“PARIGI O CARA ! ” : LA COURSE À L’ÉCHALOTE DE LA NOMINATION…

En mai dernier, je publiais une réflexion sur « l’après Stéphane Lissner » à l’Opéra de Paris. Depuis, la situation évolue à peine : les bruits nous ont appris que Stéphane Lissner ne se succèderait pas à lui-même, sans doute à cause d’inimitiés solides en haut lieu. Et, lancés par qui y trouve intérêt, des noms circulent dans la presse de futurs directeurs qui ont à peine pris leurs marques dans leur théâtre actuel, que ce soit Ghristi à Toulouse (depuis 2017), Mantei depuis 2015 à l’Opéra Comique, mais qui a rouvert en 2017 et en est à sa deuxième saison, quant à Sophie de Lint, dont je viens de lire le nom cité, elle ouvre à peine sa première saison à Amsterdam. Leur bilan est pour le moins réduit.
On a dit aussi qu’il fallait des femmes (d’où sans doute Sophie de Lint…) mais ont circulé les noms de Barbara Hannigan pour la direction musicale (on croit rêver), voire de Susanna Mälkki (là c’est quand même plus sérieux). Ce qui transparaît dans la presse, ce ne sont rien d’autre que des noms, mais pas une analyse un peu fine de la situation. L
a réalité, c’est qu’il n’y a pas grand monde dans le monde lyrique aujourd’hui qui puisse sérieusement prétendre à cette maison, l’une des plus grosses, sinon la plus grosse du monde, même si elle n’est pas la plus emblématique.

Les questions posées

La question n’est pas le nom qui va venir,  la question n’est même pas non plus la politique artistique.
C’est paradoxal, mais c’est ainsi, une politique artistique est plus essentielle dans un théâtre moins important parce que c’est par elle qu’il va se faire remarquer (on peut citer Bâle, Karlsruhe, l’Opéra-Comique de Berlin, Lyon, Nuremberg ou d’autres) que dans un théâtre de capitale. En effet, Paris, Londres ou New York ont par nécessité des politiques voisines. Seule  la Scala qui perd son public à vue d’œil, court après son identité, et sa politique, erratique depuis l’arrivée de Pereira, balançant entre œuvres emblématiques italiennes et grands titres de répertoire étranger vide la salle.

Un grand théâtre-capitale se doit d’être éclectique à tous niveaux :

  • Il se doit de servir le grand répertoire international, globalement les grands Mozart, Verdi Puccini, Wagner et Strauss.
  • Si possible, il se doit de servir le répertoire maison, pour l’Opéra de Paris, son répertoire historique (ce qui n’est pas encore tout à fait le cas).
  • Il doit afficher une troupe de ballet en état de marche (c’est le cas de Londres, de la Scala aussi), mais le ballet de l’Opéra est en crise, de notoriété publique, crise de fonctionnement, de répertoire, de management (depuis le départ de Brigitte Lefèvre).
  • Il ne doit pas afficher de ligne artistique trop marquée : il en faut pour tous les goûts entre les mises en scène dites « modernes » et celles qui sont plus « traditionnelles », entre les titres populaires et standards et les titres moins racoleurs, mais il ne peut sans risque faire systématiquement appel à des metteurs en scène décoiffants, ni sans risques non plus proposer des mises en scène vieillies dès leur création (cf bonne part des productions de l’ère Nicolas Joel).
  • Enfin le public de fans, qui écume twitter, n’est pas celui qui remplit la salle. C’est attirer régulièrement le public occasionnel et maintenir un public d’abonnés qui est l’enjeu.

À ces considérations générales s’ajoutent des considérations purement parisiennes :
Depuis Rolf Liebermann, c’est à dire depuis que je vais à l’Opéra, j’entends dire que l’Opéra est un gouffre financier : les fautifs, tantôt l’administrateur général (Rolf Liebermann en fut accusé maintes fois par ses adversaires), tantôt les syndicats, dont les exigences sont toujours plus grandes : à lire certains articles, on pourrait penser que travailler à l’Opéra de Paris est une sinécure à nulle autre pareille, le paradis du travailleur, sur le dos des contribuables bien sûr qui paient ces largesses et dont bien peu au total n’accèdent à l’Opéra. En bref, l’Opéra serait la « danseuse » inévitable de l’État, sinon le jardin privé du Prince.
Car l’Opéra de Paris, fondé en 1669 par Louis XIV comme Académie Royale de Musique est depuis sa création liée au Prince : Louis XIV bien sûr, et Napoléon 1er adoraient le genre.
Plus près de nous depuis 1974, de tous les présidents qui se sont succédé, seul Giscard y allait assez régulièrement, hors devoirs de la charge. Mais cela ne veut pas dire que les autres ne s’y soient pas intéressé: Mitterrand qui n’allait pas à l’Opéra a fait construire Bastille, l’un de ses « grands travaux », puis y a placé un proche, Pierre Bergé, qui a vidé Barenboim, et placé René Gonzalès, puis Jean-Marie Blanchard, éphémères administrateurs généraux. Gonzalès, grand homme de théâtre, dont l’Opéra n’était pas la spécialité, a ouvert la maison dans des conditions difficiles, et Blanchard, bref administrateur général, a à son actif quelques productions bien durables (Tosca de Schroeter, Carmen de José Luis Gomez), ou des triomphes mémorables comme Adriana Lecouvreur avec Freni pour sa dernière apparition à Paris ; puis sous Mitterrand et en cohabitation (Balladur aux manettes et Toubon à la Culture) , c’est Hugues Gall, un des deux « enfants » nés de l’ère Liebermann qui a passé dans cette maison une petite dizaine d’années, le temps d’en construire le répertoire, c’est à dire des productions qui puissent faire l’objet de reprises et durer, ce qui n’était pas une mince affaire ni la tradition de la maison. À la fin de l’ère Gall, d’une grande stabilité, la gauche a nommé Gérard Mortier, l’autre « enfant » de Liebermann, mais Mortier homme de gauche a régné sous la droite de Chirac, laquelle a appelé ensuite Nicolas Joel aux manettes, avec le succès (!)  que l’on sait, puis arriva Lissner, plutôt opportuniste en politique : il fut l’instrument de la Mairie de Paris (Chirac) quand il était au Châtelet, il revint à Paris nommé par la gauche, en 2012, et aux manettes en 2014 après une dizaine d’années discutées (injustement à mon avis) à la Scala.
De tous ces présidents, aucun n’allait à l’Opéra, mais tous y ont touché de près ou de loin. On ne doit donc pas s’étonner d’entendre dans cette affaire citer l’Élysée, d’autant que le directeur actuel de la communication, Sylvain Fort, est un vrai spécialiste de l’opéra et fondateur du site Forumopéra. Pourquoi se priver de ses compétences?
Mais quand ça bloque, ça bloque: on ne trouve visiblement personne qui ait le profil pour succéder à Lissner, d’où la vanité de cette course à l’échalote et de ces noms (dont certains assez baroques) qui circulent d’autant mieux que la vraie case est vide.
Essayons alors de considérer cette future nomination sous le prisme des enjeux.

Les enjeux

Dans mon précédent article, je pensais possible de renommer Lissner pour un dernier mandat, ou de faire appel à défaut à Dominique Meyer, à cause des immenses avantages de sa candidature (expérience, connaissance de la maison, liens avec le corps de ballet), même si, né en 1955, il ne pourrait tout au plus que faire un mandat. Je maintiens cet avis.
J’ai bien un autre candidat possible en tête, qui a lui aussi les qualités artistiques et la connaissance de la maison voulue…mais je le garde in pectore, car je ne sais même pas s’il serait candidat.
Le nom de toute manière importe peu. Comme disent les italiens Onore/Onere (qui a l’honneur a aussi la charge) et donc au-delà de l’honneur, il faut regarder un peu plus profondément  les charges et les tâches prioritaires.

Quitte à surprendre, je ne pense pas qu’à ce niveau l’enjeu soit l’artistique : d’abord parce que l’artistique n’entre que pour 20% des frais de la maison, qui est énorme, sans doute la plus grosse maison du monde et que l’essentiel est ailleurs, vers les frais fixes, qui ne diminueront pas. D’ailleurs, sous le rapport artistique, Lissner a plutôt réussi, en dehors des inévitables échecs ou choix erronés qui ont cristallisé les oppositions.
Sur l’artistique, au moins du point de vue du lyrique, la plupart des candidats savent faire, ils ont l’expérience : c’est une question de dosage et de goût. La question n’est pas la programmation :  quel que soit le candidat, il faudra remplir les 2700 places de Bastille et les 2000 places de Garnier, et les recettes de remplissage ne sont pas nombreuses : des titres alléchants qui puissent compenser quelques titres moins populaires obligatoires et les inévitables créations, quelques stars, quelques scandales (toujours utiles pour le buzz), et des chefs corrects à très corrects ainsi qu’un directeur musical respecté. C’est le job de tout directeur d’opéra, à Paris, Rome, Stuttgart ou ailleurs.

Mais Paris a des particularités :
L’enjeu est d’abord de tenir la maison, d’avoir un poids suffisant face aux défis qu’elle pose assez clairs à identifier :

  • Sous n’importe quel manager, cette maison coûtera cher, même avec des conventions collectives révisées. L’idée de faire des économies à l’Opéra est un leurre, il faudrait une fois pour toutes arrêter cette polémique idiote. L’antienne du coût exorbitant est l’argument répété de toutes les campagnes contre les managers de l’Opéra de Paris, comme si on pouvait y faire des économies; la répétition de l’argument depuis des dizaines d’années marque sa vanité. La vraie question , c’est que la dépense puisse se justifier aux yeux de la collectivité nationale, c’est à dire qu’elle puisse bénéficier à l’ensemble des contribuables en termes d’accessibilité, de diffusion, d’éducation. Quand l’Opéra était le jardin du Prince, il bénéficiait tout au plus à sa cour et à ceux qui détenaient le pouvoir économique, d’où d’ailleurs les formes alternatives qu’on a inventé pour le public plus populaire comme la foire ou l’Opéra-Comique. L’Opéra est aujourd’hui un jardin national, à défaut d’être un jardin ouvrier…
    Mais l’opéra est aussi un art complexe, qui nécessite une foule de métiers, et donc cher. Il faut peut-être contenir les dépenses, mais cela ne suffit pas, et augmenter les sources de recette ne suffit pas, même en les diversifiant entre billetterie, sponsors, produits dérivés ainsi que produits TV et cinéma en streaming encore timides à Paris, alors que les maisons européennes rivalisent en retransmissions en streaming – voir Munich et Berlin-, directs radio ou TV….
  • Il reste aussi à avoir une politique tarifaire lisible, ce qui n’est plus le cas depuis des années, qui puisse diversifier l’accessibilité. Du côté de la billetterie, l’augmentation des prix, en une période ou la question du pouvoir d’achat est si sensible a fait long feu et aussi bien Paris que d’autres théâtres (la Scala notamment) en font les frais. Je pense qu’il faut revoir profondément le système de billetterie.
  • En plus de ces questions de gestion, il semble aussi qu’il faille donner au manager de cette maison géante aux personnels très qualifiés et très spécialisés, un regard plus sensible à la question des ressources humaines qui ne semble pas être très centrale, du moins à ce qui peut en filtrer. Car les personnels eux-mêmes, à l’ « esprit maison » très développé, restent discrets à ce propos.
  • Il faut revoir la question de « l’Académie », dont le concept qui a si bien réussi à Aix n’a pas eu les résultats escomptés à Paris, alors que le « Studio » avait précédemment assez bien marché…et du même coup aussi poser la question d’une troupe éventuelle, pas seulement d’ailleurs composée de jeunes..
  • Enfin il faut régler la question du ballet, une institution de très haut niveau et de tradition séculaire qui semble artistiquement piétiner, très (trop) endogène et très marquée par les hiérarchies très enracinées du corps du ballet. Millepied s’y est heurté et a été vaincu : pourtant l’appeler n’était pas une mauvaise idée. Aurélie Dupont ne semble pas vraiment y réussir pour d’autres raisons, et la question du répertoire et surtout de la défense du répertoire classique se pose dans une maison dont il est l’armature  sur laquelle s’est construite sa réputation et sa maîtrise technique: combien de grands ballets classiques dans la programmation actuelle ? trois ? quatre ? Même pas: le seul Lac des Cygnes marque le répertoire de grande tradition cette saison C’est à pleurer…

Les origines du projet Bastille

Pour comprendre les questions qui se posent, il faudrait revenir sur l’excellent rapport Gall de 1994, qui pose les défis au plan technique et au plan du nombre de représentations (plus de 550 entre Garnier et Bastille) et il faut aussi revenir aux origines du projet : un théâtre « populaire » pour l’Opéra-Bastille, fondé sur le répertoire.C’est Michael Dittmann, venu du système allemand, collaborateur de Rolf Liebermann à Paris et attaché ensuite à la mission de préfiguration de Bastille (direction Jean-Pierre Angrémy) qui a pensé le système par référence au système de répertoire à l’allemande fondé sur l’existence d’une troupe de base avec quelques artistes invités. Toute l’architecture technique du théâtre est fondée sur la nécessité d’une alternance serrée. C’est pour le système de répertoire que l’Opéra-Bastille a été construit, et pas pour le système stagione:  il y a deux scènes prévues à l’origine à Bastille (grande salle et salle modulable) et une scène de répétitions avec fosse d’orchestre (côté jardin de la scène de Bastille) jamais utilisée je crois. Il faut donc utiliser à fond l’outil de production.
Avec une école de chant française assez fournie et de qualité aujourd’hui, il ne serait pas absurde d’y penser une troupe : certains jeunes chanteurs français pour se faire les dents ont été (Julie Fuchs à Zurich) ou sont en troupe (Elsa Benoit à Munich), alors pourquoi pas à Paris ?

Garnier dévolu au ballet était l’idée d’origine, et Garnier est aussi devenu par sa moindre capacité (2000 places quand même, soit la Scala, Covent Garden,  la Deutsche Oper de Berlin,  Vienne, ou Munich),  le théâtre lyrique pour les œuvres baroques ou de plus petit format à cause de l’absence de la « salle modulable » qui était a priori dédiée à ce répertoire et au contemporain, espace laissé en friche à l’intérieur de Bastille dont Lissner a annoncé la reprise des travaux pour une ouverture au début des années 2020).

En fait Garnier (c’est déjà le cas d’ailleurs) pourrait être dédié à la danse et à ces opéras peu ou moins représentés ne nécessitant pas de reprises fréquentes : un système stagione « spécial Garnier » en quelque sorte. Il serait d’ailleurs stupide de fermer Garnier au lyrique pour toutes sortes de raisons, historiques, artistiques, touristiques…
En l’occurrence, et on s’en rend bien compte, l’Opéra de Paris est un outil monstrueux: à l’horizon 2022, trois scènes à entretenir, trois salles, 2700 (Bastille), 2000 (Garnier) et 1000 (Salle modulable, si elle est vraiment construite), cela veut dire à mon avis la nécessité d’une troupe pour Bastille, la nécessité d’un ballet à la programmation séduisante et diversifiée, distribuée sur Bastille pour les « grands standards », et sur Garnier pour le reste, et la salle modulable pour les formes plus petites et l’expérimental, le théâtre musical etc…Mais avec deux conditions sine qua non : que le public vienne, à des prix raisonnables et que se mette en place une recherche fine de diversification des publics.
Le succès de la Philharmonie en est la preuve : le public vient si une politique tarifaire intelligente est appliquée et si la programmation montre son ouverture la plus large.
Les candidats à notre première scène nationale auront sans doute à cœur de résoudre tous ces problèmes, qui ne manqueront pas de provoquer négociations et discussions ponctuées des inévitables grèves.
Enfin, last but not least, la question du directeur musical.
Philippe Jordan a été la très bonne idée de Nicolas Joel : il a choisi un chef qui est arrivé  avec un nom déjà internationalement connu avec un profil de répertoire allemand, devenu un chef très aimé à Paris au répertoire suffisamment large pour devenir maintenant le directeur musical de Vienne à partir de 2020. Y-a-t-il aujourd’hui un chef de ce type, quadra si possible, pour lui succéder ? Ou bien faut-il un nom encore plus assis, comme par exemple Antonio Pappano, même si l’on vient d’apprendre qu’il est prolongé jusqu’en 2023 à Londres. (Il pourrait enchaîner avec Paris ensuite car on sait qu’il cherchait à partir du ROH) , lui dont le répertoire est très large, pour frapper encore un plus grand coup ? Ou bien faut-il vraiment un directeur musical ? Autant de questions qui n’ont cessé de se poser depuis des dizaines d’années, sans jamais de réponse définitive et qui dépendent des réseaux du directeur général choisi..

Une politique artistique plus cohérente

Même si face aux défis d’organisation que pose le futur, la politique artistique est moins prioritaire dans une maison qui a dans son répertoire un grand nombre d’œuvres depuis son ouverture en 1990 et qui peut vivre sur son acquis, en limitant les nouvelles productions au strict nécessaire, il reste naturel de l’évoquer.

Lissner a laissé Jordan en place, car en intuitif qu’il est, il a compris qu’il n’aurait pas mieux que ce « right man on the right place ». Il a ramené des stars sur la scène parisienne, et c’est évidemment nécessaire, il a aussi proposé des productions toujours alléchantes sur le papier, pas toujours cependant au vu du résultat, enfin poussé par la tendance du jour, il a continué d’opérer le retour d’un répertoire maison initié par son prédécesseur, voire par Mortier (Werther, Louise) mais de ces titres revenus (de Mireille au Roi Arthus, de Faust aux Huguenots, des Troyens à Benvenuto Cellini) combien de productions convaincantes, et surtout combien de reprises?
Il y a eu aussi de mauvaises idées : une Bohème par Claus Guth qui , indépendamment de la qualité intrinsèque de la production, n’est pas tenable pour un tel standard dont la plupart des productions durent au bas mot une vingtaine d’années, un Don Carlos scéniquement problématique, des Huguenots fades, mais moins ratés que Don Carlos, une Damnation de Faust justement damnée et d’autres.

Et malgré tout, il continue cependant de manquer à cette maison des pans notables de répertoire : le répertoire français maison (les autres Meyerbeer, d’autres Gounod, d’autres Massenet par exemple qui seraient idéaux à Garnier), le répertoire vériste, très grand absent, le grand répertoire romantique (bel canto), peu de Bellini, peu de Donizetti, et peu de Rossini (non seulement les opéras écrits pour Paris, mais aussi les « opéras serias »), sans parler de grands classiques du XXème comme Die Soldaten, voire des Zemlinsky (seul Der Zwerg est au répertoire) ou des Schreker. Rendons grâce à Nicolas Joel d’avoir proposé Die tote Stadt de Korngold et Mathis der Maler de Hindemith et à Mortier d’avoir monté son Cardillac. Mais combien de reprises depuis ? Et que dire de Dialogues des Carmélites, ou Saint François d’Assise, absents de la scène de l’Opéra depuis 2004… ?
Pris entre le système stagione (répétitions et séries de représentations longues) et le système de répertoire (répétitions brèves limitées à une mise en place) et sans troupe, l’Opéra ne peut afficher certains titres pour trois représentations, comme le fait Munich, s’assurant ainsi d’un remplissage satisfaisant. Et donc il s’abstient de reprendre des titres dont il connaît à l’avance le taux de remplissage critique sur six ou sept représentations.
Il y a là toute une ligne de programmation à revoir, car en l’état, il y a de quoi proposer de nombreux titres, mais repenser les nouvelles productions non en fonction des envies ou du buzz, mais en fonction du sens. Prenons l’exemple des Troyens : certes c’est excitant de proposer Tcherniakov comme metteur en scène, et ça fera parler, mais une reprise des Troyens de Wernicke (en 2006, sous l’ère Mortier, reprise de Salzbourg) qui sans être une production définitive, avait une vraie légitimité, pouvait être envisagée. Et on pouvait par ailleurs appeler Tcherniakov pour Die Gezeichneten par exemple, qui attendent une création parisienne…
Mais la question du répertoire n’a de sens que si les productions sont reprises: la garantie de leur reprise, je le répète, consiste, pour Bastille au moins, en un système de troupe. L’art de Liebermann, à l’intérieur d’un système stagione d’ailleurs, consistait en des reprises régulières des productions avec des distributions renouvelées, alléchantes, quelquefois supérieures à la Première. Bastille qui a un fond de productions infiniment supérieur ne s’y essaie pas vraiment.

Je soutiens donc que dans la situation actuelle, qui n’est quand même pas si tragique (même si les questions du ballet et de RH se posent sérieusement), il vaudrait mieux quelqu’un qui n’ait plus rien à perdre à la tête de cette maison, pour travailler sur ce qui fait un peu mal et ne se voit pas, quitte à laisser un peu de côté ce qui se voit, tout en garantissant une production artistique de bon niveau, ce qui n’est pas si difficile au vu des productions existantes de la maison et du marché du chant lyrique actuel.
La tendance d’aujourd’hui est de penser que le présent est éternel, et que le buzz d’une production remplace une politique: on évite de penser long terme, on évite de penser traces. Or la direction d’un opéra consiste à la fois à créer à l’intérieur de la maison un « esprit » derrière une programmation (voir Kosky à la Komische Oper de Berlin), à mettre en place des organisations satisfaisantes pour tous, mais aussi  à considérer la maison dans sa perspective historique, dans son patrimoine matériel et immatériel.
Qu’importe le nom du futur directeur général : il suffit qu’il ait la mémoire longue et sache valoriser tous les patrimoines de cette maison, y compris le patrimoine immense et la mémoire que constituent tous ses personnels, une richesse qui compense très largement les coûts supposés de leur travail . Jamais on ne pensera juste en pensant « économie » à l’opéra (les deux termes sont antagonistes), à condition néanmoins que la dépense conduise quelquefois au sublime.

 

OSTERFESTSPIELE SALZBURG (FESTIVAL DE PÂQUES): AVIS DE GRAND FRAIS DANS LES PROCHAINES ANNÉES

Beethoven “Symphonie n°9” Karajan B.P.O. (1977 Tokyo Fumonkan)

Un festival né pour les épiphanies d’un dieu nommé Karajan

Dans l’univers des grands festivals européens, le Festival de Pâques de Salzbourg occupe une place très particulière due aux conditions de sa naissance, en 1967, à l’initiative d’Herbert von Karajan. Cette particularité est son lien indéfectible et quasi religieux à son créateur de 1967 à 1989. Le Festival de Pâques de Salzbourg était le lieu régulier des épiphanies du Dieu vivant qu’était Karajan à l’époque (les spectateurs plus jeunes ne peuvent imaginer ce qu’était Herbert von Karajan dans le monde musical de ces années-là et le culte dont il était l’objet). C’était aussi le Festival le plus exclusif qui soit, fondé sur l’adhésion à la « Förderung », sorte de ticket d’entrée qui garantissait le droit au Saint des saints. Sans la « Förderung » (droit au mécénat), point de salut pour le spectateur. Le festival vivait exclusivement de ses « sponsors », et jouait chaque année à guichets fermés, malgré des prix stratosphériques. En comparaison le festival d’été (pourtant dirigé par Karajan), c’était Carrefour par rapport à Fauchon.
Le deuxième argument d’exclusivité était l’Orchestre Philharmonique de Berlin, l’outil de Karajan, forgé à son image, l’orchestre chavirant, reconnaissable entre tous, capable de produire les sons les plus éthérés, les plus infimes, les plus charnus, les plus somptueux, qui jouait alors en salle exactement comme au disque.
Et en 1989, Karajan mourut.
Comme les institutions exclusivement appuyées sur le fondateur (cf le Lucerne Festival Orchestra aujourd’hui après la mort d’Abbado), l’Osterfestspiele Salzburg dut se réveiller d’un long rêve qui faisait croire que Dieu était éternel. Et pendant quelques années ce fut le brouillard où Sir Georg Solti, à l’époque considéré comme le second après Dieu (quand on pense comme Solti est aujourd’hui un peu oublié, on croit rêver) fut l’espace de deux saisons (1992-1993) le directeur artistique, puis, l’arrivée d’Abbado aux rênes des Berlinois stabilisa la situation en 1994. Abbado avait été élu en 1989, avait pris ses fonctions en 1991 et avait un peu assis sa direction avant d’arriver à Salzbourg .

Après la mort de Dieu

Claudio Abbado © Cordula Groth

Et ainsi, même avec un Abbado, à l’époque moins adulé qu’aujourd’hui, et même contesté par les veufs et veuves Karajan, le Festival de Pâques de Salzbourg rentra dans une sorte de normalité. Il ne retrouva jamais son aura karajanesque, malgré le prestige et le charisme du chef italien, et malgré un bon nombre de mécènes notamment italiens (La Grappa Nonnino par exemple).
Ce qui ne changea pas, ce fut l’ordonnancement entre les week-ends des Rameaux et de Pâques :

  • Un opéra
  • Un concert choral
  • Deux concerts symphoniques, dont un dirigé par un autre chef.

Ce qui changea en revanche, ce fut non le répertoire symphonique, classique et référentiel, mais plutôt le répertoire d’opéra, plus ouvert et l’appel à des metteurs en scène plus « modernes », Herbert Wernicke, Peter Stein, Klaus Michael Grüber par exemple, qui restaient la fine fleur de la mise en scène, avec des spectacles qui marquèrent comme le sublime Boris Godounov de Herbert Wernicke ou le Wozzeck de Peter Stein. Abbado encouragea aussi l’ouverture à d’autres formes, plus petites, comme les concerts « Kontrapunkte » où les berlinois se fragmentaient en autant de formations de chambre et une ambiance incontestablement un peu plus détendue.
Au départ d’Abbado, Sir Simon Rattle, nouveau directeur artistique et musical, ne changea pas grand-chose, sinon qu’il proposa des décennies après le Ring fondateur de Karajan, un nouveau Ring en coproduction avec Aix-en-Provence (MeS : Stéphane Braunschweig) qui ne resta pas trop dans les mémoires, notamment celles de la mise en scène.
Mais les évolutions, les changements de public, la disparition des chefs divo-charismatiques ont changé de loin en loin le modèle économique d’un festival né comme la propriété quasi-privée du chef fondateur et du public qui le suivait.
Peu à peu, il a fallu aller chercher le public, qui n’était plus captif, et ce n’était pas chose facile.
Abbado avait réussi à stabiliser un public fidèle et voué au chef italien, son départ provoqua une crise : Sir Simon Rattle n’était pas encore divinisé et les concerts perdaient leur caractère exclusif. Les choix des opéras et les distributions, pas toujours heureuses, firent aussi le reste. A part le Ring assez médiocre, de cette période, on garde le souvenir d’un beau Cosi fan Tutte, production de K.E et U. Herrmann avec Cecilia Bartoli.
Crise économique, crise d’identité, le festival de Pâques de Salzbourg avait perdu son caractère exclusif sans rien gagner de neuf ou de stimulant, il restait un rendez-vous mondain sans plus être un rendez-vous artistique qui valait le détour (c’est exactement ce qui frappe le Lucerne Festival Orchestra aujourd’hui : destins parallèles et pour les mêmes raisons).
La question économique ne tient pas aux concerts, mais aux opéras, qui coûtent cher et qui ne sont affichés que pour deux représentations : il faut donc trouver des coproducteurs.
Sous Karajan systématiquement et sous Abbado partiellement, le co-producteur naturel était à Salzbourg le Festival d’été, Festival consanguin dont la coproduction ne nécessitait aucun frais ni de transports ni d’adaptation : même lieu, même salle. Quant au metteur en scène, c’était Karajan soi-même la plupart du temps : dans cette communion musicale il était et le pain et le vin.
Déjà les choses devenaient plus âpres sous Abbado, avec Gérard Mortier, au goût arrêté, et pas forcément ami avec un Abbado qui s’en méfiait beaucoup, mais bon an mal an on s’en est sorti. Mais déjà Otello (production Paolo Olmi) fut coproduit avec Turin, Simon Boccanegra avec Vienne (où l’on peut encore voir la production de Peter Stein), Elektra (production Lev Dodine) avec Florence ; le festival de Pâques dut chercher des coproducteurs à l’extérieur de Salzbourg  et cela se développa (ou pas) à l’époque de Sir Simon Rattle.
Une production d’opéra sans co-producteur à Sazlbourg (comme à Baden-Baden d’ailleurs) suppose que le Festival assume seul les frais, et donc souvent une production aux moyens limités est un spectacle un peu plus cheap.
Actuellement, sous le règne de Christian Thielemann, la solution est assez simple avec les coproductions avec la Semperoper de Dresde, dont le directeur musical est Christian Thielemann : ça aide.

Les crises

Peter Alward ©Franz Neumayr

On aura compris que ce Festival dont les Intendants passent sans qu’on connaisse leur nom dépend en réalité du chef d’orchestre qui en est le directeur artistique; qui connaît dans le grand public Michael Dewitte (avec Abbado et Rattle), Peter Alward (avec Rattle et Thielemann), Peter Ruzicka (avec Thielemann). Pourtant, un scandale financier avec des malversations touchant l’intendant en titre en 2009-2010 éclata qui incite à changer la « gouvernance » de l’institution. Désormais, et c’est important à savoir, la Fondation Herbert von Karajan Osterfestspiele Salzburg (25 %), la ville de Salzbourg (20 %), le Land de Salzbourg (20 %), Salzburger Land Tourismus GmbH (l’office de tourisme) (20 %), Verein der Förderer der Osterfestspiele in Salzburg (l’association des mécènes) (15 %) se partagent la gouvernance du Festival et veillent à sa santé financières et aux retombées…

Toutes ces secousses firent que d’autres sirènes se profilèrent.
A Baden-Baden, il y avait plus d’argent, et après de multiples discussions, la décision tomba : les Berlinois, aux racines du festival de Pâques émigrèrent en Baden-Württemberg, au festival de Baden-Baden, dans son Festspielhaus à l’acoustique douteuse d’un hall de foire du luxe : les Berliner estimaient que les retombées financières étaient insuffisantes pour eux. Cette histoire de gros sous, où le Festival de Baden-Baden en la personne de son intendant Andreas Mölich Zebhauser faisait des offres plus alléchantes, aboutit au départ des Berliner pour Baden-Baden après le Festival 2012, et à l’arrivée de la prestigieuse Staatskapelle Dresden et de son chef Christian Thielemann en 2013. Ainsi donc ce Festival né pour dieu (Karajan) et ses prophètes (les Berliner) avait déjà perdu Dieu, et une vingtaine d’année après, perdait aussi ses prophètes en place depuis 1967. Il devenait un festival parmi d’autres, à un moment où les festivals de Pâques allaient en se multipliant: Salzbourg, Baden-Baden, Lucerne, Berlin, Aix-en-Provence…

L’ère Thielemann

L’arrivée de Thielemann, ex-assistant de Karajan, constitua un peu une filiation par la bande, mais rompit avec les habitudes, avec la crainte que le public du festival ne passe à l’ennemi, à Baden-Baden. Mais les deux institutions ne se ressemblent pas et Baden-Baden, le seul Festival où les places chères partent avant les places les plus abordables, n’a ni la même ambiance, ni le même public : il n’y a pas de grosse fuite des spectateurs. Et le comportement des Berlinois froissa ce public habitudinaire et ritualisé: le passage à Pâques à Salzbourg était en effet une sorte de rite.
Mais d’un côté comme de l’autre aucune des deux entités désormais rivales ne réussit à imposer sur le plan médiatique et artistique une image forte, d’un côté comme de l’autre les productions, certes de grande qualité musicales, ne sont  vraiment convaincantes comme devraient l’être des productions de tels Festivals, avec leur côté exclusif. Et puis, le public capable de payer plus de 400 € une place d’orchestre n’est pas extensible à l’infini.
Bref, ni Salzbourg, ni Baden-Baden ne peuvent aujourd’hui se vanter de résultats mirobolants. Et après cinq ans, on commence à évaluer les résultats de ces changements.

Peter Ruzicka © OFS/Christian Schneider

Or, entre 2020 et 2021 se pose dans de multiples institutions la question de la succession : Munich va changer de mains et passer de Bachler-Petrenko à Dorny-Vl.Jurowski, Vienne change de mains et écarte Dominique Meyer pour Bogdan Roscic. Paris change de mains sans qu’on sache encore dans quelles mains il va tomber, la Scala aussi devrait changer d’intendant en 2020 et à cette grande valse s’ajoute le Festival de Pâques de Salzbourg qui voit le départ de son intendant actuel Peter Ruzicka à qui l’on doit l’ajout annuel d’un opéra contemporain de chambre, une initiative très heureuse.  Quant à Christian Thielemann, on ne sait s’il prolongera son contrat avec Dresde.

 

 

Dresden et après…

Le festival de Pâques de Salzbourg est donc à la croisée des chemins (ce n’est pas moi qui l’écrit c’est le journal salzbourgeois Salzburger Nachrichten), car si le petit monde musical bruisse de la succession de Ruzicka à Salzbourg, c’est que se profile l’arrivée de l’autrichien Nikolaus Bachler, actuel intendant à Munich. Sa personnalité, son passé aussi bien à Munich qu’à Vienne en font une personnalité forte du monde musical germanique. Et avec lui à Pâques, et Hinterhäuser à Salzbourg-Eté le management redeviendrait tout autrichien.
Mais si l’on s’intéresse autant à cette succession, (qui s’est ému de l’arrivé de Alward, ou de Ruzicka par le passé ?) c’est que derrière Bachler, à Salzbourg-Pâques, il faut un chef : c’est en effet le chef (et l’orchestre qu’il représente) qui fait le Festival de Pâques, lui seul compte et c’est la gloire musicale de Christian Thielemann qui a maintenu le public à Salzbourg. Or tout le monde sait que l’arrivée de Bachler, c’est avoir par derrière la possibilité de l’île Petrenko, néo directeur musical et artistique des Berliner en 2019. Comme de son côté Mölich-Zebhauser part en 2019 de Baden-Baden remplacé par Benedikt Stampa, l’intendant très apprécié du Konzerthaus de Dortmund, les cartes peuvent être rebattues.
Il est évident qu’en appelant Bachler, le conseil de surveillance du festival de Pâques de Salzbourg espère dans un futur proche un éventuel retour à Salzbourg des Berliner, dont  bien des membres n’étaient pas favorables au transfert, ce qui serait une relance médiatique en grand style, parce que dans les valises arriverait Kirill Petrenko, pour un nouveau tandem Bachler-Petrenko. Kirill Petrenko a sans nul doute le charisme musical suffisant pour drainer de nouveau à Salzbourg  les mécènes et les trompettes de la renommée qui vont avec.
Mais ni Thielemann, ni la Staatskapelle Dresden, ni Baden-Baden (qui ne laissera pas filer la poule aux œufs d’or aussi facilement) n’ont dit leurs derniers mots. Mais un couple Bachler – Thielemann suscite de nombreux doutes. On connaît de plus la manière dont Bachler a poussé Nagano dehors à Munich pour imposer Petrenko. Bachler, est-ce la naganisation programmée de Thielemann ?
Ce qui se profile est donc un combat qui doit impliquer les financiers, les mécènes, les politiques, avec un jeu subtil sur les échéances des contrats des uns et des autres: si Bachler, comme tout le monde le dit, est le successeur de Ruzicka au Festival de Pâques de Salzbourg, un avis de grand frais à tous les niveaux se profile.

Nikolaus Bachler et Kirill Petrenko © Wilfried Hösl

SUR LE NON RENOUVELLEMENT DE DOMINIQUE MEYER À VIENNE

Dominique Meyer
Dominique Meyer

À la grande surprise de tous, Dominique Meyer, dont le contrat arrivait à échéance en 2020, n’a pas été renouvelé par le ministre de la culture autrichien Thomas Drozda qui lui a préféré Bogdan Roscic, en lui donnant la mission de créer un Staatsoper 4.0 et d’ouvrir au contemporain.
Le fait qu’en 2020 Dominique Meyer arrivera à 65 ans n’est pas pertinent dans un monde où la retraite n’existe pas (voir Alexander Pereira à la Scala ou d’autres), mais néanmoins, si le ministre reste libre de ses choix, après 10 ans d’un mandat Meyer très positif pour la fréquentation de la maison et sans crises, on pouvait penser que le premier étranger non germanique à diriger l’Opéra le plus important du monde par la production et la popularité méritait largement une prolongation de contrat. On ne change pas une équipe qui gagne.
On peut évidemment discuter les choix stratégiques d’une programmation plutôt sage, et visant à garantir une qualité moyenne constante de haut niveau, c’est à dire consolider le fameux système de répertoire (environ 50 productions différentes sur 300 représentations annuelles). On doit aussi à Dominique Meyer une politique très active en matière de ballet, confié à Manuel Legris et son mandat a marqué une relation très cordiale avec l’orchestre, qui est le creuset du Philharmonique de Vienne.
Dominique Meyer est populaire et a su cultiver à la fois un sens peu commun de la relation avec le public, très ouvert, très familier, voire familial et une proximité inhabituelle, mais il a su aussi montrer qu’au-delà du manager, il était d’abord un amateur d’opéra, un mélomane passionné qui avait en la matière le même passé de ceux qui faisaient la queue sous les arcades de la Staatsoper, lui qui a passé de longues nuits devant Garnier pendant les années 70.
En somme, Meyer a fait des choix qui ont évité la polémique, très active à Vienne : les directeurs et GMD victimes de cabales sont fréquents : l’opéra à Vienne est en Autriche une institution énorme, et le choix de son directeur est une affaire nationale.

Face à cette solidité et ce classicisme, qui vont bien avec une maison relativement conservatrice et un public qui tient comme à la prunelle de ses yeux au système de répertoire, le ministre de la culture a choisi le management industriel, le directeur de Sony Classical, sans doute fasciné par l’exemple du MET, dont le manager, Peter Gelb, vient aussi du monde de Sony.
Ainsi, et tel que je vois le sens de cette nomination, le ministre Thomas Drozda répond à une question qui ne se pose pas à Vienne : le paysage musical de la capitale autrichienne est stabilisé largement avec les temples de la tradition que sont la Staatsoper et le Musikverein, et les autres théâtres et salles de concert, en premier lieu le Theater an der Wien qui est l’autre opéra dont la niche est la recherche de la modernité et la mode, notamment en matière de mise en scène, mais aussi par exemple Wien Modern, fondé par Claudio Abbado lorsqu’il était GMD de l’opéra. Il y en a à Vienne pour tous les goûts.
Faire de la Staatsoper une Staatsoper 4.0 est un slogan, qui procède du marketing du moment. Une maison qui affiche quasiment complet 300 jours par an n’a pas vraiment besoin de slogans. C’est une attitude à la Knock que de vouloir soigner un malade en excellente santé et cela s’appelle du charlatanisme. Et donc aucune motivation artistique à nommer un manager de l’industrie du classique, qui n’a jamais dirigé de théâtre sinon peut-être une manœuvre politique qui consiste à placer là de nouveau un autrichien (né à Belgrade au temps de la Yougoslavie), pour se parer eu égard à l’avenir politique éventuel du pays, et sans doute un homme de réseau.
Le bilan mitigé de Peter Gelb au MET, qui a essayé de faire respirer une maison au public particulièrement fossilisé et qui fond comme neige, est un avertissement. Et la situation du MET n’a rien à voir avec Vienne, dont la musique classique fait partie des gènes, au contraire de New York la polymorphe. C’est, me semble-t-il, une lecture superficielle de la situation et une nomination fashion sans véritable visée stratégique car les annonces faites sur les caractères du projet m’apparaissent plus procéder du marketing que d’une authentique réflexion de politique artistique.
Il reste qu’il y a dans certains théâtres européens un vrai problème d’image et de public, Paris a un problème de public, la Scala a un problème de public et ce sont des questions qui tiennent tout autant à des politiques de prix excessifs (au rapport qualité/prix discutable) qu’à des politiques artistiques peut-être mal ciblées. Tout cela ne vise pas Vienne, qui a des prix élevés mais un public assez captif et un nombre important de places populaires debout, une vraie tradition à Vienne qu’on avait essayé d’introduire à Paris sous Gérard Mortier, mais que l’équipe imbécile qui lui avait succédé avait préféré supprimer.
J’estime donc cette nomination injustifiée, et je suis très triste pour l’ami Dominique. Je le dis d’autant plus librement que je ne suis pas un spectateur assidu de Vienne et que je ne partage pas toujours les options esthétiques affichées à la Staatsoper. Mais je suis en colère: de telles nominations peu justifiées et dictées par d’autres motivations qu’artistiques ne me disent rien qui vaille pour l’avenir de l’opéra, mon art de prédilection et plus généralement l’avenir de la culture.[wpsr_facebook]

 Bogdan Roscic©SN/APA/HERBERT NEUBAUER
Bogdan Roscic©SN/APA/HERBERT NEUBAUER

 

LES SAISONS 2016-2017 (8): WIENER STAATSOPER

Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper
Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper

Comment dans une succession de textes sur la présentation des saisons lyriques échapper à la salle la plus symbolique du monde, celle aux levers de rideau les plus nombreux, celle sans doute dont l’histoire (depuis 150 ans au moins) est la plus riche, où ont défilé Mahler, Karajan, Abbado (non sans difficultés d’ailleurs pour les uns comme pour les autres), celle dont les murs suent la mémoire la plus glorieuse de l’art lyrique. Il y a sans doute dans les salles européennes des fleurs qui font traditionnellement plus rêver (La Scala par exemple), mais sous les fleurs, il y a un terreau, et le terreau, c’est sans conteste Vienne, resté en permanence un lieu de référence.
Car dans le paysage des salles d’opéra, Vienne reste un mystère, car alors que les publics évoluent partout, que des théâtres comparables (le MET par exemple) affichent une crise de fréquentation sans précédent, Vienne affiche des taux de remplissage à faire pâlir d’envie Peter Gelb (Manager du MET) et ses collègues, et ce, sans GMD depuis la démission brutale, voire violente de Franz Welser-Möst, sans productions scandaleuses qui attirent par l’odeur du souffre, et au fond, sans faire parler de soi, sinon par des aventures loufoques comme le retard d’entrée en scène d’Angela Gheorghiu que les mauvaises langues attribuent au succès trop délirant de Jonas Kaufmann, dans une Tosca dont tout le monde a parlé, au moins le petit monde du lyrique, une production âgée de 59 ans, créée par Karajan, signée Margherita Walmann, qui continue à faire les beaux soirs du répertoire viennois et qui doit en être pas loin de sa 600ème
Car le secret de Vienne – si secret il y a- ce ne sont pas ses « nouvelles productions », dont finalement on parle peu, ce sont ses 300 soirées, du 1er septembre au 30 juin, de ballet et d’opéra, ses 50 ou 60 titres annuels, et son orchestre, qui selon les occasions s’appelle Orchestre de la Wiener Staatsoper ou Wiener Philharmoniker. Cet orchestre envié, un groupe à géométrie variable, doit être dans la fosse pendant que les Wiener Philharmoniker, les mêmes, sont en tournée à Shanghaï ou ailleurs, ce qui suppose un planning serré, et plusieurs configurations. Ce qui fait dire aussi aux amateurs qu’il y a un orchestre A, B, ou C et ce qui fait circuler les plus plaisantes histoires sur les remplacements des musiciens par le fils du concierge. Plaisanterie que tout cela, dirait Dominique Meyer, le premier directeur « étranger » à la tête d’une institution au budget confortable, et tellement nationale que le directeur de l’Opéra est aussi célèbre qu’un ministre (sinon plus) et qu’il vit sous le regard d’une presse qui a toujours près d’elle (c’est sa réputation) son sac de peaux de bananes sur lesquelles ont trébuché bien des chefs ou des directeurs.
Ce qui fait Vienne, c’est son système de répertoire – il est ici exploité au maximum – de réserves de productions, montées et démontées en permanence (il suffit de passer derrière la Staatsoper pour voir les camions livrer), peu de répétitions des œuvres au quotidien, à l’exception des nouvelles productions ou des Wiederaufnahmen, les reprises retravaillées, où même quelquefois on fait revenir le metteur en scène (quand il est encore vivant) et où on rafraîchit les décors. C’est ce système qui, mis en cause par certains au nom du niveau artistique, leur a coûté leur place ou au moins de sérieuses sueurs froides, c’est ce système dont Abbado et Drese au départ voulaient la peau, et qui finalement a eu la leur, au sens où les successeurs Holaender et Wächter ont affiché leur attachement très viennois à la tradition immuable de la maison. Avec l’évolution technologique nécessaire, Vienne fonctionne à peu près comme il y a 50 ans, comme il y a 100 ans, comme il y a 150 ans.
Et c’est ce qu’a bien compris Dominique Meyer, dont le soin le plus important consiste à maintenir un niveau artistique moyen des représentations de répertoire défendable, à proposer ça et là des soirées ou ses séries avec des stars qui vont occasionner les queues légendaires pour les Stehplätze, les places debout : celui qui écrit a passé quelques nuits de sa pauvre vie en SDF du lyrique, emmitouflé dans un sac de couchage en plein hiver glacial, ou quelquefois en automne un peu plus doux : Ainsi, à mon époque – je parle des années 80 du siècle dernier – Vienne affichait José Carreras, qui était adulé, la queue pouvait atteindre un ou deux tours du bâtiment. Vienne c’est aussi le petit groupe de fans qui attend systématiquement les chanteurs pour les autographes à la sortie des artistes, une tout petite porte côté Kärtnerstrasse, où j’ai attendu Jones, Bernstein, Nilsson, Caballé, Domingo, Baltsa et d’autres.

Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper
Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper

Quand on parle de Vienne, il faut rappeler ces rituels, ce public à la fois connaisseur et fidèle, très traditionnel et hyper musical. Le public de Vienne n’est pas accroc aux productions (sinon, il n’y aurait plus depuis belle lurette la Tosca de Wallmann ou la Salomé de Boleslaw Barlog (autre monument à la poussière, de 1972, plus récent de 15 ans cependant), mais il est très difficile sur les chanteurs et soucieux des chefs, tout en ayant, comme celui de la Scala d’alors, ses têtes, mais pas les mêmes. Quand Kleiber est venu pour ses derniers Rosenkavalier en 1994, c’était un événement incroyable à voir et à vivre.
Enfin c’est un théâtre qui a gardé ses places debout, qui les préserve même car elles sont un symbole local fort, et pas seulement les place de Stehparterre, à l’endroit le meilleur de la salle, au fond du parterre, à l’acoustique enviable, mais aussi ses places debout de galerie, sur les côtés, sans visibilité ou presque. Il y en a au total plus de 500. Munich a le même culte des places debout – elles sont même à Munich numérotées, pas à Vienne (peut-être le sont elles aujourd’hui ?) En tous cas, à mon époque, c’était la course à la meilleure place : si était dans les 100 premiers de la queue, on achetait son billet, on courait, on se précipitait au Stehparterre, on allait se placer du mieux possible, on faisait un nœud à son écharpe ou son mouchoir attaché à la rambarde pour montrer que la place était occupée, et on allait enfin s’asseoir et boire un café en attendant la représentation. Une vraie culture, que Paris aurait pu faire naître pour un public populaire de jeunes, mais à laquelle il a renoncé, grâce à Nicolas Joel qui a entériné leur suppression (il est vrai que c’était Mortier qui les avait créées, ce qui suffisait sans doute à les condamner). Les places debout, cela veut dire que si vous avez envie d’entendre pour une somme dérisoire l’opéra du soir quel qu’il soit, vous pouvez entrer. J’ai ainsi vu Turandot (Eva Marton- Maazel), Samson et Dalila (Domingo Baltsa Prêtre), Tosca – moi aussi j’y ai eu droit- mais avec Rysanek, Milnes, Carreras, Barbier de Séville, avec Baltsa, et un concert hallucinant, pas d’autre mot, pour l’équivalent de 15 francs de l’époque qui célébrait l’ouverture de la cité des Nations Unies, avec – je peux montrer encore le programme à ceux qui douteraient, Ruza Baldani, Leonie Rysanek, Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Siegfried Jerusalem, René Kollo, José Carreras, Placido Domingo, Piero Cappuccilli, Agnès Baltsa, Sonia Ghazarian, Sherill Milnes, Edita Gruberova, Ruggero Raimondi, Gianfranco Cecchele, Kurt Rydl…
Vienne, c’est ce passé là, c’est une maison qui ne peut être confondue avec le reste des maisons d’opéra, et son programme se regarde avec les nouvelles productions, mais aussi les reprises et le répertoire car on risquerait de perdre la soirée d’opéra de l’année, qui se cache derrière la 588ème Tosca ou la 421ème Bohème (Zeffirelli, 1963, la copie de la production de la Scala).
Sans la question du répertoire, on ne peut lire le travail artistique de Dominique Meyer. Certes, il n’est pas très favorable au Regietheater ni à la mise en scène dramaturgique ou aux « lectures » à la Castorf. Mais une nouvelle production pour Vienne signifie rester à l’affiche une dizaine d’années au minimum et l’expérience montre que certains travaux très contemporains vieillissent très vite. Le répertoire est plutôt l’ennemi des modes, car il faut que les productions à la fois tiennent le coup esthétiquement mais aussi dramatiquement, car le petit nombre de répétitions lors des reprises est l’ennemi de mises en scène trop complexes pour le cas de changements de distribution.
La saison 2016-2017, c’est donc 55 titres différents, dont 5 nouvelles productions seulement (moins qu’en 2015-2016) , mais dont trois titres « lourds »  Parsifal, Il Trovatore, Falstaff,et deux beaucoup plus rares pour Vienne, Armide de Gluck (pour la première fois à Vienne dans la version française et la dernière reprise de la version italienne remonte à 1892) et Pelléas et Mélisande (plus représenté depuis 1991, après 14 représentations distribuées entre 1988 et 991 de la fameuse et sublime mise en scène d’Antoine Vitez).
Même si Munich se rapproche du nombre de titres proposés en un an (Munich est sans doute le théâtre qui se rapproche le plus du modèle viennois), il reste que 55 opéras différents est un record qui demande en terme de logistique, d’organisation technique, de planning et de gestion des distributions des personnels rompus à l’exercice, et surtout une troupe solide d’où émergent de ci de là de futures vedettes, être en troupe à Vienne est un atout pour tout jeune chanteur : notre Natalie Dessay y fut par exemple dans les années 90.

On comprend que dans ces conditions, la « politique artistique » de l’opéra de Vienne soit particulière et d’abord musicale : il s’agit d’assurer un cast solide à chacune des soirées d’opéra), et quelquefois des stars, de garantir la venue de chefs prestigieux quelquefois dans l’année, mais il y a aussi des soirées où la question du chef n’est pas essentielle. Les nouvelles productions devant, comme je l’ai souligné plus, être durables.

Nous allons donc procéder de manière légèrement différente : il ne saurait être question de faire défiler et commenter les 55 titres, nous nous limiterons donc à la liste des titres par auteur : le lecteur y a droit, ne serait-ce que pour mesurer ce qui éloigne Vienne de toutes les autres salle, à la liste des nouvelles productions et des reprises avec disctribution et chefs qui vaudraient le voyage.
De plus le voyageur mélomane trouvera toujours un concert intéressant au Konzerthaus (une très belle salle, moins connue que le fameux Musikverein) ou justement au Musikverein, à trois minutes à pied de l’opéra, mais pourra aller aussi au Theater an der Wien, l’autre salle, en tous points opposée à la Staatsoper, de système stagione, pour des opéras plus (ou moins) rares dans des mises en scènes plus « ouvertes », dans une salle historique (Die Zauberflöte y fut créé) aux dimensions plus réduites. Chaque institution a sa fonction : dans l’une la tradition et l’offre délirante, dans l’autre la « modernité » et une offre restreinte. Sans compter sur la Volksoper, l’opéra populaire en allemand, avec son culte de l’opérette et les quelques autres théâtres musicaux.
Mais le touriste germanophone pourra aussi errer dans les nombreux théâtres de la ville, dont le premier d’entre eux, le Burgtheater, trône comme l’opéra sur le Ring, le boulevard circulaire qui enserre la vieille ville, à quelques centaines de mètres de la Staatsoper (la Haus am Ring, « maison » sur le Ring), en face de l’hôtel de Ville néo-gothique. Autrement dit, tout voyage à Vienne se prépare avec tous les programmes des théâtres et des salles de concert, pour être optimisé.

Les titres proposés (en gras et marqués NP, les nouvelles productions):

BEETHOVEN, Ludwig v. :
(1) Fidelio (Mai/juin 2017)

BELLINI, Vincenzo :
(2) La Sonnambula (Janvier 2017)

 BIZET, Georges :
(3) Carmen (Septembre 2016)

BRITTEN, Benjamin :
(4) Peter Grimes (Décembre 2016)

CHOSTAKOVITCH, Dimitri:
(5) Lady Macbeth de Mzensk (Avril/mai 2017)1

 DEBUSSY Claude :
(6) Pelléas et Mélisande (NP) (Juin 2017)

DONIZETTI, Gaetano :
(7) L’Elisir d’amore (Déc.2016-février 2017-juin 2017)
(8) La Fille du régiment (Septembre 2016)
(9) Don Pasquale (Oct.2016-juin 2017)

GLUCK, Christoph Willibald :
(10) Armide (NP) (Oct.2016)

GOUNOD, Charles :
(11) Faust (Mars 2017)
(12) Roméo et Juliette (Janv./Fév.2017)

 HAENDEL, Georg Friedrich :
(13) Alcina (Octobre 2016)

HUMPERDINCK, Engelbert :
(14) Haensel und Gretel (Déc. 2016/Janv.2017)

JANÁČEK, Leos :
(15) Katjá Kabanová (Avril 2017)

KORNGOLD, Erich Wolfgang :
(16) Die tote Stadt (Janvier 2017)

MASSENET, Jules :
(17) Manon (Novembre 2016)
(18) Werther (Mars/avril 2017)

 MOZART, Wolfgang Amadé :
(19) Die Zauberflöte (Décembre 2016)
(20) Die Zauberflöte für Kinder (Février 2017) (pour les enfants)
(21) Le Nozze di Figaro (Oct.2016/avril-mai 2017)
(22) Don Giovanni (Janvier 2017-mars 2017)

PUCCINI, Giacomo :
(23) Madama Butterfly (Septembre 2016)
(24) La Bohème (Novembre 2016)
(25) La Fanciulla del West (Nov./Déc.2016 – Janvier 2017)
(26) Tosca (Oct.2016 – Janvier/fév.2017 – Mai 2017)
(27) Turandot (Sept.2016- Fév./mars 2017)

REIMANN, Aribert :
(28) Medea (Avril 2017)

ROSSINI, Gioacchino :
(29) Il barbiere di Siviglia (Nov./Déc. 2016)
(30) La Cenerentola (Novembre 2016)
(31) L’italiana in Algeri (Mars/avril 2017)

STRAUß, Johann :
(32)Die Fledermaus (Décembre 2016/janvier 2017)

STRAUSS, Richard :
(33) Arabella (Mars 2017)
(34) Der Rosenkavalier (Mai/juin 2017)
(35) Elektra (Juin 2017)
(36) Salomé (Sept.2016 -Janvier/Févr.2017)

TCHAÏKOVSKI, Piotr Ilitch :
(37) Eugène Onéguine (Mai 2017)

VERDI Giuseppe :
(38) Aida (Sept/Oct 2016)
(39) Simon Boccanegra (Sept/oct.2016)
(40) La Traviata (Nov/déc.2016)
(41) Macbeth (Décembre 2016)
(42) Falstaff (NP) (Décembre 2016)
(43) Nabucco (Février 2017)
(44) Il Trovatore (NP) (Février 2017)
(45) Otello (Février 2017)
(46) Un ballo in maschera (Avril 2017)
(47) Don Carlo (Juin 2017)
(48) Rigoletto (Juin 2017)

WAGNER Richard :
(49) Lohengrin (Sept.2016)
(50) Tristan und Isolde (Mars 2017)
Der Ring des Nibelungen :
(51) Das Rheingold (Avril/mai 2017)
(52) Die Walküre(Mai 2017)
(53) Siegfried (Mai 2017)
(54) Die Götterdämmerung (Mai/juin 2017)
(55) Parsifal (NP) (Mars/avril 2017)

 

Quelques remarques sur cette liste impressionnante :

  • D’une part, et c’est l’effet Meyer, c’est une liste de titres assez diversifiés. Certes on trouve beaucoup de Verdi et de Wagner (dont le Ring) en nombre, qui restent un fond de commerce essentiel dans le système de répertoire, ainsi que l’essentiel de Puccini, mais aussi bien Mozart que Strauss, sur lesquels cette maison a aussi construit sa gloire sont présents sans être en nombre important. En revanche, on trouve des auteurs assez divers (Korngold, Massenet, Chostakovitch, Tchaïkovski, Britten, Janáček, Reimann) et donc une palette de titres assez large, même si les œuvres plus contemporaines (Reimann excepté) restent absentes.
  • Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
    Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

    On retrouve des productions anciennes, qui ont marqué cette maison, et notamment Madama Butterfly (1957 !) de Josef Gielen, Carmen (1978) et La Bohème (1963) de Zeffirelli, la fameuse Tosca de Wallman (1958), Der Rosenkavalier (1968), Fidelio (1970) et Die Fledermaus (1979) d’Otto Schenk, Salomé (1972) de Boleslaw Barlog, L’Italiana in Algeri (1987) de Jean-Pierre Ponnelle (reprise de la Scala) ou Il Barbiere di Siviglia (1966, retravaillée en 1986 et 2006) de Günther Rennert. Même si le lecteur connaît mon goût pour le Regietheater et un théâtre très contemporain, je défends le maintien au répertoire de certaines mises en scène qui témoignent d’une époque, pour des titres où souvent les nouvelles productions n’inventent rien de plus (combien de La Bohème inutiles et répétitives : quand on a Zeffirelli au répertoire, et cette réussite là, autant la conserver !) et c’est la même chose pour les productions d’Otto Schenk, ou la Tosca. Il y a de grandes mises en scène qui n’ont pas d’âge car elles marquent une sorte de permanence, une sorte de manière de faire presque immémoriale qui a marqué les mémoires. Très honnêtement, entre la production de Tosca de Luc Bondy (2009) qu’on a vu sur toutes les scènes et celle de Wallmann (1958) créée par Karajan et Tebaldi, il n’y a pas d’abyssales différences. En revanche, il serait peut-être temps de mettre au musée après 60 ans de bons et loyaux services la Butterfly de Josef Gielen (créée sous la baguette de Dimitri Mitropoulos…en 1957)

  • Peu de productions « révolutionnaires » ou marquantes, mais essentiellement de la grande série, modernisante ou non, comme Marco Arturo Marelli, Christine Mielitz, Gianfranco De Bosio, Nicolas Joel, Sven Eric Bechtolf, Daniele Abbado, Matthias Hartmann, avec certains metteurs en scène pour mon goût plus discutables comme Günter Krämer ou Uwe Erik Laufenberg, les plus ouvertes des productions sont signées Andreas Homoki, Jürgen Flimm, Andrei Serban, Irina Brook, Adrian Noble, Peter Stein, Falk Richter, Jean-François Sivadier, Willy Decker ou Caurier/Leiser, André Engel et Jean-Louis Martinoty, avec d’ailleurs des fortunes diverses.
  • A ces titres il faut rajouter les soirées de ballet (incluses dans les 300 soirées): Dominique Meyer en arrivant à Vienne avait emmené Manuel Legris dans ses bagages, pour redonner du lustre à cette école historique de la danse classique.

Ainsi, les nouvelles productions 2016-2017 sont :

ARMIDE de C.W.Gluck : 5 représentations du 5 au 29 octobre 2016
La première des Premières de la saison 2016-2017, qui est une vraie Première puisque l’œuvre n’a jamais été représentée en français à Vienne, confiée à la baguette de Marc Minkowski (qui dirigera aussi Alcina de Haendel pendant la même période) avec une distribution où la remarquable Gaëlle Arquez sera Armide, tandis que Stanislas de Barbeyrac sera Renaud. Ils seront entourés de Paolo Rumetz, Gabriel Bermúdez, baryton et le ténor Jinxu Xiahou, qui sont membres de la troupe.
Je ne suis pas un grand fan de Marc Minkowski, mais c’est un spécialiste reconnu de ce répertoire ; j’ai encore plus de réserves sur le choix d’Ivan Alexandre à la mise en scène : c’est un très bon journaliste musical, mais ce que j’ai vu de lui (Hippolyte et Aricie, Orphée et Eurydice) est certes élégant voire esthétisant, mais est loin de m’avoir convaincu au niveau dramaturgique, il sera entouré du décorateur Pierre André Weitz, et de Bertrand Killy aux lumières tous deux compagnons de route d’Olivier Py.

FALSTAFF, de G.Verdi : 5 représentations du 4 au 15 décembre 2016
Curieusement le chef d’œuvre de Verdi fait son apparition à Vienne grâce à Karajan en 1957, c’est ensuite Bernstein qui dirige la production suivante (Luchino Visconti). En 1980, c’est Georg Solti qui dirige la production de Filippo Sanjust, restée au répertoire jusqu’en 1993 (et dirigée alors par Ozawa). Une dernière production (Marelli) née en 2003 dont la dernière représentation remonte à 2011 et depuis, aucune représentation de Falstaff, ce qui du moins  confirme que l’opéra de Verdi n’est pas vraiment un opéra de répertoire, nécessaire chaque année mais exige un chef et des protagonistes de toute première importance.
C’est le choix fait pour cette nouvelle production qui s’imposait. Zubin Mehta, un des derniers grands verdiens, un des chefs d’envergure de ce temps pour l’opéra, montera au pupitre, tandis que David McVicar signera la production, dont on peut attendre une modernité sans risque, mais un travail solide. Pas de risque non plus dans la distribution où Ambrogio Maestri qui promène son Falstaff dans le monde entier sera donc de nouveau Falstaff, face au Ford de Ludovic Tézier et au Fenton de l’excellent Paolo Fanale, distribution masculine exceptionnelle, tandis que du côté féminin Alice Ford sera Carmen Giannatasio, avec la Ms Quickly désopilante (et de référence) de Marie-Nicole Lemieux. Une nouvelle production au vrai relief.

IL TROVATORE, de G.Verdi : 5 représentations du 5 au 18 février 2017
De 1963 à 1991, c’est la production Karajan (décors de Teo Otto) qui reste au répertoire, et la suivante (dont la première est dirigée par Zubin Mehta) est confiée au hongrois Istvan Szábó, dont la dernière remonte à 2001. On est quelquefois surpris de voir que des titres qui semblent être des piliers du répertoire ne sont pas si fréquents à Vienne.
Une nouvelle production s’impose donc, et c’est à Daniele Abbado qu’elle est confiée, qui a aussi signé la production actuelle de Don Carlo (vers.it). Daniele Abbado, bon connaisseur de Verdi (il a de qui tenir), est un artiste de qualité, qui jusqu’ici n’a rien produit de mémorable, mais qui conçoit  des spectacles bien faits qui ne dérangent pas le public. Exactement le type de spectacle qui peut durer. La direction musicale est assurée par Marco Armiliato, un bon chef de répertoire, et la distribution comprend Ludovic Tézier dans Luna, Roberto Alagna dans Manrico, Anna Netrebko dans Leonora, et Luciana d’Intino dans Azucena. Avec pareil quatuor, le public viendra, et c’est l’essentiel. Il reste qu’artistiquement cette production n’est pas vraiment excitante pour mon goût. Quand retrouvera-t-on dans les générations plus jeunes des chefs incontestables pour Verdi et, plus difficile encore, des metteurs en scène marquants ?

PARSIFAL, de R.Wagner, 6 représentations du 30 mars au 16 avril 2017
La production de 2004 de Christine Mielitz a fait semble-t-il son temps après un peu moins de 50 représentations, la précédente née en 1979 (d’August Everding) en avait eu 74. Sans doute Dominique Meyer tient-il pendant son mandat a proposer une nouvelle production, qu’il a confiée à Alvis Hermanis, bien connu désormais, d’un modernisme modéré, mais qui a su déchaîner les passions à Paris pour sa Damnation de Faust martienne. Gageons que son Parsifal passera la rampe sans notables réactions (sinon sans doute les hueurs traditionnels lors des Premières), comme ses Soldaten ou son Gawain à Salzbourg. Son théâtre ne m’intéresse pas vraiment, mais c’est musicalement que la production m’apparaît sans doute plus intéressante, puisque Semyon Bychkov dirigera l’orchestre – un très bon chef – et que la distribution comprend Nina Stemme (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Hans Peter König (Gurnemanz) et Gerald Finley (Amfortas), une distribution qui attirera évidemment la gent wagnéro-stemmolâtre, puisque la cantatrice suédoise se confrontera à ce rôle symbolique entre tous. Nul doute que les réseaux sociaux en feront non un opéra de Wagner, mais un concerto pour Stemme et tutti.

PELLÉAS ET MÉLISANDE, de Cl.Debussy, 5 représentations du 18 au 30 juin 2017
Depuis longtemps, sans doute depuis la production Martinoty-Haitink du théâtre des Champs Elysées, Dominique Meyer méditait un Pelléas et Mélisande à Vienne,  puisque la dernière représentation remontait à 1991 à Vienne. Peu de productions du chef d’œuvre de Debussy à Vienne, mais quels chefs : Bruno Walter pour l’entrée au répertoire en 1911 (en allemand), Karajan pour la première grande reprise et production (de Karajan lui-même) en 1962 (entre deux, une tournée de l’opéra de Cologne pour 1 représentation en 1928 et 3 représentations en 1946 à la sortie de la guerre, sans doute financée par la France, avec Roger Désormières au pupitre et Irène Joachim en Mélisande), et de 1988 à 1991 Claudio Abbado et Antoine Vitez, production des adieux à la Scala (1986) qu’Abbado avait fait venir à Vienne (14 représentations) et qui ira ensuite à Londres en 1993 (après la mort de Vitez).
La direction musicale est confiée à Alain Altinoglu (qui dirige l’œuvre dans les prochains jours -8 mai 2016- à Zürich), avec une distribution non francophone, qui ne doit pas étonner : pourquoi toujours confier à des français un tel chef d’œuvre, il faut au contraire que les chanteurs non francophones puissent s’en emparer : ainsi Benjamin Bruns, qu’on sait excellent, sera Pelléas, et la jeune Olga Bezsmertna, membre de la troupe, sera Mélisande, tandis que Golaud sera Simon Keenlyside après avoir été un inoubliable Pelléas (que j’avais vu à Genève) Arkel sera le grand Franz-Josef Selig et Geneviève, Bernarda Fink.
C’est la question de la mise en scène qui me paraît plus que décevante. Voilà une œuvre qui a Vienne a été défendue par des grands, voire des légendes. Aller chercher Marco Arturo Marelli, certes un habitué de Vienne (11 productions depuis les années 90), mais un metteur en scène sans génie ni sans grand intérêt me paraît problématique : une œuvre aussi importante si peu représentée à Vienne avait besoin d’un grand metteur en scène d’aujourd’hui. Ou alors, puisque c’est la mode (à Lyon, à Salzbourg Pâques) de remonter des productions disparues, pourquoi ne pas avoir repris la production Vitez, qui avait seulement 14 représentations à Vienne, qui est sans doute la plus belle production de cet opéra depuis une quarantaine d’années. Des décors peints sur toile, peu d’éléments construits ou lourds, et surtout Yannis Kokkos le décorateur est encore bien vivant ainsi que Lorenzo Mariani, qui l’avait reprise à Londres après la mort de Vitez et qui n’est pas l’un des pires metteurs en scène italiens. Quel manager de théâtre osera remettre cette production dans le circuit d’aujourd’hui, qui est non seulement une magnifique production, et qui surtout, j’en suis sûr pour l’avoir vue quatre fois, n’est pas de ces productions qui vieillissent, parce qu’elle est d’abord évocatoire et poétique. Enfin, cela permettrait de rappeler qui était Vitez, un peu oublié aujourd’hui du public et de la critique alors qu’il a été essentiel dans la vie du théâtre en France. Dans un théâtre qui fait survivre des productions de 60 ans d’âge, on peut imaginer que celle là, qui en a la moitié, n’a été représentée que 14 fois à Vienne, aurait mérité qu’on s’en souvienne.

Avant de clore cette très longue présentation, mais Vienne le mérite, quelques représentations ou distributions à voir dans les reprises de répertoire en 2016-2017 : chaque représentation (ou presque) comprend un motif d’intérêt, mais certaines sont plus stimulantes que d’autres :

 

DER RING DES NIBELUNGEN de R.Wagner
Deux cycles complets du Ring entre le 30 avril et le 3 juin, dans la mise en scène sans génie ni excès de Sven Erik Bechtolf, dirigé par Peter Schneider, dont la réputation chez les wagnériens est souvent injuste, tant il a sauvé de spectacles à Bayreuth et ailleurs, dont le Tristan de Marthaler et dont le Ring de Solti à partir de 1984: c’est un chef remarquable, un Kapellmeister solide de toute confiance.
La distribution évidemment attire:
Bryn Terfel (Wotan) Okka von der Damerau (Erda) Mihoko Fujimura (Fricka) Ain Anger/Yongmin Park(Hunding), Robert Dean Smith (Siegmund), Camilla Nylund (Sieglinde). Stefan Vinke (Siegfried) Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Falk Struckman (Hagen), Waltraud Meier (Waltraute) et Brünnhilde sera Petra Lang, qui sait être remarquable les bons soirs…
Ceux qui n’ont pas entendu Bryn Terfel doivent faire le voyage, tant son Wotan est extraordinaire, et puis Waltraud Meier, même pour vingt minutes, est toujours un cadeau.

LOHENGRIN, de R.Wagner, 4 représentations du 5 au 18 septembre 2016
La mise en scène « bavaroise » de Andreas Homoki que se partagent Vienne et Zürich, sous la direction de Yannick Nézet Séguin (pour les trois premières représentations, la quatrième étant dirigée par Graeme jenkins) est incontestablement digne d’intérêt, d’autant qu’elle est portée par Klaus Florian Vogt, irremplaçable dans Lohengrin, et Ricarda Merbeth (Elsa), Petra Lang (Ortrud), Günther Groissböck (Heinrich der Vogler), Tomasz Koniezcny (Telramund); même s’il est à craindre plus un concours de décibels que d’ineffables raffinements du côté des dames, les messieurs constituent un trio de choix…Mais ici, c’est vraiment le chef canadien qui excite la curiosité.

Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

DER ROSENKAVALIER, de R.Strauss, 5 représentations du 23 mai au 3 juin 2017
L’occasion de voir la version viennoise de la mise en scène d’Otto Schenk (celle de Munich est différente) et de découvrir le jeune chef autrichien Sascha Goetzel que Dominique Meyer distribue relativement fréquemment. En l’absence de Franz Welser Möst, il y a peu de chefs autrichiens et il est intéressant de connaître la nouvelle génération. Une distribution carrée et solide, Angela Denoke (Marschallin), Sophie Koch (Octavian), Daniela Fally (Sophie) Peter Rose (Ochs).

DIE TOTE STADT, de E.W.Korngold, 4 représentations en janvier du 9 au 20 janvier 2017.
Sans considération pour le chef ou la distribution, il faudrait aller à toutes les représentations proposées par les théâtres de ce répertoire ou de ces auteurs que la période nazie a détruits, et Die tote Stadt est l’une de ces œuvres clefs de la période, au succès phénoménal d’ailleurs dès sa création en 1920.
Pour la reprise viennoise, la curiosité devrait être stimulée par le chef, Mikko Franck, qu’on connaît bien désormais, et par une distribution magnifique : Camilla Nylund (Marietta..), Klaus Florian Vogt (Paul), Adrian Eröd (Frank/Fritz..) . La production est signée Willy Decker, garantie d’intelligence.

Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper
Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper

DON CARLO, de G.Verdi, 4 représentations du 2 au 21 juin 2017
La production passe partout de Daniele Abbado (la production locale de Don Carlos en version française de Peter Konwitschny est plus forte) est reprise sous la direction de Myung-Whun Chung, assez rare à l’opéra et donc intéressant, dans une distribution très solide, indispensable pour l’ouvrage de Verdi : Ferruccio Furlanetto sera Filippo II. La basse italienne est toujours passionnante dans ce rôle, et mérite le détour, Ramón Vargas Don Carlo, Placido Domingo sera Rodrigo, la suavité de son timbre devrait faire merveille dans ce rôle d’une humanité déchirante. Krassimira Stoyanova sera Elisabetta et Elena Zhidkova Eboli, deux voix somptueuses. Gageons qu’il ne sera pas facile d’avoir des places, à cause de Placido.

DON GIOVANNI, de W.A.Mozart, les 23, 26, 29 janvier et les 2, 5, 9 mars 2017
Deux distributions très différentes de janvier à mars; plus jeune (s’appuyant sur la troupe) en mars,  le tout dirigé par l’excellent Adam Fischer, un des chefs les plus réguliers et les plus solides des grands chefs d’opéra, dans la production de Jean-Louis Martinoty, à qui Dominique Meyer avait confié deux grands Mozart dès son entrée en fonction.
– En janvier, Simon Keenlyside (Don Giovanni), Irina Lungu (Donna Anna), Benjamin Bruns (Don Ottavio), Dorothea Röschmann (Donna Elvira) et Erwin Schrott (Leporello)
– En mars, Adam Plachetka (Don Giovanni), pur produit de la maison, découvert à partir d’un remplacement et fait une jolie  carrière depuis, Albina Shagimuratova (Donna Anna), Saimir Pirgu (Don Ottavio), Olga Bezsmertna (Donna Elvira) et Jongmin Park (Leporello).
Un Mozart à Vienne s’impose évidemment.

ELEKTRA, de R.Strauss, 3 représentations les 19, 23, 26 juin 2017
L’excellent chef Michael Boder, trop peu connu du public (il fut pourtant directeur musical du Liceo de Barcelone) reprend la mise en scène assez critiquée de Uwe Eric Laufenberg. Stemmolâtres et Meierolâtres au rendez-vous avec une Chrysothemis issue de la troupe, nouvelle venue sur le marché (étroit) des Chrysothémis, Regine Hangler et l’Orest du vétéran Alan Held.

Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

FIDELIO de L.v.Beethoven, 4 représentations du 24 mai au 2 juin 2017
La mise en scène vénérable d’Otto Schenk avec au pupitre le talentueux Cornelius Meister, et sur la scène Albert Dohmen (Pizzaro), Peter Seiffert (Florestan), Camille Nylund (Leonore), Günther Groissböck (Rocco). Ce devrait être intéressant si vous passez par Vienne à ce moment.

KÁTJA KABANOVÁ, de L.Janáček 4 représentations du 18 au 27 avril
La belle mise en scène d’André Engel, la direction musicale idiomatique de Tomáš Netopil avec une distribution enviable dominée par Angela Denoke et avec toujours, la magnifique Jane Henschel dans Kabanicha, et Misha Didyk dans Boris. Une reprise stimulante.

La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper
La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper

LA FANCIULLA DEL WEST, de G.Puccini, 4 représentations du 27 novembre au 6 décembre 2016, et 4 représentations du 11 au 21 janvier 2017
La mise en scène de Marco Arturo Marelli, et, en 2016, la direction de Mikko Franck avec Eva Maria Westbroek, Tomasz Koniezcny et José Cura tandis qu’en janvier 2017 ce sera une autre équipe, Marco Armiliato au pupitre, Emily Magee, Andezej Dobber et Aleksandr Antonenko.

LADY MACBETH DE MZENSK, de D.Chostakovitch, du 22 avril au 3 mai 2017
C’est moins la mise en scène de Matthias Hartmann qui est ici digne d’intérêt que la direction d‘Ingo Metzmacher qui se fera la main à Vienne avant de commencer les répétitions munichoises, avec Eva-Maria Westbroek, Wolfgang Bankl et Brandon Jovanovich.

MEDEA, d’A.Reimann, 4 représentations du 7 au 19 avril 2017
Michael Boder dirige, Marco Arturo Marelli met en scène et Marlis Petersen et Adrian Eröd sont Medea et Jason pour cette reprise de l’opéra créé à Vienne avec succès en 2010. Le seul opéra contemporain de la saison.

PETER GRIMES de B.Britten, 4 représentations du 13 au 21 décembre 2016.
La mise en scène de Christine Mielitz (Moui), la direction musicale de Graeme Jenkins et la passionnante distribution dominée par le Peter Grimes de Stephen Gould, l’Ellen Orford d’Elza van der Heever, et le Balstrode de Brian Mullighan

ROMÉO ET JULIETTE, de Ch.Gounod, 4 représentations du 22 janvier au 1er févrierL’increvable Placido Domingo dans la fosse comme chef de ce Roméo et Juliette (mise en scène intéressante de Jürgen Flimm) avec la jeune et prometteuse Aida Garifullina en Juliette aux côtés du Roméo de Juan Diego Flórez en train de basculer du bel canto au post romantisme. Il suffit de prononcer Domingo/Florez pour que la queue des places debout se forme déjà…

Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper
Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper

TOSCA, de G.Puccini, du 7 au 13 oct 2016, du 31 janv.au 3 février, du 5 au 11 mai 2017
De l’art de remplir la salle à coup sûr toute l’année, un jour pour Tosca, un autre pour le chef, un troisième pour Mario…
Octobre : Mikko Franck (dir.mus), Anja Harteros, Jorge de Leon, Marco Vratogna
Janv/févr : Placido Domingo (dir.mus), Adrianne Pieczonka, Aleksandr Antonenko, Thomas Hampson
Mai : Eivind Gullberg Jensen (dir.mus), Jonas Kaufmann, Angela Gheorghiu, Marco Vratogna

Sans commentaires…

TRISTAN UND ISOLDE, de R.Wagner, 3 représentations du 12 au 19 mars 2017
La production de David McVicar, sans histoires ni problèmes, et même esthétique, la direction de Mikko Franck, que Dominique Meyer apprécie, et une distribution solide à la Bayreuth (encore mieux peut-être ?), avec Petra Lang en Isolde (elle sera entrée dans la ronde depuis son apparition estivale à Bayreuth), Sophie Koch en Brangäne, Stephen Gould en Tristan, Matthias Goerne en Kurwenal et Kwangchul Youn en Marke.

WERTHER de J.Massenet du 26 mars au 3 avril 2017 (4 représentations)
La mise en scène un peu vieillie d’Andrei Serban, Frédéric Chaslin au pupitre qu’on voit plus à Vienne qu’en France, et une rareté, la version pour baryton qui voit Ludovic Tézier en Werther, Sophie Koch en Charlotte et Adrian Eröd en Albert. Belle distribution. Vraie curiosité pour le public viennois qui a vu depuis 1986 tous les grands ténors défiler dans le rôle, mais pas un seul baryton.
Et aussi…
Un Elisir d’amore avec Rolando Villazon et Bryn Terfel dirigé par Guillermo Garcia Calvo, un Eugène Onéguine avec Pavol Breslik et Christopher Maltman, dans la belle mise en scène de Falk Richter et sous la direction du très bon Patrick Lange, une Cenerentola avec Pertusi, mais aussi les excellents Alessio Arduini et Maxim Mironov, une Fille du régiment avec notre Julie Fuchs (et Pido’ dans la fosse), une Sonnambula avec Daniela Fally, Luca Pisaroni et Juan Diego Flórez, le tout dirigé par Guillermo Garcia Calvo., une Traviata avec Marina Rebeca, Charles Castronovo et Dmitri Hvorostovski dans la mise en scène de Jean-François Sivadier, ou Marianne Crebassa Cherubino des Nozze di Figaro dirigé par Cornelius Meister aux côtés du Figaro d’Alessio Arduini, Simon Keenlyside dans Macbeth de Verdi aux côtés de Martina Serafin, Kristine Opolais en Butterfly, Marlis Petersen et Jean-François Borras dans la Manon de Massenet (dir.Frédéric Chaslin), Véronique Gens sera Desdemona dans Otello dirigé par Marco Armiliato (Seiffert et Carlos Alvarez), Matthias Goerne en Jochannan de Salomé (Dir.Altinoglu), Dmitri Hvorostovski en Boccanegra, Piotr Beczala en Gustave III du Bal masqué.
Et aussi…quelques soirées ou productions sans grand intérêt.

Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper
Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper

Comme on le voit, au grand supermarché du lyrique, on est tantôt chez Fauchon, tantôt chez Monoprix, mais jamais chez Lidl ou Leader Price. L’amateur de voix auquel ce type de programmation s’adresse, devrait y trouver son bonheur, l’amateur de chefs quelquefois, l’amateur de mises en scène et de théâtre assez rarement. Mais j’ai tenu à être détaillé sur la programmation d’une maison qui a un côté immuable assez séduisant finalement. On ne verrait pas Vienne, vieille Dame d’une ville de mémoire de souvenirs et de nostalgie, changer de couleur. Vienne n’est ni Munich ni Berlin ni Amsterdam.
Alors vous ferez bien un tour à Vienne, n’est-ce pas, il y a toujours quelque chose à voir…et si vous ne pouvez pas y aller, il reste le streaming, très bien fait sur le site de la Wiener Staatsoper, un des sites les plus clairs qu’on puisse trouver. [wpsr_facebook]

Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper
Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper

WIENER STAATSOPER 2014-2015: QUELQUES NOUVELLES DE VIENNE (et quelques réflexions sur Paris)

Haus am Ring
Haus am Ring

Ce qui frappe lorsqu’on vient à l’Opéra de Vienne, c’est l’enracinement visible dans une tradition. Ces étudiants qui filent réserver leurs places au « Stehparterre » (les places debout du Parterre). ce sont les mêmes qu’il y a dix, vingt, trente ans. Même allure sérieuse de bons élèves ou d’enfants sages. De mon temps, on marquait sa place par un mouchoir noué, puis on filait s’asseoir pour se reposer des quelques heures de queue qui avaient précédé…Et puis il y a les touristes qui se font photographier au pied du grand escalier, sourires, tranquillité…et ce public qui semble ne pas bouger, tout comme ces bustes de chefs disparus, ces tapisseries qui ornent la « Gobelinsaal », ces affiches du soir qu’on achète. Certes, la position des bars a changé, les vitrines contenant les costumes de telle ou telle star ont disparu, mais ce sont bien peu de choses  par rapport à l’immense tradition qui est ici chez elle… il suffit pour s’en persuader de consulter les archives sur le site http://www.wiener-staatsoper.at/ qui relèvent scrupuleusement les titres et les distributions depuis le 3 juin 1869 (on y donnait La Muette de Portici)… Cette grande maison qui trône sur le Ring a quelque chose de rassurant, d’immuable, et de tellement emblématique : Bourse, Mairie, Burgtheater, Parlement, Hofburg, Kunsthistorisches Museum, Opéra. Toute la Vienne institutionnelle est sur le Ring, comme un peu tous les symboles de Paris sur la Seine. Et l’Opéra est le nœud vivant de la Vienne d’hier et de celle d’aujourd’hui : métro, trams, bus, piétons s’y rencontrent et s’y croisent.

On n’échappe pas à l’Opéra à Vienne.
Et pourtant, il y a eu un peu d ‘agitation dans cette vénérable institution en début de saison, quand le GMD Franz Welser-Möst a donné brutalement sa démission en annulant sine die ses engagements. Mais la force des grandes institutions  est leur « Da sein » leur « être là » au-delà des hommes. Sans doute derrière cette démission y avait-il l’espoir secret de déstabilisation, d’autant qu’elle fut vite suivie par une déclaration encore plus tonitruante du chef Bertrand de Billy contre Dominique Meyer. Car en cette année 2014, les chefs d’opéra ont fait l’actualité : à Rome (Muti), à Vienne (Welser Möst), à Dresde (Thielemann), à Turin (Noseda), tous en bisbille avec leur intendant présent ou futur, c’est l’administration (le management) contre l’art ou contre la(les) vanité(s), Thielemann a eu la peau de Serge Dorny, mais les autres n’ont pas réussi à emporter presse et opinion derrière eux. Dominique Meyer a eu la grande habileté de ne pas bouger, de ne pas ajouter à l’agitation, d’afficher une sérénité qui a finalement isolé Welser-Möst.
Welser-Möst est un très bon chef, c’est évident, mais son absence manque-t-elle ? Pas vraiment parce qu’il n’a jamais réussi à être plus qu’un très bon chef, mais jamais un mythe ou un chef qui fasse courir les foules. Alors pour ma part je pense qu’il s’est fait plus de mal qu’il n’a fait de mal à l’Opéra. L’Opéra de Vienne en a vu d’autres et a consommé un certain nombre de GMD. Les conflits et les départs anticipés ne datent pas d’hier et sont une constante de la maison, Mahler, Karajan, Maazel, Abbado et maintenant Welser Möst. À moins de remplir à la fois les charges de GMD et d’intendant, ce qui est difficile, l’aigle lyrique à deux têtes n’est pas facile à gouverner, dans une ville où l’Opéra est un sujet politique, et où faire et défaire les gloires est le jeu favori de la presse et du public. Si au café du commerce en France il y a autant d’entraîneurs de foot que de consommateurs de petit blanc, au Café Mozart en Autriche il y a autant de Direktors (on appelle ainsi l’Intendant) et de GMD que de consommateurs de Wiener Mélange.
De fait, tout continue, et même avec des nouveautés puisque Vienne la vénérable se met, comme Munich et comme le Philharmonique de Berlin au streaming et aux retransmissions en direct des productions de la maison. On peut se reporter au site http://www.staatsoperlive.com/de/ et on verra que déjà est accessible une vidéothèque comprenant aussi bien du ballet que de l’opéra, dans des productions  symboliques de l’histoire de cette maison, Meistersinger von Nürnberg (Thielemann, Schenk), Fledermaus (Welser-Möst, Schenk), Carmen (Nelsons, Zeffirelli), Manon (De Billy, Serban avec Netrebko), La Forza del destino (Mehta, Poutney avec Nina Stemme), Anna Bolena (Pido’, Genovese, avec Netrebko & Garanca), Arabella (Welser-Möst, Bechtolf avec Emily Magee), mais aussi des ballets (Casse-Noisette) ou des opéras pour enfants.
À cette vidéothèque sans doute appelée à s’enrichir s’ajoutent de très nombreuses reprises en direct de soirées viennoises, aussi bien des ballets (Mayerling, le 7 décembre chorégraphie Kenneth Mac Millan) que des opéras : on verra en décembre prochain par exemple :
– Le 14 décembre : La Cenerentola (Lopez-Cobos, Bechtolf, D’Arcangelo, Corbelli, DeShong)
– Le 16 décembre : La Traviata (Myung-Whun Chung, Sivadier, Jaho, Pirgu)
– Le 18 décembre : Arabella (Schirmer, Bechtolf, Koniecny, Schwanewilms)
– Le 26 décembre : Casse-Noisette (Chor.Noureiev reprise par Manuel Legris, avec               Liudmila Konovalova et Vladimir Shishov )
– Le 31 décembre : Die Fledermaus (Lange, Schenk, Eröd, Banse, Kulman)

Et cela continuera en janvier avec notamment un Tristan und Isolde (Schneider, MacVicar, Theorin, Seiffert) mais aussi Salomé, Zauberflöte, la Dame de Pique etc…sans oublier ce printemps le Ring complet (mise en scène de S.E Bechtolf) dirigé par Sir Simon Rattle
à 14 € la représentation et un abonnement annuel de 320 €.

On l’aura compris, l’Opéra de Vienne ne mise pas pour ce live-streaming sur les nouvelles productions, mais sur son répertoire, son quotidien, c’est à dire un peu son âme. Et il vise à se créer une sorte de public virtuel au quotidien, en adoptant une stratégie différente du MET (appuyé sur une dizaine d’événements annuels dans les cinémas), ou de Munich (appuyé sur quelques nouvelles productions annuelles par un streaming en accès gratuit), mais qui se rapproche plutôt de la stratégie du Philharmonique de Berlin avec son Digital Concert Hall, faisant payer l’accès et visant à la constitution de précieuses archives vidéo, d’une notable richesse.

En alignant sa politique de diffusion sur celle du Philharmonique de Berlin, l’Opéra de Vienne se pose ainsi comme la référence lyrique faisant face à la référence orchestrale. C’est un choix qui va plus loin que la plupart des tentatives actuelles.
De Seattle à Tokyo et de Grenoble à Brisbane, qu’on soit à Saint Céré ou à Maastricht, il sera ainsi possible chaque soir (ou presque) de vivre en direct la vie quotidienne de la Maison du Ring (Haus am Ring).
Ainsi les grandes maisons d’opéra se mettent en ordre de marche, l’arrivée du numérique aura bouleversé dans 10 ans le monde du lyrique : mais est-ce que cela ne donnera pas des arguments à une réduction des subsides aux théâtres locaux, moins prestigieux, mais offrant au moins de l’opéra en direct et en trois dimensions ? La situation italienne, tragique, mais aussi la situation française qui l’est moins, mais qui n’est pas forcément brillante, nous montrent que les capacités productives des théâtres se réduisent (voir ce qui se passe à Montpellier) et on ne peut dire que le lyrique soit une grande préoccupation du Ministère de la Culture. Pourtant, la question du spectacle vivant et de la musique vivante est essentielle. Il serait délétère que le public se fractionne en autant d’individus enfermés chez eux à regarder sur leur TV ou sur leur ordinateur Vienne ou Berlin, voire Paris.
Le concert dont le nom porte en lui l’idée d’ensemble, d’harmonie et d’accord, ne saurait être exclusivement consommé dans le secret des salons ou des écrans plats. L’expérience du concert en salle reste une expérience unique, que la reproduction sonore ne saurait remplacer, aussi élaborée qu’elle soit. De plus, l’expérience du spectacle en salle c’est à dire l’expérience collective, la réunion d’une société, est nécessaire à la vie en société et à la survie sociale. Le théâtre, le concert (de toutes les musiques) le cinéma en salle sont des expériences vitales pour une société et pour le mélange des classes et des gens. Si les politiques rêvent d’une numérisation permettant peu à peu d’éliminer toute manifestation locale (théâtre, opéra concert), ils contribuent évidemment à ruiner dangereusement une culture dont les manifestations collectives sont une des bases, et ce depuis l’antiquité.
Dans l’Europe d’aujourd’hui seul l’Opéra en Allemagne se porte encore bien à cause du système de répertoire et de l’engagement des villes, et bien sûr d’une tradition historique forte. Mais toute civilisation a besoin de manifestations collectives, tout art a besoin d’un public, en direct. Attention à ne pas faire du numérique un outil du totalitarisme. Aussi, si j’applaudis à toutes les formes de transmissions numériques d’opéras ou de concerts, ou même de films, ce ne sont que des outils de plus pour diffuser la culture, mais pas des substituts qui permettent d’éliminer ce qui existe au nom de la modernité, de la réforme et de tout ces mots qui cachent la réalité d’un appauvrissement pour tous, en préservant l’île heureuse du concert en direct pour ces quelques uns qui préserveront leur musique vivante, à Pleyel ou ailleurs. C’est pourquoi, même si je ne suis pas particulièrement cinéphile, je soutiens qu’il est nécessaire que le cinéma garde sa valeur de manifestation collective en salle et que son public ne se fractionne pas en millions d’individus regardant une vidéo dans le salon. Il en va de formes sociales de réunion qui dépassent de très loin le simple enjeu du spectacle.


Et en France…

En France, la situation reste contrastée.
La publicité autour des concerts de la Philharmonie de Paris (de Berlioz à Bowie !) montre qu’elle peine à remplir . Les polémiques qui entourent son inauguration, les polémiques sur la situation de Pleyel etc…sont pitoyables : elles rappellent qu’on a dit la même chose de l’Opéra Bastille (qui ira dans le XIIème pour écouter de l’Opéra ?) sans prendre en compte qu’avec la Cité des Sciences, la Grande Halle, la Cité de la musique, le Conservatoire, et même le Zénith on ne peut pas dire que La Villette soit un désert culturel et que le public ne se déplace pas. Le public de la Philharmonie, lui seul (comme si le public des autres salles du lieu était différent) aurait donc peur de prendre le métro et d’aller si loin ? Ce ne sont qu’imbécillités qui cachent une volonté de préservation des lieux de « distinction » au sens de Bourdieu. Chacun chez soi. Moi à Pleyel, toi à Pantin.
Depuis que je suis mélomane, j’entends évoquer la nécessité d’un Auditorium pour Paris. Lorsque l’Opéra Bastille a été projeté au milieu des années 80, des voix se sont déjà élevées pour souligner que le besoin était plus celui d’un Auditorium que d’un Opéra. La question n’est donc pas aujourd’hui celle de la salle, qui était nécessaire et qui enfin existe (depuis qu’on en parle, il a fallu 35 ans…) la vraie question est celle de l’assise de public : il y aura des soirs  où le Théâtre des Champs Elysées, l’Auditorium de Radio France et la Philharmonie programmeront des concerts et il n’y a pas suffisamment de public pour remplir les trois à la fois, sans compter Opéra, Opéra Comique et Châtelet ; c’est déjà vrai aujourd’hui.
La question du public, c’est la question de la politique culturelle, la question du statut de la musique dite classique, la question de la relation à la musique dans un pays où même si tous les conservatoires sont pleins, les salles ne le sont pas toujours et le renouvellement du public peine à se faire. Tout cela est complexe, mais je ne suis pas sûr qu’on attirera plus de monde en affichant « De Berlioz à Bowie » : le débat sur la programmation de la Philharmonie accueillant « toutes les musiques » me semble assez démagogique et stérile.
Ce n’est pas une question de salle, c’est une question de stratégie car dans les années 70, se souvient-on que le Palais des congrès de la Porte Maillot n’accueillait pas seulement Chantal Goya, ou les ballets Moisseiev, mais aussi des concerts de l’orchestre de Paris ou du Philharmonique de Vienne (si si, Barenboïm, Abbado et Böhm..). Il n’y a pas d’exclusion a priori de tel genre ou de tel autre, mais tout de même, Paris était suffisamment pauvre en vraies salles de concerts comparables aux autres villes européennes pour que le public des concerts puisse investir la Philharmonie sans entendre  dire « du classique mais pas que… ». À charge pour les managers culturels de faire venir un nouveau public, comme ce fut le cas à Bastille (je rappelle que ce fut un succès immédiat), même si on est loin, très loin du projet d’Opéra National Populaire des origines. À charge pour les managers culturels aussi de faire de ce nouveau lieu un phare incontournable,  et à charge de la puissance publique d’assumer ce nouveau lieu,  sa maintenance et son financement puisqu’elle l’a voulu : la polémique Ville de Paris/Etat est en la matière désespérante de nullité, mais en nullité nous sommes servis au quotidien, à droite, à gauche, au centre et à la périphérie…Mais même si aujourd’hui la salle peine à remplir, il en ira différemment lorsqu’elle sera ouverte, le chemin de la porte de Pantin, comme celui de Bastille il y a 25 ans, deviendra vite familier aux mélomanes.

En temps de crise, et on le voit partout en Europe et ailleurs, il est difficile de faire vivre la culture, et notamment la musique classique, là où elle n’est pas considérée comme vitale ; mais notre crise n’est pas seulement économique, elle est aussi morale et politique, et dans ces derniers cas une culture qui tienne le coup et qui soit vivante, ouverte et financée est une vitale nécessité. Une vie culturelle appauvrie est un signal de décadence et un petit pas vers la barbarie. On voit la situation dramatique en Italie depuis le passage de Berlusconi. Et on sait que les lieux de culture sont les premières cibles des barbares, c’est bien qu’ils sont emblématiques d’une ouverture et d’un humanisme, de la résilience de l’humain.
Ce n’est pas au privé de financer la vie culturelle, c’est à la puissance publique, c’est son rôle de garant. Et qu’on ne me rétorque pas qu’aux USA, c’est le privé qui finance, car avec le système des déductions d’impôts, c’est l’Etat qui finance en creux.

Voilà à quoi me fait rêver Vienne. Vienne qui a trois opéras (Staatsoper, Volksoper, Theater an der Wien) et un certain nombre de théâtres publics au rôle aujourd’hui bien défini (comme à Berlin d’ailleurs)  et deux grands salles de concert (Musikverein et Konzerthaus) c’est à dire une situation comparable à d’autres villes européennes. Dans ce paysage, la Haus am Ring représente évidemment bien plus qu’un théâtre d’opéra, mais le cœur vivant d’une ville dont la musique « classique » fait partie de l’ADN et qui en fait un argument publicitaire depuis longtemps. L’opération « Staatsoperlive » contribue par l’abondance qu’elle va offrir à renforcer et consolider cette image. Je vous encourage donc à aller écouter des concerts à la Philharmonie, à aller à l’opéra, à Paris ou si vous le pouvez, à Vienne ou ailleurs, mais aussi, certains soirs, à faire le cyber-wanderer en parcourant l’offre numérique en ligne. Vienne sera incontournable et si vous avez envie de voir un opéra sur ce site – j’en rappelle l’adresse : http://www.staatsoperlive.com/de/
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La salle de la Philharmonie de Paris si attendue
La salle de la Philharmonie de Paris si attendue

 

 

 

WIENER STAATSOPER 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON ou LA VALSE VIENNOISE DES SPECTACLES

Opernball/Le Bal de l’Opéra, mondialement connu

Dans le paysage des théâtres qui sont des géants de l’opéra, Vienne est un incontournable. D’abord parce que l’histoire même de l’Opéra de Vienne, la tradition qui lui est liée, passe par des noms aussi divers et aussi essentiels que Gustav Mahler, Herbert von Karajan, Claudio Abbado; cette salle qui a écrit bonne part de l’histoire du chant européen (les années 50!) reste un des piliers de la musique  à cause de son orchestre, tantôt orchestre de la Staatsoper, tantôt tout simplement Philharmonique de Vienne: quel autre théâtre peut rivaliser sur ce plan? Enfin, la quantité de spectacles présentés en une saison (300 soirées en une année!) est aussi exceptionnelle. Pour toutes ces raisons, Vienne est hors norme. Et cet opéra a un public, un public de fans authentiques, un public attentif à son opéra, un public amoureux de ses chanteurs  capable  de faire des nuits et des jours de queue pour avoir accès à une place debout lors des grands événements, et, à cause même  du nombre important de places debout en bas au fond de l’orchestre et en haut, c’est un public  mélangé. Une semaine à Vienne et chaque soir à l’opéra pour une poignée d’euros, vous vous gorgerez de musique.
Il serait inexact de dire que chaque soir est un diamant, comment pourrait-il en être ainsi sur 300 soirs; il y a de grands soirs, des soirs solides, et des soirs plus ordinaires, un peu comme partout mais la marque de cette “Fabrique de l’Opéra” qu’est Vienne, c’est tout de même de garantir chaque soir un spectacle au moins satisfaisant.
Prenons un simple exemple, au hasard, les trois prochains soirs: nous sommes le 27 avril, il y a ce soir Werther, dirigé par Bertrand de Billy, avec Vesselina Kassarova et Roberto Alagna dans une mise en scène de Andrei Serban; demain 28 avril, deux spectacles: à 11h la Première de Pollicino de Henze, direction  Gerrit Prießnitz, mise en scène René Zisterer pour des représentations en mai et en décembre 2013 puis en mai 2014. Et le soir La Fille du Régiment dans la mise en scène de Laurent Pelly vue enfin  à Paris cet automne, pour 6 représentations en mai et 4 en octobre-novembre. En mai et octobre  la distribution  comprend Carlos Alvarez (Sulpice) et Dame Kiri Te Kanawa dans la duchesse de Crakentorp (j’avais vu la production à Vienne il y a quelques années, c’était alors Montserrat Caballé), en mai le couple ténor/soprano est la jeune Aleksandra Kurzak et John Tessier, en octobre Daniela Fally et Juan Diego Florez. Le 29, La Bohème, mise en scène de Franco Zeffirelli (la même qu’à la Scala), dirigée par Andris Nelsons et chantée par Kristine Opolais et Piotr Beczala, dernière Bohème de la saison, mais pas une saison sans Bohème et donc la saison prochaine on en prévoit 7 représentations, 3 en décembre ( Philippe Auguin au pupitre, avec Angela Gheorghiu et Vittorio Grigolo)  et 4 en mars ( Franz Welser-Möst au pupitre , avec Ramon Vargas et Maija Kovalevska ainsi que Adrian Eröd en Marcello) . On peut préférer tel ou tel, mais on doit reconnaître une certaine profusion.
C’est bien le défi auquel Dominique Meyer, premier français à diriger une institution nationale autrichienne dont le poids financier est énorme à l’échelle d’un pays comme l’Autriche, sans parler de son poids symbolique. On a beaucoup critiqué le système de répertoire: Claudio Abbado et Klaus Helmut Drese en 1986 voulaient s’y attaquer, bien mal leur en a pris tant les protestations ont été grandes. Le système de répertoire fait partie des gênes de la maison et l’on peut tout au plus l’aménager. C’est ce à quoi s’est attaqué Dominique Meyer, en essayant d’homogénéiser les soirées, de garantir un niveau correct chaque soir (ce qui n’a pas été le cas par le passé), de rafraîchir les productions anciennes, mais emblématiques (comme celles d’Otto Schenk) d’augmenter le nombre de répétitions, de consolider la troupe (et de fait, de plus en plus de membres de la troupe accèdent à des rôles de premier plan): au total, cela relativise l’impact des nouvelles productions faites dans ce théâtre non pour être des coups médiatiques, mais pour durer, chaque nouvelle production étant un investissement sur des années: cela explique aussi les choix de metteurs en scène qui mettent en modernité un éternel classicisme (Sven-Eric Bechtolf, Marco Arturo Marelli, David Mc Vicar) sans casser l’image de l’œuvre à l’instar d’un Bieito ou d’un Neuenfels .
A Vienne ce qui a toujours compté, c’est “prima la musica”, le chant et l’orchestre étant la marque de la maison depuis toujours, la mise en scène ne devant capter l’attention que si elle renforce l’impact musical. C’est un autre choix que font la plupart des théâtres allemands, notamment Munich ou Berlin. Ce qui frappe aussi dans la politique de Meyer, c’est la diversification de l’appel aux chefs et la chance donnée à des nouvelles figures, notamment françaises: dans le passé, les chefs français, Prêtre mis à part, étaient là pour les représentations de routine, Alain Lombard, Serge Baudo étaient habitués à des représentations perlées: j’ai ainsi vu un excellent Faust dirigé par Baudo avec Francisco Araiza,  Samuel Ramey et Gabriela Benackova (pas si mal!) un soir totalement anonyme de répertoire. Il appelle maintenant des Altinoglou, des Langrée, des Rhorer sur du répertoire très lié à la maison (les Mozart par exemple) ce qui est nouveau et sain pour tout le monde…il resterait à faire de même pour le répertoire italien (Rustioni , Noseda, Battistoni, Mariotti) . Ainsi vais-je essayer de montrer dans cette présentation de la saison, qui sera par force, un peu longue,  cette homogénéité et l’incroyable profusion de cette offre musicale.

Septembre-Décembre:

Il ne s’agirait pas  de prendre soirée par soirée les productions et distributions (sauf exception!), mais, on cherchera à signaler ce qui est digne d’intérêt, en ne nous contentant pas  des nouvelles productions et des Wiederaufnahmen (qui sont des reprises retravaillées) alors que ce qu’on appelle répertoire est une représentation de la soirée avec quelques raccords et un minimum de préparation: l’orchestre est rompu au répertoire et à l’alternance, certaines mises en scènes qui remontent aux années cinquante ne sont plus que des traces et les soirées ne valent évidemment que pour les distributions, qui de temps à autre sont des joyaux. Il faut donc toujours être attentif, car au détour d’un soir on peut avoir une distribution étincelante: pour une Tosca très ordinaire (275ème représentation) je me souviens en 1979 avoir eu Leonie Rysanek, José Carreras et Sherill Milnes…Cette Tosca, créée en 1958 par Margherita Walmann (Karajan/Tebaldi, Gobbi) , eh! oui, cela ne rajeunit pas, remplit les salles depuis la fin des années 50 (on en est à plus de 500 représentations), ce qui dans l’économie du répertoire est essentiel pour financer des nouvelles productions; on la verra 11 fois la saison prochaine avec Marco Armiliato au pupitre, Angela Gheorghiu et Marcelo Alvarez, ainsi que Zeljko Lucic en septembre, en janvier avec Paolo Carignani  au pupitre, Martina Serafin et Massimo Giordano, ainsi que Bryn Terfel, en mars avec Stefan Soltesz au pupitre, Norma Fantini et Yonghoon Lee, ainsi que Falk Struckmann, et en juin avec Philippe Auguin au pupitre, Violeta Urmana et Marcello Giordani ainsi que Thomas Hampson…Signalons quand même en septembre pour 4 soirs,  du 14 au 23 septembre,  un Otello de répertoire (mise en scène Christine Mielitz, direction Dan Ettinger) avec José Cura (hum), Dmitri Hvorostovsky en Iago et… Anja Harteros en Desdemona.
Tristan und Isolde pour deux séries, en septembre (nouvelle mise en scène de David Mc Vicar en 2012-2013) trois soirs dirigés par Franz Welser-Möst, GMD de Vienne, avec Linda Watson (hum), Peter Seiffert et Stephen Milling, en décembre quatre soirs dirigés par Myung-Whun Chung, avec Violeta Urmana, Robert Dean Smith, Albert Dohmen, Elisabeth Kulman et Mathias Goerne (belle distribution, à n’en pas douter) et Nabucco (mise en scène Günter Krämer hélas…), 4 soirs en septembre et 3 en mai, en septembre avec Paolo Carignani en fosse et Zeljko Lucic en Nabucco, Jennifer Wilson en Abigaille, et en mai avec Jesus Lopez-Cobos en fosse, et …Placido Domingo en Nabucco et Anna Smirnova en Abigaille (ce mezzo virerait-il soprano?). Signalons aussi au même moment un Simon Boccanegra dans la mise en scène de Peter Stein créée à Salzbourg par Claudio Abbado avec au pupitre Alain Altinoglou, Thomas Hampson en Boccanegra et Ferruccio Furlanetto en Fiesco, tandis que Tamar Iveri sera Amelia, et Joseph Calleja Gabriele.
En octobre, première nouvelle production de la saison, qui fera courir le monde, La Fanciulla del West, de Puccini, avec Jonas Kaufmann, Nina Stemme et Tomasz Konieczny et dirigée par Franz Welser-Möst, mise en scène Marco-Arturo Marelli pour 5 représentations les 3, 8, 11, 14, 17 octobre. On pourra combiner avec un Gala Verdi dirigé par Daniele Gatti, le 10 octobre, ou par Don Carlo le 16 octobre (version italienne), mise en scène de Daniele Abbado, et dirigé par Franz Welser-Möst avec une distribution très moyenne, excusez du peu: Anja Harteros en Elisabetta, Violeta Urmana en Eboli, Ferruccio Furlanetto en Filippo II, Ramon Vargas en Don Carlo et Ludovic Tézier en Posa (il y en a 3 représentations).
Peu après, toujours en octobre, Adam Fischer, l’excellent chef hongrois trop peu appelé en France, dirigera un Rosenkavalier (production mythique d’Otto Schenk), avec Peter Rose en Ochs, Renée Fleming en Marschallin, Mojka Erdmann en Sophie et Sophie Koch en Oktavian pour quatre représentations d’octobre, alors qu’il y en aura trois en avril, mais dirigées par Franz Welser-Möst, avec Anne Schwanewilms en Marschallin, Elina Garanca en Octavian, Wolfgang Bankl, néo-Kammersänger en Ochs et Ileana Tonca en Sophie.
Je vois avec effroi que nous ne sommes qu’en octobre et la liste des soirées s’allonge (avec à peine une nouvelle production et seulement du répertoire….).
Du 25 octobre au 4 novembre, 4 représentations de la première reprise retravaillée (Wiederaufnahme) de Anna Bolena, de Donizetti, mise en scène Eric Génovèse, dirigée par Evelino Pidò, avec deux dames très différentes du couple Netrebko/Garanca, mais non moins valeureuses, Krassimira Stoyanova et Sonia Ganassi. A voir, évidemment avec le lendemain Juan Diego Florez dans La Fille du régiment (retravaillé cette saison 2012-2013)…et avec Der Rosenkavalier, voilà trois soirs pour un petit week end viennois. Eh oui, Vienne c’est ça!
En novembre, il y aura un Ballo in Maschera de répertoire (mise en scène Gianfranco De Bosio, sans intérêt) dirigé par Jesus Lopez Cobos avec Sondra Radvanovski, Georges Petean, et Ramon Vargas (à voir si on est là par hasard, mais la distribution est solide).
Le 10 novembre, au matin, la Staatsoper fêtera le jubilé des 50 ans à la Staatsoper de Mirella Freni, Mirella, le soprano du cœur de tous les amoureux du lyrique de ma génération.
Pour trois soirs, Placido Domingo (il y a fort à parier qu’il sera la veille avec Mirella!) dirigera en novembre (11, 15, 19) Madama Butterfly, dans la mise en scène archéologique de Joseph Gielen (mais avec les décors de Foujita) avec Ana-Maria Martinez et Neil Shicoff repris en avril (5, 9, 14)  avec Bryan Hymel et Hui He, sous la direction de Jonathan Darlington.
Deuxième nouvelle production de l’année, Die Zauberflöte, dans la ville de la création, et donc une production destinée à durer longtemps: la mise en scène est de Patrice Caurier et Moshe Leiser, la direction musicale de Christoph Eschenbach pour 6 représentations du 17 novembre au 2 décembre, et trois représentations en juin 2014 dirigées par Constantin Trinks, et donc deux distributions, plutôt jeunes, pleines de talents émergents: Brindley Sherratt (Sarastro) et Benjamin Bruns (Tamino), Anita Hartig (novembre)/Valentina Nafornita(juin) en Pamina, Olga Pudova(novembre)/Iride Martinez(juin) en Königin der Nacht, tandis que Markus Werba en novembre et Nikolay Borchev en juin seront Papageno.
Joli trio vocal pour quatre représentations (Wiederaufnahme, du 23 novembre au 1er décembre) de Peter Grimes  de Britten dirigé par Graeme Jenkins dans la mise en scène de Christine Mielitz (cette dame a beaucoup travaillé à Vienne sous Joan Holaender), Ben Heppner (Grimes), Gun-Brit Barkmin (Ellen Orford) et Iain Paterson (Balstode).
En décembre, nous avons déjà évoqué Tristan und Isolde (nouvelle production 2012-2013), signalons Fidelio dirigé par Franz Welser-Möst, dans la mise en scène d’Otto Schenk du 19 au 29 décembre avec Ricarda Merbeth dans Leonore (hum), mais Peter Seiffert (Florestan), Tomas Konieczny (Pizzaro), et Matti Salminen (Rocco) et l’année se termine traditionnellement par Die Fledermaus (jusqu’au 5 janvier), dirigée cette fois par Bertrand de Billy, avec Herbert Lippert, Edith Haller, Angelika Kirschlager, Daniela Fally, Adrian Eröd et une des grandes stars du théâtre germanique, Peter Simonischek dans Frosch: qui n’a pas vu encore sur scène Peter Simonischek devrait en profiter! Nouvel an à Vienne (avec le concert du même nom et une Fledermaus, voilà un bon plan comme on dit aujourd’hui!)…

Janvier-Mars

Le mois de janvier est essentiellement un mois Mozart/Da Ponte avec deux reprises des productions de Jean-Louis Martinoty (appelé par Dominique Meyer) des Nozze di Figaro et de Don Giovanni et une reprise de Cosi’ fan tutte, mise en scène (plate) de Roberto de Simone et créé il y a longtemps déjà par Riccardo Muti dans la fosse. La production des Nozze di Figaro, dirigée par Jérémie Rhorer bénéficie d’un grande distribution (3 soirées du 9 au 15 janvier 2014): Simon Keenlyside (Il Conte), Genia Kühmeier (La Contessa), Anita Hartig (Susanna), Luca Pisaroni (Figaro) et Rachel Frenkel (membre de la troupe, mais déjà bien connue des scènes germaniques), comme Cherubino. Don Giovanni sera dirigé par Alain Altinoglou pour quatre soirs (11-21 janvier) avec Adam Plachetka (exemple même d’un membre de la troupe appelé à des premiers plans), Hibla Gerzmava (Anna) qui vient des plus grands théâtres de Russie, Rolando Villazon en Don Ottavio, Malin Hartelius en Elvira et David Bizic en Leporello. Quant à la production de Cosi’ fan Tutte (3 représentations du 13 au 20 janvier), elle sera dirigée par Patrick Lange; on sait combien j’apprécie ce jeune chef, dont j’attends l’arrivée dans les chefs de référence et qui pour l’instant reste sur les starting blocks au rang des bons chefs qu’on appelle en série B. Je l’ai entendu dans Rosenkavalier et Traviata à la Komische Oper de Berlin, et dans l’un comme dans l’autre ce fut l’un e des très belles surprises des dernières années. Outre Barbara Frittoli dans Fiordiligi, Nikolay Borchev (jeune baryton très prometteur) comme Guglielmo, Benjamin Bruns, membre de la troupe et excellent ténor, sera Ferrando, et Margarita Gritskova, autre membre de la troupe, comme Dorabella tandis que Pietro Spagnoli sera Don Alfonso et Sylvia Schwartz (elle aussi de la troupe de Vienne) Despina.
On passera sur l’Elisir d’amore, Tosca dont nous avons parlé plus haut et même trois représentations d’un Boris Godunov de fin de mois (23-31 janvier) même avec Ferruccio Furlanetto et Kurt Rydl pour en arriver à la troisième nouvelle prodcution de la saison, Rusalka (5 représentations du 26 janvier au 9 février), de Dvorak qu’on voit décidément aujourd’hui sur toutes les grandes scènes du monde quand l’œuvre fut oubliée pendant des années et des années. Dirigée par la référence en la matière, Jiri Belohlávek dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf (je trouve qu’on le voit beaucoup à Vienne, et que peut-être il ne vaut pas tant d’honneur), et une belle distribution comprenant entre autres  Michael Schade (Der Prinz), Krassimira Stoyanova (Rusalka), Janina Baechle (Jezibaba), Günther Groissböck (Der Wassermann).
Suivront une série de soirées alimentaires, Cavalleria Rusticana/Pagliacci dans la mise en scène de Ponnelle, dirigée par Paolo Carignani, avec Michaela Schuster (Santuzza) et Fabio Armiliato pour “Cav” et Neil Shicoff, Inva Mula et Ambrogio Maestri pour “Pag”, Il Barbiere di Siviglia, Manon (Andrei Serban/Frédéric Chaslin et Inva Mula/Ramon Vargas) pour nous arrêter un instant sur cette Salomé mise en scène sortie du formol de Boreslav Barlog (1972) avec ses décors “Secession” de Jürgen Rose, mais dirigée par Andris Nelsons, avec Gun-Brit Barkmin, le soprano “lirico-spinto” allemand qui monte, en Salomé, le couple Iris Vermillion (Herodias) et le très bon ténor de caractère Herwig Pecoraro (Herodes) ainsi que Falk Struckmann en Jochanaan (3 soirées du 7 au 13 février).
Première et entrée au répertoire (eh oui, il y a des œuvres qui sont passées encore entre les mailles du filet!) de Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea (6 représentations du 16 février au 12 mars) dirigée par Evelino Pidò et mise en scène de David McVicar, avec Elena Zhidkova (Principessa di Bouillon), Massimo Giordano (Maurizio), Angela Gheorghiu (Adriana) et Roberto Frontali (Michonnet). Distribution solide pour une œuvre immortalisée par Mirella Freni dans ces 20 dernières années, et Magda Olivero pour l’éternité.
Signalons aussi en mars avec quelques Bohème et Tosca une courte reprise (trois représentations du 7 au 14 mars) de l’excellent Eugen Oneghin mis en scène par Falk Richter (2009), cette fois-ci dirigé par Patrick Lange avec Nadia Krasteva (Olga), Dinara Alieva (Tatjana), Mariusz Kwiecien (Oneghin), Rolando Villazon (Lenski) et Ain Anger (Gremin), que du beau monde,  ainsi que de Wozzeck dans la mise en scène d’Adolf Dresen (créée par Claudio Abbado) pour trois représentations du 23 au 30 mars, avec au pupitre Daniele Gatti et une jolie distribution comprenant Matthias Goerne (Wozzeck) Wolfgang Bankl (Doktor) Evelyn Herlitzius (Marie).

Avril à Juin

Avril s’ouvre sur un Rigoletto de répertoire dans la mise en scène de Sandro Sequi (spectacle créé par Riccardo Muti pour Edita Gruberova en 1983…), dirigé par Jesus Lopez-Cobos avec l’inusable Leo Nucci, le duc de Franceso Meli, et la Gilda de Valentina Nafornita et une Madama Butterfly (voir plus haut), mais c’est une importante première qui va marquer le mois, puisque la production de

Le Lohengrin de Barrie Kosky, remplacé en avril 2014

Lohengrin de Barrie Kosky (récente, vu les durées viennoises, à peine 30 représentations) sans doute trop contestée, va laisser la place à une production d’Andreas Homoki: on reste sur la cohérence, puisque à la production de l’actuel directeur de la Komische Oper de Berlin succède celle de l’ancien directeur. Dirigée par Bertrand de Billy, une garantie de solidité, elle affiche une très belle distribution dominée par Klaus Florian Vogt (Lohengrin), Camilla Nylund (Elsa), Günther Groissböck (Heinrich der Vogler), Wolfgang Koch (Telramund) et Michaela Maertens (Ortrud) qui vient de remplacer un soir Dalayman dans le Parsifal new yorkais et qui commence à émerger dans les rôles de grand mezzo.
Dans l’alternance du mois d’avril, outre Rosenkavalier (voir plus haut) signalons aussi une Ariadne auf Naxos, nouvelle mise en scène de Sven-Eric Bechtolf (encore!) dans la saison 2012-2013, sous la direction de Michael Boder (un bon chef peu connu en France) en avril (3 représentations du 15 au 22 avril) et Franz Welser-Möst en juin (3 représentations du 11 au 20 juin) avec Sophie Koch (avril)/Christine Schäfer(juin) (Der Komponist), Stephen Gould(avril)/Klaus Florian Vogt (juin) (Bacchus), Iride Martinez (avril)/Daniela Fally (juin) (Zerbinetta) et l’émergente Meagan Miller en avril face à Emily Magee en juin(Primadonna), deux distributions intéressantes, entre les deux mon cœur balance…
A Vienne comme partout dans le monde de culture germanique, Pâques, c’est le moment de Parsifal, dirigé en 2014 ( trois représentations du 17 au 24 avril) par Franz Welser-Möst, dans la mise en scène désormais consommée et presque usée de Christine Mielitz, avec cette fois Mathias Goerne (Amfortas), Peter Rose (Gurnemanz), Johan Botha (Parsifal) et surtout Waltraud Meier en Kundry.
Mai s’ouvre sur Nabucco avec Domingo (voir plus haut) et une reprise bien distribuée de Faust de Gounod, mise en scène (sans doute une provocation débridée…) de Nicolas Joel (2008) dirigé par Bertrand de Billy, avec Anna Netrebko (Marguerite), Erwin Schrott (Mephisto) (s’il prononce aussi bien le français que l’italien, cela promet…), Piotr Beczala (Faust) Adrian Eröd (Valentin): une distribution faite pour les fans viennois, vu la popularité d’Anna Netrebko et d’Erwin Schrott…(3 représentations du 2 au 10 mai). Passons sur un Andrea Chénier moyennement attirant (Direction Paolo Carignani, Mise en scène Otto Schenk avec Norma Fantini, Johan Botha et Anthony Michaels-Moore), une Clemenza di Tito (mise en scène Jürgen Flimm, direction Adam Fischer) qui pourrait attirer grâce au Tito de Toby Spence et à la Vitellia de Véronique Gens (3 représentations du 11 au 15 mai), une Traviata (production de Jean-François Sivadier vue à Aix) dirigée par Louis Langrée, distribuée avec des artistes plutôt émergents, Myrto Papatanasiu en Violetta, Piero Pretti en Alfredo et Giovanni Meoni en Germont (4 soirs du 16 au 25 mai), une Cenerentola (encore de Sven-Eric Bechtolf !!) dirigée par Jesus Lopez-Cobos, un spécialiste, avec Maxim Mironov (ténor rossinien émergent) qui succède à l’autre ténor rossinien émergent, Dmitri Kortchak qu’on a vu en décembre 2013 pour nous arrêter sur un mystère qui ne peut s’expliquer que par l’incroyable gloire de Edita Gruberova à Vienne, une série de quatre Norma concertantes (du 8 au 21 mai), dirigées par Yurij Yurkevych, avec Massimo Giordano en Pollione et Nadia Krasteva en Adalgisa.
Dernier point saillant du mois de mai, une reprise retravaillée (Wiederaufnahme) pour 6 représentations du 23 mai au 4 juin des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, dirigés par l’excellent Marko Letonja, mis en scène par Andrei Serban avec Piotr Beczala en Hoffmann  et Ildar Abdrazakov dans les quatre méchants et Daniela Fally (Olympia), Marina Rebeka (Antonia) et Nadia Krasteva (Giulietta).
Dominique Meyer a confié à Jeffrey Tate (qui fut l’assistant de Boulez à Bayreuth) la direction du Ring des Nibelungen en mai-juin 2014, après l’incroyable triomphe de Christian Thielemann dans la même production (de Sven-Eric Bechtolf, bien entendu), dans une très belle distribution: Tomasz Konieczny en Wotan et Wanderer, Elisabeth Kulman en Fricka, Eric Owens (l’extraordinaire Alberich du MET) en Alberich (dont si je ne me trompe ce doit être la première apparition à Vienne), Nina Stemme en Brünnhilde, Gun-Brit Barkmin en Sieglinde, Ain Anger en Hunding, Stephen Gould en Siegfried, Herwig Pecoraro en Mime, Attila Jun en Hagen (30/31 mai et 5,8 juin et 19, 22, 25, 29 juin). le mois de juin affiche des reprises de spectacles de l’année, dont Les Contes d’Hoffmann, La Cenerentola, Ariadne auf Naxos, L’Elisir d’amore et Zauberflöte(voir plus haut) mais la dernière nouvelle production  qui conclura la saison  (5 représentations du 18 au 30 juin) est Príhody lisky bystrousky (en langage clair: La petite renarde rusée) de Leos Janácek, dirigée par Franz Welser Möst dans une mise en scène de Otto Schenk, avec Gérard Finley, Wolfgang Bankl et Chen Reiss. musicalement inattaquable, car Welser-Möst aime ce répertoire, et sans doute d’un classicisme léché avec ce travail d’Otto Schenk à qui Dominique Meyer veut rendre hommage.
Nous voici au terme du voyage. Une saison comprenant 48 titres différents (+ Die Zauberflöte für Kinder – la Flûte enchantée pour enfants), 6 nouvelles productions, 3 Wiederaufnahme, qui reflète une politique globale de rafraichissement du répertoire, pilier de cette salle et de sa tradition, et des nouvelles productions qui ne peuvent être à cause de cette politique, des feux de paille (ou de paillettes) mais des investissements pour le futur, d’où des choix  de metteurs en scène (modernes ou classiques) susceptibles de passer les modes et permettant une alternance facile. Du point de vue des distributions, des choix toujours pertinents qui sont en même temps des garanties avec un directeur musical présent, qui joue vraiment son rôle, et qui a l’avantage d’avoir des dizaines d’œuvres à son répertoire. Gérer, tout en garantissant une saison régulière au quotidien, avec ses “hits” , c’est ce à quoi doit s’attacher tout manager à Vienne. Peut-être la venue plus fréquente de chefs de référence couronnerait-elle cette politique: les chefs de légende ont fait la légende de ce théâtre, quelques jours légendaires par an feraient du bien à la santé (Fanciulla ?). Il faut évidemment faire régulièrement le voyage de Vienne ! En combinant Staatstoper avec  concerts au Konzerthaus ou au Musikverein et un spectacle au Theater an der Wien dont la politique va évidemment là où ne va pas la Staatsoper.
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Le grand escalier

 

 

OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (4) : SPECTACLES A RETENIR – VIENNE

Vienne vaut évidemment à elle seule un article sur les saisons de ses opéras. Il y a à Vienne de la musique partout, concerts au Konzerthaus, au Musikverein, Wiener Philharmoniker, Wiener Symphoniker, opéra à la Staatsoper, mais depuis quelques années une saison spécifique au Theater an der Wien, mais aussi à la Volksoper, pour voir des opérettes traditionnelles ou de l’opéra comique en allemand, et puis s’il reste du temps, des pièces de théâtre au Burgtheater (suivies ou précédées d’une halte aux cafés Central ou Landmann) ou à l’Akademie Theater (Halte au café Schwartzenberg avant ou après, un de mes favoris). En bref, vos soirées seront toutes occupées. Je vais m’intéresser à la Staatsoper, la “Haus am Ring”, qui trône au centre de la ville, accessible par tous les métros et quasiment tous les trams, à quelques centaines de mètres de la Stephansdom ou à un pas de l’hôtel Sacher et de ses “Sachertorte” à emporter ou consommer sur place. Et puis, un café à recommander derrière l’opéra, le Café Mozart. mon café préféré à Vienne est un peu plus loin, c’est le Café Diglas, Wollzeile 10, une rue qui est parallèle à la Stephansdom et perpendiculaire à la Rotenturmstrasse qui va vers la Schwedenplatz, au bord du canal du Danube.

LA STAATSOPER WIEN:

On joue pratiquement tous les soirs à l’Opéra de Vienne, environ 300 soirs par an. C’est un opéra de répertoire. On joue par exemple entre le 13 et le 18 décembre, Otello, La Bohème, Il barbiere di Siviglia, La Sonnambula, Il barbiere di Siviglia et Otello encore , puis le 19 c’est la Première de la nouvelle production d’Ariadne auf Naxos (celle de Salzbourg cet été). J’ai passé des nuits de queue sous les arcades de l’opéra pour écouter les productions d’Abbado, ou pour les ouvertures de saison le 1er septembre ou pour cet incroyable concert (1er septembre 1979) donné en l’honneur de l’inauguration de la Cité des Nations Unies, réunissant, excusez du peu Montserrat Caballé, José Carreras, Placido Domingo, Piero Cappuccilli, Birgit Nilsson, Leonie Rysanek, Sonia Ghazarian, Siegfried Jerusalem, René Kollo, Nicolai Ghiaurov, ma chère Agnès Baltsa, Edita Gruberova, Sherill Milnes, Ruza Baldani…suivi la même semaine d’une IXème de Beethoven avec les Wiener Philharmoniker et dirigée par Leonard Bernstein, avec Gwyneth Jones, René Kollo, Hanna Schwarz, Kurt Moll, dont il a été fait un disque. Le tout en places debout, placées au fond du Parkett (fauteuils d’orchestre) , plus ou moins là où on les avait placées à Paris avant le stupide et ridicule changement qui les a mises quelque part dans les hauteurs.
Souvenirs souvenirs…le public de Vienne est un vrai public amoureux des voix et de l’opéra, avec des embrasements délirants pour certaines stars de la baguette ou de la voix comme José Carreras dans les années 80, ou aujourd’hui Anna Netrebko, Elina Garanca ou Christian Thielemann. Dirigé pendant une vingtaine d’année par l’impresario Joan Holender qui a eu plutôt une politique de stabilité sans invention ni événements marquants (sauf quelques Rosenkavalier dirigés par Carlos Kleiber), la Staatsoper Wien est dirigée depuis 2010 par Dominique Meyer, ancien directeur du TCE, un vrai passionné de musique et d’opéra, amoureux des Wiener Philharmoniker, qui a redonné à la maison une direction, avec le directeur musical Franz Welser Möst, un chef plutôt ouvert, qui a un répertoire lyrique très large après un long passage à Zürich, ce qui est nécessaire dans une telle maison, où l’opéra est une véritable industrie.
Dans un théâtre où les productions doivent durer (certaines remontent aux années 50), pour être complètement amorties, où certaines anciennes productions sont conservées parce qu’elles sont devenues “cultes” (comme le Rosenkavalier d’Otto Schenk ou sa Fledermaus), où les anciennes gloires du chant viennent chanter les petits rôles de Bohème (j’ai vu ainsi Erich Kunz dans Benoît!), le mot tradition a un sens, et la presse veille au grain. L’Opéra de Vienne est une institution publique qui vaut ici autant que l’armée autrichienne…
Alors, dans cette saison 2012-2013 déjà bien entamée, que va-t-on voir de stimulant? D’abord, toute l’année, chaque soir, il y a des reprises qui peuvent intéresser, vieilles productions, mais quelquefois jeunes chefs ou distributions stimulantes: si vous voyez par exemple affichée Anita Hartig dans Pamina ou Mimi, allez-y séance tenante, c’est une jeune chanteuse magnifique, promise à une très grande carrière qui est sur le point d’exploser.
En décembre, une nouvelle production d’Ariadne auf Naxos, mise en scène de Sven-Eric Bechtolf, qu’on a vu à Salzbourg cet été. La distribution en est différente: c’est Franz Welser Möst, GMD de Vienne, qui dirige, et Strauss est l’un de ses compositeurs de prédilection, et la distribution, très différente de Salzbourg, est alléchante: Christine Schäfer en Komponist, Stephen Gould en Bacchus et Krassimira Stoyanova en Primadonna, avec une Zerbinetta peu connue, Daniela Fally. Dans les reprises un Barbiere di Siviglia qui sera bien mieux distribué en mars, une Sonnambula sans grand intérêt et un Otello avec le trio Johan Botha, Falk Struckmann, Soile Isokoski, ce qui n’est pas mal, et la direction de Bertrand de Billy, le chef français qui ne dirige jamais en France et qu’on a bien tort de négliger. Donc, un week-end incluant Otello et Ariadne pourrait être programmé.
Un nouvel an à Vienne, avec le fameux concert du Nouvel An dirigé cette année par Franz Welser Möst et une Fledermaus au Staatsoper , moyennement distribuée, mais avec le grand acteur Peter Simonischeck dans Frosch et puis une Zauberflöte dirigée par le jeune Cornelius Meister dont on dit grand bien outre Rhin, et avec Anita Hartig dans Pamina (Mise en scène: Marco Arturo Marelli – celui qui a fait Arabella à Bastille) pourrait être un programme stimulant, mais Noël ne vaut pas Pâques, on va le voir.
En janvier, à part la continuation d’Ariadne et Zauberflöte, notons une Italiana in Algeri dirigée par l’excellent Jesus Lopez-Cobos dans la vieille mise en scène mythique de Jean-Pierre Ponnelle, avec, encore et toujours, Agnès Baltsa dans Isabella (elle chante le rôle depuis plus de 30 ans, elle l’a enregistré avec Abbado et elle n’y était pas convaincante: mais résistera-t-on à la voir encore une fois brûler les planches, même avec les réserves probables sur la performance vocale). Notons aussi un Rosenkavalier dirigé par Jeffrey Tate dans la mise en scène mythique de Otto Schenk avec Angela Denoke dans la Marschallin et Peter Rose dans Ochs. On pourrait si on du temps à perdre voir le Nabucco de Giuseppe Verdi dirigé par Jesus Lopez-Cobos, mais dans une distribution sans éclat et une mise en scène de Günter Krämer qui devrait être un repoussoir.  Enfin, on ne manquera pas un  must: une reprise de La Dame de Pique, dirigée par Marko Letonja, dans la mise en scène de Vera Nemirova, avec l’Hermann de l’inusable Neil Shicoff, toujours bouleversant même avec une voix désormais instable, la notable Lisa de Marina Poplavskaia, mais on courra surtout pour la Comtesse de Grace Bumbry, légende vivante qu’il faut absolument aller voir une fois dans sa vie . Je vais peut-être faire le voyage pour elle.
La fin du mois de janvier aura sa première d’une nouvelle production de La Cenerentola de Rossini, avec au pupitre Jesus-Lopez Cobos, dont la présence à Vienne est largement exploitée: Dominique Meyer se sera souvenu qu’à l’Opéra de Paris déjà,  Rolf Liebermann avait fait appel à lui pour cette œuvre (mise en scène Jacques Rosner) avec deux distributions où alternaient Teresa Berganza et Frederica von Stade. La distribution est intéressante dans la mesure où l’on y trouve tous les jeunes rossiniens d’aujourd’hui, Dmitry Korchak ténor vu à Paris dans La Muette de Portici, plus apprécié pour ses Rossini que son Auber, Vito Priante, excellent baryton de la jeune génération italienne (vu à Lyon dans Figaro des Nozze di Figaro) et tous les excellents plus anciens: Alessandro Corbelli, toujours remarquable et Ildebrando d’Arcangelo qui chantera Alidoro. Angelina sera Tara Erraught, jeune mezzo irlandaise dont on fait grand cas.
La fin du mois de janvier aura aussi sa reprise verdienne, avec Ballo in maschera, l’impossible à réussir, dirigé par Philippe Auguin, mise en scène de Gianfranco de Bosio (une mise en scène déjà vieille à sa création, imaginons aujourd’hui!) avec Roberto Alagna qui n’a peut-être plus la voix pour le rôle, Sondra Radvanovsky, la seule Amelia possible aujourd’hui, mais elle a été très fatiguée et Gabriele Viviani dans Ankarström. Mmmm…disons que j’ai mes doutes.
L’événement de février étant le traditionnel Bal de l’Opéra (Opernball), pas de production notables, sinon des reprises de productions archéologiques: Tosca, à peu près 60 ans d’âge (Margherita Wallmann: en 1979, année où je la découvris, on en était déjà à la 275ème représentation), Salomé une bonne quarantaine d’années (production de Boreslaw Barlog) dirigée tout de même par Peter Schneider, avec une distribution très honnête: Michaela Schuster (Herodias), Thomas Moser (Herodes), James Rutherford (Jochanaan) et Camilla Nylund dans le rôle de Salomé. A noter en 1990  quand je vis cette production, c’était avec Behrens et Rysanek…
Le mois de mars ouvre notamment sur une reprise du Don Giovanni de Jean-Louis Martinoty, relativement critiqué à sa création, dirigé par Louis Langrée, avec Ildar Abdrazakov dans le rôle titre, Erwin Schrott comme Leporello, le Don Ottavio de Toby Spence, la Anna de Marina Rebeka, et l’Elvira de Véronique Gens, une distribution très défendable, et un Elixir d’Amore de remplissage. On reverra ensuite une reprise de La Traviata de Jean-François Sivadier (celle d’Aix en Provence), dirigée par Paolo Carignani avec Marlis Petersen et Rolando Villazon(!), et des Nozze di Figaro (avec Anita Hartig en Susanna), dirigé par Louis Langrée et mise en scène de Jean-Louis Martinoty. Une reprise retravaillée (Wiederaufnahme) de l’Aida de Nicolas Joel dirgée par Pinchas Steinberg avec Olga Borodina (Amneris) , Kristin Lewis (Aida), Aleksandrs Antonenko (Radamès) et Markus Marquardt (Amonasro) et une nouvelle série de Il barbiere di Siviglia, cette fois avec un cast très intéressant, dirigé par le jeune Guillermo Garcia Calvo, dans la vieille mise en scène de Günther Rennert et son fameux décor de maison poupée  avec Javier Camarena, Vesselina Kasarova, et Adrian Eröd en Figaro, ainsi que le vétéran Alfred Sramek en Bartholo.
Mais c’est la fin du mois de mars qui retient l’attention avec deux reprises d’importance, Wozzeck dans la mise en scène d’Adolf Dresen créée par Claudio Abbado avec Simon Keenlyside, Gary Lehman et Anne Schwanewilms, le tout dirigé par Franz Welser-Möst, qui reprend ensuite pour Pâques la production de Christine Mielitz de Parsifal, avec..Jonas Kaufmann et Evelyn Herlitzius, Kwanchoul Youn et Tomasz Konieczny. Autant dire que si vous n’avez pas de projets pour Pâques, c’est à Vienne qu’il faut voler.
Il faut le dire, le début avril n’est pas mal non plus, avec la reprise du vieux Fidelio d’Otto Schenk, dirigé par l’excellent Adam Fischer (Lance Ryan, Anja Kampe, Falk Struckmann), du vieux Rigoletto de Sandro Sequi sans aucun intérêt scénique, mais sûrement un grand intérêt musical avec au pupitre Jesus Lopez-Cobos (encore!), le vétéran Kurt Rydl en Sparafucile et Matthew Polenzani en Duc, Olga Peretyatko en Gilda, et Simon Keenlyside en Rigoletto s’il vous plaît, une reprise de la production de PeterKontwitschny du Don Carlosen français (Kwanchoul Youn, Iano Tamar, George Petean, Yonghoon Lee et Nadia Krasteva en Eboli) et enfin il faudra courir pour l’Eugen Oneghin dans la mise en scène magnifique de Falk Richter, dirigé par Andris Nelsons, avec Anna Netrebko, Dmitri Hvorostovsky, Dmitry Korchak et Konstantin Gorny. On restera ensuite à Vienne pour une Bohème de répertoire (mise en scène Franco Zeffirelli, la même qu’à la Scala) dirigée par Andris Nelsons, avec Kristina Opolais (Madame Nelsons à la ville) et Piotr Beczala, pour un Werther (mise en scène Andrei Serban) avec Roberto Alagna et Elina Garanca, dirigé par Bertrand de Billy, et pour une Fille du régiment dans la production désormais universelle de Laurent Pelly dirigée par l’excellent Bruno Campanella, avec la jeune Aleksandra Kurzak dans Marie, John Tessier en Tonio, Carlos Alvarez en Sulpice et surtout surtout surtout Dame Kiri Te Kanawa en Duchesse de Crakentorp (à la création à Vienne c’était Montserrat Caballé, quelle émotion!  Entre Bumbry pour Dame de Pique et Kiri Te Kanawa pour Fille du régiment, à Vienne la nostalgie (des anciens combattants) est ce qu’elle était ! Il y a quelque chose de proustien dans ce temps retrouvé là.
En mai quelques reprises de spectacles de l’année avec de nouvelles distributions, correctes, mais surtout un mai wagnérien avec une reprise de Fliegende Holländer dirigé par Daniel Harding, mise en scène par Christine Mielitz, avec Anja Kampe, Stephen Gould et Juha Uusitalo et une édition du Ring maison de Sven-Eric Bechtolf, dirigé cette fois par Franz Welser Möst, avec Tomasz Konieczny en Wotan, un nouveau venu dans les Wotan qui devrait être très intéressant, vu la qualité intrinsèque de la voix, Nina Stemme en Brünnhilde, Camilla Nylund en Sieglinde et Simon O’Neill en Siegmund. Stephen Gould en Siegfried. On pourra aussi voir à la même période une Carmen (Bertrand de Billy, Franco Zeffirelli) avec Elina Garanca et Roberto Alagna, Ludovic Tézier et Anita Hartig.
Le mois de juin comme de coutume reprend des productions de l’année avec de nouvelles distributions, c’est le cas de Tosca, avec Roberto Alagna,  Martina Serafin et Albert Dohmen en Scarpia et Dan Ettinger au pupitre, qu’on voit désormais en Allemagne, à Vienne, à New York, et qui est en train de succéder à Fabio Luisi, désormais star, comme chef de répertoire de luxe. mais trois productions de fin de saison attirent l’oeil, une reprise de Walküre (Mise en scène maison de Sven-Eric Bechtolf) avec Peter Schneider au pupitre et une tout autre distribution: Katarina Dalayman en Brünnhilde, Martina Serafin en Sieglinde, Johan Botha en Siegmund, Juha Uusitalo en Wotan, Ain Anger en Hunding, et Mihoko Fujimura en Fricka, une reprise de Capriccio (mise en scène Marco Arturo Marelli, une très jolie production) dirigée par Christoph Eschenbach, et une très belle distribution: Renée Fleming, Bo Skovhus, Michael Schade, Markus Eiche, Kurt Rydl et Angelika Kirschlager. Et enfin une nouvelle production de Tristan und Isolde, mise en scène David Mc Vicar, dirigée par Franz Welser Möst avec Peter Seiffert et Nina Stemme, la dernière représentation étant assurée par Katarina Dalayman.
Ouf! pourrait-on dire. Quel autre opéra au monde pourrait assurer 300 représentations à ce niveau là? Et je ne parle ni du ballet, ni des représentations pour enfants de l’opéra de Wagner “Die Feen” qui courent toute la moitié de la saison.

LE THEATER AN DER WIEN:

Mais il y a une alternative à la Staatsoper de Vienne, c’est l’historique Theater an der Wien, où a été créée Die Zauberflöte, qui a remplacé la Staatsoper pendant la reconstruction après 1945 et jusqu’en 1955 (un Fidelio légendaire de Furtwängler y a été enregistré “dal vivo”), c’est là aussi qu’Abbado a créé deux productions mozartiennes,  un beau Don Giovanni en 1990 (Luc Bondy) et Le Nozze di Figaro en 1991 (Jonathan Miller) . Aujourd’hui le Theater an der Wien a une saison selon le système “stagione” de quelques productions, très “dans l’air du temps”.
En décembre on pourra y voir Mathis der Maler de Paul Hindemith dirigé par Bertrand de Billy (avec les Wiener Symphoniker), dans une mise en scène de Keith Warner avec Kurt Streit, Manuela Uhl, Wolfgang Koch (le futur Wotan de Bayreuth).
En janvier, Radamisto de Haendel avec les freiburger Barockorchester dirigés par René Jacobs dans une mise en scène de Vincent Boussard et des costumes de Christian Lacroix avec David Daniels, Florian Boesch et Sophie Karthäuser et Patricia Bardon.
En février, le Comte Ory de Rossini, dirigé par Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus avec Cecilia Bartoli et Lawrence Brownlee, dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser en coproduction avec l’opéra de Zürich.
En mars une production inhabituellement baroqueuse de Fidelio de Beethoven, avec Nikolaus Harnoncourt dirigeant son Concentus Musicus, et deux chanteurs au format inhabituel pour les rôles: Juliane Banse en Leonore et Michael Schade en Florestan.
En avril, Béatrice et Bénédict de Berlioz dans une mise en scène de Kasper Holten (directeur du ROH Covent Garden), et l’ORF Radio-Symphoniorchester dirigé par Leo Hussain, avec Malena Ernman et Bernard Richter.
Enfin en juillet, Attila de Verdi dirigé par Ricardo Frizza (avec l’ORF Radio-Symphoniorchester) dans une mise en scène de Peter Konwitschny, avec une nouvelle génération de chanteurs verdiens (certains assez discutés en Italie): Dmitry Belosselsky, Lucrecia Garcia, Nikolai Schukoff (le Don José de la Carmen parisienne).
On le voit, des voies différentes de la programmation de l’Opéra de Vienne, plus à la mode, avec tout de même des choix exigeants et des participations de haut niveau (le Choeur Arnold Schoenberg de Erwin Ortner pour tous les spectacles) . Deux philosophies différentes d’un côté une présence de tous les instants assurée avec une garantie minimale de niveau et quelques grandes distributions, de l’autre un raffinement et une recherche plus élaborée de répertoire à la mode, un peu ce que serait le théâtre des Champs Elysées à Paris. Dans tous les cas, la qualité. Allez, un petit tour à Vienne, cela ne se refuse pas!
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WIENER STAATSOPER 2011-2012: TANNHÄUSER de Richard WAGNER (Ms en scène: Claus GUTH, Dir.mus: Bertrand DE BILLY)

Là aussi les programmations se croisent, une semaine après la Scala, une autre mise en scène de Claus Guth, un Tannhäuser qui a marqué à sa création en 2009-2010.
En trois jours, Femme sans ombre (Production 1997), Tannhäuser et Tosca (avec Nina Stemme et dirigé par Franz Welser-Möst dans la mise en scène de Margherita Wallmann, qui je crois remonte aux année 50. Voilà le système de répertoire. Je suis depuis avoir vécu en Allemagne convaincu de la supériorité du système de répertoire (250 à 300 soirées, un spectacle différent chaque soir en alternance, une cinquantaine de productions dont cinq à six nouvelles productions, quelques reprises retravaillées et le reste sans répétitions particulières, avec des chanteurs en contrat mensualisés (la troupe) sur celui de la stagione, qui a cours en France et dans l’Europe du Sud (avec Belgique et Pays Bas en plus) qui affiche que des nouvelles productions ou des reprises retravaillées, avec un système de cachets mais moins de représentations (une soixantaine à Lyon, 25 à 30 à Montpellier etc…) , sans troupe, les chanteurs étant recrutés pour chaque production. Le système de la stagione garantirait un niveau de représentation supérieur, un travail plus approfondi, des répétitions plus nombreuses. D’abord ce n’est pas toujours vrai. Le répertoire permet de maintenir un public régulier, abonné, et permet une meilleur irrigation du territoire: si en Allemagne vous avez envie d’un Tristan, au moins un théâtre dans un rayon de 50km autour de vous le proposera dans l’année. A Lyon, ou à Genève, il faudra attendre dix, quinze ans peut-être avant d’en revoir un. Cherchez l’erreur. Nul doute que pour l’irrigation du public et son éducation, le système de répertoire, très fidélisant (autour de la troupe) permet une meilleure accessibilité.
Quand il s’agit de Vienne, avec l’orchestre de fosse qui est la base du Philharmonique de Vienne (Rainer Küchl était pour ce Tannhäuser le premier violon solo), avec un directeur musical qui possède à son répertoire personnel une cinquantaine de titres, et où chaque année passe, répertoire ou non, le Gotha du chant mondial, alors il n’y a même pas à hésiter. Avec une subvention d’Etat de 50M/€ (Paris aux alentours de 120M/€), l’opéra de Vienne assure son métier de théâtre public, au service du public.
Alors on pourra dire qu’il y a des soirées piteuses à Vienne quelquefois (sur 300 soirées, on peut penser que quelques unes ne soient pas à la hauteur) qu’il y a un orchestre A et un orchestre B, que les musiciens se font remplacer etc…En tous cas les deux soirées vues à Vienne ont été musicalement sans reproche (à chaque fois l’orchestre n’avait répété qu’une fois, pourtant) car l’orchestre a ce répertoire dans le sang, dans les gènes, et il est rompu à l’alternance. On peut aussi reprocher l’âge des productions. Certes, j’avais vu en 1980 la Tosca donnée ce soir 19 mars, on en était déjà à l’époque à la 275ème représentation dans cette mise en scène. Oui, mais la production de Bondy à la Scala est-elle forcément plus intéressante? Je n’en suis pas si sûr.

Et ce Tannhäuser? Claus Guth n’a pas signé là à mon avis un de ses spectacles les plus marquants. L’idée est que Tannhäuser où qu’il soit est en opposition au monde: au Venusberg, il veut partir, chez le Landgrave, il s’inscrit en opposition, à Rome, il est singularisé parce que le Pape ne pardonne pas. Partout le rejet, volontaire ou provoqué. alors on assiste aussi à une représentation de Venus et d’Elisabeth en deux faces de la même femme, dédoublement assez commun, puisque même les rôles peuvent être assumés quelquefois par la même chanteuse. Il inscrit aussi l’action dans des lieux symboliques, à la fois par leur statut et par ce qu’ils appartiennent aux lieux connus de la ville de Vienne. Le Venusberg est un bordel, (figuré par l’Hôtel Orient, bien connu d’un certain monde viennois) d’où sortent d’ailleurs les amis de Tannhäuser (morale de l’histoire: ils attaquent Tannhäuser au deuxième acte par là où ils pèchent eux-mêmes au premier), c’est du déjà vu. Au deuxième acte la “teure Halle” est le foyer de l’Opéra de Vienne le “Schwindfoyer”, ce qui se comprend pour un concours de chant, et qui fait du public qui refuse la position de Tannhäuser une sorte d’image du public fermé  traditionnel, et conformiste. Le troisième acte se déroule dans un hôpital psychiatrique,  au décor figurant le Otto Wagner Spital, là encore connu des viennois. Ainsi le chœur des pélerins est un chœur de malades mentaux. Wolfram y cherche à se suicider au pistolet, mais l’entrée de Tannhäuser l’en empêche; Elisabeth à la fin  de son air s’y suicide d’ailleurs, en s’empoisonnant. Pas de rédemption divine, mais une rédemption par la mort. Les idées développées ne brillent pas par l’originalité, et les scènes sont statiques, il ne se passe pas grand chose, à part quelques jolies images.
C’est assez décevant au total, alors que l’aspect musical est vraiment  au point. Même si on peut ne pas partager l’approche du chef, Bertrand de Billy. l’orchestre est particulièrement tenu, de manière très serrée, et les chanteurs suivis avec une scrupuleuse attention, il en résulte un son orchestral charnu, une très belle mise en relief des pupitres (ah! les cors…Ah! le violon solo de Küchl! Ah! les bois! ) sans véritablement pour mon goût un véritable engagement interprétatif, mais un vrai travail de “concertazione” comme disent les italiens. Que ce résultat plus qu’honorable soit obtenu après une seule répétition laisse rêveur, et que le chef soit un français, Bertrand de Billy, qui ne dirige jamais nulle part en France, cela en dit long sur nos programmateurs ou nos responsables d’orchestres. On peut, je l’ai dit, ne pas partager certaines options, mais ce travail de direction est vraiment d’une précision rare, et Bertrand de Billy ferait sans doute bien mieux que bien des chefs invités à diriger dans notre opéra national. Je trouve cela ridicule, avant que scandaleux.

Le plateau, très homogène, a assuré une représentation de très haut niveau, à commencer par le Tannhäuser de Peter Seiffert.

Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Voilà un authentique ténor wagnérien. Il en a la carure et l’épaisseur vocale, ainsi que le volume, impressionnant. Certes, pour mon goût, Seiffert en fait un peu trop sur les notes hautes tenues, et on sent qu’il fatigue, mais il se donne à fond, il s’engage vocalement comme rarement on le voit sur les scènes,  il ne fait aucune économie sur sa voix, toujours à son maximum. Vraiment remarquable.
Le Landgrave de Sorin Coliban a la voix solide, mais il manque un peu de présence. Il n’a pas encore cette nature qui lui permettrait d’exister sur le plateau. Norbert Ernst (qui chantait la veille dans Frau ohne Schatten) et Lars Woldt composent respectivement de très bon Walther et Biterolf. Une grande maison se reconnaît à l’excellence de ses seconds rôles.

 

Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Mais on garde pour la fin le magnifique Ludovic Tézier, qui compose un Wolfram intense et émouvant, avec un style impeccable, un contrôle sur la voix parfait, cette remarquable prestation occasionne évidemment un gros succès personnel et une belle ovation finale. Ainsi la France possède-t-elle deux Wolfram de grand niveau, Ludovic Tézier et Stéphane Degout; beau temps pour le chant français.
Du côté féminin, notons d’abord la jeune Valentina Naforniță: splendide découverte qui chante un “Junger Hirt” incroyablement émouvant. Un grand moment. Une voix à suivre.

Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

La Venus d’Irene Theorin ne m’est pas apparue au sommet de sa forme, à moins que le rôle ne lui convienne pas , certes, la voix est là, et toujours avec un grave un peu détimbré mais sans l’aigu triomphant auquel elle nous habitués. Une prestation correcte, mais sans éclat.

Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Petra-Maria Schnitzler est une Elisabeth de très bon niveau. La voix n’est peut-être pas “caractéristique”, au sens où elle n’est pas très expressive a priori, mais elle chante le rôle avec solidité jusqu’au bout, avec un magnifique  troisième acte, alors que le deuxième acte qui réclame plus de volume, était peut-être un peu moins réussi. Il n’importe: l’ensemble de la distribution est solide, homogène, et accompagné surtout un choeur magnifique (uni au chœur philharmonique slovaque pour l’occasion) qui tout de même la condition sine qua non d’un bon Tannhäuser. Une telle représentation ailleurs serait considérée comme exceptionnelle, ici, c’est du répertoire, de très grande qualité, et d’une solidité musicale surprenante, grâce à un vrai chef et une compagnie de chanteurs globalement sans reproches.
A Vienne règne désormais Dominique Meyer, il est là le soir, à accueillir le public, très disponible pour chacun, bavardant, saluant, souriant, mais en même temps se montrant toujours un vrai spectateur, fan et manager. C’est suffisamment rare pour souligner cet engagement.

WIENER STAATSOPER 2011-2012: DIE FRAU OHNE SCHATTEN le 17 mars 2012 (Ms en scène: Robert CARSEN, Dir.mus: Franz WELSER-MÖST)

Voilà les hasards du calendrier. Cela fait des lustres que je n’ai pas entendu de Frau ohne Schatten, et coup sur coup, à une semaine de distance, j’ assiste à deux productions qui chacune, sont passionnantes. Ce samedi, c’était à Vienne, et Vienne c’est toujours un lieu particulier pour l’opéra et la musique. A l’opéra c’était l’orchestre de la Staatsoper (autrement dit le fonds du Philharmonique de Vienne) et son chef Franz Welser-Möst, et à 200m de là Andris Nelsons dirigeait le CBSO au Musikverein. On est toujours ému en entrant à l’opéra de Vienne, car on pense immédiatement à tout ce qui s’est passé là dans l’histoire de la musique, et j’avais un pincement au cœur en pensant à mon enregistrement de la Frau ohne Schatten dirigé par Böhm, qui reflète une représentation de 1977 dans ce lieu. Nilsson, Rysanek etc…
La soirée de samedi continue la tradition des grandes soirées viennoises.
La production de Robert Carsen, qui remonte à 1997, a été retravaillée et cette reprise affiche une distribution très solide,  Robert Dean Smith (L’Empereur), Adrianne Pieczonka (L’Impératrice), Barak(Wolfgang Koch), sa femme (Evelyne Herlitzius), et la nourrice (Birgit Remmert) qui fait ses débuts à la Staatsoper.
Musicalement, le grand triomphateur de la soirée est Franz Welser-Möst, et l’orchestre. Qu’importe si les viennois connaissent bien l’œuvre, qu’ils l’ont jouée cet été à Salzbourg (avec Thielemann au pupitre), on reste stupéfait de l’ensemble de l’orchestre, de chaque pupitre, notamment des parties solistes très sollicitées dans les intermèdes musicaux avec une homogénéité, une technique impeccables, un dynamisme qui frappe, notamment au deuxième acte. Etourdissant.

Franz Welser-Möst aime Strauss; il est actuellement l’un des grands chefs pour ce répertoire, et il n’y a aucun doute en l’entendant qu’il offre une prestation d’un exceptionnel niveau. Il emporte l’orchestre, avec une vibrante énergie, une incroyable intensité, une clarté instrumentale exceptionnelle, on entend tous les pupitres, on saisit les équilibres, les systèmes d’échos entre les différents instruments: travail magistral qui fait redécouvrir l’œuvre.  Cela n’efface pas ce qui a été entendu à la Scala samedi dernier, mais il est évident que l’orchestre est d’une autre nature: des violoncelles à faire pâmer, des cuivres impeccables, des bois sublimes (sauf un petit couac à la clarinette): le début du troisième acte  est d’une incroyable netteté et d’une fluidité qui fait qu’on entend à peine le passage d’un instrument à l’autre (basson et violoncelle je crois). Simplement prodigieux.
Portés par cet orchestre superlatif, la plupart des solistes ne sont pas en reste. Robert Dean Smith semble avoir un peu de difficultés  cependant, la voix est toujours claire, juvénile, bien posée, mais le volume un peu insuffisant ne permet pas toujours de passer la rampe, l’orchestre étant très fort, d’autant que la mise en scène le place souvent en arrière, ce qui double la difficulté.
Wolfgang Koch a autorité, humanité, personnalité vocale. Très différent de Falk Struckmann à la Scala, avec un timbre peut être plus séduisant, mais un peu moins puissant, il entre immédiatement dans la lignée des très grands Barak de cette maison et obtient du public un authentique triomphe.
La nourrice de Birgit Remmert, est un peu plus irrégulière. Le début du premier acte est assez froid, la voix s’entend mal, mais peu à peu, l’artiste prend de l’assurance et son deuxième acte est vraiment splendide, mais j’ai préféré Michaela Schuster à la Scala, plus présente dans le personnage et sachant mieux jouer de sa voix.
Aucun doute au contraire lorsqu’on entend Evelyn Herlitzius en femme du teinturier. La prestation est éblouissante scéniquement, un engagement de tout le corps et des tripes, une énergie phénoménale. Certes, le chant n’est pas toujours propre, quelques vilains sons, comme souvent chez cette artiste, notamment au troisième acte mais quel volume, quel engagement, quelle présence. Quand on pense en comparaison à Elena Pankratova à la Scala, on constate des années lumière de différence. Ici un personnage autour duquel tourne tout l’opéra, à Milan, un personnage inexistant, une voix sans personnalité, un rôle qui n’existe pas. Le deuxième acte de Herlitzius est anthologique, son troisième acte plus délicat, la musique est plus lyrique, moins syncopée, et le style de Herlitzius ne convient pas de la même manière (duo initial). Mais quelle prestation tout de même!
Enfin l’impératrice de Adrienne Pieczonka est vraiment exceptionnelle. Son réveil au début de l’opéra est attentif à chaque note, à la moindre petite vocalise (et on sait que ce début est meurtrier), et son troisième acte remarquable. La voix est pleine, ronde, le timbre est charnu, d’une grand beauté, les aigus sont là, chantés et non criés  les passages sont bien négociés, elle obtient avec le chef le plus grande triomphe de la soirée. Une merveille, de la part d’une artiste que j’avais toujours trouvée un peu trop sage.
Les autres rôles sont très bien tenus, notamment Norbert Ernst en jeune homme , mais le Geisterbote de Wolfgang Bankl est  inférieur à celui de Samuel Youn à la Scala. C’est un tout petit rôle, mais les deux interventions doivent marquer, notamment la première, au lever de rideau.  La distribution dans son ensemble n’appelle aucune remarque, on navigue dans le haut niveau.

A cette musique somptueuse correspond une mise en scène qui n’a pas beaucoup vieilli de Robert Carsen et qui fait penser à celle de Claus Guth à la Scala, au moins au début. Intérieur bourgeois, grand lit, Impératrice endormie entourée de Nourrice et Geisterbote en blouse blanche. Mais dès l’apparition de l’Empereur, en arrière plan dans un espace symétrique de la chambre avec effet miroir, séparé de l’impératrice par une imperceptible cloison translucide, on comprend que le sujet sera le couple, le couple sans relation de couple. Par le même jeu apparaît un peu plus tard dans le même espace la chambre de Braak et de sa femme, même meubles,  mais tout est sens dessus dessous. A la belle ordonnance du monde de l’Empereur répond le désordre de celui du teinturier. La femme du teinturier affiche le même costume que l’ impératrice au départ, et Carsen impose un jeu de double qu’on a vu la semaine précédente dans le travail de Claus Guth. Quelques belles images s’appuyant sur la vidéo (rêve de l’impératrice, suspendue dans son lit comme vue de haut avec des images en surimpression), et un troisième acte qui fournit les clefs de lecture de ce travail avec un très beau moment, l’eau qui source de la fontaine émergeant d’une bouteille sur la table de nuit de l’Impératrice. L’impératrice et la nourrice (au moment où elle va la chasser) circulent parmi des corps étendus (morts, inutiles) ce sont-on comprendra plus tard- les corps des couples non formés, ceux-ci dans la scène finale, entourée d’un grand rideau blanc(tout le reste se déroule dans l’obscurité) se lèvent et pendant que se déroule le final forment deux à deux des couples, avec pour finir Barak et son épouse, puis l’Empereur et l’Impératrice, qui enfin se prennent la main, comme symbole de cette humanité retrouvée.

Scène finale © Wiener Staatsoper

Bon c’est une vision un peu sirupeuse qui n’a pas la force du final de Claus Guth, mais qui au moins satisfait nos cœurs de midinettes.

Au total, une soirée splendide quand même, surtout musicalement, grâce à un orchestre époustouflant. Pouvait-il en être autrement avec les viennois, dans leur répertoire? Non bien sûr, mais on a beau le savoir et l’avoir intériorisé, le constater encore une fois est une source d’émotion et de bonheur intense.