CONTRE UN MONDE DE BIENPENSANCE ET DE FAUSSE MORALE. POUR DANIELE GATTI.

Cette année à Bayreuth, les mises en scène de Parsifal et de Lohengrin, chacune à leur compte, reprennent les modes du temps. Pour Parsifal, c’est la radicalité représentée par un Klingsor qui a épousé la foi musulmane par opportunisme qui est vaincue. Tout se termine par un syncrétisme bienvenu sous les auspices de la Pax Americana et du Bon Pasteur, dans un universalisme catholique au sens propre et sale du terme.
Pour Lohengrin, c’est la revanche d’une Elsa retenue par un Lohengrin qui montre au troisième acte sa vraie nature de mâle blanc (bleu ?) dominant en la retenant prisonnière : en posant la question fatale, elle se libère, alliée objective d’Ortrud.
Il est juste que la scène soit traversée des hoquets du monde du jour, voire de ses modes, même quand ce sont des étoiles filantes. Cependant…
Le monde du jour est horrifié des entorses au droit des animaux, mais finit par accepter au nom de raisons dites d’Etat qu’on puisse rejeter à la mer ou à la mort des hommes qui ont été contraints à l’exil .
Le monde du jour est aussi traversé par des dénonciations tardives souvent anonymes qui aux yeux de certains médias, d’institutions terrorisées comme le MET (dans l’affaire  James Levine, connue depuis des décennies et jamais dénoncée) ou aujourd’hui le Royal Concertgebouw Orchestra, valent procès et jugement.
Le Maccarthysme se porte de nouveau très bien, non plus contre le communisme mais contre ceux qui semblent dévier de la néo-morale instituée qu’ils ont paraît-il transgressée hier, avant hier, ou bien avant encore:  c’est à dire que le monde va très mal.
Qu’on ne se méprenne pas : il est très heureux que certains comportements aient été dénoncés, et que cela incite à plus de tenue et plus de respect entre les sexes ou simplement entre les hommes. C’est à dire que l’humanité progresse.
Or, elle régresse, au nom de la délation universelle qu’on prend pour argent comptant parce qu’on a l’impression de défendre la morale. La délation et la peur sont les premières manifestations des sociétés pré-fascistes. Je n’aime pas plus le harcèlement que la délation ou la dénonciation tardive. On s’estime lésé ou harcelé ? Soit: il y a des lois et une justice pour demander réparation. Mais la délation est un poison autrement plus dangereux, parce qu’il pervertit d’autres valeurs, désigne des boucs émissaires à la vindicte : on a déjà vécu ça dans d’autres temps…
Rousseau disait, face à l’accusation d’avoir abandonné ses enfants : « il n’en coûte rien de prescrire l’impossible quand on se dispense de le pratiquer ». Appliquons cette maxime aux donneurs ou donneuses de leçons de tous ordres.
Ce qui arrive à Daniele Gatti en est le triste résultat, où l’on brûle une carrière et un artiste exceptionnels sans preuve ni plaintes avérées, au nom d’une (fausse) morale importée.
Je ne peux que souscrire à ce qu’écrit l’excellent journaliste italien Angelo Foletto, à qui l’on doit la déclaration ci-dessous, traduite en français que le Blog du Wanderer fait globalement sienne et qu’il demande aux lecteurs de lire et diffuser:

« Il semblait impossible qu’un chef italien aussi prolétaire (courant les cachets au conservatoire, jouant au foot, avec des profits loin d’être ceux d’un premier de la classe dans la  Milan musicale déjà moche des années 70-80) étranger aux groupes d’influence nationaux et internationaux, sans l’appui de « sa » maison de disque, peu disert et d’un caractère plutôt bourru, mais si bosseur, et si réfléchi pour devenir le plus pur et le plus complet talent d’aujourd’hui parmi les chefs quinquagénaires, ait pu faire une telle carrière. Au point d’avoir été courtisé, engagé en 2016 et – il y a quelques semaines- officieusement couronné comme chef à vie du Royal Concertgebouw Orchestra, une des cinq meilleures phalanges au monde aujourd’hui.
Oui, c’est impossible. Ou mieux, depuis hier, cette carrière a été virtuellement et brutalement annulée. Au nom d’un instant de testostérone mal dominée, il y a vingt-cinq ans – et « révélé », sans dépôt de plainte ou démarche similaire – Daniele Gatti a été lâché, injustement et sans autre forme de procès, par le board hollandais qui avait mis dans ses mains en juin son propre avenir artistique et commercial.

Les allégations ? Un très partiel (et bien peu documenté) reportage sur les « agressions sexuelles » dans le monde de la musique classique publié dans le Washington Post le 25 juillet et relancé – pur hasard ! – par un site-blog de mélomanes « proche » de quelques agences artistiques et repris un peu partout depuis. Pendant plus de huit mois d’enquête, les deux journalistes ont recueilli des témoignages nombreux, mais vagues sur la question, presque tous remontant au siècle dernier. Rien de neuf, mais par exemple, on n’y trouve pas les noms que tous dans le milieu connaissent et qui en « serial » professionnels de « l’agression » s’en vantent. Et presque tous les témoignages recueillis dans ce long article sont anonymes, seules deux chanteuses (?) pratiquement du même âge que le chef répètent la même version des faits comme si elles l’avaient apprise par cœur.  Et la photo mise en tête de l’article du Washington Post évoque malicieusement un geste de chef qui – et ce n’est pas un hasard – est celui de Gatti.

Par la suite – c’est à dire après l’article – il semble qu’aient chanté la même chanson quelques dames de l’orchestre hollandais, sans carte d’identité, parlant d’« expériences inappropriées », sans plus de précision. D’où, selon le communiqué très sec de la RCO, le licenciement sans préavis ni discussion contradictoire.

A la fin du communiqué il est précisé que les concerts seront effectués avec d’autres chefs. Est-ce pour tranquilliser les sponsors américains sur la « pertinence sexuelle » (il serait curieux de comprendre comment ils la vérifieront) du chef choisi ou sur sa valeur ? Librement évaluée par l’orchestre ou « suggérée » par le groupe d’intérêts ou par l’artiste qui pour certains « mal pensants » (mais pas trop) pourrait avoir habilement utilisé le cas en abusant des ambiguïtés puritaines et souvent pas neutres de #Metoo ?
C’est vrai, c’est un signe inquiétant des temps que l’usage malfaisant qu’on fait de ces dénonciations à retardement. Et il est effrayant que l’institution culturelle  la plus historique, la plus importante et la plus fameuse d’une ville archi-connue pour être la zone franche du sexe en tous genres et des substances chimiques qu’on se procure facilement et par tous moyens, use de telles procédures professionnelles sans preuves, faisant des « procès sexuels » préventifs, obscurantistes et démagogiques. 

Angelo Foletto. »

 

0 réflexion sur « CONTRE UN MONDE DE BIENPENSANCE ET DE FAUSSE MORALE. POUR DANIELE GATTI.  »

  1. Bravo pour votre bel article.
    Il ni a rien à y ajouter.
    Permettez moi de relater une autre histoire bien tragique.
    Anne Sophie von Otter était la femme la plus comblée du monde, une immense carrière, une famille exceptionnelle et tout s’ est effondré en un jour.
    Son mari le très célèbre directeur de théâtre Benny Frederiksson a été accusé de comportements inadéquates. Une commission gouvernementale a été nommée qui a rendu un rapport l’ innocentant totalement. Cependant le coup fût trop dur pour lui, il sombra dans une profonde dépression et se suicida…..

  2. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Croyez-vous vraiment qu’un orchestre aussi respectable et prudent aurait réagi avec autant de détermination s’il ne s’était agi que de ces vieilles affaires, au risque de devoir faire face à un bouleversement total de son organisation à court et moyen terme ? Et que si Gatti n’avait rien d’autre à se reprocher, il se serait aussi mal défendu ? Et que les théories conspirationnistes de votre journaliste italien soient recevables ? On peut faire le procès de la délation et de quelques dommages collatéraux inévitables mais on aura au moins gagné sur un point essentiel: le harcèlement en toute impunité a du plomb dans l’aile et cela n’a pas de prix, que ce soit dans la musique classique, le cinéma ou tout autre domaine.

  3. Pour répondre à Laurent Jacob c’ est à dire Angelo Foletto est une des personnalités italiennes les plus respectées qui soient. Il est une des meilleures plumes du corriere della sera journal connu pour sa pondération et pour vérifier avec sérieux les papiers de ses collaborateurs.

  4. Je partage entièrement votre position.
    Pour situer mon intervention deux phrases :

    « la vertu est une attitude individuelle » et
    « il ne se trompe jamais celui qui pardonne », (surtout si cela lui coûte),

    mes chaleureuses félicitations pour votre très beau regard.

  5. Le terme de Maccarthysme est bien le plus approprié: le Maestro Levine a été licencié comme un malpropre alors même que le procureur de New York avait classé sans suite la plainte déposée contre lui pour harcèlement sexuel par un individu. Qui plus est, toute référence à Levine a été supprimée de l’historique du Met, jusqu’aux photos ( cela rappelle Staline qui faisait retoucher les photos pour enlever ses opposants exécutés ou en fuite). Se comporter de cette manière envers quelqu’un qui est un handicapé atteint de la maladie de Parkinson est indigne. S’agissant du Maestro Gatti , je relève que les témoignages révélés par le Washington Post datent de 1996 et de 2000. N’importe qui peut donc aller voir un journal et raconter que vingt ans auparavant, le maestro x ou y a eu tel ou tel geste ou attitude inappropriée et ainsi couler sa carrière. N’oublions pas en France les affaires d’Outreau et Dominique Baudis. La présomption d’innocence est la base d’un système judiciaire d’un état démocratique. Des lors , comme nous le voyons dans ces lamentables affaires, que c’est la présomption de culpabilité qui prévaut, nous basculons dans un état totalitaire.

  6. Oui, la présomption de culpabilité est ce qui prime maintenant, en ces temps troubles où l’on entremêle la véritable chasse aux vrais pervers et le maccarthysme glauque des néo-puritains en montée de puissance.

  7. Bravo pour votre article ; bien peu s’émeuvent de cet atmosphère délétère qui va s’amplifiant avec en contrepoint une tendance croissante des idées néofascistes au quatre coins de la planète. Qu’on ne s’y trompe pas l’histoire se répète et l’instabilité économique et financière croissante ne peut avoir pour conséquence qu’un recours pour certains aux régimes totalitaires faisant main basse sur la culture et l’humanité.

  8. je suis tellement indigné par ces « bourgeois bien pensants « hollandais que je n’ai pas de mots.
    L’époque est bien finie quand les Pays Bas accueillaient ceux qui pensaient autrement et ne pouvaient plus vivre et penser dans leur pays .Ces mêmes personnes bien pensantes tolèrent les vitrines exposant des femmes ….
    Je pense qu’il me sera difficile de retourner au Concert Gebauw
    AF

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