OPERA DE LYON 2011-2012: QUELQUES MOTS SUR UNE (BELLE) SAISON

Les saisons de Lyon sont souvent  passionnantes. La saison qui commence est particulièrement riche avec une ouverture “alla grande” en octobre (le 8)  avec Le Nez de Chostakovitch (voir mon compte rendu d’Aix) dans la production vue à Aix et avec la même distribution et le même chef: à ne pas manquer, vaut absolument le voyage, vous ne le regretterez pas.
Mais toute la saison est intéressante, très bien composée, équilibrée, avec des dominantes et des variations, tout à l’inverse de celle de l’Opéra de Paris, faite de grisaille de luxe.
Lyon avec des moyens importants mais incomparables avec notre première scène nationale, cherche des voies originales, joue habilement sur le répertoire standard et sur les raretés, et propose cette année une dominante sur les formes plus petites (opéras en un acte) et sur les appariements d’œuvres du premier XXème siècle, composant un système d’écho et offrant un travail passionnant sur l’histoire du genre.
Comment ne pas saluer le cycle Puccini Plus (fin janvier-mi février 2012) qui après une série sur Pouchkine et Tchaïkovski, il y a deux ans puis Mozart l’an dernier, va proposer il Trittico de Puccini mis en regard avec des œuvres moins connues de Hindemith, de Schönberg, ou de Zemlinski de la même période, soulignant par là que l’écriture de Puccini est une écriture moderne, inscrite dans les gênes du XXème siècle: on sait combien Puccini aimait le Pierrot Lunaire de Schönberg et combien Schönberg admirait Puccini. On verra ainsi, en contrepoint d’une des trois œuvres du Trittico, la Sancta Susanna de Hindemith (face à Suor Angelica) , Von heute auf morgen de Schönberg (face à Il Tabarro), Une tragédie florentine de Zemlinski (face à Gianni Schicchi) . Avec le même chef (Lothar Koenigs), le même décorateur(Johan Engels)  et la même créatrice de costumes (Marie-Jeanne Lecca) pour les six œuvres, et deux metteurs en scène, un pour Puccini (David Pountney), un pour les trois œuvres mises en contrepoint (John Fulljames). Les mélomanes curieux ne peuvent pas manquer l’occasion de voir des œuvres qu’on ne voit pratiquement jamais sur les scènes d’opéra.
Il suffirait de ces deux opérations (le Nez et Puccini Plus) pour rendre la saison stimulante, mais Serge Dorny a aussi programmé un Parsifal après le Tristan de l’an dernier, avec une belle distribution où on retrouvera les excellents Georg Zeppenfeld en Gurnemanz et Gerd Grochowski en Amfortas, ainsi qu’Alejandro Marco-Buhrmester en Klingsor. Parsifal est confié à Nicolai Schukoff, l’un des astres montants de la petite planète des ténors dramatiques, un artiste vraiment remarquable et Kundry à la très solide Elena Zhidkova. C’est Kazushi Ono qui assure la direction musicale, une garantie, et la mise en scène a été confiée au cinéaste et metteur en scène québecois François Girard, dont on peut espérer une approche originale (Mars 2012).(Coproduction avec le MET de New York).
Encore une curiosité dans une saison dédiée aux appariements d’œuvres brèves, une soirée composée de L’enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel, couplée avec Der Zwerg (le Nain) de Zemlinsky: deux oeuvres de Zemlinsky en une saison, le public lyonnais est gâté. Le chef choisi, Martyn Brabbins,   est peu connu en France, mais c’est un spécialiste de la musique du tournant XIXème/XXème siècle et la mise en scène, qui devrait être passionnante est confiée à une équipe polonaise conduite par Grzegorz Jarzyna, l’un des maîtres de la scène polonaise moderne avec Warlikowski. C’est une coproduction avec la Bayerische Staatsoper. (Mai 2012)
Excellente nouvelle que la reprise (en avril 2012) d’un des spectacles les plus magiques des dernières années, Le Rossignol et autres fables, d’Igor Stravinski, mise en scène Robert Lepage, dirigée cette fois par un jeune chef argentin très prometteur, qui a dirigé pas mal de musique d’aujourd’hui, Alejo Perez. Si vous n’avez pas vu ce spectacle fascinant l’an dernier, précipitez-vous car nul doute que ceux qui l’ont déjà vu voudront encore le revoir. A noter dans la distribution Lothar Odinius, qui m’a tant impressionné dans le Tannhäuer de Bayreuth où il chantait Walther.
La saison se clôt par Carmen, titre emblématique, dans une mise en scène d’Olivier Py, et dirigée par Stefano Montanari, excellent chef venu du baroque, que les lyonnais ont entendu cette année dans les Mozart, et qui dirigera une jeune Carmen elle aussi venue du baroque, Josè Maria Lo Monaco. Sans nul doute un point de vue particulier à tous les niveaux (Juin Juillet).

Voilà pour les titres qui m’attirent le plus, mais ce n’est pas tout: la saison est aussi riche d’opérettes d’Offenbach, avec une reprise (en novembre/décembre 2011) de La Vie Parisienne de 2007, mise en scène par Laurent Pelly, un excellent souvenir, avec une distribution où l’on voit notamment Laurent Naouri en baron de Gondremark et Jean-Sebastien Bou en Raoul de Gardefeu, le tout dirigé par Gérard Korsten, bon chef mozartien (il vient de prendre la direction des London Mozart Players), ce qui devrait convenir pour une œuvre du Mozart des Champs Elysées, et une production de Mesdames de la Halle, encore une œuvre en un acte, faite par le tout Nouveau Studio de l’Opéra de Lyon, dirigée par Jean-Paul Fouchécourt qui passe ainsi du chant au pupitre, et mise en scène par Jean Lacornerie (en coproduction avec le Théâtre de la Croix Rousse)(Mai 2012). Enfin une création en mars 2012, Terre et Cendres de Jérôme Combier sur un livret de Atiq Rahimi, dans une mise en scène de Yoshi Oida (au théâtre de la Croix Rousse), dirigé par Philippe Forget

Certes, il y a aussi des concerts (par ex. l’intégrale des quatuors à cordes de Chostakovitch, autour des représentations du Nez)  des soirées de ballet (Forsythe, Cunningham, Balanchine etc…), et même un opéra pour enfants (Douce et Barbe Bleue, d’Isabelle Aboulker) au théâtre de la Croix Rousse (Janvier 2012).
Enfin, last but not least, le répertoire de bel canto est l’objet, comme chaque année, d’une version de concert dirigée par Evelino Pido’, spécialiste de ce répertoire (c’est lui qui a dirigé à Vienne cette année la fameuse Anna Bolena avec les deux dames, Mesdames Garança et Netrebko): ce sera le magnifique Capuleti e Montecchi de Bellini, avec à Lyon aussi deux dames de haut niveau, Anna Caterina Antonacci en Romeo et Olga Peretyatko en Giulietta.(Novembre 2011).
On le voit, c’est une saison à la fois exigeante et très attirante, équilibrée, avec des choix hardis, une grande cohérence et une vraie politique artistique, qui manque souvent ailleurs à l’opéra. Serge Dorny essaie toujours non de procéder par accumulation de titres, mais de composer, au sens presque musical, une saison. Il a aussi la chance d’avoir, à Lyon un public disponible, sans idées préconçues, construit par des années et des années d’une programmation exigeante et originale. C’est une vraie chance pour cette ville d’avoir su recruter ce directeur, après les quelques années d’errements qui avaient suivi le départ de Brossmann. Il faut faire régulièrement le voyage de Lyon.

OPERA NATIONAL DE LYON 2010-2011: TRISTAN UND ISOLDE de Richard WAGNER (Dir.mus.: Kirill PETRENKO, Mise en scène: Alex OLLÉ – La FURA dels BAUS) le 7 juin 2011.

3ème acte (Photo Stofleth)

Très belle réussite que ce Tristan und Isolde lyonnais. C’est pourtant un spectacle qui a connu quelques vicissitudes, annulation du metteur en scène prévu initialement, annulation pour cause de maladie du ténor américain Gary Lehmann prévu pour Tristan (c’est lui qui devrait être le Siegfried du Ring New Yorkais. C’est Alex Ollé, l’un des deux metteurs en scène de la Fura dels Baus, qui a pris la relève de l’un, et Clifton Forbis celle de l’autre. Monter Tristan n’est jamais une mince affaire. Et on note dans le public de Lyon à la fois un comportement inhabituel (quelques départs aux entractes plus nombreux ) et des applaudissements très chaleureux, cadencés, mais qui n’atteignent pas certains triomphes des années précédentes. Wagner est rare à Lyon, et l’initiative de Serge Dorny est d’autant plus méritoire. L’an prochain d’ailleurs, ce sera le tour de Parsifal, dirigé par Kazushi Ono, dans une mise en scène de François Girard (et coproduit avec le MET). Quand un Tristan est programmé, dans une production qui promet, et avec un chef de cette envergure, il n’y a pas à tergiverser, on y va.
C’est Alex Ollé qui assure la mise en scène, et non Carlos Padrissa, le plus échevelé des deux. Dans une œuvre essentiellement faite de duos, sans vraie scène d’ensemble (même si le final du premier acte est quelquefois l’occasion d’introduire une note de spectaculaire comme chez Sellars ou Chéreau). Alex Ollé choisit de se concentrer sur le symbolique et sur les protagonistes, ainsi ne voit-on pas Marke arriver à la toute fin du premier acte, tout se passe en “off” et Tristan reste seul en scène. Dans un espace essentiel, un plateau tournant pour le bateau, un fond de ciel nocturne (avec étoiles filantes…) puis une demie”austère”, dit le programme de salle,  sphère apparaît, qui est une lune, ou une simple tache de lumière, un Maquette du 1er acte, photo la Fura dels baus

cyclorama sur lequel sont projetées des images de mer houleuse, brumeuse ou calme. Les chanteurs sont bien dirigés, et Alex Ollé propose des mouvements plutôt vifs, notamment dans le traitement de Brangäne, jeune, nerveuse, vive. Une image inhabituelle de la servante et confidente d’Isolde, tout comme Kurwenal, plus ironique, plus méprisant plus violent avec les deux femmes, avec des gestes correspondant plus nettement au texte chanté.

Au Maquette du deuxième acte (Photo la Fura dels baus)

deuxième acte, la sphère est sur la scène, côté interne, et figure le château du Roi Marke, avec ses meurtrières, ses portes étroites ses escaliers qui se démultiplient par les jeux d’ombres et de lumière en des formes presque abstraites. Cette sphère semble entourer, protéger les amants de l’extérieur et, dit le metteur en scène, elle reflète (par des vidéos qui sont projetées) refléter leur imaginaire.

Au troisième acte, la sphère est retournée, et elle n’offre qu’un mur écrasant à voir, où Tristan est rejeté vers l’extérieur, comme écrasé. Ainsi ce sont des images qui nous sont offertes, des images souvent fortes, esthétiquement belles, avec un traitement des personnages assez vif (Marke par exemple) et quelques libertés: ici on se tue à coup de fusils, avec des balles qui claquent. Un travail sage, mais dans l’ensemble très cohérent, et assez beau à regarder. Avec de très beaux moments (mort d’Isolde, entrée de Marke, duo d’amour). Un bel écrin pour une équipe de chanteurs très honorable: Ann Petersen ne m’avait pas du tout convaincue dans Freia à Paris il y a une année. La voix est aiguë, assez stridente, et ne semblait pas avoir la ressource nécessaire pour ce rôle qu’elle chante à Lyon pour la première fois: au premier acte, quelques cris désagréables, quelques problèmes de justesse. Peu à peu, les choses s’améliorent, la voix  s’élargit, le registre central est plein, elle nous gratifie de très beaux et surprenants piani et pianissimi filés (avec un orchestre il est vrai supérieur dans l’art de les accompagner) et au total, la prestation d’Ann Petersen est vraiment intéressante, et le personnage est rendu dans sa vérité. Le premier acte m’a beaucoup moins convaincu que le deuxième. quelques difficultés mineures dans la “Liebestod”, sans doute dues à la fatigue, mais l’ensemble est très honorable et souvent convaincant. Clifton Forbis dans Tristan peine aussi à rentrer dans le personnage au premier acte, mais cela s’améliore au deuxième et surtout au troisième, vraiment magnifique, avec des moments de très grande intensité…Tristan convient mieux à cette voix que Florestan, qu’il avait chanté il y a quelques années avec Abbado (Baden-Baden, Reggio Emilia…) et dans lequel il s’était perdu. Même si la voix a un peu vieilli,  il a pour Tristan la force, la projection et un assez joli timbre. Marke est Christoph Fischesser, noté dans Rocco à Lucerne avec Abbado l’an dernier (voir l’article d’août 2010). Belle présence scénique, jeu émouvant, et engagement avec une voix bien posée, une diction modèle et une belle puissance. Le Kurwenal de Jochen Schmeckenbecher est lui aussi doué d’une belle présence, et la qualité du jeu est notable, avec une très belle voix de baryton, une belle diction, et de la puissance aussi. A noter le Melot du jeune Nabil Suleiman, au timbre de très grande qualité, un habitué de Lyon où j’ai plusieurs fois noté la qualité de cet artiste. La toute jeune Brangäne (là aussi une prise de rôle) de Stella Grigorian a de belles qualités de volume et une jolie pâte vocale, mais elle n’a peut-être pas l’épaisseur requise pour le rôle, cela se sent particulièrement au deuxième acte dans les “Habet Acht “. les autres rôles sont très correctement  tenus par le ténor Viktor Antipenko (Ein junger Seemann, ein Hirt) et par le jeune baryton Laurent Laberdesque (Ein Steuermann).

Mais c’est évidemment la direction exceptionnelle de Kirill Petrenko, dont la carrière devient vraiment importante (en 2013, il succède à Kent Nagano à la Bayerische Staatsoper, il dirigera  aussi le Ring du bicentenaire de Wagner à Bayreuth). Sa direction très adaptée à l’ambiance relativement intime de l’Opéra de Lyon,  accentue les moments de pur lyrisme,  fait entendre des phrases souvent rarement mises en valeur, la manière dont le violoncelle solo du prologue du 3ème est mise en valeur, exaltée même, donne une couleur bouleversante à ce moment. Les grands moments symphoniques ne produisent jamais de gros son, mais au contraire tous les équilibres sont respectés, les voix jamais couvertes, le début du second acte, et l’introduction du duo en crescendo passionnel rappelle l’approche d’Abbado, exceptionnelle en ce début de second acte qui sera exceptionnel de bout en bout On note aussi une très grande élégance dans le geste (la main gauche), bref, un chef qui simplement fait de la musique, et d’une manière tout à fait extraordinaire.

La conclusion s’impose donc, rien que pour écouter l’approche de Petrenko, ce Tristan vaut le voyage, mais pour tout le reste aussi, si vous aimez Wagner, si vous êtes curieux d’artistes encore jeunes abordant ces rôles écrasants, si vous aimez les belles productions solides alors, courez-y, il y a je crois encore quelques places (jusqu’au 22 juin).

 

OPERA DE LYON 2010-2011 : FESTIVAL MOZART le 31 mars 2011 – LE NOZZE DI FIGARO DE W.A.MOZART (Dir.mus: Stefano MONTANARI, Ms en scène: Adrian NOBLE)

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Après Pouchkine, Mozart. Belle idée de Serge Dorny que de proposer en un mois les trois opéras de Mozart-Da Ponte en puisant dans le répertoire de l’opéra de Lyon  les productions montées les saisons précédentes, et en affichant une sorte de “troupe Mozart” composée de chanteurs qui dans  leur majorité participent aux trois productions, toutes trois signées Adrian Noble, comme les Pouchkine-Tchaïkovski étaient signées Peter Stein. Le résultat, des coûts contenus (ce sont des reprises) et une affluence de public pour un événement bien médiatisé.

La production des Noces de Figaro remonte à 2007, et la direction musicale en avait été confiée à William Christie et Jérémie Rhorer: c’est dire que Serge Dorny avait voulu donner une couleur nettement “baroque” à la lecture musicale, et l’appel à Stefano Montanari cette année confirme cette entrée.

montanari.1301737229.jpgJe connaissais Stefano Montanari comme violoniste qui fait partie de ces musiciens italiens qui depuis une quinzaine d’années essaient d’imposer dans la péninsule et en Europe une  interprétation “italienne” de la musique baroque, dans la lignée des Rinaldo Alessandrini,  Giovanni Antonini, ou Ottavio Dantone, avec qui il a travaillé comme premier violon de l’Accademia Bizantina. Il a désormais aussi une activité de chef d’orchestre, et son approche, à la fois très dynamique, mais aussi très sèche donne à l’ensemble du spectacle un côté haletant d’une folle journée très tendue, pas toujours tendre, mais en tous cas tourbillonnante. Sans doute les moments plus lyriques, ou mélancoliques en pâtissent-ils un peu (Air de Suzanne du dernier acte “Deh vieni non tardar” , ou les deux airs de la comtesse, et notamment le second “Dove sono” et même le fameux “Voi che sapete”de Chérubin).

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Il est vrai aussi que les voix choisies participent de ce parti pris qui valorise l’urgence, la sève et le désir, et moins la tendresse: elles sont souvent un peu froides (c’est frappant pour la comtesse de Helena Juntunen, très crédible en scène, très engagée, belle femme et belle actrice, moins marquée dans l’émotion: il est vrai que la mise en scène accentue le poids des désirs interdits plus que celui des coeurs meurtris), c’est aussi le cas de la Susanna de la jeune roumaine Valentina Farcas, très pétillante et juste sur scène, très entraînante, et particulièrement belle actrice, mais la voix est petite pour mon goût et pas suffisamment large pour Susanna: ce qui frappe chez les grandes Susanna (Lucia Popp par exemple) c’est à la fois l’aisance dans l’aigu, mais aussi une pâte vocale plus épaisse qui donne de la consistance à un air comme “deh vieni non tardar”. Ici, on a les aigus, incontestablement (Valentina Farcas chante Blonde dans Clemenza di Tito, ou Zerbinette d’Ariane à Naxos), mais la voix manque d’un peu de corps: au total là aussi l’impression de froideur domine celle de tendresse.
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Le Cherubino de Tove Dahlberg est sans doute scéniquement l’un des plus justes que j’ai jamais vus, vraiment l’apprenti Comte qu’on attend, une fripouille qui sait à la fois exciter le désir et se faire pardonner. Dans le monde d’Adrian Noble, personne n’est tout à fait blanc ni tout à fait noir. Déjà dans la distribution de 2007,Tove Dahlberg confirme ici ses qualités. Mais là encore, la tendresse qu’on attendrait dans “Non so piu’ cosa son..” ou dans le “Voi che sapete..” laisse place à une sorte d’expression du désir qui sort par tous les pores et qui emporte tout. Le personnage rappelle beaucoup le Cherubino magnifique de Christine Schäfer dans la production de Christoph Marthaler à Salzbourg et Paris, mais Chistine Schäfer réussissait peut-être mieux à émouvoir et à rendre vocalement l’ambiguité et la complexité du personnage que Tove Dahlberg ici rend parfaitement, mais plus scéniquement que vocalement. On dit souvent que le rôle de Barberine est plus difficile qu’il n’y paraît et que son air minuscule du début de l’acte IV (L’ho perduta …me meschina) annonce une future Susanna. L’intensité de Elena Galitskaia dans cet air est vraiment étonnante, et la couleur de la voix annonce incontestablement une possible Susanna. Joli moment. Enfin Adrian Noble a présenté le couple Marzellina-Bartolo comme moins “vieux”, moins “barbons” que d’habitude. Bartolo est une sorte de vieux beau, et Marzellina a la cinquantaine énergique, vaguement ridicule avec ses cheveux roux, une sorte de vieille secrétaire des films américains. Il est dommage que son air du quatrième acte “Il capro e la capretta” appel à la solidarité féminine ait été coupé (tout comme l’air de Basilio “In quegl’anni”), mais la toute jeune Agnes Selma Weiland, qui appartient encore je crois à l’opéra Studio du théâtre de Brème, donne un vrai relief au personnage et en même temps une vraie fraîcheur, ce qui est paradoxal quand on pense à Marzellina, même si je garde une grande tendresse pour les compositions de Sophie Pondjiclis dans ce rôle où elle a incontestablement marqué les années 90 et le début des années 2000 (voir la production de René Jacobs au Théâtre des Champs Elysées).
Du côté des hommes, Bartolo surprend dans une production où le personnage n’est pas le ridicule habituel, il est confié à Andreas Bauer, basse en troupe à la Staatsoper de Berlin, qui donne relief et assise au personnage. On aime à retrouver Jean-Paul Fouchécourt dans un rôle de composition comme Basilio (lui qui fut inoubliable dans Platée). Fouchécourt est en train de prendre les rôles dans lesquels le grand Michel Sénéchal brilla naguère. Le comte de Rudolf Rosen en revanche déçoit un peu. Il est incontestablement le personnage dont l’entrée en scène ouvrant sa robe de chambre (il est en caleçon dessous) devant Susanna est une des idées les plus désopilantes et justes de la mise en scène, mais la voix manque de ductilité notamment dans son air du troisième acte “Hai già vinto la causa” où les vocalises finales manquent de souplesse et sont sérieusement “savonnées”, manque de projection aussi, et donc manque de relief. Dommage, car le personnage est très juste scéniquement.

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Ce n’est pas le cas du Figaro de Vito Priante, seul italien d’une distribution très germano-nordique, impeccable scéniquement et à la voix chaude, chaleureuse, bien posée, à la diction et à l’émission parfaites: un vrai Figaro, et sans doute un chanteur d’avenir. A noter que beaucoup ajoutent à leurs airs des cadences, pas toujours réussies pour mon goût mais qui ont le mérite de mieux inscrire l’œuvre dans son époque: quand j’ai commencé à aller à l’opéra, on n’entendait jamais de cadences dans les opéras de Mozart et notamment dans les Noces, elles ont commencé à apparaître sur scène dans les années 90, et c’est heureux, cela donne de la variété et de l’invention et cela ne fige pas la partition.
Tous ces artistes sont très engagés dans la mise en scène d’Adrian Noble, dont ils épousent parfaitement les demandes. Adrian Noble a situé sa trilogie aux USA, qui, dit-il, sont aujourd’hui l’Empire qu’était l’Empire d’Autriche à l’époque de Mozart, ainsi Cosi’ fan tutte est situé en Californie et Don Giovanni à Little Italy (Peter Sellars avait d’ailleurs déjà eu il y a  trente ans la même idée, alors révolutionnaire). En balayant la Trilogie de Da Ponte, Adrian Noble balaie la société américaine, et il situe ses Noces à Washington, à l’ombre de la Maison Blanche (on pense irresistiblement à l’affaire Monica Lewinski-Bill Clinton), le Comte est d’ailleurs à son entrée accompagné d’un garde en grand uniforme américain. Ce monde est très léger, très transparent (en suspension au dessus du plateau au premier acte les tables de mariage du troisième acte et les chaises), et sens dessus-dessous (les personnages marchent sur des plafonds à la Tiepolo) on voit aussi ce qui se passe dans le cagibi du second acte où est enfermé Cherubino puis Susanna, Cette transparence est en quelque sorte une gageure dans une œuvre où comme celle de Beaumarchais, les objets sont nombreux,envahissants, omniprésents et totalement indispensables au déroulement de l’intrigue: ainsi du fauteuil du premier acte apporté en scène en grande pompe. J’ai trouvé les deux premiers actes mieux réglés que les deux derniers.

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Le troisième acte est cependant, assez banal, plus illustratif qu’explicatif, seul moment où l’espace, envahi par les tables du banquet de mariage, est totalement (et volontairement?) contraint. Quant au quatrième acte, dans ce très beau décor de bosquets-nuages et ce bassin central au bord et dans lequel se roulent les personnages, on a besoin d’une très grande clarté des mouvements (qui est qui? qui est où? qui passe? qui reste?) tant c’est un ballet d’ombres. Ici, les choses ne sont pas réglées clairement et j’avoue avoir encore (et toujours) en référence la mise en scène de Strehler, qui maîtrisait (qui maîtrise, on la verra encore à Paris en fin de saison) tellement bien les entrées et les sorties, les passages, que tout était clair et identifiable en un ballet à la fois désopilant et poétique. On n’a rien fait de mieux depuis en matière de réglage de ce quatrième acte (peut être Jonathan Miller avec Abbado à Vienne et Ferrare?).

Il reste que dans l’ensemble on a là une production virevoltante, qui rend justice à cette folie voulue par Mozart, tant musicale (avec une direction rapide, énergique, contrastée) que scénique et une compagnie homogène, qui fait a fait finir dans la joie et l’enthousiasme ce Festival Mozart tout à l’honneur de l’Opéra de Lyon.

Quelques remarques complémentaires: une fois de plus, et peut-être encore plus que d’habitude, le théâtre était rempli de jeunes ce qui a fait craindre à certains spectateurs voisins une certaine agitation: rien de tout cela, je regardais çà et là les visages de ces jeunes, ils étaient captivés et souriants, un peu comme ce merveilleux visage qu’on voyait dans la “Flûte enchantée” de Bergman. “Lycéens et apprentis à l’Opéra” fait un magnifique travail grâce à la région Rhône Alpes, il faut le dire et le répéter sans cesse: c’est pour moi la meilleure manière de faire approcher l’opéra aux jeunes générations, en les confrontant à des productions de qualité, et à un répertoire riche et diversifié.
Ensuite, et cette remarque m’est plus personnelle, Le Nozze di Figaro, c’est mon opéra préféré de la trilogie Da Ponte, sans doute parce que ce fut mon premier opéra de Mozart (dans la mise en scène de Strehler, une chance inouïe donnée au jeune que j’étais en 1974), sans doute parce que j’ai toujours adoré le deuxième acte, et notamment sa seconde moitié, qui respire rien que par la musique, pendant 20 minutes sans récitatifs (une première, comme il est dit dans le film Amadeus de Milos Forman), une musique étourdissante qui épouse le théâtre, les mouvements et les cœurs, qui épouse la vie.

OPERA DE LYON 2010-2011: OTELLO de G.ROSSINI (Dir: Evelino PIDO’, avec Anna Caterina ANTONACCI) le 9 novembre 2010

L’opéra de Lyon programme chaque saison un opéra en version de concert, plutôt choisi dans le répertoire belcantiste. C’est au tour du rare Otello de Rossini cette année, dans une distribution alléchante, présenté aussi au Théâtre des Champs Elysées. L’Otello de Rossini fut l’Otello du XIXème, jusqu’à ce que celui de Verdi, au livret plus proche de l’original et bien mieux construit, le détronât. L’oeuvre est depuis une rareté sur les scènes. On en a vu à Londres, à Wildbad, à Pesaro. Pas de production référencée à Paris si je ne me trompe. Pour ma part, je l’ai vu sur scène à Pesaro en 1988, avec June Anderson, Rockwell Blake, Chris Merritt. Quel souvenir !

L’oeuvre est étrange: d’une part le livret de Francesco Berio di Salsa offre le choix entre une fin sanglante et tragique (Desdemona est poignardée, et pas étouffée) et un “happy end”, le méchant est dénoncé avant l’issue fatale, le couple se parle et tout se termine bien. Le livret  ficelé comme ceux de nombre d’opéras de l’époque: une femme prise entre deux hommes, celui qu’elle aime; Otello, et celui que son père lui impose, Rodrigo. L’intrigue ourdie par Jago est simplifiée: Jago fut jadis amoureux d’elle, il soustrait une lettre écrite par Desdemona (à Otello) en la présentant à Otello comme écrite à Rodrigo. Pas de mouchoir donc, mais une Desdemona prise entre le père et les deux amoureux, de la tempête, de l’orage, des crescendos, des ensembles, des aigus, des suraigus, des écarts redoutables pour rien moins que cinq ténors sur huit chanteurs,et une basse, un soprano, un mezzo. Jago est un ténor, Rodrigo, aussi, qui a le rôle le plus spectaculaire et le plus pyrotechnique, Otello enfin aussi, mais avec une voix plus épaisse et un  plus sombre. Toutes les couleurs du ténor dans un opéra dont on a loué surtout le troisième acte (c’est injuste pour les deux autres), considéré comme un des grands chef d’oeuvre de l’écriture lyrique. On aura compris qu’il faut des chanteurs d’exception pour tenir le choc.

La distribution réunie à Lyon a relevé le défi et remporté un très grand succès. D’abord, en confiant à Evelino Pido’ les rênes de l’orchestre (décidément de très grande qualité: les bois très sollicités étaient vraiment remarquables l’autre soir, on a l’assurance non seulement d’une grande précision dans la construction orchestrale et d’une grande sécurité pour les chanteurs. Evelino Pido’ est plus apprécié en France qu’en Italie où il est plutôt rangé dans les chefs de répertoire de grande série, plutôt que parmi les inventeurs. C’est vraiment injuste, car ce mardi soir, il a montré toutes ses qualités d’interprétation, de rythme, de sens des ensembles. Ce fut un grand moment qu’écouter cette oeuvre dans ces conditions, qui contrairement à ce qu’on écrit ne se limite pas au seul troisième acte, les duos du second acte, les ensembles du premier acte sont captivants (pour qui aime se bercer à ce répertoire naturellement). On est toujours frappé par le métier de Rossini, qui trouve des accents, des rythmes, des écarts qui sont surprenants et qui effectivement capturent l’attention et qui ne laissent pas le spectateur en repos, même si les “trucs” auxquels il nous a habitués par ailleurs se retrouvent, les phrases empruntées à l’un ou l’autre de ses opéras, les ensembles souvent construits selon les mêmes canons.. on est frappé aussi de voir combien Rossini va essaimer. On est forcé par exemple de constater combien Verdi a écouté son Otello, le duo Jago/Otello du 2ème acte en est un exemple frappant.

Le rôle de Desdemona confié à une personnalité telle que Anna Caterina Antonacci indique d’une part clairement que la Desdemona de Rossini est bien le personnage central de l’oeuvre, celui vers qui tout converge. Il faut une interprète, une personnalité, une voix: Antonacci est les trois à la fois. La couleur sombre de la voix lui convient bien (la créatrice, Isabella Colbran était mezzo-soprano, et n’avait pas à ce qu’on sait des aigus triomphants), mais il lui manque à mon avis un soupçon de poésie. Sa chanson du Saule (qui vaut bien celle de Verdi) serait tout au aussi convaincante sans “surjouer”. Autant Antonacci sait être émouvante, autant ici sa prestation manque ce cette chair qu’elle a su donner ailleurs. Sa Desdemona ne m’a pas totalement convaincu. J’ai le souvenir de June Anderson, autrement plus élégiaque, et même un souvenir très personnel dans une petite église de Champagne, où la très musicale Sophie Pondjiclis avait donné de la chanson du saule une interprétation qui m’a avait à la fois surpris par son intensité et sa justesse, et convaincu que cette chanteuse n’a pas fait la carrière qu’elle méritait.

On n’a pas vraiment pu apprécier à sa juste valeur la chanson du gondolier (sur un texte de Dante!), malgré un orchestre magnifique en ce début de troisième acte, est-ce la prestation assez banale de Tansel Akzeybek, est de le faire chanter à côté du choeur au fond de la scène alors qu’on préfèrerait l’entendre en coulisse (l’effet nous semblerait plus fort), le moment “suspendu” reste plutôt plat et c’est dommage.
Le père (Elmiro) de Marco Vinco est correct sans plus,il est vrai que le rôle ne permet pas la nuance! Si le chant m’est apparu sans reproche, la voix est chaude, bien projetée, Vinco  ne va peut-être pas jusqu’au bout de l’obstination du personnage. Il chante, mais n’interprète pas vraiment.

Restent les trois ténors: José Manuel Zapata qui a chanté le rôle de Jago à Pesaro a dans la voix une douceur qui donne par contraste toute sa noirceur au personnage, d’autant qu’il se compose un physique bien ambigu et chafouin. Sa voix s’allie parfaitement aux deux autres voix, l’une plus claire, l’autre plus sombre et c’est un sans faute technique. Très beaux moments.
A Dmitry Korchak le rôle le plus acrobatique de la partition, celui de Rodrigo, aux écarts redoutables, aux suraigus qui rappellent ceux de la Fille du Régiment. Incontestablement, c’est une voix à suivre qui emporte l’adhésion et triomphe auprès du public. Rien à dire sur la pâte vocale, sur le registre central, sur le rythme et sur l’interprétation, c’est un chant habité et engagé. En revanche, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de chanter ce rôle (il chante aussi Tonio de la Fille du Régiment) car les aigus sont bien trop ouverts et le son produit est carrément vilain. A Lyon du moins, par deux fois, j’ai sursauté de surprise (désagréable), il n’a visiblement plus de réserves et je ne pense pas qu’il gagnera à chanter des rôles aussi tendus et qui ne lui conviennent pas, il y a bien d’autres rôles rossiniens où il doit sans doute exceller pour laisser celui-là à d’autres (qui d’autre d’ailleurs sinon Florez…). j’ai encore dans l’oreille les incroyables variations de Rockwell Blake qui semblaient si faciles, si évidentes, avec ce sourire serein avec lequel il respirait la joie de chanter et nous le paradis.

Pido’ a confié à un vrai ténor et non à un baryténor le rôle d’Otello, et c’est heureux : c’est surtout heureux qu’il ait été confié à John Osborn, qu’on a vu dans Leopold de La Juive à Bastille et qu’on n’a pas oublié. La technique est impressionnante: les aigus (moins exigeants que ceux de Rodrigo ) sont autrement négociés que chez Korchak, mais la respiration, la technique, l’émission, la clarté, l’incroyable clarté du texte qu’on entend de manière totalement cristalline, tout est maîtrisé et tout fait sens. C’est magnifique, convaincant, et cela laisse espérer un grand avenir ! On l’attend dans les grands rôle de ténor du répertoire français! Un pur produit de l’école américaine de chant, préparation de fer, sûreté, technique, élégance, mais aussi personnalité qui donne à sa voix de la couleur de la chair et de l’âme, ce qui n’est pas toujours le cas chez les américains. A suivre…

Au total ce fut quand même une belle soirée, jamais ennuyeuse, où personne ne démérite mais où peu réussissent à convaincre totalement . Il reste qu’on peut donc distribuer très correctement Rossini aujourd’hui et que ce répertoire mérite qu’on y revienne. Il y a dans cette musique, au-delà de la réussite mélodique, une vie à peu près unique.

OPERA DE LYON 2010-2011: LE ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor STRAVINSKY (Dir:Kazushi ONO, Ms.en scène: Robert LEPAGE)

Le spectacle de l’Opéra de Lyon est en train de faire le tour du Monde. Après Toronto et Aix, et avant New York, il ouvre la saison 2010-2011 de l’opéra de Lyon. entre annulations pour cause de grève et incroyable succès de l’opération, il est très difficile, mais pas impossible, d’avoir un billet.
De fait, ce spectacle est un enchantement à tous les niveaux.

rossignol_clip1_thumb.1287305402.jpgOn pouvait craindre que l’enchaînement de pièce instrumentales (Ragtime) de petits poèmes chantés, du bref “Renard” en première partie, suivis du Rossignol en deuxième partie, ne nuise à une certaine homogénéité de la soirée et ne dilue l’attention. Il n’en est rien. le dispositif scénique aide évidemment par sa cohérence à rentrer immédiatement dans la logique du spectacle, russe dans sa première partie, chinois dans sa seconde partie, mais usant de formes à la fois populaires (théâtre d’ombres, danseurs, marionnettes sur l’eau) et simples (au moins apparemment), avec l’orchestre sur scène tout au long de la soirée, qui marque aussi une certaine cohérence de dispositif.
rossignol_thumb.1287305433.jpgAinsi, une fois de plus, Robert Lepage montre que pour tout cle répertoire qui s’appuie sur des histoires, des contes, des récits, il est sans rival: il montre l’histoire, sans en rechercher les substrats idéologiques ou politiques, mais il la montre totalement, avec son sens de la poésie, avec son imagination avec son humour (les saynètes de théâtre d’ombres sont étonnantes et pleines de sourires, le lièvre qui a soif, le buveur de bière, le chat qui dort et qui passe de bras en bras…).
Au lieu de faire du Rossignol une chinoiserie, il choisit la forme à la fois ancrée dans une tradition, qui nous est totalement étrangère, et donc complètement distanciée des marionnettes sur l’eau, actionnées par les chanteurs eux mêmes, plongés dans cette piscine à 23° construite en lieu et place de la fosse d’orchestre. Du même coup, on a une impression d’authenticité qu’on n’aurait sûrement pas si l’on s’était contenté de voir des chanteurs jouer l’histoire. Le jeu des marionnettes est aussi parfaitement adapté au temps de l’histoire, 3 actes d’un quart d’heure chacun. Un micromonde enchanté pour un micro opéra. Les solutions trouvées pour les transitions (le rideau tenu par deux machinistes de chaque côté de dispositif), les idées extraordinaires (par exemple le lit du roi malade avec un baldaquin qui en réalité est la mort), tout nous parle, tout finit par émouvoir. O n s’aperçoit à peine que le troisième acte, celui de la mort, n’est plus vraiment du théâtre de marionnettes, mais du théâtre tout simplement avec de vrais personnages, qui rejoignent ainsi le seul personnage qui soit à la fois marionnette et personnage, le Rossignol éblouissant de Olga Peretyatko.
Car à cette perfection esthétique, qui laisse littéralement sous le charme, correspond un travail musical de très haute qualité et de grande valeur. la musique de Stravinsky est complexe, les petites pièces doivent en quelques minutes exprimer une couleur, dessiner une scène. Renard est à ce titre un petit chef d’oeuvre. La précision de l’orchestre et la qualité des instrumentistes (notamment la clarinette de Jean-Michel Bertelli pour les pièces pour clarinette solo), l’ambiance “chambriste”, même lorsque tout l’orchestre est convoqué (pour Le Rossignol), et la familiarité du chef Kazushi Ono pour ce répertoire, tout concourt à construire un univers dont il est difficile de se détacher. Quelle aubaine pour Lyon d’avoir pu débaucher ce chef remarquable à sa sortie de Bruxelles !

Quant aux chanteurs, il n’y a vraiment rien à dire: de nouveau il faut saluer la performance technique et l’extraordinaire poésie du chant de Olga Peretyatko, mais aussi la cuisinière de Elena Semenova, très convaincante, et Svetlana Shilova, beau mezzo qui chante la Mort dans le Rossignol et quelques poèmes dans la première partie. On revoit aussi des chanteurs habituels à Lyon, la belle voix du baryton syrien Nabil Suliman, déjà remarqué dans “Moscou, quartier des cerises), ou Edgaras Montvidas,qui aussi bien dans Renard que dans le pêcheur (Le Rossignol) donne à sa prestation une grande présence. Un beau ténor qu’il faut suivre. Ilya Bannik déçoit un tout petit peu dans l’Empereur et le reste de la distribution, ainsi que le chœur sont sans reproches.

Voilà, encore une belle soirée à Lyon, qui depuis l’arrivée de Serge Dorny propose des productions d’un très haut niveau, toujours très soignées au niveau des mises en scène et des distribution, et qui est toujours plein, mais plein de jeunes.On ne peut que se réjouir que les jeunes présents dans le cadre de “Lycéens à l’Opéra”,dispositif financé par la Région Rhône-Alpes et qui permet à des classes très éloignées géographiquement (la région couvre deux académies, Lyon et Grenoble, et l’académie de Grenoble est très vaste, puisqu’elle va de Genève aux portes d’Orange et qu’elle couvre Drôme, Ardèche, Isère, Savoie et Haute Savoie) de venir à l’Opéra, d’en visiter les coulisses et de bénéficier d’une journée de préparation.Avec ce spectacle, nul doute que toutes les idées préconçues sur l’Opéra s’écroulent, et que le public en sort totalement conquis.

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Photos et vidéos de ce spectacle sur les sites de l’Opéra de Lyon et de Culture Lyon

OPÉRA DE LYON 2009-2010: FESTIVAL POUCHKINE – LA DAME DE PIQUE, de TCHAÏKOVSKI à L’OPERA DE LYON (Dir: Kirill PETRENKO, Mise en scène: Peter STEIN)

A priori, je n’avais pas prévu d’aller revoir ce spectacle de Peter Stein qui m’avait beaucoup déçu lors des représentations de 2008, et qui ne m’avait pas convaincu au niveau du chant. Mais la joie consécutive à Mazeppa, et la perspective d’entendre les mêmes chanteurs et surtout le même chef dans La Dame de Pique, a eu raison de mon hésitation et j’ai assisté, bien m’en a pris, à la dernière représentation du Festival Pouchkine monté à Lyon pour ce mois de mai. J’aime tellement cet opéra! Il m’a réservé une des émotions les plus fortes de ma vie de mélomane, lorsque sur la scène des Champs Elysées, en 1978, je fus comme foudroyé par l’incroyable comtesse de Regina Resnik – nous nous sommes connus plus tard et sommes aujourd’hui très liés – . Regina, assise en étole de fourrure blanche au milieu de la scène, devant l’orchestre (la représentation dirigée par Rostropovitch avec Vichnevskaia en Liza était une version concertante, donnée à l’occasion de l’enregistrement que l’on connaît chez DG), murmurait cette ariette de Grétry en donnant le frisson à la salle, jamais je n’ai entendu aux Champs Elysées une telle ovation, pour cette scène, pour cette seule scène, cela valait tous les voyages. Regina Resnik outre une voix somptueuse,  avait un sens inné du théâtre, un regard, un geste minimal, une diction unique:  tout est dit.

La représentation lyonnaise est de celles qui donnent pleine satisfaction. La production n’est plus vraiment celle que je vis il ya deux ans, car le décor a été détruit (problème d’amiante) et l’on ne l’a pas reconstruit comme pour Mazeppa, mais on a reconstruit des élements de décor noirs qui finalement sont du plus bel effet: la production assise sur le noir et le rouge, acquiert un style qu’elle n’avait pas il y a deux ans, même si, à part souligner le regard ironique de Pouchkine porté sur le monde  ou sur la  vieille comtesse, la mise en scène de Peter Stein n’a pas gagné en génie ni même en intérêt. Mais c’est la musique qui a transcendé la soirée, avec en premier lieu la direction vibrante, colorée, lyrique de Kirill Petrenko, qui exalte les pupitres de l’orchestre de l’Opéra de Lyon et qui ne couvre jamais les voix. Certes, une fois de plus, on peut déplorer cette acoustique sèche et une salle un peu trop petite pour la générosité de l’écriture de Tchaïkovski,  et c’était encore plus net pour Mazeppa à cause du caractère épique de l’oeuvre. Pour la Dame de Pique, qui laisse une place plus forte à l’intimité du drame, c’est un peu moins gênant, sauf pour l’ouverture, qui nécessiterait une salle plus vaste et surtout plus réverbérante. Mais au total, la prestation musicale est remarquable et on se réjouit de revoir Petrenko l’an prochain pour Tristan et Isolde (encore mis en scène par Peter Stein). Je comprends difficilement que chef remarquable n’ait  n’ait eu “l’honneur” de l’opéra de Paris qu’une seule fois, pour une représentation en 2003. Serge Dorny en revanche a du nez…
La distribution n’appelle que des éloges, à commencer par le Hermann de Misha Didyk, vraiment à sa place dans ce rôle très tendu (il fatigue cependant un peu vers la fin): intensité,puissance, maîtrise technique, il domine vraiment la partie et des rôles qu’il a soutenus à Lyon, c’est vraiment celui qui lui convient le mieux. Olga Guryakova est tout aussi intense en Liza, notzamment dans les deux premiers actes, où elle est bouleversante, dans le troisième, elle déçoit un peu (tout comme Didyk d’ailleurs). La Pauline de Elena Maximova, lyrique, élégante, est l’une des bonnes surprises de la soirée, et la Comtesse de Marianna Tarasova est une très belle composition de sorcière en robe à paniers, et la fameuse scène de l’ariette, très bien chantée (même si ce n’est pas Resnik…) est jouée avec une ironie mordante que le public perçoit. Les autres sont tous à leur place, avec une note particulière pour l’élégant Eletski d’Alexey Markov (qui reçoit les applaudissements du public pour son air “ya vas lioubliou” particulièrement réussi pour la chaleur, l’exactitude, l’émission). Enfin, Nikolaï Putilin est un très beau Tomski, personnage vu ici un peu vieillissant, très modéré, une sorte de sage. Les autres rôles sont tenus très correctement.
Au total, une  belle soirée, de très haut niveau, et l’on se réjouit pour tous les jeunes élèves présents: l’ensemble de ce Festival Pouchkine, par son homogénéité, par les choix très justes de distribution, par la direction musicale remarquable de Kirill Petrenko, était un beau cadeau du joli mois de mai. Serge Dorny à la tête de l’Opéra de Lyon, mène une politique intelligente qu’on aimerait voir appliquée à deux heures de TGV de Lyon…

OPÉRA DE LYON 2009-2010: FESTIVAL POUCHKINE -MAZEPPA de P.I.TCHAIKOVSKI 6 mai 2010 (Dir.mus:Kirill PETRENKO avec Anatoli KOTSCHERGA, Nikolaï PUTILIN, Olga GURYAKOVA, Mariana TARASOVA)

060520101968.1273313575.jpgDes dizaines et des dizaines de jeunes, partout dans le théâtre, des fauteuils d’orchestre au poulailler, ils circulent, s’interpellent avant le spectacle, se prennent en photo, et puis font silence dès les premières notes: grâce à la très belle initiative de la Région Rhône-Alpes “Lycéens et apprentis à l’Opéra”, des dizaines de lycées chaque année fréquentent les opéras régionaux ou les grandes salles dédiées à la danse, financés, transportés,  mais aussi préparés aux spectacles. Cette initiative fait de l’Opéra de Lyon la salle la plus ouverte aux jeunes que je connaisse. Cette soirée n’a pas manqué à la règle: c’est le plus gros effort en France en direction de l’Opéra pour que les jeunes puissent pénétrer ce monde qu’ils fréquentent peu.
Et ils ont de la chance en ce moment, ces jeunes de Rhône-Alpes: car l’Opéra de Lyon propose une programmation de haut niveau, qui renoue avec la qualité grâce à la politique de Serge Dorny. En ce mois de mai, les trois opéras de Tchaïkovski, Mazeppa, Eugène Onéguine, La Dame de Pique, sont repris en un “Festival Pouchkine”, fléché dans toute la ville de Lyon, avec la couleur cohérente de trois mises en scènes de Peter Stein, et la garantie de qualité musicale scellée par la présence de Kirill Petrenko au pupitre, et de distributions très homogènes et c’est le cas ce soir, d’un niveau exceptionnel.

060520101967.1273313456.jpgOn connaît peu Kirill Petrenko en France. Ce chef de 37 ans a été directeur musical à Meiningen, théâtre historique de la Thuringe, puis au Komische Oper de Berlin, et en 2013, il dirigera, eh oui, le Ring du bicentenaire de Wagner au Festival de Bayreuth. A chaque fois que je l’ai entendu diriger, ce fut un moment de grâce, dernier en date, l’an dernier, Jenufa à l’Opéra de Munich. Et cette fois-ci de nouveau, on constate la technique, la mise en place parfaite, la dynamique au service de l’action, l’excellente préparation de l’orchestre et une manière toute particulière et séduisante de faire sonner Tchaïkovski, dans une salle malheureusement ingrate pour l’acoustique orchestrale, très sèche, sans aucune réverbération, sans respiration, ce qui pour une oeuvre aussi épique, constitue sans aucun doute une gêne . Je pense que c’est une erreur que d’avoir construit une salle (de Jean Nouvel, rappelons-le) trop petite. C’était sans compter sur l’augmentation régulière des publics.
Petrenko, un nom à retenir, courez l’écouter.

Peter Stein a construit ses trois mises en scène sur des partis pris de fidélité à l’histoire, sans vrai recul, dans des décors de son complice habituel Ferdinand Wögerbauer . Des trois La Dame de Pique m’est apparue de loin la plus décevante , Eugène Onéguine est mieux construit par sa vision d’une société étriquée, vaguement tchékhovienne, mais pour mon goût, c’est Mazeppa la meilleure des trois productions:  un  parti pris qui laisse sa place à l’épopée, mais qui tient compte d’un rapport scène-salle de proximité, et ménage donc aussi des moments d’intimité, avec de très belles images (la bataille de Poltava au troisième acte notamment), et une couleur d’ensemble qui ne manque pas de poésie ( la scène finale est très réussie), avec un traitement pittoresque des costumes et des tapis au premier acte – monde idéal et rêvé d’une Russie d’opérette- qui est lourd d’ironie lorsque l’on considère la suite de l’histoire. Certes, rien de révolutionnaire, il y a longtemps que Peter Stein ne provoque plus de prurit chez le public, mais un spectacle prenant, un parti pris de simplicité et de relatif dépouillement, et une ligne dramatique bien dessinée. J’avais vu ses trois  productions ces dernières années, mais c’est Mazeppa que j’ai voulu revoir, avec une distribution partiellement renouvelée (Nikolaï Putilin en Mazeppa, succédant à Wojtek Drabowicz, disparu en 2007, et Olga Guryakova en Marie succédant à Anna Samuil).

L’ensemble de la distribution réunie n’appelle aucun commentaire négatif. Certes, la voix de Anatoli Kotscherga a vieilli et se montre moins sonore que par le passé (il fut le Boris et le Khovantski d’Abbado), mais elle convient bien au rôle et reste intense, avec une diction absolument impeccable, et l’interprétation est vraiment souveraine. Un très grand Kotchubeï . De même le Mazeppa de Putilin, à la belle voix de baryton, lui aussi doué d’une diction exemplaire, et d’une clarté dans l’émission et d’un timbre séduisant. Il arrive à rendre palpable l’ambiguité du personnage, à la fois un méchant éperdu de pouvoir, mais en même temps un amoureux déchiré entre son ambition et son amour. L’Andreï du ténor ukrainien Misha Didyk réussit lui aussi à rendre  le personnage intense, malgré quelques hésitations au début: il semble avoir plus de difficultés dans le lyrisme, la voix manque de ce velours nécessaire; tout le duo inital avec Marie en effet n’est pas vraiment convaincant. Mais la voix est solide, bien posée, puissante; ce rôle, notamment dans ses parties plus dramatiques lui convient manifestement mieux que celui de Des Grieux, dans ce même théâtre en janvier/février dernier, où il n’était pas vraiment à sa place.

Les deux femmes sont tout à fait convaincantes, la Lioubov de Mariana Tarasova est intense, juste, la voix est puissante, sans aucun problème technique, le timbre est séduisant et le duo avec Marie du second acte est un des sommets de la soirée.La Marie d’Olga Guryakova, est elle aussi vraiment excellente, même si l’on pourrait quelquefois espérer une voix plus modulée dans les parties plus lyriques (on aimerait entendre quelquefois des “piani”): voilà une chanteuse qui est appelée par les plus grands théâtres pour des rôles italiens, elle en a la puissance et l’abattage, il n’est pas sûr qu’elle en ait toujours la subtilité. Mais c’est une vraie voix dramatique, elle aussi intense: l’air final est vraiment bouleversant.

060520101969.1273313632.jpgAu total, voilà un spectacle bien construit, musicalement impeccable ou à peu près, séduisant pour le public qui fait un triomphe à toute la compagnie, et en particulier à Anatoli Kotscherga et au chef. L’initiative de ce Festival est donc une réussite et l’Opéra de Lyon montre une fois de plus l’excellence de ses choix, fondée sur une politique artistique assise sur des artistes de qualité, sur des fidélités, et sur une grande cohérence des choix de répertoire.

OPÉRA DE LYON 2009-2010: MANON LESCAUT de Puccini (Kazushi Ono, Svetla Vassileva) le 28 janvier 2010

Manon a inspiré les musiciens, ballets et opéras, mais aussi films s´appuient sur l´oeuvre de l´abbé Prévost tout au long des trois siècles qui nous séparent de la première édition du roman. Le XIXème siècle en a fait un grand mythe romantique de l´amour. Auber, Massenet, Puccini nous ont laissé une Manon – et Massenet même deux, puisqu´il en a laissé une suite en 1894 (le Portrait de Manon) – , au XXème c´est le tour de Henze dans son Boulevard Solitude . Huit ans séparent la Manon de Massenet de celle de Puccini. Le livret de Puccini a été écrit à plusieurs mains, et l´immense succès de Massenet freinait beaucoup Giulio Ricordi, mais Puccini tenait à cette histoire d´amour. Alors que Massenet reste fidèle à la trame du roman (même s´il élimine l´épisode américain et sans la figure de Tiberge mais Puccini la sacrifie aussi, en reprenant seulement de pâles traits dans le personnage d´Edmond au premier acte), Puccini transforme profondément l’intrigue en se concentrant sur l´histoire du couple et de leur passion , plus que sur le destin de Manon et en proposant une construction trés elliptique, presque parabolique: il élimine totalement le bonheur du couple, et après le premier acte et la fuite, on retrouve Manon , qui a déjà quitté Des Grieux, chez Géronte. Le climax de l´oeuvre étant l´arrestation de Manon à la fin du deuxième acte. La rencontre et la fuite, les retrouvailles, la chute, la mort: quatre moments clefs de l´existence du couple: de cette concentration naît une construction serrée, qui plaît à Puccini (La Bohème est à peu près construite en quatre moments de la même manière). Puccini semble moins à l´aise dans les moments plus narratifs, ce qui l´intéresse ce sont les vraies scènes entre personnages forts, les grands duos – il rêva de produire un duo d´amour qui eût pu voisiner celui de Tristan), bref, les grands chocs. L´oeuvre, considérée quelquefois encore comme une oeuvre de jeunesse, contient déjà une structure harmonique complexe, une maîtrise absolue de la mélodie et de l´instrumentation: ce n´est pas un hasard si Abbado, qui n´a jamais dirigé de Puccini à l´opéra, projetait de s´attaquer à Manon Lescaut.

Kazushi Ono, qui dirige la production de Lyon semble être, par son attirance vers les oeuvres du XXème siècle, bien adapté à une lecture “moderne” de l´écriture puccinienne. Puccini,  rappelons-le, a suivi avec attention notamment le parcours de Schönberg et aimait le Pierrot Lunaire. La lecture du chef japonais est précise, très claire et révèle bien les niveaux de l´instrumentation, il met notamment bien en valeur les vents, il suit les chanteurs avec grande attention, mais son interprétation  manque à mon avis de ce lyrisme intrinsèque à Puccini et reste un peu froide. Il est vrai qu´il n´est pas aidé par l´acoustique très sèche de l´opéra de Lyon, qui ne permet pas au son de se développer, de réverbérer, d´envelopper le spectateur.

Les voix sont pour le moins contrastées: Svetla Vassilieva est une Manon crédible, à l’aigu triomphant, au volume énorme. La voix manque cependant d’homogénéité et se détimbre dans le grave, comme si tous ses efforts avaient porté exclusivement sur les aigus. c’est dommage car les moyens sont très impressionnants et le personnage bien campé.

J’avais déjà remarqué Lionel Lhote dans Germont en juin dernier lors des représentations de Traviata à Lyon: il impressionne très favorablement dans Lescaut, c’est décidément un baryton à suivre, avec du style, de la puissance, de l’élégance.

Ni style ni élégance en revanche chez Misha Didyk qui est un bien piètre Des Grieux.  Non qu’il manquât de puissance, mais la technique est défaillante, peu de legato, les passages très mal négociés, il donne l’impression de s’égosiller et en plus la voix n’est pas de première qualité.Vaillant mais sûrement pas prince…

Le Géronte d’ Alexander Teliga est honorable et les autres rôles sont correctement tenus, sans plus. Notons quand même l’excellent Edmond de Benjamin Bernheim: il faudra l’écouter dans d’autres rôles, car il a chanté sa partie de manière particulièrement élégante et stylée, qui tranchait avec le désordre de Didyk.

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Photo Jean-Louis Hernandez

Quant à la mise en scène, dans un beau décor de Paco Azorín  inspiré d’une célèbre série de tableaux de Monet, la Gare St Lazare (Art Institute de Chicago et Musée d’Orsay notamment) et des costumes de Franca Squarciapino, elle transpose l’action au XXème siècle, dans les années quarante : Géronte de fermier général devient producteur de films à quatre sous, le deuxième acte se déroule dans un hangar studio (allusion à Lulu?), et l’on y tourne un film en costumes ( 2bf8c3d42a.1265063359.jpg

 

Photo Jean-Louis Hernandez

du XVIIIème bien sûr), mais tout cela est anecdotique: Pasqual a voulu insister sur le voyage et notamment le voyage tragique: le troisième acte, départ pour l’Amérique, est une claire allusion à la déportation, et ces voies de chemin de fer qui n’arrivent nulle part sinon là où Manon trouve la mort au quatrième acte en sont une autre. Modernité, crudité du propos, aventures tragiques d’adultes: il y a tout cela dans ce travail interessant sinon toujours convaincant, les deux derniers actes (et notamment le troisième) sont les plus réussis, on aurait aimé un travail scénique plus raffiné sur les choeurs et les foules du premier acte, on aurait aimé un deuxième acte plus fluide et plus clair dans le propos, mais on se souviendra des deux derniers, et notamment de la descente des wagons et du défilé des malheureuses vers le départ pour l’Amérique.Au total un spectacle de bonne qualité scénique au propos pertinent, mais musicalement partiellement convaincant. Les lyonnais ou les Rhônalpins y passeront un très bon moment. Les parisiens pour cette fois peuvent rester dans la capitale!

OPERA DE LYON 2009-2010: TCHERIOMOUCHKI (MOSCOU, QUARTIER DES CERISES) (D.Chostakovitch) (17 décembre 2009)

МОСКВА ЧЕРЕМУШКИ

C’est une reprise, d’un spectacle présenté en création française en 2004, mais l’opéra est encore plein, le public joue le jeu, et la soirée est l’une de celles dont on sort heureux. Dimitri Chostakovitch, écrivait à son propos: ” Je meurs de honte…C’est ennuyeux, sans talent, stupide…”. Il était bien dur avec un travail souriant, bien construit, avec des mélodies séduisantes souvent inspirées (notamment les ballets) de la tradition populaire russe et une orchestration comme toujours très élaborée dont l’ instrumentation exemplaire est mise en valeur par le travail du  jeune chef ukrainien Kirill Karabits qui dirige cette production avec efficacité et allant. L’oeuvre est intéressante à un plus d’un titre: historiquement, elle marque un moment clé de l’histoire de l’Union Soviétique, en plein coeur de la réaction Kroutchévienne au stalinisme, et à la transformation de Moscou, architecturalement et socialement, par un programme de logements sans précédent. Beaucoup de moscovites vivaient dans des conditions précaires, dans des vieux immeubles insalubres, entassés à plusieurs familles, exploitant le moindre recoin. La construction de vastes cités dortoirs représentait un horizon particulièrement enviable pour des habitants entassés dans des logements exigus: découverte d’un certain confort moderne, installation dans des appartements plus vastes, espoir dans un futur souriant et évidemment salut à la gloire de l’état soviétique garant de ces progrès, tout cela est contenu dans une oeuvre “de circonstance”, servant évidemment la gloire du régime. Il y a aussi pour tempérer cette vision idyllique, l’évocation des passe droit, des fonctionnaires corrompus, d’une administration dictatoriale et quelquefois injuste, les bons couples bénéficiant de la politique sociale du régime, les méchants fonctionnaires essayant de profiter de leur position dans la Nomenklatura pour en tirer de multiples avantages sur le dos des petits, mais tout est bien qui finit bien et finalement l’amour triomphe. Voilà en gros la trame de l’oeuvre. Musicalement, on reconnaît toute la fascination de Chostakovitch pour des formes largement puisées dans le Jazz, pour la valse, et l’ambiance musicale est bien celle des célèbres suites de jazz. Toute cette veine n’est pas toujours exploitée par les théâtre et on doit rendre justice à l’Opéra de Lyon pour sa politique originale.
Pour cette reprise, Serge Dorny a réuni une distribution largement slave, qui cependant s’exprime en français dans les dialogues, dans l’ensemble homogène et de qualité, comme toujours à Lyon, avec tout particulièrement la séduisante Lidotchka d’Elena Semionova et le Boris très efficace du jeune syrien Nabil Suliman, voix claire, bien posée, sonore personnage très bien dessiné, la Lioussa de Elena Galitskaia, après un début un peu pâle, affirme de plus en plus sa voix légère de soprano, bonnes prestations de Michael Babajanyan (le méchant Drebedniov) et de Alexander Gerasimov (le gérant corrompu Barabachkine). Quelques réserves en revanche pour le Sergueï du ténor Andreï Ilyushnikov, qui n’arrive pas à négocier les notes aigus, toujours criées et détimbrées, le reste de la distribution est sans reproche et se trouve parfaitement en phase avec cette oeuvre efficace, rythmée. Le choeur est allègre à souhait. La mise en scène de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff, qui signe aussi le décor monumental qui nous plonge dans les années soixante avec une ironie appuyée, est un travail à la fois distancié et tendre, en s’appuyant sur les personnages familiers de leur univers (l’employée dessinée par Marie Christine Orry est vraiment désopilante). Rien de nostalgique, mais une adaptation au rythme endiablé, très rapide s’appuyant sur une succession de scènes brèves et de ballets bien réglés par Anne Martin sur le style du réalisme soviétique. Un travail au total très séduisant, qui fonctionne sur le public de Lyon comme toujours plein de jeunes, en visite à l’Opéra grâce à la très belle opération de la Région Rhône-Alpes “Lycéens à l’Opéra” qui draine de nombreuses classes de toute la région, et notamment les coins les plus reculés.

A la même époque, Bernstein composait West Side Story, à la carrière que l’on connaît, il est amusant de mettre en rapport et en contraste les deux oeuvres. Quant à Chostakovitch, il accepta l’adaptation filmique de l’opérette faite par le cinéaste Gerbert Rappaport, qui eut un bien plus gros succès que la version scénique, et qui aida le musicien à accepter son oeuvre,un peu isolée dans toute sa production symphonique. C’est en tous cas un spectacle à voir, qui rend pleinement justice au musicien, et dont on peut féliciter l’Opéra de Lyon dirigé par Serge Dorny, dont l’intelligente artistique s’affirme d’année en année.