HARO SUR LE REGIETHEATER (1) AUX RACINES DE LA MISE EN SCÈNE

Le décor de Siegfried, Acte I © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Deux longs textes, qui essaient de faire le point de manière un peu approfondie sur la question toujours très discutée de la mise en scène à l’opéra, de son sens, et de la manière dont au milieu du XXème siècle on a commencé non à penser à cette question – la question dramaturgique est débattue depuis les origines-, mais à donner au metteur en scène ès qualité une place de plus en plus éminente dans le spectacle d’opéra. En témoigne un récent article dans Les Echos[1].
Il n’est pas question ici de commenter telle ou telle mise en scène, mais d’essayer, au-delà des noms, de réfléchir aux raisons (qui viennent de loin) de l’arrivée des metteurs en scène, notamment ceux venus du théâtre, dans le monde de l’opéra, et à ce que signifie « Regietheater », un terme générique dont on affuble toute mise en scène tant soit peu « actualisée », alors que la question est vraiment bien limitée dans le temps. Car si l’opéra est l’art qui s’ouvre le plus tard à la mise en scène, il est aussi paradoxalement celui qui à travers les réflexions de Richard Wagner, amène historiquement la question de la mise en  scène à la fin du XIXème sur la scène du théâtre parlé. C’est ce parcours complexe, ici forcément simplifié que le premier texte veut éclairer.

Le deuxième texte s’interrogera sur les questions de réception du théâtre «  de mise en scène », sur les contradictions et les ignorances souvent du public traditionnel d’opéra, et sur certaines idées reçues qui ont la vie dure à travers l’exemple du “Regietheater”.

 

Aux racines de la mise en scène

La production de Don Carlos par Krzysztof Warlikowski a été abondamment huée à la Première par le public de l’opéra de Paris, jamais en reste en la matière. Et toujours çà et là lit-on des remarques peu amènes sur le rôle excessif des metteurs en scène à l’opéra. La popularisation de la question de la mise en scène à l’opéra est récente, et remonte tout au plus aux années 1950, auparavant, elle restait peu ou prou question de spécialistes et de théoriciens. Cette question s’est posée auparavant au théâtre parlé, – le mot apparaît au début du XIXème – et dès la fin du XIXème avec André Antoine poursuivie en France par Jacques Copeau, Louis Jouvet, Antonin Artaud et d ‘autres, Bertolt Brecht en Allemagne, Meyerhold en URSS, mais provient des mêmes sources, à savoir essentiellement les réflexions de Richard Wagner sur la représentation du drame musical, notamment (mais pas seulement) dans Opéra et Drame et Une communication à mes amis, ouvrages qui remontent au début des années 1850, que les premiers théoriciens de la mise en scène ont lus.

Si la réflexion dramaturgique sur le théâtre est ancienne (elle remonte en France au XVIIème et traverse le XVIIIème), la question de la représentation globale et organisée du drame n’a pas deux siècles.

La question de l’espace

  1. Le drame et la scène

Les réflexions dramaturgiques de Richard Wagner ont recentré la question du drame musical autour de trois notions :

  • L’espace
  • Le texte
  • La musique

La question de l’opéra se limitait jusqu’alors à la musique et au chant, le reste étant exclusivement fonctionnel : la notion d’espace existait peu sur des scènes aux décors peints éclairés à la chandelle, et le texte était issu d’un livret qui servait souvent à plusieurs opéras sans que son importance ne soit toujours déterminante au niveau littéraire.

Wagner était au contraire profondément persuadé que la question du texte et la question du drame étaient liées, et que la nature du texte déterminait la nature de la musique (cf Meistersinger), et que le tout devait faire théâtre, d’où sa volonté de construire un théâtre inspiré des formes antiques où le regard était concentré sur la scène, avec un texte audible et clair, et où la musique le laissait entendre clairement. Ne distraire en rien le regard de la scène, c’est bien le credo réalisé à Bayreuth. Ainsi le débat fameux immortalisé par Capriccio de Strauss prima la musica ou prima le parole en prend-il un sérieux coup : c’est l’ensemble qui fait drame musical.
Cette vision wagnérienne se dressait contre une vision de l’opéra conçu comme mondanité et distraction où les théâtres étaient d’abord des lieux de rencontre sociale, où certaines loges ne permettaient pas de voir la scène mais la salle, et où sur scène prévalait la performance individuelle plus que l’économie générale du drame.

Déjà Gluck en son temps avait remis en cause la notion de performance du chanteur, et l’histrionisme qui consistait à satisfaire la soif d’acrobaties vocales du public, et l’ère du bel canto au XIXème continua la tradition.
Le théâtre de Bayreuth qui concentre le regard sur la scène et qui ne le distrait pas par des décorations chargées et des dorures excessives, prépare un théâtre de mise en scène, où la représentation du drame (=ce qui se passe) est centrale : c’est ce que dit la notion de Gesamtkunstwerk, d’œuvre d’art totale où chaque élément (musique, texte, scène) compte. D’ailleurs, les salles d’opéra construites après 1950 sont des salles à vision essentiellement frontale, même si aucune salle n’a adopté la fosse invisible (c’était prévu initialement à Bastille, mais cela a fait long feu). La présence de la fosse d’orchestre avec orchestre visible est une concession au rituel de l’opéra où le chef et l’orchestre font aussi spectacle. Wagner a été plus radical, et a fait de la musique un accompagnement du drame, selon un principe très vite adopté par le cinéma.

2. La scène et les évolutions techniques

À ces considérations rapides s’ajoutent un point que l’on oublie quelquefois : les progrès techniques ont été sans cesse déterminants pour changer les conditions de représentation des spectacles. Il est clair que les progrès de l’éclairage, au gaz d’abord, puis à l’électricité ont amené à se poser différemment la question du noir en salle (Antoine) et la question de l’espace scénique et notamment d’un espace non plus à deux dimensions, mais à trois, un espace où l’éclairage devenait l’habillage essentiel, mais aussi un espace d’évolution des acteurs qui par sa nature même, permettait la tridimensionnalité. C’est déjà évident dans les propositions d’Adolphe Appia (déjà à la fin du XIXème), ce sera popularisé par Wieland Wagner à l’opéra.
À l’opéra, la toile peinte et l’illusion du trompe l’œil, qui existent depuis le XVIIème, ont perduré jusqu’aux années 1970 sur bien des scènes et pas seulement pour des raisons esthétiques : dans des théâtres qui le plus souvent étaient des théâtres de répertoire, changer les décors d’un opéra à l’autre était assez simple : il suffisait de descendre les toiles, de les rouler, de les ranger et d’accrocher les toiles du lendemain.

La question de la mise en scène est indissociable de l’occupation de l’espace scénique par des décors tridimensionnels, déjà proposés par Appia au début du siècle, elle s’est surtout posée à partir des années 1970, où les metteurs en scène de théâtre parlé se sont intéressés à l’opéra et où les décors ont commencé à être partout construits, avec les conséquences techniques et financières afférentes : personnels en plus grand nombre, augmentation du coût des productions, adaptation des espaces et des entrepôts où sont remisés les décors. Un simple indice : l’augmentation exponentielle des espaces de travail au Festival de Bayreuth, entre ateliers de construction, remises, et espaces de répétition pour un nombre stable de représentations et de productions.
Tout ce long préambule pour souligner que la question de la mise en scène va bien plus loin que la simple question du metteur en scène : la présence du metteur en scène à l’opéra a été en quelque sorte amenée par les réflexions dramaturgiques d’un Wagner, les progrès techniques qui ouvraient des possibilités infinies à la production d’un spectacle avant même la question des contenus et de la « lecture » et l’interprétation des œuvres. Au monde de la scène qui allait en se complexifiant, il fallait un horloger : ce serait le metteur en scène.

Texte et représentation

Mais l’autre question, nous l’avons vue, posée par Richard Wagner est la question du texte. Dans la tradition du XIXème siècle romantique, la question du livret est essentiellement technique, et consiste à trouver un texte rythmiquement en phase avec la musique. La période baroque a vu le même livret utilisé ou adapté pour des compositeurs différents, ou des spécialistes des livrets d’opéras, comme Metastase au XVIIIème ou Scribe au XIXème qui en ont écrits au kilomètre, même si un Verdi était très intéressé par la question, comme le montrent très tôt l’évolution de ses demandes en matière de livrets (voir le passage de Temistocle Solera à Francesco Maria Piave au moment d’Attila).

Les choses changent avec Wagner pour qui le drame est d’abord un texte, un poème (ainsi appelle-t-on les textes des drames wagnériens) : poésie et musique vont ensemble depuis Orphée. Cela suppose que la poésie épouse la musique, ce qui est un peu le principe du livret traditionnel, mais que la musique épouse le texte poétique, et ça c’est nouveau. Et Wagner écrit tous ses poèmes avant de composer la musique. Toute la problématique des Meistersinger von Nürnberg, œuvre centrale sous ce rapport, est là : il s’agit de trouver une harmonie entre texte et musique, et la création du texte est étroitement liée à celle de la musique, c’est tout le secret de Walther, et tout le problème de Beckmesser, qui commet l’erreur de prendre un texte qui lui est étranger (celui qu’il croit de Hans Sachs), pour l’adapter à sa musique, avec l’échec qui s’ensuit.
Un des enjeux du texte est sa lisibilité et sa clarté : alors qu’on a coutume de dire qu’un texte à l’opéra est peu compréhensible, l’enjeu du dire dans le drame wagnérien est essentiel. D’ailleurs encore dans Meistersinger, c’est bien la réception du sens auprès du public qui fait défaut au texte de Beckmesser,

Sonderbar! Hört ihr’s? Wen lud er ein? 
Verstand man recht? Wie kann das sein?

Affiche de la création de Meistersinger von Nürnberg (Munich 1868)

Le débat théorique dans Meistersinger ne se situe pas entre traditionalistes et modernistes, mais entre un formalisme étroit et la recherche d’une forme qui convienne à un fond : « la poésie est une âme inaugurant une forme » disait Pierre-Jean Jouve et c’est bien là l’enjeu d’un Sachs qui reconnaît cette âme chez Walther. On pourrait pasticher en disant « la Poésie est une âme qui inaugure une musique ».
De même choisir la comédie pour transmettre des idées aussi profondes marque aussi pour Wagner la volonté de choisir un texte qui va porter le sens et le débat, que la musique va accompagner. La comédie permet la prééminence du texte et c’est ce qui gêne les non-germanophones dans Meistersinger : une conversation continue remplie de jeux de mots et de jeux sonores qu’un allemand peut comprendre et qu’un wagnérien non allemand a plus de difficultés à appréhender, d’où la distance de certains mélomanes wagnériens à cette œuvre, d’où le temps assez long qu’il faut pour entrer dans son univers, un univers où la musique épouse le texte et ses jeux et ses sonorités.
Bien sûr cette manière de faire un jeu d’écho entre la conversation (essentielle dans Meistersinger) et la musique qui lui colle et qui en dépend, on la retrouve aussi dans Rheingold, dans Walküre (notamment au deuxième acte) ou dans le premier acte de Siegfried, mais pas dans Fliegende Holländer, Tannhäuser, Lohengrin, antérieurs à 1850.

La centralité de la question du texte et d’un texte de haute qualité poétique (au sens large) compréhensible, renvoie évidemment à la question de l’interprétation et de sa réception, enjeux qui vont être prépondérants à la fin du XIXème et au XXème. Un signe évident en est la meilleure qualité des livrets, et même l’utilisation de textes qui servent (presque) indifféremment au théâtre et à l’opéra, Pelléas et Mélisande, Salomé et tous les textes de Hoffmannsthal pour Strauss mais aussi Wozzeck, ou des livrets tirés de pièces importantes comme Lulu. La densification des livrets est même sensible chez Verdi, dans sa collaboration tardive avec Arrigo Boito, écrivain et poète, à qui l’on doit la révision de Simon Boccanegra, ainsi qu’Otello et Falstaff qui ne sont pas les moindres des opéras de Verdi et tous pratiquement postérieurs aux grandes créations wagnériennes (Boccanegra est une révision de 1881, Otello en 1887 et Falstaff en 1893).
Ce que l’opéra occidental traditionnel (italien et français pour l’essentiel) a mis plus de deux siècles à accomplir, l’opéra russe naissant en revanche l’opère immédiatement : Pouchkine est le grand pourvoyeur de textes littéraires (dont le roman en vers Eugène Onéguine et la nouvelle La Dame de Pique) repris à l’opéra et ses drames sont directement utilisés par les compositeurs (Moussorgski ou César Cui par exemple).
L’augmentation générale de la qualité des textes utilisés pour l’opéra confirme la réalité nouvelle  induite par les textes théoriques wagnériens qui va donner au texte à l’opéra une importance qu’il n’avait pas auparavant et donc implique à terme un travail de mise en scène de textes qui, dans le moment même où ils deviennent livrets d’opéra, vivent déjà pour certains sur les scènes du théâtre parlé que les grand théoriciens investissent. Car le texte est la matière du metteur en scène.

Appia: Projet pour Tristan (1896)

Nous essaierons d’expliquer plus loin pourquoi le metteur en scène comme figure démiurgique à l’opéra arrive relativement tard dans l’histoire de cet art, mais au XXème siècle, la question du renouvellement scénique à l’opéra se pose dès les années 1920 : ainsi, en 1923, Arturo Toscanini, qui plus que tous ses successeurs a fait rentrer la modernité au répertoire de la Scala, fait appel à Adolphe Appia pour la mise en scène de Tristan und Isolde et lui écrit : « Je n’ai pas peur des innovations géniales, des tentatives intelligentes, je suis moi aussi toujours en marche avec l’époque, curieux de toutes les formes, respectueux de toutes les hardiesses, ami des peintres, des sculpteurs, des écrivains. La Scala mettra tous les moyens, moi tout mon appui pour que la tragédie des amants de Cornouaille vive dans un cadre neuf, ait une caractérisation scénique nouvelle. » [2]
C’est bien là affirmer une ère nouvelle pour l’opéra.

Et la musique ?

Après l’espace et le texte la troisième question et non la moindre est celle de la musique : évidemment la musique, qui est physique, est sans doute la plus apte à créer l’émotion immédiate, et Wagner le sait (influencé aussi par les écrits de Schopenhauer). La question de la relation de la musique au texte, mais aussi de l‘équilibre scénique se pose ; dans cet univers quand le metteur en scène va entrer en jeu, va se poser immédiatement la question de sa relation avec le chef d’orchestre et de la prééminence…
Dans la trilogie du drame texte-musique-théâtre, c’est dans Tristan que la musique prévaut : Wagner écrit d’ailleurs lui-même en 1856 qu’il compose une « musique sans paroles » et en 1860 dans « la musique de l’avenir » que « la musique inclut le drame en elle-même ». Entre 1850 et 1860, Wagner évolue dans son regard sur le drame musical, donnant à la musique un rôle nouveau – sous l’influence double de la composition de Tristan et de la philosophie de Schopenhauer qui fait dire à Wagner que « de cette conscience immédiate de l’unité de notre être intime avec celui du monde extérieur nous voyons naître un art », et cet art c’est la musique. Comme le dit François Nicolas [3]la musique résout le conflit entre sujet et monde grâce à l’unification d’un seul monde, celui du « drame musical ».
La question du drame musical est donc résolutive, et il ne s’agit plus alors d’opéra, au sens traditionnel du terme mais d’une évolution musicale qui nécessite pour son plein effet, un théâtre adapté et une scène adaptée : on sait que Wagner ne sera jamais satisfait de cette dernière. L’évolution du XXème siècle lui aurait-elle donné satisfaction ?

La question de la musique, chez Wagner et chez les autres compositeurs postérieurs, est techniquement celle de Capriccio : prima la musica o prima le parole. Mais il ne s’agit plus alors de débat théorique, mais de débat pratique qui alimente les polémiques et les affirmations péremptoires des uns et des autres sur la prépondérance du metteur en scène qui aurait dicté sa loi dans les dernières décennies, au point qu’on a appelé la dernière période, depuis 1980 « l’ère des metteurs en scène ». On remarquera qu’on ne dit pas « l’ère de la mise en scène », qui serait trop générique mais qu’on pointe les individus, comme si une lutte d’egos s’était fait jour où les chefs d’orchestres auraient définitivement cédé la place.
Déjà lors des répétitions des Nozze di Figaro à Versailles en 1973, on raconte que Giorgio Strehler qui en matière d’ego se posait là, pendant les répétitions chantait derrière le chef (Sir Georg Solti) avec un autre tempo pour l’agacer, parce que les deux ne s’étaient pas mis d’accord a priori sur le rythme à imposer. Or il est essentiel que chef et metteur en scène travaillent ensemble dès le début des répétitions scéniques : aujourd’hui très souvent le travail scénique commence environ six semaines avant la Première (dans les meilleurs cas) et avec le chef à peu près trois semaines avant, qui découvre le travail effectué. Tous les chefs ne travaillent pas ainsi, mais le chef et le metteur en scène devraient dès la première répétition scénique être ensemble, pour proposer une véritable Gesamtkunstwerk. Sait-on que l’idée des fameux crocodiles dans le Siegfried de Frank Castorf à Bayreuth, qui a tant fait hurler certains spectateurs, est née d’une réflexion de Kirill Petrenko indiquant que la musique du duo Siegfried/Brünnhilde était une musique à laquelle il ne fallait pas se fier, trop belle pour être vraie, et qu’il fallait mettre une vraie distance, parce qu’il ne fallait pas y croire.
Aussi est-il hasardeux d’affirmer comme certains que le « n’importe quoi » se cache derrière la mise en scène.
En réalité, la question est sans doute ailleurs : au-delà des théories musicales, au-delà de la réflexion sur la musique (qui existe depuis des siècles) et celle sur l’opéra existe depuis la naissance de l’opéra (rien qu’au XVIIIème, avec Rameau, Rousseau, Gluck etc..), la question est celle du public et de la réception. Pendant deux siècles, l’opéra a été un art d’abord musical laissant au chant et au chanteur la prépondérance (déjà Gluck s’en plaignait), et donc le choix était celui de l’émotion : l’art lyrique, comme toute musique a un effet physique sur l’individu. Certains chanteurs-stars du XXème encore regardaient les mises en scène avec la distance de celui qui pense « Chers metteurs en scène, faites comme il vous plaira, mais quand j’ouvrirai la bouche, vous n’existerez plus ! ».
Wagner a fait de l’opéra un art intellectuel, un art de contrainte y compris physique (les spectateurs de Bayreuth en savent quelque chose) qui oblige à la concentration : l’enjeu n’est plus le simple plaisir ni la distraction. En ce sens, la « religion » dont on a entouré Wagner et Bayreuth « objet de pèlerinage » montre qu’on est passé à un autre niveau. Il y aurait donc des opéras pour se distraire (le Rossini bouffe par exemple) et d’autres pour entrer en émotion esthétique et en interrogation intellectuelle et philosophique (Wagner) ? Sans doute pas, car la question du metteur en scène va traverser les genres.

Et c’est bien là l’interrogation fondamentale sur le sens du théâtre, à laquelle répondent la plupart des théoriciens post wagnériens.

Brecht

Projet de Caspar Neher pour la création de “Die Dreigroschenoper”

Il est clair que les théories wagnériennes ont participé de la réflexion de Bertolt Brecht (qui n’était pas vraiment wagnérien) envers la musique, dont il se méfiait si elle était trop envahissante : il pensait « théâtre musical » avec des petites formations, essentiellement faites de cuivres, sans trop de violons (le modèle étant L’histoire du Soldat de Stravinski) : et même s’il a beaucoup utilisé la musique , elle l’est en mode « économe » (l’Opéra de Quat’sous le bien nommé) et pas débordante (comme le drame wagnérien). Et surtout, Brecht s’intéresse à l’acteur, et pas au chanteur, qu’il pense obnubilé par la performance et pas par le théâtre (en cela il rejoint Gluck) : « L’interprète ne s’intéresse plus à l’intrigue, c’est-à-dire à la vie, il ne s’intéresse plus qu’à soi-même, c’est-à-dire à bien peu de chose. Il n’est plus philosophe, il n’est plus que chanteur. Il se contente de saisir la moindre occasion pour se mettre en valeur et caser un intermède»[4]

Mais cette idée n’est pas neuve, Chaliapine lui-même appelait de ses vœux un chanteur qui fasse du théâtre : « Plus je jouais (…) et plus se renforçait ma conviction que l’artiste lyrique ne doit pas seulement chanter, il doit aussi jouer son rôle de la manière dont on le jouerait au théâtre »[5]

L’idée développée par la plupart des metteurs en scène proches de ces théories est bien celle-là, il s’agit de « de réinsuffler du théâtre à l’opéra, c’est-à-dire de rééquilibrer l’ensemble de la prestation des chanteurs au profit du jeu corporel et de l’intelligence du texte de manière que la pure beauté musicale (ligne de chant et qualité du son) ne soit plus leur unique but et que la musique, le texte et le geste cohabitent »[6].

Dans ces lignes, et en dépit de la méfiance de Brecht envers Wagner et le drame musical, on est bien proche du concept wagnérien de Gesamtkunstwerk[7] (œuvre d’art totale) : pour que le spectateur reçoive l’œuvre comme Gesamtkunstwerk, il faut donc qu’elle ait été produite comme telle, et c’est ce que nous dit Brecht ici.
Il est clair que le Regietheater en tant qu’école (si on peut appeler cela école) naît de Brecht.  D’ailleurs, ses premiers représentants allemands (Harry Kupfer, Ruth Berghaus) viennent des cercles brechtiens. Mais il est tout aussi clair que l’évolution de l’opéra qui permet le Regietheater s’est aussi construite aussi ailleurs, mais jamais loin de l’Allemagne. En fait il y a deux parcours différents qui vont aboutir au même lieu, le Festival de Bayreuth, qui va faire de la mise en scène un élément déterminant du spectacle musical. Wagner a inauguré une vraie réflexion qui arrive au concept de « mise en scène », et son festival, Bayreuth, un siècle plus tard (quand même) va installer définitivement le metteur en scène comme troisième larron de l’art lyrique.

Le chemin vers Bayreuth : À l’ouest

À l’ouest, Wieland Wagner, occupé à faire oublier le Bayreuth nazi de sa maman, créé le Neues Bayreuth en 1951, avec un profil de mise en scène assez proche des théories d’Adolphe Appia, mort en 1928 : rôle de la structuration de l’espace, rôle de l’éclairage, absence de réalisme, mais aussi un gros zeste de distanciation (Wieland Wagner connaît bien Brecht) : on est à l’opposé du naturalisme d’un André Antoine.
Wieland Wagner a travaillé d’abord la décoration parce que c’est sa première formation, c’est un peintre, un décorateur, un créateur d’images. Son approche de la scène affirmée en 1951 évidemment est allégorique : la scène de Bayreuth est nettoyée, nettoyée de ses décors trop illustratifs, mais aussi nettoyée de son passé et de ses compromissions. Non que Wieland en soit lavé (jusqu’en 1944-45, il va voir Hitler pour discuter de ses projets), mais l’alliance stratégique des deux frères que bien des choses opposent, le Kronprinz (Wieland) protégé du Führer, et le cadet (Wolfgang- qui dut faire la guerre et aller au front) l’un sur l’artistique et l’autre sur la gestion (alliance qui aboutit à l’éloignement définitif de Friedelind qui vu ses positions semblait naturellement promise au Festival ), va faire naître un nouveau Bayreuth où la nouveauté de l’approche scénique va contribuer à effacer comme par magie le passé. Il déclare: „Wir wollen weg von Wagner-Kult, wir wollen hin zum kultischen Theater“[8].

Très vite en 1953 en réaction se crée un « Verein zur werktreuen Wiedergabe der Musikdramen Richard Wagners »[9] qui montre clairement que le concept de fidélité à l’œuvre ou aux intentions de l’auteur qu’on éclairera dans notre seconde partie n’est pas une invention des dernières décennies, et qu’il y a une opposition idéologique au chemin pris par Bayreuth à cette époque. N’oublions pas qu’anticipant le Frank Castorf de 2013, c’est Wieland qui en 1965 déclare « Walhall ist Wall Street »[10]

Meistersinger (Wieland Wagner) Bayreuth 1956

Même si les premiers spectacles surprennent et attirent des réactions hostiles, c’est en 1956 qu’éclate l’épouvantable scandale, quand il décide de s’attaquer à la pierre de touche de la tradition, et qu’il propose une nouvelle production de Meistersinger (tiens tiens…encore eux) qui heurte la tradition illustrative de la présentation de l’œuvre et casse sa référence à l’Allemagne éternelle. Le travail de Wieland n’a évidemment pas l’heur de plaire à tous, et l’on entend à l’époque bien des remarques qu’on entend aujourd’hui dans la bouche des contempteurs du Regietheater ou des metteurs en scène dictatoriaux. En 1963, il propose une autre mise en scène des maîtres, la situant dans un théâtre du Globe imaginaire, travaillant la référence à Shakespeare, mais à sa mort et bien vite, son frère Wolfgang refera des Meistersinger un gage aux traditionnalistes en se réservant la mise en scène de l’œuvre, pendant qu’il ouvrira les autres titres aux jeunes metteurs en scène de l’époque. Bayreuth est atelier, mais pour tout sauf Meistersinger (jusqu’au seuil des années 2000) jusqu’à la production de 2007 de Katharina Wagner, qui fait enfin le point sur la situation de l’œuvre face au wagnérisme.

Meistersinger 2017 à Bayreuth (Barrie Kosky) © Enrico Nawrath

Meistersinger à Bayreuth est un bon exemple de ces débats : l’œuvre pose problème, et théorique, on l’a vu plus haut, et aussi politique depuis qu’elle fut pour les nazis l’œuvre symbole de la suprématie de l’Allemagne. Barrie Kosky vient dans la production de Bayreuth d’affronter la question. Deux productions d’inspiration Regietheater de Meistersinger von Nürnberg ont normalisé la question : après Wieland, il a fallu 50 ans…
Cette question de la réception et de la lecture de cet opéra de Wagner est magistralement traitée par Tobias Kratzer dans sa production de Karlsruhe (Voir l’article dans Blog Wanderer).

Mais l’arrivée des « mises en scène » à l’Ouest n’a pas été seulement l’œuvre de Wieland Wagner, qui pourtant a un rôle irremplaçable dans l’histoire et la vraie naissance de la mise en scène d’opéra.

Giorgio Strehler: La bonne âme de Se-Tchouan

En Italie en effet, la fondation du Piccolo Teatro en 1947 par Giorgio Strehler et Paolo Grassi fait souffler un air neuf après le fascisme et la guerre : Giorgio Strehler est un peu le Wieland Wagner italien, qui va révolutionner la scène dramatique. C’est un brechtien, mais est aussi passé par l’école de Louis Jouvet, il va ouvrir la scène italienne à Brecht : on lui doit des mises en scènes légendaires des œuvres du dramaturge allemand (La bonne âme de Se-Tchouan…), et il va travailler dans des conditions assez drastiques (le Piccolo Teatro a 400 places et une toute petite scène) à réconcilier la tradition italienne du spectacle (en revenant à des procédés remontant à la période baroque) à l’innovation (un travail sur l’éclairage inouï), tout en restant un théâtre de texte, souvent politique, il cherche donc à concilier plusieurs traditions. Et Strehler vient très vite à l’opéra, c’est lui par exemple qui crée l’Ange de Feu de Prokofiev en 1955 en version scénique à Venise, une œuvre qui encore aujourd’hui sent le soufre.
D’autres italiens font date à l’opéra, et notamment le cinéaste Luchino Visconti dont La Traviata (avec Callas) laissera une marque profonde, mais dans une autre direction fidèle à un réalisme cinématographique, à une exactitude maniaque dans la reproduction de la société aristocratique. Mais c’est aussi d’un autre côté le cas d’un Luca Ronconi, qui dès 1967 présente Jeanne au bûcher à Turin

Luca Ronconi Die Walküre (1974) Acte III ©Erio Piccagliani

et qui surtout commence la mise en scène d’un Ring prémonitoire en 1974 à la Scala (direction Sawallisch), prémonitoire, parce qu’il y a des grandes parentés entre son approche et celle de Patrice Chéreau à Bayreuth. Ronconi, très peu évoqué dans les débats sur le théâtre n’est pas réductible à une école va inonder l’opéra italien de mises en scène souvent d’une inventivité jamais atteinte ailleurs.[11]

Les vannes du Regietheater s’ouvrent…à Bayreuth

Le rocher de Brünnhilde (MeS Patrice Chéreau, décor Richard Peduzzi)

Justement les années 1970 voient naître en France aussi des metteurs en scène novateurs et qui vont très vite arriver à l’opéra. Patrice Chéreau justement, qui va travailler au Piccolo Teatro avec Strehler. Mais deux aussi formidables personnalités peuvent-elles travailler ensemble longtemps ? Cela durera peu, même s’Il y a une filiation Strehler – Chéreau reconnue par ce dernier (Peter Stein aussi sera au Piccolo les mêmes années) qui passe aussi à travers Brecht. Chéreau arrive très vite à l’opéra, dès 1969 à 25 ans avec l’Italienne à Alger à Spolète, puis les fameux Contes d’Hoffmann qui marquèrent tant l’Opéra de Paris où il ose toucher au livret, s’y autorisant à cause de problèmes d’édition bien connus de l’opéra d’Offenbach.
C’est son arrivée à Bayreuth pour le Ring qui va ouvrir les vannes du « théâtre à l’opéra », issu de Brecht, mais aussi dans le cas de Chéreau, d’Artaud, et aussi de Strehler : dans un théâtre tant marqué par Wieland Wagner, qui de novateur fait du coup figure de classique et d’ancien (toutes les mises en scènes wagnériennes de l’époque sont inspirées plus ou moins de son esthétique) Chéreau ouvre les portes au « Regietheater »: deux ans après, en 1978, Harry Kupfer viendra faire le Fliegende Holländer à Bayreuth et ce sera là aussi un immense triomphe.

Tannhäuser (Götz Friedrich) Bayreuth

Mais un scandale moins universel avait déjà marqué Bayreuth dès 1972, avec le Tannhäuser très politique d’un metteur en scène de l’Est, Götz Friedrich, qui passera à l’Ouest la même année.
Comme va le voir, Est et Ouest se réunissent à Bayreuth qui va trancher, grâce à Wolfgang Wagner, le nœud gordien d’un théâtre neuf, hautement politique, qui va inonder le monde du théâtre et de l’opéra notamment en Allemagne à partir des années 1980. Ce sera le Regietheater.

Le chemin vers Bayreuth : l’Est

Car il serait erroné de croire que l’Allemagne de l’Est est en retrait dans la réflexion sur la mise en scène au théâtre. C’est tout le contraire. Ce qui porte le théâtre à l’Est, c’est évidemment là aussi Bertolt Brecht, avec l’immense avantage qu’à Berlin, Brecht est chez lui puisqu’il fonde en 1949 le Berliner Ensemble. Après sa mort, c’est sa femme Hélène Weigel qui assure la direction, puis en 1971, Ruth Berghaus, considérée comme la fondatrice de ce Regietheater tant honni de nos spectateurs bon teint, mais pas bon œil.
À l’opéra la question de la mise en scène devient centrale lorsque Walter Felsenstein (mort en 1975) prend la direction de la Komische Oper de Berlin en 1947 (l’ex Metropol Theater) qui oblige tous les chanteurs (y compris les chanteurs invités) à travailler la mise en scène avec une précision millimétrée. Le travail scénique de Felsenstein est légendaire. En 1981 c’est son protégé Harry Kupfer qui prend la direction artistique de la Komische Oper dont on compare souvent la méthode à celle de Giorgio Strehler. Un travail théâtral précis avec les chanteurs, très individualisé, en fonction du texte et de la partition, mais aussi en fonction des implications politiques et idéologiques de l’œuvre : il applique la méthode brechtienne du théâtre épique qui est vision du monde et qui place le spectateur comme observateur, usant de son jugement et de sa raison (à l’opposé du théâtre dramatique aristotélicien qui implique le spectateur et exploite ses émotions) et donc qui le distancie et le contraint à la réflexion. Brecht de manière ironique applique ce concept à la musique (concept de Misuk).

Der Fliegende Holländer (Harry Kupfer) à Bayreuth ©Unitel

D’autres metteurs en scène d’Allemagne de l’est après sa mort appliquent les concepts brechtiens, comme celui dont on a déjà parlé plus haut, Götz Friedrich, qui met en scène Tannhäuser à Bayreuth en 1972, puis s’exile à l’Ouest. Götz Friedrich et Harry Kupfer se retrouvent à Bayreuth le premier en 1972 et 1982 (Tannhäuser et Parsifal), le second en 1978 et 1988 (Fliegende Holländer et Ring). Un troisième larron Ossi[12] arrivera à Bayreuth en 1993, Heiner Müller, avec son Tristan légendaire revu à Lyon cette année. Heiner Müller alors directeur du Berliner Ensemble, et la production sera reprise après sa mort en 1995, à Bayreuth  (comme à Lyon en 2017) par Stefan Suschke, lui aussi devenu brièvement directeur du Berliner Ensemble. Brecht n’est jamais trop loin…Un quatrième larron du nom de Frank Castorf investira Bayreuth en 2013, Frank Castorf, berlinois, pur « Ossi », formé à l’Est, et très tôt objet de la méfiance du régime…

En conclusion et pour résumer.

Voilà ce qui fait le lit du Regietheater :  des parcours parallèles, contemporains et fort différents, celui de Wieland Wagner marqué par les théories d’Appia à Bayreuth et celui de Felsenstein à la Komische Oper, qui imposent tous deux la mise en scène comme une exigence, mais aussi l’italien Strehler, passionné de Brecht. Ce n’est pas un hasard si Rolf Liebermann demande à Strehler d’ouvrir son mandat à la tête de L’Opéra de Paris en 1973 : c’est bien le metteur en scène qui commence à s’imposer.

Par ailleurs, le travail et la réflexion théorique de Bertolt Brecht s’imposent à la plupart des metteurs en scène des années 1970, jeunes et moins jeunes. Giorgio Strehler à l’ouest fait école (Peter Stein/Patrice Chéreau) par sa vision d ‘un théâtre politique et poétique, qui lit le monde et le répertoire à l’aune des conflits idéologiques (ce sera aussi en France l’approche d’un Planchon ou d’un Vitez).

Dans tous ces parcours complexes, c’est Bayreuth qui devient le centre d’une nouvelle vision de la mise en scène d’opéra : on l’a dit Götz Friedrich en 1972, Patrice Chéreau en 1976, et Harry Kupfer en 1978 s’imposent sur la colline verte. Trois visions héritées de Brecht :  le grand scandale et le retentissement du Ring de Chéreau va ouvrir les vannes de la mise en scène à l’opéra. Wolfgang Wagner avec son concept de Werkstatt Bayreuth[13] va permettre au Regietheater d’entrer en opéra.
Ainsi Bayreuth va être en un peu plus de 20 ans (1951- 1976) le lieu de deux révolutions qui vont profondément transformer le paysage de l’opéra et imposer le metteur en scène comme troisième figure après le compositeur et le chanteur. C’est la conséquence de l’importance renouvelée du texte, (on a vu comme les œuvres du XXème siècle rendent au texte une importance qu’il n’a pas toujours eu auparavant). L’opéra devient véritablement Gesamtkunswerk.
La naissance de la mise en scène à l’opéra et l’entrée du Regietheater notamment en Allemagne n’empêche évidemment pas le maintien d’une tradition spectaculaire héritée à la fois des traditions du Grand Opéra et des mises en scène de Visconti, notamment en Italie avec Franco Zeffirelli, son héritier direct à l’opéra, mais aussi de figures comme Margherita Wallmann. Quant à Luca Ronconi, c’est un franc-tireur qui va continuellement produire à l’opéra , souvent des chefs d’œuvres avec son travail sur la multiplicité des regards et des points de vue et celui permanent sur l’illusion théâtrale, c’est peut-être là le plus grand génie de la scène qui va s’imposer doublement à Paris d’ailleurs, aux halles de Baltard avec Orlando Furioso, et à l’Odéon avec Le Barbier de Séville. Et le franc-tireur français, qui travaillera peu en France, c’est Jean-Pierre Ponnelle qui impose une vision plus traditionnelle, mais pleine d’idées et d’une rare précision avec un réel soin esthétique, lui aussi va travailler essentiellement dans l’aire germanique auprès de Karajan, mais aussi à Stuttgart ainsi qu’à Bayreuth où il signe un Tristan und Isolde qui a fait histoire.
Si les années 70 sont sans conteste pour l’opéra les années de la mise en scène, elles ont permis l’élan du Regietheater à partir de Bayreuth, qui est la caisse de résonance idéale, les années 80 sont véritablement sur les scènes d’opéra germaniques les années « Regietheater ». Du côté français, comme Ponnelle produit peu en France (Strasbourg essentiellement et un peu Paris – un Cosi fan Tutte qui n’est pas son meilleur travail) citons pour finir un metteur en scène un peu à part, l’argentin Jorge Lavelli qui révolutionne le Faust de Gounod à Garnier (encore un scandale !) – et qui va lui aussi ces années-là imposer un regard nouveau sur la mise en scène d’opéra : en France au moins, il participe du mouvement général, irrésistible, de transformation de la scène d’opéra.

Tristan, Acte II, Wieland Wagner 1962

 

[1] Les Echos, Philippe Chevilley : https://www.lesechos.fr/week-end/culture/spectacles/030845092471-les-mises-en-scene-dopera-en-questions-2129098.php

[2]  Lettre de Toscanini à Appia datée «Milano 1923», publiée dans AttoreSpazio-Luce chapitre “Adolphe Appia e il teatro alla Scala”, par Norberto Vezzoli, Milan, Garzanti, 1980, p. 32.

[3] Le rapport de Wagner à Schopenhauer à l’époque de Tristan und Isolde, par François Nicolas, Colloque Richard Wagner, Théâtre de La Monnaie, Bruxelles 2006

[4] Musik, in GBFA, 22, p. 673 : « Der Darsteller hat kein Interesse mehr für die Handlung, also das Leben, sondern nur mehr für sich, also sehr wenig. Er ist kein Philosoph mehr, sondern nur mehr ein Sänger. Er ergreift andauernd die Gelegenheit, sich zu zeigen und eine Einlage unter Dach zu bringen. »)

[5] Extrait de Pages de ma vie, autobiographie écrite en collaboration avec Maxime Gorki, 1916.

[6] Brecht et la musique au théâtre Entre théorie, pratique et métaphores par Bernard Banoun, in Etudes germaniques, 2008/2 (n° 250), pp 329-353

[7] Œuvre d’art totale

[8] Trad : Nous ne voulons plus du culte de Wagner, nous voulons aller vers le culte du théâtre.

[9] Trad : Association pour la représentation  des drames wagnériens dans la fidélité à l’œuvre.

[10] Dans une interview au Spiegel, 21 juillet 1965, 19ème année, p.66.

[11] Voir à ce propos son merveilleux site : http://www.lucaronconi.it/

[12] Ossi : habitant de l’ex-Allemagne de l’Est

[13] Atelier/laboratoire Bayreuth

0 réflexion sur « HARO SUR LE REGIETHEATER (1) AUX RACINES DE LA MISE EN SCÈNE  »

  1. Cette dissertation magistrale fait vraiment le tour de la question, et on en reste baba (en tout cas moi…). N´étant point un intellectuel, en dépit de quelques diplômes universitaires, quand je suis au théâtre, je redeviens un enfant, j’aspire à rêver ou à vibrer, pas à réfléchir ou à plancher sur une dissert ; quoi qu’il en soit, je n’ai nul besoin qu’on me mâche les tenants et les aboutissants d’une intrigue, bref il vaudrait mieux que les metteurs en scène gardent leurs interprétations pour eux.
    Ou alors je leur fais les propositions suivantes : 1- qu’ils se lancent également dans la réalisation de films en appliquant les mêmes principes (décors inexistants ou incongrus, époque transposée, costumes décalés ou nudités turgescentes à tout propos etc.), sauf que ça pourrait avoir une incidence sur la fréquentation des salles de cinéma 2- qu’en plus de modifier les arguments, ils intègrent, au gré de leur fantaisie, des variations musicales en passant d’un compositeur à un autre pendant une représentation, et qu’ils intervertissent les tessitures 3- qu’ils tentent de concurrencer le 7ème art à la faveur d’effets spéciaux époustouflants. Mais comme ils ne liront jamais ces lignes…
    En tout état de cause, ras le bol, de ces mises en scène d’infatués Trissotin ! Mais je dois dire que s’ils composaient eux-mêmes un opéra, livret compris, et qu’ils le mettent en scène, et je m’empresserais d’aller le voir…

  2. Bonsoir Guy,

    Contribution fournie et passionnante, comme toujours. C’est pourquoi je ne réagis que sur deux aspects mineurs du parcours.

    Votre inclusion de tous les courants, même les plus conservateurs, dans l’univers du Regietheater, permet de mieux articuler les enjeux que l’habituelle et stérile opposition (qui rend les définitions d’autant moins opérantes qu’elles doivent être rigides pour délimiter les camps).

    ¶ Lorsqu’on voit les productions de Strehler aujourd’hui, on est assez étonné du retentissement qu’elles ont eues en leur temps (les Noces parisiennes, le Don Giovanni milanais…), mais il est vrai que les traditions scéniques étaient si statiques et accessoires du d’une certaine façon, dans ces deux pays, qu’il s’est sans doute produit une animation théâtrale difficile à mesurer pour nous.

    ¶ Je ne suis pas d’accord sur votre présentation (qui n’est pas du tout le cœur de votre propos, c’est entendu) du statut du livret avant Wagner. Interchangeables, ils le sont à l’époque du seria baroque et classique (et encore, les contemporains allaient aussi voir un livret « de Métastase », même si leur qualité n’est pas toujours évidente à nos yeux). Déjà moins pour le belcanto romantique, où ils sont certes en général mauvais, mais plus variés et individualisés. Mais cela s’applique très mal au répertoire français, même baroque et classique, à Scribe que vous citez (qui est tout sauf prévisible à l’Opéra, et fut courtisé par tous les compositeurs qui voulaient être joués), au singspiel, à l’opéra allemand romantique, et même aux opéras italiens des origines…

    C’est complètement un point annexe de votre propos, mais il me paraît injuste, au delà de l’indispensable simplification – les librettistes ont eu une part considérable, à l’exception de l’opéra italien le plus virtuosement glottophile (où ils occupaient malgré tout une place éminente, étrangement). Et les six premiers Wagner procèdent clairement de la veine folklorique, fantastique et spectaculaire utilisée par Weber et Marschner.

    Pour la mise en scène proprement dite, c’est effectivement différent et Wagner marque, là comme ailleurs, une étape supplémentaire.

    Mais ne voyez dans ma réaction (en marge) qu’un témoignage de l’admiration pour le parcours proposé et une envie de réagir à un texte fécond !

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