LUCERNE FESTIVAL EASTER 2013: Mariss JANSONS dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNK le 24 MARS 2013 (CHOSTAKOVITCH Symphonie n°6 – BEETHOVEN Symphonie n°5 )

Lucerne, 24 mars 2013

Après le choc du War Requiem, le programme de ce concert assez court (1h05 de musique en tout) pouvait paraître  passe-partout: il affichait certes la 6ème de Chostakovitch, pas très connue, mais surtout la 5ème de Beethoven, sorte de miel destiné à attirer les mouches. J’y suis donc allé en me disant qu’en aucun cas je ne pourrais éprouver quelque chose de comparable à ce que m’avait apporté le concert Britten de la veille.
La symphonie n°6 de Chostakovitch, coincée entre les deux monuments que sont la 5 et la 7, est moins connue que ses deux voisines, si elle a obtenu un grand succès à sa création le 5 novembre 1939 à Leningrad sous la direction de Evguenyi Mavrinski, elle a vite été critiquée à cause de sa construction en 3 mouvements, très déséquilibrée puisque le premier mouvement de plus de 15 minutes très sombre est suivi de deux autres mouvements plutôt brefs au rythme rapide et joyeux. De fait l’œuvre ne dépasse guère trente minutes.
Dès les premières mesures du largo aux altos et violoncelles, on comprend à la netteté, à la rondeur du son que ce sera exceptionnel. Ce largo, aux accents proches de Mahler, et même de Sibelius, est plutôt sombre. Mariss Jansons travaille avec précision chaque élément, et lui aussi, comme Abbado, révèle une architecture, fait entendre les différents éléments, les différents niveaux, sait obtenir des musiciens des couleurs sonores très différentes: ce qui frappe, c’est à la fois la plongée dans une atmosphère mystérieuse, et en même temps inquiétante, y compris quand le son se développe en expansion. De longs et lourds silences, des confidences notamment dans les bois, qui se répondent (flûte extraordinaire, dialogues en écho entre piccolo et cor anglais), une sorte d’atmosphère suspendue, et tendue, qui va trancher avec le court second mouvement, allegro, qui est une sorte de scherzo vif, souriant, humoristique et à la fois grinçant, sarcastique un peu comme chez Mahler, c’est joyeux (premières mesures), mais jamais tout à fait, c’est enlevé comme une danse, mais une danse plutôt macabre. Un tourbillon où Jansons emporte son orchestre avec une précision incroyable qui laisse peu le temps de respirer, tout explose mais on entend l’explosion dans chacun de ses éléments. Ce halètement, rythmé par une flûte étourdissante (quelle ovation à la fin!), étonne (au sens fort) dans le dernier mouvement qui est une manière de galop endiablé, qui laisse peu de souffle au spectateur, tant l’entrain, la joie, la sève dionysiaque nous entraîne dans un vertige étourdissant, et Jansons au milieu donne des signes d’une telle netteté, prend ce mouvement avec tout son corps, se met aussi à sauter, si bien que nous entendons et nous voyons le mouvement. C’est de plus en plus acrobatique, cela va à une vitesse folle, et pourtant on comprend tout, on entend chaque son, chaque touche sonore, même les plus ténues, qui se confrontent aux plus graves. Et la fin arrive avec à la fois une telle brutalité et une telle surprise que le public crie son enthousiasme: dans ce final littéralement animal, il n’y a qu’à hurler un enthousiasme total devant cette performance, encore plus endiablée que dans son enregistrement avec l’Oslo Philharmonic. Il y a là de la folie, de l’humour, de la joie, mais aussi une sorte de frénésie qui entraîne tout le public, une frénésie où se reconnaissent le goût de Chostakovitch pour les rythmes forts, de danses virevoltantes. Et au milieu de cette folie furieuse, il y a une incroyable maîtrise du son: l’orchestre est tout simplement prodigieux, je l’ai rarement entendu à ce niveau de perfection.

Photo Peter Fischli

On comprend qu’après une telle orgie de son et de rythmes, l’imposante 5ème de Beethoven semble plus attendue. On se demande d’ailleurs comment dans une œuvre aussi rebattue, qui existe en nous sans que nous ayons besoin de l’écouter, nous pouvons réussir à trouver encore du neuf, de l’originalité, de l’intérêt presque et pourtant…
déjà la disposition des cordes de l’orchestre changent: premiers et seconds violons se font face, contrebasses à gauche cette fois, et alors une nouvelle construction architecturale des sons apparaît notamment dès les premières mesures.
C’est un travail passionnant qui nous est donné d’entendre, un travail où la grandeur, la monumentalité sont marquées, l’orchestre est un orchestre beaucoup plus nombreux pour le Beethoven d’Abbado à Rome en 2001 qui avait opté pour une version plus aérienne, toute en souplesse et en fluidité. L’option de Jansons, c’est à la fois une sorte de version plus épique, plus solennelle, plus romantique aussi, avec des contrastes très marqués entre des moments où l’orchestre susurre et puis où un instant plus tard il explose. Et ce n’est pas pour autant une version de plus de la cinquième. L’attention au volume, explosif quelquefois mais jamais démesuré est marquante, la rondeur des sons, la fluidité est là aussi, mais ce qui frappe, c’est l’incroyable clarté, on se croirait évoluer dans un palais translucide où l’on distingue tout, où chaque son est pris dans sa liaison aux autres, mais aussi pris isolément (ah! ces pizzicati au troisième mouvement). Et alors naît l’émotion qui vous prend à la gorge au crescendo final du troisième mouvement qui explose au quatrième sans respiration et cette émotion ne lâchera pas jusqu’à la fin. Mariss Jansons est quelqu’un qui tient l’orchestre dans sa main ferme sans jamais lui lâcher la bride, qui va jusqu’au bout des possibilités, mais qui en même temps produit un son d’une telle humanité si formidablement présente dans ce Beethoven là qu’il finit par nous emmener au bord de larmes qu’on attendait pas dans cette œuvre là qu’on croyait explorée définitivement. C’est l’œuvre des grands chefs de nous faire toujours voir là on on ne voyait pas, mais c’est le caractère des grandes œuvres de toujours se dérober. Eet de ces mesures archi-connues émerge alors comme le “petit pan de mur jaune” cher au Vermeer vu par Proust, un élément qu’on n’avait pas entendu encore, qui ne nous avait pas arrêté, que la direction cristalline de Jansons nous révèle alors, qui nous va nous suivre alors jusqu’à l’obsession et jusqu’au ravissement, et qui fait que l’on aurait envie de retenir le chef pour que le moment en question ne cesse pas. Oui, je l’ai dit souvent, il faut aller à Lucerne, mais surtout il ne faut pas rater un concert de Mariss Jansons: ce chef nous emmène toujours dans l’inattendu, dans un vrai point de vue, original, quelquefois surprenant (son Brahms ) et qui réussit toujours à nous toucher car émane de sa manière de diriger une telle joie, un tel rayonnement, un tel engagement qu’il ne peut que nous émouvoir au plus profond.
Et comme pour faire prolonger le ravissement du public, encore et toujours debout, un bis ce soir, un bis mozartien exclusivement aux cordes, toutes les cordes, qui montrait quel orchestre il avait sous la main! Une merveilleuse soirée.
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Lucerne, 24 mars 2013

LUCERNE FESTIVAL 2013 – ÉTÉ: LE PROGRAMME DES CONCERTS

Le Festival de Lucerne de l’été 2013 sera un peu redimensionné. Effet de la crise? Une grosse semaine en moins puisque cette année le Festival ouvre le 16 août et non le 8 comme l’an dernier. La programmation en est-elle affectée? Pas vraiment: on trouve comme d’habitude la théorie des orchestres de prestige présents au bord du Lac, Philharmonique de Berlin(Rattle), Philharmonia(Salonen), Concertgebouw(Gatti), Radio Bavaroise (Jansons), Staatskapelle de Dresde (Thielemann), Philharmonique de Vienne (Maazel), Philharmonique de Saint Pétersbourg (Temirkanov), Symphonique de Pittsburgh (Honeck), avec cette année, Wagner oblige (il a séjourné à Lucerne, dans la villa de Tribschen), un Ring des Nibelungen complet avec l’excellent Symphonique de Bamberg, un des orchestres de grande tradition, on pourrait même dire de Haute École, qui fut l’orchestre de Joseph Keilberth, dirigé aujourd’hui par Jonathan Nott.

Et Abbado? la thématique de cette édition “Révolution” l’a conduit à programmer un concert d’ouverture (16 et 17 août) composé de trois compositeurs à leur manière “révolutionnaires”, Luigi Nono (Extraits de Prometeo), Schönberg (Extraits des Gurrelieder – à quand le moment rêvé de la programmation de l’intégrale?) et l’Eroica de Beethoven. Le second concert continuera d’explorer Bruckner avec la Symphonie n°9 WAB 109, pour trois concerts (23, 24, 26 août).

Sans répéter ce que vous lirez parfaitement dans le programme officiel publié dans le site, je voudrais attirer votre attention sur ce que j’estime être incontournable. D’abord Der Ring des Nibelungen , direction Jonathan Nott, Bamberger Symphoniker, les 30 et 31 août et les 2 et 4 septembre  avec entre autres Klaus Florian Vogt (Siegmund), Petra Lang/Eva Johansson (Brünnhilde), Albert Dohmen (Wotan/Wanderer) Torsten Kerl (Siegfried) , Mikhaïl Petrenko (Fafner/Hunding) Elisabeth Kulman (Fricka).

Chaya Czernowin, compositrice israélienne, sera l’artiste en résidence 2013, et plusieurs orchestres joueront ses oeuvres, à commencer par le  West Eastern Diwan Orchestra, dirigé par Daniel Barenboim qui donnera deux concerts, le 18 août (Verdi, Haddad, Wagner, Czernowin) et le 19 août (Wagner, Berg, Beethoven) deux concerts où l’on jouera Wagner, mais aussi un compositeur israélien et un compositeur arabe.
Le Concertgebouw pour sa venue annuelle, sera dirigé par Daniele Gatti les 1er et 3 septembre pour deux concerts, au programme Mahler IX (le 1er septembre) et Bartok/Prokofiev le 3 septembre, parce que Mariss Jansons leur chef dirigera son autre orchestre (Orchestre de la Radio Bavaroise) quelques jours après, le 7 septembre dans un programme Beethoven (concerto pour piano n°4 – Mitsuko Uchida)/Berlioz (Symphonie Fantastique), et le 8 septembre dans un programme Mahler avec la symphonie n°2 “Résurrection”, et le chœur de la Radio Bavaroise, Anna Larsson et Genia Kühmeier en solistes…on y sera!

J’ai noté aussi le Philharmonia Orchestra dirigé par Esa Pekka Salonen dans une Damnation de Faust de Berlioz avec Paul Groves (Faust) etGérard Finley, mais aussi, hélas, Christianne Stotjin.

Je n’oublie pas Maurizio Pollini le 1er septembre à 11h et Pierre Boulez, programmé avec le chef Pablo Heras Casado avec le Lucerne Festival Academy Orchestra le 7 et le 9 septembre pour deux concerts différents, l’un très contemporains (Mason, Attahir, Ammann,  Boulez) l’autre plus “classique” (Webern, Berg | Berio, Stravinski).

C’est la fête à Lucerne, comme vous pouvez le constater, et le 25 août ce sera encore plus fort, puisque les deux orchestres Lucerne Festival Orchestra et Lucerne Festival Academy Orchestra, dirigés par David Robertson, seront réunis dans la ville pour un programme surprise connu seulement en juin prochain!
Prenons donc notre mal en patience, et délectons-nous à l’avance de ce programme un peu allégé, mais si alléchant.

LUCERNE FESTIVAL 2013 – PÂQUES : LE PROGRAMME DES CONCERTS DU 16 AU 24 MARS 2013

Le programme de Lucerne 2013, 75ème anniversaire du festival fondé en 1938 est paru, tant le programme de Pâques (début de la location 3 décembre) que celui d’été (location 4 mars). Vous pouvez le consulter celui de Pâques en suivant ce lien Lucerne Festival Pâques . Vous pouvez aussi consulter celui d’été en cliquant sur Lucerne Festival Eté.
A Pâques, la ligne initiée les autres années se poursuit avec trois grands moments qu’on ne manquera pas: un moment Abbado, un moment Haitink, et un moment Jansons, et quelques autres encore….
Ouverture du Festival le 16 mars 2013 avec un concert de Claudio Abbado, l’Orchestra Mozart et en soliste Martha Argerich , au programme:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827) Ouverture n° 3 de l’opéra Léonore op. 72
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791) Concerto pour piano et orchestre en do majeur KV 503
Ludwig van Beethoven
(1770-1827) Ouverture Coriolan op. 62
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791) Symphonie en si bémol majeur KV 319.

Le lundi 18 mars 2013, un second programme d’Abbado toujours avec Martha Argerich:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827) Ouverture n° 2 de l’opéra Léonore op. 72
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791) Concerto pour piano et orchestre en ré mineur KV 466
Franz Schubert
(1797-1828) Extraits de la musique de scène pour Rosamunde D 797
Joseph Haydn
(1732-1809) Symphonie en ré majeur Hob. I:96 Le Miracle

En clôture, deux concerts de l’Orchestre de la Radio Bavaroise, dirigé par Mariss Jansons
– le samedi 23 mars 2013, le War Requiem de Britten avec en solistes Emily Magee, Christian Gerhaher et Marc Padmore, Tölzer Knabenchor et Choeur de la Radio Bavaroise.
– Le dimanche 24 mars 2013, la Symphonie n°6 de Chostakovitch et la Symphonie n°5 de Beethoven

Et entre les deux, une master class de Bernard Haitink (les 21 ,22, 23 mars), et puis quelques menus autres concerts, dont deux concerts du Los Angeles Philharmonic dirigé par Gustavo Dudamel (le 20 marsJohn Adams, The Gospel According to the Other Mary Oratorio pour solistes, chœur et orchestre en présentation scénique  et le 21 mars  un concert Vivier, Debussy, Stravinsky – L’Oiseau de Feu) et enfin le 22 mars les English Baroque Soloists et le Monteverdi Choir sous la direction de John Eliot Gardiner exécuteront la Passion selon Saint Jean de Bach dans une nouvelle édition “Urtext” .
Vous n’en avez sans doute pas assez: Isabelle Faust donnera aussi un récital le 17 mars et la Jeune Philharmonie de Suisse centrale un concert à la Jesuitenkirche le 19 mars avec deux oeuvres rarement jouées, le Stabat Mater de Poulenc et le Te Deum de Bizet.

Vous avez compris, comme d’habitude, il faut aller à Lucerne, au moins pour le week end d’ouverture et celui de la clôture. On ne manquera ni Argerich et Abbado, ni Jansons dans ce Britten qui promet d’être un sommet (Gerhaher!!).

LUCERNE FESTIVAL 2012: MARISS JANSONS DIRIGE L’ORCHESTRE DU CONCERTGEBOUW le 1er SEPTEMBRE 2012 (BARTOK, MAHLER) avec Leonidas KAVAKOS

©Peter Fischli/Lucerne Festival

Ce concert de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam propose un programme qui a lui seul est un tissu d’échos, échos d’un parcours extraordinaire qui ne peut se conclure que sur la ténébreuse (surtout en ce moment), mais profonde unité de la culture européenne. Songeons: nous sommes en Suisse, écoutant un orchestre hollandais dirigé par un chef letton avec un soliste grec, qui exécutent un programme “austro-hongrois”: un concerto pour violon du plus grand musicien hongrois du XXème siècle, composé pour son ami le violoniste hongrois virtuose,  Zoltán Székely (1903-2001), créé à Amsterdam par ce même Concertgebouw en 1939 par Willem Mengelberg, lui-même lié à Lucerne où il a créé un orchestre et un chœur dans les années vingt, lié à la Suisse où il a fini sa vie après la seconde guerre mondiale pour cause de trop proche collaboration avec le régime nazi, et surtout lui-même aussi lié à Gustav Mahler, depuis 1902, dont ce soir on exécute aussi la première symphonie,  et qu’il a fortement contribué à diffuser, faisant du Concertgebouw un lieu mahlérien par excellence. La boucle de ce parcours d’échos est bouclée quand on sait que la 1ère Symphonie de Mahler a été créée à…Budapest, où Mahler était directeur de l’opéra en 1889. De Lucerne  à  Amsterdam en passant par Budapest, voilà  la magie de la diffusion de la culture sur un continent où les identités nationales paraît-il s’affirment de plus en plus fortement, et violemment parfois, notamment en Hongrie, alors toute son histoire culturelle n’est que circulation, métissage, inspirations réciproques et correspondances, au sens baudelairien du terme.
La deuxième remarque est la sympathie immédiate qu’inspire Mariss Jansons sur le podium. Ce chef discret est sans nul doute aujourd’hui le plus grand de tous (à part les grands mythes octogénaires ou quasi, les Abbado, Haitink, Boulez), et sur le podium c’est le plus souriant de tous, toujours ce sourire d’une humanité profonde, qui conduit les musiciens, avec une énergie peu commune malgré ses problèmes cardiaques (un ami s’était étonné de voir son geste, qu’il pensait moins démonstratif, plus distancié ou plus sénatorial). Cette joie, elle est communicative, ce sourire, nous l’avions tous au sortir d’un concert contrasté, mais aussi grandiose, un de ces soirs qui comptent dans la vie du mélomane. Quelle semaine! Après le Requiem de Verdi, une première de Mahler anthologique, et un concerto pour violon n°2 de Bartok qui laisse sans doute le goût d’inachevé dans la bouche, non à cause de l’orchestre mais à cause du soliste, mais qui pose de manière crue le problème de l’interprétation et de la sensibilité, à propos d’une musique d’un abord difficile et rèche. Ce soir la sensibilité et le coeur, c’est l’orchestre qui me les a données, un orchestre magnifique, au son épuré, à la finesse exemplaire, dans un concerto où l’aspect acrobatique du violon semble dominer, alors que dès que l’orchestre reprend, on est dans un autre univers, c’est cet écart qui me frappe. Si l’on compare avec le concerto de Berg, de trois ans antérieur, et écouté il y a quelques mois par Isabelle Faust, nous sommes avec Bartok à la frontière  du dodécaphonique, qu’il ne franchit pas, mais il est difficile de ne pas rapprocher ces deux expériences violonistiques, où le violon éthéré de Faust n’a rien à voir avec le coup d’archet violent, appuyé, au son plein du Stradivarius de Leonidas Kavakos. Un style techniquement sans reproche, très acrobatique et très dominé: Bartok en bon hongrois sait ce que violon veut dire. A ce jeu et notamment dans le long premier mouvement, Kavakos est très démonstratif et assez extérieur, il ne communique pas une épaisseur, mais un “jeu”, rien qu’un jeu, mais il ne dit rien. En tous cas, il ne m’a rien communiqué. Au contraire, et c’est très sensible au deuxième mouvement, andante tranquillo construit en thème et (sept) variations ce qui était l’intention initiale du compositeur quand Zoltán Székely voulait un concerto. Bartok joue entre un certain classicisme formel, mais aussi un jeu où l’orchestre est au premier plan, et ce jeu soliste/orchestre tourne pour moi à l’avantage de l’orchestre, contrebasses somptueuses (1ère variation) harpe (deuxième) mais aussi celesta et timbale. jeu à la fois d’accompagnement et presque de contraste avec le soliste. Grand moment. J’avoue ne pas avoir ressenti le violon de Kavakos, faisant pour moi plus de notes que de musique, avec un côté superficiel quand j’entendais un orchestre bien plus profond. Paganini en bis, il fallait s’y attendre. Dommage; j’attends de réécouter cet artiste de 45 ans, qu’on voit depuis une petite dizaine d’année dans les grandes salles de concert, et qui est l’artiste en résidence de Philharmonique de Berlin cette saison.
Avec Mahler, c’est un tout autre univers, une toute autre trempe, une toute autre profondeur: le son très dense de l’orchestre, rompu à ce répertoire, le soin de Jansons de ménager les contrastes, de rythmer jusqu’à l’imitation ironique le Ländler du second mouvement, de passer violemment d’un attendrissement bouleversant à un grincement insupportable, c’est tout Mahler qu’on ressent, c’est tout un discours qui nous est donné, le discours de l’amertume, déjà, mais aussi et surtout le discours de l’optimisme, de l’union avec la nature, une nature en harmonie, mais la souffrance aussi, et la déchirure: ses années de jeunesse étaient traversées par des crises amoureuses violentes, qui motivent l’envie d’écrire (Das Klagende LiedLieder eines fahrenden Gesellen). Ces expériences personnelles accumulées motivent le  besoin d’écrire une forme symphonique plus large, d’abord poème symphonique, en cinq moments dont un andante (“Blumine”) qu’il supprime pour, en 1896, lui donner son titre définitif de Première Symphonie, peu à peu acceptée par une critique d’abord sceptique (la critique hongroise avait loué ses dons de chef d’orchestre, mais lui déconseillait de continuer à diriger ses oeuvres). Il y a quelques années, Abbado avait dirigé cette symphonie à Lucerne, un moment sublime comme presque toujours Abbado en donne à Lucerne, et ce soir c’est sublime aussi, mais , et c’est heureux, complètement autre complètement ailleurs. J’avais je crois déjà usé de la métaphore, mais Abbado a l’élégance d’un temple ionique: monumental, élégant, raffiné. Ici Jansons construit une symphonie de style dorique, un dorique maîtrisé comme le Parthénon, avec ses contradictions, ses courbes légères qui corrigent les perspectives, une rigueur massive et en même temps d’une aveuglante clarté, où l’explosif est toujours maîtrisé, les cors, debout comme le demande la partition au dernier mouvement sont somptueux, mais leur son n’est pas envahissant dans une salle à l’acoustique si claire et si généreuse, l’explosion du début du mouvement et même le final restent “maîtrisés” au sens où le son reste compact. Un art consommé des équilibres, de l’élégance, et cela nous fait trembler. Le sommet de ce soir à mon avis, le troisième mouvement, la fameuse marche funèbre au son du Frère Jacques, avec sa terrible ironie, ses sons à la fois sublimes et grinçants, son rythme (percussions extraordinaires), un des moments les plus rares, car l’ironie peu à peu laisse place à l’effroi, l’émotion, l’humain. Mais aussi je l’ai écrit plus haut le second mouvement très “lourd”, au rythme saccadé de la danse populaire, non pas sublimée, mais vraiment “terrienne”, chtonienne, dirais-je. Enfin, je fais référence au début, les toutes premières secondes de la symphonie furent si magistrales que tout le public a compris à quel événement il lui était donné d’assister. Évidemment à la fin, très vite, standing ovation, sans qu’un seul spectateur ne quitte la salle. Et honte à ceux qui diraient d’un petit air entendu que le Concertgebouw “a toujours le même son”:  oui, et c’est tant mieux quand c’est ce son là: à Lucerne, à Amsterdam, dans ces salles à l’acoustique exceptionnelle, ce son se déploie, s’approfondit, se structure en échos, en lignes, en tissu sonore, compact mais clair , massif mais aéré, il met en espace le rêve du mélomane.
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LUCERNE FESTIVAL 2012 (ÉTÉ): CE QU’IL NE FAUDRAIT PAS MANQUER

Festival de Lucerne: 8 août-15 septembre 2012

Si vous êtes retraité, si les Francs suisses ne vous font pas peur, si vous aimez la musique, alors, louez un appartement à Lucerne du 8 août au 15 septembre, vous ne le regretterez sans doute pas ! Le  Festival de Lucerne 2012 dont le thèmes est “La foi” est un feu d’artifice d’événements tous plus attirants les uns que les autres. Je ne vais évidemment pas les détailler tous, il vous suffit d’aller sur le site du Festival de Lucerne pour avoir le tout en détails. je vais simplement rappeler quelques moments que vous auriez intérêt à noter dans vos tablettes.

D’abord, l’artiste étoile du Festival est le chef Andris Nelsons, qui dirigera le 3 septembre son orchestre, le City of Birmingham Symphony Orchestra dans la Symphonie n°2, Résurrection de Gustav Mahler, le 4 septembre, le concerto pour violon de Sonia Gubaidulina, et la Symphonie n°7 “Leningrad” de Chostakovitch, et enfin le 5 septembre la Symphonie n°9 de Beethoven . Sont prévues aussi des conversations et des rencontres.

Le cycle du Lucerne Festival Orchestra s’annonce exceptionnel.
Claudio Abbado devait diriger par trois fois, les 8, 10, 11 août la monumentale Symphonie n°8 de Mahler, la “symphonie des Mille” qu’il a si peu dirigée. Il n’est  décidement pas en phase avec cette œuvre monumentale et finalement il a renoncé à la diriger, et propose comme programme alternatif les musiques écrites par Beethoven pour la tragédie Egmont (toutes les musiques) et le Requiem de Mozart  et les 17 et 18 août le concerto pour piano n°3 en ut mineur de Beethoven (soliste Radu Lupu) et la Symphonie n°1 de Bruckner en ut mineur, WAB 101. Entre les deux notons un grand concert choral du Mahler Chamber Orchestra dirigé par Daniel Harding le 9 août (Schubert, “Chant des esprits sur les eaux” D 714, Schumann “Nachtlied”op.108, Schubert, Messe en mi bémol majeur D950), un concert de Maurizio Pollini du cycle “Perspectives”(Lachenmann-Beethoven) le  12 août (et un second le 30 août ) et un concert de Pierre-Laurent Aimard (Debussy, Liszt, Messiaen).

Pierre Boulez animera, à 87 ans, les ateliers de la Lucerne Festival Academy et dirigera le Lucerne Festival Academy Orchestra pour plusieurs concerts: à noter une Master Class de direction d’orchestre autour de Philippe Manoury du 1er au 7 septembre à 10h chaque jour, un atelier autour de deux jeunes chefs d’orchestre, Daniel Cohen et Gergely Madaras, et de deux compositeurs, Benjamin Attahir et Christian Mason, le 1er septembre à 12h, des ateliers préparatoires au concert, autour de Philippe Manoury (le 1er et le 6 septembre), de Jonathan Harvey (le 3 septembre), et de Schönberg (Erwartung, avec Deborah Polaski le 4 septembre) et le concert du  Lucerne Festival Academy Orchestra (Manoury, Harvey, Schönberg) le 7 septembre, d’autres concerts et d’autres ateliers sont prévus avec d’autres chefs, voir le programme détaillé.

Après les cycles et les rendez-vous annuels, notons quelques concerts qui mériteront le détour:
– Un concert le 22 août du GMJO: Gustav Mahler Jugendorchester, fondé par Claudio Abbado, dirigé par Daniele Gatti avec Frank Peter Zimmermann en soliste (Wagner, Berg, Strauss, Ravel)

– le 29 août, l’orchestre et le chœur du Teatro alla Scala dirigés par Daniel Barenboim donnent le Requiem de Verdi avec un quatuor de choc: Anja Harteros, Elina Garanca, Jonas Kaufmann(s’il est guéri), René Pape

– les 1er et 2 septembre 2012, Mariss Jansons et son Royal Concertgebouw Orchestra proposent le concerto pour violon de Bartok (Leonidas Kavrakos, violon), et la Symphonie n°1 de Mahler (Titan), et “le survivant de Varsovie” de Schönberg, la “Symphonie des Psaumes” de Stravinski, “Adagio for strings”, de Barber, “Amériques”de Varèse

– les 14 et 15 septembre, Bernard Haitink dirige le Philharmonique de Vienne dans deux programmes passionnants, le concerto pour violon de Sibelius (Vilde Frang, violon) et la Alpensymphonie de Strauss, puis le lendemain le concerto pour piano n°4 de  Beethoven (Murray Perahia) et surtout la Symphonie n°9 de Bruckner, à ne pas manquer.

Et puis le tout venant: London Symphony Orchestra (Valery Gergiev) le 24 août, The Cleveland Orchestra (Franz Welser-Möst) les 25 et 26 août, les Berliner Philharmoniker (Sir Simon Rattle) le 28 août, le St Louis Symphony le 6 septembre (David Robertson/Christian Tetzlaff), les Münchner Philharmoniker (Lorin Maazel) le 9 septembre, et tant d’autres concerts de chambre ou de solistes, et des rencontres, et des projections cinématographiques.

Eh oui, il FAUT aller à Lucerne!
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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES le 31 mars 2012: Mariss JANSONS dirige le SINFONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (Janáček, Brahms)

Johannes Brahms (1833-1897)
Symphonie n° 2 en ré majeur, Op. 73
Leoš Janáček (1854-1928)
“Messe Glagolitique ”
Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise
Choeur de la radio bavaroise, direction Peter Dijkstra
Tatiana Monogarova, soprano
Marina Prudenskaia, mezzosoprano
Ľudovít Ludha, ténor
Peter Mikuláš, basse
Mariss Jansons, direction musicale
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On va manquer de superlatifs pour décrire la soirée qui vient de se terminer. Que des superlatifs absolus, définitifs, tant ce fut surprenant, impressionnant, neuf. Ce soir c’est de la pure énergie qui a circulé dans l’auditorium du KKL, une énergie optimiste, sûre d’elle, ouverte pour un Brahms d’exception, une énergie animale, d’une force peu commune, pour le Janáček, que,  honte à moi, j’entendais pour la première fois. Le tout dans la perfection technique d’instrumentistes totalement dévoués à leur chef, totalement engagés, totalement immergés dans le flot musical qui a tout emporté ce soir dans la salle en délire.
Par chance, ARTE était là et transmettra le concert le 15 avril.
On a écouté ce soir la symphonie n°2 de Brahms évidemment en écho à l’interprétation  de la symphonie n°4 la veille. Hier, c’était une sorte d’énergie tragique qui circulait dans la salle. Aujourd’hui, c’était une énergie vitale, optimiste, une sorte d’énergie pastorale au sens beethovenien du terme. Ma voisine, une dame largement septuagénaire très émue me glissa à la fin qu’elle avait soixante ans de violon derrière elle et que voir ainsi les cordes se déchaîner lui donnait envie d’aller jouer avec, tant leur énergie était communicative.
Jansons est revenu à la disposition orchestrale traditionnelle, Violons I et II à gauche, violoncelles, altos et derrière contrebasses à droite. Brahms joue en effet sans cesse sur l’épaisseur des sons graves face à celui des violons. On le sent au début très sensible, au son allégé mais à la couleur grave de l’ensemble altos/violoncelles, et aussi au cor, toujours atténué, mais toujours présent, et vraiment exceptionnel. Ce qui frappe dès le départ c’est la clarté, c’est la netteté et la précision des sons, et l’incroyable ductilité des cordes. Quand je regarde mes notes, elles sont remplies de points d’exclamation, notant çà et là l’art de la modulation porté à son sommet, notamment dans le deuxième mouvement, des diminuendi à se pâmer, mais aussi un élargissement progressif des volumes jusqu’à des tutti impressionnants, des phrases musicales qu’on découvre, qu’on n’avait jamais écoutées, ni même entendues, le tout sans aucune aspérité, sans cette scansion nette qu’on entendait la veille. Une sorte de suavité agreste qui surprend notamment dans le début du troisième mouvement, d’une grande fluidité, puis de cette attaque énergique des cordes qui nous transporte,
Dans le dernier mouvement, au début fulgurant qui alterne incroyable énergie et incroyable douceur en un contraste fort et en même temps jamais vraiment choquant, qui baigne  dans une atmosphère  optimiste et généreuse, on passe du dialogue d’un pizzicato et des bois à une reprise plus grave des violoncelles/altos, on lit tous les niveaux de tous les pupitres, rien n’échappe. Quant au final, il est totalement époustouflant, on a le cœur battant, on sort heureux, de cette énergie communicative qu’on a envie de partager immédiatement.
Ce qui frappe dans tout cela c’est  l’extrême construction de ce travail, on le sent dans les crescendos, dans la précision des attaques, dans la perfection instrumentale et évidemment le niveau prodigieux atteint par l’orchestre, sous l’impulsion du chef qui est toujours souriant d’un sourire communicatif et qui déploie une énergie incroyable. La vérité du cœur. A pleurer.
Quel changement! Je me souviens qu’en 1980, jouer Janáček était exceptionnel. A part Jenufa, bien peu d’œuvres étaient représentées ou jouées en concert. Les quelques mélomanes qui s’y intéressaient songeaient à créer une association des amis de Janáček, pour stimuler les organisateurs de concerts ou les directeurs d’opéra. J’ai entendu la Sinfonietta en 1990 lors d’une tournée du Philharmonique de Berlin en Italie, j’ai dû entendre pour la première fois Jenufa en 1982 ou 83. Le paysage a bien changé, heureusement, mais la « Messe glagolitique» reste une rareté. Et c’est vraiment dommage, c’est une oeuvre majeure! Elle est ainsi nommée par référence à l’alphabet introduit par Cyrille et Méthode, est écrite dans un texte qui est une sorte de slavon reconstitué, mais reprenant des éléments (partiels) de la messe en latin. S’affichant résolument slave, la Messe glagolitique est aussi une sorte de manifeste d’un panslavisme revendiqué, à un moment où Janáček, deux ans avant sa mort, n’a vraiment plus rien à faire d’un conformisme politique ou musical. Et disons-le tout net, la Messe glagolitique n’a rien d’une messe, dans sa rutilance, dans sa composition riche et charnue, généreuse, comme l’est toujours la musique de Janáček. C’est une messe, sans doute, mais plus à Dionysos, à la Nature, à l’énergie vitale, au paganisme (en ce sens, on est un peu dans l’esprit du Sacre du Printemps). On dirait aujourd’hui que Janáček déconstruit l’idée de messe, recueillie, intérieure, d’un dialogue intime. Ici c’est une explosion permanente, une sorte de cri rauque vers un Dieu presque agressé qui s’ouvre par une phrase musicale qui rappelle le début tempétueux de la Sinfonietta, auquel l’introduction fait irrésistiblement penser. Même l’orgue est totalement explosif, répétant un motif d’une rare énergie, dans le « Varhany solo » qui précède le final (Intrada). La nécessité de l’orgue fait comprendre d’ailleurs la rareté de cette œuvre dans les concerts (car toutes les salles n’ont pas de Grand Orgue !). Rareté qui serait incompréhensible autrement tant la musique en est puissante, prodigieusement présente, tout en étant à la fois complexe et accessible, une musique aux lointains échos…pucciniens  (j’ai encore le Trittico en tête, et  j’entends des choses lointaines qui pourraient venir de là, je me trompe peut-être, mais je sais que Janáček admirait Puccini). Ainsi pas un seul moment de répit, de repos, car tout est en tension permanente, notamment pour les voix, toujours sollicitées pour dépasser un orchestre monumental. S’en sort merveilleusement la soprano Tatiana Monogarova dont l’attaque dans le Kyrie est meurtrière : toutes ses interventions sont extraordinaires, et extraordinairement tendues. Une voix d’une pureté rare et d’un volume étonnant. A suivre ! Le ténor Ľudovít Ludha est très vaillant mais le timbre très clair le contraint à forcer et il s’en tire avec difficulté, eulement plus à l’aise quand l’orchestre est un poil plus bas. La basse assez connue Peter Mikuláš intervient tard, mais montre dans le Sanctus une assise claire, un très beau timbre et un beau volume qui s’élargit. Marina Prudenskaia pour la partie de mezzo intervient très peu, mais affiche un organe assez somptueux, comme toujours. Un quatuor admirable, même avec les petites réserves exprimées plus haut.
Le chœur de la Radio Bavaroise est sans doute le meilleur chœur d’Allemagne, il le prouve encore ce soir où sa prestation est littéralement prodigieuse, aussi bien dans la puissance que dans les mezze voci, où il est très sollicité, le son est pur, on entend bien le texte (même si on ne comprend  pas le slavon, on entend les « gospodin », les « boje », familiers aux auditeurs de Boris Godounov !), ce chœur a été ce soir simplement formidable.

On s’arrêtera aussi sur la prestation à l’orgue, très présente dans cette œuvre, de l’organiste lettone Iveta Apkalna, toute énergie, qui produit le son monumental voulu dans cette cathédrale laïque qu’est l’auditorium de Jean Nouvel, merveilleusement adapté à cette œuvre par son acoustique très chaude et très réverbérante .
Quant à l’orchestre, on reste stupéfait devant les cordes, on l’a dit, qui sont à la fois précises, nettes, mais aussi subtiles, qui savent adoucir le son jusqu’à l’extrême, mais ce soir c’est surtout le timbalier Raymond Curfs (bien connu des abbadiens, ancien du Mahler Chamber Orchestra, et timbalier du Lucerne Festival Orchestra)  qu’il faut fêter dans Brahms comme dans Janáček : il nous fait comprendre que le « Paukenschlag », le coup de timbale,  est un art gradué, voire subtil.  Un grand artiste ! Très applaudi par le public.

Ce soir, comme le dit très justement le programme de salle, la musique que nous avons entendue est une musique de la vérité, dans sa douceur comme dans sa violence, dans sa rudesse comme dans sa nature. Quel concert!

Chaque concert de Mariss Jansons est à la fois une surprise et un ravissement, on se sentait léger, rempli d’énergie, de vitalité, d’émotion à la sortie, ce fut mémorable ce soir, et hier grandiose: des concerts qui vont rester gravés, et ce soir le concert va bien vite rejoindre ma concertothèque du coeur. A vos cassettes, comme on dit, et rendez-vous le 15 avril, 19h15.
Quant à Mariss Jansons,  à l’orchestre et au chœur de la radio bavaroise, (avec le Tölzer Knabenchor) ils porteront à Lucerne en mars 2013 le War Requiem de Britten. Si le Dieu de Janáček nous est favorable, nous y serons.

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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES le 30 mars 2012: Mariss JANSONS dirige le SINFONIEORCHESTERORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (Beethoven, Bartok, Brahms) avec Vilde FRANG

C’est devenu une tradition: l’orchestre de la Bayerischer Rundfunk (Radio bavaroise) chaque année conclut la semaine du festival de Pâques de Lucerne par deux ou trois concerts (cette semaine, ce sera trois: deux dirigés par Mariss Jansons et un dirigé par Bernard Haitink) dont un concert choral (l’an dernier, c’était une version de concert de Eugène Onéguine, de Tchaïkovski dont j’ai rendu compte. L’été, Jansons dirige la plupart du temps son deuxième orchestre, celui du Concertgebouw.
Après Claudio Abbado, je considère Mariss Jansons comme le plus grand chef actuel: chaque concert alimente pour moi une sorte de “concertothèque” personnelle qui recèle dans les replis de mon cerveau ou quelque part dans mon corps les moments les plus vibrants de ma vie de mélomane. Jansons m’accompagne dans Sibelius, dans Chostakovitch, dans Tchaïkovski, dans Mahler aussi, où il voisine (sans l’égaler cependant dans mon coeur) avec Claudio. J’aime sa manière vigoureuse, engagée, et modeste de diriger, j’aime son art de l’architecture sonore, il fait partie de cette race de chefs qui ne dirigent pas mais qui font de la musique. Et pourtant, il reste discuté, nous avons avec les amis italiens d’âpres confrontations autour de son Mahler ou de son Brahms par exemple, qui sont aux antipodes de notre cher Claudio.
Ce soir, le programme est à la fois assez passe partout (Beethoven/Brahms) et un peu moins (Bartók). L’intérêt en est d’abord la découverte de cette jeune violoniste norvégienne de 25 ans Vilde Frang, lauréate 2012 de la fondation “Crédit Suisse” (75000 CHF de prix+ un concert avec les Wiener Philharmoniker dirigés par Bernard Haitink en septembre prochain) qui donne son second concert à Lucerne, et ensuite l’audition du concerto n°1 pour violon de Bartók, écrit en 1907-1908, découvert en 1956, et créé à Bâle en 1958, soit 13 ans après sa mort.
Dès la première pièce, la très fameuse ouverture pour Leonore III de Beethoven, on sent que le concert sera particulier. Les premières mesures d’une lenteur très marquée favorisent ensuite une explosion sonore qui met en valeur cordes (vraiment extraordinaires) et bois. Dans cette œuvre rebattue, qui fait toujours un énorme effet sur l’auditeur, et qu’on entend moins depuis que les chefs ne la dirigent plus dans Fidelio, on reste stupéfait de l’épaisseur de la pâte orchestrale et en même temps de la clarté du résultat, qui ne laisse rien échapper à l’oreille, rythme, dynamique, science du crescendo, tout est là et cette ouverture qui peut aussi laisser libre cours à une virtuosité née du rythme quelquefois époustouflant qui est imprimé (je me souviens de Bernstein…), est ici remarquable par la concentration qu’elle permet sur chaque instrument, sur la révélation de l’architecture et des différents niveaux instrumentaux. Certes, la fonction est celle de “captatio benevolentiae” avant un Bartók beaucoup moins populaire, mais le son produit est tellement neuf, tellement inattendu, que le public explose.
Le concerto pour violon Sz36 de Bartók est une œuvre écrite en 1907-1908, Bartók a 26/27 ans, il est sans doute tombé amoureux d’une violoniste, Stefi Geyer, qui ne lui rend pas son amour: Stefi est notamment très catholique et il affiche un athéisme agressif et une haine de la bourgeoisie provinciale. Il semble pourtant que cette figure le poursuivra puisqu’il va composer des “portraits” en reprenant ce concerto ou même reprenant le thème de Stefi dans d’autres œuvres.  Le concerto qui dure une vingtaine de minutes est composé de deux mouvements, Bartók avait l’idée d’un finale, mais ne le fera pas. Il envoie le concerto à Stefi Geyer qui le met dans un tiroir et n’en fera rien. Au moment de sa mort, on retrouvera la partition.
Les deux mouvements sont très différents, l’un très élégiaque, assez déchirant, l’autre très acrobatique et virtuose: la jeune Vilde Frang affiche une science du violon exemplaire. La semaine dernière, Isabelle Faust me frappait par la légèreté de son style, par la douceur de timbre et l’abondance de ses “filés” . Vilde Frang en comparaison a un son moins léger, moins aérien, mais l’œuvre aussi le veut, mais une maîtrise impressionnante.
Le début du concerto m’a beaucoup frappé. Il s’ouvre directement sur un long solo, laissé au soliste, alors que peu à peu l’orchestre va intervenir, aux violons I et II d’abord (quatre de chaque), puis à l’ensemble des cordes, puis enfin par les cuivres et les bois. Il en résulte une mélancolie marquée, et un sentiment bouleversant d’intimité. Le second mouvement, très virtuose, qui s’ouvre aussi par une “démonstration” du soliste, m’est apparu plus froid, plus distant, je suis moins rentré dans la musique (qui était donnée pour la première fois au Festival de Lucerne). Il reste que la performance de la jeune soliste est remarquable, elle obtient un grand triomphe, et offre un bis (Bartók!) acrobatique, et très marqué par le folklore. Quant à l’orchestre, on est frappé de la manière dont les cordes sont valorisées (distribuées d’ailleurs d’une manière inhabituelle: de gauche à droite violons I, violoncelles (et derrière contrebasses), altos, violons II, qui construisent ainsi des systèmes d’écho neufs. Magnifique moment, que la deuxième partie (la quatrième symphonie de Brahms) va couronner de manière très personnelle par Mariss Jansons.
J’avais entendu il y a deux ou trois ans son Brahms dans le “Deutsches Requiem” lent et solennel et beaucoup d’amis rappelaient la légèreté aérienne d’Abbado en critiquant le parti pris de lenteur, de solennité de Jansons. Sa symphonie n°4 procède du même parti pris. Abbado est toute fluidité, Jansons propose au contraire une vision beaucoup plus scandée, moins fluide, plus heurtée peut-être, avec un son très charnu, très plein, très “architexturé”. Ne nous trompons pas: son Brahms ici n’est pas massif ni compact et reste aéré, et c’est bien là la surprise. On y entend des choses incroyables, des phrases musicales inattendues, des instants sublimes, il a la beauté paradoxale d’un grand temple dorique, aux formes pures et géométriques, à l’élégance racée, mais aux tambours de colonnes volumineux. On est ni dans l’élégance ionique (Abbado) ni dans le décoratif corinthien (Rattle, insupportable). Une sorte de Brahms primal et grandiose. C’est séduisant, surprenant et cela finit par époustoufler (le début du deuxième mouvement avec cette entrée rêche des cors, et puis la subtilité des autres vents, m’a stupéfié).
Devant le triomphe obtenu, il concède un bis de circonstance, la Danse Hongroise n°1 (avec le voisinage de Bartók, c’était dû!) de la même eau, mais avec en sus une énergie incroyable et peu commune, inoubliable moment.
Il en va ainsi des grands chefs: ils nous prennent à revers, nous surprennent, nous séduisent et nous enlèvent, tel Europe enlevée par Zeus sur son taureau, je me suis laissé porté par cette force vitale qui émergeait de l’orchestre ce soir. Et qu’on ne nous dise pas que l’Orchestre de la Radio bavaroise (que Kleiber aimait tant diriger, et qui fut de Eugen Jochum et de Rafael Kubelik, excusez du peu ) est un orchestre qui viendrait après les grandes formations germaniques: c’est une phalange exceptionnelle, toute dévouée à son chef qu’elle vénère visiblement, aux cordes fabuleuses, avec un flûtiste de tout premier plan. J’ai pris ce soir une onde de choc, de puissance de grandeur. Bref, je suis comblé.

CONCERT DU NOUVEL AN A VIENNE à la TV, direction Mariss JANSONS, le 1er Janvier 2012

Le premier concert du Nouvel An de Mariss Jansons, un chef que je vénère, ne m’avait pas tout à fait convaincu. je l’avais trouvé un peu trop sérieux, un peu trop “symphonique”. Il n’en va pas de même pour ce deuxième concert, en tous points réussi. Ce fut un merveilleux concert auquel j’aurais aimé assister.
Certes, à la TV, il faut accepter la règle du jeu, et les exhibitions, pour moi inutiles du corps de ballet, qui ont une fonction plus touristique qu’artistique (cette année, on montrait le Palais du Belvedere), et le rituel du concert. Cette tradition ponctue nos années et finalement ce n’est pas si vieillot: Vienne est une capitale qui cultive son passé et sa tradition, et c’est justice pour une ville qui fut au début du XXème siècle la capitale de la modernité et le creuset de tant d’innovations musicales et artistiques. Et puis, dans quelle ville d’Europe, Berlin mise à part, peut-on vivre autant d’émotions musicales?
Alors, le concert du Nouvel An est une institution, mais lorsqu’il atteint la qualité dont il a fait montre aujourd’hui, alors, vive les institutions.
Certes, on est toujours frappé de voir qu’à quelques exceptions près, les Wiener Philharmoniker ne sont pas très remués par la parité, il est si rare aujourd’hui de voir des orchestres quasi exclusivement masculins qu’on le remarque immédiatement, mais on oublie tout dès qu’on entend les premières notes, et même à la TV, on est frappé par ce son, et notamment dans ce répertoire où ils sont irremplaçables.

Mariss Jansons a dirigé un programme plutôt original et ouvert, jouant sur la circulation de la musique en Europe, que les Strauß ont abondamment utilisé, composant des pièces à succès à partir d’airs connus de Bizet, de Ponchielli, de Verdi ou d’autres, mais les ballets d’opéra (chez Gounod, ou Verdi par exemple) empruntent aussi rythmes, thèmes et phrases musicales à la musique populaire des Strauß. Cette circulation commence même par l’autoréférence: la première pièce du concert de Johann et Joseph Strauß („Vaterländischer Marsch“) est une variation sur la Marche de Radetsky, qui clôt aussi traditionnellement le concert, même écho (au Danube Bleu) dans la deuxième pièce „Rathausball-Tänze“ de Johann Strauß . On a exploré aussi un répertoire plus rare, élargissant à des compositeurs de l’époque qui ont contribué aussi à la gloire de la valse comme Carl Michael Ziehrer, ou Joseph Hellmesberger d.J. ou même Eduard Strauß. Chez les étrangers, on a entendu en hommage au Danemark, nouveau pays dirigeant l’Union Européenne une pièce du compositeur danois Hans Christian Lumbye et surtout deux extraits de la Belle au Bois Dormant de P.I. Tchaikovsky sublimement interprétés. Ce fut vraiment grandiose. Une grande place a aussi été laissée à Joseph Strauß (5 pièces). Le programme n’a pas  puisé dans des grandes valses attendues, dont certaines avaient été exécutées dans le concert de 2006 (Künsterleben, Frühlingstimmen, Der Zigeunerbaron), mais fait justice à des pièces plus rares, un peu moins connues (encore que…) et surtout sur une variation des rythmes et des danses, Galop, Polka, Polka Mazurka, Valse, Marche. Ainsi c’est une sorte de panorama très ouvert qui nous été offert, et Mariss Jansons, un peu amaigri (on sait qu’il a quelques problèmes de santé), est apparu détendu, plein d’énergie (mais un peu fatigué à la fin cependant), et emportant les Wiener Philharmoniker (et les Petits Chanteurs de Vienne – Wiener Sängerknaben- , apparus deux fois impressionnants de précision dans la Tritsch-Tratsch Polka) dans un vrai tourbillon.  Depuis Kleiber (dont le Danube bleu est insurpassable), ce me semble le meilleur concert entendu. J’avais acheté le Jansons 2006, je pense que j’acheterai le cru Jansons 2012, qui va paraître en quelques jours, comme de coutume désormais. Allez-y aussi sans crainte!

Et bonne année 2012 (Prosit Neujahr, comme on dit là bas!)

LUCERNE FESTIVAL 2012: Quelques concerts à ne pas manquer

 

Le programme du Festival de Lucerne 2012 est paru. Vous pouvez-vous y reporter en allant directement sur le site Lucernefestival.ch. Mais j’aurais tant aimé que le programme annoncé, si attendu,   tant Claudio Abbado avait tardé à se décider, à savoir  la Symphonie n°8 de Mahler pour clore le cycle Mahler du Festival de Lucerne ouvert en 2003 avec une mémorable Symphonie n°2 soit maintenu. Et hélas, Claudio Abbado n’est décidément pas en phase avec cette symphonie et il a préféré diriger un autre programme.

Mercredi 8 août, 18.30, Ouverture du Festival
Vendredi 10 août, 19.30
Samedi 11 août, 18.30
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Chor des bayerischen Rundfunks
Schwedischer Rundfunkchor
Juliane Banse, soprano Anna Prohaska, soprano
Récitant, Bruno Ganz
Maximilian Schmitt, ténor
René Pape, Bass
Direction Claudio ABBADO

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Incidental music to Goethe’s tragedy “Egmont” for soprano, narrator and orchestra, Op. 84

Wolfgang Amadé Mozart (1756-1791)
Requiem in D minor, K. 626 (edition by Franz Beyer)

 

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Vendredi 17 août 2012, 19.30
Samedi 18 août 2012, 18.30

LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Radu Lupu, piano

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Konzert für Klavier und Orchester Nr. 3 c-Moll op. 37
Anton Bruckner (1824-1896)

Sinfonie Nr. 1 c-Moll WAB 101

Direction, Claudio ABBADO

Il semble presque qu’on s’oriente aussi vers une intégrale Bruckner, il a déjà dirigé la 4, la 5, la 7 à Lucerne et il dirigera la 1 en 2012, restent la 2, la 3, la 6, 8 et la 9Faisable s’il est en forme…

 

Dans les autres concerts notables, l’intégrale de Cendrillon de Prokofiev, avec le London Symphony orchestra dirigé par Valery Gergiev, le 24 août, le Requiem de Verdi, avec l’orchestre et le chœur du Teatro alla Scala dirigés par Daniel Barenboim et les solistes Jonas Kaufmann, René Pape, Anja Harteros, Elina Garanca, excusez du peu, le 29 août. Le Concertgebouw dirigé par Mariss Jansons dans deux programmes imbriqués avec ceux du City of Birmingham Symphony Orchestra dirigé par Andris Nelsons (les 1er et 2 pour Jansons, les 3 et 4 pour Nelsons)
1er septembre: Concertgebouw, Jansons, Bartok, Concerto pour violon (Leonidas Kavakos), Mahler Symphonie n°1
2 septembre: Concertgebouw, Jansons, Schönberg, Un survivant de Varsovie, Stravinski, Symphonie des Psaumes, Barber, Adagio pour cordes, Varèse, Amériques
3 septembre: CBSO, Nelsons, Mahler Symphonie n°2, Resurrection (Fujimura, Crowe)
4 septembre: CBSO, Nelsons, Gubaidulina, concerto pour violon n°1 “Offertorium” (Baiba Skride), Chostakovitch, Symphonie n° 7, “Leningrad” .
Et ne pas oublier que Mariss Jansons, avec son autre orchestre, celui de la Bayerischer Rundfunk, conclura le Festival de Pâques de Lucerne (les 30 et 31 mars), que Abbado aura ouvert avec l’orchestra Mozart le 24 mars prochain à 18h30:
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791)
Symphony in C major, K. 425 “Linz”
Concert for violin and orchestra in A major, K. 219 (Soliste Isabelle Faust)
Robert Schumann
(1810-1856)
Symphony No. 2 in C major, Op. 61

Les concerts de Jansons:
Le 30 Mars:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
“Leonore Overture” No. 3, Op. 72a
Béla Bartók
(1881-1945)
Concert for violin and orchestra No. 1, Sz. 36 (Soliste Vilde Frank)
Johannes Brahms
(1833-1897)
Symphony No. 4 in E minor, Op. 98 (1884/85)

Le 31 mars:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
Symphony No. 1 in C major, Op. 21
Leoš Janáček
(1854-1928)
“Glagolitic Mass” (Chor des Bayerischen Rundfunks, Tatiana Monogarova, Soprano, Marina Prudenskaia, alto, L’udovit Ludha, Ténor, Peter Mikulas, basse, Iveta Apkalna, orgue.
Mais à Pâques vous pourrez aussi entendre Nicolaus Harnoncourt, et l’été, j’ai passé sous silence Cleveland Orchestra (Franz Welser Möst), Le Gustav Mahler Jugendorchester (Daniele Gatti) les Berliner Philharmoniker (Sir Simon Rattle), les Münchner Philharmoniker (Lorin Maazel) un concert Vivaldi de Cecilia Bartoli , les Wiener Philharmoniker (Vladimir Jurowski, Bernard Haitink: ce dernier conclura le festival par la Symphonie n°9 de Bruckner le 15 septembre), j’en ai oublié plein dont Pierre Boulez avec le Lucerne Festival Academy Orchestra et Deborah Polaski dans “Erwartung” de Schönberg, ainsi que deux concerts “perspectives” de Maurizio Pollini…Inutile de continuer, vous êtes, je le sens déjà sur le site de Lucerne.
Billets à partir du 16 avril…


 

 

 

LUCERNE FESTIVAL 2011: Andris NELSONS dirige l’orchestre du CONCERTGEBOUW (WAGNER, STRAUSS, CHOSTAKOVITCH) le 4 septembre 2011

 

Royal Concertgebouw Orchestra (Mariss Jansons au centre)
Photo: Simon van Boxtel

 

 

Évidemment, j’aurais secrètement voulu entendre Mariss Jansons diriger son orchestre du Concertgebouw. Mais j’ai beaucoup d’intérêt pour Andris Nelsons, et je suis curieux de l’entendre dans le répertoire le plus large, pour me faire une idée complète de ses talents. Et puis, j’ ai moins l’occasion d’entendre l’orchestre du Concertgebouw que d’autres grandes phalanges: le même jour Pollini et le Concertgebouw à Lucerne, cela ne se refuse pas.
C’est un programme éclectique qu’a proposé ce soir le l’orchestre du Concertgebouw, une première partie brève (25 minutes) faite de l’ouverture de Rienzi de Wagner et de la Danse des sept voiles de Salomé, de Richard Strauss, et en seconde partie la Symphonie n°8 de Chostakovitvch appelée quelquefois “Stalingrad”.
L’ouverture de Rienzi est le morceau le plus connu du “Grand Opéra” de Wagner, interdit de Bayreuth (en 2013, si les financements sont trouvés, Christian Thielemann dirigera Rienzi sous une tente, où seront aussi donnés les autres opéras de jeunesse, les Fées, et la Défense d’aimer, avant le Festival.) On en connaît un enregistrement de référence, dirigé par Wolfgang Sawallisch, chez Orfeo, écho de représentations munichoises. Andris Nelsons dirige avec un tempo plus lent (cette lenteur qu’on a aussi remarqué dans Lohengrin), détaillant l’architecture avec une grande précision, et exaltant les différents niveaux sonores, comme s’il voulait montrer combien le grand Wagner est déjà présent dans cette œuvre appelée le “meilleur opéra de Meyerbeer”, il en résulte une fresque symphonique somptueuse, très rythmée, et très sensible: l’émotion est là, oui, même dans cette musique un peu méprisée.
Un moment éclatant et épique, qui contraste un peu avec le second extrait, la Danse des Sept voiles de Salomé de Richard Strauss, dont Nelsons fait une sorte de suite d’orchestre, très impressionnante. L’absence de scène (et l’on sait que ce morceau est toujours très attendu) amène l’auditeur à se concentrer sur la musique, qui devient sous la baguette de Nelsons, un festival de couleurs, de toutes sortes, loin du décadentisme, et très proche de ce XXème siècle commençant qui va porter très vite à l’Ecole de Vienne. Une vision  très symphonique, diffractée en sons qui explosent, et où les bois éblouissants de l’orchestre du Concertgebouw stupéfient. Moment grandiose.
           Andris Nelsons (Photo Marco Borggreve)

Andris Nelsons est un chef d’opéra, il l’a prouvé là où il est passé, et dernièrement à Bayreuth pour Lohengrin. Il fut aussi le lointain successeur de Richard Wagner puisqu’il eut lui-aussi la charge de directeur musical de l’Opéra de Riga, capitale de la Lettonie, sa patrie. Compatriote de Mariss Jansons, il en fut aussi l’élève (privé), et sans doute sa formation musicale le prédispose à diriger Chostakovitch. En effet, d’une famille de musiciens, lui-même trompettiste dans l’orchestre de Lettonie, il a étudié la direction d’orchestre à Saint Petersbourg, comme les grands musiciens des états baltes, à commencer par Mariss Jansons lui-même, qui fut l’assistant de Evgueni Mravinski au Philharmonique de Leningrad. La tradition interprétative de Chostakovitch part évidemment de Saint Petersbourg et de Mravinski, créateur de la Symphonie n°8 en novembre 1943. Ainsi, Andris Nelsons, formé à l’école de Saint Petersbourg et à celle de Jansons a-t-il sans doute profité de cette grande tradition qui, partie de Mravinski, passe par ses deux assistants successifs Kurt Sanderling et Mariss Jansons. Il était donc intéressant d’écouter un représentant de la nouvelle génération des chefs issus de la tradition petersbourgeoise.
Andris Nelsons est un chef démonstratif, dont les gestes et le corps accompagnent la musique et les rythmes sur le podium, il rappelle bien sur Mariss Jansons, par sa manière de tenir la baguette notamment, et par la manière de se mouvoir, tête, expression faciale, gestes des épaules. Tout concourt à indiquer aux musiciens l’expression, là où chez Abbado tout passe par la main gauche et le visage, là où chez Rattle tout passe par une expression  grimaçante du visage. Cette énergie dépensée sur le podium souligne sa jeunesse (il est né en 1978), mais sa manière de diriger est très différente de celle de Gustavo Dudamel, dont le long passage par l’orchestre des  jeunes du Venezuela, a donné certes beaucoup d’énergie et d’expression du corps, mais surtout une précision du geste et du regard qui doit donner aux orchestres une très grande sécurité. Nelsons, c’est d’abord une boule d’énergie.
Et il faut bien reconnaître que l’interprétation de la Symphonie n°8 fut, évidemment grâce au concours de cet orchestre magique, un immense moment musical, vraiment bouleversant. Cette symphonie, classée parmi les symphonies de guerre (elle succède à la Symphonie Leningrad) n’est pas vraiment une symphonie à programme, même s’il a plu aux exégètes de créer une succession créatrice de sens (n°7 Leningrad, n°8 Stalingrad) puisque le parcours proposé est une vision évidemment tragique de la guerre, mais qui se termine par des rappels de l’adagio initial qui envisagent un apaisement ou un futur plus serein né des victoires de l’armée rouge. Le début décrit une tension entre le drame (contrebasses et violoncelles) et une mélodie presque mahlérienne aux violons. Si les deux premiers mouvements sont bien identifiés, les trois derniers s’enchaînent sans interruption et la symphonie se termine par un allegretto qui mélange des échos tragiques du passé, des mélodies populaires d’inspiration plutôt pastorale, et des rappels du premier mouvement, adagio. Les mesures finales s’abîment jusqu’au silence de notes à peine effleurées. Extraordinaire.
Nelsons ménage de violents contrastes, retient l’orchestre et le fait murmurer (les violoncelles et les contrebasses sont phénoménaux), ou exploser, et sa lecture est d’une très grande clarté, et fait très nettement émerger les architectures, loin d’être une lecture massive, c’est au contraire une lecture très dynamique, qui exalte aussi les sons individuels. Cela permet d’entendre et d’exalter les solistes de l’orchestre et surtout les cuivres et les bois sublimes notamment dans le solo initial pris à un tempo très lent, du dernier mouvement (rappelons pour mémoire que Lucas Macias Navarro, Hautbois solo, est aussi le Hautbois solo du Lucerne Festival Orchestra). La Symphonie ménage des moments très marquants aux solistes de l’orchestre et cela permet évidemment de vérifier que l’Orchestre du Concertgebouw est tout simplement stupéfiant.
Sans diminuer le mérite du chef, on se demande avec pareille phalange si l’on peut faire autre chose que du sublime. Précision redoutable, engagement, mais aussi  très grande simplicité d’approche et de comportements, pas de gestes spectaculaires générateurs d’applaudissements triomphaux, ils jouent, simplement, ils font de la musique avec cette sécurité d’âme que seuls les authentiques artistes possèdent et qui naît sans doute de la tradition musicale hollandaise
Est-ce le plus grand orchestre du monde actuellement comme le disent certains ? Force est de constater qu’à chaque fois que je l’entends (il y a deux ans à Londres dans Mahler, il y a trois mois à Amsterdam dans Tchaïkovski, ce soir à Lucerne), c’est une vraie stupéfaction. La présence à leur tête de Mariss Jansons, chef médiatiquement discret, souriant, chaleureux et humain,  immense musicien, y est sans doute pour quelque chose, et ils ont été  précédemment dirigés pendant des années par un autre chef d’envergure qui fait penser à Jansons par sa discrétion et ses qualités musicales, Bernard Haitink (la relation à Chailly, prédécesseur de Jansons, fut plus contrastée).
Andris Nelsons bénéficie donc à la fois de cet orchestre proprement miraculeux, et de la tradition dont il a hérité par ses maîtres et sa famille: cela donne une soirée marquante, soldée par un triomphe mérité  (standing ovation, longs applaudissements, mais pas de bis…). Il fallait une fois de plus aller à Lucerne ce soir là, le ciel noir au dessus du lac fut illuminé par cette extraordinaire flaque d’éternité.

NB: je vous conseille d’écouter cette symphonie dans l’enregistrement de Jansons dirigeant le Pittsburgh Symphony Orchestra, avec un bonus qui montre Jansons en répétition: vous comprendrez sans doute ce que j’entends par “chef discret, souriant, chaleureux et humain,  immense musicien”.

PS: Après plus de 10 jours, la symphonie de Chostakovitch me poursuit, et j’ai des souvenirs intenses de ce concert. Quelques amis croisés à Lucerne qui ont vu beaucoup de concerts du festival 2011 considèrent que ce dimanche 4 septembre fut le sommet de cette année. Ce fut vraiment un très grand moment. Mes souvenirs recréent l’émotion qui m’a étreint, et même la multiplient.