OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2015-2016: LE CHÂTEAU DE BARBE BLEUE (A kékszakállú herceg vára) de Béla BARTÓK/ LA VOIX HUMAINE de Francis POULENC le 8 DÉCEMBRE 2015 (Dir.mus: Esa Pekka SALONEN; Ms en scène: Krzysztof WARLIKOWSKI)

Cabinet de curiosités psychanalytiques ©Bernd Uhlig
Cabinet de curiosités psychanalytiques ©Bernd Uhlig

« La scène est une chambre de meurtre » .
Cette didascalie de Jean Cocteau pour La voix humaine créée par Berthe Bovy en 1930, Krzysztof Warlikowski l’a fait sienne dans le travail qu’il a effectué sur La voix humaine dans l’opéra de Francis Poulenc en 1959 tiré de la pièce de Cocteau mais aussi sur le Château de Barbe Bleue (livret de Béla Bálasz) de Béla Bartók, qui remonte à 1911, même si la création à l’Opéra de Budapest date de mai 1918. Dans un même espace se succèdent sans entracte les deux œuvres que rien a priori ne rapproche. En effet, l’opéra de Bartók est très influencé par le symbolisme, par le monde de Pelléas et Mélisande créé 9 ans plus tôt (1902) sur le livret de Maurice Maeterlinck, également auteur du livret encore plus proche d’Ariane et Barbe Bleue, de Paul Dukas, créé en 1907. Les œuvres partagent entre elles l’évocation d’un monde mystérieux, quelquefois pesant, et des relations complexes entre les personnages, encore qu’Ariane et Barbe Bleue soit plus linéaire à cause du rôle réduit donné au personnage de Barbe Bleue.
Dans une ambiance voisine, Le Château de Barbe Bleue est un dialogue amoureux entre Judith et Barbe Bleue, qui se termine en échec, avec un jeu subtil qui rend l’ouverture des six premières fameuses portes autant de gages d’amour, et la septième suprême gage et en même temps constat d’échec qui ouvre sur les trois femmes de Barbe Bleue (chacun bien caractérisée par son costume, comme si elles étaient chacune une part de LA femme recherchée et jamais trouvée) enfermées et gardées vivantes auxquelles va s’ajouter la quatrième, cette Judith bien peu biblique qui va passer du statut d’épouse à celui d’ex, et donc de momie: elle troque sa robe de femme vivante contre un costume noir « en représentation », avant d’entrer déjà momifiée dans « la vitrine ».
La Voix humaine est aussi la voix d’une ex, mais l’ambiance n’a rien de l’univers de contes évocatoire de l’œuvre de Bartók, c’est celle d’un théâtre bourgeois plus prosaïque, et aussi beaucoup plus clair et lisible. Quoi de plus banal qu’une rupture ? on a dit que c’était une tragédie, il s’agit plutôt d’un drame bourgeois version années 30.

De Bartók à Poulenc... transition... ©Bernd Uhlig
De Bartók à Poulenc… transition… ©Bernd Uhlig

En liant l’un à l’autre, Warlikowski fait de « Elle », la voix humaine, une cinquième Judith, celle qui aurait tué son amant (d’où le lien avec la didascalie initiale de Cocteau) qui apparaît bientôt en sang, dont l’allure est proche du Barbe Bleue précédent (costume, coiffure, barbe). Comme si le Poulenc était la conclusion logique du Bartók et des fantasmes qui y sont remués : une fois encore Eros et Thanatos. Une fois encore une relation de couple dans sa complexité et ses drames. D’ailleurs, au moment même où Judith pénètre dans la cage de verre rejoindre les trois autres femmes, « Elle » apparaît en fond de scène et va s’approcher lentement du proscenium, comme pour prendre le relais de l’histoire.
On peut discuter le choix initial de Warlikowski, mais sa construction ne manque ni d’arguments ni de cohérence : ces deux œuvres construisent pour lui deux variations autour du thème du fantasme féminin, mais aussi des relations de couple ; le dialogue et l’absence de dialogue. Que ce soit Judith pour Bartók ou Ariane pour Maeterlinck et Dukas, ce sont  deux prénoms qui renvoient à des mythes, biblique pour Judith, grec pour Ariane, mythes de femmes qui décident de donner un sens à leur existence dans la relation à l’homme. Tout comme « Elle » dans la vision qu’en a Warlikowski, prise en instantanée juste après un crime passionnel, non plus victime passive, mais active dans la mesure où elle assume son amour jusqu’au bout, en tuant son amant et en se suicidant ensuite, rejoignant ainsi les grands mythes du couple, ou cherchant jusqu’à la fin à « coupler » les deux existences.

Judith (Ekaterina Gubanova) Barbe Bleue (John Releya) ©Bernd Uhlig
Judith (Ekaterina Gubanova) Barbe Bleue (John Releya) ©Bernd Uhlig

Et d’une certaine manière la recherche de Judith, qui cherche à savoir jusqu’au bout ce que cachent les portes et donc ce que cache Barbe Bleue, a quelque chose de tragique et désespéré, quelque chose qui renvoie à l’insistance œdipienne dans le questionnement et qui va chercher la vérité au risque de tout perdre, et de se perdre, comme si cette vérité pouvait être une sauvegarde, mais l’obsession de la clarté (si importante et répétée dans le texte de Béla Bálasz) devient suicidaire et ruine du couple : la lumière et la transparence sont vite un obstacle à l’amour, et le couple transparent n’existe pas. Ce qui frappe dans l’œuvre de Bartók, et dans le travail qu’en tire Warlikowski, c’est que Barbe Bleue, le monstre du conte de Perrault sur qui courent toutes les rumeurs, est là trop humain, à la limite de la faiblesse, et que c’est Judith qui mène la danse, s’appuyant d’ailleurs sur le motif traditionnel de la curiosité féminine et fatale, de la femme fauteuse du trouble : éternel motif d’Eve, derrière la parabole de la curiosité se dessine toujours celle de la Chute..
La mise en scène de Krzysztof Warlikowski envisage tout cela, mais se réfugie dans l’évocatoire, le minimalisme (ou le minimal ?) sans toujours pour mon goût aller plus loin, comme s’il nous livrait une ébauche, l’ébauche d’un Serpent en quelque sorte.
Le Château de Barbe Bleue a une dramaturgie assez simple : 7 portes à ouvrir et un échange entre Judith et Barbe Bleue à chaque porte, qui théoriquement fait entrer de plus en plus de lumière dans l’espace, et fait sans cesse mieux connaître Barbe Bleue, tortures, armes, jardin enchanté ou joyaux, tous lieux marqué par le sang ou les larmes (le lac de larmes). Le sang est un motif permanent, qui peut évoquer la violence et la mort, et se relier à la didascalie initiale signalée plus haut, mais aussi la dégénérescence (souvenons nous du Parsifal de François Girard, ou de celui de Christoph Schlingensief). Le motif répétitif fait de chaque ouverture le seul élément « dramatique » le seul événement de l’œuvre. Warlikowski conserve cette simplicité, grâce au dispositif de sa complice Małgorzata Szczęśniak qui a conçu une boite, avec des cloisons lisses, des meubles « Art déco », un canapé, une commode. Des cloisons émergent les portes qui sont des cages de verre, comme des vitrines de Musée, où l’on conserve des trophées, des objets symboliques, des objets de collection qui s’accumulent comme dans un cabinet de curiosités, qui seraient autant de replis de l’âme mystérieuse de Barbe Bleue.

Théâtre dans le théâtre ©Bernd Uhlig
Théâtre dans le théâtre ©Bernd Uhlig

En même temps, Warlikowski comme souvent rappelle sans cesse où nous sommes (on se souvient de l’immense miroir d’Iphigénie en Tauride, dans cette même salle) par ces visions de la salle de Garnier vide où seule Judith est assise, du lustre, qui évidemment implique le spectateur et cherche à faire tomber le quatrième mur (Judith émerge de la salle avant de monter sur scène : elle est nous)
Comme souvent aussi, Warlikowski s’appuie sur le cinéma, comme chambre d’écho, clef de références et outil de vagabondage : il propose comme en un refrain obsessionnel des images La Belle et la Bête de Jean Cocteau, bien sûr parce que Cocteau, mais aussi parce que c’est un autre conte sur la relation de couple, sur l’épreuve, et sur la monstruosité, toujours relative.

Car si c’est Judith qui agit, forçant Barbe Bleue à exhiber ses secrets, c’est bien l’âme de Barbe Bleue qui peu à peu se découvre, un Barbe Bleue qu’on voit à la fois adulte et enfant, sur l’écran, au visage qui perle toujours de sang, et dans la sixième vitrine, où il tient un lapin qu’un Barbe Bleue magicien a exhibé dans le prologue où ce Barbe-Bleue/Mandrake (un personnage créé dans les années 30) fait sortir, tissus pigeons et lapins, comme dans un numéro de magie, comme si allaient surgir de la boite-scène des objets tout aussi hétéroclites, et comme si la relation à Barbe Bleue avait quelque chose de cette magie, et que l’œuvre de Bartók n’était qu’un dévoilement des « tours » successifs du magicien.
Le Château de Barbe Bleue, très bien joué par les deux protagonistes (Ekaterina Gubanova, robe « de scène » verte, John Releya, qui passe de magicien brillant à homme blessé), défile d’une manière claire et linéaire, avec cette esthétique élégante et ces mouvements étudiés typiques de Warlikowski. Pourtant, ce dernier n’arrive pas toujours (à moins que ce ne soit voulu), à sortir du schéma dramaturgique voulu par le livret, et cela devient répétitif, et presque sans surprise, sur un fil ténu qui nous retient à peine de tomber dans l’ennui. Au total, il ne se passe pas grand chose : spectacle de niveau, certes, mais qui ne me fait oublier ni La Fura dels Baus dans le même lieu en 2007, ni même Pina Bausch avec Boulez à Aix en Provence.
Si le lien avec La Voix humaine, sorte de huitième porte « définitive » a été explicité, ni la musique, ni la dramaturgie des deux œuvres ne procèdent du même univers. Warlikowski les a un peu forcées, mais le spectacle a sa cohérence.
Il y a tout de même une vraie différence entre Barbe Bleue et La Voix humaine, c’est que dans le premier, il y a deux personnages, et dans le second il n’y en a qu’un : pour créer l’univers parallèle entre les deux œuvres, va bientôt surgir « Lui », un « Lui » agonisant et ensanglanté, qui éclaire le monologue et le transforme en dialogue. On avait bien compris que quelque chose s’était passé puisque « Elle » entrait en scène en jetant un pistolet, on n’entre pas ainsi sans raison…Par ailleurs, le téléphone bien présent reste totalement muet, trônant orgueilleusement sur la commode: La voix humaine de Warlikowski n’est pas un dialogue avec des blancs (les réponses de l’amant à l’autre bout du fil), mais un monologue ou presque un mélologue où la protagoniste fait à la fois les questions et les réponses. La Judith de la première partie qui a rendu Barbe Bleue muet devient celle qui l’a tué, seule solution pour le garder.
Pour soutenir cette œuvre, il faut évidemment une personnalité hors pair : ce furent récemment Anna Caterina Antonacci, ou il y a plus longtemps au Châtelet Gwyneth Jones (merveilleuse personnalité, mais diction française pâteuse) ; c’est cette fois Barbara Hannigan, et la mise en scène n’est qu’un écrin qui centre tout sur la chanteuse, à qui finalement le metteur en scène lâche la bride puisqu’une longue complicité artistique lie Warlikowski à Hannigan, depuis Lulu et Don Giovanni à Bruxelles. Concerto pour Hannigan et orchestre, une Hannigan d’abord vue de deux points de vue, théâtral et cinématographique avec le jeu initial sur la vidéo : un corps vu de dessus, qui se tort, qui se dresse, qui s’étend, sur un sol géométrique, comme un corps en rupture sur le décor, un corps animal, presque chosifié : on voit ce corps se mouvoir et « Elle » n’est plus « Elle », mais elle est « chose », comme un insecte qui aurait perdu toute identité. On ne jette que quelques regards furtifs sur la chanteuse « en chair et en os » car l’image projetée est tellement forte qu’elle accapare le regard et dissout le théâtre.

"Elle" (Barbara Hannigan) en deux visions ©Bernd Uhlig
“Elle” (Barbara Hannigan) en deux visions ©Bernd Uhlig

Dans la deuxième partie, quand au loin apparaît « Lui » se traînant ensanglanté jusqu’à « Elle », le théâtre reprend ses droits, allant crescendo jusqu’au suicide final, jusqu’aux corps emmêlés et sans vie. Hannigan joue alors une sorte de ballet, et ce ne sont que mouvements et volutes où les corps de l’un et de l’autre s’évitent ou se croisent, « Lui » la regarde et la cherche, mais « Elle » est ailleurs.
Quand on a sous la main un tel monstre sacré, il suffit de la laisser faire, il suffit de la mettre en valeur plus qu’en scène, il suffit de « gérer le reste » que le spectateur ne voit pas tellement il est aspiré par la performance phénoménale de la Hannigan, douée en plus d’une prononciation française impeccable.
Mais dès qu’on a compris le mouvement et ce qui va devenir ligne directrice de l’œuvre (et dès l’entrée en scène on comprend), tout s’enchaine logiquement sans que rien ne soit inattendu, y compris le suicide sur le corps de l’amant emmêlé. Comme si Warlikowski avait laissé l’idée initiale se développer, et qu’il suffisait de laisser aller. Et dans cette histoire de téléphone, on a presque l’impression que Warlikowski est aux abonnés absents, tant c’est Hannigan qui mène la danse. On pourra m’objecter que ce qui apparaît, c’est une sorte de commune création où chacun met du sien, sans doute…il reste que c’est une impression mitigée qui émerge de ce travail : certes, Warlikowski est un grand bonhomme, et les idées qu’il développe dans ce spectacle sont justes et défendables ; il sait créer un univers, rien que par les figures qui traversent muettes toute la production, les trois femmes, l’assistante du magicien et son petit lapin blanc, l’enfant, sont autant de pierres miliaires , de marques de fabrique du metteur en scène polonais  : mais la mise en pratique et donc en scène m’a laissé un peu sur ma faim, de cette insatisfaction qui naît de l’attendu voire du trop attendu. Les remarques que j’ai lues sur son « classicisme » supposé ou sur son « minimalisme » semblaient rassurer certains spectateur toujours inquiets des excès possibles (on se souvient de l’accueil absurde à son magnifique Parsifal…), mais laissaient percevoir la convenance d’un spectacle qui pourtant partait de présupposés intéressants : les ressorts psychanalytiques, les montées d’images, tout cela existe mais jamais vraiment exploité, plus laissé en pâture au spectateur que fouillé de manière chirurgicale. Pour moi on est dans du « Warli » (comme l’appellent ses fans) un peu Canada Dry : on ressort du spectacle sans avoir appris beaucoup plus sur les œuvres qu’en y entrant.

Il reste que cette production est soutenue par une approche musicale d’une qualité incontestable.

En appelant Esa-Pekka Salonen absent depuis l’époque Mortier, Stéphane Lissner voulait frapper un grand coup, tant le chef finlandais est populaire auprès du public parisien, et tant l’opéra de Paris depuis cinq ans manquait de grandes figures de la direction d’orchestre.  Salonen dirige avec cette incroyable clarté qui répond à la clarté invoquée par les livrets, et qui fait émerger les deux partitions, écrites à un demi-siècle de distance ou peu s’en faut. Cette distance fait de l’une, Bartók, une partition de son temps, ouverte sur l’avenir, une partition contemporaine, et de l’autre, une partition plutôt tournée vers le passé, qui, tout comme le texte de Cocteau d’ailleurs, renvoie à un « avant » ; à vrai dire, le traitement de Salonen fait émerger pour moi le côté « has been » de cette œuvre, sans d’ailleurs la rendre inintéressante, ni moins passionnante mais il en fait un témoignage d’un XXème siècle qui en 1959, cherche dans les replis du passé son identité quand la musique bruisse de nouvelles pistes et de nouveaux sons. Parce que Salonen fait émerger les deux styles différents des deux œuvres, il montre aussi la moindre inventivité de la seconde.
Je me souviens aussi de Bartók plus agressifs, plus acides que cette approche plutôt en légèreté : de manière surprenante, on a un son plutôt grêle, qui laisse les voix s’épanouir sans jamais les couvrir ni faire de l’orchestre le protagoniste. En ce sens, il joue le théâtre, et le théâtre total, en suivant avec une grande tension ce que l’histoire dit et ce que la mise en scène propose. Cette absence de « corps » orchestral n’est pas problématique, parce que l’essentiel n’est pas là, l’essentiel est dans la transparence, dans la clarté qui préside aux différents niveaux de la partition, dans l’excellence des pupitres de l’Orchestre de l’Opéra dans un de ses meilleurs jours, dans « l’accompagnement » du plateau. La pâte orchestrale est fluide, très plastique, toujours présente et jamais envahissante : on est vraiment dans du théâtre musical plus qu’à l’opéra.
La distribution réduite (trois chanteurs) a été plutôt bien choisie. John Releya est Barbe Bleue. Prévu à l’origine, Johannes Martin Kränzle aux prises avec la maladie a dû annuler : on imagine ce que ce chanteur acteur eût pu donner de violence blessée à Barbe Bleue. John Releya a pris le rôle : une voix encore jeune, bien posée, bien projetée, un timbre plutôt velouté qui lui donne une humanité immédiate et efface le monstre pour laisser apparaître plus de subtilité, plus de complexité, plus d’humanité. Un Barbe Bleue sans présence charismatique (on pense à Willard White sur cette même scène), mais qui convient sans doute encore mieux au propos de Warlikowski qui fait de l’homme un comparse de la femme. Bonne interprétation, mais pas vraiment d’incarnation.
Ekaterina Gubanova est Judith, un de ces rôles « border line » entre le mezzo et le soprano, une sorte de Falcon qu’on a vu incarné par des mezzos et des sopranos dramatiques, qui nécessite des graves solides, et surtout une épaisseur vocale marquée, mais aussi un aigu à la cinquième porte que peu de chanteuses assument vraiment. Ici Gubanova fait la note, mais dans une sorte de fragilité vocale intéressante pour la caractérisation du rôle, mais techniquement aux limites.
Gubanova a un très beau registre central et sa personnalité tient le rôle, elle est scéniquement très crédible, et propose un personnage combattif, éminemment vivant, qui ne s’embarrasse pas de détails : elle poursuit son objectif (faire entrer la clarté dans ce château sinistre) ; en ce sens, elle propose (impose ?) une Judith plus directe, moins complexe que le Barbe Bleue de Releya. Très belle figure, décidée, allant droit au but, et la douleur, qui impose une présence sans jamais vraiment imposer son corps, pourtant valorisé par une robe d’un vert agressif et seyant, assez opposée à la figure de Hannigan dans la torture et la douleur, à l’expression corporelle extrême.

"Elle" (Barbara Hannigan) ©Bernd Uhlig
“Elle” (Barbara Hannigan) sur fond de “Bête”©Bernd Uhlig

La personnalité hors pair de Barbara Hannigan casse évidemment les schémas préétablis. Bien sûr la voix est sans doute un peu en deçà de ce que le rôle exige, un lirico plutôt spinto. Mais il en va de Hannigan comme de Salonen : qu’est-il il besoin de voix plus grande quand la clarté du texte est telle et la projection telle qu’on entend tout, et surtout les subtilités du ton, la variété des couleurs. La prononciation française impeccable qui fait ressortir toute la théâtralité du texte se fait entendre à un point tel que la nature de la voix plus légère n’a pas d’importance. Comme Salonen avec un son plutôt en deçà de l’attendu fait tout entendre, Hannigan est présente par sa voix sans avoir besoin de la forcer. À quand Salomé ?
Ce qui frappe également, c’est l’adéquation entre ce corps élastique, torturé, polymorphe et cette voix qui en suit les méandres et les moindres sinuosités, on a l’impression que les mouvements même du corps créent le son, créent la projection, créent le ton, créent les accents. Barbara Hannigan a un sens et un souci des accents qui laissent pantois, et qui alimentent le débat  fréquent à l’opéra entre belle voix ou voix expressive : Hannigan n’hésite pas à chanter vilain si le personnage doit y gagner en vérité. Elle est une Bête qui est aussi Belle, la Belle et la Bête dans un seul corps. C’est unique aujourd’hui.
Stéphane Lissner voulait marquer ce premier trimestre de trois coups : Castellucci/Warlikowski-Salonen/Hermanis-Kaufmann. Pour son deuxième coup, il a quand même marqué quelques points, mes réserves n’étouffent pas la qualité globale d’un spectacle bien adapté à Garnier qui marquera sans doute plus musicalement que scéniquement, mais qui reste à l’honneur de notre première scène. [wpsr_facebook]

Apparition de la quatrième porte (le jardin poussant sur de la terre imbibée de sang) ©Bernd Uhlig
Apparition de la quatrième porte (le jardin poussant sur de la terre imbibée de sang) ©Bernd Uhlig

LUCERNE FESTIVAL 2015: SAN FRANCISCO SYMPHONY ORCHESTRA dirigé par Michael TILSON-THOMAS le 11 SEPTEMBRE 2015 (IVES, BARTOK, MAHLER) avec Yuja WANG, piano

San Francisco Symphony Orchestra Lucerne le 11 septembre ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL
San Francisco Symphony Orchestra Lucerne le 11 septembre ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL

J’ai écrit il y a quelques jours combien j’étais heureux de revoir et réentendre le San Francisco Symphony Orchestra que je n’avais pas réentendu en concert depuis août 1982, date à laquelle je l’entendis au Hollywood Bowl, dirigé comme ce soir par Michael Tilson Thomas. Vu d’Europe, Michael Tilson Thomas est un éternel jeune homme, protégé par son mentor Leonard Bernstein, et né en… 1944…il va vers ses 71 printemps en décembre prochain et cette tournée marque à la fois ses vingt ans à la tête du SFSO et ses 70 ans. Son site internet http://michaeltilsonthomas.com est très bien fait et je vous conseille d’y aborder lors de vos navigations.
Comme pour le Boston Symphony Orchestra, le SFSO emmène en tournée le podium du chef, c’est un peu emporter la patrie à la semelle de ses souliers et c’est ma foi sympathique. C’est que les orchestres américains ont un sens de leur histoire et de leur identité très forte, ils sont enracinés sur leur territoire et ils ont un public d’une grande fidélité; en bref, ils ont quelque chose de peu ordinaire pour nous. Il est vrai que leur financement, privé, mais très contributif, leur donne un lien particulier avec leur public. Je rappelle qu’aux USA, si l’Etat ne finance pas la culture, il la finance en creux, par les déductions des dons aux institutions culturelles des déclarations d’impôts. La différence avec l’Europe, c’est que ces financements procèdent d’un libre choix, avec les risques inhérents de conformisme. La création, la musique contemporaine ont peut-être moins pignon sur rue. Il est vrai qu’en France  l’Ensemble Intercontemporain, ou en Allemagne l’Ensemble Modern n’existent que grâce à la subvention publique ; mais il existe aussi aux USA des mécènes du contemporain et de la modernité.
Il suffit de voir sur la liste des musiciens des orchestres le nom des donateurs des « chairs » pour comprendre que ce fonctionnement est totalement étranger à nos pratiques, et que le manager de l’orchestre doit s’y battre sans cesse pour emporter des financements.
Il est toujours intéressant d’entendre un orchestre comme le SFSO, dirigé par un chef d’origine et de formation américaines. Même s’il a succédé à Claudio Abbado au LSO (de 1988 à 1995), Michael Tilson Thomas est un chef à l’aura américaine, et issue d’une tradition d’outre Atlantique et qui a essentiellement travaillé aux USA. Il y a quelque chose de très ritualisé dans ces concerts, c’était sensible lors du concert du BSO, ça l’est encore pour ce concert du SFSO. On a un peu l’impression (bien que l’orchestre semble avoir une moyenne d’âge inférieure à celle du BSO) de voir un concert comme on se l’imagine, avec des musiciens un peu raides, d’une impeccable tenue, et pas vraiment contemporain.
Cette raideur, je l’ai retrouvée hélas dans le son de ce concert et dans une approche interprétative qui m’a laissé un peu de glace. Il est vrai que le programme n’était pas un de ces programmes qui mettent à l’épreuve la sensibilité du public et attirent les larmes.
Charles Ives Decoration Day (une des parties qu’Ives va orchestrer en 1912/1913 à partir d’une pièce pour violon et piano, pour l’insérer avec d’autres pièces symphoniques dans A symphony, New England Holidays) était la concession au thème Humor du Festival avec son rythme de parade vue par un enfant (cela rappelle d’ailleurs étrangement le poème Parade de Rimbaud). Une dizaine de minutes divisées en deux moments, l’un très lent, évocateur d’une nature large et sereine, voire grandiose, colorée, dont Copland se souviendra, avec un excellent premier violon (Alexander Barantschick). Le son est charnu, et l’on entend des échos presque mahlériens (la trompette au loin fait penser au cor de postillon de la Troisième) et puis subitement une sorte de fanfare à l’américaine une cavalcade où l’on pourrait voir surgir majorettes et confettis, dans une sorte d’explosion joyeuse, brillante et vaguement désordonnée, pour revenir à l’évocation du début pour un final apaisé, et presque suspendu. Cette pièce inaugurale du concert donnait une couleur et permettait de découvrir le son de l’orchestre, un son clair, relativement retenu, pas forcément rutilant, mais très juste très plein et sans scories. Une très belle machine.

Yuja Wang  ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL
Yuja Wang ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL

Le concerto pour piano n°2 de Bartok requiert une immense maîtrise technique de la part du soliste et une grande énergie, c’est une des pièces les plus difficiles du répertoire pianistique sans avoir à se forcer du côté de la sensibilité. Pièce en somme idéale pour Yuja Wang, robe lamé argent, qui est une parfaite mécanique pianistique. Ce n’est pas ma pianiste idéale (et ce depuis un certain Prokofiev 3 dans cette salle avec Abbado), je la trouve froide, malgré une maîtrise technique parfaite, voire acrobatique. Pour ma part, Yuja Wang ne diffuse rien au niveau du cœur et de l’âme, mais elle satisfait le goût du public pour la performance pianistique qui dans ce concerto est particulièrement interpellée. On repassera plus tard pour pleurer un peu. Gageons qu’en vieillissant, elle cherchera dans les pièces qu’elle joue quelque chose de plus que l’effet : son Schubert en bis très maîtrisé ne diffuse qu’une esquisse d’ambiance et son Liszt en 2ème bis est une démonstration technique.
La technique n’est pas tout, car l’orchestre prend sa part et réussit à donner une couleur à cette musique que le piano ne donne pas : la relation entre orchestre est piano est vraiment juste, calculée, et les deux respirent ensemble.
L’attention de Michael Tilson Thomas à la soliste est vraiment très marquée, dans l’accord des rythmes, dans le dosage des volumes, c’est d’autant plus visible que son geste est presque scolastique, dans son utilisation main droite, main gauche : c’est précis, presque métronomique, on lit rythmes et mesures d’une manière qui est rare chez les chefs d’aujourd’hui. Tout dans le bras et la main, peu dans le corps qui ne bouge qu’à de rares occasions, et surtout pour regarder la soliste. Mais le son, l’agencement des rythmes, la couleur des bois, tout cela est plus évocatoire que ce que Yuja Wang veut bien nous communiquer. C’est l’orchestre ici qui est plus convaincant : dans le premier mouvement où les cordes n’interviennent pas (merci Stravinski), les bois sont vraiment remarquables, le second mouvement est très réussi à l’orchestre et notamment par le magnifique dialogue piano-percussion, très réussi tandis que le troisième mouvement qui rappelle le premier , est explosif, rythmé par des percussions impeccables et des cuivres d’une grande netteté et aux belles couleurs. L’apocalypse finale est plus intéressante à l’orchestre qu’au piano.

 

SFSO  ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL
SFSO ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL

Enfin, la première symphonie n’est pas la plus sensible non plus des symphonies de Mahler, mais c’est peut-être la plus connue, à cause de « frère Jacques » au 3ème mouvement, et parce que, ce fut mon cas, lorsqu’on aborde Mahler, on commence souvent bêtement par la première. Quand on devient mahlérien, on l’oublie bien vite pour les suivantes. Il était donc intéressant d’y revenir pour écouter une interprétation de celui qui a connu la parole mahlérienne aux sources bersteiniennes.
Ce fut une vraie déception. Déception d’abord par l’ambiance, glaciale notamment diffusée par le premier mouvement, très lent, sans autre âme que des agencements techniques de sons, sans grand legato, sans une once de sensibilité (et avec quelque menues scories aux cuivres) et avec un son contrôlé, au volume limité, presque contraint : les crescendos s’en ressentent car il n’y a pas vraiment de dynamique ni d’entraînement, malgré de beaux pupitres (les bois !). Une interprétation cadrée, comme enfermée dans une cage et vraiment frustrante. L’impression est un peu corrigée dans le deuxième mouvement, où les contrebasses sont magnifiques, et dans le troisième, plus lyrique, avec de très belles performances de la première contrebasse et du basson (très beau dialogue), mais cela reste quand même très métronomique, voire mécanique et surtout jamais souriant.

La direction imposée par Michael Tilson Thomas est si maîtrisée dans son volume et dans ses élans qu’il n’y a ni vrai sens épique, ni élans, ni geste mahlérienne, ni vraie respiration. Le quatrième mouvement le confirme. Le son reste retenu, comme emprisonné dans une gangue dont le chef ne se libère jamais, tant il veut tout avoir sous contrôle. C’est souvent acrobatique, c’est souvent démonstratif, mais il manque toujours quelque chose de “vivant” qui manque et laisse sur sa faim.
Il en résulte un moment sans allant ni élan, et à la fois peu sensible et trop technique, une machine à son qui tourne à plein mais sans qu’apparaissent véritable enthousiasme ni joie de jouer. Certes, des moments sont vraiment magnifiques par l’agencement des niveaux sonores et la grande capacité technique de l’orchestre, mais on n’a jamais l’impression qu’ils « font de la musique ensemble », mais bien plutôt qu’ils « donnent un concert ensemble » ce qui n’est pas la même chose pour moi. J’avais un souvenir de Tilson Thomas à la fois plus énergique et plus aérien, plus dynamique. Il manque ici une dynamique. Les ingrédients sont là, mais la pâte sonore ne monte pas. C’est pour moi un rendez-vous espéré et un peu manqué. [wpsr_facebook]

Michael Tilson-Thomas  ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL
Michael Tilson-Thomas ©: Manuela Jans, LUCERNE FESTIVAL

LUCERNE FESTIVAL 2013: Ivan FISCHER dirige LE BUDAPEST FESTIVAL ORCHESTRA le 8 SEPTEMBRE 2013 (BARTÓK – DVOŘÁK)

Iván Fischer à la tête du Budapest Festival Orchestra à Lucerne le 8 septembre © Lucerne Festival/Georg Anderhub

Ce dimanche 8 septembre est un jour béni pour le mélomane drogué à Lucerne: deux concerts de haute tenue, à 11h le Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan Fischer, à 18h30, le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé par Mariss Jansons. Un joli couronnement de week-end.
Le Budapest Festival Orchestra est une phalange assez jeune, 30 ans, née en 1983, qui s’ajoute au paysage musical hongrois, de grande tradition. Il y a en effet en Hongrie une grande tradition musicale, notamment depuis le 19ème siècle, une musique nationale portée notamment par Ferenc Erkel, et aussi une musique populaire portée par les communautés tziganes, qui actuellement ne sont en odeur de sainteté que dans les cafés concerts touristiques de la capitale hongroise. Les XIXème et XXème siècles sont riches de compositeurs (Erkel, Liszt, Kodály, Bartók, Ligeti, Kurtág…) et les chefs d’orchestre d’origine hongroise (ou austro-hongroise) sont légion et parmi les plus grands : Arthur Nikisch, Hans Richter, Eugène Ormandy, Fritz Reiner, Ferenc Fricsay, George Szell, Antal Doráti, Georg Solti, Sándor Végh, ou encore István Kertész, János Ferencsik, János Fürst, Zoltán Peskó, Zoltán Kocsis, et évidemment les frères Ádám et Iván Fischer actuellement les plus représentatifs de l’école hongroise. Ádám Fischer dirige le Festival Wagner de Budapest chaque printemps, avec un succès grandissant, mais n’est pas vraiment une figure actuellement favorite du régime en place, il a démissionné avec éclat de son poste de directeur de l’Opéra pour protester contre la politique mise en place par Viktor Orbán, c’est un grand chef d’opéra et un très grand wagnérien, tout sauf un routinier. Son frère Iván, plus discret, mène désormais une carrière largement internationale, mais plus symphonique que son frère, et la saison de son Budapest Festival Orchestra, qu’il a fondé en 1983, est d’une grande richesse, largement appuyée sur le Palais des Arts de Budapest, ce complexe moderne de plusieurs salles (comprenant aussi le Ludwig Múzeum, musée d’art contemporain) au bord du Danube où ont lieu les grandes manifestations musicales de la saison dont le Festival Wagner d’ Ádám Fischer et le Festival Mahler de Iván Fischer qui deviennent chacun des références. Plusieurs prix ont récompensé de récents enregistrements mahlériens du Budapest Festival Orchestra. Dans la saison 2013-14, on remarque une prépondérance du répertoire d’Europe centrale, dont Iván Fischer s’est fait une spécialité de référence, notamment Antonín Dvořák dont on entendra à Budapest cette année Rusalka (version de concert) et le Requiem, la Symphonie n°9 de Mahler, la symphonie n°9 de Bruckner. En feuilletant cette saison 2013-2014, je trouve que c’est une des saisons symphoniques les plus stimulantes d’Europe.

C’est dire que la présence à Lucerne de cet orchestre, qui a conquis ses lettres de noblesse depuis 30 ans, dans un programme Bartók/ Dvořák, ne pouvait qu’attirer le mélomane, même si la salle du KKL n’était pas complètement pleine.
Ce qui frappe d’abord, c’est le son de cette phalange, très particulier, avec des cordes splendides (grande tradition des violons hongrois et tsiganes) et des bois stupéfiants (la flûte laisse pantois), un son qui n’a rien du son « internationalisé » et interchangeable de certains orchestres de luxe, un son qui par son côté singulier, rappelle l’impression produite par la Staatskapelle de Dresde, un son à la fois plein, très charnu, avec un legato bien à lui, pas forcément fluide mais toujours très construit, très architecturé, avec une clarté stupéfiante, qui évidemment dans la salle de Lucerne sonne merveilleusement .

Danses populaires roumaines, avec les trois musiciens jouant les mélodies originales © Lucerne Festival/Georg Anderhub

La première partie du programme, dédiée à Béla Bartók, proposait d’abord les Danses populaires roumaines pour orchestre Sz.68 qui remontent pour la version pour piano à 1915, puis orchestrale à 1917. Iván Fischer a pris la parole pour présenter ces pièces de manière originale, puisqu’avant chaque danse mise en musique et orchestrée par Bartók, trois musiciens de l’orchestre, un violon, un alto, une contrebasse jouaient la danse dans sa version originale et populaire. C’était un moyen extraordinaire d’apprécier le travail d’adaptation de Bartók et le passage d’une musique populaire, un peu brute, à l’élaboration très raffinée du point de vue orchestral du compositeur. Ce sont des courtes pièces, originaires de Transylvanie (comme Bartók d’ailleurs)et de la Roumanie ex-hongroise: le titre original est danses populaires roumaines de Hongrie, mais Bartók y a renoncé lorsque la Transylvanie est devenue roumaine (en 1918). Bartók faisait une nette différence entre les musiques populaires consommées dans les villes (j’y faisais allusion plus haut), tsiganismes pour cafés ou musiciens installés qui le laissaient sceptique (du type Danses hongroises de Brahms ou Rhapsodies hongroises de Liszt) et les musiques authentiquement populaires, plus naturelles, plus brutes aussi, des mélodies à l’expression plus simple avec des choix techniques quelquefois surprenants, voire avant-gardistes sans toujours le formuler ainsi. Ainsi s’est-il dédié à la recherche d’un langage musical moins élaboré, une sorte de langue maternelle musicale non imprégnée d’une acculturation citadine ; il est parti à la recherche méthodique de mélodies populaires, par des expéditions en Hongrie, mais pas seulement, il est allé en chercher jusqu’en Afrique du nord. Vers 1913, il avait réuni plus d’un millier de mélodies et a commencé à choisir sept danses, la danse du bâton (Joc cu bâtă), le Brâul, joué sur une flûte de berger, mais aussi  la Danse de Butschum (buciumeana), jouée au violon tsigane, la polka roumaine, la danse rapide (Mărunţel) etc… Certaines danses me font d’ailleurs penser à d’autres compositeurs qui travaillent la pâte des mélodies populaires, par exemple Moussorgski (dans la troisième danse : Topogó / Pe loc). Ce qui frappe, c’est l’apparente simplicité initiale de la mélodie originale (jouée avec brio, voire virtuosité époustouflante par ces musiciens du rang) et la complexité, voire la luxuriance de l’orchestration, le choix de faire porter la mélodie par tel ou tel pupitre, de jouer sur les alternances cordes et bois, sur des différences de volume, en bref par le pouvoir de l’art, de la technique, de l’imagination, arriver à une vraie transfiguration de ces oeuvres.
J’ai eu souvent du mal avec Le Mandarin merveilleux,  la pantomime en un acte de Menyhért Lengyel qui a inspiré cette oeuvre terminée en 1924 et créée à l’opéra de Cologne en 1926. Bartók en écrit les premières esquisses dès la parution du scénario dans une revue (Nyugat) en 1917. C’est dire le temps pris pour la gestation. C’est le directeur musical de Cologne, Eugen Szenkar, qui dirige. Immense scandale, tellement immense qu’il menace(rait) l’ordre public, on parle de musique dégénérée, on invective le directeur musical, juif d’origine hongroise, en l’accusant de ne programmer que des étrangers, et on invoque ses origines…Alors, le maire de la ville prend la décision d’interdire l’oeuvre et de la retirer de la programmation. Il s’appelait Konrad Adenauer.
C’est une oeuvre que j’estime difficile, ou du moins il est difficile d’y entrer. L’ histoire se déroule au coeur d’une ville violente et agressive: trois mauvais garçons se servent d’une jeune fille comme appât pour attirer les passants, les entraîner dans une mansarde d’un faubourg de la ville et les dérober, voire les tuer. Trois victimes défilent, deux sans le sou, un vieux cavalier, un jeune homme timide, que les voyous rejettent. Arrive un  Mandarin, apparemment riche qui tout d’abord froid, de cette froideur que la jeune fille elle-même a accumulé en fréquentant les bas-fonds de la ville, mais il se laisse finalement séduire par la danse lascive de la jeune fille; les voyous l’attaquent pour le dérober, en essayant de l’assassiner, par étouffement, par le poignard, et en essayant de le pendre. Mais son désir le fait survivre à toutes ses blessures. Alors la jeune fille se débarrasse de ses complices, et alors qu’elle agissait mécaniquement, cette fois se donne vraiment à lui: ses blessures peuvent alors saigner, et il peut mourir, il s’agit d’une mort d’amour.
À Lucerne, où évidemment il n’y avait ni ballet ni pantomime, le récit s’est déroulé avec un surtitrage, un peu désordonné (c’est difficile de suivre une partition ainsi) mais tout de même, cela a permis de suivre à la fois les différents moments de l’action mais surtout de les identifier musicalement, et alors la pièce devient d’une très grande clarté, avec ses audaces, ses moments inspirés de Stravinski, son côté fortement expressionniste qui rappelle les ambiances à la Max Beckmann ou à la Otto Dix. À noter dans cette exécution  d’abord la présence du choeur (magnifique choeur de la Radio bavaroise), qu’il ajouta en 1923,  car c’est la pantomime complète qui est jouée et non la suite d’orchestre (qui, je crois, date de 1928). Cette Pantomime complète avec choeur  fut enfin reprise à la Scala…en 1942(!) et entama la carrière que l’on sait. L’interprétation du Budapest Festival Orchestra frappe d’abord par sa clarté, et je dirais presque sa retenue, ou plutôt sa tension très forte, glaciale, qui à la fois permet de suivre l’action, mais de noter clairement les moments inattendus: il s’inspire bien sûr du folklore hongrois, mais aussi de la musique arabe, en introduisant des figures, des agencements sonores inattendus et violents, avec des fortissimos aux cors stupéfiants et une utilisation des bois (notamment la clarinette, sensée représenter la jeune fille) qui laisse rêveur quand c’est un tel orchestre qui s’en empare. Bien sûr, Bartók est leur répertoire, mais interprété avec cette précision, cette étourdissante maîtrise technique, cette vibrante présence subite des personnages comme une sorte de prosopopée sonore, c’est proprement incroyable. La clarté est stupéfiante, mais aussi une certaine lenteur qui décortique les moments les plus oppressants (notamment lorsqu’apparaissent les prétendants face à la jeune fille) et une douceur momentanée qui se transforme en tension angoissante. Fischer joue de ces ambiances avec une incroyable habileté et nous implique directement dans l’histoire. Comment expliquer cet étrange sentiment? C’est certes brutal, notamment les dissonances surprennent avant de nous prendre, mais ce n’est jamais dur, c’est à la fois glacial et presque tendre: les interventions des cuivres restent presque douces, piano. Rien ne nous écrase et pourtant nous sommes totalement capturés, j’ose dire que c’est la première fois que cette oeuvre m’a saisi de cette manière. Je pense aussi que le lien avec le texte surtitré a très bien fonctionné. Les salles de concerts pourraient s’en inspirer. Un moment musical d’exception, un sommet.
Enfin, la deuxième partie était dédiée à deux oeuvres de Dvořák, la courte Legende op.59 et la Symphonie n°8:  Dvořák, autre auteur de prédilection d’Iván Fischer qui suit décidément les traces de Rafael Kubelik: il pourrait en être l’héritier.
Par leur aspect très intériorisé, peu spectaculaires, les Légendes de Dvořák pourraient être le pendant, l’antithèse des danses slaves (dont l’orchestre exécutera un bis étourdissant), d’abord pour piano (février 1881), elles furent très vite orchestrées dès la fin de 1881. Nous nous trouvons en rupture de ton avec Bartók qui illuminait la première partie. L’univers des 10 “Légendes” (de toutes petites pièces) dédiées à Hanslick est beaucoup plus introverti. Fischer choisit de jouer la Legende n°10 en si bémol, une pièce d’environ 5 minutes, avec un jeu particulier sur la couleur, sur les changements de tons et les échanges entre cor et clarinette (exemplaires), une pièce d’ambiance non dépourvue d’éloquence qui par sa retenue, nous éloigne de l’univers expressionniste de la première partie, Fischer installe ainsi l’univers de Dvořák, un univers ici un peu mystérieux, ce n’est pas une oeuvre à programme et on ne sait même pas pourquoi ce titre Légendes.
La symphonie n°8 en sol majeur, un peu moins connue que la symphonie n°9 “du nouveau monde” est une symphonie de la sérénité et de l’optimisme, composée d’août à novembre 1889, et dédiée à l’académie François-Joseph de Bohème qui l’avait appelé comme nouveau membre. Il la compose dans sa résidence estivale de Vysoká, la Villa Rusalka, ce qui explique sans doute l’importance de la nature et notamment l’intervention du chant d’oiseau à la flûte, qui est le thème principal du premier mouvement. Fischer soigne les aspects les plus bucoliques, dans une sorte d’équilibre et de retenue, sans jamais vraiment faire exploser l’orchestre: si c’est une oeuvre plus optimiste dans l’ensemble, il lui donne une couleur sérieuse, subtile, un peu surprenante même notamment dans les deux derniers mouvements. Il travaille beaucoup les systèmes d’échos sonores, dans un mouvement harmonieux plutôt concentré. Concentration est le mot qui convient à cette interprétation qui est tout sauf démonstrative, loin d’un romantisme que l’approche de la nature pourrait favoriser: ici c’est presque un peu (trop?) intériorisé, mais cette manière d’approcher l’oeuvre permet aussi de mettre en valeur chaque pupitre, de l’isoler même, notamment la flûte, vraiment extraordinaire ou les cuivres, l’enchaînement entre l’appel initial aux cuivres du quatrième mouvement et les cordes (violoncelles et altos) est à ce titre bouleversant.
Au sortir de ce concert vraiment magnifique, une certitude et un constat: la certitude, c’est que cet orchestre est exemplaire, de technique, de sûreté, avec un son vraiment singulier. Le constat c’est qu’Iván Fischer est bien connu des mélomanes assoiffés de concerts, mais peu connu du grand public. Il mène une carrière solide, mais marquée par la modestie. Or il est pour moi l’un des tout premiers chefs de notre temps, une valeur sûre bien plus fiable que d’autres chefs plus exposés médiatiquement. Il a créé et façonné son orchestre, pour aboutir à une sorte d’osmose entre geste (minimaliste)  et réponse presque intuitive des musiciens et s’y est presque exclusivement consacré. Voilà le résultat d’un travail de fond, d’une grande épaisseur, voilà un orchestre qui parle son langage, un langage original et fort. Et surtout un langage qui vous atteint, parce que l’orchestre tient un vrai discours: il y a déjà  deux semaines que ce concert s’est déroulé, et je l’ai bien encore en mémoire: et cette mémoire-là, elle est due pour l’essentiel à l’extraordinaire communication sensible qui s’est installée avec le public en ce dimanche matin, loin du spectaculaire, mais terriblement prenante.
Un seul conseil, regardez le site de l’orchestre (qui tourne souvent cependant) et identifiez dans son excellente programmation quelques concerts; vous en profiterez pour voir ou revoir Budapest, une des belles capitales d’Europe, aux prix encore très raisonnables.
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Iván Fischer à Lucerne © Lucerne Festival/Georg Anderhub

 

LUCERNE FESTIVAL 2013: LATE NIGHT CONCERT le 17 août 2013, MARTIN GRUBINGER et THE PERCUSSIVE PLANET ENSEMBLE (Percussions) (XENAKIS-BARTÓK) avec FERHAN et FERZAN ÖNDER (Piano)

Vue d’ensemble du dispositif pour Pléïades, de Xenakis © Peter Fischli /Lucerne Festival

Le Lucerne Festival, ce n’est pas seulement les grands concerts symphoniques avec les meilleurs orchestres du monde qui passent une, deux ou trois soirées sur les rives du lac, ce sont aussi des concerts de musique de chambre, de solistes internationaux prestigieux, mais aussi de plus en plus, des formes de concerts inhabituelles, dans la rue, dans des églises, dans des parcs, avec des programmes composites et à des horaires différents. C’est le cas de ce premier Late Night concert, dans la Luzerner Saal où ont lieu habituellement les sessions de la Lucerne Festival Academy, voisine de l’auditorium, remplie à ras bord (1000 personnes au bas mot) d’un public venu ad hoc ou ayant assisté au concert Abbado précédent, terminé à 20h30. Car il est 22h, et le public se prépare à assister à un concert de percussions, animé par le phénomène Martin Grubinger, “artiste étoile” du Lucerne Festival cette année qui sera en outre soliste de deux concerts symphoniques, avec le Pittsburgh Symphony Orchestra, dirigé par Manfred Honeck, le 11 septembre 2013 (Concerto pour percussions, cordes et cuivres “Conjurer” de John Corigliano) et avec les Wiener Philharmoniker dirigés par Lorin Maazel le 15 septembre 2013 (Concerto pour percussions de Friedrich Cerha) ainsi qu’un concert en plein air gratuit (Europaplatz) le 25 septembre à 14h30 pour les festivités du 75ème anniversaire du Festival.
Martin Grubinger,  déjà entendu à Lucerne dans un concert du City of Birmingham Symphony Orchestra dirigé par Andris Nelsons en 2010 (cliquez sur le lien pour lire le compte rendu), est un “multipercussionniste” né à Salzbourg en 1983 qui est une sorte de militant de la percussion, très désireux d’en faire un instrument soliste au même titre que le piano ou le violon, et qui pour ce faire passe commande à de nombreux compositeurs de pièces pour percussions (en 2010, il avait crée une pièce d’Avner Dorman, Frozen in time, avec le CBSO et Andris Nelsons). Il y réussit parce que ce jeune artiste est un pur phénomène, réussissant avec une virtuosité peu commune à jouer de plusieurs percussions en même temps, timbales, caisses claires, célesta et toute la gamme de percussions peuvent être jouées en même temps par ce surdoué d’une irrésistible sympathie. Il travaille aussi bien le classique que le moderne et contemporain, on le trouve dans la pop comme dans les festivals classiques internationaux, en sus il a interprété Libertango d’Astor Piazzola avec les soeurs Ferhan et Ferzan Önder au piano en bis dans ce concert, et a remporté un triomphe.
Il s’agit d’un concert classique et contemporain, puisque le programme était consacré à Xenakis  (Okho pour 3 joueurs de Djembé et Pléiades pour 6 percussionnistes), et à Béla Bartók (Sonate pour deux pianos et percussions Sz.110).
Grubinger avant chaque pièce la présente en quelques mots avec beaucoup de vie et sans aucune prétention. Il insiste sur l’apport de Xenakis à la littérature pour percussions qui justifie le programme choisi (modifié par rapport à l’origine, Stravinski ayant été éliminé). Il commence par une courte pièce de Xenakis, Okho pour 3 joueurs de Djembé qui date de 1989, interprétée, outre Martin Grubinger, par son professeur Leonhard Schmidinger et par Rainer Furthner. Cet hommage à la musique africaine et aux percussions africaines est un mélange de sons africains et de sons de percussions modernes, et il a été composé lors des célébrations françaises de la révolution et créé au Festival d’automne; un clin d’oeil ironique à la France colonisatrice de l’Afrique, mais aussi un signe fort d’intérêt de Xenakis pour toutes les musiques extra-européennes (on connaît aussi son intérêt pour la musique indienne et le gamelan). Le jeu soigne en même temps une sorte de chorégraphie des trois percussionnistes, qu’on retrouvera multipliée dans Pléïades, notamment dans le maniement très étudié des  baguettes de percussion. Il en résulte à la fois un plaisir pour l’oreille (on a quand même distribué à l’entrée des bouchons d’oreilles) et pour les yeux et il naît instantanément un rythme interne qui vous saisit et vous emporte. Étonnant. Étonnant aussi la manière dont Grubinger ne cesse de sourire, alors que ses deux collègues sont concentrés et sérieux, il semble léger et navigue dans cet océan sonore avec un plaisir non dissimulé.

Les soeurs Ferhin et Ferzin Önder

Grubinger rend ensuite un vibrant hommage à Béla Bartók, pour sa sonate pour deux pianos et percussions Sz.110, composée en 1937 et exécutée à Bâle pour la première fois en 1938. Bartók n’était pas vraiment un prophète en son pays, qui dans les années 30 est sous la botte du régent Miklós Horthy: Bartok y est considéré comme “cosmopolite”, “antipatriote” et “corrupteur de la jeunesse”. Il est soutenu à l’extérieur, et notamment par le chef et mécène Paul Sacher qui fait commander à Bartók par la Internationale Gesellschaft für Neue Musik une pièce pour marquer les dix ans de l’Orchestre de chambre de Bâle.. Bâle, à 90 km de Lucerne, est un  centre très actif pour l’art contemporain encore aujourd’hui, et son théâtre (Theater Basel) l’un des lieux les plus actifs en matière de mise en scènes d’aujourd’hui, l’un des lieux qui compte pour le théâtre en langue allemande: Bâle est vraiment une des capitales de l’art contemporain et de l’art vivant.  C’est donc à Bâle, en janvier 1938 que cette pièce est créée.  La littérature pour percussions s’est développée dans la musique du XXème siècle à partir de Ionisation  d’Edgar Varèse en 1931. Bartók unit le son plutôt traditionnel du piano à celui encore nouveau des percussions comme instruments solistes. Comme il ne veut pas créer de déséquilibre, il ajoute un second piano. Outre les deux pianos, les percussions (timbales, cymbales, xylophone, tamtam, tambour, caisse claire, triangle) sont jouées par deux musiciens (ici Grubinger et Leonhard Schmidinger) et les soeurs jumelles Ferhan et Ferzan Önder,  d’origine turque, sont aux claviers. Bien qu’elles soient nées en 1965, elles semblent de menues jeunes filles, (dont l’une est l’épouse de Martin Grubinger) à peine sorties de l’adolescence, et leur jeu est d’une fraîcheur rare, et Bartók oblige, particulièrement acrobatique. Le piano est tantôt utilisé “traditionnellement”, tantôt comme pur instrument à percussion (premier mouvement), et il dialogue soit avec les cymbales, soit avec le xylophone en des allers et retours étourdissants. Bartók architecte des sons joue dès le départ sur des thèmes qu’il va ensuite exposer autrement dans les autres mouvements. Le début est très lent, piano-timbale, pour se finir en explosion. le deuxième mouvement, un nocturne, cherche à imiter les bruits de la nuit notamment au piano et au xylophone. Le troisième mouvement est plus dansant (on va retrouver cela dans le bis de Piazzola, pour qui Bartók est une référence: il veut être le Bartók de l’Argentine), plus pianistique aussi (avec un peu de xylophone). Tout cela est exécuté avec beaucoup de virtuosité, dans un ensemble où les instruments se prennent la parole, où les équilibres et les contrastes se construisent. Cette oeuvre qui remonte à 1938 est vraiment encore très “contemporaine”, au sens où elle nous parle sans aucune distance, dans une étonnante modernité.

Les quatre solistes pour Bartók © Peter Fischli /Lucerne Festival

Pour la dernière pièce, on revient à Xenakis, qui en 1978 publie Pléïades  pour six percussionnistes, commande de la ville de Strasbourg et de l’Opéra du Rhin et créé à Mulhouse par les Percussions de Strasbourg. C’est la plus importante des oeuvres pour percussions de Yannis Xenakis (42 minutes). Sept Pléiades, puis six à par la fuite de leur soeur Electre selon la légende. À ces six Pléiades restantes correspondent six percussionnistes, qui vont exécuter quatre mouvements, Claviers, Métaux, Mélanges, Peaux, correspondant aux divers matériaux utilisés dans les percussions. Pour Pléïades, Xenakis invente aussi une sorte de vibraphone de métal,  le Sixxen (six pour 6, xen pour Xenakis) au son difficilement supportable pour l’oreille sans bouchon. Trois mouvements sur les quatre utilisent seulement le type de  percussion indiqué (vibraphones, xylophones, marimbas, sixxen) et celui appelé Mélanges est une sorte de concentré de l’oeuvre utilisant tous les instruments en même temps. La place des parties, et notamment de Mélanges, est pour Xénakis indifférente. les mouvements diffèrent entre eux par la couleur, les rythmes et se répondent cependant par des systèmes d’échos (c’est évident dans Mélanges). Pour soigner la cohérence et les enchaînements, Grubinger a placé Mélanges juste après Métaux puisque Mélanges commence justement par un solo des instruments de métal, et se conclut par les Peaux, bientôt rejoints par l’ensemble des autres instruments dans une orgie rythmique étonnante, repris au quatrième mouvement par les “Peaux” mais qui peu à peu s’effacent jusqu’au silence. Incroyable, malgré l’énorme volume libéré, la subtilité des sons, et même quelquefois leur légèreté: des sons effleurés,   des instruments caressés et puis subitement un déchaînement: c’est émotionnellement très fort. L’ensemble des percussionnistes formant The Percussive Planet Ensemble (un nom qui convient à l’oeuvre jouée, Pléïades, un ensemble d’étoiles) avec Martin Grubinger donnent de cette pièce une interprétation passionnante, qui fait ressortir avec virtuosité  des systèmes d’écho et de renvois où les rythmes sont essentiels, où le jeu des variations et des répétitions créée une sorte d’addiction qui habitue d’auditeur, au point que la musique lui manque physiquement à la fin, c’est du moins ce que j’ai ressenti, et le retour au calme et au silence est plutôt lent, tant on a envie d’en entendre plus. C’est une véritable découverte que ce bain de percussions, qui devient bientôt un besoin de percussions: mais il est 0h15 et le concert prend fin dans un très grand triomphe. Martin Grubinger vient quelquefois en France. Il ne faut le manquer sous aucun prétexte.
Ce soir-là entre Grubinger et Abbado, ce fut une soirée au spectre large, addictive à tous les étages, une vraie soirée de Festival. Il faut aller à Lucerne.

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Okho, de Xenakis avec Martin Grubinger au centre © Peter Fischli /Lucerne Festival