DE NEDERLANDSE OPERA 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON D’AMSTERDAM

Plus proche que New York, à portée de TGV (même si le Thalys pratique des prix exorbitants) qui permet l’aller-retour dans la journée, Amsterdam reste un théâtre toujours attirant. Il est rare d’y voir des spectacles médiocres: mise en scène soignées, distributions bien équilibrées et bien construites, direction musicale de grande qualité. En allant à Amsterdam, on a toujours la garantie de voir au moins un spectacle qui tient la route, même si ce n’est pas forcément le spectacle de l’année. N’ayant pas d’orchestre maison, on peut y entendre la plupart des formations néerlandaises. La saison prochain sera fortement marquée par Wagner: deux cycles complets du Ring (fin janvier-mi février) et des représentations séparées de Siegfried (septembre) et Götterdämmerung (Novembre) avec le Nederlands Philharmonisch Orkest . Pas de nouvelle production, il s’agit de la production jolie mais sage de Pierre Audi dans des décors de Georges Tsypin, pas de nouveau chef, c’est Hartmut Haenchen qui a toujours porté ce Ring qui le portera à nouveau. je sais qu’il n’est pas toujours apprécié et je trouve cela injuste. Quant à la distribution,  pour le rôle de Siegfried elle varie entre septembre-novembre (Stephen Gould) et janvier-février (Stig Andersen). On préfèrera Gould; on y écoutera avec attention la Sieglinde de Catherine Naglestad face à la Brünnhilde de Bayreuth, Catherine Foster, quant à Wotan, ce sera Thomas Johannes Mayer. Une distribution intéressante, solide, composée de chanteurs de référence dans le monde wagnérien.

Les saisons d’Amsterdam sont toujours très équilibrées et s’appuient sur tous les répertoires, du baroque au contemporain. On y verra donc en octobre Armide de Glück, avec le Nederlands Kamerorkest, et ce sera sans doute un événement, puisque c’est l’échevelé Barrie Kosky, directeur de la Komishe Oper de Berlin qui en signera la mise en scène, la direction étant confié à un spécialiste de ce répertoire, Ivor Bolton. En décembre, Marc Albrecht, directeur musical de l’Opéra d’Amsterdam, y dirigera le Residentie Orkest (L’Orchestre de la Résidence de La Haye) dans  Le joueur de Prokofiev assez rare sur nos scènes (le livret n’est pas facile il est vrai) dans une mise en scène d’Andrea Breth avec  Nadja Michael. Le répertoire italien sera représenté par Lucia di Lammermoor (mars-avril), avec le pâle Carlo Rizzi dirigeant le Nederlands Kamerorkest avec Marina Rebeka dans une mise en scène de Monique Wagemakers et surtout par le Falstaff de fin de saison (juin 2014) , dans la mise en scène de Robert Carsen (Covent Garden, Scala, MET) avec Daniele Gatti au pupitre du Koninklijk Concertgebouworkest, deux motifs pour y courir, avec une distribution solide (Ambrogio Maestri, Daniela Barcellona, Fiorenza Cedolins, Christian van Horn) qui devrait valoir le voyage.
Arabella
de Strauss, prévue en avril et mai, affiche une distribution honnête dominée par Annette Dasch dans Arabella, avec Charlotte Margiono, Agneta Eichenholz et James Rutherford dans Mandryka, dirigée par Marc Albrecht dont c’est le répertoire avec le Nederlands Philharmonisch Orkest dans une production de Christof Loy que je n’apprécie pas toujours.
En revanche le Faust programmé en mai 2014 semble bien attirant par le cast affiché: Michele Fabiano dans Faust, Mikhail Petrenko dans Mephisto et la jeune Sonya Yoncheva dans Marguerite. J’ai déjà dit l’impression excellente faite par  cette jeune chanteuse à Monte Carlo dans Traviata, il sera fort intéressant de l’entendre dans Marguerite. Elle y sera entourée de l’excellente Marianne Crebassa (Siebel) et de l’inusable Doris Lamprecht dans Marthe. De plus Marc Minkowski dirigera le très bon Rotterdam Philharmonisch Orkest. Beaucoup d’arguments militent donc pour le voyage, d’autant que la mise en scène est assurée par Alex Ollé et la Fura dels Baus.
Pas de saison à Amsterdam sans une création (en général en collaboration avec le Holland Festival), ce sera cette fois Laïka, du nom de la chienne qui pour la première fois fut envoyée dans l’espace avant Gagarine. le livret de P.F.Thomèse est une pièce ironique et satyrique sur la volonté d’un présentateur vedette de la TV de fuir le monde pour tourner éternellement dans l’espace, attiré par Gagarine et Laïka dans leur voyage éternel. On peut même vivre sans TV. L’orchestre Asko|Schönberg et le choeur VOCAALLAB seront dirigés par Etienne Siebens dans une mise en scène de Aernout Mik, célèbre plasticien néerlandais.
On pourra donc sans crainte passer quelques week ends ou même seulement quelques dimanches à Amsterdam; pour ma part j’en vois cinq possibles: Siegfried et Götterdämmerung en septembre et novembre, Armide en Octobre, Faust en mai et Falstaff en juin, et les plus curieux pourront y ajouter Le Joueur en décembre. L’abondance de l’offre et la bonne qualité moyenne plaident pour Amsterdam.
D’ailleurs dès cette année prenez y vos marques en allant voir Die Meistersinger von Nürnberg (juin 2013, mise en scène David Alden) avec Thomas Johannes Mayer, Adrian Eröd, Roberto Sacca et Ana Maria Martinez (Direction Marc Albrecht) et surtout Death in Venice de Britten dans la production de l’ENO (Deborah Warner) avec l’excellent John Graham Hall  et sous la direction d’Edward Gardner à la tête du Rotterdam Philharmonic Orchestra.
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METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

C’est presque le printemps, et avec le printemps, les fleurs et les promesses des nouvelles saisons. Le MET, presque en même temps que Paris, annonce les fleurs newyorkaises de la saison 2013-2014. 26 titres, et 6 nouvelles productions dont une création américaine, Two Boys de Nico Muhly, et Eugène Oneguine  (Gergiev-Deborah Warner) Die Fledermaus (Adam Fischer-Jeremy Sams) Werther ( Alain Altinoglu – Richard Eyre) Le Prince Igor (Gianandrea Noseda-Dmitri Tcherniakov) et Falstaff, dans la production de Robert Carsen vue à la Scala et à Covent Garden sous la direction de James Levine, qui revient au pupitre du MET diriger deux reprises (Cosi’ fan tutte et Wozzeck) et ce dernier Falstaff.
La politique de Peter Gelb est très discutée: on lui reproche pêle-mêle son coût, ses choix esthétiques, sa politique de communication. La volonté affichée du manager du MET est de rajeunir l’image de la maison, productions surannées, peu de créations, public vieillissant (il y a trois ans, il constatait que son public chaque année vieillissait un peu plus). Donc il essaie de faire appel à la fois à des metteurs en scène vraiment novateurs (Tcherniakov cette année), mais aussi essaie de rajeunir les productions et d’attirer le grand public en même temps (cela ne va pas de soi sur un public plutôt conservateur) en appelant des metteurs en scènes de musical, comme Michael Mayer pour Rigoletto , ou l’an prochain Jeremy Sams pour Fledermaus, à qui il avait déjà confié The enchanted Island (un spectacle pot pourri d’œuvres baroques porté par Placido Domingo qui a remporté une succès immense) qui sera d’ailleurs repris la saison prochaine (toujours avec Domingo et Susan Graham).
Mais la marque du MET, ce sont les distributions qui affichent les grandes stars américaines du chant (Graham, Fleming, Meade, Radvanovski, Racette) mais aussi les autres (Kaufmann, Garanca, Domingo, Alagna, Schwanewilms, Beczala, Villazon, Damrau, Netrebko etc…): en bref tout le chant mondial qui compte défile au MET chaque saison.
Du point de vue des chefs, c’est un peu plus contrasté. Le MET use beaucoup de chefs de répertoire éprouvés, même si chaque saison un ou deux chefs de grand renom descendent dans la fosse. L’an prochain, notons, outre James Levine dont c’est le retour après deux ans d’absence, Valery Gergiev (alternant avec deux autres chefs) en début de saison avec Eugène Onéguine dans une distribution magnifique Anna Netrebko dans son répertoire (alternant avec Marina Poplavskaia), Mariusz Kwiecen alternant avec Peter Mattei et Piotr Beczala avec Rolando Villazon. Valery Gergiev dirigera aussi Le Nez de Chostakovitch dans la mise en scène de William Kentridge, vue à Aix et à Lyon. Notons aussi James Conlon qui dirigera A Midsummer Night’s Dream pour le centenaire de Britten, David Robertson au pupitre de la création américaine de Two Boys (créé à l’ENO de Londres en 2011) dans la mise en scène de Barlett Sher (qu’on commence à bien connaître en Europe, voir son Roméo et Juliette à Salzbourg), Vladimir Jurowski Die Frau ohne Schatten, reprise d’un spectacle de Herbert Wernicke avec Anne Schwanewilms et Torsten Kerl, Edward Gardner dirigera Der Rosenkavalier pour le centenaire de la première au MET (Martina Serafin en Marschallin et Elina Garanca en Oktavian, Mojka Erdmann en Sophie et le  Ochs de toutes les scènes désormais, Peter Rose).  À Adam Fischer est confiée Die Fledermaus dans une mise en scène de Jeremy Sams, avec Susanna Phillips, Christopher Maltman, Christine Schäfer. Distribution de luxe de LElisir d’amore (Netrebko, Schrott, Vargas, Alaimo) mais chef de répertoire (efficace cependant), Maurizio Benini et Barlett Sher comme metteur en scène. Un spectacle à ne pas manquer, peut-être avec Eugène Onéguine le plus excitant sera la reprise de Rusalka de Dvorak, dans la vieille mise en scène de Otto Schenk, dirigé par Yannick Nézet-Seguin, et avec Renée Fleming, Emily Magee, Piotr Beczala, Dolora Zajick dans Jezibaba et John Releya: à mon avis cela vaut la traversée de l’Océan. Autre curiosité , qui manque depuis un siècle au MET, mais je suppose aussi depuis pas mal de temps ailleurs, une nouvelle production du Prince Igor, de Borodine, confiée à la baguette de Gianandrea Noseda qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, aux soins du plus attendu Dmitri Tcherniakov qui sans nul doute décoiffera un peu, et une distribution russophone pur sucre dominée par Ildar Abdrazakov, où l’on note Anita Rachvelishvili, Michail Petrenko, et même Oksana Dyka, dont on espère qu’elle est meilleure dans ce répertoire que dans Verdi.
A la même époque que Rusalka et Prince Igor, il fera courir les foules et pleurer Margot (ou Sabrina, ou Jennifer), Jonas Kaufmann pour son unique apparition à New York sera Werther aux côtés de Elina Garanca, sous la baguette sans doute heureuse d’Alain Altinoglu et dans la mise en scène (c’est une nouvelle production) de Richard Eyre, grand metteur en scène de théâtre britannique, et réalisateur, à qui l’on doit la mise en scène de La Traviata dirigée par Solti avec Angela Gheorghiu à Londres en 1995 (avec DVD subséquent) et la plus récente Carmen du MET (Alagna, Garanca). James Levine, Thomas Hampson, Deborah Voigt est l’affiche de la reprise de Wozzeck (mise en scène Mark Lamos). Notons une Sonnambula avec Diana Damrau (mise en scène Mary Zimmermann, direction Marco Armiliato), un Andrea Chénier bien pâle (direction Noseda avec Patricia Racette et Marcelo Alvarez, mise en scène Nicolas Joel), des Puritani antiques (mise en scène Sandro Sequi) mais dirigés par Michele Mariotti, comme à Paris, avec Olga Peretyatko et Mariusz Kwiecien, une Arabella de série avec tout de même Michael Volle, Genia Kühmeier et Malyn Bylström dirigée par Philippe Auguin, et la saison se conclut par une Cenerentola de luxe avec Joyce Di Donato et Juan Diego Florez, dirigée par Fabio Luisi qu’on n’aura pas vu beaucoup dans la saison 2013-2014. J’ai passé sous silence les Bohème et Tosca de répertoire, mais je n’oublie pas Norma avec Sondra Radvanovsky et Kate Aldrich, dirigée par l’ordinaire Riccardo Frizza, et mise en scène par John Copley…tout cela date terriblement, mais c’est Norma, et c’est suffisamment rare pour qu’on en fasse cas.

Une saison variée, qui,  après plusieurs année focalisées sur Wagner, focalise plutôt sur le répertoire slave (Rusalka, Le Prince Igor, Le Nez, Eugène Onéguine) sans un seul Wagner. Si vous envisagez d’aller à New York, et de voir des spectacles du MET, la période octobre-décembre s’y prête (Le Nez, Onéguine), et même si vous voyez Eugène Onéguine sans Gergiev ni Netrebko, vous n’y perdrez pas à entendre Peter Mattei et Marina Poplavskaia sous la direction d’Alexandr Vedernikov, le chef qui a dirigé 9 ans le Bolshoï vaut dans ce répertoire Gergiev (c’est Moscou face à Saint Petersbourg). La deuxième période favorable, c’est février (attention aux neiges!) pour combiner Rusalka, Le Prince Igor, Werther: trois jours de fête lyrique à ne pas manquer . Dernière proposition, avril 2014 en combinant La Cenerentola, I Puritani, Cosi’ fan Tutte. Et si vous préférez d’autres périodes, il y aura toujours au MET quelque chose à se mettre sous la dent avec des distributions en général attirantes (mais pas toujours les chefs souhaités) et des productions passables pour la plupart, et de toute manière au pire New York a d’autres atouts et n’est pas le genre de ville où l’on s’ennuie le soir.
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OPÉRA DE PARIS 2013-2014 : QUELQUES MOTS SUR LA PROCHAINE SAISON

19 titres dont 8 nouvelles productions assez variées, faisant la part belle au répertoire italien (Traviata, Bohème, Lucia di Lammermoor, I Puritani, Capuleti e Montecchi, Madame Butterfly, l’Italiana in Algeri) et à l’entrée au répertoire de deux titres italiens importants, Aida de Verdi et La fanciulla del West de Puccini, trois titres des XVIIème et XVIIIème (Alceste et l’Incoronazione di Poppea, nouvelles productions,  et une reprise d’Alcina de Haendel dirigée par Christophe Rousset), trois Mozart (reprises du très quelconque Cosi’ fan tutte mis en scène par Ezio Toffolutti, pure série de répertoire et de la Clemenza di Tito dans la production de Willy Decker et la direction digne de curiosité de Tomas Netopil) et une nouvelle production de Die Zauberflöte (celle de Baden-Baden, qui le mois prochain sera dirigée par Sir Simon Rattle avec les Berliner Philharmoniker) une nouvelle production d’Elektra de Strauss (Carsen…) et deux reprises marquantes de l’ère Mortier, le Tristan und Isolde de Wagner dans la production désormais légendaire de Peter Sellars et Bill Viola,   de Vec Makropoulos de Leoš Janáček dans celle de Krzysztof Warlikowski et enfin une reprise du  Werther de Benoît Jacquot mais cette fois avec Roberto Alagna et Karine Deshayes: voilà un ensemble de titres divers, équilibré, qui devrait séduire le public.
Le Diable se cachant dans les détails, en regardant attentivement distributions, mises en scène et chefs,  on remarque quand même que Robert Carsen est appelé quatre fois soit à peu près 1/5 des spectacles dont deux nouvelles productions (Elektra et Zauberflöte), ce qui me paraît excessif. Mais Robert Carsen est un metteur en scène qui convient à un public d’opéra, d’un modernisme non dérangeant et peu provocateur: ce n’est pas un hasard s’il écume les scènes d’Europe.
Le cas d’Olivier Py est différent: il est devenu en quelques années le provocateur officiel du monde de l’opéra, même si ses mises en scènes lyriques ne font pas l’unanimité (ex. sa Carmen de Lyon, ou même sa Lulu de Genève). Cette saison, Nicolas Joel lui confie deux mises en scène, celle d’Alceste de Gluck dirigée par Marc Minkowski avec Roberto Alagna (et Yann Beuron, plus “conforme” à l’habitude) dans Admète et Sophie Koch en Alceste, et celle de Aida, dirigée par Philippe Jordan, avec une distribution  médiocre, sinon pire. Si l’Amneris de la distribution A (Luciana d’Intino) est une grande professionnelle qui sait (bien) chanter, l’Aida est Oksana Dyka, qui promène sa nullité sur les scènes, et qui alternera avec Lucrezia Garcia, une chanteuse sans grand intérêt mais peut-être meilleure dans Aida que dans Abigaille où je l’ai entendue à la Scala. Le ténor sera Marcelo Alvarez, décevant les dernières fois que je l’ai entendu et lui alternera avec Robert Dean Smith, qu’on écoutera avec curiosité dans un rôle italien. Cette Aida ne promet rien, mais vraiment rien de formidable sur le plateau, mais le public viendra sans doute pour Olivier Py qui a n’en pas douter s’en donnera à cœur joie.
Les autres nouvelles productions  sont distribuées de manière inégale: celle de Zauberflöte est correcte (Breslik, Kleiter, Selig), celle d’Elektra affiche Waltraud Meier en Klytämnestra de grand luxe et Irene Theorin en Elektra ce qui nous promet des décibels. Il faut simplement espérer que Philippe Jordan saura faire sentir l’odeur de sang dans la fosse. Pour Fanciulla del West, on se précipitera pour entendre Nina Stemme dans Minnie, mais pas pour Marco Berti (Dick Johnson) et Claudio Sgura (Jack Rance) ni pour le chef, le pâle Carlo Rizzi. Quant à Nicolaus Lehnhoff, c’est un bon faiseur, aujourd’hui quand même un peu dépassé. Laurent Pelly en revanche a souvent la main heureuse à l’opéra et on lui a confié I Puritani, qui manque à l’Opéra depuis des siècles, c’est Michele Mariotti (Rigoletto au MET récemment, voir mon compte rendu)  qui en assurera la direction musicale et dans la distribution, quatre noms dignes d’intérêt, Dmitry Korchak dans Talbot, Michele Pertusi dans Sir Giorgio,  surtout Marius Kwiecien dans Sir Riccardo Forth et enfin la jeune Maria Agresta, dont on parle vraiment beaucoup en ce moment, dans Elvira. C’est sans doute l’une des distributions les plus équilibrées et prometteuses de la saison.
Pour Traviata, la mise en scène de Benoît Jacquot ne nous promet pas la révolution, mais peut-être une certaine élégance, la distribution avec Diana Damrau et Ludovic Tézier sera à la hauteur, bien moins avec Francesco Demuro dans Alfredo. Quant à la direction de Daniel Oren, elle donnera une grande sécurité à l’orchestre mais gageons qu’elle ne jouera pas la subtilité…Ne pouvait-on pas trouver un jeune chef italien plutôt que l’habituel Oren?
Enfin l’Incoronazione di Poppea est confiée à Robert Wilson dont on reverra par ailleurs la Madama Butterfly: les derniers spectacles de Wilson sont des éternelles répétitions des premiers: espérons que les amours de Néron et de Poppée l’inspireront un peu plus. En tous cas c’est une excellente idée d’appeler Rinaldo Alessandrini et le Concerto Italiano pour diriger une distribution honnête, dans la tradition actuelle de la représentation baroque.
Certaines reprises sont distribuées avec soin comme cette Bohème dirigée (encore!) par Daniel Oren, où alternent trois Mimi, Maria Agresta (à écouter), Angela Gheorghiu et surtout la jeune Anita Hartig qui fait merveille dans ce rôle (si vous ne pouvez y aller qu’une fois, c’est elle qu’il faut choisir) et trois ténors: Stefano Secco, Piotr Beczala, Massimo Giordano: des trois c’est Beczala que je choisis, mais il est affiché avec Gheorghiu que je ne supporte plus depuis longtemps.
On retrouve des chanteuses favorites de la maison, un peu fades comme Ricarda Merbeth, Chrysothemis dans Elektra, et Emilia Marty dans Makropoulos qui a toujours toutes les notes, mais pas toujours la personnalité (ce qui pour Makropoulos est gênant après la fantastique Angela Denoke) . Enfin la reprise de Lucia di Lammermoor offre outre les vedettes du cast A Patrizia Ciofi, Vittorio Grigolo et LudovicTézier (qui veut écouter Ciofi devra supporter Grigolo…) un cast B que je recommande vivement: Michele Fabiano a un plus joli style que Grigolo, Georges Petean est un bon baryton, mais surtout, découvrez la jeune Sonya Yoncheva qui vient de faire à Monte Carlo une Traviata merveilleuse: elle vaut le détour. En revanche après avoir entendu Netrebko et Di Donato (sous Mortier) dans I Capuleti ed I Montecchi (encore Carsen!) je me demande comment Deshayes et Siurina pourraient effacer ce souvenir.
Si la diversité des titres est une excellente chose, si les cast, avec les hauts et les bas, font  découvrir quelques chanteurs neufs dont on fait grand cas (Anita Hartig, Sonya Yoncheva, Michele Fabiano, Pavol Breslik, Varduhi Abrahamyan ou la jolie Myrto Papatanasiu), il reste dans les productions et dans les chefs, une singulière timidité: on est dans les valeurs consommées ou à la mode pour les mises en scènes, et dans les chefs confirmés, sinon consumés, la plupart du temps pour les reprises comme les nouvelles productions. Si, comme c’est légitime, Philippe Jordan se réserve quelques titres importants, pour le reste ( Bohème,  Cosi’ fan tutte,  l’Italiana in Algeri, Capuleti)  on aurait pu au moins faire un petit effort d’originalité ou tenter de jeunes chefs.
Enfin, nous reverrons l’an prochain le magnifique Tristan de Sellars, avec une distribution renouvelée mais qu’on connaît bien (Urmana, Dean Smith) et la direction de Philippe Jordan qui aura sans doute du mal à faire oublier le merveilleux Salonen des origines. Qu’importe, on ira, pour Sellars, pour Viola, et pour ce final magique.
Il y aura des choses à voir et à écouter à Paris l’an prochain, dont la programmation est un peu plus excitante que la présente saison. On ne peut que s’en réjouir, même si deux des nouvelles productions qui sans nul doute attireront bien du public, Aida et Fanciulla del West  ne présentent vraiment pas (Stemme et D’Intino mises à part) de distributions dignes d’intérêt, et même si l’ensemble ne déclenchera pas un enthousiasme débordant. Les propositions néanmoins passent un peu mieux que l’aimable médiocrité à laquelle on était habitué.  Pour quelques  spectacles et pour écouter de nouvelles voix, on retrouvera un peu de curiosité et un peu de plaisir à aller à Bastille ou Garnier en 2013-2014.

OPER LEIPZIG 2012-2013: DIE FEEN de Richard WAGNER le 24 février 2013 (Dir.mus: Ulf SCHIRMER; Ms en scène Renaud DOUCET)

Acte I ©Kirsten Nijhof

Fallait-il remonter Die Feen? La presse allemande a été divisée là-dessus, le plus radical étant Manuel Brug dans Die Welt qui affirme non seulement qu’il ne fallait pas le faire, mais que c’est une honte qui déshonore Leipzig d’avoir investi dans l’opération. Excessif.
Cette année de bicentenaire est évidemment l’occasion de remonter ces œuvres peu connues qui  élargissent notre connaissance de l’œuvre: c’est toujours stimulant d’en apprendre un peu plus sur son compositeur chéri.
La production de Leipzig cependant ne restera pas dans les mémoires, et on peut s’en étonner: vu les feux de la rampe braqués sur Wagner et son bicentenaire, sur les représentations de Bayreuth et sur le partenariat Bayreuth/Leipzig, on pouvait penser qu’un soin tout particulier aurait été mis sur la distribution d’un ouvrage il est vrai très difficile à bien distribuer puisqu’il exige un soprano qui soit à la fois une Leonore de Fidelio,  une Agathe et une Elsa, et un ténor qui soit un peu Siegfried, un peu Max et un peu Florestan. Si nous y sommes presque avec Christiane Libor comme soprano dans Ada, nous en sommes loin, très loin avec Arnold Bezuyen dans Arindal. Et dans l’ensemble, cela reste bien médiocre.
C’est un peu paradoxal vu l’absence de ces œuvres sur les scènes, mais il existe un certain nombre d’enregistrements des opéras de jeunesse de Wagner et chacun peut donc se faire une opinion ou se construire une culture. En ce qui concerne Die Feen, une version intéressante et assez abordable (30€) avec les forces de l’opéra de Francfort dirigées par Sebastian Weigle vient de sortir, et il existe au même prix une version dirigée par Gabor Ötvös avec les forces du Théâtre de Cagliari, mais la référence de l’ouvrage reste l’enregistrement de Wolfgang Sawallisch, un coffret assez cher (60€ environ chez Orfeo) qu’il faut se faire offrir.
Wagner a 20 ans en 1833 et il produit une de ces œuvres où il va mettre presque tout ce qu’il sait, et un peu de ce qu’il fera. En 1833, le théâtre de Leipzig n’en veut pas et il faudra attendre le 19 juin 1888 pour que l’opéra soit créé à Munich sous la direction de Franz Fischer (mais avec Richard Strauss comme répétiteur, poussé par Hermann Levi le créateur de Parsifal). Finalement la première représentation à Leipzig a lieu en 1938, et c’est dans cette ville la seconde fois que l’opéra est monté. Si dans l’histoire de l’œuvre on compte pas mal de représentations concertantes, il y encore peu de productions, dont celle début 2009 au Châtelet, dirigée par Marc Minkowski, dans une mise en scène d’Emilio Sagi, avec déjà Christiane Libor.
L’histoire, inspirée d’un conte de Carlo Gozzi, La donna serpente, raconte les amours de Arindal, héritier d’un royaume de Tramond, avec Ada, une fée rencontrée en chassant une biche, à qui il est permis pour un temps (8 ans)  d’aimer ce mortel, à condition qu’il ne lui demande jamais qui elle est. Ils ont le temps de s’aimer, d’avoir deux enfants, mais Arindal pose la fatale question et se trouve expulsé du royaume des Fées. Il revient dans son royaume ravagé par la guerre, décide de le défendre contre l’ennemi et Ada est résolue à le suivre et à devenir mortelle, mais  lui impose des épreuves pour vérifier la solidité de son amour: elle lui fait notamment voir son armée décimée par un ennemi dont elle a pris la tête et  fait disparaître leurs enfants dans les flammes. Horrifié, Arindal la maudit et se trouve incapable d’aller défendre son pays contre l’ennemi: mais Ada lui révèle que tout cela n’était que sortilèges, mais maudite par son amour elle a perdu son pari et doit rester pétrifiée 100 ans avant de redevenir immortelle.
Arindal est désespéré et abdique, pendant que Morald défend le royaume et en devient le roi, partageant le pouvoir avec Lora, soeur d’Arindal. C’est alors que l’enchanteur Groma lui remet épée, bouclier et lyre. Tel Orphée muni de sa lyre, il enchante le royaume des morts et les pierres se réveillent et libèrent Ada. Tout est bien qui finit bien, Arindal est rendu immortel et aimera Ada à jamais.
On retrouve des thèmes déjà exploités à l’opéra (les épreuves, dans Zauberflöte, sauf que là, Arindal perd) ou bien évidemment le mythe d’Orphée qui enchante la monde par son chant. On retrouve aussi la question de l’identité si chère à Wagner (Lohengrin…) puisqu’on y retrouve la question à ne pas poser.
Du point de vue musical, l’influence de Weber se fait sentir, mais aussi de Marschner, mais aussi de Schubert,  mais aussi de Beethoven, mais aussi de Mozart (scène de dépit amoureux de Gernot et Drolla) dans une œuvre haletante, au rythme un peu répétitif, aux longueurs marquées, avec cependant de jolis moments. Ecouterait-on Die Feen si Wagner n’avait pas écrit le reste, sans doute pas, mais on écoute aussi les œuvres en fonction d’une histoire, d’une construction, d’un futur: on reconnaît donc çà et là des esquisses mélodiques qui donneront des airs fameux du deuxième acte de Tannhäuser, quelques éclairs qu’on retrouvera aussi dans Fliegende Holländer, en bref, le premier “grand” Wagner puisera dans ces archives là. Mais déjà Wagner se montre impitoyable avec les voix et notamment avec sa soprano à qui il impose un air au deuxième acte de plus de dix minutes qui épuise la chanteuse et avec son ténor aux aigus massacrants.
La mise en scène est de Arnaud Doucet et les décors et costumes d’André Barbe, une paire franco-canadienne qui fonctionne ensemble telle la paire Patrice Caurier-Moshe Leiser ou Jossi Wieler-SergioMorabito.
L’idée de départ en est assez banale: une famille est réunie à Leipzig (salon, cuisine américaine, réunion familiale) et le père écoute une retransmission des Fées de Wagner à l’Opéra de Leipzig, il plonge dans l’œuvre (ce qui, dirait Manuel Brug, est déjà héroïque!) à ce point qu’il va s’identifier avec le héros. A la fin, il retourne à son état de père de famille moderne, quand son épouse rentre de la salle de sport: toute la soirée, il sera habillé d’un cardigan rouge-orange et jamais il n’endossera les habits de preu chevalier.
Cela donne ainsi l’occasion de changements de décors fréquents, utilisant à plein la machinerie de Leipzig: ponts, tournette, apparitions d’un monde légendaire quelquefois réussi

L’arbre…©Tom Schulze

(l’apparition initiale des fées au pied d’un arbre très suggestif), d’autres fois moins (le palais d’Arindal, calqué sur la salle des Minnesänger de Neuschwanstein ou la descente aux enfers par une rampe d’escalier infinie) mais toujours entre le rêve/le dessin d’enfant et la maison de poupée.

Acte II ©Kirsten Nijhof

Une mise en scène non dérangeante, assez lisible, plus lisible en tous cas que celle de Emilio Sagi au Châtelet, mais moins jolie aussi. Peu de travail d’acteur, quelques éléments ironiques sur la manie de l’amateur d’opéra, sur la caricature des légendes médiévales, sur le théâtre aussi avec ses fumées, ses disparitions, sa magie. Mais tout cela manque singulièrement de poésie (sauf le tableau initial des Fées, vraiment très réussi) et globalement d’intérêt (mais ce livret permet-il autre chose?).
Musicalement, Ulf Schirmer dirige l’orchestre du Gewandhaus et c’est donc dans l’ensemble réussi dans la fosse, précision, rondeur, justesse: on se prend pourtant à rêver de ce que d’autres chefs auraient pu faire de cet orchestre, Minkowski d’abord, dont les Musiciens du Louvre au Châtelet étaient plus ductiles, plus vifs, plus légers, plus imaginatifs, mais aussi un Harding ou même un Weigle dont le récent enregistrement est plus clair et plus dynamique. On pense aussi au regretté Sawallisch!
L’ouverture, qui est longue (presque quinze minutes) devrait pour “passer” être menée sur un autre rythme, moins lourd, moins massif, moins pâteux, elle en devient ainsi interminable. Le moment le plus réussi est le deuxième acte, plutôt allégé, plutôt bien conduit, bien mené, et qui montre les qualités de souplesse éminentes de l’orchestre.  Ulf Schirmer, bon chef de répertoire, n’est pas un inventeur et il me semble que pour faire vivre cette musique pleinement, il faut inventer, dans les contrastes, dans la couleur, dans la syncope des rythmes, dans les passages de la vivacité au lyrisme plus contenu: la baguette de Schirmer n’est pas magique ou n’a pas la magie voulue pour cela.
Il reste que l’accompagnement orchestral est ce qu’il y a de meilleur au niveau musical, car le chœur (chef de chœur Alessandro Zuppardo), très sollicité, est très décevant, un ton en-dessous, jamais vraiment protagoniste alors que ses interventions mériteraient une meilleure mise en valeur. C’est pourtant un chœur habitué à Wagner, mais ici il m’a semblé moins en forme que d’autres fois.
Mais le véritable point noir, c’est la distribution formée de membres de la compagnie locale, corrects et d’invités (les Gäste), plus en difficultés. Dans les bonnes surprises, la Drolla de Jennifer Porto et de Gernot de Milcho Borovinov, bien en place, sonores, vifs en scène. Le magicien Groma assez élégant vocalement de Igor Durlovski, apparaissant en final comme Deus ex machina,  costumé en Wagner, Guy Mannheim en Gunther et Roland Schubert en Harald, très acceptables et les deux fées dont les noms sont pris à Gozzi Zemina (Viktorija Kaminskaite) et Farzana ( Jean Broekhuizen), l’ensemble des rôles de complément n’appelle pas de remarques acerbes au contraire des protagonistes
Detlef Roth en Morald s’en sort bien dans les deux premiers actes, mais son troisième acte est un naufrage, les aigus ne passent pas, la voix se coince, sans aucune ductilité et finit par produire des sons inappropriés pour le moins. Ce chanteur entendu dans Amfortas à Bayreuth m’a surpris. J’attendais bien mieux. Très décevant.
La Lora de Eun Yee You pourtant vaillante et brave n’a pas du tout le calibre voulu: elle ne fait pas de faute de chant, elle s’en sort même pas si mal eu égard à cette voix minuscule qui n’a pas le volume ni la largeur exigée par ce rôle. Elle doit s’imposer face à l’orchestre, notamment au début du deuxième acte, réussit tant bien que mal par la technique à exister, mais c’est vraiment tout petit. Une voix très légère de soubrette pour un rôle de soprano lyrique: cela coince forcément.
Arnold Bezuyen dans Arindal n’a pas du tout la voix exigée pour le rôle lui non plus, mais pour des raisons différentes. C’est un Heldentenor au son fixe, à la voix droite, appuyée sur un registre central puissant: une voix en bois. Or, il faut une voix qui soit plus versatile, plus mobile, moins fixe et un timbre plus clair: ici si le centre passe assez bien (son air initial du troisième acte est assez réussi) dès qu’il monte à l’aigu, la voix se rétrécit, il n’y a plus de volume, plus d’air, tout se resserre et c’est presque inaudible ou graillonnant. Pas de registre aigu, pas de grave, seul je l’ai écrit plus haut le registre central sauve la prestation, sauf que le rôle sollicite beaucoup les aigus et qu’ils sont à peu près tous ratés, trop fixes, sans éclat, avec un timbre opaque: c’est si peu techniquement adapté qu’il est difficile de donner une couleur quelconque à ce chant. Une erreur de distribution.

Christiane Libor et Arnold Bezuyen ©Kirsten Nijhof

Christiane Libor, qui doit être l’un des seuls sopranos capables de mener le rôle jusqu’au bout m’était apparue plus brillante au Châtelet. En tous cas, si les aigus restent triomphants, si la vaillance est là, l’air redoutable du deuxième acte la fatigue singulièrement et le deuxième acte se termine de manière un peu tirée, avec de menus problèmes d’intonations dus à l’épuisement. Cela s’arrange au troisième acte (où elle est moins  sollicitée il est vrai). Il reste que c’est la seule des trois protagonistes à vraiment s’en sortir avec les honneurs et à produire une prestation conforme à quelque réserve près à ce qu’exige la partition. Bravo, elle sauve la distribution par sa présence vocale, la seule à en avoir une.
On le voit, une soirée plutôt contrastée, qui ne correspond pas à ce qu’on attendrait d’un tel événement, unique en Allemagne. Que la mise en scène soit discutable ou passable, c’est la loi du genre, et celle-ci ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. La direction musicale ne fait pas tout pour sauver l’œuvre, mais n’est pas là non plus ce qui pèche le plus, mais la distribution (notamment les protagonistes masculins) n’est vraiment pas  à la hauteur de l’enjeu.
Les parisiens qui ont vu les représentations du Châtelet peuvent en rester là, car la tenue en était bien meilleure, et la musique plus au point, plus conforme à ce qu’on peut attendre. Inutile donc de faire le déplacement, et même pas à Bayreuth, où la représentation est concertante (ce sera peut-être plus dur…) et où Christiane Libor ne chantera pas. Ces Fées ont manqué de magie musicale. Attendons le tricentenaire de la naissance en 2113 ou le bicentenaire de la mort en 2083…
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Wagner descend parmi nous…©Tom Schulze

IN MEMORIAM WOLFGANG SAWALLISCH (1923-2013)

Il s’est éteint le 22 février dans le petit village de Grassau en Bavière. Discrètement, comme il l’était naturellement malgré une carrière dont on mesure aujourd’hui la grandeur. Wolfgang Sawallisch était un chef régulier, travailleur, discret, mais présent, mais surprenant aussi. Sa régularité nuisait un peu à sa réputation, notamment à la tête du Bayerische Staatsoper de 1971 à 1992 où il était de bon ton à Paris de dire que c’était un Kapellmeister, sorte de garant de qualité sans grand génie. On l’a vu à Bayreuth de 1957 à 1962 où il a laissé des enregistrements de référence, on l’a vu à Hambourg, dont il a dirigé l’opéra pendant dix ans avant Munich, il a aussi dirigé l’orchestre de la Suisse romande, le Wiener Symphoniker, et comme “Gast” on l’a vu fréquemment à la Scala dont il était un chef de référence pour Wagner (Ring avorté de Ronconi en 1974 ou Meistersinger en 1986) ou pour Strauss. Il a fini sa carrière à la tête de l’Orchestre de Philadelphie, une formation qu’il lui allait comme un gant.
A la tête du Bayerische Staatsoper de Munich, il a été directeur musical puis directeur musical et artistique pendant 21 ans. Son portrait trône dans le foyer du théâtre et ce portrait rappelle combien il a personnifié l’opéra bavarois, où il dirigeait régulièrement Strauss, Mozart, Wagner, et surtout où il dirigeait 70 représentations de répertoire à l’année. Quel directeur musical aujourd’hui prendrait un tel engagement? Ainsi donc on avait droit à Sawallisch très souvent dans des représentations très ordinaires du quotidien munichois et il était là. Je l’ai entendu dans Die Zauberflöte, dans Meistersinger (à Munich et à la Scala) dans Die Ägyptische Helena, Die Liebe der Danae, Die Schweigsame Frau, Ariadne auf Naxos, Die Frau ohne Schatten (à Munich et à la Scala), et dans Der Fliegende Holländer. J’écoutais son Ring munichois il y a encore quelques jours en m’étonnant toujours qu’on ne le compte pas parmi les références.
C’est l’exemple même d’un classicisme chaleureux, juste, jamais fossilisé.
Je me souviens lors de la préparation de Frau ohne Schatten à la Scala (en 1986) dans la production magnifique de Jean-Pierre Ponnelle avec Eva Marton dans l’Impératrice, il se plaignait de la difficulté de préparer l’orchestre qui ne connaissait pas l’œuvre. La première fut une divine surprise: un miroitement de pierres précieuses, un orchestre polymorphe, aux reflets démultipliés comme Strauss sait si bien faire, une justesse, une précision, une jeunesse une fraicheur incroyables. La salle était bien clairsemée comme souvent à la Scala pour les œuvres rares au répertoire. Il y eut 8 représentations: la voix s’est diffusée que le spectacle était fascinant. A la 8ème le théâtre était complet et refusait des places. C’était cela aussi Sawallisch. Il dispute avec Karl Böhm le primat des chefs straussiens et depuis qu’il ne dirigeait plus à l’opéra nous avions bien du mal à en identifier un qui fût une nouvelle référence et dans la lignée de ceux qui savent donner à cette musique le scintillement qu’elle exige.
On l’a dit, c’était certes un wagnérien de référence, mais c’était aussi un mozartien. Il dirigeait tous les Mozart à Munich, avec sa probité et sa justesse. Son Mozart n’était jamais ennuyeux, toujours en place et toujours impeccable. Il est resté à l’ombre de ceux qui étaient plus médiatisés et plus célèbres, mais sûrement pas plus grands: depuis qu’il a disparu des podiums, sans adieux spectaculaires, il manque cruellement au paysage musical et combien de fois je me suis dit “là il faudrait un Sawallisch”.
Il me manque depuis longtemps et j’ai vécu dans le souvenir profond et marquant de cette Frau ohne Schatten scaligère où il fit vraiment merveille. Mais j’ai souvent adoré aussi ses Meistersinger qui concluaient rituellement le Festival de Munich et où j’allais tout aussi rituellement quand les dates de Bayreuth le permettaient:  cela lui allait si bien car lui aussi était un “Meister” au service de l’art allemand.

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GEWANDHAUS LEIPZIG 2012-2013: Riccardo CHAILLY dirige l’Orchestre du GEWANDHAUS le 23 février 2013 (MENDELSSOHN, SCHLEE, MAHLER)

Leipzig, Augustusplatz, 23 février 2013

Soirée enneigée: il a fallu trois heures pour parcourir en voiture les 170 km qui séparent Berlin de Leipzig. ce soir concert spécial au Gewandhaus, salle de concert moderne située Augustusplatz, en face de l’Opéra où opère aussi l’orchestre du Gewandhaus. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler l’histoire prestigieuse de cet orchestre, l’un des plus chargés d’histoire, dans une ville qui a vu naître Richard Wagner, où Jean-Sebastien Bach est enterré, et dont Felix Mendelssohn fut le premier “directeur musical” au sens moderne du terme. C’est dire que la Augustusplatz où trônent Opéra et Gewandhaus face à face est vraiment le centre référentiel d’une cité par ailleurs largement célèbre pour sa vitalité économique, avec sa foire considérée comme la plus ancienne au monde, qui remonte au Moyen Âge.
L’orchestre du Gewandhaus, on le sent quand les musiciens s’installent sous les longs applaudissements d’un public très largement autochtone, est vraiment l’orchestre identitaire de la cité, très lié à son histoire et récemment lié à l’histoire de la réunification puisque c’est autour de cet orchestre et de son chef Kurt Masur que les grandes manifestations de Leipzig ont eu lieu, foyer des premières manifestations contre la défunte République démocratique allemande.
Aujourd’hui, c’est Riccardo Chailly qui le dirige, jusqu’à 2018, et ce soir est programmé un des concerts spéciaux préparatoires à la tournée à Vienne qui aura lieu début mars. La soirée comprend trois pièces: une ouverture de Mendelssohn, le compositeur maison par excellence, l’Ouverture de Ruy Blas, écrite en 1839 pour précéder une représentation théâtrale du chef d’œuvre de Victor Hugo, une création “Rufe zu mir” (Appelle à moi) de Thomas Daniel Schlee, scène symphonique pour orgue et orchestre, et la 5ème symphonie de Mahler.
Mendelssohn détestait Ruy Blas, qu’il considérait comme une pièce nulle (Ich las das Stück, das so ganz abscheulich und unter jeder Würde ist, écrit-il à sa mère), il renonça à sa composition dans un premier temps, mais sous l’influence des commanditaires (la Caisse de retraite de l’Altes Theater, où Ruy Blas était représenté pour la première fois), et piqué par son ambition, il finit par la composer en trois jours, la faire jouer en introduction et la rejouer une semaine plus tard au Gewandhaus. C’est dire que la pièce symphonique de 8 minutes est assez indépendante de l’esprit ou de la lettre de la pièce de Hugo. Le Ruy Blas original est un drame romantique, l’ouverture de son côté est un exercice de style brillant qui rappelle un peu Weber et beaucoup les opéras de Schubert par son dynamisme et sa rapidité, ses contrastes et sa vitalité. Un esprit pas aussi noir que le drame hugolien, et exécuté par l’orchestre avec une clarté et une dynamique particulières, qui rappelle que Chailly est un très bon chef pour Mendelssohn.

La salle du Gewandhaus, dominée par son orgue

La salle du Gewandhaus, moins vaste que la Philharmonie ou le Gasteig à Munich, donne un sentiment de proximité de l’orchestre et a un son magnifique, très clair, très proche, très équilibré aussi: on entend tous les instruments, à égale valeur, avec une jolie réverbération qui enrichit l’espace sonore: c’est toujours un privilège que d’entendre un orchestre dans son espace propre, dont il connaît l’acoustique, car c’est quand même là qu’on mesure la totalité de ses qualités bien plus que lorsqu’il joue en tournée dans des salles dont il ne maîtrise pas l’acoustique. Le Gewandhaus a une acoustique magnifique et la prestation de l’orchestre, dès ce début de concert, est exceptionnelle.
La pièce de Thomas Daniel Schlee apparaît comme très liée au symphonisme post-Chostakovitch: une musique qui n’est pas très originale mais qui valorise tous les pupitres de l’orchestre avec des interventions de l’orgue qui permettent d’entendre l’instrument monumental qui trône au centre de la salle, au dessus de l’orchestre. A Leipzig, l’orgue est une question d ‘atavisme! Et Schlee est d’abord un organiste (né à Salzbourg) . Certains moments sont d’ailleurs plus intéressants: la transition entre un passage soliste de l’orgue aux cordes murmurantes, ou bien la fin de la fugue finale, reprise à la flûte et au piccolo. Les parties orchestrales, spectaculaires, pleines de relief, restent en deçà de l’originalité attendue, mais la pièce se laisse entendre avec plaisir.
Le moment attendu était l’exécution de la Cinquième de Mahler. J’avais entendu à Lucerne sa Sixième et Riccardo Chailly, depuis son passage au Concertgebouw peut être considéré comme un grand mahlérien.
La cinquième symphonie qui commence par une marche funèbre, peut-être liée à l’hémorragie intestinale dont Mahler a souffert en 1901 est créée en 1904 à Cologne sous la direction du compositeur. On pourrait croire que la symphonie va être marquée par une sorte de marche à la mort et que le climat général va en être atteint. Mais en contraste c’est la aussi la période du mariage avec Alma Schindler et d’autres considèrent le fameux adagietto comme une lettre d’amour à Alma, et le rondo-final comme une explosion positive. Abbado insiste souvent en revanche sur la souffrance de Mahler et son regard sarcastique sur la vie, d’où le soin qu’il prend à insister sur les moments plus lyriques, mais aussi sur les aspects ironiques ou plus sarcastiques de la musique (c’est visible dans son troisième mouvement), ses interprétations s’en trouvent allégées, très claires, cristallines mêmes, et avec des choix d’attaques très particulières, des sons grinçants, des moments noirs et des moments d’indicible douceur.
Chailly fait au contraire le choix presque exclusif de la dynamique: un tempo rapide, un refus de s’attarder sur ce qui pourrait être attendrissement, et sans appui lourd non plus sur les aspects morbides de la marche funèbre. Il se place résolument dans une optique d’avenir, dans une explosion d’espoir: son adagietto manque ainsi légèrement de sentimentalité, avec sa rapidité de rythme, même si il est parfaitement construit à l’orchestre avec les échanges aux cordes exemplaires, même s’il a sans doute le tempo juste. Karajan ou Abbado le prennent sur un tempo plus lent qui accentue l’arrêt sur image et sur une image fortement lyrique. Le choix de massifier les deux premiers mouvements en presque un seul bloc qui marque la dynamique explosive voulue. La courte pause entre le deuxième et troisième mouvement accentue la beauté du début du troisième mouvement (le scherzo). En fait il respecte parfaitement les pauses entre les parties (Abteilungen), avec une longue pause entre troisième mouvement et adagietto.
Je l’ai dit, la première partie est moins funèbre et plus explosive, avec une organisation dynamique, une grande rapidité des tempi, et une particulière vélocité des passages entre pupitres: apparaissent des moments sublimes notamment au niveau des violoncelles et contrebasses, en proportion plus nombreux que les premiers violons: ce qui massifie le son, et donne des moments d’une rare intensité lorsque violoncelles et contrebasses sont ensemble, seuls, ou au moment des (sublimes) pizzicatis.
Cette dynamique qui emporte la salle évidemment comporte le risque de quelques couacs (au cor) ou d’un suivi acrobatique des cordes notamment au dernier mouvement étourdissant et même époustouflant; rarement on a eu cette impression de valse folle où c’est le tourbillon qui domine, le mouvement, une joie un peu désordonnée mais totalement vitale, de cette vitalité qui déborde, et qui emporte tout sur son passage. Une interprétation totalement irrésistible, telle un fleuve formé par un barrage qui a craqué, un Vaion ou un Malpasset de la musique qui inonderait non de mort mais de joie, d’agitation et d’indicible espoir.
Il faut souligner également la qualité de l’exécution par l’orchestre du Gewandhaus: certes quelques imprécisions aux cuivres (cors et trompettes) malgré l’excellent trompette solo, mais les cordes, disposées différemment, de gauche à droite, violons 1, contrebasses et violoncelles, altos, violons 2, somptueuses, à l’écoute les unes des autres, menées par l’étourdissant Sebastian Breuninger, un spectacle à lui seul (il est l’un des “Konzertmeister” du Lucerne Festival Orchestra) ainsi que la petite harmonie sont absolument irréprochables, son d’une grande pureté, attaques impeccables, notamment à la flûte et au hautbois. Écouter un orchestre exemplaire, l’un des phares du monde symphonique allemand, dans sa salle à l’acoustique exceptionnelle, c’est un immense privilège dont les mélomanes peuvent jouir à des prix raisonnables (maximum 60 euros) .
Ainsi Chailly fait-il un choix très différents de ses collègues, d’un Mahler irrésistiblement dynamique, d’un Mahler de la vie, d’un Moi noyé dans la vie et dans un débordement dansant d’espoir, certains disent d’un Mahler presque “italien”. En ce sens , la cinquième est bien ce moment de climax qui va déjà évoluer dans la sixième, même si Chailly choisit là aussi d’avancer dans une dynamique d’énergie, mais du désespoir. Nous sommes au bord du gouffre de l’inconnu, mais nous sommes aussi dans le battement irrésistible de la vie, qui emporte sur son passage toutes les scories et les peurs, toutes les angoisses et les doutes. Un Mahler de l’Eden retrouvé.
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THÉÂTRE À LA SCHAUBÜHNE BERLIN 2012-2013 : SOMMERGÄSTE (LES ESTIVANTS) de Maxime GORKI (Mise en scène ALVIS HERMANIS) le 22 FÉVRIER 2013

Le décor ©Thomas Aurin, 2012

De passage à Berlin sur la route de Leipzig, j’en ai profité pour aller voir l’un des derniers spectacles produits par la Schaubühne, Sommergäste (Les Estivants) de Maxime Gorki dans une mise en scène d’Alvis Hermanis, le metteur en scène letton à qui l’on doit la production de Die Soldaten à Salzbourg en 2012, et qui fera, toujours à Salzbourg, Gawain de Harrison Birtwistle en 2013. J’ai voulu mieux entrer dans l’univers de ce metteur en scène encore très peu connu en France, mais évidemment connu dans le monde germanique.
Cette nouvelle production, qui date de décembre 2012, a été accueillie fraichement par la presse allemande, très contrastée, et qui s’est accrochée à la mémoire de la production légendaire de Peter Stein en 1974, toujours à la Schaubühne (qui n’était pas alors à Lehninerplatz) avec la génération d’acteurs d’alors, Jutta Lampe, Edith Clever, Bruno Ganz etc…) en considérant que ce travail n’était pas aussi réussi, tant sur le plan scénique qu’interprétatif.
Alvis Hermanis part de l’analyse commune que la pièce de Gorki qui date de 1904, marque une lecture de la bourgeoisie russe exténuée par l’oisiveté et l’ennui à la veille des révolutions et de la guerre et : les personnages ratiocinent, ne sortent pas de leurs petits problèmes, sont incapables de prendre une quelconque distance par rapport à eux mêmes ou même de communiquer entre eux. Eric Lacascade il y a trois ans avait essayé de dynamiser cette pièce assez bavarde, où chaque personnage prend la parole pour exposer des problèmes qui pour la plupart sont des problèmes d’enfants gâtés et aussi d’enfants ratés. Alvis Hermanis prend l’option inverse rendant l’action presque exclusivement discursive, de ces discours dits sur un ton non monocorde, mais linéaire, ce qui donne au rythme de la phrase quelque chose de lancinant, et évidemment génère une sorte d’ennui pesant qui est celui des personnages de la pièce, dont le premier, Serguei Bassov l’avocat essaie de se suicider en se pendant à des fils électriques, rate son suicide et ce faisant crée un court circuit qui éclaire tout le décor. Sa femme Varvara reste étendue pratiquement toute la pièce sur un sofa déglingué: tout se passe en effet dans un décor (de Kristine Jurjäne, somptueux, à mi chemin entre l’espace hyperréaliste et l’espace rêvé) inspiré très fortement de la Villa Fabergé de Saint Petersbourg,  une villa longtemps laissée à l’abandon, qui fut l’une des plus belles villas des années trente et qui est une villa ruine. Dans ce décor, où gisent cartons, livres, baignoire rouillée, où pendent des fils, avec au premier étage une sorte de jardin d’hiver, où les plantes grimpantes envahissent les murs, les personnages errent comme des spectres, habillés d’habits défraichis, sorte de clowns tristes, avec des pantalons trop larges, des chemises ouvertes ou carrément défaites ou déchirées, des habits signes de ce qu’ils furent et de ce qu’ils ne sont plus. Le riche industriel oncle de Souslov (appelé deux-points-Doppelpunkt-dans la traduction allemande), traine dans un caddie son argent enfermé dans des sacs plastiques . Les femmes dans ce monde à l’abandon demeurent moins négligées  que leurs maris ou amis: elles constituent un groupe assez compact, notamment pendant les deux premiers actes, qui se réunit autour du sofa, elles se touchent, se caressent, se donnent du plaisir solitaire, elles rêvent sans jamais connaître la satisfaction. Elles sont elles aussi toutes habillées de manière à peu près identique, sauf

Karelia ©Thomas Aurin, 2012

Karelia la poétesse, sœur de Bassov, toute de noir vêtue.

©Thomas Aurin, 2012

Il en résulte une sorte de rituel, des personnages qui interviennent, les uns après les autres, sur un espace où ils sont dispersés, mais pratiquement toujours en scène, ou derrière les fenêtres, ou dans le jardin d’hier suspendu, au milieu desquels circule un chien, un magnifique Golden Retriever qu’on gave de friandises et qui renifle les vieux livres poussiéreux, s’étend et dort, assiste curieux aux efforts des personnages pour se griller quelque Bratwurst: ce chien en scène tout au long de la pièce en devient presque le personnage central, le quinzième de ces Estivants qui perdent leur temps, et leur vie. Même la mort leur est impossible, tous ratent leurs tentatives pour en finir, et lorsque Warvara s’en va à la fin, avec quelques effets dans un chariot à provisions à roulette, en disant “je veux vivre” le monde reste là, tel qu’en lui même enfin l’éternité le change.

Le “groupe des femmes” ©Thomas Aurin, 2012
©Thomas Aurin, 2012

Dans ces personnages au total assez gris, les femmes sont dominent l’action en un groupe compact, mais sont aussi très individualisées, Warvara (Ursina Lardi) qui s’ennuie et a perdu sa vie avec son mari, Marja “la vieille” femmes engagée (Judith Engel)  dont Wlas le frère de Warvara (Sebastian Schwarz) est amoureux, Ioulia (Luise Wolfram) la libérée mangeuse d’hommes, Karelia (Eva Meckbach) la poétesse célibataire endurcie: toutes ces femmes forment une sorte de groupe compact au centre de la scène, lovées sur le sofa, pendant que les hommes les observent derrière les vitres;  mais certains moments sont particulièrement savoureux et réussis aussi chez les hommes, comme le délire amoureux de Rioumin (excellent Niels Bormann) qui danse et saute sur le lit du fond transformé en trampoline  ou lorsque Chalimow le poète impuissant (Thomas Bading) lit dans la vieille baignoire occupée aussi par un Bassov ivre qui n’a de cesse de l’interrompre.
Une fois établi que l’idée est de réunir tout ce beau monde dans le même espace: monologues et dialogues se passent en présence des autres, endormis, étendus, assis et dispersés dans l’espace décati, un espace en ruine pour des personnages en ruine, un peu comme dans Soldaten où la scène unique se divisait en espaces de jeu successifs, ici un espace unique est occupé par des personnages qui les uns après les autres interviennent. Le travail d’Hermanis est d’une rigoureuse précision dans la composition scénique: travail sur la mise en espace des groupes, aux gestes complexes, aux attitudes très construites: l’ouverture de la pièce où Bassov essaie de toucher son épouse en des gestes à la fois violents et tortueux ou les corps se mêlent et se tordent en des nœuds complexes est emblématique de ce travail très précis où chaque mouvement, chaque geste est étudié, dans son rythme, voire sa lenteur:  il en résulte une distribution très esthétisante des corps, des espaces, des mouvements, qui, je l’écrivais, fait de la pièce un grand rituel de la vacuité.
Dans une pièce dont le metteur en scène a voulu ritualiser l’ennui, pendant plus de trois heures, j’ai vu le temps passer, certes, comme tout le monde, mais voir le temps passer ne veut pas dire s’ennuyer: il y a toujours quelque chose ou quelqu’un à voir, à regarder, de petits gestes multiples, des mouvements -par exemple le jeu du chien reniflant et de Simin (Moritz Gottwald) dormant dans un coin – de chaque groupe ou de chaque personnage: le couple Doudakov et Olga chargés de chaises essayant de se toucher par chaises interposées, les personnages qui apparaissent en haut dans le jardin d’hiver, se touchant, buvant une bouteille de vin ou simplement regardant d’en haut le plateau, l’œil est à la fois concentré sur une action et dispersé par les actions des autres, toutes au même niveau et toutes totalement inutiles, répétitives, morbides, exténuantes par leur inutilité: les personnages sont des conquérants d’un inutile structurel, ou des inutiles devenus structurellement incapables de conquérir leurs rêves ou simplement leurs femmes ou leurs maris, à ces femmes assoiffées sexuellement correspondent des amants ou des hommes fatigués, impuissants, ignorant des regards qui pèsent sur eux.
Ce travail scénique d’une précision et d’une rigueur exemplaires peut effectivement à la fois désarçonner et provoquer le refus, parce qu’il montre une sorte d’ennui, d’inoccupation spiralaire qui fait toujours revenir au même point, au même geste, dans un espace immuable et défait: je me suis surpris au contraire plusieurs fois à admirer cette construction minutieuse du rien et les acteurs dont certains ont critiqué la prestation, se sont prêtés à un jeu très contraint et à une diction particulièrement contrôlée. On peut considérer que ce n’est pas un de ces travaux de théâtre qui marquent une génération, mais c’est un très beau spectacle qui révèle (ou confirme) la vitalité ou l’inventivité de ce metteur en scène qui j’espère apparaîtra prochainement sur une scène française.
En tous cas, j’ai aimé revenir à la Schaubühne, un lieu que je trouve habité, où qui aime les théâtre se sent bien, et où le public (la salle n’était pas pleine, tout en étant très bien remplie) a fait un bel accueil au spectacle (sept rappels) .
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©Thomas Aurin, 2012

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2012-2013: RIGOLETTO de Giuseppe VERDI le 16 Février 2013 (Dir.Mus: Michele MARIOTTI, Ms en scène: Michael MAYER) avec Diana DAMRAU

Questa o quella à Las Vegas ©Sara Krulwich/The New York Times

L’occasion faisant le larron, après le Parsifal d’hier, le MET affichait aujourd’hui à 13h (retransmission dans les cinémas oblige) sa précédente nouvelle production (28 janvier) de Rigoletto mise en scène de Michael Mayer qui a décoiffé la presse et le public parce qu’elle se passe en 1960 à Las Vegas. La distribution comprend Diana Damrau, Piotr Beczala et Zeljko Lucic, trois chanteurs très demandés aujourd’hui, stars ou en en voie de starisation pourrait-on dire.

Appelé par Peter Gelb, le metteur en scène Michael Mayer a transposé l’œuvre dans les années 1960 à Las Vegas au moment du Rat Pack (1): Gelb a un souci avec la moyenne d’âge des spectateurs du MET et veut y amener les jeunes (sont-ils passionnés par Las Vegas en 1960? C’est à voir), il cherche des metteurs en scènes décoiffants, venus du Musical.
La question de la mise en scène se pose fortement au MET, notamment depuis que Peter Gelb en a pris la direction. Celui-ci en effet voudrait amener au MET des metteurs en scène plus modernes, des visions plus contemporaines. Il connaît en même temps son public, assez conservateur, et voudrait en rajeunir la moyenne d’âge, qui a tendance à augmenter. Il doit en même temps retenir ce public, en gagner un autre, par des opérations de communication importantes et sans précédent. D’où des productions qui sont “modernes” mais pas trop, qui décoiffent sans déranger, qui font parler d’elles mais qui ne font pas fouetter un chat. On est loin du Regietheater à l’allemande même si Chéreau a fait son entrée au MET avec De la Maison des morts, de Janacek, coproduite par la Scala, Aix en Provence et le MET.

Implantation scénique Acte I scène 2 et 3 ©Ron Berard/Metropolitan Opera

C’est bien la question qui se pose à la vision de ce Rigoletto. Ce n’est pas la transposition de l’œuvre de Verdi qui fait problème:  j’ai rendu compte de la mise en scène de Jonathan Miller, à l’ENO, qui fonctionne parfaitement depuis 1982 et que j’ai vue en 2009:  cette mise en scène transpose Rigoletto dans Little Italy, au milieu des luttes de clans et des trafics divers. Au MET la transposition renvoie à une Amérique des plaisirs et des pouvoirs officiels et occultes, à un monde de paillettes où l’argent coule à flots de manière insouciante, où tout est facile, y compris le meurtre, où la limite entre le licite et l’illicite reste trouble, mais le parti pris ne va pas jusqu’au bout, n’a aucune valeur symbolique ni idéologique,  devient vite un décor plus qu’une ambiance, et tombe dans la facilité. Quand le Duc entame “questa o quella” entouré de “trucs en plumes” en nouveau Sinatra (micro etc..), c’est assez réussi, et on se dit que ça part bien. Quand Monterone arrive vêtu en sheikh arabe entouré de ses sbires pour prononcer sa malédiction, on note l’anachronisme, les sheikhs arabes n’étaient pas à l’époque réputés fréquenter les casinos et quand pour le moquer de lui Rigoletto se couvre du talit juif (sorte de châle de prière), on ne comprend plus: est-ce pour railler la situation actuelle? est-ce pour faire rire la salle ? Dans ce cas c’est réussi: la malédiction de Monterone (Robert Pomakov, très correct) tombe à plat au milieu des gloussements.

Rigoletto, Acte I ©Ken Howard/MET

Deuxième incohérence, plus grave: on ne comprend plus ce que fait Rigoletto dans cette galère; chez Miller, il était homme de main, âme damnée, et cela fonctionnait. Ici, est-il rabatteur? éminence grise? tous sont en costumes scintillants, il est en cardigan rouge ou vert genre employé de bureau un peu cheap ou en imperméable: homme de l’ombre, mais pourtant bien identifié au milieu des courtisans…la mise en scène  ne l’identifie pas et n’est pas claire, ce qui pour le rôle titre est quand même gênant.
En revanche dès qu’on laisse les ambiances de casino, cela fonctionne mieux, comme la scène entre Rigoletto et Gilda du premier acte, ou même la suivante avec le duc, la fraîcheur de Gilda (même si dans sa petite robe bleue et son imperméable de la même couleur, Diana Damrau a l’air d’une ménagère de moins de cinquante ans, dès qu’elle ouvre la bouche, c’est un monde de fraîcheur et de jeunesse qui s’exhale) donne une vraie couleur à ces scènes.

Acte II ©Sara Krulwich/The New York Times

L’acte II en revanche dans le salon du penthouse du Duc (statue au milieu, escalier qui descend au moins vers les toilettes, vu la manière dont les courtisans en remontent, lustres style MET tant ils imitent les lustres de la salle) avec toujours de chaque côté les tours qui abritent deux ascenseurs qu’on utilise beaucoup, c’est beaucoup moins clair et manque singulièrement d’organisation, avec un chœur et des figurants qui bougent de manière confuse, par exemple quand réapparaît venue du dessous (des toilettes?) Gilda. Si musicalement l’acte II fonctionne assez bien, scéniquement c’est le moins intéressant et le plus brouillon.

Acte II en répétitions La club de Sparafucile ©Ron Berard/Metropolitan Opera

L’acte III représente sur la droite le “club” très privé de Sparafucile et Maddalena, où évolue au lever de rideau une stripteaseuse seins à l’air (gloussements divers en salle) se lovant autour d’un pal avec force gestes sans équivoque (re gloussements), tandis que Maddalena et Sparafucile attendent les clients, et à gauche côté jardin une de ces “belles américaines” dont le coffre enfermera le corps agonisant de Gilda sur fond de néons qui en s’animant font faire les éclairs dans le ciel. Finalement c’est assez réussi, c’est peut-être le moment le plus réussi, par son ironie, par sa crudité (les jeux de Maddalena et du Duc) par sa violence aussi (on voit sur scène l’assassinat assez sauvage de Gilda qu’on cache en général au public) et enfin

Scène finale ©Ken Howard/MET

par cette belle scène de la mort de Gilda dans les bras de son père assis dans le coffre ouvert de la voiture. Le travail théâtral de cet acte est incontestablement construit, avec cet espace séparé en deux, le monde de l’ombre (Gilda/Rigoletto) côté jardin et celui du plaisir, de la nuit, du duc côté cour, avec deux ambiances différentes. Mais l’œil est distrait, et oublie peut-être l’émotion.
Même s’il y a des moments réussis et quelques idées, l’impression prévaut que c’est “much ado about nothing” et que l’histoire remise au XVIème pouvait dire à peu près la même chose, pour moi, c’est un coup de pub pour le MET, un travail à effets pas vraiment abouti et donc superficiellement ficelé, sans étude dramaturgique serrée, et donc un travail inutile, qui n’a peut-être pour seul but d’attirer le public par le parfum des paillettes…
Du point de vue musical, c’est la première fois que j’entendais le chef Michele Mariotti, 32 ans, né à Pesaro (Italie). Il dirige aussi Carmen (ce jour donc, il a à la fois Rigoletto et Carmen à diriger successivement…). Sans être exceptionnelle (apparemment ce ne sera pas le nouveau Toscanini), sa direction est intéressante car il sait bien doser les volumes, donner du rythme et de la palpitation et gérer les crescendo: il reste à donner plus de relief et d’accents, mettre en son comme on met en scène, c’est à dire mieux animer l’orchestre quelquefois un peu plat, mais il écoute les chanteurs et au total la prestation est loin d’être indifférente. Il y a actuellement en Italie une génération de chefs de 25 à 35 ans intéressante et à suivre avec attention.
Aucun des chanteurs n’a démérité, parmi ceux que la distribution a réunis. Seule peut-être Oksana Volkova en Maddalena manque un peu de volume et de grave, ce qui est gênant pour Maddalena mais elle a un si joli corps dont elle sait si bien user en scène qu’on peut oublier un peu la voix.

Rigoletto et Sparafucile Acte I ©Ken Howard/MET

Le Sparafucile de Štephan Kocán est en revanche à signaler parmi les belles surprises: une magnifique voix de basse, un air du premier acte qui a emporté le public enthousiasmé: la voix est belle, sonore, profonde, et le style est impeccable: à suivre!
Piotr Beczala en Duc de Mantoue n’a peut-être pas le charme inhérent au Duc, et peut-être pas la voix traditionnelle attendue dans le rôle, qu’on veut lumineuse, solaire, claire, facile à l’aigu, ductile. Malgré une couleur plutôt sombre et un léger manque de ductilité (en revanche quelle agilité corporelle au troisième acte!) il a bien d’autres qualités: une voix large . un chant  précis et très rigoureux, avec des aigus larges, bien tenus sur le souffle, avec des moments remarquables, sans jamais montrer des difficultés, et on reste étonné de la performance qu’on peut applaudir. Il y a du style, peut-être plus pour Puccini (Calaf, Rodolfo) que Verdi. Mais il est bien rentré dans le personnage voulu, et il construit bien sa voix: il y a beaucoup d’intelligence chez cet artiste et dans ce chant, même s’ il manque un peu de “peps”.
Si Vittorio Grigolo avait toutes ces qualités-là de rigueur et de technique, alors oui ce serait un grand ténor pour Rigoletto. Mais la technique est tellement désordonnée qu’il lui faudra(it) bien du travail pour y arriver.
Željko Lučić, entendu dans un très décevant héraut à la Scala est en revanche un bon Rigoletto (rôle dans lequel à la Scala il alternait avec George Gagnidze): il a la voix, l’intensité, le volume, les aigus (même si quelquefois opaques ou blancs) et surtout la présence indiscutable. Il n’a peut-être pas la  couleur ni la technique d’un italien à la Nucci, mais indiscutablement la prestation est intéressante et le personnage bien campé, il est même très émouvant dans les parties les plus lyriques: les duos avec Gilda sont vraiment réussis. A revoir!

Gilda/le Duc Acte I ©Ken Howard/MET

Enfin, habemus Gildam: je ne sais si Diana Damrau sera une Traviata à succès à la Scala en décembre prochain. Elle est une Gilda en revanche exceptionnelle. La voix est fraîche, claire, la diction impeccable. Évidemment les aigus sont triomphants, appuyés sur le souffle, s’ouvrant de manière régulière avec un contrôle technique exemplaire, mais la voix aussi sait s’élargir et gagner en volume: j’ai l’habitude de Gilda plus légères, avec une personnalité moins affirmée: la Gilda de Damrau est adulte, sait s’affirmer. C’est vraiment la plus belle et la plus sûre Gilda des dernières années, très supérieure à Andrea Rost (Scala avec Muti et Chailly) ou même la très appliquée Elena Mosuc (avec Dudamel en novembre dernier). Elle donne là une leçon de chant et d’interprétation lyrique.

Enlèvement de Gilda ©Ken Howard/MET

Et voilà, en deux jours j’ai ajouté mon tribut au bicentenaire Wagner/Verdi: un Parsifal de très haute tenue, un Rigoletto dans l’ensemble très bien chanté, dans un écrin un peu inutile et plus médiatique que pertinent. Mais ce fut une vraie fête pour le chant, et c’est suffisamment rare pour le souligner. Jj’espère que les spectateurs des cinémas français ont pu apprécier les qualités des artistes de ce Rigoletto: succès pour tous, mais contrastes pour le metteur en scène revenu saluer pour les spectateurs des cinémas du monde. C’était ce soir le Rat Pack(1) du chant lyrique!
Rendez vous au cinéma avec le MET  le 2 mars pour Parsifal

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(1) Le Rat Pack (Club des rats) est un groupe d’artistes dont le leader était Frank Sinatra (avec Sammy Davis, Dean Martin et d’autres) liés au Parti Démocrate et à J.F.Kennedy, mais aussi pour Sinatra à la Mafia,  qui se produisaient à Las Vegas, faisant de cette ville un symbole du divertissement.

Souvenir de week end un peu fou

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2012-2013: PARSIFAL de Richard WAGNER le 15 Février 2013 (Dir.mus: Daniele GATTI, Ms en scène: François GIRARD) avec Jonas KAUFMANN

Acte I © MET Ken Howard

Pour une lecture détaillée de la mise en scène, je vous renvoie à mon compte rendu du Parsifal de l’Opéra de Lyon en mars 2012 car le travail n’est pas fondamentalement différent.

Pour bien de mes amis et connaissances, ce Parsifal ne valait pas la traversée de l’Atlantique: on connaît bien Gatti en France et on ne l’aime pas trop, on a déjà vu la production à l’Opéra de Lyon, et Kaufmann vaut peut-être une messe, mais dans d’autres rôles. Puisque je suis à New York, je ne la pense évidemment pas ainsi.
Peter Gelb a en effet réuni une distribution exceptionnelle pour cette nouvelle production de Parsifal, en coproduction avec l’Opéra National de Lyon et la Canadian Opera Company de Toronto: René Pape en Gurnemanz, Jonas Kaufmann en Parsifal, Katarina Dalayman en Kundry, Peter Mattei en Amfortas et Evguenyi Nikitin en Klingsor. Un tel plateau vaut le voyage, et Daniele Gatti reste l’une des références pour Parsifal aujourd’hui.
Et puis, c’est toujours un plaisir d’aller au MET, de redécouvrir le rituel de l’Opéra new yorkais, sa fontaine intérieure dédiée à Ezio Pinza où vont se désaltérer les spectateurs, ses fauteuils de salle dont chacun est dédié à son donateur, sa galerie de portraits des grandes vedettes du MET au sous-sol, ses programmes minimalistes gratuits, la MET Opera Shop un peu folle où vous trouvez disques, jouets gadgets, mais aussi assiettes, tasses,verre, bijoux, étiquettes de bagages, corsages, robes, casques wagnériens et j’en passe, et ce public très mélangé, sympathique avec lequel il est facile de tenir conversation et dans lequel ce soir circulaient quelques spectateurs vêtus en chevaliers du Graal (robe de chambre et toge) . Oui, tout cela fait plaisir, un très grand plaisir qui fait mesurer aussi la très grande chance d’être là.
Le décor de Michael Levine a dû être élargi pour s’adapter au plateau immense du MET, et quelques costumes fabriqués pour les choristes supplémentaires; sinon, le spectacle vu à Lyon est bien là, toujours aussi ritualisé. François Girard a opté pour un rituel modernisé, se focalisant sur une sorte de rite de la fécondation: le monde du Graal est infécond, le premier acte se déroulant sur une lande désolée où femmes et hommes sont séparés par une sorte de ruisseau sanguinolent, une plaie de la terre qui semble infranchissable: Kundry reste du côté femme (jardin) tandis que tout l’acte se déroule côté cour, là où sont les hommes organisés en groupe compact assis sur des chaises, comme une fleur immense d’où émergeraient un à un les personnages. Dans ce monde figé, Parsifal quand il arrive ne cesse de regarder de l’autre côté notamment Kundry et ils se battent à peu près sur le ruisseau médian; il est déjà ailleurs en arrivant en scène: il ne pourra donc lire le rituel du Graal. Rien de changé à l’acte II (voir le compte rendu lyonnais), sinon que du parterre, vu la pente, il est impossible de voir le lac de sang où évoluent les personnages, ce qui est une grande frustration vu la beauté de l’image, et qui fait perdre aux spectateurs part des idées de la mise en scène: mais on a toujours cette belle image de ce défilé haut et étroit, parsemé d’un éclairage rougeoyant, image métaphorique d’un corps féminin vu de l’intérieur. Quant à l’acte III, où la foule bien séparée au premier acte est cette fois entremêlée, où les costumes se mélangent, se sécularisent où le côté sectaire initial  laisse place à une foule sans règle particulière où femmes et hommes sont mélangés dans ce monde qui est celui de la mort et du rituel funéraire, de la stérilité que Parsifal revivifie en trempant la lance dans le sang du Graal. Seule petite différence,  l’image finale où une femme se lève pour aller vers Parsifal qui la regarde, annonçant une renaissance est bien moins claire qu’à Lyon, le rideau se baissant en même temps que la femme se lève. A mon avis seuls les spectateurs qui connaissaient la fin du spectacle lyonnais ont dû remarquer cette image ici très furtive, et c’est dommage.
François Girard a signé là un spectacle esthétiquement très réussi, a introduit une symbolique (la dialectique stérilité/fécondité) pas souvent exploitée dans Parsifal par les metteurs en scène, tout en gardant une vision fortement ritualisée, qui correspond bien à l’approche musicale de Daniele Gatti, d’un rituel qui ne mime en aucun cas le rituel chrétien, mais qui renverrait plutôt à des rites archaïques et qui insisterait sur simplicité et hiératisme (costumes très essentiels pantalon/chemise blanche, femmes en noir) avec des images fortes et tranchées (noir, blanc et gris pour les actes I et III, rouge et sang pour l’acte II). Le metteur en scène a obtenu d’ailleurs un relatif succès malgré les habituelles huées des premières d’opéra, à New York comme ailleurs.

A ce discours scénique correspond un discours musical magnifiquement dominé par Daniele Gatti, à la tête d’un orchestre des grands jours, même si les cuivres comme souvent au MET restent quelque peu en retrait (attaques pas très propres, quelques accidents), mais le mouvement, la dynamique et le son d’ensemble sont convaincants. J’emploie le mot “dynamique” à dessein, malgré la lenteur du tempo imposé par Gatti, car c’est bien le paradoxe de cette direction musicale, déjà remarquée ailleurs et notamment à Bayreuth: le tempo est lent, mais sans qu’il y ait de longueurs, de moments sans relief, de trous noirs: au contraire, en émergent une dynamique interne, une puissance particulière. La clarté du propos, et des différents niveaux sonores, la manière d’étirer le son, en gardant son épaisseur, qui crée immédiatement tension et intérêt, le volume bien contrôlé, tout fait sens.  Gatti à qui l’on reproche de jouer souvent un peu fort ici joue des volumes avec à propos sans jamais couvrir le plateau ni marquer trop de violence: même le prélude de l’acte II reste à la fois dramatique et contenu: ce qui contribue à créer l’espace théâtral (dans un acte qui est sans doute le plus théâtral des trois), c’est que plus que l’étirement  discours, ce sont les accents qui rythment la musique: c’est sans doute là un reste de”l’italianità” du chef qui permet de créer tension et drame, un chef qui réussit souvent mieux dans le répertoire d’opéra non italien (son Wozzeck est par exemple exceptionnel, c’est l’un des chefs à privilégier pour Berg, qu’il adore). Une direction à la fois dilatée et pleine de relief, qui permet aux chanteurs, à toute l’équipe de chanteurs, d’asseoir le texte et de le dire de manière exceptionnelle, variée, colorée, un texte à la fois joué et chanté . (voir la scène des filles fleurs, si vive et fraîche).
A cet orchestre si bien tenu correspond un chœur nombreux, bien préparé par Donald Palumbo, très en phase avec l’orchestre et dont la diction étonne par sa clarté.
L’équipe réunie, je l’ai dit est parmi celles dont on peut rêver: La Kundry de Katarina Dalayman (ceux qui me lisent un peu savent que j’ai souvent des réserves sur cette artiste) est ici particulièrement convaincante. Son volume vocal correspond à l’exigence d’un rôle implacable et terriblement tendu. Même si ses suraigus sont quelquefois criés, ces cris se justifient pour un personnage  qui oscille au deuxième acte  entre séduction féminine et sauvagerie animale. Il faut reconnaître que les aigus du final de ce deuxième acte ont un tel volume, une telle violence qu’ils frappent l’auditeur: on n’ a pas entendu cela depuis longtemps. En même temps, le tempo de la scène entre Kundry et Parsifal permet à la voix de se contrôler avec rigueur, et de montrer des accents puissants, autoritaires et à la fois très mystérieux et enjôleurs. Une femme, une mère, une sorcière tout à la fois: vraiment magnifique.

Jonas Kaufmann © MET Ken Howard

Le Parsifal de Jonas Kaufmann, qui s’en étonnerait, est magnifiquement chanté, de ce chant contrôlé sur toute l’étendue du spectre qui peut à la fois des aigus puissants (“Amfortas, die Wunde”) et des mezze voci à se damner. Le chant de Kaufmann est toujours surprenant parce qu’il est très expressif, par la modulation vocale, par le contrôle et le jeu sur le volume: on peut passer du forte au murmuré en une seconde et cela fait toujours sens. Kaufmann propose ici un personnage venu d’ailleurs, un avant goût de son Lohengrin, un Ur-Lohengrin à la voix douce et apaisante, mais avec un esprit de décision qui dans le deuxième acte emporte tout, sans jamais se départir d’une certaine “morbidezza”(douceur) vocale qu’on va d’ailleurs entendre tout au long de l’acte III.  Son entrée au final est presque antithéâtrale , parce qu’il émerge de la foule qui s’écarte, sans surgir, mais en entrant simplement:  il est autorité sans être autoritaire, comme son chant.
C’est magnifique et étonnant même si dans ce rôle, aujourd’hui, d’autres sont remarquables aussi, dans un autre style. Il n’est (peut-être…) pas aussi irremplaçable que dans d’autres rôles comme Florestan ou Don Carlo, voire Werther ou Don José. Tiens, il y a quelque chose de Werther dans ce Parsifal-là. Nicolai Schukoff à Lyon, qui chante en ce moment Don José au MET- sans doute aussi la doublure de Kaufmann pour Parsifal (vu les annulations des Siegmund l’an dernier, MET échaudé craint l’eau froide…)- avait une sorte de présence mâle (y compris dans son chant) qui cadrait très bien avec la mise en scène de Girard, même si il y a loin de la coupe aux lèvres quant à la seule beauté du chant, comparé à Kaufmann. Plus loin dans le temps, le Parsifal de Vickers passait de la sauvagerie désespérée à la maturité, une maturité qu’on lisait dans son expression: il était devenu adulte. Il reste pour moi la référence, en écrivant ces lignes, je l’entends encore, je le vois même…
Le rôle de Parsifal n’est ni long ni très difficile à chanter, mais demande un sens de l’interprétation marqué, un chant qui crée bien la différence entre avant le baiser et après, et Vickers savait le montrer.
Jonas Kaufmann a une fois de plus montré quel ténor il est, quel artiste il est, il sait être Parsifal, un grand Parsifal, mais certains diront peut-être pas LE Parsifal de référence, même si dans le jeune homme obstiné du premier acte on lit déjà le personnage futur et son refus du rituel stérile qu’on lui montre et qui ne fonctionne pas, même si l’ intelligence et l’ intuition de cet artiste lui permettent d’offrir une immense composition. C’est quand même phénoménal.

René Pape © MET Ken Howard

René Pape est un très beau Gurnemanz , voix claire, diction impeccable, aigus volumineux et triomphants même si quelques graves sont un peu opaques. Mais dans la galerie des Gurnemanz passés et présents, il déçoit un tout petit peu. Il faut à Gurnemanz incontestablement une voix et beaucoup de résistance (c’est le rôle le plus lourd de Parsifal) et avec Pape nous y sommes, il faut aussi beaucoup d’humanité, beaucoup de nuance dans le chant, et notamment montrer la différence entre Acte I (Gurnemanz est jeune, il a l’âge d’Amfortas) et Acte III, où il est vieux et fatigué. Et là, même si son troisième acte, assez neutre, a une sorte d’inexpressivité voulue de celui qui est las (j’ai trouvé cela vraiment remarquable), je trouve son premier acte relativement moins concerné, un peu indifférent, moins fouillé que ce qu’on peut entendre chez un Kwanchoul Youn aujourd’hui, un Franz Mazura ou un Kurt Moll jadis (il était encore époustouflant avec Abbado en 2002), moins surprenant que Zeppenfeld à Lyon, si jeune, si engagé et même si neuf. Je vais être accusé de pointillisme tâtillon et injuste, vu le succès remporté, mais je dis simplement ce que j’ai ressenti. J’attendais plus “définitif” comme peut l’être son Roi Marke, inégalé à ce jour.
Plus grande est la déception avec Evguenyi Nikitin dans Klingsor. La voix ne réussit pas à s’imposer, et Nikitin ne chante pas avec naturel, mais avec des expressions accusées, une manière de souligner des phrases pour faire le méchant, bref il en rajoute comme si naturellement il n’y arrivait pas ou qu’il était incapable de chanter sans surchanter. Il est difficile de trouver un bon Klingsor: Alejandro Marco Buhrmeister à Lyon était bon, Thomas Jesatko à Bayreuth aussi, chacun dans leur style. Ils étaient bons parce que dans leur chant ils ne surchargeaient pas, Nikitin n’est pas dans le ton. Dommage.
Reste l’Amfortas de Peter Mattei.
Et cet Amfortas-là vaut presque à lui tout seul la traversée de l’Océan. Il y a longtemps, très longtemps (jamais peut-être) que je n’ai pas entendu une telle interprétation. Il y a tout dans ce chant et d’abord une incroyable suavité, une sorte de douceur/douleur christique, la voix est chaude, égale, comme si la douleur était stoïque et à la fois désespérée. Il y a aussi l’émission, la diction qui est un pur modèle d’école, la puissance de la projection dans l’immense salle du MET, il y a simplement un personnage, presque neuf, on n’a jamais entendu cela comme ça. Et ce chant aux accents d’une simplicité presque schubertienne,  fait naître immédiatement dans le public une solidarité presque cathartique, une émotion indicible que le spectateur perçoit dans sa chair . Comment s’étonner qu’il emporte le plus grand triomphe de la soirée? Inoubliable.

Alors oui, ce Parsifal valait l’Océan: malgré les quelques petites déceptions, on est devant une belle production, une distribution exceptionnelle, une direction musicale d’envergure, et tout simplement devant une des plus belles musiques jamais écrites…Et puis, c’est par elle que je suis entré à l’Opéra Garnier, en avril 1973, qui a scellé mon avenir wagnérien, il y a presque 40 ans. Il fallait bien fêter l’entrée dans la folie.

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OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2012-2013: DAS RHEINGOLD (L’Or du Rhin) de Richard Wagner,(Dir. mus: Philippe JORDAN; ms en scène Günter KRÄMER) à l’Opéra Bastille (12 février 2013)

 

Photo de répétition (févr. 2010) © Opéra national de Paris/ DR

Pour le détail, notamment de la mise en scène, je renvoie le lecteur à mon compte rendu de la représentation de Rheingold du 16 mars 2010, il n’y a rien à changer  de ce qui avait été dit à l’époque.
Malgré la déception passée, et à quelques semaines du magnifique Ring de Munich qui me suit encore à la trace, j’ai voulu profiter du hasard d’un passage à Paris pour revoir ce spectacle, pour constater ou non des évolutions, vu que j’en ai entendu des échos très favorables, voire hyperboliques.
j’ai beaucoup médité sur une conversation saisie derrière moi dont j’ai entendu sans le vouloir un ” Wagner, il faut oser!” au sens où aller voir un Wagner, c’est oser… Bienheureux Richard Wagner  pour qui presque jour pour jour 120 ans après sa mort (13 février 1883)   il y a encore des spectateurs qui considèrent audacieux d’aller voir un de ses opéras ! Mieux, il y a les wagnériens impavides “sic” qui vont voir 5h d’opéra ! (je me disais  “pas seulement les wagnériens pur sucre, sinon les salles seraient clairsemées..”).  A part ces fragments d’un discours ni amoureux, ni musical ni wagnérien, je me suis réjoui de voir tant de gens faire la queue des derniers moments en billetterie, tant de jeunes aussi, et au fond tant de curiosité pour Wagner, dont on ne voit pas fréquemment les œuvres à l’Opéra de Paris, et en particulier le Ring (Rheingold: 1976, 2010, 2013). C’est pourquoi j’ai scrupule à émettre tant de réserves sur cette entreprise, moi qui suis un enfant gâté du wagnérisme, car à part voyager, quelle possibilité a le parisien de voir du Wagner, sinon se contenter de l’offre locale? Car c’est bien Wagner qui provoque cette ruée, à chaque fois, Wagner bien plus que le renom de la production parisienne: le public a une envie très légitime de cette musique, qu’il n’a pas l’habitude d’entendre et pour laquelle globalement il a peu de références autres que des enregistrements.
Si on a des références scéniques nombreuses, alors le regard est forcément différent, même si hier, j’étais disposé à me laisser surprendre, alors que j’avais juré qu’on ne m’y prendrait plus, car en matière de théâtre, rien n’est définitif.
Las, la mise en scène a provoqué à trois ans de distance les mêmes irritations, longs trous noirs générateurs d’ennui, peu de direction d’acteurs, des éléments peu motivés (Germania) sinon que tout pouvoir veut sa trace d’architecture, de Versailles à la Pyramide du Louvre en passant par Germania, le rêve de la cité idéale selon Hitler et surtout Speer et les mêmes appréciations (la scène initiale des Filles du Rhin, esthétiquement réussie). Comme Kriegenburg à Munich, Krämer utilise des figurants humains pour faire le Rhin (encore que chez Krämer le Rhin est figuré par des fumigènes et que ces centaines de bras sont une sorte d’univers animalier du fond du Rhin.) ou pour figurer le dragon ou la grenouille de la scène de Nibelheim. Mais là aussi, le spectateur non averti voit peu de différence entre la figuration du dragon ou de la grenouille vu que l’argument essentiel (le jeu sur les tailles) ne se voit pas clairement sur scène: Kriegenburg utilisait des hommes pour montrer l’humanité en charge du mythe, qui le racontait ainsi en le figurant. Ici, on a l’impression que c’est l’effet pour l’effet, sans objectif précis car au bout de cette deuxième vision, je ne sais toujours pas quel propos nous est tenu. Ah oui, l’idée du pouvoir sur la terre:  Wotan trône sur un globe illuminé,

Photo Opéra National de Paris

et les géants sont des ouvriers en colère qui plantent leurs drapeaux rouges sous les fenêtres des Dieux…une métaphore éculée de la doxa scénique wagnérienne. On ne peut même pas dire qu’il n’y ait pas d’idées, mais elles ne sont exploitées que pour elles mêmes, jamais mises en lien pour construire un discours unifié autour d’objectifs clairs.
Du point de vue de la distribution, incontestablement et dans l’ensemble, on a un ensemble de chanteurs de très bon niveau, qui sont laissés à peu près à eux-mêmes. Les Dieux, Froh, Donner sont vraiment des dieux de luxe aujourd’hui, mais justement, confier Froh à Bernard Richter dont ce n’est pas tout à fait le répertoire, et à Samuel Youn Donner alors qu’il chante aujourd’hui le Hollandais, c’est peut-être sur-dimensionner, car la valeur ajoutée incontestable de ces deux chanteurs de grande notoriété ne rajoute pas grand chose à leur prestation scénique dans des personnages un peu secondaires . Le Wotan assez juvénil d’Egils Silins, entendu à Munich dans ce même rôle, est très correct, avec un joli timbre, mais manque de largeur et ne s’impose pas (peut-être le personnage est-il voulu ainsi?) , pas plus que Kim Begley en Loge, violemment hué et bien en deçà de sa prestation il y a trois ans: la voix est fatiguée, la composition un peu pâle, routinière.
Du côté des géants, rien à dire, ils sont excellents (Groissböck!) avec une belle découverte, le Fasolt imposant de Lars Woldt. Si Wolfgang Ablinger Sperrhacke fait une composition honorable en Mime (il est bien plus convaincant dans le Mime de Siegfried) Peter Sidhom en Alberich est à la limite de l’acceptable: sa première scène est mal chantée, pas de puissance, diction à la dérive, voix mal appuyée sur le souffle, peu colorée. Le reste de ses interventions ne passe que parce qu’il  substitue à la couleur, aux modulations, à la puissance, aux aigus, qu’une manière d’appuyer sur le mot, de nasaliser, de donner un peu de relief au discours, qui reste quand même notoirement indigent. Une erreur de distribution.
Les trois filles du Rhin ne sont pas exceptionnelles, et surtout leurs voix ne fusionnent pas ou fusionnent mal, ce qui est gênant pour des filles du Rhin si élégamment vêtues de robes sur lesquels sont cousus deux seins apparents et un pubis bien poilu.
Sophie Koch en Fricka sans avoir une voix d’exception a un chant  affirmé, et impliqué, ce qui en fait une Fricka très présente et engagée. Bonne prestation aussi d’Edith Haller qui a la voix du rôle, le volume, les aigus de Freia, elle est une Sieglinde en puissance (et en réalité) et cela s’entend, tellement plus convaincante que Ann Petersen il y a trois ans.
Moins convaincante la Erda de Qiu Lin Zhang, affligée d’un fort vibrato, qui traverse deux fois la scène (pendant la remontée du Nibelheim et dans sa scène) de la même manière, et sans vraiment diffuser de mystère ni de conviction.
Peu de mystère non plus dès le départ dans une direction musicale décevante, toujours très précise et très en place mais sans aucun éclat ni relief; cela reste très plat, si plat qu’on entend peu l’orchestre notamment pendant les trois premières scènes, on entend à peine les cuivres, et l’orchestre semble avoir un style “chambriste”, qui prendra du volume vers la fin.
Dès l’accord initial, on n’a aucune couleur, aucun sentiment que quelque chose commence: un discours fait de notes, mais pas de musique. La mise en scène a sans doute quelques idées mais pas de discours global, la direction musicale n’affiche pas de véritable parti pris, pas de point de vue sur l’œuvre, c’est un travail neutre bien sage,  bien fade et sans imagination – quand on pense au parti pris de clarté et de modernité de Nagano à Munich ! on  reste frustré ici du manque d’invention- un travail qui donne de l’espace à la mise en place des instruments, à une construction technique mais sans vraie modulation ni variété ni couleur qui puisse convaincre, sans réponse à la question musicale posée par le Ring.

Pour toutes ces raisons, je suis vraiment resté réservé sur un spectacle pas si mal distribué, mais qui génère une grande insatisfaction musicale et scénique: quand deux pieds sur trois du trépied lyrique sont bancales, cela ne marche pas. J’aurais aimé que quelque lumière se lève sur ce Rheingold, mais l’or est resté bien caché, au profit d’une grisaille sans âme. Je me réjouis cependant du fort succès obtenu, c’est la preuve que Wagner fonctionne en dépit de tout (et c’est sa force!): un Verdi du même niveau n’aurait sans doute pas passé la rampe.
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