Puisque cette édition va faire l’objet de la seconde retransmission TV en direct de l’histoire du Festival, je voudrais m’arrêter sur la difficulté qu’a la télévision de rendre compte de spectacles qui nécessitent, pour être parfaitement perçus, d’une vision « directe » en salle. Une mise en scène de type traditionnel passe, parce que le téléspectateur a un horizon d’attente qui correspond grosso modo à ce qu’il va voir, mais dans le cas de mises en scène complexes, hyper-référentielles, dont la moindre image est un « parti pris » assumé, c’est beaucoup plus difficile. Peut-être ce Parsifal, plus spectaculaire que le Lohengrin de l’an dernier, séduira-t-il un peu plus, mais le spectacle est tellement foisonnant que je me demande ce qu’il en restera sur le petit écran.
La même remarque vaut pour le son. Déjà, le son TV d’un spectacle d’opéra rend-il souvent difficile à analyser une direction musicale (les voix, c’est plus facile), a fortiori à Bayreuth, au rapport scène-salle si particulier et si délicat qu’il est à mon avis impossible vu de la TV, d’émettre une opinion à partir de ce que les téléspectateurs vont entendre. Ce peut-être d’ailleurs un avantage pour les directions qui comme celles de Philippe Jordan, ne semblent pas s’être mises au diapason acoustique de cette fosse et de cette salle uniques en leur genre. Autant je me réjouis que la TV entre à Bayreuth, autant je sais que le résultat ne pourra jamais rendre la singularité du Festspielhaus et que le son apparaîtra comparable à tout ce qui se retransmet ailleurs, alors que c’est justement l’incroyable différence avec le reste des théâtres que le spectateur présent en salle perçoit.
Dans le cas de ce Parsifal, la mise en scène de Stefan Herheim est l’un des gros succès des dernières années (il a d’ailleurs été fortement applaudi par le public). Elle inscrit l’œuvre dans une double histoire, celle de l’Allemagne depuis l’Empire de Bismarck et Guillaume et celle de Bayreuth, puisqu’elle est la seule œuvre spécifiquement écrite pour la salle du Festspielhaus et en fonction de son acoustique. Il s’agit donc d’une lecture essentiellement historique, qui s’efforce aussi de démêler la complexité du mythe et de l’histoire de Parsifal, dont Wagner adapte librement le récit de Chrétien de Troyes et de Wolfram von Eschenbach, mais à qui il rajoute des éléments religieux d’ordre divers et une relation de Parsifal à sa mère Herzeleide dont Herheim fait le point de départ de toute l’œuvre, puisque le prélude représente à la fois la mort de la mère, mais aussi le refus de l’enfant Parsifal de répondre à la demande de baiser de sa mère mourante.
Ce baiser refusé, on le retrouve comme motif récurrent, notamment dans le rôle de Kundry, sorte de mère substitutive et initiatrice à la fois (on n’a jamais peur de l’inceste et de tout ce qui peut lui ressembler dans le monde wagnérien) . J’ai plusieurs fois dans ce blog rendu compte de cette mise en scène. Ce fut même cette production qui motiva l’ouverture de ce blog. Je reviens rapidement sur le concept de Herheim qui fait de Parsifal une sorte de mythe civil de l’Allemagne, qui lui fait revêtir les atours de Germania (1914) comme dans le portrait peint par Friedrich August von Kaulbach qu’on voit sur scène au premier acte. L’action se déroule dans le décor de Wahnfried, la demeure des Wagner, au premier acte pendant le Reich wilhelminien, jusqu’à la première guerre mondiale, moment de rêve (tous les personnages ont des ailes d’aigle) sous le regard naïf de Parsifal enfant qui regarde, qui dort, qui rêve et dont s’occupe une Kundry « gouvernante », avec ses références à la guerre, aux décors originaux du Parsifal de Bayreuth (la mise en scène de Parsifal à Bayreuth resta la même pendant plusieurs dizaines d’années, tant l’œuvre était sacralisée), le second acte se déroule dans l’entre deux guerres, s’ouvre sur un hôpital de campagne aux infirmières « gentilles » avec les blessés (les filles fleurs…), puis on passe aux années trente avec une Kundry vêtue en Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu (excellente idée), et aux années quarante, pour finir sur la destruction par Parsifal de ce monde du mal absolu qu’est l’Allemagne nazie. Ensuite, le troisième acte s’ouvre sur Bayreuth en ruines (Wahnfried a été bombardée et n’a été réouverte comme Musée qu’en 1976), mais non plus sur une vision directe, mais sur celle d’une une représentation de Parsifal à Bayreuth, claire allusion au Neues Bayreuth de Wieland et Wolfgang Wagner, vu comme symbole de la naissance d’une Allemagne nouvelle, d’ailleurs; en exergue, projetée, la fameuse phrase de Wieland et Wolfgang demandant aux artistes d’éviter des discussions politiques: « Hier gilt’s der Kunst », (Ici on traite d’art). Et Parsifal rédempteur d’une Allemagne civile peut intervenir pour libérer Amfortas dans le Bundestag, puis disparaître et laisser aller la place à une démocratie apaisée: l’Allemagne n’a plus besoin de sauveur, et nous sommes tous à Bayreuth pour célébrer cette renaissance. L’image finale reflète dans un miroir géant la salle éclairée par la seule colombe de la paix.
Mise en scène très détaillée, pleine d’idées diverses, et très spectaculaire avec ses changements de décors incessants dans la plus pure tradition du théâtre à machines, un chef d’œuvre technique.
A cette mise en scène très pertinente correspond une distribution un peu en dessous des années précédentes. Des Parsifal qui se sont succédé, Christopher Ventris, Simon O’Neill c’est le dernier, Burkhard Fritz qui est le moins intéressant. Le timbre est certes joli, mais la voix manque de puissance, et de couleur. L’interprétation reste un peu plate, même si on sait que Parsifal n’est pas un rôle à effets , Fritz n’est pas Parsifal!. La production n’a pas eu non plus de chance avec ses Kundry: Mihoko Fujimura n’était pas à l’aise dans un rôle qui demande des aigus fortement tendus, la Kundry du jour non plus, Susan McLean, aux qualités éminentes d’actrice, diseuse de texte remarquable (on l’a entendu dans Ortrud il y a trois jours), mais soit Ortrud a laissé des traces, soit Kundry ne lui convient pas, car là c’est nettement insuffisant, chaque aigu un peu tendu devient cri, et le final du second acte en regorge…et ces cris se supportent difficilement. La voix n’est pas suffisamment large pour passer dans ce rôle redoutable.
Detlev Roth en rajoute beaucoup dans Amfortas, il se roule, se tord de douleur. Bon, un peu surjoué, avec un timbre agréable, velouté, mais là aussi un certain manque de puissance. Rien à dire de Klingsor: la composition de Thomas Jesatko en travesti est étonnante et en fait un très beau Klingsor, rien à dire non plus des Filles Fleurs, à commencer par la délicieuse Julia Borchert, magnifique. Tant à dire en revanche du Gurnemanz de Kwanchoul Youn, qui fait une immense prestation, avec les mêmes remarques que pour son Marke, c’est à dire une vraie interprétation là où l’on avait seulement une performance vocale impressionnante mais un peu froide. La voix se colore, l’acteur se débloque, et même s’il fatigue un peu à la fin, on oublie bien vite tant le personnage est vécu.
J’oublie quelquefois de signaler comme toujours l’extraordinaire prestation du chœur, une phalange hors du commun, dont on ne cesse à chaque fois de découvrir, redécouvrir, jouir des qualités, mais c’est la force de l’habitude de l’excellence…. On sait ce que vaut le chœur de Bayreuth.
L’Orchestre cette année était dirigé non plus par Daniele Gatti, à Salzbourg pour Bohème, mais par Philippe Jordan, dont c’est la première descente dans la fosse. C’est une relative déception. Là où Gatti avait immédiatement perçu l’espace particulier de la fosse et du parcours des sons et avait su moduler et faire chanter l’orchestre, Jordan dont l’orchestre est très évidemment techniquement au point, produit un son monocorde, sans relief, sans espace sonore, sans grande épaisseur. Bien sûr, c’est Parsifal et c’est de la musique sublime, notamment les 10 dernières minutes, qui ne peuvent être ratées, mais on ne sent pas d’énergie, pas de sève, pas de tension: cela reste mou, sérieux certes, mais sans grand intérêt. Cela ne décolle jamais, ce n’est pas de la nourriture pour l’âme. Et de l’âme dans Parsifal, il en faut.
Beau succès final, sans être triomphant, quelques buhs très limités pour Kundry, Parsifal et le chef. Peut-être les représentations suivantes vont-elles gagner en sûreté sonore. C’est ce qu’on peut souhaiter aux téléspectateurs, mais au vu de cette première, nous n’y sommes pas encore tout à fait.
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Voir et écouter un tel opéra en un tel lieu à la TV, malgré toutes les imperfections que vous soulignez, est tout de même « extra »ordinaire pour qui n’est pas en situation (coût, réservation, déplacement, etc) d’y assister.
Nous ne pouvons que souhaiter le renouvellement de tels évènements.
Question (qui n’a rien à voir avec mon commentaire): on assiste parfois à des mises en scène déconcertantes, « orientées », voire farfelues: dans quelle mesure les chanteurs s’en font ils complices? Certains , plus clairvoyants que d’autres n’essayent ils pas de faire évoluer les mises en scène proposées?
Bonjour
En général les chanteurs font ce que la mise en scène demande. Seules quelques « stars » peuvent influer sur la mise en scène (Natalie Dessay par exemple) ou même refuser de chanter. Mais c’est très rare.
En ce qui concerne Bayreuth, les chanteurs savent qu’ils vont avoir à faire avec des mises en scènes « déconcertantes » et l’acceptent parce que chanter à Bayreuth est un enjeu important pour eux.Disons que certains « subissent »…en silence.
Bien à vous
Guy Cherqui
Naturellement je m’associe aux 2 commentateurs précédents Mais je m’interroge quant à moi sur la passivité des spectateurs, lesquels depuis des décennies subissent des mises en scène proprement insoutenables – celle de hier atteint des sommets en particulier pour tous ceux qui frissonnent à la vue de certains « uniformes » 70,14,39.
Ces spectateurs, que l’on voit déambuler avant la levée de rideau derrière Madame Gerlach, propres sur eux, bobo mais aristo-tradi-mélomanes comment supportent-ils les extravagances laides et naturellement obscènes de tous ces metteurs en scène au service de leur seul ego.
Eh bien moi, je ne subirai pas en silence, Na !
J’ai regardé comme tant d’autres à la TV. Bien d’accord avec vous sur les inconvénients de ce media. Le son était d’une pauvreté affligeante.
D’accord cependant avec la beauté des choeurs de Bayreuth. Mais j’ai eu l’impression que c’était le seul élement encore vivant de la grandeur de Bayreuth.
Tout le reste (je vais vite) n’était qu’une immense supercherie, jusqu’à la direction de Jordan qui, ici, ne faisait vraiment pas honneur à son père.
Quant à Wagner, il a dû se retourner dans sa tombe devant pareil sacrilège.
Je vais vite finir de me dégoûter de Bayreuth. D’ailleurs autant que de tout l’opéra, face à tant de mises en scène scélérates.
N’empêche que dès les premières mesures vous ne pouvez plus vous en détacher, même pour aller jeter un coup d’œil rapide sur les résultats des J.O. sur les chaines concurrentes à la même heure: La musique de Wagner vous anesthésie!
Stefan Herheim, talentueux;
Scène de Bundestag au dernier acte,très inspiré.
personnellement , j’ai trouvé le son très bon (avec mes Hp et mon ampli)
Pour le reste , j’ai tenu jusqu’à la partie chant ,( après l’ouverture) la mise en scène n’a évidemment rien à voir avec le livret !
Pourquoi ces metteurs en scène qui ne cherchent pas à mettre en valeur les idées, les situations, les sentiments originelles de façon intemporelle mais à les rendre incompréhensibles ne suscitent ils pas de nouveaux opéras permettant d’exprimer pleinement leurs idées? Ils seraient libérés du livret et de la musique! Les auteurs et les compositeurs auraient ils du mal à traduire leur créativité …….?