maison où Strauss est chez lui, mais faire nouveau dans cette œuvre, accepter de rompre avec des habitudes séculaires, c’est aussi la marque d’une phalange disponible et heureuse de faire de la musique et non du répertoire. Car même si cet orchestre (avec ce chef) a joué au TCE un Rosenkavalier qui fut je crois apprécié, rien ne remplace le confort de sa maison, de son public, avec la respiration si particulière de vivre le merveilleux chez soi, où l’on a rien à prouver, et où l’on fait de la musique ensemble, tout simplement.

J’ai voulu essayer de dire pourquoi je considère cette soirée comme l’une des plus grandes qu’il m’ait été donné d’entendre dans cette œuvre (et visiblement je n’étais pas le seul), à l’égal des soirées des années Kleiber, dans cette salle. Il n’y a pas de podium de champions: le signe, ce sont les larmes qui coulent sans savoir pourquoi, qui coulaient alors et qui ont coulé ce dimanche 17, dans ce désespoir si sympathique de ne jamais réussir à cueillir l’instant fugace du bonheur, dans la stupéfaction d’entendre sans en croire ses oreilles, qu’il est toujours possible de vivre le mythe vivant, sans le voir confiné systématiquement dans les « grands disparus », dans les vinyles ou les CD. Moi qui suis souvent un « ancien combattant » de l’opéra, j’étais en ce 17 juillet le combattant d’un paradis bien présent.[wpsr_facebook]

Saluts (le 17 juillet)
Saluts (le 17 juillet)

LES SAISONS 2016-2017 (8): WIENER STAATSOPER

Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper
Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper

Comment dans une succession de textes sur la présentation des saisons lyriques échapper à la salle la plus symbolique du monde, celle aux levers de rideau les plus nombreux, celle sans doute dont l’histoire (depuis 150 ans au moins) est la plus riche, où ont défilé Mahler, Karajan, Abbado (non sans difficultés d’ailleurs pour les uns comme pour les autres), celle dont les murs suent la mémoire la plus glorieuse de l’art lyrique. Il y a sans doute dans les salles européennes des fleurs qui font traditionnellement plus rêver (La Scala par exemple), mais sous les fleurs, il y a un terreau, et le terreau, c’est sans conteste Vienne, resté en permanence un lieu de référence.
Car dans le paysage des salles d’opéra, Vienne reste un mystère, car alors que les publics évoluent partout, que des théâtres comparables (le MET par exemple) affichent une crise de fréquentation sans précédent, Vienne affiche des taux de remplissage à faire pâlir d’envie Peter Gelb (Manager du MET) et ses collègues, et ce, sans GMD depuis la démission brutale, voire violente de Franz Welser-Möst, sans productions scandaleuses qui attirent par l’odeur du souffre, et au fond, sans faire parler de soi, sinon par des aventures loufoques comme le retard d’entrée en scène d’Angela Gheorghiu que les mauvaises langues attribuent au succès trop délirant de Jonas Kaufmann, dans une Tosca dont tout le monde a parlé, au moins le petit monde du lyrique, une production âgée de 59 ans, créée par Karajan, signée Margherita Walmann, qui continue à faire les beaux soirs du répertoire viennois et qui doit en être pas loin de sa 600ème
Car le secret de Vienne – si secret il y a- ce ne sont pas ses « nouvelles productions », dont finalement on parle peu, ce sont ses 300 soirées, du 1er septembre au 30 juin, de ballet et d’opéra, ses 50 ou 60 titres annuels, et son orchestre, qui selon les occasions s’appelle Orchestre de la Wiener Staatsoper ou Wiener Philharmoniker. Cet orchestre envié, un groupe à géométrie variable, doit être dans la fosse pendant que les Wiener Philharmoniker, les mêmes, sont en tournée à Shanghaï ou ailleurs, ce qui suppose un planning serré, et plusieurs configurations. Ce qui fait dire aussi aux amateurs qu’il y a un orchestre A, B, ou C et ce qui fait circuler les plus plaisantes histoires sur les remplacements des musiciens par le fils du concierge. Plaisanterie que tout cela, dirait Dominique Meyer, le premier directeur « étranger » à la tête d’une institution au budget confortable, et tellement nationale que le directeur de l’Opéra est aussi célèbre qu’un ministre (sinon plus) et qu’il vit sous le regard d’une presse qui a toujours près d’elle (c’est sa réputation) son sac de peaux de bananes sur lesquelles ont trébuché bien des chefs ou des directeurs.
Ce qui fait Vienne, c’est son système de répertoire – il est ici exploité au maximum – de réserves de productions, montées et démontées en permanence (il suffit de passer derrière la Staatsoper pour voir les camions livrer), peu de répétitions des œuvres au quotidien, à l’exception des nouvelles productions ou des Wiederaufnahmen, les reprises retravaillées, où même quelquefois on fait revenir le metteur en scène (quand il est encore vivant) et où on rafraîchit les décors. C’est ce système qui, mis en cause par certains au nom du niveau artistique, leur a coûté leur place ou au moins de sérieuses sueurs froides, c’est ce système dont Abbado et Drese au départ voulaient la peau, et qui finalement a eu la leur, au sens où les successeurs Holaender et Wächter ont affiché leur attachement très viennois à la tradition immuable de la maison. Avec l’évolution technologique nécessaire, Vienne fonctionne à peu près comme il y a 50 ans, comme il y a 100 ans, comme il y a 150 ans.
Et c’est ce qu’a bien compris Dominique Meyer, dont le soin le plus important consiste à maintenir un niveau artistique moyen des représentations de répertoire défendable, à proposer ça et là des soirées ou ses séries avec des stars qui vont occasionner les queues légendaires pour les Stehplätze, les places debout : celui qui écrit a passé quelques nuits de sa pauvre vie en SDF du lyrique, emmitouflé dans un sac de couchage en plein hiver glacial, ou quelquefois en automne un peu plus doux : Ainsi, à mon époque – je parle des années 80 du siècle dernier – Vienne affichait José Carreras, qui était adulé, la queue pouvait atteindre un ou deux tours du bâtiment. Vienne c’est aussi le petit groupe de fans qui attend systématiquement les chanteurs pour les autographes à la sortie des artistes, une tout petite porte côté Kärtnerstrasse, où j’ai attendu Jones, Bernstein, Nilsson, Caballé, Domingo, Baltsa et d’autres.

Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper
Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper

Quand on parle de Vienne, il faut rappeler ces rituels, ce public à la fois connaisseur et fidèle, très traditionnel et hyper musical. Le public de Vienne n’est pas accroc aux productions (sinon, il n’y aurait plus depuis belle lurette la Tosca de Wallmann ou la Salomé de Boleslaw Barlog (autre monument à la poussière, de 1972, plus récent de 15 ans cependant), mais il est très difficile sur les chanteurs et soucieux des chefs, tout en ayant, comme celui de la Scala d’alors, ses têtes, mais pas les mêmes. Quand Kleiber est venu pour ses derniers Rosenkavalier en 1994, c’était un événement incroyable à voir et à vivre.
Enfin c’est un théâtre qui a gardé ses places debout, qui les préserve même car elles sont un symbole local fort, et pas seulement les place de Stehparterre, à l’endroit le meilleur de la salle, au fond du parterre, à l’acoustique enviable, mais aussi ses places debout de galerie, sur les côtés, sans visibilité ou presque. Il y en a au total plus de 500. Munich a le même culte des places debout – elles sont même à Munich numérotées, pas à Vienne (peut-être le sont elles aujourd’hui ?) En tous cas, à mon époque, c’était la course à la meilleure place : si était dans les 100 premiers de la queue, on achetait son billet, on courait, on se précipitait au Stehparterre, on allait se placer du mieux possible, on faisait un nœud à son écharpe ou son mouchoir attaché à la rambarde pour montrer que la place était occupée, et on allait enfin s’asseoir et boire un café en attendant la représentation. Une vraie culture, que Paris aurait pu faire naître pour un public populaire de jeunes, mais à laquelle il a renoncé, grâce à Nicolas Joel qui a entériné leur suppression (il est vrai que c’était Mortier qui les avait créées, ce qui suffisait sans doute à les condamner). Les places debout, cela veut dire que si vous avez envie d’entendre pour une somme dérisoire l’opéra du soir quel qu’il soit, vous pouvez entrer. J’ai ainsi vu Turandot (Eva Marton- Maazel), Samson et Dalila (Domingo Baltsa Prêtre), Tosca – moi aussi j’y ai eu droit- mais avec Rysanek, Milnes, Carreras, Barbier de Séville, avec Baltsa, et un concert hallucinant, pas d’autre mot, pour l’équivalent de 15 francs de l’époque qui célébrait l’ouverture de la cité des Nations Unies, avec – je peux montrer encore le programme à ceux qui douteraient, Ruza Baldani, Leonie Rysanek, Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Siegfried Jerusalem, René Kollo, José Carreras, Placido Domingo, Piero Cappuccilli, Agnès Baltsa, Sonia Ghazarian, Sherill Milnes, Edita Gruberova, Ruggero Raimondi, Gianfranco Cecchele, Kurt Rydl…
Vienne, c’est ce passé là, c’est une maison qui ne peut être confondue avec le reste des maisons d’opéra, et son programme se regarde avec les nouvelles productions, mais aussi les reprises et le répertoire car on risquerait de perdre la soirée d’opéra de l’année, qui se cache derrière la 588ème Tosca ou la 421ème Bohème (Zeffirelli, 1963, la copie de la production de la Scala).
Sans la question du répertoire, on ne peut lire le travail artistique de Dominique Meyer. Certes, il n’est pas très favorable au Regietheater ni à la mise en scène dramaturgique ou aux « lectures » à la Castorf. Mais une nouvelle production pour Vienne signifie rester à l’affiche une dizaine d’années au minimum et l’expérience montre que certains travaux très contemporains vieillissent très vite. Le répertoire est plutôt l’ennemi des modes, car il faut que les productions à la fois tiennent le coup esthétiquement mais aussi dramatiquement, car le petit nombre de répétitions lors des reprises est l’ennemi de mises en scène trop complexes pour le cas de changements de distribution.
La saison 2016-2017, c’est donc 55 titres différents, dont 5 nouvelles productions seulement (moins qu’en 2015-2016) , mais dont trois titres « lourds »  Parsifal, Il Trovatore, Falstaff,et deux beaucoup plus rares pour Vienne, Armide de Gluck (pour la première fois à Vienne dans la version française et la dernière reprise de la version italienne remonte à 1892) et Pelléas et Mélisande (plus représenté depuis 1991, après 14 représentations distribuées entre 1988 et 991 de la fameuse et sublime mise en scène d’Antoine Vitez).
Même si Munich se rapproche du nombre de titres proposés en un an (Munich est sans doute le théâtre qui se rapproche le plus du modèle viennois), il reste que 55 opéras différents est un record qui demande en terme de logistique, d’organisation technique, de planning et de gestion des distributions des personnels rompus à l’exercice, et surtout une troupe solide d’où émergent de ci de là de futures vedettes, être en troupe à Vienne est un atout pour tout jeune chanteur : notre Natalie Dessay y fut par exemple dans les années 90.

On comprend que dans ces conditions, la « politique artistique » de l’opéra de Vienne soit particulière et d’abord musicale : il s’agit d’assurer un cast solide à chacune des soirées d’opéra), et quelquefois des stars, de garantir la venue de chefs prestigieux quelquefois dans l’année, mais il y a aussi des soirées où la question du chef n’est pas essentielle. Les nouvelles productions devant, comme je l’ai souligné plus, être durables.

Nous allons donc procéder de manière légèrement différente : il ne saurait être question de faire défiler et commenter les 55 titres, nous nous limiterons donc à la liste des titres par auteur : le lecteur y a droit, ne serait-ce que pour mesurer ce qui éloigne Vienne de toutes les autres salle, à la liste des nouvelles productions et des reprises avec disctribution et chefs qui vaudraient le voyage.
De plus le voyageur mélomane trouvera toujours un concert intéressant au Konzerthaus (une très belle salle, moins connue que le fameux Musikverein) ou justement au Musikverein, à trois minutes à pied de l’opéra, mais pourra aller aussi au Theater an der Wien, l’autre salle, en tous points opposée à la Staatsoper, de système stagione, pour des opéras plus (ou moins) rares dans des mises en scènes plus « ouvertes », dans une salle historique (Die Zauberflöte y fut créé) aux dimensions plus réduites. Chaque institution a sa fonction : dans l’une la tradition et l’offre délirante, dans l’autre la « modernité » et une offre restreinte. Sans compter sur la Volksoper, l’opéra populaire en allemand, avec son culte de l’opérette et les quelques autres théâtres musicaux.
Mais le touriste germanophone pourra aussi errer dans les nombreux théâtres de la ville, dont le premier d’entre eux, le Burgtheater, trône comme l’opéra sur le Ring, le boulevard circulaire qui enserre la vieille ville, à quelques centaines de mètres de la Staatsoper (la Haus am Ring, « maison » sur le Ring), en face de l’hôtel de Ville néo-gothique. Autrement dit, tout voyage à Vienne se prépare avec tous les programmes des théâtres et des salles de concert, pour être optimisé.

Les titres proposés (en gras et marqués NP, les nouvelles productions):

BEETHOVEN, Ludwig v. :
(1) Fidelio (Mai/juin 2017)

BELLINI, Vincenzo :
(2) La Sonnambula (Janvier 2017)

 BIZET, Georges :
(3) Carmen (Septembre 2016)

BRITTEN, Benjamin :
(4) Peter Grimes (Décembre 2016)

CHOSTAKOVITCH, Dimitri:
(5) Lady Macbeth de Mzensk (Avril/mai 2017)1

 DEBUSSY Claude :
(6) Pelléas et Mélisande (NP) (Juin 2017)

DONIZETTI, Gaetano :
(7) L’Elisir d’amore (Déc.2016-février 2017-juin 2017)
(8) La Fille du régiment (Septembre 2016)
(9) Don Pasquale (Oct.2016-juin 2017)

GLUCK, Christoph Willibald :
(10) Armide (NP) (Oct.2016)

GOUNOD, Charles :
(11) Faust (Mars 2017)
(12) Roméo et Juliette (Janv./Fév.2017)

 HAENDEL, Georg Friedrich :
(13) Alcina (Octobre 2016)

HUMPERDINCK, Engelbert :
(14) Haensel und Gretel (Déc. 2016/Janv.2017)

JANÁČEK, Leos :
(15) Katjá Kabanová (Avril 2017)

KORNGOLD, Erich Wolfgang :
(16) Die tote Stadt (Janvier 2017)

MASSENET, Jules :
(17) Manon (Novembre 2016)
(18) Werther (Mars/avril 2017)

 MOZART, Wolfgang Amadé :
(19) Die Zauberflöte (Décembre 2016)
(20) Die Zauberflöte für Kinder (Février 2017) (pour les enfants)
(21) Le Nozze di Figaro (Oct.2016/avril-mai 2017)
(22) Don Giovanni (Janvier 2017-mars 2017)

PUCCINI, Giacomo :
(23) Madama Butterfly (Septembre 2016)
(24) La Bohème (Novembre 2016)
(25) La Fanciulla del West (Nov./Déc.2016 – Janvier 2017)
(26) Tosca (Oct.2016 – Janvier/fév.2017 – Mai 2017)
(27) Turandot (Sept.2016- Fév./mars 2017)

REIMANN, Aribert :
(28) Medea (Avril 2017)

ROSSINI, Gioacchino :
(29) Il barbiere di Siviglia (Nov./Déc. 2016)
(30) La Cenerentola (Novembre 2016)
(31) L’italiana in Algeri (Mars/avril 2017)

STRAUß, Johann :
(32)Die Fledermaus (Décembre 2016/janvier 2017)

STRAUSS, Richard :
(33) Arabella (Mars 2017)
(34) Der Rosenkavalier (Mai/juin 2017)
(35) Elektra (Juin 2017)
(36) Salomé (Sept.2016 -Janvier/Févr.2017)

TCHAÏKOVSKI, Piotr Ilitch :
(37) Eugène Onéguine (Mai 2017)

VERDI Giuseppe :
(38) Aida (Sept/Oct 2016)
(39) Simon Boccanegra (Sept/oct.2016)
(40) La Traviata (Nov/déc.2016)
(41) Macbeth (Décembre 2016)
(42) Falstaff (NP) (Décembre 2016)
(43) Nabucco (Février 2017)
(44) Il Trovatore (NP) (Février 2017)
(45) Otello (Février 2017)
(46) Un ballo in maschera (Avril 2017)
(47) Don Carlo (Juin 2017)
(48) Rigoletto (Juin 2017)

WAGNER Richard :
(49) Lohengrin (Sept.2016)
(50) Tristan und Isolde (Mars 2017)
Der Ring des Nibelungen :
(51) Das Rheingold (Avril/mai 2017)
(52) Die Walküre(Mai 2017)
(53) Siegfried (Mai 2017)
(54) Die Götterdämmerung (Mai/juin 2017)
(55) Parsifal (NP) (Mars/avril 2017)

 

Quelques remarques sur cette liste impressionnante :

  • D’une part, et c’est l’effet Meyer, c’est une liste de titres assez diversifiés. Certes on trouve beaucoup de Verdi et de Wagner (dont le Ring) en nombre, qui restent un fond de commerce essentiel dans le système de répertoire, ainsi que l’essentiel de Puccini, mais aussi bien Mozart que Strauss, sur lesquels cette maison a aussi construit sa gloire sont présents sans être en nombre important. En revanche, on trouve des auteurs assez divers (Korngold, Massenet, Chostakovitch, Tchaïkovski, Britten, Janáček, Reimann) et donc une palette de titres assez large, même si les œuvres plus contemporaines (Reimann excepté) restent absentes.
  • Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
    Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

    On retrouve des productions anciennes, qui ont marqué cette maison, et notamment Madama Butterfly (1957 !) de Josef Gielen, Carmen (1978) et La Bohème (1963) de Zeffirelli, la fameuse Tosca de Wallman (1958), Der Rosenkavalier (1968), Fidelio (1970) et Die Fledermaus (1979) d’Otto Schenk, Salomé (1972) de Boleslaw Barlog, L’Italiana in Algeri (1987) de Jean-Pierre Ponnelle (reprise de la Scala) ou Il Barbiere di Siviglia (1966, retravaillée en 1986 et 2006) de Günther Rennert. Même si le lecteur connaît mon goût pour le Regietheater et un théâtre très contemporain, je défends le maintien au répertoire de certaines mises en scène qui témoignent d’une époque, pour des titres où souvent les nouvelles productions n’inventent rien de plus (combien de La Bohème inutiles et répétitives : quand on a Zeffirelli au répertoire, et cette réussite là, autant la conserver !) et c’est la même chose pour les productions d’Otto Schenk, ou la Tosca. Il y a de grandes mises en scène qui n’ont pas d’âge car elles marquent une sorte de permanence, une sorte de manière de faire presque immémoriale qui a marqué les mémoires. Très honnêtement, entre la production de Tosca de Luc Bondy (2009) qu’on a vu sur toutes les scènes et celle de Wallmann (1958) créée par Karajan et Tebaldi, il n’y a pas d’abyssales différences. En revanche, il serait peut-être temps de mettre au musée après 60 ans de bons et loyaux services la Butterfly de Josef Gielen (créée sous la baguette de Dimitri Mitropoulos…en 1957)

  • Peu de productions « révolutionnaires » ou marquantes, mais essentiellement de la grande série, modernisante ou non, comme Marco Arturo Marelli, Christine Mielitz, Gianfranco De Bosio, Nicolas Joel, Sven Eric Bechtolf, Daniele Abbado, Matthias Hartmann, avec certains metteurs en scène pour mon goût plus discutables comme Günter Krämer ou Uwe Erik Laufenberg, les plus ouvertes des productions sont signées Andreas Homoki, Jürgen Flimm, Andrei Serban, Irina Brook, Adrian Noble, Peter Stein, Falk Richter, Jean-François Sivadier, Willy Decker ou Caurier/Leiser, André Engel et Jean-Louis Martinoty, avec d’ailleurs des fortunes diverses.
  • A ces titres il faut rajouter les soirées de ballet (incluses dans les 300 soirées): Dominique Meyer en arrivant à Vienne avait emmené Manuel Legris dans ses bagages, pour redonner du lustre à cette école historique de la danse classique.

Ainsi, les nouvelles productions 2016-2017 sont :

ARMIDE de C.W.Gluck : 5 représentations du 5 au 29 octobre 2016
La première des Premières de la saison 2016-2017, qui est une vraie Première puisque l’œuvre n’a jamais été représentée en français à Vienne, confiée à la baguette de Marc Minkowski (qui dirigera aussi Alcina de Haendel pendant la même période) avec une distribution où la remarquable Gaëlle Arquez sera Armide, tandis que Stanislas de Barbeyrac sera Renaud. Ils seront entourés de Paolo Rumetz, Gabriel Bermúdez, baryton et le ténor Jinxu Xiahou, qui sont membres de la troupe.
Je ne suis pas un grand fan de Marc Minkowski, mais c’est un spécialiste reconnu de ce répertoire ; j’ai encore plus de réserves sur le choix d’Ivan Alexandre à la mise en scène : c’est un très bon journaliste musical, mais ce que j’ai vu de lui (Hippolyte et Aricie, Orphée et Eurydice) est certes élégant voire esthétisant, mais est loin de m’avoir convaincu au niveau dramaturgique, il sera entouré du décorateur Pierre André Weitz, et de Bertrand Killy aux lumières tous deux compagnons de route d’Olivier Py.

FALSTAFF, de G.Verdi : 5 représentations du 4 au 15 décembre 2016
Curieusement le chef d’œuvre de Verdi fait son apparition à Vienne grâce à Karajan en 1957, c’est ensuite Bernstein qui dirige la production suivante (Luchino Visconti). En 1980, c’est Georg Solti qui dirige la production de Filippo Sanjust, restée au répertoire jusqu’en 1993 (et dirigée alors par Ozawa). Une dernière production (Marelli) née en 2003 dont la dernière représentation remonte à 2011 et depuis, aucune représentation de Falstaff, ce qui du moins  confirme que l’opéra de Verdi n’est pas vraiment un opéra de répertoire, nécessaire chaque année mais exige un chef et des protagonistes de toute première importance.
C’est le choix fait pour cette nouvelle production qui s’imposait. Zubin Mehta, un des derniers grands verdiens, un des chefs d’envergure de ce temps pour l’opéra, montera au pupitre, tandis que David McVicar signera la production, dont on peut attendre une modernité sans risque, mais un travail solide. Pas de risque non plus dans la distribution où Ambrogio Maestri qui promène son Falstaff dans le monde entier sera donc de nouveau Falstaff, face au Ford de Ludovic Tézier et au Fenton de l’excellent Paolo Fanale, distribution masculine exceptionnelle, tandis que du côté féminin Alice Ford sera Carmen Giannatasio, avec la Ms Quickly désopilante (et de référence) de Marie-Nicole Lemieux. Une nouvelle production au vrai relief.

IL TROVATORE, de G.Verdi : 5 représentations du 5 au 18 février 2017
De 1963 à 1991, c’est la production Karajan (décors de Teo Otto) qui reste au répertoire, et la suivante (dont la première est dirigée par Zubin Mehta) est confiée au hongrois Istvan Szábó, dont la dernière remonte à 2001. On est quelquefois surpris de voir que des titres qui semblent être des piliers du répertoire ne sont pas si fréquents à Vienne.
Une nouvelle production s’impose donc, et c’est à Daniele Abbado qu’elle est confiée, qui a aussi signé la production actuelle de Don Carlo (vers.it). Daniele Abbado, bon connaisseur de Verdi (il a de qui tenir), est un artiste de qualité, qui jusqu’ici n’a rien produit de mémorable, mais qui conçoit  des spectacles bien faits qui ne dérangent pas le public. Exactement le type de spectacle qui peut durer. La direction musicale est assurée par Marco Armiliato, un bon chef de répertoire, et la distribution comprend Ludovic Tézier dans Luna, Roberto Alagna dans Manrico, Anna Netrebko dans Leonora, et Luciana d’Intino dans Azucena. Avec pareil quatuor, le public viendra, et c’est l’essentiel. Il reste qu’artistiquement cette production n’est pas vraiment excitante pour mon goût. Quand retrouvera-t-on dans les générations plus jeunes des chefs incontestables pour Verdi et, plus difficile encore, des metteurs en scène marquants ?

PARSIFAL, de R.Wagner, 6 représentations du 30 mars au 16 avril 2017
La production de 2004 de Christine Mielitz a fait semble-t-il son temps après un peu moins de 50 représentations, la précédente née en 1979 (d’August Everding) en avait eu 74. Sans doute Dominique Meyer tient-il pendant son mandat a proposer une nouvelle production, qu’il a confiée à Alvis Hermanis, bien connu désormais, d’un modernisme modéré, mais qui a su déchaîner les passions à Paris pour sa Damnation de Faust martienne. Gageons que son Parsifal passera la rampe sans notables réactions (sinon sans doute les hueurs traditionnels lors des Premières), comme ses Soldaten ou son Gawain à Salzbourg. Son théâtre ne m’intéresse pas vraiment, mais c’est musicalement que la production m’apparaît sans doute plus intéressante, puisque Semyon Bychkov dirigera l’orchestre – un très bon chef – et que la distribution comprend Nina Stemme (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Hans Peter König (Gurnemanz) et Gerald Finley (Amfortas), une distribution qui attirera évidemment la gent wagnéro-stemmolâtre, puisque la cantatrice suédoise se confrontera à ce rôle symbolique entre tous. Nul doute que les réseaux sociaux en feront non un opéra de Wagner, mais un concerto pour Stemme et tutti.

PELLÉAS ET MÉLISANDE, de Cl.Debussy, 5 représentations du 18 au 30 juin 2017
Depuis longtemps, sans doute depuis la production Martinoty-Haitink du théâtre des Champs Elysées, Dominique Meyer méditait un Pelléas et Mélisande à Vienne,  puisque la dernière représentation remontait à 1991 à Vienne. Peu de productions du chef d’œuvre de Debussy à Vienne, mais quels chefs : Bruno Walter pour l’entrée au répertoire en 1911 (en allemand), Karajan pour la première grande reprise et production (de Karajan lui-même) en 1962 (entre deux, une tournée de l’opéra de Cologne pour 1 représentation en 1928 et 3 représentations en 1946 à la sortie de la guerre, sans doute financée par la France, avec Roger Désormières au pupitre et Irène Joachim en Mélisande), et de 1988 à 1991 Claudio Abbado et Antoine Vitez, production des adieux à la Scala (1986) qu’Abbado avait fait venir à Vienne (14 représentations) et qui ira ensuite à Londres en 1993 (après la mort de Vitez).
La direction musicale est confiée à Alain Altinoglu (qui dirige l’œuvre dans les prochains jours -8 mai 2016- à Zürich), avec une distribution non francophone, qui ne doit pas étonner : pourquoi toujours confier à des français un tel chef d’œuvre, il faut au contraire que les chanteurs non francophones puissent s’en emparer : ainsi Benjamin Bruns, qu’on sait excellent, sera Pelléas, et la jeune Olga Bezsmertna, membre de la troupe, sera Mélisande, tandis que Golaud sera Simon Keenlyside après avoir été un inoubliable Pelléas (que j’avais vu à Genève) Arkel sera le grand Franz-Josef Selig et Geneviève, Bernarda Fink.
C’est la question de la mise en scène qui me paraît plus que décevante. Voilà une œuvre qui a Vienne a été défendue par des grands, voire des légendes. Aller chercher Marco Arturo Marelli, certes un habitué de Vienne (11 productions depuis les années 90), mais un metteur en scène sans génie ni sans grand intérêt me paraît problématique : une œuvre aussi importante si peu représentée à Vienne avait besoin d’un grand metteur en scène d’aujourd’hui. Ou alors, puisque c’est la mode (à Lyon, à Salzbourg Pâques) de remonter des productions disparues, pourquoi ne pas avoir repris la production Vitez, qui avait seulement 14 représentations à Vienne, qui est sans doute la plus belle production de cet opéra depuis une quarantaine d’années. Des décors peints sur toile, peu d’éléments construits ou lourds, et surtout Yannis Kokkos le décorateur est encore bien vivant ainsi que Lorenzo Mariani, qui l’avait reprise à Londres après la mort de Vitez et qui n’est pas l’un des pires metteurs en scène italiens. Quel manager de théâtre osera remettre cette production dans le circuit d’aujourd’hui, qui est non seulement une magnifique production, et qui surtout, j’en suis sûr pour l’avoir vue quatre fois, n’est pas de ces productions qui vieillissent, parce qu’elle est d’abord évocatoire et poétique. Enfin, cela permettrait de rappeler qui était Vitez, un peu oublié aujourd’hui du public et de la critique alors qu’il a été essentiel dans la vie du théâtre en France. Dans un théâtre qui fait survivre des productions de 60 ans d’âge, on peut imaginer que celle là, qui en a la moitié, n’a été représentée que 14 fois à Vienne, aurait mérité qu’on s’en souvienne.

Avant de clore cette très longue présentation, mais Vienne le mérite, quelques représentations ou distributions à voir dans les reprises de répertoire en 2016-2017 : chaque représentation (ou presque) comprend un motif d’intérêt, mais certaines sont plus stimulantes que d’autres :

 

DER RING DES NIBELUNGEN de R.Wagner
Deux cycles complets du Ring entre le 30 avril et le 3 juin, dans la mise en scène sans génie ni excès de Sven Erik Bechtolf, dirigé par Peter Schneider, dont la réputation chez les wagnériens est souvent injuste, tant il a sauvé de spectacles à Bayreuth et ailleurs, dont le Tristan de Marthaler et dont le Ring de Solti à partir de 1984: c’est un chef remarquable, un Kapellmeister solide de toute confiance.
La distribution évidemment attire:
Bryn Terfel (Wotan) Okka von der Damerau (Erda) Mihoko Fujimura (Fricka) Ain Anger/Yongmin Park(Hunding), Robert Dean Smith (Siegmund), Camilla Nylund (Sieglinde). Stefan Vinke (Siegfried) Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Falk Struckman (Hagen), Waltraud Meier (Waltraute) et Brünnhilde sera Petra Lang, qui sait être remarquable les bons soirs…
Ceux qui n’ont pas entendu Bryn Terfel doivent faire le voyage, tant son Wotan est extraordinaire, et puis Waltraud Meier, même pour vingt minutes, est toujours un cadeau.

LOHENGRIN, de R.Wagner, 4 représentations du 5 au 18 septembre 2016
La mise en scène « bavaroise » de Andreas Homoki que se partagent Vienne et Zürich, sous la direction de Yannick Nézet Séguin (pour les trois premières représentations, la quatrième étant dirigée par Graeme jenkins) est incontestablement digne d’intérêt, d’autant qu’elle est portée par Klaus Florian Vogt, irremplaçable dans Lohengrin, et Ricarda Merbeth (Elsa), Petra Lang (Ortrud), Günther Groissböck (Heinrich der Vogler), Tomasz Koniezcny (Telramund); même s’il est à craindre plus un concours de décibels que d’ineffables raffinements du côté des dames, les messieurs constituent un trio de choix…Mais ici, c’est vraiment le chef canadien qui excite la curiosité.

Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

DER ROSENKAVALIER, de R.Strauss, 5 représentations du 23 mai au 3 juin 2017
L’occasion de voir la version viennoise de la mise en scène d’Otto Schenk (celle de Munich est différente) et de découvrir le jeune chef autrichien Sascha Goetzel que Dominique Meyer distribue relativement fréquemment. En l’absence de Franz Welser Möst, il y a peu de chefs autrichiens et il est intéressant de connaître la nouvelle génération. Une distribution carrée et solide, Angela Denoke (Marschallin), Sophie Koch (Octavian), Daniela Fally (Sophie) Peter Rose (Ochs).

DIE TOTE STADT, de E.W.Korngold, 4 représentations en janvier du 9 au 20 janvier 2017.
Sans considération pour le chef ou la distribution, il faudrait aller à toutes les représentations proposées par les théâtres de ce répertoire ou de ces auteurs que la période nazie a détruits, et Die tote Stadt est l’une de ces œuvres clefs de la période, au succès phénoménal d’ailleurs dès sa création en 1920.
Pour la reprise viennoise, la curiosité devrait être stimulée par le chef, Mikko Franck, qu’on connaît bien désormais, et par une distribution magnifique : Camilla Nylund (Marietta..), Klaus Florian Vogt (Paul), Adrian Eröd (Frank/Fritz..) . La production est signée Willy Decker, garantie d’intelligence.

Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper
Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper

DON CARLO, de G.Verdi, 4 représentations du 2 au 21 juin 2017
La production passe partout de Daniele Abbado (la production locale de Don Carlos en version française de Peter Konwitschny est plus forte) est reprise sous la direction de Myung-Whun Chung, assez rare à l’opéra et donc intéressant, dans une distribution très solide, indispensable pour l’ouvrage de Verdi : Ferruccio Furlanetto sera Filippo II. La basse italienne est toujours passionnante dans ce rôle, et mérite le détour, Ramón Vargas Don Carlo, Placido Domingo sera Rodrigo, la suavité de son timbre devrait faire merveille dans ce rôle d’une humanité déchirante. Krassimira Stoyanova sera Elisabetta et Elena Zhidkova Eboli, deux voix somptueuses. Gageons qu’il ne sera pas facile d’avoir des places, à cause de Placido.

DON GIOVANNI, de W.A.Mozart, les 23, 26, 29 janvier et les 2, 5, 9 mars 2017
Deux distributions très différentes de janvier à mars; plus jeune (s’appuyant sur la troupe) en mars,  le tout dirigé par l’excellent Adam Fischer, un des chefs les plus réguliers et les plus solides des grands chefs d’opéra, dans la production de Jean-Louis Martinoty, à qui Dominique Meyer avait confié deux grands Mozart dès son entrée en fonction.
– En janvier, Simon Keenlyside (Don Giovanni), Irina Lungu (Donna Anna), Benjamin Bruns (Don Ottavio), Dorothea Röschmann (Donna Elvira) et Erwin Schrott (Leporello)
– En mars, Adam Plachetka (Don Giovanni), pur produit de la maison, découvert à partir d’un remplacement et fait une jolie  carrière depuis, Albina Shagimuratova (Donna Anna), Saimir Pirgu (Don Ottavio), Olga Bezsmertna (Donna Elvira) et Jongmin Park (Leporello).
Un Mozart à Vienne s’impose évidemment.

ELEKTRA, de R.Strauss, 3 représentations les 19, 23, 26 juin 2017
L’excellent chef Michael Boder, trop peu connu du public (il fut pourtant directeur musical du Liceo de Barcelone) reprend la mise en scène assez critiquée de Uwe Eric Laufenberg. Stemmolâtres et Meierolâtres au rendez-vous avec une Chrysothemis issue de la troupe, nouvelle venue sur le marché (étroit) des Chrysothémis, Regine Hangler et l’Orest du vétéran Alan Held.

Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

FIDELIO de L.v.Beethoven, 4 représentations du 24 mai au 2 juin 2017
La mise en scène vénérable d’Otto Schenk avec au pupitre le talentueux Cornelius Meister, et sur la scène Albert Dohmen (Pizzaro), Peter Seiffert (Florestan), Camille Nylund (Leonore), Günther Groissböck (Rocco). Ce devrait être intéressant si vous passez par Vienne à ce moment.

KÁTJA KABANOVÁ, de L.Janáček 4 représentations du 18 au 27 avril
La belle mise en scène d’André Engel, la direction musicale idiomatique de Tomáš Netopil avec une distribution enviable dominée par Angela Denoke et avec toujours, la magnifique Jane Henschel dans Kabanicha, et Misha Didyk dans Boris. Une reprise stimulante.

La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper
La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper

LA FANCIULLA DEL WEST, de G.Puccini, 4 représentations du 27 novembre au 6 décembre 2016, et 4 représentations du 11 au 21 janvier 2017
La mise en scène de Marco Arturo Marelli, et, en 2016, la direction de Mikko Franck avec Eva Maria Westbroek, Tomasz Koniezcny et José Cura tandis qu’en janvier 2017 ce sera une autre équipe, Marco Armiliato au pupitre, Emily Magee, Andezej Dobber et Aleksandr Antonenko.

LADY MACBETH DE MZENSK, de D.Chostakovitch, du 22 avril au 3 mai 2017
C’est moins la mise en scène de Matthias Hartmann qui est ici digne d’intérêt que la direction d‘Ingo Metzmacher qui se fera la main à Vienne avant de commencer les répétitions munichoises, avec Eva-Maria Westbroek, Wolfgang Bankl et Brandon Jovanovich.

MEDEA, d’A.Reimann, 4 représentations du 7 au 19 avril 2017
Michael Boder dirige, Marco Arturo Marelli met en scène et Marlis Petersen et Adrian Eröd sont Medea et Jason pour cette reprise de l’opéra créé à Vienne avec succès en 2010. Le seul opéra contemporain de la saison.

PETER GRIMES de B.Britten, 4 représentations du 13 au 21 décembre 2016.
La mise en scène de Christine Mielitz (Moui), la direction musicale de Graeme Jenkins et la passionnante distribution dominée par le Peter Grimes de Stephen Gould, l’Ellen Orford d’Elza van der Heever, et le Balstrode de Brian Mullighan

ROMÉO ET JULIETTE, de Ch.Gounod, 4 représentations du 22 janvier au 1er févrierL’increvable Placido Domingo dans la fosse comme chef de ce Roméo et Juliette (mise en scène intéressante de Jürgen Flimm) avec la jeune et prometteuse Aida Garifullina en Juliette aux côtés du Roméo de Juan Diego Flórez en train de basculer du bel canto au post romantisme. Il suffit de prononcer Domingo/Florez pour que la queue des places debout se forme déjà…

Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper
Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper

TOSCA, de G.Puccini, du 7 au 13 oct 2016, du 31 janv.au 3 février, du 5 au 11 mai 2017
De l’art de remplir la salle à coup sûr toute l’année, un jour pour Tosca, un autre pour le chef, un troisième pour Mario…
Octobre : Mikko Franck (dir.mus), Anja Harteros, Jorge de Leon, Marco Vratogna
Janv/févr : Placido Domingo (dir.mus), Adrianne Pieczonka, Aleksandr Antonenko, Thomas Hampson
Mai : Eivind Gullberg Jensen (dir.mus), Jonas Kaufmann, Angela Gheorghiu, Marco Vratogna

Sans commentaires…

TRISTAN UND ISOLDE, de R.Wagner, 3 représentations du 12 au 19 mars 2017
La production de David McVicar, sans histoires ni problèmes, et même esthétique, la direction de Mikko Franck, que Dominique Meyer apprécie, et une distribution solide à la Bayreuth (encore mieux peut-être ?), avec Petra Lang en Isolde (elle sera entrée dans la ronde depuis son apparition estivale à Bayreuth), Sophie Koch en Brangäne, Stephen Gould en Tristan, Matthias Goerne en Kurwenal et Kwangchul Youn en Marke.

WERTHER de J.Massenet du 26 mars au 3 avril 2017 (4 représentations)
La mise en scène un peu vieillie d’Andrei Serban, Frédéric Chaslin au pupitre qu’on voit plus à Vienne qu’en France, et une rareté, la version pour baryton qui voit Ludovic Tézier en Werther, Sophie Koch en Charlotte et Adrian Eröd en Albert. Belle distribution. Vraie curiosité pour le public viennois qui a vu depuis 1986 tous les grands ténors défiler dans le rôle, mais pas un seul baryton.
Et aussi…
Un Elisir d’amore avec Rolando Villazon et Bryn Terfel dirigé par Guillermo Garcia Calvo, un Eugène Onéguine avec Pavol Breslik et Christopher Maltman, dans la belle mise en scène de Falk Richter et sous la direction du très bon Patrick Lange, une Cenerentola avec Pertusi, mais aussi les excellents Alessio Arduini et Maxim Mironov, une Fille du régiment avec notre Julie Fuchs (et Pido’ dans la fosse), une Sonnambula avec Daniela Fally, Luca Pisaroni et Juan Diego Flórez, le tout dirigé par Guillermo Garcia Calvo., une Traviata avec Marina Rebeca, Charles Castronovo et Dmitri Hvorostovski dans la mise en scène de Jean-François Sivadier, ou Marianne Crebassa Cherubino des Nozze di Figaro dirigé par Cornelius Meister aux côtés du Figaro d’Alessio Arduini, Simon Keenlyside dans Macbeth de Verdi aux côtés de Martina Serafin, Kristine Opolais en Butterfly, Marlis Petersen et Jean-François Borras dans la Manon de Massenet (dir.Frédéric Chaslin), Véronique Gens sera Desdemona dans Otello dirigé par Marco Armiliato (Seiffert et Carlos Alvarez), Matthias Goerne en Jochannan de Salomé (Dir.Altinoglu), Dmitri Hvorostovski en Boccanegra, Piotr Beczala en Gustave III du Bal masqué.
Et aussi…quelques soirées ou productions sans grand intérêt.

Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper
Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper

Comme on le voit, au grand supermarché du lyrique, on est tantôt chez Fauchon, tantôt chez Monoprix, mais jamais chez Lidl ou Leader Price. L’amateur de voix auquel ce type de programmation s’adresse, devrait y trouver son bonheur, l’amateur de chefs quelquefois, l’amateur de mises en scène et de théâtre assez rarement. Mais j’ai tenu à être détaillé sur la programmation d’une maison qui a un côté immuable assez séduisant finalement. On ne verrait pas Vienne, vieille Dame d’une ville de mémoire de souvenirs et de nostalgie, changer de couleur. Vienne n’est ni Munich ni Berlin ni Amsterdam.
Alors vous ferez bien un tour à Vienne, n’est-ce pas, il y a toujours quelque chose à voir…et si vous ne pouvez pas y aller, il reste le streaming, très bien fait sur le site de la Wiener Staatsoper, un des sites les plus clairs qu’on puisse trouver. [wpsr_facebook]

Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper
Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper

METROPOLITAN OPERA 2014-2015: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG de Richard WAGNER le 23 DÉCEMBRE 2014 (Dir.mus: James LEVINE, Ms en scène: Otto SCHENK)

Final Acte II © Ken Howard /Metropolitan Opera
Final Acte II © Ken Howard /Metropolitan Opera

On ne reviendra pas sur la complexité des Meistersinger von Nürnberg, labourée de manière approfondie lors du compte rendu de l’excellente production de Tobias Kratzer  à Karlsruhe (voir le texte) qui posait la question centrale de l’interprétation et de la réception de l’œuvre. C’est bien la question fondamentale qui est posée ici par la production d’Otto Schenk qui a à peine plus de 20 ans, et qui pourrait en avoir 40, 50, 80 tant elle respire la poussière à première vue. S’il y avait des toiles peintes, on dirait qu’on l’a sortie du XIXème.

Acte I © Ken Howard /Metropolitan Opera
Acte I © Ken Howard /Metropolitan Opera

Mais les décors, signés du grand Günther Schneider Siemssen, sont construits, et de manière si impressionnante qu’ils provoquent encore aujourd’hui au MET des applaudissements à scène ouverte (au lever de rideau du 2ème acte et à la Festwiese). Nous sommes dans l’hyperréalisme, il ne manque pas un bouton de guêtre (normal vu que Sachs est cordonnier), pas un géranium, pas un colombage, comme si la comédie devait être par force réaliste. Déjà Wieland Wagner 40 ans avant la première de cette production au MET avait remis en cause cet axiome.
Plus profondément, cette production qui on va le voir, n’est pas complètement has been, pose la question de la modernité au MET, qui en ce moment éprouve de graves difficultés identitaires. Peter Gelb a essayé de moderniser les spectacles par tous les moyens, s’associant à des théâtres européens pour certaines productions (De la Maison des morts, Chéreau) faisant appel à des metteurs en scènes à la mode (Tcherniakov) ou modernes au sens de Broadway. C’est pourtant cette production sans âge qu’on applaudit avec ferveur…Problème de public qui vieillit sans être remplacé, problème d’éducation au théâtre et de tradition de cette scène qui a longtemps considéré la mise en scène comme une mise en image d’une version de concert, ou qui a confondu mise en scène et grand spectacle avec foule, couleurs et beaux décors (voir aussi La Bohème de Zeffirelli).

Acte I,1 © Ken Howard /Metropolitan Opera
Acte I,1 © Ken Howard /Metropolitan Opera

La salle était loin d’être complète : rangs entiers vides, spectateurs quittant par grappes le théâtre au 2ème entracte ou vers 23h30 (derniers trains de banlieue ?) alors que le spectacle se terminait vers minuit. Et pourtant, indescriptible triomphe autour du chef et de la distribution réunie. Mais à l’opéra, le pari de la musique ne suffit pas.
Je le dis et le répète à longueur de textes, Otto Schenk, très traditionnel dans sa vision, n’est pas néanmoins un mauvais metteur en scène. D’abord par le soin extrême apporté aux détails, aux petits faits vrais, il rend son travail très vivant, mais aussi grâce à l’individualisation des foules, enfants qui jouent, jeux de regards, échanges entre les gens, il fait un vrai travail de théâtre au miroir, permettant aux spectateurs de se reconnaître: la sortie de la messe au 1er acte en est un exemple.

Beckmesser (Johannes Martin Kränzle) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Beckmesser (Johannes Martin Kränzle) © Ken Howard /Metropolitan Opera

Chacun a quelque chose à faire, il se passe toujours quelque chose. Ensuite par la caractérisation des personnages, jamais forcée, jamais exagérée, même pour Beckmesser, magnifiquement personnifié, incarné même par Johannes Martin Kränzle, fantastique acteur, naturel, ridicule mais pas trop, pathétique mais pas trop. La Eva (chantée ici par Annette Dasch) est aussi très bien dessinée, dans sa séduction trouble envers Hans Sachs et Schenk touche là à ce que Kratzer avait noté sur l’ambiguïté du personnage, sur ses hésitations, sur sa gentille rouerie aussi. Le jeu de Dasch s’adapte parfaitement à cette complexité là. La mise en scène d’Otto Schenk (ou ce qu’il en reste après 20 ans), n’est pas aussi fine pour Hans Sachs, dont il ne travaille peut-être pas assez les contradictions et les doutes, les colères et les troubles, ni pour Walther, mais vu les dons d’acteur limités de Johan Botha, c’est peut-être plus sûr et le personnage lui-même est moins intéressant.

Hans Sachs (James Morris) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Hans Sachs (James Morris) © Ken Howard /Metropolitan Opera

En tous cas, tout n’est pas méprisable dans ce travail, même s’il faut bien dire aussi qu’on y retrouve au premier degré, ce sur quoi ironisait Kratzer dans son deuxième acte à Karlsruhe quand il évoquait les mises en scène réalistes ou archéologiques (rondes des apprentis, farces bon enfant etc…).
Il reste qu’on est bien dans la comédie et que, c’est à noter, le public répond, rit beaucoup, est bien plus participatif que le public européen, sans doute blasé, notamment en Allemagne. Die Meistersinger sont tellement rares hors d’Allemagne que cela ne se pose même pas ailleurs. On soulignera donc les décors monumentaux des premier et deuxième acte : la rue de Nuremberg est incroyable… et au troisième acte la maison de Sachs, pleine à craquer de toutes sortes d’objets. Seule la Festwiese manque à mon avis d’espace, bloquée en arrière plan par le rempart, qui permet de concentrer le chœur au premier plan et de voir enfin un vrai défilé des corporations au lieu des élucubrations à la Katharina Wagner (!). En fait, c’est un concentré des mises en scène qu’on voyait dans les années 50, 70 ou 80, comme celle d’August Everding à Munich ou comme celle(s) de Wolfgang Wagner à Bayreuth. La mise en scène de Schenk n’est jamais ridicule, même si je n’en défends pas les options. Il me semble cependant que le final du 2ème acte manque de rythme scénique : en la matière, Wolfgang Wagner avait réussi à Bayreuth dans le genre un final époustouflant au crescendo scénique d’une redoutable précision qui accompagnait le crescendo musical. Jamais vu mieux depuis. Et ici, le chœur chantant d’un côté et les danseurs ou les mimes se battant au centre donnent une impression d’artificiel : quand, comme chez Wolfgang Wagner, le chœur se déchainait en chantant, l’impression était bien plus forte et bien plus folle. À part ce moment, l’ensemble est passable, illustratif, mais jamais ennuyeux, ce qui est un tour de force vu le genre suranné de ce travail.
C’est que musicalement, nous sommes vraiment au sommet.
C’est bien la marque du MET que d’avoir toujours défendu au plus haut niveau l’excellence musicale et le parfait équilibre des distributions, dans un parti pris idéologique qui fait de toute représentation d’opéra une représentation de concert illustrée. La distribution réunie est sans doute l’une des meilleures que l’on puisse voir, à partir des excellents seconds rôles tenus par des chanteurs plus ou moins maison comme la très bonne Magdalena de Karen Cargill , voix grave, beau timbre, jolie présence et le non moins excellent David de Paul Appleby, voix bien posée et projetée, jolis aigus, jeu déluré . Un futur Mime ?

Pogner (Hans-Peter König) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Pogner (Hans-Peter König) © Ken Howard /Metropolitan Opera

Le Pogner de Hans-Peter König, a sa belle voix grave, chaude, à la couleur toujours très humaine. Ce chanteur a le privilège d’humaniser chaque personnage qu’il aborde. Un méchant chanté par König n’est jamais tout à fait méchant, quelque chose en lui sonne fragile et tendre, comme son Hunding sur cette même scène dans la mise en scène de Lepage. Son Pogner est émouvant, souriant, rassurant. Belle figure.
On aura aussi noté Martin Gantner, qui a fait les beaux soirs de Zurich, excellent Kothner et le très bon Nachtwächter de Matthew Rose à la voix profonde et juvénile.
Johannes Martin Kränzle, sans avoir le timbre séduisant et la parfaite diction des grands Beckmesser (Hermann Prey, Michael Volle), a une voix forte et bien projetée, un naturel confondant en scène, une expressivité unique dans son chant, il est incarnation encore plus qu’interprétation. Il propose un Beckmesser un peu pataud, qui fait souvent sourire et quelquefois rire, et il a la qualité des grands : il sait dire un texte, en le jouant, en le distillant, avec une présence rare. Grand moment.

Eva (Annette Dasch) et Sachs (James Morris)© Ken Howard /Metropolitan Opera
Eva (Annette Dasch) et Sachs (James Morris)© Ken Howard /Metropolitan Opera

Eva est sans doute l’un des rôles les plus accomplis d’Annette Dasch. Elle est totalement convaincante car le rôle sied parfaitement à sa voix, elle y est émouvante, délicate, énergique : on se demande pourquoi Bayreuth qui l’a utilisée pour une Elsa où elle n’est pas à 100% de ses moyens a usé des Eva inutiles pendant cinq ans alors qu’elle est splendide. Une voix pure, bien placée, magnifiquement projetée : elle est sublime dans le quintette et vive, naturelle, jeune, fraiche en scène notamment dans le deuxième acte. Elle s’est emparée du personnage pour lui donner une vraie présence. J’avais dans mon souvenir Harteros dans ce rôle où elle était extraordinaire, j’y rajoute Annette Dasch. C’est pour moi aujourd’hui la meilleure des Eva.

Walther (Johan Botha) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Walther (Johan Botha) © Ken Howard /Metropolitan Opera

À côté sans doute du meilleur des Walther, Johan Botha, extraordinaire. Dans une mise en scène qui ne lui demande que de se planter sur scène, il est totalement bluffant, les aigus sortent avec une facilité confondante, le timbre est velouté, il est Walther, avec une suavité que je n’ai pas connue depuis longtemps. Vogt était magnifique, comme il l’est dans Lohengrin, et il jouait, mais je crois que sur le plan purement vocal et stylistique, Botha est ici supérieur. Il a d’ailleurs remporté un phénoménal succès.

Sachs (James Morris) et Walther (Johan Botha) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Sachs (James Morris) et Walther (Johan Botha) acte III © Ken Howard /Metropolitan Opera

Vu d’Europe, on pensait James Morris en retraite, il a été à un moment l’un des plus beaux Wotan qui soit, un miracle de style. J’ai toujours aimé cette voix claire et étendue, cette délicatesse. Il a certes un peu vieilli, mais il a gardé ce qui faisait son prix : un chant d’une élégance unique, d’une douceur ineffable, un timbre d’une clarté étonnante pour un baryton basse. Il est un Sachs au-delà, qui a dépassé les crises, un sage distancié, rien à voir avec Renatus Meszar à Karlsruhe, ardent, amoureux, révolté, rien à voir même avec la personnalité forte et virile d’un Michael Volle. Il est ailleurs. Certes, le rôle est écrasant et les aigus les plus hauts lui sont difficiles, la voix bouge un peu, certaines attaques n’ont plus la netteté d’antan, notamment dans le troisième acte mais quelle noblesse de chant, quelle attention au texte, quelle clarté dans l’expression : son monologue du troisième acte est à ce titre anthologique. Un pur produit de la formation américaine, d’une propreté presque inaccessible. Un chant qui par le soin donné à chaque parole, est émouvant. Quel plaisir de l’entendre et d’entendre encore des qualités globales qui restent rares.
Et au milieu de ce plateau de très haut niveau, James Levine emporte la conviction du public, littéralement en délire dès qu’il se retourne vers le public en faisant mine de le serrer dans ses bras. Rarement théâtre ne s’est autant identifié à son directeur musical. On le pensait perdu pour la musique, on faisait des plans pour sa succession et il est là incroyable d’énergie, de profondeur, emportant l’orchestre pendant l’ouverture avec une incroyable dynamique malgré son tempo toujours un peu plus lent que d’autres. Son Wagner est somptueux, on lui reprochait souvent de ne pas avoir beaucoup à dire sinon une sorte de recherche formelle sans intérêt, on reprochait à son Parsifal sa lenteur désespérante quelquefois et on a là un travail d’une profondeur et d’une précision incroyables, avec une lisibilité du tissu musical qui permet d’écouter les différents niveaux avec facilité, même si on ne peut dire qu’il ait la clarté cristalline de certains autres chefs, ni même le raffinement. Mais c’est d’abord un chef de théâtre, ne couvrant jamais le plateau, attentif aux rythmes de la scène. Il y eut des moments d’une grande émotion, comme certaines scènes du second acte, et évidemment tout le troisième acte. Le quintette fut bouleversant et l’ensemble de la Festwiese, dynamique, joyeuse, énergique sans être tonitruante, soutenu également par le magnifique chœur du MET dirigé par Donald Palumbo. Un grand moment musical. On pensait qu’il n’avait plus rien à dire, mais son récent Mahler et son Wagner nous disent tout au contraire plein de choses, avec une grande sensibilité, et presque une tendresse qu’on ne lui connaissait pas.
Ce fut un beau cadeau de Noël. La Saint jean à Noël…de solstice à solstice…
Joyeux Noël aux lecteurs du jour
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Festwiese © Ken Howard /Metropolitan Opera
Festwiese © Ken Howard /Metropolitan Opera

WIENER STAATSOPER 2014-2015: DER ROSENKAVALIER de Richard STRAUSS le 23 NOVEMBRE 2014 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Otto SCHENK)

Acte II Présentation de la rose
Acte II Présentation de la rose

Aller voir Der Rosenkavalier à Vienne, Munich ou Dresde, là où Richard Strauss est chez lui, et où ses œuvres, quelles qu’en soient les conditions de réalisation, sont interprétées par des orchestres qui ont ce répertoire dans les gènes est toujours une riche et belle expérience. Les trois maisons d’ailleurs sont très différentes, chacune blessée pendant la deuxième guerre mondiale, chacune avec sa tradition, chacune ses chefs de prédilection, chacune ses productions, même si quelquefois elles sont presque communes (comme pour celle du Rosenkavalier, confiée à Vienne comme à Munich à Otto Schenk). À Munich l’ère Wolfgang Sawallisch a permis d’afficher pratiquement tout le répertoire straussien. À eux deux, Wolfgang Sawallisch et Carlos Kleiber y ont personnifié Strauss, Carlos Kleiber notamment à travers Rosenkavalier dont il reste vidéos et Cds, Sawallisch pour tout le reste.
À Vienne, c’est plus complexe. Der Rosenkavalier dans cette production a été créé le 13 avril 1968 sous la direction de Leonard Bernstein, avec Christa Ludwig (die Feldmarschallin) Gwyneth Jones (Octavian) et Reri Grist (Sophie), elle a été reprise 366 fois, et donc chaque année, avec des chefs variés, Silvio Varviso, Josef Krips, Carlos Kleiber (en 1974 et 1994), Adam Fischer, plus récemment Peter Schneider et Jeffrey Tate, et bien entendu l’ex-GMD Franz Welser-Möst, qui a aussi dirigé la production salzbourgeoise (autre lieu straussien) cet été.
C’est donc à Vienne ce soir une représentation de répertoire (la 359ème), avec une très bonne distribution, Soile Isokoski et Peter Rose, spécialistes consommés de l’œuvre,  Alice Coote (Octavian) Chen Reiss (Sophie), plus neuves, précédées d’une flatteuse réputation et donc intéressantes à découvrir.
Mais ce qui attire ce soir, c’est la présence au pupitre de Kirill Petrenko, GMD de la voisine et concurrente Munich, à 400km de là. Il a laissé à Paris lors de la traditionnelle présence annuelle (il faut désormais parler au passé) du Bayerische Staatsoper au Théâtre des Champs Elysées un Rosenkavalier en version de concert qui a marqué. Et à Munich, il est désormais l’attraction des mélomanes. Mais à Vienne, il a en fosse l’Orchestre de la Staatsoper (c’est à dire le fond des Wiener Philharmoniker), et on est très curieux, impatient même, d’entendre cet orchestre qui ne ressemble à aucun autre sonner sous sa baguette dans Richard Strauss.
Disons le d’emblée, dès l‘introduction, on a compris qu’on va avoir affaire à un de ces moments suspendus qui jusqu’à la fin va nous tenir, nous séduire, et même, même nous étonner. C’est une direction qui explose de vitalité, d’énergie, et immédiatement le son de Vienne nous submerge. J’avais souligné combien le même orchestre ou à peu près sonnait magnifiquement, mais fort à Salzbourg. Ici c’est toujours aussi beau, chaud, rond, avec des cordes à couper le souffle emmenées par Rainer Küchl soi-même qui tout au long de la soirée prodiguera des solos de violon à se damner. Mais c’est en même temps un son équilibré, qui ne couvre jamais le plateau, qui se dilue dans mille petites notes miroitantes et d’une extraordinaire clarté et précision.Comme de juste, on entend tout, et comme de juste, on découvre encore tout, car Kirill Petrenko est partout, il suit le plateau avec une incroyable attention, en grand chef de fosse qu’il est, mais il a de menus gestes pour donner les départs de tel ou tel instrument, et c’est alors une symphonie de diamants : les harpes, merveilleuses de tendresse, les bassons, sublimes, la clarinette, à se damner. Tout l’art de l’orchestration de Strauss apparaît, avec en plus, une ligne, incroyablement vivante, vitale dirais-je, parce qu’il émerge de ce travail une vie, jamais démonstrative, jamais contente de soi, jamais en représentation, mais au contraire au plus près de l’action, au plus près du plateau, au plus près de l’intrigue : ici la tendresse, là l’ironie, ici le comique, là la mélancolie : comme toujours avec les grands chefs, l’orchestre nous parle, nous raconte quelque chose de cette musique : comme la fin du 1er acte est accompagnée, avec sa couleur crépusculaire et tendue, j’ose le dire, depuis Carlos Kleiber je n’avais pas entendu ça. Kirill Petrenko a comme Kleiber ce souci du rendu, cette fidélité à l’œuvre, cette énergie immédiate, explosive, qui vous soulève le cœur.
Evidemment, on l’attend dans les moments orchestraux que chaque amoureux de cette œuvre a en lui : l’introduction du 2ème acte et le monologue de Ochs, avec la valse, qui vous porte, qui vous emporte, qui vous enivre. Et évidemment comment ne pas participer, ne pas sourire, ne pas entrer corps et âme là-dedans. Bien sûr l’introduction du 3ème acte, un chef d’œuvre de virtuosité, mais en même temps de burlesque, une sorte de musique de cirque vertigineuse, mais le cirque revu par l’énergie et la jeunesse, voire la tendre sauvagerie de ce Rimbaud de la musique, on a d’ailleurs à peine le temps de s’attarder sur tel ou tel instrument tellement l’action nous emporte.

Et bien sûr, je ne parle même pas du duo de la rose, où les voix semblent suspendues au-dessus de la ligne musicale ténue, dans une justesse de rythme et de tempo qui vous fait dire qu’on a là une évidence, je ne parle pas non plus de la scène finale, du trio où chaque voix est soutenue, et avec l’orchestre en quatrième voix, qui attire les larmes et du duo final merveilleusement tendre, merveilleusement humain, merveilleusement juste, jusqu’à l’apparition du jeune serviteur noir, accompagné par une musique qui a une précision presque cinématographique, presque un dessin animé.
J’ai passé ce soir à Vienne non pas la plus belle, la plus grande la plus..la plus…Non, j’ai retrouvé le merveilleux qui me fascinait à l’opéra quand j’étais un jeune mélomane, j’ai retrouvé l’émotion de mes premiers Chevaliers (Ludwig, Minton, Popp et Horst Stein, qui était remarquable), en fait, j’ai redécouvert combien le Rosenkavalier est une œuvre construite pour vous faire fondre, pour vous étreindre, pour vous toucher et même pour vous faire pleurer sans savoir pourquoi.
Il est servi par une distribution qui n’est sans doute pas la plus rutilante du marché lyrique d’aujourd’hui, mais qui a épousé magnifiquement les intentions du chef, et que le chef a porté de bout en bout avec un amour consommé (il fallait le voir sourire, porter la main à son cœur, soutenir les chanteurs).

Solie Isokoski © Wiener Staatsoper / Axel Zeininger
Solie Isokoski © Wiener Staatsoper / Axel Zeininger

J’attendais moins d’engagement de Soile Isokoski, et elle m’a étonné ; je l’attendais froide, j’ai trouvé ce chant sensible, juste, distingué et en même temps engagé.  Une vraie grande maréchale, mûre, authentiquement humaine. Une maréchale automnale, et en même temps une voix ronde, pleine, chaleureuse, et beaucoup de subtilité et de couleur dans la voix: son monologue final du 1er acte était à la fois retenu et bouleversant.
Chen Reiss, sans avoir la voix aussi pleine et aussi contrôlée que les grandes Sophie de ma vie (Lucia Popp, inégalable, Helen Donath d’une merveilleuse poésie) a la tendresse, la puissance d’émotion, la fragilité du personnage. Sophie n’est pas un rôle si facile : il faut une assise large et un vrai contrôle, une voix faite et en même temps un timbre jeune et frais. Aujourd’hui j’attends dans ce rôle Lisette Oropesa, je suis sûr qu’elle sera une grande Sophie.   Mais Chen Reiss existe bien plus, de manière bien plus accomplie et intéressante que Mojka Erdmann à Salzbourg cet été qui n’avait ni existence, ni intérêt.

Chen Reiss (Sophie) & Alice Coote (Octavian) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn
Chen Reiss (Sophie) & Alice Coote (Octavian) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Alice Coote était souffrante et a fait faire une annonce, mais elle a chanté. Il est donc difficile de juger véritablement de la performance. Néanmoins, le timbre est vraiment magnifique, même si les aigus ce soir étaient un peu courts. La composition en Mariandl reste désopilante. Il lui manque un soupçon de sens dramatique, mais elle a aussi une grande poésie dans la voix. Mes Chevaliers du cœur ? Yvonne Minton, Brigitte Fassbender sans doute, mais surtout Tatiana Troyanos, qui m’a fait découvrir qu’Octavian pouvait être ambigu, déchirant, hésitant. Mon Chevalier de l’île déserte, c’est elle. Il faudra revoir Alice Coote.
Peter Rose en Ochs fait ce qu’on attend dans Ochs, une sorte de Falstaff en perruque poudrée. Et dans ce personnage, il est aujourd’hui inégalable et formidable en scène. Même si l’incroyable Groissböck à Salzbourg, la trouvaille de la distribution et de la mise en scène, nous a fait voir une toute manière d’aborder le personnage qui nous séduit et convainc totalement.

Ochs au 2ème acte
Ochs et Faninal au 2ème acte

Très bon Faninal, de Clemens Unterreiner, membre de la troupe, dans un rôle un peu difficile et pour tout dire rarement intéressant (malgré les critiques injustes à son endroit, j’avais aimé Adrian Eröd à Salzbourg) à qui Unterreiner réussit à donner du relief sans le rendre ridicule. On retrouve le vétéran Alfred Šramek dans le Polizeikommissar et la plupart des rôles secondaires sont très correctement tenus (Caroline Wenborne en Jungfrau Marianne Leitmetzerin), mais un très bon point au chanteur italien de Benjamin Bruns : on a entendu ce jeune ténor à Bayreuth (Steuermann de Fliegende Holländer) avec un beau succès. Dans  le chanteur italien, il montre à la fois puissance, ligne de chant, contrôle vocal, tout cela suffisamment pour faire de sa brève intervention un vrai moment, et une belle démonstration de chant maîtrisé et juste. Quand je pense au massacre qu’en avait fait Marcelo Alvarez à la Scala…
On le voit, une distribution équilibrée, bien construite, qui sans être faite de vedettes, tient magnifiquement la scène, et naturellement très bien soutenue par le Kirill Petrenko.

Reste la mise en scène. Le lecteur connaissant mes goûts en matière de théâtre et de mise en scène à l’opéra se dira sans doute que j’ai souffert en silence en revoyant la mise en scène d’Otto Schenk. Et ce lecteur là aura tort. D’abord, j’ai vu de très belles mises en scène de Rosenkavalier (celle de Wernicke à Salzbourg, à Paris et à la Scala en est un exemple) tout le monde garde en mémoire les merveilleux décors de Ezio Frigerio à Paris dans la mise en scène de Rudolf Steinböck qui l’était moins, Kupfer à Salzbourg cet été m’a vraiment plu, mais dans l’ensemble, dans cette œuvre si référentielle (Vienne, le XVIIIème, Mozart, Cherubin etc…), une mise en scène traditionnelle ne me gène pas si elle est bien faite. Ici, Otto Schenk l’a refaite à la demande de Dominique Meyer, les mouvements, les gestes, les attitudes sont vraiment très justes, il y a une vraie vie souterraine dans ce travail et c’est l’une des grandes mises en scène de Otto Schenk, qui n’a pas d’âge, ou qui n’accuse pas son âge vénérable c’est donc un très beau travail. Elle fonctionne, en soi et sur le public. Et puis elle correspond tellement aux images qu’on a au fond de soi du Rosenkavalier qu’on ne peut que l’aimer. L’apparition de la Maréchale au 3ème acte, c’est presque l’apparition de toutes les Maréchales qui ont hanté ce lieu : on les imagine comme ça, on les aime comme ça, on les veut comme ça.
Comment prétendre mieux que pareil Rosenkavalier,  pas mieux au niveau de la justesse, pas mieux au niveau de la vérité, pas mieux au niveau du naturel : le mérite en est de la direction évidemment qui transcende la soirée. C’est à dire qu’il dégage définitivement Rosenkavalier et même Strauss de ce lieu commun crème et gâteau dont on l’accuse quelquefois ou dont on fait ses choux (à la crème) gras. Souvenez-vous de Fleming, maréchale crémeuse…Aucune pâtisserie dans ce Rosenkavalier aux volutes ioniques, aux formes arrondies mais rigoureuses du plus pur style Louis XV, à l’élégance racée : rien que l’essentiel, la catharsis de l’essentiel.[wpsr_facebook]

Acte I
Acte I