Georges Prêtre n’est plus. Avec lui s’éteint d’un des derniers très grands chefs internationaux français qui a dû sa renommée internationale d’abord à cause de sa collaboration avec Maria Callas, et qui était aimé dans des pays aussi différents que l’Italie (adoré à la Scala) ou en Autriche (où son passage au Wiener Symphoniker comme premier chef invité qu’il est toujours resté fut marquant et apprécié). Rappelons pour mémoire qu’alors que les Wiener Philharmoniker, les plus connus donnent seulement quelques concerts à Vienne (la plupart des musiciens sont en fosse à l’opéra), la grande saison symphonique locale (au Konzerthaus) est assumée par les Wiener Symphoniker, actuellement dirigés par Philippe Jordan. Il reste tout de même le seul chef français à avoir dirigé deux fois le Concert du Nouvel an à Vienne, en 2008 et 2010.
Mais inexplicablement, il n’était pas trop aimé à Paris, au moins jusqu’à l’inauguration de saison de 1984, où son Moïse de Rossini (Mise en scène de Ronconi, avec Verrett, Gasdia, Merritt, Ramey) fut un événement.
Je n’aime pas les nécrologies, d’autres le font mieux que moi, et ce n’est pas l’objet de ce Blog. Je voudrais simplement rappeler les rencontres avec Georges Prêtre, que j’ai entendu diriger pour la première fois à l’Opéra de Paris dans Don Carlo en 1974…(Suzanne Sarocca, Nicolaï Ghiaurov) : ce fut la curée. Prêtre alors était systématiquement hué par un certain public, je ne sais lequel, mais sans doute le même qui avait hué Crespin sur la même scène d’une manière et sauvage et injustifiée. Il y avait alors à Paris des arbitres des inélégances, qui hurlaient contre Liebermann au nom du fait qu’il ne faisait pas chanter les chanteurs français, et qui ont fini par chasser Crespin et Prêtre du théâtre national. Cette étonnante attitude contre Georges Prêtre étonnait beaucoup les mélomanes étrangers, lui qui avait un tel succès à la Scala, où il était très aimé (des amis se souviennent encore de sa Bohème avec Cotrubas et Pavarotti). Jeune mélomane alors, je ne comprenais pas bien cette hostilité, même si dans cette fatale édition de Don Carlo m’avait frappé comme la foudre le Filippo II de Ghiaurov, et moins la direction qui ne méritait en aucun cas l’opprobre, mais qui ne m’avait pas semblé aussi marquante.
Et à rebours de la mode parisienne, je l’appréciais parce qu’il était souvent inattendu (voire aussi discutable) dans ses choix de tempo, dans la distribution des volumes, et toujours éminemment raffiné. Je l’ai entendu – et apprécié- à Paris dans Les contes d’Hoffmann de Chéreau dont il a dirigé la première série de représentations, mais aussi dans la magnifique Madama Butterfly de Jorge Lavelli importée de la Scala, et dans Samson et Dalila, entendu à Paris avec Guy Chauvet et Fiorenza Cossotto, mais surtout en 1991 à Vienne (production Götz Friedrich avec Domingo, Baltsa, Fondary) où il fut étincelant.
Preuve qu’il était considéré comme bankable, notamment dans le répertoire français, il a dirigé le Faust enregistré avec l’Opéra de Paris, et Mirella Freni en Marguerite (EMI) appuyé sur les nombreuses reprises de la fameuse production mythique de Jorge Lavelli alors qu’il n’a dirigé aucune des séries de représentations de cette production à Paris.
Autre preuve de la manière dont il était apprécié, notamment par les italiens, Massimo Bogianckino l’a appelé pour ouvrir sa première saison parisienne avec Moïse et Pharaon de Rossini en 1983, où il remporta pour la première fois depuis longtemps un authentique triomphe, mérité. Si bien que possédant l’enregistrement de la représentation retransmise, c’est elle que j’écoute le plus souvent : entre Verrett, Gasdia et Ramey, il y a de quoi écouter en boucle. Mais Bogianckino l’a appelé aussi pour un Werther mémorable (Alfredo Kraus, Troyanos en alternance avec Valentini Terrani) et pour une série de Don Carlos en version française chantée avec moins de bonheur, mais avec une distribution courageuse : à l’époque personne ne voulait apprendre la version française .
J’ai reçu quelques sms d’amis italiens très tristes de sa disparition : en France, comme il se doit, à mesure qu’il vieillit, il devint de plus en plus référentiel et on le statufia. Il reste que mon estime pour lui est née de la manière injuste et ridicule dont il fut reçu plusieurs fois par des imbéciles patentés du public de Garnier dans les années 70, et de ce Moïse qui reste pour moi à l’opéra l’un des sommets de son art.
Un grand bonhomme de la musique s’éteint, parfaite illustration de l’adage Nemo propheta in patria.
R.I.P. Maestro Georges Prêtre, 1924-2017