OPERA DE PARIS 2011-2012: quelques notes sur la saison.

J’ai longtemps hésité avant d’écrire sur la saison 2011-2012 de l’Opéra de Paris. En effet, à première lecture, rien de particulièrement stimulant ne m’apparaissait, à part une reprise de la Veuve Joyeuse avec la grande Susan Graham, un chef intéressant, Asher Fisch, et la mise en scène de Jorge Lavelli (1997), qui y a laissé quelques grands souvenirs (au moins un Faust historique, et un Pelléas magnifique). Pour le reste, parmi les nouvelles productions, un Faust justement, qui succède à celui de Lavelli qui trente ans durant a rempli les salles de Garnier puis de la Bastille, après avoir provoqué un fameux scandale (« bien fait pour Gounod », avait hurlé un spectateur !). Je pense d’ailleurs que la production pouvait encore durer, mais des problèmes de rangement de décor et d’état général avaient contraint à l’abandonner. On a ainsi vu longtemps le fameux palais de verre et de métal, tout construit (il était soudé et impossible à démonter les dernières années) trônant dans l’arrière scène de Bastille. C’est Jean-Louis Martinoty qui va mettre en scène cette nouvelle production, ce qui devrait garantir un travail sérieux et solide, Alain Lombard, autre revenant, la dirigera, c’est une référence pour Faust, qu’il a enregistré jadis, et Roberto Alagna, Paul Gay, Inva Mula et Tassis Christoyannis en composeront la distribution. Succès assuré sur le papier. Une production faite pour durer, tant Faust est un pilier de l’Opéra de Paris, et sans doute faite pour  attirer un aimable consensus.
Avec Violeta Urmana en Leonore de la Force du Destin, j’ai malheureusement plus de doutes. Philippe Jordan dirigera ainsi ce Verdi (un directeur musical se doit de tout diriger, et Philippe Jordan est plus connu pour ses Strauss, et maintenant ses Wagner, que pour ses Verdi : on découvrira donc), Jean-Claude Auvray assurera la mise en scène (là aussi rien que de très habituel dans le genre production de grande série) et Marcelo Alvarez assurera les premières. Notons Kwanchoul Youn en Padre Guardiano et le jeune Nicola Alaimo en Fra Melitone (ah..Bacquier!). J’avoue ne pas être convaincu de certains choix, mais faire Verdi est si difficile aujourd’hui. Tout de même, il y a quelques autres Leonore possibles que Violeta Urmana (elle le chantera aussi à Vienne, et Nadia Krasteva fera Preziosilla dans les deux théâtres) même si en ce moment les vraies Leonore sont rares (et Madame Urmana n’en est pas une).
Manon, production construite pour Natalie Dessay (avec son chef favori Evelino Pido’), et dans une mise en scène de Coline Serreau. Là aussi rien que de très habituel, et pas de quoi fouetter un chat, même si notre Natalie nationale devrait briller. Plus intéressante la création de La Cerisaie de Philippe Fenelon, pour la mise en scène de Georges Lavaudant. Jolie distribution pour l’Hippolyte et Aricie de Rameau (Topi Lehtipuu, Sarah Connolly), pour le reste, à voir (Mise en scène Ivan Alexandre, direction musicale d’Emmanuelle Haim, assez contestée l’an dernier). Une nouvelle (?) production de Cavalleria Rusticana et Pagliacci, avec le tandem Daniel Oren (Direction musicale) et Giancarlo del Monaco (Mise en scène), ce qui nous promet originalité et raffinement…(hum) et enfin une Arabella avec Renée Fleming et Michael Volle, avec l’équipe du beau Capriccio de Vienne (Marco Arturo Marelli pour la mise en scène, Philippe Jordan pour la direction musicale) : cela au moins vaudra sans doute le voyage.
Dans l’ensemble pas de quoi frémir ni pâmer d’aise. Une saison non pas d’artisanat raffiné, mais de grande industrie, visant à remplir la salle, avec son lot de nouveautés, de créations, de grand répertoire standardisé. Il est sûr que les saisons de Mortier, toutes discutables qu’elles soient sur certains choix, proposaient des parcours plus originaux et avaient de quoi intéresser un peu plus. La volonté de recentrer sur certains opéras français (et encore, les plus courus…) ou sur le vérisme est louable, mais alors, demanderait un travail plus approfondi sur mise en scène et direction musicale, pour mettre en valeur ce répertoire. Je continue de penser que confier Francesca da Rimini l’an dernier à Daniel Oren et Gianfranco del Monaco (après un André Chénier ridicule) fut une erreur qui fait ranger l’œuvre dans le vérisme, ce qu’elle n’est pas. L’équipe d’ailleurs semble avoir signé pour toutes les nouvelles productions véristes. Tant pis pour le vérisme hélas.

Les reprises sont toutes honnêtement distribuées, avec leur lot de vrais grands noms, de fausses gloires du jour, et un usage exagéré des faux metteurs en scène modernes (Carsen, Decker), mais on verra avec plaisir Sophie Koch en Venus, Klaus Florian Vogt en Titus (et Stephanie d’Oustrac en Sesto !) Angela Denoke en Salomé, Evgueni Nikitin en Tomski et Galouzine en Hermann. Pour le reste, rien de notable.
On comprend que deux salles à programmer exige un jeu subtil de nouvelles productions, de raretés, de reprises un peu attrape tout. Mais il faut bien reconnaître que la saison 2011-2012 n’a pas grand chose pour stimuler l’intérêt des mélomanes. Ce n’est pas d’ailleurs le seul théâtre d’importance à gérer en bon père de famille le patrimoine maison. Mais vu l’argent englouti par notre Opéra National, on pourrait espérer un travail de programmation un peu plus élaboré. A titre de comparaison, la saison de l’Opéra National de Lyon avec des moyens moins gigantesques, est autrement plus intéressante, plus recherchée, tout en restant populaire et très ouverte : le projet Puccini Plus alliant des opéras en un acte de Puccini et d’autres compositeurs réputés plus « modernes » (Zemlinski, Schönberg, Hindemith) est vraiment une belle proposition !
Certes , on rétorquera que la mission de l’Opéra de Paris est à la fois d’être un conservatoire mais aussi une vitrine aussi diverse que possible composée d’un savant mélange de spectacles devant attirer un public nombreux sans prendre trop de risques. Cette mission-là est sans nul doute remplie. Mais en ce moment, la vitrine est un peu éteinte, et les idées ne sont pas légion. Il est aussi vrai qu’actuellement, mieux vaut « assurer » que se risquer pour des idées…mais alors gare à la routine, même la routine de luxe, la pire de toutes, car elle fait prendre des vessies pour des lanternes.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2010-2011: AKHMATOVA de Bruno MANTOVANI (Dir.mus: Pascal ROPHÉ Ms en scène: Nicolas JOEL) le 2 avril 2011

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Modigliani, portrait d’Anna Akhmatova (1911)

On parle beaucoup d’Anna Akhmatova en ce moment, la poétesse russe est d’ailleurs cette année au programme  de l’agrégation de Lettres modernes (Littérature générale et comparée, permanence de la poésie épique au XXème siècle) et l’Opéra de Paris vient de créer le 28 mars dernier un opéra sur sa vie, musique de Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Paris, livret de Christophe Ghristi.
Pour en savoir plus sur Anna Akhmatova, je vous conseille de consulter le site Esprits nomades qui lui dédie des pages très intéressantes, avec des extraits de ses textes et une bibliographie. L’opéra de Bruno Mantovani pose la question de l’artiste face à l’oppression: Anna Akhmatova a traversé toute l’histoire de la Russie du XXème siècle, croyante, elle fut une bête noire du régime dès ses débuts (son premier mari Nicolas Goumilev fut exécuté dès 1921) et fut bien sûr victime du stalinisme  (son fils a fait 15 ans de travaux forcés), elle partage avec Osip Mandelstam le statut d’icône poétique de la littérature russe du XXème siècle.

L’Opéra a affiché une équipe “maison” pour produire le nouvel opéra de Bruno Mantovani, Christophe Ghristi, directeur de la dramaturgie et de l’édition a écrit le livret, Janina Baechle son épouse a chanté (remarquablement bien) le rôle d’Anna Akhmatova et Nicolas Joel a assuré la mise en scène. Si on peut discuter le résultat musical, le résultat artistique est plutôt positif et satisfaisant, au niveau de la mise en scène (le premier acte surtout) et au niveau du chant: l’opéra de Mantovani est très bien défendu. Certes, la salle n’était pas pleine, mais loin d’être vide, et il n’y a pas eu beaucoup de défections à l’entracte (l’opéra dure deux heures, une heure par partie, avec un entracte de 30 minutes). Est-ce pour cela que l’oeuvre, fusillée par la critique parisienne, passe la rampe ? Malheureusement, pas vraiment. La musique semble extraordinairement monotone, une note tenue, une explosion de son (cuivres percussions),  une note tenue, une explosion de son (percussions, cuivres), une note tenue, une explosion de son (cuivres, percussions), des contrastes marqués, les aigus sont suraigus, les graves descendent bas, les octaves sont béants entre les notes, mais surtout, le texte reste souvent, notamment au premier acte, totalement inaudible, au point qu’on a les yeux rivés sur le surtitrage pour comprendre ce qui est chanté, l’orchestre explosant souvent dès que parle un personnage. Ce n’est pas seulement une question d ‘orchestre d’ailleurs, mais aussi de parti pris d’écriture, le livret étant chanté dans un français très oral, de ce faux oral qui veut faire vrai, alors on mange les finales, on élide à qui mieux mieux les e muets, alors que dans les livrets la plupart du temps tout se prononce tout fait musique ou à peu près, ici, il manque comme des bouts de paroles et cela gène profondément la compréhension générale. Difficulté de compréhension (alors que les chanteurs ont tous une excellente diction) et musique répétitive rendent l’exercice un peu ardu pour le spectateur. Ainsi la partie orchestrale qui clôt la scène IV de l’acte III (sorte d’ouverture de l’oeuvre postposée, comme le dit Mantovani dans le programme de salle) apparaît   interminable et la mise en scène (les bouleaux descendent des cintres un après l’autre) ne brille pas par ses trouvailles. On a lu la fin du livret dans le programme et on attend impatiemment les derniers mots “Seigneur prends moi tout mais que me poursuivent encore cette fraîcheur et ce murmure”.
L’opéra est structuré en “scènes de vie”, des années Staline, des années de guerre, et du post-stalinisme. Le thème, on l’a dit est celui de l’artiste face à l’oppression. Le poète est un “voleur de feu” a dit Rimbaud, et il est clair qu’il est une épine dont tout régime totalitaire aimerait se débarrasser. Mais quand on voit l’oeuvre, ce sont plutôt les relations de la mère à son fils dans un contexte de dictature qui semblent conduire le débat et non l’inverse : le fils, Lev Goumilev, paie sans cesse pour la mère qui est intouchable (elle est célèbre, on lit ses oeuvres sous le manteau, et le régime cherche à la faire taire en atteignant ses proches), et Akhmatova finit par comprendre qu’elle n’a pas su aimer son fils, mettant au dessus de tout sa création et l’écriture. c’est d’ailleurs le sens de la fin, le fils criant son adieu définitif, et la mère retournant à la poésie.

imag0467.1301823127.jpgIl y a dans l’oeuvre des scènes fortes musicalement à commencer par la scène du train très bien réalisée, où Lydia lit des extraits d’Alice au pays des merveilles qu’Anna reprend en corrigeant la traduction, mais aussi la scène des universitaires anglais où Anna Akhmatova récite le bréviaire stalinien pour éviter de créer des ennuis à son fils arrêté, qui  passe bien théâtralement, ainsi que le duo final avec Lev. Si j’ai trouvé la musique répétitive et un peu lassante, la production dans son ensemble reste très attentive, Pascal Rophé a fait un très beau travail avec l’orchestre, important, mais qui sonne tantôt de manière proche de la musique de chambre, tantôt envahit tout en éruption sonore, Mantovani le précise d’ailleurs dans le programme “même si l’orchestre reste fourni, j’ai privilégié un traitement de chambre, qui va bien sûr dans le sens de l’intimité”. Il dit aussi essayer de donner une couleur russe, dans le traitement des choeurs, inspirés de Rachmaninov, ou l’utilisation de l’accordéon. Il dit enfin privilégier les registres graves. Il reste que le spectateur a souvent l’impression d’entendre toujours la même musique, c’est peut-être voulu (comme une sorte de litanie), mais cela n’aide pas à capter l’attention.
Mis à part les observations sur la diction du livret, le spectateur a aussi du mal au départ à situer les personnages, la succession de scènes de vie, indépendantes les uns des autres, l’absence d’une “exposition” fait que les personnages surgissent, interviennent, sans toujours qu’on comprenne qui ils sont. Un exemple: dans la scène de Tachkent, un sculpteur fait le portrait de Faina, l’amie d’Anna, sous le portrait d’Anna par Modigliani, qui est le fil rouge de la mise en scène. Justement, le rouge apparaît comme couleur dominante de cette scène dans une mise en scène Noir et Blanc. On a l’impression au départ, par la position d’Anna dans son fauteuil, qu’elle rêve à ses débuts, à la manière dont Modigliani a fait son portrait et j’ai cru naïvement que Faina figurait Anna jeune, et que le sculpteur était en fait  Modigliani (rien ne laisse apparaître au départ qu’il est sculpteur), je pense que l’ambiguité est voulue par le metteur en scène, mais cela n’alimente pas la compréhension ou la clarté du propos. On suit mieux la seconde partie (un seul acte) car on a enfin identifié chaque personnage et son rôle.
baechle.1301822882.jpgPhoto Elisa Haberer/Opéra National de Paris

Du point de vue du chant, on doit saluer la composition vraiment superbe, somptueuse de Janina Baechle, dont la personnalité scénique donne une présence intense au personnage, avec une voix chaude, ronde, épaisse, jamais prise en défaut (et la partition, pour tous les chanteurs, n’épargne pas les difficultés: aigus, vocalises, écarts), c’est vraiment du grand art. Autre magnifique prestation, celle de Christophe Dumaux, contre-ténor, en représentant de l’Union des écrivains : c’est impeccable, acrobatique à souhait, techniquement sans faille. Pourquoi confier à un contre-ténor ce rôle d’apparatchik? Peut-être une allusion au rôle castrateur de l’union des écrivains, dont le métier est de censurer, peut-être aussi une manière de dire que ces gens on abdiqué toute identité. En tous cas, c’est très réussi.

opera_akhmatova_modilgiani.1301822845.jpgPhoto Elisa Haberer/Opéra National de Paris

Bel engagement de Attila Kiss-B (oui c’est ainsi que cela s’écrit) dans Lev,  belle présence aussi et jolie voix, énergiquement projetée, une mention particulière aux deux amies, Faina, soprano colorature, chanté avec honneur par Valérie Condoluci, et Varduhi Abrahamyan, très beau mezzo soprano, particulièrement intense et tendue dans le rôle de Lydia. L’ensemble de la distribution réunie est d’ailleurs sans reproche.
Le décor très hiératique de Wolfgang Gussmann ne manque pas de grandeur; il permet une grande fluidité dans les passages d’une scène à l’autre et  ne manque pas non plus de force et la mise en scène de Nicolas Joel est souvent belle à voir, avec des scènes très réussies (la scène du train par exemple). Le fil rouge en est le portrait d’Anna par Modigliani, qui représente d’une certaine manière la poétesse-muse, la poésie qui hante, qui domine, qui envahit sans cesse Anna,  même pendant les moments les plus difficiles; c’est ce portrait que le fils détruit symboliquement à la fin, mais dès qu’apparaissent les bouleaux de la scène finale, le portrait se redresse et Anna s’installe, comme au début de l’opéra dans le fauteuil, face à lui. L’art a vaincu le quotidien.
Certaines scènes sont bien réglées (l’universitaire anglais) mais dans l’ensemble la première partie semble plus travaillée que la seconde, où les gestes, les mouvements, sont plus convenus (le réglage de la mise en scène de la fin de la scène IV de l’acte III, accompagnement de la musique, est répétitif et banal). Il reste que dans l’ensemble, exécution musicale, mise en scène et décor sont plutôt à mettre à l’actif du spectacle, et sauvent ce qui dans la musique ne passe pas. D’où un bon succès final.

opera_akhmatova_scene-2.1301822873.jpgPhoto Elisa Haberer/Opéra National de Paris

Au total, il faut évidemment se féliciter que l’opéra redevienne un choix de nos compositeurs d’aujourd’hui. Mais on n’est pas vraiment convaincu par l’oeuvre, même si la production est dans l’ensemble de bon niveau. Il faut néanmoins que les maisons d’opéra continuent de donner commission à des compositeurs. Peter Gelb, manager du MET, veut rompre avec le côté convenu de la création aujourd’hui  et a confié une commande à Osvaldo Golijov, qui va peut-être “casser” le genre. On verra. Il faut cependant que les créations ne tombent pas non plus dans l’oubli, à peine créées. Peu d’oeuvres ont passé la rampe depuis le Saint François d’Assise de Messiaen. Je me souviens de Blimunda, d’Azio Corghi, de Doktor Faustus de Giacomo Manzoni créés à la Scala dans les années 1990, ou même de la Station thermale ou Les Oiseaux de passage de Fabio Vacchi à Lyon du temps de Brossmann et Erlo et de tant d’autres titres, qui eurent à la création un certain succès. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Si on crée pour ne pas reprendre ensuite et donner donc une chance à ces oeuvres, c’est un coup d’épée dans l’eau.

On souhaite évidemment à l’opéra Akhmatova de prendre son envol, mais je me demande si une mise en musique des poèmes d’Anna Akhmatova (Requiem par exemple) n’en dirait pas plus sur la poétesse et le monde qu’un opéra biographique.

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OPÉRA NATIONAL DE PARIS: QUELQUES MOTS SUR LA SAISON 2011-2012

Construire une saison, c’est établir un savant équilibre entre nouveautés et répertoire, entre mises en scènes hardies et visions traditionnelles, entre musiques qui captent le public et oeuvres plus difficiles, entre grands standards et petits diamants, garantissant pour chaque opéra une distribution de bonne facture, et pour certaines oeuvres des stars qui vont attirer le public et donner la couleur de l’ensemble de la saison, c’est aussi donner sa part à chaque répertoire, allemand, italien, russe, français.
Nicolas Joel en ouvrant sa première saison par Mireille, voulait affirmer une couleur:  le retour du répertoire et des chanteurs français dans les distributions. Cette saison réaffirme cette option originelle puisqu’on retrouve de grandes oeuvres du répertoire national dans les nouvelles productions, à commencer par Faust, mais aussi Manon, et Hippolyte et Aricie, et dans les reprises, Pelléas et Mélisande, L’amour des trois Oranges (dans la mesure où la version originale est en français) mais aussi Orphée et Eurydice de Gluck-Pina Bausch et Roméo et Juliette de Berlioz-Sasha Waltz ballets composés à partir d’oeuvres lyriques. Soit un total de 7 oeuvres sur les 21 spectacles lyriques proposés.
En proposant deux nouvelles productions Faust et Manon, offrant un écrin à deux vedettes nationales, il réalise une opération médiatique: une n’aurait-elle pas suffi? Notre Opéra national avait-il si vite besoin d’une Manon et d’un Faust, quand les Huguenots attendent depuis plusieurs dizaines d’années?
En ce qui concerne production et distribution, Faust est confié à Alain Lombard, qui fait son grand retour dans la maison (qu’il a dirigée avec Paul Puaux pendant un an après le départ de Bernard Lefort) avec un de ses chevaux de bataille. Son enregistrement de Faust (Caballé, Aragall, Plishka) tant salué par la critique  à sa sortie, n’a pas vraiment résisté au temps, mais Lombard reste un des bons chefs pour cette oeuvre. La production aura la rude tâche de succéder à celle, légendaire, de Jorge Lavelli restée au répertoire plus de 25 ans après des débuts difficiles (grèves, scandale: “bien fait pour Gounod” avait hurlé un spectateur heureux à la première…) et elle sera confié à Jean-Louis Martinoty, grand professionnel dont les interprétations mozartiennes qu’il est en train de présenter à Vienne semblent rencontrer l’assentiment. Faust sera Roberto Alagna, prophète en son pays, et Marguerite Inva Mula, qui ne m’avait pas vraiment convaincu en Mireille. Gageons un succès assuré.

Manon est confiée à Evelino Pido’: il est hors de doute que c’est un très bon chef d’opéra qui accompagne d’ailleurs beaucoup Natalie Dessay. Est-ce la raison de ce choix surprenant? Pido’ est plus habituel dans le bel canto. Et Colline Serreau fait la mise en scène, en espérant que le succès du Barbier de Séville (reproposé lui aussi dans la saison) soit renouvelé.
Rien de décoiffant tout de même dans ces choix.

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Hippolyte et Aricie à Toulouse: Jennifer Holloway : Diane / Jaël Azzaretti : L’Amour / François Lis : Jupiter © Patrice Nin

Hippolyte et Aricie est une reprise de la production de Toulouse de 2009, avec Emmanuelle Haim et son concert d’Astrée (dont la prestation cette année dans Giulio Cesare n’a pas fait l’unanimité) pour la musique et Ivan Alexandre, pour la mise en scène. Il a fait un travail de reconstitution qui sans nul doute produira un certain effet dans l’écrin somptueux du Palais Garnier,  notamment avec Anne Catherine Gillet, déjà  Aricie à Toulouse, et Topi Lehtipuu qui devrait être magnifique dans Hippolyte .

La location de la production de Jean-Pierre Ponnelle de La Cenerentola (celle de Munich, pas celle de la Scala) permet de l’afficher comme une sorte de création (“première présentation à Paris”) elle est montée par Grisha Asagaroff qui suit souvent les mise en scènes de Ponnelle (décédé en 1988) encore affichées (les très grandes remontent généralement aux années 70): elle est dirigée par le plus grand spécialiste de Rossini (Claudio Abbado exclu, puisqu’il ne dirige plus de Rossini hélas…), à savoir Bruno Campanella. Nul doute -comme ne manquera pas de le dire la presse, c’est en effet l’expression consacrée pour Campanella-  cela pétillera-t-il  “comme du champagne”. A l’affiche Karine Deshayes, victoire de la musique classique, une des bonnes Angelina du jour.

Une création,  “La Cerisaie” de Philippe Fenelon, en coopération avec le Bolchoï et en langue russe, est confiée à Tito Ceccherini, un très bon chef pour la musique contemporaine, et dans une mise en scène de Georges Lavaudant, une des gloires de la mise en scène française qui revient à l’Opéra de Paris après un lointain Roméo et Juliette de Gounod (des années Lefort). Ce pourrait être intéressant, l’équipe est de qualité et une création est toujours une belle occasion.

Venons-en maintenant à ce qui constitue pour moi le noyau dur des nouvelles productions de la saison, à savoir, La Forza del Destino, Cavalleria Rusticana et Arabella.

La Forza del Destino revient à l’opéra, dans une production de Jean-Claude Auvray: il fit notamment à Paris dans les années 80 une Tosca -avec en 1984 sous la direction de James Conlon, Pavarotti/Behrens/Bacquier- restée dans les mémoires car Pavarotti en s’asseyant y rompit une chaise et parce que, tout de même, le duo ne manquait pas de chien!
La direction musicale confiée à Philippe Jordan, permettra d’écouter le directeur musical dans un répertoire où on le connaît peu. Mais nul doute que la prestation sera digne d’intérêt. La distribution propose Violeta Urmana, Marcelo Alvarez, Vladimir Stoyanov et Kwanchoul Youn, c’est à dire un ensemble solide mais qui ne fait pas forcément rêver: relèveront-ils le défi verdien?

Pour Cavalleria Rusticana et Pagliacci, Nicolas Joel est  allé chercher en Espagne une production de Giancarlo del Monaco dirigée par Daniel Oren: Le Canard Enchaîné titrerait “Les apparentements terribles”. Appeler cela une nouvelle production est un peu excessif, comme pour Ponnelle, on pourrait l’appeler “Première présentation à Paris”…N’ironisons pas. Rien à dire de ce choix inutile. Une distribution solide, sans grande imagination (Urmana, Giordani, Galouzine, Mula). Et une direction et mise en scène sans surprise, hélas…

Enfin, Philippe Jordan a dû vouloir réitérer le succès de la belle production de Capriccio qu’il a dirigée à Vienne, magnifique spectacle de Marco Arturo Marelli avec Renée Fleming. Dans cette Arabella qu’il va diriger et que Marelli va mettre en scène, la présence de Renée Fleming et de Michael Volle en Mandryka nous promet une magnifique soirée straussienne.
Sans nul doute, des huit “nouvelles productions” (dont tout de même trois sont déjà anciennes…), c’est celle qui me paraît la plus riche de potentialités. Le reste, sans être inintéressant, reste de la grande série, sans chefs vraiment stimulants (sauf Jordan), avec des distributions certes solides, mais pas exceptionnelles.

Les reprises ne font pas trop rêver non plus. Une Lulu sans grande nouveauté, même avec Laura Aikin, vue à Lyon et à la Scala dans le même rôle et avec Michael Schoenwandt qui n’est pas un mauvais chef, un Rigoletto de répertoire, certes avec Machaidze et Beczala, mais globalement sans intérêt, un Tannhäuser dirigé par Mark Elder, (qui ne dura qu’une saison à Bayreuth dans les Maîtres chanteurs jadis…) pour les débuts de Nina Stemme, une Salomé dirigée par Pinchas Steinberg, même avec Angela Denoke, ne me paraît pas d’un intérêt majeur. Il reste tout de même çà et là des éléments qui peuvent exciter nos papilles avides, Adam Fischer est un bon chef pour Clemenza di Tito et Klaus Florian Vogt dans Titus ne manque pas d’intérêt, Pelléas et Mélisande et Don Giovanni promettent, grâce à Philippe Jordan dans les deux oeuvres, grâce à Stéphane Degout dans Pelléas, et grâce à la production de Don Giovanni de Michael Haneke (le duo Petibon/Gens devrait y faire des étincelles scéniques). Oui, la reprise des chorégraphies de Pina Bausch (Orphée et Eurydice) avec Hengelbrock au pupitre et Sasha Waltz (Roméo et Juliette) sont de bonnes initiatives aussi. Les autres reprises (L’amour des trois oranges, Dame de Pique, Barbier de Séville) ne déparent pas, mais ne déchaîneront sans doute pas  les passions.
A mon avis, de toutes les reprises, la plus digne d’intérêt me paraît “La Veuve Joyeuse” de Lehar, avec la grande Susan Graham et Bo Skovhus, d’autant que l’israélien Asher Fish est un chef à suivre. Réservez la dans vos agendas.

Que dire au total? La saison est loin d’être indigente, loin d’être indigne et donnera sans doute l’occasion de bonnes soirées lyriques.
Mais tant dans les nouvelles productions que dans les reprises, je ne peux m’empêcher de lui trouver un manque d’imagination, que ce soit dans les distributions, souvent solides, mais jamais vraiment excitantes, et surtout dans le choix des chefs: à part Philippe Jordan, aucun me paraît susceptible de donner une vraie couleur, une vraie originalité à une soirée. On peut dire qu’il est difficile de saisir au vol des chefs, retenus souvent des années à l’avance, qui n’aiment pas toujours diriger des reprises etc…, ou qui limitent leurs apparitions à l’opéra; il y a aussi des chefs importants qu’on n’a jamais vus à l’opéra de Paris (Haitink…Metzmacher…Gatti…),et il y a plein de chefs plus jeunes ou très jeunes qui font une brillante carrière, ou qui ont été remarqués (Mikko Franck, Andris Nelsons, Gustavo Dudamel, Kirill Petrenko, Nicola Luisotti, Robin Ticciati, Omer Meir Wellber pour les plus en vue). On a bien trouvé le jeune Tomas Netopil pour Katia Kabanova, on pourrait bien en trouver d’autres!
Quant aux mises en scènes, elles sont pour la plupart confiées à de vieux routiers, qui ont déjà tout dit (ou trop dit, comme Gianfranco del Monaco) et il n’y a pas là non plus d’exploration de territoires moins connus. Tout cela est à la fois solide (Nicolas Joel est un grand professionnel, c’est évident) mais reste un peu fade, un peu plat, un peu gris. On peut le regretter. Il ne s’agit pas de secouer le cocotier à chaque production, mais on aimerait le voir secoué un peu plus…

OPERA NATIONAL DE PARIS, Opéra Garnier: MIREILLE, de Charles GOUNOD (Dir.mus: Marc MINKOWSKI, Ms en scène: Nicolas JOEL) le 2 octobre 2009

Décevant!

En ouvrant sa saison et son règne par Mireille, de Gounod, Nicolas Joel voulait annoncer une direction nouvelle: rédécouverte d’une oeuvre un peu oubliée, large appel aux chanteurs français, fin du Regietheater, enfant chéri de l’ère Mortier. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il a assumé lui-même la mise en scène, alors qu’il avait lui-même annoncé qu’il n’enferait pas à Paris. Il aurait mieux fait de s’en tenir à sa déclaration, à mon humble avis.

Le résultat de ce pari est donc mitigé, plus convaincant musicalement que scéniquement. La distribution de cette Mireille est très honorable sans être étincelante. Le plus marquant, c’est le plus ancien, le vétéran Alain Vernhes, dont la voix de basse sonore sied parfaitement au rôle de Ramon, le terrible père  de Mireille. Il est pleinement convaincant, campe un personnage juste, remplit l’espace scénique. Vraiment au-dessus des autres, dans la composition, comme dans le chant, qui a  le volume voulu. Tous les autres sont à leur place, dans tous les rôles, grands ou petits, avec une note particulière pour Anne-Catherine Gillet et la Taven de Sylvie Brunet . Frank Ferrari est un Ourrias très correct qui manque cependant d’éclat.

Quant aux protagonistes, ils sont eux aussi sans reproches au niveau du chant et de la technique. Charles Castronovo prononce le français à la perfection, chante avec la douceur voulue, le timbre est joli, la voix est bien placée. Mais ce chant reste un peu appliqué, et la voix manque un de volume et de projection. Le volume est aussi le problème de Inva Mula, souvent émouvante au demeurant, qui rencontre quelques problèmes dans le suraigu, la voix se montrant très tendue, à la limite de ses réserves; son timbre un peu clair pour mon goût dans ce rôle nuit à la force dramatique, qui en souffre. N’est pas Freni (qui l’a enregistré, mais n’a pas voulu le proposer sur scène) qui veut.

Il reste que cette musique nous touche, notamment dans la seconde partie (3ème au 5ème acte), avec de superbes moments (le troisième acte), où le mélodiste Gounod sait atteindre l’auditeur. La direction musicale, hélas,  ne stimule pas l’émotion. Marc Minkowski ne me paraît pas diriger cette oeuvre avec la sensibilité voulue, le son reste sec, le lyrisme absent, même si techniquement tout est très au point.

Mais le vrai problème de ce spectacle, c’est justement le spectacle. Ezio Frigerio conçoit un décor et Franca Squarciapino des costumes comme toujours soignés, soulignés par des éclairages subtils de Vinicio Cheli (ah, le lever de soleil au IVème acte). Mais ce décor n’est qu’une image plaquée, il n’a aucune fonction dramaturgique, On ne décèle aucune invention non plus pour les scènes plus mystérieuses  du Val d’Enfer, ni  du Rhône, qui est rendue de façon un peu ridicule d’ailleurs. Car toute la mise en scène se joue au premier plan, avec des entrées et des sorties toujours latérales, sans aucune utilisation de l’espace en profondeur, alors que l’évocation du désert de la Crau pouvait être mieux soulignée que par un ciclorama, cette absence de spatialisation scénique fait perdre à l’oeuvre de la respiration. Les choeurs (solides) sont disposés comme aux pires soirs de l’opéra de papa, le provençal devient pacotille, et les chanteurs font comme ils peuvent, car il n’y aucune direction d’acteurs, sauf quelques gestes çà et là, d’ailleurs bienvenus.

Il en résulte des moments de notable ennui, et un spectacle illustratif qui ne nous dit rien de Mistral, rien de la Provence, rien de cette liaison entre réel et surnaturel (il ya un peu de Freischütz dans cette ambiance), aucun mystère nocturne, Taven est bien peu sorcière (même si le passeur ressemble à la mort, Ah, merci Charon!)  au point qu’on finit par se demander pourquoi Mireille meurt, ce qui est quand même un comble .

C’est dommage, l’oeuvre pouvait être portée par une autre vision, pas forcément plus novatrice, mais sans doute plus sensible et plus habitée. Ici c’est l’indifférence qui essaie de mettre en scène la sensibilité, avec le résultat qu’on peut craindre…

On ne peut néanmoins que se réjouir de voir un certain répertoire un peu méprisé aujourd’hui revenir sur le devant de la scène, mais doit-on se réjouir que des millions de téléspectateurs aient vu un spectacle poussiéreux dès la première, confirmant les pires poncifs qui circulent sur l’art lyrique?

Pour mon goût, si je pense que le retour à l’Opéra d’oeuvres françaises (ou en français) oubliées, est une excellente initiative, (verra-t-on un jour Lodoiska de Cherubini, le plus grand succès de la révolution française, deux cents représentations!), j’aurais bien préféré comme inauguration en grand style d’une saison et d’un règne, voir Les Huguenots de Meyerbeer revenir à Paris. Attendons donc mieux.