« Einmalige Experimentalfassung in der musikalischen Adaption von Martin Lowe. »
» Version expérimentale unique dans l’adaptation musicale de Martin Lowe. »
Voilà le sous titre de la performance à laquelle nous avons assisté au Festival de Salzbourg, dans une Felsenreitschule archi comble.
Il y a derrière la singularité de l’expression quelque chose qui ressemble à un aveu d’échec. En effet, quel intérêt à souligner que la version ne sera jouée qu’une fois, qu’elle est expérimentale etc…sinon pour parer à la critique et pouvoir répondre dans un sens politiquement correct sur la forme et non sur le fond.
Il y a dans l’entreprise une triple erreur :
- la première est de faire de Dreigroschenoper un musical quand la musique originale elle-même est un entre-deux. On est dans la parodie de la parodie, dans la réécriture de la réécriture.
- la seconde est de faire une mise en scène en somme classique, qui ne tient pas compte de l’ambiance musicale, bien faite, mais sans la vivacité que le musical apporte
- la troisième déjà soulignée dans mon texte sur la Comédie des erreurs, est qu’on ne peut avoir deux mises en scène qui réfèrent directement à l’univers du musical, comme si c’était la seule alternative possible à un théâtre de texte et de « Regie ».
Le résultat est un ensemble sans intérêt, mal porté par les artistes un peu perdus, où l’on est ni satisfait de la musique, ni de la scène, ni de l’ensemble. Mais c’est « expérimental » n’est-ce pas et tout est pardonné.
Décidément, Kurt Weill n’a pas de chance à Salzbourg, Mahagonny en 1998 avait été accueilli froidement et ce n’était pas la meilleure des productions Mortier (Peter Zadek), et cet Opéra de Quat’sous ne durera qu’un été (c’est écrit ci-dessus), puis sera oublié. C’est d’autant plus rageant que Dreigroschenoper n’a jamais été joué à Salzbourg et qu’une version concertante dirigée par HK Gruber appuyée sur l’édition révisée de la partition en 2000 en est donnée à la Felsenreitschule le 15 août avec une autre distribution, comme pour compenser.
Avant de faire une expérience aussi étrange, il eût peut-être été plus habile de présenter une version scénique authentique de l’œuvre, y compris avec Julian Couch comme metteur en scène se coltinant la musique originale et n’imposant pas une version abâtardie et inutile. C’est juste si on n’a pas demandé au public de reprendre la complainte de Mackie Messer (Die Moritat von Mackie Messer) qui clôt comme un adieu de la troupe la soirée après les applaudissements.
Le titre Mackie Messer fait allusion au surnom du personnage principal Macheath dit Mackie le couteau (Mackie the Knife, Mackie Messer), en français le couteau qui poignarde s’appelle un « surin », ce serait donc Mackie le Surin ou Mackie le surineur. Il est probable que ce nom apparu dans The Beggar’s Opera (John Gay, 1728) qui est la source de Kurt Weill et Bertolt Brecht soit un jeu sur Macbeth, tant le personnage est noir.
En recentrant sur le « héros » de cette histoire, un héros des bas fonds, criminel, voleur, mais séducteur et beau parleur, qui aspire quand même « à se ranger », on aurait pu penser que la mise en scène le mettrait plus en valeur. Certes, il apparaît bien comme le personnage principal, ne serait que par son costume un peu élégant par rapport aux autres personnages, mais sans excès, sans en tous cas être une sorte d’Arsène Lupin des profondeurs élégant et raffiné, ni être une brute épaisse : il a l’air d’un héros mais n’a rien d’un héros : jusqu’à la fin, il ne se repent pas et ne travaille qu’à son compte et intérêt. C’est justement une des marques de l’œuvre que de sauver par un ridicule deus ex machina un type qui au fond ne vaut même pas la corde avec laquelle il ne sera pas pendu. Il s’agit de mimer le théâtre traditionnel et bourgeois en en ridiculisant les mécanismes et en jouant sur les diverses réactions de spectateurs. Dans ce remake qui lui est consacré, l’interprète (Michael Rotschopf) ne m’a pas semblé faire preuve d’une personnalité scénique forte, un peu monotone, et un peu pâlichon.
Bien plus caractéristique le Peachum de Graham F.Valentine, à la diction marquée (bien qu’il soit écossais, mais formé à Zürich et Paris) ce qui est si important dans cette œuvre. Peachum, l’opposé de Mackie, laid, vieilli, est un horrible ( qui ressemble ici à un vieux juif, à un Shylock version XIXème) qui habille sa laideur morale en conformisme bourgeois : on lit la bible, on est bon citoyen, pour faire une digne couverture aux affaires qu’on conduit (gérer la population des clochards et des mendiants de Londres, comme un maquereau gère ses putes).
Graham F.Valentine fait plus vivre le personnage (c’est aussi le cas de sa femme, la plantureuse Pascal von Wroblewski un peu plus attendue cependant). Quant à Polly Peachum, de jeune fille tendre et naïve au départ, elle profite du contact avec son mari Mackie pour se durcir et devenir en son absence chef de gang : elle gagne en maturité au contact de la pègre.
L’interprétation de Sonia Beisswenger est assez intéressante, sans être renversante, là aussi marquée par le conformisme qu’on lui demande. Il reste le Brown de Sierk Radzei, lointain parent d’un des gendarmes de Saint Tropez, assez vivant et bien caractérisé et la Jenny de Sona Macdonald, qui chante avec élégance la balade de Mackie pendant le prologue.
Dans ce petit monde où le chef des bas fonds est le rival du chef des gangsters, dont l’ami est le chef de la police, la morale dite bourgeoise en prend un coup : ironie, sarcasme, cynisme, intérêts guident les personnages : « l’opérette » est noire.
De tout cela, la mise en scène de Julian Crouch ( auquel s’est rajouté Sven-Eric Bechtolf) révèle bien peu, elle reste en superficie, préférant évoquer l’Angleterre victorienne de Sherlock Holmes, la reine Victoria, Jack L’Eventeur et Oliver Twist, avec une vision d’images d’Epinal des bas fonds londoniens, sans vraiment cultiver l’ironie (même si elle affleure çà et là) de l’entreprise de Brecht, dont le Londres est bien mâtiné du Berlin-république-de-Weimar.
Dans cet espace sans dégagement ni coulisses (les dépôts se trouvent sous les gradins) d’une grande largeur (40m), on note quelques trouvailles ingénieuses pour changer les décors (portés par des « mendiants » machinistes). Déposés latéralement ou contre les arcades, les décors apparaissent comme des remises, des espaces laissés pour compte et donnent l’impression de bas fonds, mais le trompe l’œil (les canapés !) les fausses perspectives, font de l’ensemble bien plus une imagerie presque naïve de livre d’enfant qu’un décor.
Les échelles formant barreaux de la prison de Macheath sont une assez bonne idée visuelle qui ne change rien au fond. Les arcades de la Felsenreitschule sont peu utilisées, sinon pour quelques projections vidéos ou en ombre chinoise et quelques éclairages colorés, mais exploitées de manière très limitée : le lieu n’est pas pris en considération et c’est un peu dommage.
Ainsi se trouve-t-on pris dans une contradiction : ce qui fait le sel de l’œuvre, son ironie, son ton, la diction des lyrics disparaît sous un conformisme qui range, un comble, cette œuvre anti-culture bourgeoise dans un genre plus ou moins touristique adapté au désir du touriste argenté qui fréquente le lieu. Dans ce décor, un musical comme Les Misérables (à quand ?) aurait pu trouver place sans y changer grand chose. Quant à la musique, que les producteurs ont voulu plus adaptée à nous, moins marquée par le style Weimar (qui est pourtant toute l’œuvre), elle est sans saveur aucune: quelques coups de batterie, quelques effets d’une affligeante banalité (arrangement par Martin Löwe, qui a à son actif Mamma Mia…), au point que chacun se demandait pourquoi avoir voulu faire cette « expérience ». Si encore la charge contre le théâtre bourgeois, avec ses incohérences (le livret n’est pas toujours un modèle de linéarité ), son Deus ex machina improbable (certes ils sont tous improbables, mais celui-là récompense un bandit en l’ennoblissant sans qu’à un seul moment il y a eu regret ou repentence) avait été souligné au-delà d’une gentille ironie de théâtre pour enfant (l’entrée de Brown sur son cheval à la fin), si le ton et les accents, la diction et l’expression avaient été l’objet d’un soin particulier, on aurait pu sauver l’entreprise, mais dans ce travail, je ne vois pas véritablement d’intérêt ni à l’entreprise, ni au résultat.
Car on peut parfaitement travailler les classiques sous forme d’entertainment, pourquoi pas, mais est-ce le lieu ? et si c’est le lieu, ce produit-là est en dessous de l’attendu, monotone, sans grandes idées, sans mise en scène, sans travail de l’acteur puisque chacun parle comme l’autre, avec les gestes convenus et les mauvaises habitudes ; certes il y a quelques moments bien réalisés comme les géants, ou comme les ombres chinoises qui suivent pas à pas la complainte de Mackie Messer en l’illustrant, mais au-delà, il ne se passe vraiment rien, aucun caractère n’émerge, aucune idée de fait tilt dans la tête du spectateur. Le résultat, bien des départs à l’entracte et un bon succès mais rien de terrible à la fin où les spectateurs cherchent à filer au point qu’il sont surpris lorsque la troupe entonne la complainte de Mackie Messer en guise d’adieu. Weill méritait mieux, même si certains s’y sont cassé les dents (Strehler). C’était un Opéra de quat’sous qui ne les valait pas.[wpsr_facebook]