La tradition du théâtre est aussi ancienne à Salzbourg que la tradition de l’opéra. Et les trois fondateurs, un musicien (Richard Strauss), un metteur en scène (Max Reinhardt), un écrivain (Hugo von Hoffmannsthal), voulaient faire de Salzbourg un lieu de totalité. Il y a même une grande tradition shakespearienne qui remonte loin en arrière.
Mais c’est la première fois que La comédie des erreurs (Die Komödie der Irrungen/The Comedy of Errors) était présentée. C’est la plus courte des pièces de Shakespeare, et qui respecte l’unité de temps (une journée), très inspirée des Menaechmi de Plaute et c’est une œuvre de jeunesse (1594).
En un bref résumé, le vieil Egeon de Syracuse arrive à Ephèse pour rechercher son fils où les marchands syracusains sont interdits sous peine d’amende ou d ‘exécution, il raconte son histoire au Duc qui en est ému et lui donne 24h pour arriver à ses fins ou trouver l’argent. Il avait deux jumeaux, et avait acheté deux autres jumeaux pour leur servir d’esclaves. Mais lors d’un naufrage, il a perdu sa femme, l’un des jumeaux et l’un des esclaves. Ayant envoyé son fils restant les chercher et n’ayant pas de nouvelles il est parti à sa recherche.
C’est à Ephèse que le fils perdu se trouve avec son esclave, il est marié, un peu volage et pas très sympathique.
C’est aussi à Ephèse qu’arrive le fils restant avec son esclave. Du croisement des uns et des autres dans une journée folle naissent des quiproquos, des erreurs, des amours dans une sorte de folie du double (du quadruple en fait…) qui préfigure par les jeux de miroir la période triomphante du baroque.
Tout finira bien grâce au Deus ex machina (la prieure d’un couvent qui n’est autre qu’Emilia, l’épouse perdue d’Egeon).
Dans cette mise en scène, les deux mêmes acteurs, vêtus à un détail près de la même manière, jouent les quatre personnages d’Antipolus d’Ephèse et de Syracuse (le maître), et de Dromio d’Ephèse et de Syracuse (le valet). Dromio retourne son chapeau, et devient l’autre Dromio, Antipolus met ses lunettes, et devient l’autre Antipolus. Mais le spectateur le découvre seulement après quelques scènes et donc se trouve lui aussi victime de l’erreur et de la confusion; il entre donc dans le piège de Shakespeare en étant lui même la victime de la comédie des erreurs.
Henry Mason, le metteur en scène, est un anglo-saxon (fils de britannique et de néozélandaise) qui travaille en Autriche, il a étudié à Exeter et souligne lui-même qu’il est passionné par la confrontation et les interférences culturelles entre les cultures germanique et anglo-saxonne. Il travaille aussi bien dans le domaine du théâtre pour enfants que pour adultes, et dans celui du Musical, puisqu’il a mis en scène à la Volksoper de Vienne Der Zauberer von Oz (Le magicien d’Oz) et en outre il est lui-même auteur. Il a enfin en 2013 remporté un bon succès à Salzbourg pour son travail sur Le Songe d’une nuit d’été avec les musiques de Mendelssohn . Autant de raisons de le réinviter.
Sven-Eric Bechtolf, programmateur du Festival n’a pas eu une si mauvaise idée que de proposer à des metteurs en scène anglo-saxons (Julian Crouch a mis en scène depuis 2013 Jedermann et cette année Mackie Messer/Ein Salzburger Dreigroschenoper dont nous allons très vite rendre compte) même si il a sans doute cette année commis l’erreur de proposer deux mises en scènes très inspirées du Musical, mode importée de Londres et New York où Peter Gelb fait régulièrement appel à des metteurs en scène spécialistes de Broadway au MET.
Cette Comedy of the errors est montée à Perner Insel, à Hallein à une dizaine de kilomètres de Salzbourg dans une usine désaffectée et réaffectée au théâtre depuis Mortier, là où l’an dernier avait été monté le merveilleux Don Juan revient de la guerre de Horvath dans la mise en scène d’Andreas Kriegenburg.
Le dispositif scénique de Michaela Mandel en est impressionnant, la scène est en fait une piste de cirque (sur vérins qui deviendra à la fin une sorte de poupe) installée au centre d’un bassin, avec à cour une montagne de chaises et de tables enchevêtrées dans laquelle les personnages grimpent, regardent l’action ou disparaissent, et au fond à jardin un orchestre de musical (direction Patrick Lammer, auteur des arrangements musicaux). Quand le spectateur entre, une chanteuse chante des airs familiers du répertoire jazzy.
Alors certes cela bouge, cela danse (chorégraphie Simon Eichenberger) et cela éclabousse (les spectateurs du premier rang sont protégés par une blouse imperméable), cela monte aux mats, cela monte au trapèze, c’est un Shakespeare dans le monde circassien coloré et vaguement clownesque dans une version échevelée de la pièce où l’on se perd un peu (c’est fait pour), il y a des échos de cirque, il y a aussi des échos de commedia dell’arte (Dromio) et du théâtre de tréteaux, on rit, on ne s’ennuie pas, mais jamais on ne vibre, malgré quelques scène émouvantes.
Le décor est en fait à la fois un cirque et un vaisseau (Ephèse est un port) avec ses deux mâts avec l’eau qui isole l’air de jeu.
Dans un tel contexte, la pièce est représentée au total de manière assez classique, avec des acteurs valeureux, mais pas aussi transcendants que souvent à Salzbourg.
Les femmes sont plus convaincantes : Adriana, l’épouse d’Antipolus d’Éphèse (Meike Droste), Luciana, sa sœur (Elisa Plüss, que j’avais déjà bien aimée l’an dernier dans le Horvath), la courtisane (Claudia Kottal) et l’abbesse (la Dea ex machina), Barbara de Koy. Du côté des hommes, les petits rôles sont parfaitement tenus (notamment l’Egeon de Roland Renner, le Balthasar de Rafael Schuchter ou l’Angelo d’Alexander Jagsch) et des deux rôles principaux, Antipolus et Dromio, la palme va à Florian Teichtmeister pour un Dromio (d’Ephèse et de Syracuse) arlequinesque, vif, et qui montre une belle personnalité. Thomas Wodianka en Antipolus (d’Ephèse et de Syracuse) semble moins concerné, plus pâle et surtout ne marque aucune différence notable de jeu (sinon une paire de lunettes) entre Antipolus d’Éphèse (pas très sympathique), et Antipolus de Syracuse (qui l’est plus) : certes, cela accentue la possibilité des erreurs de comédie entre l’un et l’autre, mais on aurait aimé un peu plus de personnalité et plus de caractère.
Au total on passe un bon moment, on ne s’ennuie pas, comme on ne s’ennuie pas au Musical (tout le monde chante et danse un peu), mais j’y pense et puis j’oublie. Rien de notable, rien de marquant : le plaisir de l’instant. On pourrait prétendre à autre chose à Salzbourg, notamment pour Shakespeare, où l’on a vu tant de grands spectacles. Et on se prend à rêver de ce que Giorgio Stehler ou Luca Ronconi eurent pu produire jadis à partir de ce texte. [wpsr_facebook]