WAHNFRIED: LES RETROUVAILLES ET LA DÉCEPTION

Là où mon imaginaire ont trouvé la paix...
Là où mes illusions  ont trouvé la paix…

Je me faisais une joie d’aller à Wahnfried, enfin rouverte après cinq ans de travaux de rénovation. J’ai lu comme beaucoup les tribulations financières qui ont entouré les travaux effectués, et celles qui attendent la gestion au quotidien d’un espace qui a triplé de volume:  tout le monde en appelle au « Bund » à l’État fédéral, parce qu’il n’y pas assez d’argent pour l’entretien au quotidien et surtout pour travailler à l’expansion du Musée et au financement des recherches nécessaires et du personnel afférent.

Mais ce qu’on nous présente actuellement est-il digne du rayonnement de Richard Wagner?
On a l’impression que le musée n’est pas terminé, que tous les objets ne sont pas là, que les notices ne sont pas rédigées, que les espaces ont été vite aménagés pour l’inauguration, mais que ce n’est pas, ce ne peut être le musée définitif Richard Wagner.
Si ça l’était, ce serait problématique.
L’ancien Musée Richard Wagner était limité à Villa Wahnfried, avec quelques espaces souterrains pour les expositions menant à la maison de Siegfried Wagner attenante. Beaucoup de vitrines, beaucoup de petits objets, beaucoup de lectures, pas mal de photos et des notices assez bien faites. Il y racontait à la fois la vie de Richard Wagner, le Festival et des photos et quelques objets en illustraient l’évolution jusqu’en 1976. C’était un musée chaleureux, où l’on passait des heures avec la musique de fond du « Klingendes Museum ».

Un coin de la bibliothèque
Un coin de la bibliothèque (Villa Wahnfried)

Le salon où trône toujours le piano de Richard Wagner était aménagé en espace d’audition d’un Musée sonore d’enregistrements la plupart du temps historiques, ne provenant pas forcément d’ailleurs du Festival et l’on se promenait en même temps dans les rayons de la bibliothèque. Et les sous-sols étaient occupés par les jolies maquettes des productions anciennes, qui n’étaient malheureusement plus montrées depuis des années et des années.

C’était un petit musée, plein de charme, où l’on apprenait pas mal de choses et où l’on se trouvait bien. On terminait la visite en s’asseyant dans le jardin autour du bassin au timide jet d’eau, à côté de la tombe du Maître, de la Maîtresse et du chien et on se mettait à lire. Du moins c’est ainsi que j’ai passé bien des matinées pendant des années. Il y avait des bancs traditionnels faits de bois et de fonte, il faisait bon s’y asseoir, ils sont remplacés par quatre bancs en ciment sans dossier autour du bassin, pas vraiment faits pour y traîner.

Extérieurement, le bâtiment nouveau est en revanche très réussi, il s’insère sans heurter dans le paysage. Et une promenade au rez de chaussée de plain pied avec le jardin, est particulièrement agréable.

Le nouveau bâtiment
Le nouveau bâtiment

Les nouveaux espaces du musée se divisent en trois structures, la Villa Wahnfried, réaménagée, la Siegfried-Wagner Haus, attenante, où a vécu Winifred jusqu’à sa mort en 1980, et à droite de la façade un nouveau bâtiment tout en vitres en rez de chaussée et sous sol qui fait face à la Siegfried-Wagner Haus de l’autre côté et qui est devenu l’entrée officielle du musée, par laquelle on commence la visite.
D’emblée, je dois confesser la relative déception que cette visite m’a procurée: une exposition permanente dont je veux croire qu’elle est provisoire, tant l’impression de va-vite et de pauvreté intellectuelle est forte, et tant l’imagination est absente dans l’aménagement, sans aucune réflexion sur les espaces, notamment les espaces nouveaux qui sont exactement tout ce qu’on ne doit plus faire dans un musée, si tant est qu’on ait pu un jour avoir l’idée saugrenue de proposer ça, comme ça.

Le Musée new look est donc divisé en trois espaces :

  • le nouveau bâtiment dédié au Festival et à son histoire.
  • la Villa Wahnfried qui retrace la vie de Wagner, et la vie à Wahnfried
  • et enfin la Siegfried-Wagner Haus dont on ne voit que le rez de chaussée, salon de jardin, salon avec sa cheminée monumentale, salle à manger, et qui est paraît-il consacrée aux vicissitudes idéologiques de la famille, et notamment à sa relation avec l’oncle Wolf, Adolf Hitler
La maquette du Festspielhaus
La maquette du Festspielhaus

On commence donc la visite par le nouveau bâtiment dédié au Festival avec une magnifique maquette du Festspielhaus dès l’entrée et puis une grande salle sombre, avec au centre trois grandes vitrines contenant des costumes des premières productions, puis de l’ère Wieland, puis de l’ère Wolfgang et quelques objets symboliques en vitrine latérale. J’ai pu reconnaître quelques costumes, et les productions dont ils proviennent :

Cotume de Fricka (Jacques Schmitt) dans la production Chéreau 1976-1980
Costume de Fricka (Jacques Schmitt) dans la production Chéreau 1976-1980

le costume de Fricka dans la production du Ring de Chéreau par exemple

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Costume de Venus (Jurgen Rose) Tannhäuser, prod.G.Friedrich (1972-1978)
Costume de Venus (Jurgen Rose) Tannhäuser, prod.G.Friedrich (1972-1978)

 

 

 

 

 

 

ou celui de Vénus dans le Tannhäuser de Götz Friedrich. Mais j’ai puisé dans ma mémoire, parce que les notices indiquent l’œuvre et le personnage, mais pas la production, ni évidemment l’auteur du costume ni même l’année.

Les maquettes des productions sont présentées sur un mur de maquettes: avec des maquettes au niveau du sol, d’autres à trois mètres en hauteur, et les seules visibles sont celles qui sont à hauteur d’homme, avec là aussi des indications minimales et une organisation erratique. On reconnaît au milieu d’autres celle très célèbre du 2ème acte de Meistersinger de Wieland Wagner en 1956:

Die Meistersinger von Nürnberg (Acte II) Wieland Wagner1956
Die Meistersinger von Nürnberg (Acte II) Wieland Wagner(1956)

Pas de maquettes ni même d’images de productions récentes, la plus récente est la maquette du barrage de Rheingold chez Chéreau (à 3m en hauteur, à droite, invisible au commun des mortels) qui remonte à 1976. Comme si le Festival s’était arrêté.

Au détour de la salle dans un puits de lumière, des écouteurs pour écouter de la musique.
De l’autre côté des maquettes, quelques objets éparpillés dans une vitrine, objets de scène comme le Hollandais s’élevant au Ciel avec Senta ou vieux objets musicaux comme le Glockenspiel de Parsifal puis enfin un mur avec les photos de tous les chefs ayant dirigé à Bayreuth,  les productions qu’ils ont dirigées et les années. Les photos semblent avoir été choisies à l’époque de la première apparition de l’artiste ce qui peut se comprendre, mais on dirait qu’on a choisi les pires : celles de Barenboim, de Boulez, de Gatti sont des exemples de photos presque adolescentes, ou d’une éternelle jeunesse : ils sont à peine reconnaissables.

Informations détaillées ? Non.
Présentation problématisée ? Non
Histoire du festival et des tendances artistiques? Non

Je me souviens dans l’ancienne Wahnfried de photos des productions des années 30, de gravures des premiers décors, d’une fiche sur les tempi comparés adoptés dans Parsifal. Il y avait quelque effort de contextualisation: Ici tout cela a disparu.
Eu égard au rôle du Festival de Bayreuth dans l’histoire de la mise en scène d’opéra, on aurait pu penser que quelque chose serait dit de ce côté là. Mais non, rien ne se passe, rien n’est dit, rien n’est présenté. Vide abyssal. On a l’impression qu’ont été mis là pêle-mêle tout les objets l’on avait sur le Festival, sans aucun effort de présentation ou d’information.
Quant à la naissance du Festival et à la construction du bâtiment, elle fait l’objet d’une salle qui existait d’ailleurs dans l’ancien Wahnfried et qu’on a reproposée au même endroit dans la Villa Wahnfried rénovée, et curieusement pas dans le bâtiment neuf consacré au Festival même.

Siegfried Wagner Haus  - La salle à manger
Siegfried Wagner Haus – La salle à manger

Si l’on passe en face dans la Siegfried Wagner Haus, on s’attend à des photos, on s’attend à quelque chose de fort sur « l’idéologie » du festival et ses errances, dans une maison où toute la hiérarchie nazie qui comptait à commencer par Adolf a défilé.
Dans des salles vides merveilleusement lambrissées, avec quelques meubles, et une belle salle à manger, trois dispositifs vidéo au sol, écran de 40cm à tout casser, avec un siège permettant la présence de 2 personnes au plus qui projettent quelques films et montages. C’est tout.

Vitrine Cosima
Vitrine Cosima (Villa Wahnfried)

Enfin la villa Wahnfried, raconte la vie de Wagner. On reconnaît bien des objets de l’ancien musée, mais en nombre plus réduit, isolés dans des vitrines immenses et froides. C’est cette froideur de la présentation qui frappe d’abord.
La présentation est conçue de manière chronologique, donc plus claire, avec une grande salle consacrée à Bayreuth à l’étage et les espaces privés de Wagner consacrés dans une salle à quelques habits du Maître, et dans l’autre à quelques habits et objets de Cosima. C’est presque tout sur la vie de Wahnfried au quotidien.
Au rez de chaussée on retrouve avec plaisir la bibliothèque, mais les meubles sont sous housse blanche, comme dans les deux salons attenant à l’atrium.
Voilà : c’est fini.

On aurait pu penser que la nouvelles configuration du Musée et les nouveaux espaces auraient permis de penser différemment les présentations, d’utiliser peut-être aussi, en 2015, des outils numériques, de travailler à l’interactivité : rien de tout cela. Une présentation surannée, qui ne présente aucune problématique, qui ne donne aucune piste, au point qu’on se demande si c’est bien terminé, au point qu’on se dit : 20 millions pour ça?
On sait que le Musée a des problèmes d’argent, on sait aussi qu’on a accéléré les derniers moments de mise au point, on se dit enfin que sans doute la partie concernant la présentation des contenus a dû être sacrifiée pour des raisons économiques. Cependant si les espaces sont triplés pour ne rien présenter de plus, voire l’inverse, cela ne manquera pas de poser des problèmes rapidement
Ce qui frappe surtout c’est le manque d’idées ou d’imagination,  parce que la collection présentée ne s’est guère enrichie depuis 1976, parce que la partie « Festival » qui pouvait être passionnante puisqu’on a aujourd’hui de l’audio, des vidéos, des maquettes, des objets, des costumes, aurait pu être présentée de manière attractive, en demandant à un scénographe d’y travailler. Au lieu de cela, il semble qu’on ait mis tout ce qu’on avait sous la main  dans un espace fourre-tout, comme pour s’en débarrasser ou pour se donner bonne conscience, avec pour seul résultat: much ado about nothing.

Vu le manque d’idées et d’imagination des collections permanentes, il reste à espérer dans les expositions temporaires, il reste à espérer aussi qu’on va enfin réagir : il n’est pas pensable qu’on ait laissé vivoter ce musée depuis 1976, puis qu’on lui donne des habits neufs un peu trop grands, et trop vides, sans plus de nourriture : si c’est ainsi, le musée va vivoter, puis survivre, puis mourir.
Tout se passe comme si personne n’avait envie qu’il s’y passe quelque chose ou qu’une sorte de résignation avait présidé à sa présentation.

C’est une vraie déception, voire un grand étonnement:  ce musée dans son état actuel n’est pas un modèle pour  l’organisation des contenus ni pour leur présentation. C’est un musée conçu pour une visite de 30-45 minutes de groupes organisés. Certes l’audioguide peut pourvoir aux informations manquantes, mais cela ne compense pas les problèmes de présentation ou la conception générale. On espère donc que les choses vont vite évoluer .[wpsr_facebook]

Vue sur jardin
Vue sur jardin

Une réflexion sur « WAHNFRIED: LES RETROUVAILLES ET LA DÉCEPTION »

  1. Merci pour vos lignes, vous avez parfaitement raison : un beau gaspillage, une muséographie glaciale et désertique, un parti-pris historique extrêmement contestable. Vingt millions pour un musée de province désincarné, qui ne vit qu’à peine deux mois par an ! Et qui va encore longtemps accepter de payer le billet d’entrée afin de contempler des meubles Ikea sous housse ? C’est ridicule, et c’est infiniment triste. La seule façon de comprendre – surtout pas de justifier ni d’aimer – est de se rappeler, une fois de plus, combien Wagner n’est qu’un miroir de chaque époque ; à travers les âges et les reconstructions, Wahnfried nous en dit désormais fort peu sur lui, mais beaucoup sur nous.

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