LA SAISON 2021-2022 de la BAYERISCHE STAATSOPER: SERGE DORNY INAUGURE SON MANDAT D’INTENDANT

Ce n’est pas un secret, Wanderer aime la Bayerische Staatsoper, assidument fréquentée depuis 1978. Les lecteurs du site wanderersite.com et de ce blog connaissent le nombre de spectacles dont nous avons rendu compte. C’est à notre avis l’une des maisons de référence en Europe. Elle connaît cette année un changement de pilote : il est difficile de ne pas considérer les projets qui vont y naître, d’autant qu’elle sort d’une période brillante, dominée par la présence, plus rare ces dernières années, de Kirill Petrenko, qui drainait les foules sur son seul nom et même si du point de vue des productions il y a eu quand même un peu de médiocrité pour beaucoup d’exceptionnel…

 

C’est évidemment l’une des saisons les plus attendues, dont bien peu de titres ont fuité, parce que c’est la première saison de Serge Dorny, nouvel Intendant de la Bayerische Staatsoper et de Vladimir Jurowski, néo GMD de Munich qui prendra ses fonctions en septembre 2021. Contrairement à ce que certains journalistes ont écrit lors de son Rosenkavalier récent, il n’est pas encore en poste.
Voilà une saison que Serge Dorny place sous un motto humaniste et prometteur: « Chaque homme est un roi, chaque femme une reine » issu d’une phrase de l’auteur hongrois Dezsö Kosztolányi:
« Chaque homme est un chef-d’œuvre. Dans ses yeux, la souffrance et le désir d’être aimé. Dans son cœur, des expériences et des souvenirs, tout comme dans le vôtre. Et sur sa tête, le sommet de son crâne, comme une couronne royale.Chaque homme est un roi. ».
Il entend promouvoir dans sa programmation et dans les initiatives diverses, nouvelles ou pas, la diversité, dans tous les sens du terme, sociale, culturelle, musicale, l’accessibilité du théâtre pour tous, et à l’inverse que le théâtre aille à tous, en se déplaçant à l’extérieur de la ville ou dans divers lieux de la cité. Pour ce faire, il créée aussi deux festivals,

  • « Septemberfest » (septembre en fête) où entre concerts extérieurs, y compris loin de Munich (Ansbach), fêtes dans les espaces de la Résidence, de grands opéras du répertoire (Gianni Schicchi etc…) avec des interprètes d’exception, il veut créer de l’envie.
  • « Ja-Mai Der neue Festival» (le nouveau festival) il veut justement créer un Festival « du nouveau », mêlant musiques d’hier et d’aujourd’hui en montrant permanences et différences, dans divers lieux culturels de la ville.
  • Enfin, les Münchner Opernfestspiele plus que séculaires, auront un thème directeur annuel, cette année « Strauss, l’opéra et le temps qui passe », autour d’opéras de Strauss au répertoire de Die Frau ohne Schatten à Der Rosenkavalier avec une nouvelle production (Capriccio).

Ce qui frappe, c’est la ligne d’une programmation qui cette année annonce une couleur nouvelle donnée au répertoire, qui va s’élargir un peu plus au XXe siècle et à des œuvres non encore présentées à Munich comme Le Nez de Chostakovitch ou Les Diables de Loudun. À cet effet, il fait appel à tout ce que le monde du théâtre compte comme metteurs en scène d’exception.
Au total, une programmation exigeante, à la fois complexe et accessible. C’est un pari séduisant, qui veut imposer la culture comme une obligation pour la construction de l’humain, mais une culture sans concession, qui doit servir l’intelligence et non l’autosatisfaction, au risque du conflit, du rugueux : je n’invente rien, tout est dit dans les divers documents qu’on pourra aussi trouver sur le site staatsoper.de.
En fait les principes qui ont porté Lyon au sommet des opéras en Europe sont repris, dans une maison aux moyens considérables, riche d’une tradition séculaire, et qui se porte déjà très bien après la brillante période Bachler/Petrenko. Au lieu de se reposer sur du plan-plan de luxe, les choses vont être un peu bousculées et c’est particulièrement stimulant.

Les nouvelles productions :

Octobre-novembre 2021
Chostakovitch, Le Nez (
MeS: Kirill Serebrennikov/Dir : Vladimir Jurowski)
Avec Doris Soffel, Laura Aikin, Boris Pinkhasovich, Sergei Leiferkus, Andrey Popov, Tansel Akseybek  Gennadi Bezzubenkov etc…
C’est surprenant mais l’œuvre n’est pas au répertoire du théâtre, alors qu’elle est l’une des pièces les plus emblématiques de Chostakovitch, couronnant en quelque sorte sa première période « futuriste » (Création en 1930)… trop futuriste sans doute puisque l’URSS devra attendre 1974 pour qu’elle soit de nouveau proposée. Appuyée sur le regard sarcastique de Gogol sur l’ambiance péterbourgeoise, elle peut être adaptée à de nombreux contextes et styles. Kirill Serebrennikov en signera une mise en scène sans nul doute très contemporaine et engagée. La liste des interprètes parle d’elle-même, on y trouve les meilleurs chanteurs, dont la grande Doris Soffel, Sergei Leiferkus, ou Boris Pinkhasovitch. C’est aussi une œuvre emblématique pour Vladimir Jurowski, une sorte de signature initiale qui donne un vrai ton à la programmation.
(7 repr. Du 24/10 au 5/11 et les 17 et 20/07)

Décembre 2021-janvier 2022
Lehár, Giuditta (MeS: Christoph Marthaler/Dir : Gábor Káli)
Avec Vida Miknevičiūtė, Jochen Schmeckenbecher, Daniel Behle, Kerstin Avemo, Sebastian Kohlhepp
(6 repr. du 18/12 au 6/01)
Une œuvre de Lehár créée à l’Opéra de Vienne en 1934, et qui pourtant n’a pas marqué les mémoires, alors qu’elle fut retransmise à l’époque par 120 radios dans le monde. C’est une œuvre hybride, qui illustre à l’instar des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, le désir de son auteur de se confronter à un style plus sérieux, entre opérette et opéra, compte tenu qu’il existe aussi des opérettes sérieuses. C’est exactement le profil qui convient à Christoph Marthaler, qui adore ces œuvres entre chien et loup, qui permettent aussi bien à la fantaisie que la mélancolie de s’installer. Distribution de très haut niveau évidemment, et direction musicale confiée à un jeune chef hongrois peu connu, Gábor Káli lauréat du concours de jeunes chefs d’orchestres de Salzbourg en 2018, et l’un des plus sûrs espoirs de la baguette parce qu’il a triomphé souvent depuis, aussi bien au concert qu’à l’opéra.

Janvier-février-mars 2022
Leoš Janáček, La petite renarde rusée (
MeS: Barrie Kosky/Dir : Mirga Grażinyté-Tyla)
Avec Wolfgang Koch, Yajie Zhang, Elena Tsallagova, Angela Brower etc…
L’œuvre mi-figue, mi-raisin de Janáček, conte animalier et donc histoire d’une profonde humanité, d’une infinie poésie, non dépourvue de tristesse et de nostalgie, est confiée à Barrie Kosky, mage du théâtre et magnifique raconteur d’histoires. La distribution est dominée par Elena Tsallagova (la renarde) et Wolfgang Koch (le garde-chasse). En fosse, pour la première fois à Munich, Mirga Grażinyté-Tyla, Directrice musicale  du Birmingham Symphony Orchestra, l’une des baguettes les plus riches d’avenir aujourd’hui. Il faudra sans doute faire le voyage.
(9 repr. Du 30/01 au 15/02, 11 et 16/07(Oper für alle).


Février-mars-juillet 2022
Benjamin Britten, Peter Grimes (
MeS: Stefan Herheim, Dir: Edward Gardner)
Avec Stuart Skelton, Rachel Willis-Sørensen, Iain Paterson, Claudia Mahnke etc…
Autre grand moment de la saison, la première mise en scène à Munich de Stefan Herheim qui se confronte au chef d’œuvre de Britten absent du Nationaltheater depuis une vingtaine d’années. En fosse, Edward Gardner, un spécialiste de ce répertoire, successeur de Vladimir Jurowski au London Philharmonic Orchestra. Stuart Skelton est Peter Grimes, retissant l’histoire des ténors wagnériens se confrontant au chef d’œuvre de Britten (souvenons-nous de Jon Vickers, qui fut longtemps le Peter Grimes de référence, après Peter Pears), à ses côtés une distribution particulièrement adaptée à cette œuvre, Rachel Willis-Sørensen, Iain Peterson, Claudia Mahnke par exemple. Un retour qui se veut marquant.
(7 repr. Du 28/02 au 13/03, 9 et 12/07)

Le Cuvillés-Theater

Mars 2022
Haydn, L’infedeltà delusa
(MeS: Marie-Eve Signeyrole/Dir : Giedré Šlekytė)
Avec les membres de l’Opéra-Studio de la Bayerische Staatsoper
(6 repr.du 19 au 29/03)
Pour l’Opéra Studio, dans l’écrin somptueux du Théâtre Cuvilliés, un opéra de Haydn, bien plus rare sur les scènes d’opéra que sur les podiums d’orchestres. L’infedeltà delusa (livret de Marco Coltellini) qui remonte à 1773, raconte une histoire marivaudienne de couples, de déguisements ancêtre de Cosi fan tutte en quelque sorte. Œuvre idéale pour de jeunes chanteurs, parce qu’elle oblige à la fois au jeu théâtral de la comédie et du même coup à une véritable attention au texte, sans de monstrueuses difficultés de chant. Dans la fosse, Giedré Šlekytė, une autre cheffe d’orchestre lithuanienne d’avenir et pour la mise en scène Serge Dorny a invité Marie-Eve Signeyrole, dont on a pu voir récemment à Strasbourg Samson et Dalila, et qui travaille régulièrement en Allemagne.
La production du Studio est un rendez-vous annuel traditionnel, et la rencontre avec Haydn est une excellente idée.
Bayerisches Staatsorchester
Cuvilliés-Theater

Mai-Juillet 2022
Berlioz, Les Troyens (
MeS: Christophe Honoré/Dir : Daniele Rustioni)
avec Marie-Nicole Lemieux, Eve Maud-Hubeaux, Anita Rashvelishvili/Ekaterina Sementchuk, Stéphane Degout, Gregory Kunde/Brandon Jovanovitch
Une équipe liée à Serge Dorny pour ces Troyens qui reviennent à Munich après deux décennies d’absence (précédente production avec Zubin Mehta au pupitre), d’une part il offre à Christophe Honoré cette œuvre monumentale, mais aussi intimiste, qui devrait lui convenir, notamment en confrontant sa grande sensibilité aux destins des deux grands personnages féminins. Ce sera l’occasion pour le public munichois de découvrir l’approche si particulière de Christophe Honoré, qui pour la première fois passe les frontières. L’autre compère, c’est Daniele Rustioni, premier chef invité à Munich désormais, qui adore la musique de Berlioz. Enfin une distribution particulièrement soignée (plus séduisante en mai qu’en juillet à mon avis) sur le plateau, Marie-Nicole Lemieux en Cassandre, Anita Rashvelishvili en Didon (Ekaterina Sementchuk en juillet) et surtout Gregory Kunde en Énée (Brandon Jovanovich en juillet), entourés notamment de Stéphane Degout (Chorèbe) et de Eve-Maud hubeaux en Ascagne et notons le ténor Martin Mitterrutzner en Iopas, c’est paraît-il un des ténors de l’avenir.
On ira, bien entendu.
(7 repr. du 9 au 29 mai, et les 6 et 10 juillet)

 

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Festival Ja-Mai der neue Festival (en divers lieux culturels de la cité)

C’est sans doute la plus grande nouveauté de l’année, un festival de Printemps qui associe des formes très contemporaines et d’autres anciennes, qui confronte les genres, le langage, parlé, chanté, psalmodié, qui confronte et qui tresse. Mais un festival qui sort aussi de la grande maison pour aller au contact d’autres lieux, d’autres institutions, qui ainsi accueillent aussi ces formes nouvelles, mais aussi d’autres ensembles musicaux. Cette année c’est une trilogie de Georg Friedrich Haas (et de son librettiste Händl Klaus) créées dans le cadre intime du merveilleux théâtre de Schwetzingen en 2016 qui est ici reprise, chacun des œuvres, Thomas, Bluthaus et Koma tressée à des madrigaux de Monteverdi et faisant chacun l’objet d’une production avec une équipe différente.

Georg Friedrich Haas/Claudio Monteverdi :
Thomas/ Il lamento di Arianna (MeS : Anne Sophie Mahler, Dir : Alexandre Bloch)
Avec Holger Falk, Konstantin Krimmel, Caspar Singh etc…
Münchener Kammerorchester
L’équipe la plus nouvelle, le jeune chef français (excellent) Alexandre Bloch, directeur musical de l’Orchestre National de Lille qui conduira le Münchener Kammerorchester et la metteuse en scène berlinoise Anne-Sophie Mahler, qui a été aux écoles de Marthaler et de Schlingensief, qui la rend immédiatement sympathique et qui conduit une carrière de théâtre et d’opéra un peu partout en Allemagne.
(4 repr. du 20 au 29 mai)
à la Reithalle

Bluthaus/Il lamento della ninfa/Il ballo delle ingrate (MeS : Claus Guth, Dir : Titus Engel)
Avec Vera-Lotte Böcker, Nicola Beller-Carbone, Bo Skovhus
Bayerisches Staatsorchester
Production Bayerische Staatsoper, Residenztheater München
Coproduction Opéra National de Lyon, Bergen Nasjonale Opera
Une production qu’on verra à Lyon dans les prochaines années, et une équipe plus connue, composée du chef suisse remarquable Titus Engel (qui a dirigé à Lyon le dernier Château de Barbe-Bleue, et Claus Guth, absent de l’Opéra de Munich depuis au moins une décennie, avec une distribution très solide où l’on note la présence de Bo Skovhus.
(5 repr. du 21 au 29/05)
Au Cuvilliés-Theater

Koma/Il combattimento di Tancredi e Clorinda (MeS: Romeo Castellucci, Dir : Teodor Currentzis)
Avec Kayleigh Decker, Deanna Breiwick, Daniel Gloger, Nikolaï Borchev
MusicAeterna
Production Bayerische Staatsoper, Münchner Volkstheater, Münchner Kammerspiele,
Coproduction Theater Basel, Théâtre National Croate de Zagreb, Opéra de Rouen, Novaya Opera Moscou Münchner Volkstheater
(4 repr. du 22 au 29 mai)
Au Münchner Volkstheater.
Gradation dans la sensation, l’équipe Castellucci/Currentzis fera courir le banc l’arrière banc et tous les animaux du pays lyrique munichois et non munichois.
Comme on peut le constater, une entreprise complètement neuve, ouverte, et riche de potentialités, qui devrait si elle fonctionne, devenir un rendez-vous incontournable.

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Juin 2022
Krzysztof Penderecki, Die Teufel von Loudun (Les diables de Loudun) (
MeS: Simon Stone/Dir : Vladimir Jurowski)
Avec Ausrine Stundyté, John Lundgren, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Ursula Hesse von der Steinen, Lindsey Ammann etc…
Bayerische Staatsorchester
En ouverture du festival d’été, l’œuvre de Penderecki jamais jouée à Munich qui raconte l’histoire des possédées de Loudun et du malheureux prêtre Urbain Grandier (racontée dans le fameux film en 1971 de Ken Russell, Les Diables qui a sans doute puisé l’idée dans cette œuvre). Elle sera jouée dans la version originale de 1969 (Hambourg) qui selon Vladimir Jurowski est plus « rude » musicalement que la version révisée de 2012-2013. Distribution exceptionnelle et mise en scène de Simon Stone, quoi va sans doute créer un univers particulier dont il a le secret, tel que celui créé pour le Lear de Reiman à Salzbourg
(4 repr. du 27 juin au 7 juillet)

Prinzregententheater

Juillet 2022
Richard Strauss, Capriccio
(MeS: David Marton, Dir : Lothar Koenigs)
Avec Diana Damrau, Michael Nagy, Pavol Breslik, Vito Priante, Tanja Ariane Baumgartner etc…
Distribution éblouissante pour cette première à Munich de la production vue à Lyon et Bruxelles d’un David Marton familier des Kammerspiele de Munich mais qui n’a jamais travaillé à la Staatsoper. Marton s’intéresse au travail sur les livrets, à la relation entre texte et musique (il est lui-même musicien) et à la déconstruction des œuvres. C’est dans ce sens l’œuvre idéale pour lui, lieu d’un débat théorique sur le genre opéra, alors que l’Europe entière se) déchire sous les bombes (création en 1942), c’est cet aller-retour entre Art et barbarie qui fascine et qui confirme que l’art doit triompher, toujours et partout.
(5 repr. du 17 au 27/07)
Au Prinzregententheater

On peut le constater, ces nouvelles productions sont nettement orientées vers le XXe siècle, en proposant une large palette de styles aussi bien  traditionnels (Peter Grimes) que résolument contemporains (Trilogie de Georg Friedrich Haas) mais aussi de format (avec de gros formats comme Les Troyens et Les Diables de Loudun), mais aussi large palette de traditions, russe, française, britannique, germanique en restant soucieux de la tradition de la maison avec le focus sur Richard Strauss incluant la nouvelle production de Capriccio. L’offre est exigeante mais loin d’être inaccessible parce qu’elle suit une ligne précise et surtout parce qu’à tous niveaux la qualité est exceptionnelle, et pas seulement sur les nouvelles productions, mais aussi pour le répertoire.

Répertoire :

 

On ne va pas s’intéresser à chaque titre, le lecteur reconnaîtra les siens, mais signaler çà et là les nouveautés. Car il y en a, notamment pour les chefs qui assurent les représentations ; on va voir dans la fosse de très nombreuses nouvelles têtes pour Munich, des chanteurs confirmés, mais aussi des voix nouvelles.
Rappelons ce que signifie répertoire en termes d’organisation.
Un théâtre de répertoire entretient une troupe de chanteurs différente selon la taille de la maison, à Munich autour de 25 chanteurs, qui assurent tous les rôles secondaires, mais qui peuvent aussi soit assurer les premiers rôles ou pourvoir le cas échéant doubler. Le choix des chanteurs est donc essentiel, d’où l’importance du studio, où les jeunes trouvent ensuite un premier engagement dans la troupe du théâtre s’ils sont valeureux.
Les répétitions des Premières sont très longues, et très précises, avec un cahier des charges essentiel pour les reprises (cahier de régie). On imagine cette importance quand le spectacle remonte à plusieurs dizaines années (par ex. La Cenerentola de Ponnelle). Quelquefois les productions sont l’objet d’un « ravalement » qu’on appelle « Wiederaufnahme », dans ce cas il y a plus de répétitions que pour une reprise normale. Car il y a en cas de reprise de répertoire très peu de répétitions (quelquefois même pas un service d’orchestre), il faut donc des chefs sûrs qui connaissent parfaitement la partition et certains n’arrivent évidemment pas à imposer à l’orchestre de rompre avec des habitudes, notamment dans un répertoire qu’ils connaissent (trop) bien.
Les reprises de répertoire en général affichent les titres créées l’année précédente dans les distributions et avec le chef de la première, et sinon les reprises d’autres titres sont affichés régulièrement pour les grands standards, éventuellement avec des casts différents. C’est le cas la saison prochaine pour Die Tote Stadt (créé avec Petrenko/Kaufmann et Petersen et affichée cette année avec Lothar Koenigs/Klaus Florian Vogt, Elena Guseva) ou Die Frau ohne Schatten (Petrenko/Koch, Pankratova, Schuster, Dean-Smith et Merbeth dans la dernière reprise de 2017 et cette année Gergiev/Volle-Stemme, Jovanovich-Nylund, Fujimura)…
Par ailleurs Serge Dorny, qui on va le voir appelle de nombreux chefs différents notamment pour le répertoire italien s’est attaché la présence régulière de Daniele Rustioni, nommé premier chef invité, qui dirigera cinq productions dont Tabarro, Gianni Schicchi, Otello, Un Ballo in maschera en répertoire et une Première (Les Troyens). Du côté du répertoire allemand, il s’est attaché Lothar Koenigs, chef de bon niveau, qui dirigeait déjà à Munich, et qui assurera cette année une Première (Capriccio), mais aussi quelques reprises (Die Tote Stadt, Tristan und Isolde).

 

Septembre 2021 (Septemberfest)
Puccini, Gianni Schicchi (MeS : Lotte de Beer/Dir : Daniele Rustioni)
Avec Ambrogio Maestri, Emily Pogorelc, Galeano Salas, Lindsey Ammann etc…
(2 repr. 18 et 19/09 tarif spécial de 25€/8€)

Puccini, Il Tabarro (MeS : Lotte de Beer/Dir : Daniele Rustioni)
Avec Wolfgang Koch, Yonghoon Lee, Eva-Maria Westbroek
(2 repr. 18 et 19/09 tarif spécial de 25€/8€)
À noter : les représentations de Gianni Schicchi et Tabarro sont séparées et constituent chacune une représentation.
Daniele Rustioni ouvre une programmation de répertoire par ces spectacles au tarif très « politique », mais sans faire d’économies sur les distributions.

 

Septembre-Octobre 2021
Der Fliegende Holländer
(MeS : Peter Kontwitschny /Dir :Bertrand de Billy)
Avec Christof Fischesser, Anja Kampe, Benjamin Bruns, John Lundgren etc…
La production déjà ancienne de Franz Kontwitschny avec une dsitribution tout à fait exceptionnelle et en fosse, Bertrand de Billy qui est un chef plutôt solide.
(4 repr. du 24/09 au 6/10)

Verdi, La Forza del destino (MeS : Martin Kušej /Dir : Andrea Battistoni)
Avec Anja Harteros, Mika Kares, George Petean, Jonas Kaufmann, Ekaterina Sementchuk, Ambrogio Maestri
(3 repr. Du 26/09 au 2/10)
Chef intéressant (plus intéressant qu’Asher Fisch qui a assuré les représentations jusqu’ici), distribution sans reproche,

Octobre-novembre 2021/Février-mars 2022
Puccini, Tosca
(MeS : Luc Bondy/Dir : Daniel Oren (Oct.)/Carlo Rizzi (Fév.)
Avec Anja Harteros, Najmiddin Mavlyanov(Oct.) /Piotr Beczala(Fév.), Luca Salsi (Oct.)/Ambrogio Maestri (Fév.)
(4 repr. du 19/10 au 1/11)
(4 repr. du 20/02 au 4/03)
Sans doute une des dernières présentations de la production Bondy qui a fait son temps (il s’en prépare sans doute une autre pour les saisons prochaines), il faudra écouter Najmiddin Mavlyanov, un Mario déjà fort demandé, et bien sûr, pour Anja Harteros, immense Tosca devant l’Eternel.

Octobre 2021
Puccini, Turandot
(MeS : Carlus Padrissa (La Fura dels Baus)/Dir : Gábor Káli)
Avec Anna Pirozzi, Brian Jagde, Elena Guseva, Alexander Vinogradov
(3 repr. du 7/10 au 13/10)
Du très classique, mais Pirozzi est vraiment très bonne, et on écoutera le jeune Gábor Káli en fosse, avant la première de Giuditta.

Verdi, Falstaff (MeS Mateja Koležnik / Dir : Antonino Fogliani)
Avec Bryn Terfel, Vito Priante, Galeano Salas, Eleonora Buratto, Lindsey Ammann etc…
La distribution se passe de commentaires, et au pupitre opère l’excellent Antonino Fogliani.
(3 repr. du 15 au 21/10)

Octobre-Novembre
Verdi, Il Trovatore
(MeS : Olivier Py/Dir : Francesco Ivan Ciampa)
Avec George Petean, Sondra Radvanovsky, Okka von der Damerau, Francesco Meli
Là encore, même si la production Py est médiocre, la distribution se passe de commentaires et en fosse, Francesco Ivan Ciampa, un chef que très peu de français (ou d’allemands) connaissent, de la même génération que Daniele Rustioni et qui est absolument remarquable, bien plus intéressant que ceux qu’on nous impose généralement pour ces titres à Paris ou ailleurs.
(3 repr. du 31/10 au 6/11)

Novembre 2021
Bizet, Carmen
(MeS : Lina Wertmüller/Dir : Alexandre Bloch)
Avec Dmytro Popov, Lucas Meachem, Varduhi Abrahamyan, Rosa Feola
Du solide avec une Carmen de Varduhi Abrahamyan et une Micaela de Rosa Feola, pas si mal… avec en fosse, Alexandre Bloch, excellent chef français qu’on va revoir à Munich.
(5 repr. du 10 au 24/11)

Braunfels, Die Vögel (MeS: Frank Castorf/Dir : Ingo Metzmacher)
Avec Wolfgang Koch, Günter Papendell, Charles Workman, Michael Nagy, Caroline Wettergreen
Représentations suspendues pour cause de Covid en octobre-novembre 2020 et donc reprise cette saison avec la même distribution (magnifique) de la production luxuriante de Frank Castorf avec le décor fabuleux d’Aleksandar Denić… Sous la direction experte d’Ingo Metzmacher
(3 repr. Du 12 au 18/11)

Novembre-Décembre 2021
Weber, Der Freischütz
(MeS : Dmitry Tcherniakov/Dir : Lothar Koenigs)
Avec Sean Michael Plumb, Golda Schultz, Anna Prohaska, Pavel Černoch, Tomasz Konieczny, Georg Zeppenfeld
Distribution sans reproche de cette production vue en streaming et qui mérite une visite en salle, avec au pupitre Lothar Koenigs (je n’avais pas aimé Manacorda) et une MeS de Tcherniakov qui à la TV ne m’avait pas convaincu. Il faudra aller voir…
(4 repr. du 26/11 au 5/12)

Décembre 2021
Korngold, Die tote Stadt
(MeS : Simon Stone/Dir : Lothar Koenigs)
Avec Klaus-Florian Vogt, Elena Guseva, Christoph Pohl, Jennifer Johnston etc..
Distribution correcte (Vogt ! Guseva !) mais nous avons de tels souvenirs du trio Kaufmann/Petersen/Petrenko que ce sera difficile…
(4 repr. Du 1er au 10/12)


Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : David Bösch/Dir : Evelino Pidò)
Avec Emily Pogorelc, Bogdan Volkov, Erwin Schrott, André Schuen
Du répertoire, avec la jeune Emily Pogorelc qui a intégré la troupe et un trio masculin qui promet fort. Au pupitre le solide Pidò que Serge Dorny a invité pour les Donizetti de répertoire. Et toujours la merveilleuse production de David Bösch.
(3 repr. Du 11 au 17/12)

Mozart, Die Zauberflöte (MeS : August Everding/Dir : Ivor Bolton)
Avec Günther Groissböck, Pavol Breslik, Sabine Devieilhe, Olga Kulchynska etc…
Wow, joli cadeau de Noël, distribution excellente, chef très solide et familier du lieu, et mise en scène historique d’August Everding. À coupler avec Giuditta…
(5 repr. Du 21 au 30/12)

Janvier 2022
Strauss (R.): Ariadne auf Naxos
(MeS : Robert Carsen/Dir : Ulf Schirmer)
Avec Markus Eiche, Daniela Sindram, Brandon Jovanovich, Erin Morley, Tamara Wilson et Udo Wartveitl etc…
Très belle distribution et un chef solide, GMD à Leipzig, qu’on n’avait plus vu à Munich depuis longtemps. Production typiquement carsenienne. Et en prime un acteur munichois connu (Udo Wartveitl ) en majordome.
(3 repr. Du 18 au 26/01)


Janvier-février/Juillet 2022
Strauss (R.): Die schweigsame Frau
(MeS : Barrie Kosky/Dir : Stefan Soltesz)
Avec Franz Hawlata, Christa Mayer (Janv.) Okka von der Damerau (Juil.), Daniel Behle, Brenda Rae etc…
Magnifique production de Barrie Kosky qu’on ne se lasse pas de voir, magnifique Hawlata, toujours extraordinaire acteur et cette fois au pupitre le remarquable Stefan Soltesz, sous-estimé qui doit être pétillant dans cette partition.
(4 repr. Du 29/01 au 4/02 et le 22/07)

Janvier/Juin-Juillet 2022
Puccini, La Bohème
(MeS : Otto Schenk/Dir : Francesco Lanzillotta)
Avec Angel Blue (Janvier) /Ailyn Pérez (Juillet), Emily Pogorelc(Jv)/Aida Garifullina(Jt), Evan LeRoy Johnson(Jv)/Piotr Beczala(Jt) etc…
Du bon répertoire, pour Wanderer de passage, et surtout un autre excellent chef, qu’il faut absolument connaître, Francesco Lanzillotta, qui lui mérite la Scala.
(6 repr. Du 5 au 9/01 et du 25 au 30/07)

Verdi, La Traviata (MeS : Günter Krämer/Dir : Giedré Šlekytė)
Avec Alexandra Kurzak (Janvier)/Lisette Oropesa (Juin-Juillet), Dmytro Popov(Janvier)/Stephen Costello (Juin-Juillet) Simon Keenlyside (Janvier)/Leo Nucci (28/06), Placido Domingo (1/07)
Là aussi du répertoire et un peu de paillettes, avec au pupitre la jeune (et excellente) Giedré Šlekytė et des chanteurs dont on peut dire qu’ils sont hors classe, au moins pour les sopranos et les barytons.
(7 repr du 8/01 au 21/01, et les 28/06 et 1/07)

Février 2022
Rossini, Il Turco in Italia
(MeS : Christof Loy/Dir: Gianluca Capuano)
Avec Alex Esposito, Lisette Oropesa, Nikolay Borchev etc…
Christof Loy, du solide un peu pareil tout le temps, mais distribution exceptionnelle et très bon chef pour Rossini… Si vous passez par là, il faut y entrer.
(4 repr. Du 09 au 18/02)

Mars 2022
Mozart, Le nozze di Figaro
(MeS: Christof Loy/Dir: Thomas Hengelbrock)
Avec Gerald Finley, Golda Schultz, Katharina Konradi, Alex Esposito, Anne Sofie von Otter etc…
Une production correcte, du moderne passepartout, du Christof Loy de bon niveau, et une distribution fabuleuse. Hengelbrock au pupitre, ce ne devrait pas être mauvais…
(4 repr. Du 9 au 20/03)

Donizetti, Lucia di Lammermoor (MeS: Barbara Wysocka/Dir: Evelino Pidò)
avec Nadine Sierra, Andrzej Filończyk, Xabier Anduaga, Riccardo Zanellato
Excellente distribution avec le couple Anduaga/Sierra, mais aussi le baryton Filończyk excellent et Zanellato, la basse fidèle à Serge Dorny. Au pupitre qui fut de Petrenko (soupir à fendre l’âme), le très sûr Pidò. Mise en scène « moderne » qui passe assez bien.
(4 repr. Du 12 au 24/03)

Rossini, La Cenerentola (MeS : Jean-Pierre Ponnelle/Dir : Michele Spotti
avec Marianne Crebassa, Edgardo Rocha, Mattia Olivieri, Renato Girolami, Erwin Schrott
Grande distribution pour une production historique, voire légendaire avec un jeune chef nouveau à Munich mais pas à Lyon, et réel espoir de la direction rossinienne mais pas que : Michele Spotti… Vaut le voyage…
(4 repr. Du 18 au 25/03)

Avril 2022
Mozart, Die Entführung aus dem Serail
(MeS : Martin Duncan/Dir : Stefano Montanari)
Avec Sofia Fomina, Elisabeth Sutphan, Daniel Behle, Jonas Hacker, Ante Jerkunica
Production passable, distribution correcte sans plus mais au pupitre, Stefano Montanari, et là c’est encore un autre nom que les lyonnais connaissent et apprécient, et qui est en train d’exploser partout… Un très grand chef.
(3 repr. du 8 au 13/04)

Wagner, Parsifal (MeS : Pierre Audi/Dir : Mikko Franck)
Avec Christian Gerhaher, Christof Fischesser, Simon O’Neill, Jochen Schmeckenbecher, Anja Harteros
Le Parsifal en noir et blanc d’Audi/Baselitz confié à la baguette de Mikko Franck, c’est particulièrement intéressant, avec une distribution de très haut niveau et une nouvelle Kundry toute jeune : Anja Harteros qui se jette dans le rôle et qui va faire qu’on se précipitera pour entendre. Là encore un voyage devrait s’imposer…
(3 repr. du 14au 23/04 )


Avril-Mai/Juillet 2021
Verdi, Macbeth
(MeS : Martin Kušej/ Dir : Andrea Battistoni (avril)/Fabio Luisi (Juillet)
avec Ludovic Tézier (Avril/Mai)/Artur Rucinski(Juil), Tareq Nazmi (Avril/Mai)/Vitali Kowaljow (Juillet), Ekaterina Sementchuk (Avril/Mai)/Anna Netrebko (Juillet), Freddie de Tommaso (Avril/Mai)/Evan LeRoy Johnson (Juillet)
Une distribution en dentelles où l’on préfèrera le couple Tézier/Sementchuk à Rucinski/Netrebko, d’autant qu’en avril mai, il y a Freddie de Tommaso, le nouveau ténor qu’il faut avoir vu et entendu… Au pupitre, Andrea Battistoni ce qui est bien, ou Fabio Luisi, ce qui est très bien. Choisissez selon vos goûts…
6 repr. du 24/04 au 04/05 et les 14 et 18 juillet)

Mai 2022
Händel, Agrippina
(MeS: Barrie Kosky/Dir: Stefano Montanari)
Avec Joyce DiDonato, Gianluca Buratto, John Holiday, Elsa Benoit, Mattia Olivieri etc…
Münchener Kammerorchester
Ce n’est même pas la peine d’hésiter prenez déjà votre billet d’avion, avec Stefano Montanari dans la fosse, dans le merveilleux Prinzregententheater, et la bonne production de Barrie Kosky, très concentrée dans sa cage de métal.
(3 repr. Du 7 au 13/05 au Prinzregententheater)

Mai-Juillet 2022
Strauss (R),  Der Rosenkavalier
(MeS : Barrie Kosky/Dir : Vladimir Jurowski)
Avec Marlis Petersen, Samantha Hankey, Katharina Konradi, Christof Fischesser, Johannes-Martin Kränzle, Daniela Köhler, Ursula Hesse von der Steinen etc…
Deux Kosky pendant les mêmes semaines, cela ne se manqué pas: votre billet d’avion permettra de voir aussi ce merveilleux Rosenkavalier vu à la TV et si original, si “ailleurs”, si intelligent, si magnifiquement interprété et chanté qu’on attend de le voir en scène avec impatience, d’autant que ce sera la version normale et non celle covidienne révisée par Ekkerhard Kloke qui sera proposée, sous la direction du maître de maison Vladimir Jurowski.
(5 repr. Du 8 au 15/05 et les 21 et 24/07)

Rossini, Il barbiere di Siviglia (MeS : Ferruccio Soleri/Dir : Antonino Fogliani)
Avec Alasdair Kent, Ambrogio Maestri, Vasilisa Berzhanskaja, Andrei Zhilikohovsky, Adam Palka
Solide distribution où l’on pourra entendre la merveilleuse Rosine de Vasilisa Berzhanskaja et Adam Palka (Le Mephisto de Castorf à Vienne) en Basilio. On regrette que Andrzej Filończyk distribué dans Lucia di Lammermoor ne soit pas Figaro; il y est exceptionnel… Au pupitre, Antonino Fogliani, garantie d’excellence.
(3 repr. Du 10 au 16/05)

Verdi, Otello (MeS : Amelie Niermeyer/Dir : Daniele Rustioni (mai-juin) Antonino Fogliani (juillet)
Avec Anja Harteros, Arsen Soghomonyan/Gregory Kunde, Luca Salsi/Gerald Finley, Oleksiy Palchykov
La distribution parle d’elle-même, la mise en scène excellente, et les deux chefs prévus sont remarquables.  On choisira peut-être juillet pour Kunde et Finley…
(5 repr. Du 27/05 au 2/06 et les 2 et 5/07)

Mai-Juin 2022
Puccini, Madama Butterfly
(MeS: Wolf Busse/Dir: Antonello Manacorda)
Avec Ermonela Jaho, Charles Castronovo, Davide Luciano etc…
Une mise en scène qui est un peu épuisée, une distribution de très grand niveau (Davide Luciano peut-être sous-utilisé en Sharpless) et au pupitre Antonello Manacorda qui a troqué Weber contre Puccini.
(3 repr. du 31/05 au 5/06)

Juin 2022
Wagner, Tristan und Isolde
(MeS : Krzysztof Warlikowski/Dir : Lothar Koenigs)
Avec Wolfgang Koch, Stuart Skelton, Nina Stemme, Mika Kares, Okka von der Damerau
La distribution est magnifique, même sans Kaufmann. Mais sans Petrenko, c’est un peu dur, même si Koenigs est solide… Du répertoire de grand luxe, mais c’est du répertoire…
(4 repr. du 6 au 20/06)

Verdi Un Ballo in maschera (MeS : Johannes Erath/Dir : Daniele Rustioni)
Avec Piotr Beczala, Carlos Alvarez, Sondra Radvanovsky, Judit Kutasi, Deanna Breiwick
Là en revanche pas d’hésitation, il faut y voler : distribution exceptionnelle, grand chef, et production de Johannes Erath pas inintéressante…
(4 repr. du 12 au 22 juin)

Juillet 2022
Strauss (R.) : Die Frau ohne Schatten
(MeS : Warlikowski/Dir : Valery Gergiev)
Avec Brandon Jovanovich, Camilla Nylund, Mihoko Fujimura, Michael Volle, Nina Stemme
Là encore, sans Petrenko cela fait (un peu) souffrir. Mais ne jouons pas les enfants gâtés. Gergiev en fosse même entre deux avions, est un très grand musicien, la production est désormais légendaire et la distribution fabuleuse…
(2 repr. Les 28 et 31/07)

 

Comme on peut le constater, il y a même pour le répertoire, une exigence de qualité au plus haut niveau. Et la palette de nouveaux chefs (et cheffes) excellents inconnus à Munich et souvent ailleurs que Dorny a invités va redonner un véritable intérêt à certaines reprises. Du répertoire que certains théâtres du même niveau envieraient pour leurs nouvelles productions. Pourvu que ça dure…

 

Concerts symphoniques : « Akademiekonzerte »

 

Le Bayerisches Staatsorchester, orchestre d’Etat de Bavière est l’orchestre historique de Munich, dont les racines remontent au XVIe siècle et à Roland de Lassus qui en fut le Kapellmeister à partir de 1563. C’est en 1811 que l’Académie de musique est formée, d’où le nom d’ «Akademiekonzerte ».
La longue liste des directeurs musicaux de l’orchestre incluent les plus prestigieux des grands chefs historiques qui ont pour nom Hans von Bülow, Hermann Levi, Richard Strauss, Felix Mottl, Bruno Walter, Hans Knappertsbusch, Clemens Krauss, Georg Solti, Ferenc Fricsay, Joseph Keilberth, Wolfgang Sawallisch, Zubin Mehta, Kent Nagano, Kirill Petrenko et en septembre prochain Vladimir Jurowski.
Vladimir Jurowski va diriger 3 des 6 Akademiekonzerte et il a décidé d’orienter  ses trois concerts autour des compositeurs joués dans les créations de la saison :

  • Un concert autour des œuvres du jeune Chostakovitch
  • Un concert autour de Britten au temps Peter Grimes
  • Le dernier concert autour de l’œuvre symphonique de Penderecki

Les autres concerts seront dirigés par Fabio Luisi (Bruckner/Bruch), Cristian Macelaru et Mikhail Jurowski (père de Vladimir) dont les programmes seront consacrés à la musique russe, et notamment la thématique de la patrie et de l’exil.

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Des éléments encore à définir
Il y a cependant des points qui surprennent : cette année le GMD Vladimir Jurowski dirige seulement trois opéras, il devrait au moins en diriger le double. Mais il termine plusieurs mandats notamment en Russie, et l’année prochaine tout devrait revenir à la normalité.
D’autres points sur l’offre de la maison ne sont pas encore arrêtés : la politique en matière de vidéos et de streamings que Bachler avait développée n’a pas été évoquée, on ne sait pas non plus ce que va devenir la collection d’enregistrements que Bachler vient de commencer avec une Mahler VII phénoménale de Kirill Petrenko. Nous en sommes aux balbutiements et Serge Dorny aura sans doute à décider de poursuivre le projet, de le reprofiler ou d’interrompre : tout cela n’est pas encore clair. On sait que Serge Dorny préfère l’opéra en salle à l’opéra en boite, comme tout le monde. Il n’avait pas les moyens de développer une politique vidéo à Lyon, ainsi de magnifiques spectacles ne le resteront que dans nos souvenirs, mais Munich est riche, et les confinements ont donné l’habitude au public de retrouver en ligne des spectacles qu’ils ont vus ou non en salle. Il faudra sans doute qu’un bilan soit tiré de la période et de la politique menée jusque-là. Attendons.

 

Ce qu’on peut affirmer c’est qu’il ne s’agit pas d’une saison de rattrapage covid, le système de répertoire est pour cela une garantie. C’est une saison pensée, avec une ligne soutenue, affirmée par les nouvelles productions, mais qui ne sacrifie pas le répertoire, notamment avec un vrai soin dans le choix des chefs et les distributions, jamais médiocres.
Le niveau affirme au contraire d’emblée une ambition et une respiration fortes, en cohérence avec l’histoire de cette maison, et en empruntant résolument un chemin qu’on sent aussi neuf et ouvert. Le public traditionnel y trouvera son compte, mais c’est un programme qui saura exciter aussi la curiosité. Voilà une saison qui conjugue la fête (trois festivals), la rencontre, l’exigence mais aussi le réalisme et le pragmatisme.
C’est une première saison, c’est une nouvelle ère, et il va aussi falloir prendre ses marques. Il reste aussi évidemment à souhaiter qu’on reste à ce niveau d’excellence pour les suivantes. Serge Dorny a raté peu de choses à Lyon, on ne peut que lui souhaiter la même réussite aux bords de l’Isar qu’aux bords du Rhône et de la Saône… La Bavière a bien de la chance.

 

 

RUHRTRIENNALE 2015: DAS RHEINGOLD, de Richard WAGNER le 26 SEPTEMBRE 2015 (Dir.mus: Teodor CURRENTZIS; Ms en scène: Johan SIMONS)

©Michael Kneffel
Ruhrgold©Michael Kneffel

DAS RUHRGOLD

Fondée en 2002, la Ruhrtriennale a été marquée par son premier directeur, Gérard Mortier. La manifestation qui clôt l’été des Festivals est consacrée à tout ce qui dans l’art et le spectacle vivant peut être contemporain, dans le sens d’une recherche esthétique expérimentale, enracinée dans un territoire, la Ruhr, qui a décidé de faire de la culture un des axes forts de sa politique, sinon l’axe essentiel, notamment en réhabilitant part de son patrimoine industriel en friche depuis l’abandon des mines qui furent pendant le XIXème siècle et le XXème siècle le symbole de l’industrie allemande. Un territoire saigné pendant la 2ème guerre mondiale, et qui laissa à la fin des années 80 un paysage marqué par les crassiers, les usines géantes, les cokeries, un paysage lunaire que des politiciens intelligents (il y en a) ont décidé par un gigantesque programme de réhabilitation (Internationale Bauausstellung Emscher Park de 1989 à 1999) de dédier à la culture : Musées, espaces d’expositions, salles de spectacles sont nées, faisant d’un territoire qu’on pensait définitivement dédié au métal, au charbon et à la poussière, un objet de visites touristiques, un lieu de manifestations culturelles extraordinaires, et une véritable exposition architecturale. Rien qu’une ville comme Essen (600.000 habitants) contient à la fois un théâtre inauguré en 1988 (conçu d’après le projet d’Alvar Aalto né en 1959), et plus récemment ouverts, un musée d’art magnifique (le Folkwang Museum) confié à l’architecte David Chipperfield, et l’un des plus beaux musées d’histoire d’Europe, le Ruhrmuseum, confié quant à lui à Rem Koolhaas, installé au cœur des espaces industriels, au fameux Zollverein.

Mais ce qui est extraordinaire et inédit (et Lille s’en souviendra en 2004 quand elle sera capitale de la Culture), c’est que cet investissement a fait en sorte d’associer la population et de proposer au territoire décimé par la fin du charbon de nouveaux motifs de fierté. La Ruhrtriennale qui de trois ans en trois ans, propose à un manager culturel ou à un artiste de concevoir une programmation prend place dans ce mouvement général: elle attire désormais des spectateurs venus des Pays Bas assez proches, de France, de Belgique mais surtout de la région. Car dans le programme Emscher Park, c’est bien d’abord la conscience et l’estime de soi de la population qui étaient visées.
La culture n’a jamais été absente de la Ruhr, elle était financée par les capitaines d’industrie, et ce depuis le début du XXème siècle, pour l’édification paternaliste des masses : le meilleur exemple en est le Folkwang Museum. Déjà aussi en 1976 Pina Bausch fonde le Tanztheater Wuppertal, qui fut (et reste) l’un des foyers de référence de la danse contemporaine européenne,  d’une certaine manière de traiter le corps et le théâtre.
Ainsi, la Jahrhunderthalle Bochum où était présenté ce Rheingold, est un espace industriel d’exposition construit en 1902 et de 8900m2 de surface et réhabilité par un « pronaos » moderne vitré en 2003 par l’architecte Karl Heinz Petzinka.

La Jahrhunderthalle Bochum ©Matthias Baus
La Jahrhunderthalle Bochum ©Matthias Baus

C’est un hall immense, magnifique, lumineux, qui peut abriter plusieurs espaces de spectacle, pour des concerts rock, du théâtre, du cinéma, et de l’opéra, et dans lequel sont présentées les productions phare : on y a vu Die Zauberflöte (La Fura dels Baus), qu’on a vu à Paris, mais dont on comprend quel effet l’énorme dispositif de la troupe catalane pouvait faire dans cet immense vaisseau, Die Soldaten (David Pountney), Moses und Aron (Willi Decker), dans des productions impressionnantes et originales prenant appui sur la magie de cet espace fascinant. Chaque production est affichée 3 ans, le temps du manager qui l’a suscitée. Après Gérard Mortier, Jürgen Flimm, Willi Decker, Heiner Goebbels, c’est depuis cette année le metteur en scène Johan Simons, ex-directeur depuis 2010 des Kammerspiele de Munich, qui assume jusqu’en 2017 la direction artistique de la Ruhrtriennale : c’est lui qui fit à Paris Simon Boccanegra en 2006 et 2007 et Fidelio en 2008. Il a décidé de dédier sa programmation aux travailleurs mais aussi aux chômeurs de la région (« an die Arbeitenden und an die Arbeitslosen »). Il met en scène cette production de Das Rheingold, production qui n’est a priori pas liée à une future production du Ring, mais qui à elle seule, renferme les ingrédients de toute l’histoire du cycle wagnérien, y compris sa conclusion et qui pose la question du travail et de la production.
Car pourquoi Rheingold ? La réponse est assez simple : dans une Ruhr dédiée au charbon, la descente à Nibelheim était permanente dans le quotidien des habitants de la région. Le monde grouillant des mineurs avait quelque chose de celui des nains enfouis sous la terre à chercher ou forger l’or. Et de Castorf en Simons, l’or pour la Ruhr, ce n’était pas l’or noir, mais le charbon, qui a donné à la fois l’identité de cette région et son l’énergie primale : lorsque Alberich renonce à l’amour, il brandit non de l’or, mais un énorme morceau de charbon.

Alberich maudit l'amour ©Michael Kneffel
Alberich maudit l’amour ©Michael Kneffel

Rheingold pose la question des maîtres et des travailleurs-esclaves, la question du politique et de ses mensonges, la question du début et celle de la fin : Erda en possède les clefs, et sans aucun hasard, c’est elle, assise dans son coin au premier plan, qui observe et écoute sans mot dire les développement d’une action promise dès le départ à sa perte.
Le pouvoir et sa perte, l’or, sa puissance et sa menace, le début et la fin de toute chose, du soleil auroral au ciel crépusculaire, Rheingold peut ne pas être qu’un prologue, car Rheingold porte déjà en soi la chute des Dieux.
Dans cet immense espace, Johan Simons et sa décoratrice Bettina Pommer ont conçu un dispositif multispatial, avec au premier plan un monde renversé en ruine, le plafond d’un palais avec son lustre dressé, les moulures, mais aussi les gravas, et l’eau qui l’envahit, et qui reflète le toit de la Halle, un monde qu’on piétine, sur lequel tous les personnages vont marcher, le monde d’en-bas, sur lequel émerge le trou qui conduit sous la scène au monde encore plus bas, Nibelheim.
En hauteur en revanche, perchée et fixée par des échafaudages, une immense façade aveugle qu’on comprend être le Walhalla, portes et fenêtres closes précédée d’une petite plateforme. Entre les deux, fait de bois, de cuivres rutilants, et de métaux divers, le monde de l’orchestre, un monde d’hommes et d’instruments, qui est, au début du moins, mais pourquoi pas pendant toute la représentation avec ses apaisements et ses colères, le Rhin, devant lequel les filles du Rhin (les magnifiques Anna Patalong, Dorottya Láng, Jurgita Adamonyté) s’installent sur trois chaises comme des solistes lors d’une représentation concertante. Le flot du Rhin sera musical ou ne sera pas.

L’orchestre à l’intérieur duquel circulent les chanteurs et qui est en même temps surface de jeu a un statut évidemment inhabituel, inclus dans la dramaturgie, comme si les musiciens étaient part de ce monde du travail et de l’esclavage, obligés de jouer : le chef n’arrive-t-il pas entre deux personnages patibulaires comme prisonnier pour être installé sur le podium. Derrière lui on verra une enclume sur laquelle on frappera lors de la descente à Nibelheim…et certains musiciens tantôt se lèvent, tantôt circulent, comme si l’orchestre était Rhin, comme si l’Orchestre était foule, comme s’il était esclave des autres : des chanteurs, du metteur en scène, du chef, du public…
Dans cette ambiance étrange, la représentation qui commence à 15h a lieu en plein jour, et les éclairages soulignent les formes sans les isoler, mais les insérant d’une manière encore plus directe dans l’espace de la Jahrhunderthalle: et alors le texte prend une cohérence et une réalité inattendues : on ne cesse de remarquer les allusions à la présence du soleil, un soleil qui ce jour de septembre aveugle le spectateur tant il est éclatant. On va ainsi suivre le parcours solaire jusqu’au moment où il initie son coucher et alors, miracle, Wotan nous dit :
« Abendlich strahlt
Der Sonne Auge », évocation du soleil couchant.

Scène finale ©Michael Kneffel
Scène finale, avec Wotan (Mika Kares) au premier plan ©Michael Kneffel

Ainsi opère la magie du théâtre avec son cortège d’émotions, parce que le spectateur voit ce que dit le texte et parce que l’espace d’un instant, personnage et spectateurs vivent à l’unisson.
Ce Rheingold est une expérience particulière, liée au lieu, liée à l’entreprise, liée à l’ambiance. Tout commence par l’entrée dans l’enfilade immense qui sert d’antichambre gigantesque à la salle de spectacle proprement dite où l’on entend en fond un accord musical électronique, qui ne cessera que lorsque la musique de Wagner prendra le relai, comme une sorte de litanie qui prépare le spectateur et qui se mêle au bruit murmurant de la foule qui s’installe, comme un autre fleuve (la musique électronique ajoutée est du finlandais Mika Vainio).
L’unicité du lieu, l’absence de quatrième mur tant l’espace est unifié, tant la proximité des spectateurs des premiers rangs est grande avec le plateau, tant la lumière est la même, en cet après-midi, éclatante, imposante, aveuglante pour tous, comme si brillait un anneau d’or qui nous écrasait en nous aveuglant, empêchant même quelquefois de voir le spectacle.

Après avoir vu Castorf à Bayreuth, évidemment tout nous paraît déjà vu, et je ne suis pas certain que Johan Simons n’y ait pas repris quelques motifs : le serveur (Stefan Hunstein) qui d’ailleurs fait la conférence préparatoire une heure avant le spectacle  comme si Hunstein était le Patric Seibert de service … L’intervention de Donner avec un pistolet contre les géants qui prennent Freia est aussi un geste castorfien. Citations sans doute, et non plagiat car le propos de Simons n’a rien à voir avec celui de Castorf, tout en racontant une histoire parallèle. Le théâtre de Simons se veut « participatif », celui de Castorf est brechtien, c’est participation contre distanciation ! Simons part de ce que son public est venu pour voir non n’importe quel Rheingold, mais le voir à la Ruhrtriennale, le voir à la Jahrhunderthalle, et donc un Rheingold  qui est une proposition particulière liée au lieu, lié à la manifestation, lié à ce public particulier qu’on fait entrer dans l’espace de jeu : il y a des spectateurs assis latéralement le long de l’orchestre : figurants ? Spectateurs ? ils nous font penser en tout cas au Tannhäuser de Baumgarten à Bayreuth, qui avait eu la même idée. Public et artistes se « mélangent » un peu, s’approprient l’espace de jeu. D’où d’ailleurs un regard forcément différent sur les aspects musicaux. Ce n’est pas n’importe quel public, en ce sens, c’est comme je l’écrivais il y a peu, son public.

Villa Hügel, château des Krupp
Villa Hügel, château des Krupp

La mise en scène de Johan Simons, pose l’histoire du Ring dans l’histoire de la lutte des classes, avec des Dieux en hauteur qui sont sur le seuil (fermé) du Walhalla, une reproduction à peine stylisée d’une des façades de Villa Hügel, le château des Krupp à Essen et en bas, le jeu des autres, qu’ils soient géants ou nains, ou filles du Rhin et Erda. Une Erda à part, une sorte de grand mère aux fines lunettes noires d’aveugle, vêtue d’une blouse grise de grand mère prête à faire les confitures. Jane Henschel, merveilleuse artiste toujours prête à entrer dans des aventures théâtrales est saisissante dans sa composition. Elle surgit dès le début (enfin, surgir est un verbe bien excessif pour une entrée timide et hésitante, d’un pas difficile et prudent, dans l’eau stagnante à la recherche d’une place discrète où s’asseoir) elle ne disparaît que lorsque Loge et Wotan sont à Nibelheim et ne réapparaît que lorsqu’ils en sortent. Elle est là, chœur muet, aveugle et visionnaire. Et elle attend son heure.

Tableau initial, à l'entrée du public © JU/Ruhrtriennale 2015
Tableau initial, à l’entrée du public © JU/Ruhrtriennale 2015

Entre le Walhalla-Hügel et le sol, plafond renversé jonché de ses moulages de plâtre et recouvert d’une eau stagnante, comme si le monde était sens dessus-dessous et que vu du Walhalla, on voyait le sol comme un plafond, est étendu l’orchestre, espace transitionnel, presque fluvial, le Rhin qu’on doit systématiquement traverser pour arriver aux héros du bas, et, pourquoi pas, un Rhin miroir qui renverrait aux Dieux l’image d’un Walhalla déjà en ruine, le Walhalla d’avant d’un Ring vécu comme cyclique. D’ailleurs, sur l’eau flotte une robe dorée de petite fille, trace d’une aventure précédente qui pose question, et dont le spectateur découvre la réponse en voyant Freia revêtue de cette petite robe lorsqu’on mesure la quantité d’or nécessaire au deal Wotan/Géants. Nous sommes dans l’histoire cyclique des gens d’en haut et de ceux d’en bas.
La fin est dans le début : c’est bien le message qui est envoyé au spectateur ; message d’ailleurs confirmé par la couverture du programme Götter + Fall avec la polysémie du mot Fall, mais aussi son sens premier de chute. La montée au Walhalla est ici vue comme chute. Voilà le premier message : les dieux Krupp tomberont. Et du même coup Rheingold annonce non une chute pessimiste à la Schopenhauer, mais une révolution.
Le second propos de la mise en scène de Johan Simons est de bien marquer les différences de classe entre les Dieux, grande famille bourgeoise, d’abord vêtue d’effets de voyage (merci Chéreau…) élégants, beiges, (costumes de Teresa Vergho ) puis dans la seconde partie avec le retour de Nibelheim vêtus de smokings, que Wotan et Loge endossent à vue d’ailleurs, aidés par le majordome de l’occasion (Hunstein) ou de vêtements de cocktails ou de soirée.
Et puis il y a les autres, les sans-grades (sans dents ?), ouvriers ou mineurs, c’est à dire les fratries Alberich/Mime et Fasolt/Fafner. La grande famille des Dieux-Krupp et les microfamilles du peuple, qui dialoguent rarement sur le même niveau, mais souvent de haut en bas ou de bas en haut, distribués sur les différents niveaux, coursives, balustres, sol.

Filles du Rhin, Alberich et poupées © JU /Ruhrtriennale 2015
Filles du Rhin, Alberich et poupées © JU /Ruhrtriennale 2015

C’est au sol que se déroule la fascinante scène initiale des filles du Rhin s’amusant avec un Alberich phénoménal ravagé de désir, et qui finit par se vautrer avec des poupées de son encouragé par les fille du Rhin dans une gymnastique sexuelle ahurissante. C’est du sol qu’Erda lance son avertissement qui annonce le crépuscule des Dieux (et donc la fin des Krupp).

Noyautage © JU/Ruhrtriennale 2015
Noyautage © JU/Ruhrtriennale 2015

C’est aussi en bas que se déroule logiquement la scène du Nibelheim, vue comme noyautage du monde ouvrier par Wotan et Loge déguisés en ouvriers, en mineurs et donc cherchant à créer la zizanie et le désordre chez l’ennemi. Par ailleurs, il n’y a aucun « effet » magique ou de lumière dans ce travail purement théâtral : la transformation en grenouille ou en dragon est mimée par Alberich et sa capture est une capture purement humaine. Il s’agit des pièges que les hommes entre eux se tendent.

Les pommes...
Les pommes…

C’est enfin en bas que les Dieux se recroquevillent abandonnés par une Freia prisonnière, ils essaient de manger les pommes, mais elles sont pourries, et jetées à terre comme un tas d’excréments ou du vomi qui gît au milieu du plafond en ruine et de l’eau stagnante, signe d’une puissance déjà perdue.
Le troisième élément, c’est une « Personenführung » très précise, qui travaille sur les relations avec les personnages, petits gestes (Fricka), attitudes presque esquissées, y compris les moindres expressions. Un travail d’acteur très engagé, qui montre d’ailleurs l’évolution définitive de l’opéra quand il est conduit avec rigueur au niveau théâtral. Le jeu nécessite un véritable engagement des chanteurs, avec une force de conviction décuplée parce qu’au chant, exercice physique s’il en est, s’ajoute le jeu, qui en renforce la puissance.

Enfin, ce qui caractérise les relations des fratries, c’est la violence aussi bien entre les deux frères du Nibelheim qu’entre les deux géants. La violence des deux nains est impressionnante (l’un des deux chanteurs s’est légèrement tordu une cheville pendant l’opéra) et leur engagement est vraiment exceptionnel.

Alberich et Mime pendant les dernières mesures © JU/Ruhrtriennale 2015
Alberich et Mime pendant les dernières mesures © JU/Ruhrtriennale 2015

En même temps, pendant la scène finale, les corps des nains d’un côté et de l’autre ceux des géants sont enchevêtrés au pied du premier rang des spectateurs. Mime et Alberich dorment tendrement entrelacés, presque enfantins, et Fafner vivant essaie d’éveiller doucement Fasolt dans ses bras, comme pour tester s’il est vraiment mort et se rend compte brutalement du désastre. Son regard perdu dans le lointain, sa manière de caresser le cadavre du frère, discrètement, sont des attitudes saisissantes, voire bouleversantes. Ils resteront ainsi jusqu’à la fin, visibles de tous, pendant que les Dieux s’essaieront à ouvrir le Walhalla dans une scène de triomphe dérisoire..
Car la scène finale est conçue à l’inverse que ce qu’avait fait Chéreau : Wotan y essayait de tirer péniblement le cortège des Dieux vers le Walhalla : ici, Wotan qui a compris Erda se refuse à monter au Walhalla, écrasé de désespoir pendant que les Dieux s’essaient à ouvrir un Walhalla désespérément clos, la musique sonne d’autant plus creuse ou ironique qu’elle est vaine, le tout orchestré par un Loge en frac de chef d’orchestre.
Mais le moment le plus spectaculaire est évidemment l’intermède de la descente à Nibelheim, où Wagner fait entendre les bruits des marteaux sur les enclumes, les bruits des nains esclaves attachés à la production. Ces bruits sont ici démultipliés, les percussions envahissent l’espace sonore, l’orchestre sur-sonne et on va chercher dans le public des spectateurs à qui l’on donne un marteau pour frapper sur des bouts de rails, comme si la Jahrhunderthalle résonnait encore des bruits de l’esclavage industriel : c’est assourdissant, impressionnant et surtout étonnant : les spectateurs essaient de frapper en rythme, hésitent, s’arrêtent reprennent, regardent le chef ou les musiciens. Rien n’est distancié ici et tout le monde participe de l ‘élaboration du spectacle, dans un vacarme qui ne fait pas oublier la musique, mais qui va jusqu’au bout de l’option du son expérimental de l’instrument-outil que Wagner avait ouverte et qu’il reprendra aussi dans Siegfried. C’est ainsi que la descente à Nibelheim allonge particulièrement l’œuvre (de quasiment une demi-heure) dans un vacarme fascinant dans lequel on finit par se vautrer, alors que résonne un texte d’Elfriede Jelinek hurlé par le majordome (dans le programme de salle) : Brünnhilde an Papa Wotan : Also, Papa hat sich diese Burg bauen lassen…[Alors, papa s’est fait construire ce château..].
On ne peut pas trouver dans ce travail l’originalité qu’on trouve dans d’autres mises en scène, parce que le Ring comme métaphore de la lutte des classes, ou les Dieux comme métaphore des capitaines d’industrie aux débuts de l’industrialisation était déjà dans Chéreau et a fait le tour des mises en scène du Regietheater depuis 40 ans. Ce n’est pas le propos qui ici étonne, mais l’adaptation de la situation au lieu, à la région, la complicité qui est cherchée avec le public, l’entreprise globale, liée aussi à l’ensemble de la programmation dont le motto est « Seid umschlungen » (soyez enserrés, embrassés) qui encourage à la solidarité, au sentiment d’appartenance.

Enclume et orchestre © JU/Ruhrtriennale 2015
Enclume et orchestre © JU/Ruhrtriennale 2015

De telles options influent évidemment sur la musique, et sur la manière dont Teodor Currentzis à la tête de son orchestre MusicAeterna de la lointaine Perm, élargi à d’autres musiciens pour l’occasion, conduit la « fosse ».
Dans un tel lieu, dans un tel contexte, la musique fait aussi spectacle, et Currentzis excelle à faire spectacle : cuivres rutilants debout, puis ensemble de l’orchestre, tenues de notes d’une longueur inusitée, insistance inhabituelle sur les percussions, tout est désormais possible. Il reste que l’orchestre est parfaitement tenu, qu’il n’y pas seulement des effets de manche, il n’y a pas seulement du théâtre ou de la musique-théâtre, mais beaucoup de moments d’une très grande tension qui sont dus simplement à la musique de Wagner interprétée avec relief et précision. Évidemment, nous sommes dans une option épique, à l’opposé de l’accompagnement note à note de la conversation que faisait Petrenko un mois plus tôt à Bayreuth (auquel d’ailleurs certains spectateurs ou certains auditeurs n’ont rien compris), nous sommes dans un espace presque infini où l’orchestre doit se faire entendre, se faire voir, faire spectacle et faire relief, où il est part de la scène et du dispositif, où il est fleuve humain et sonore : Currentzis en tire bien les conséquences (et cela ne doit pas trop lui déplaire), et remporte une immense succès d’un public debout qui ne quitte pas la salle.

Sans être une distribution de vedettes internationales du wagnérisme, l’ensemble des chanteurs réunis a donné une magnifique preuve d’excellence et d’engagement. Dans une salle ainsi aménagée, la sonorisation est indispensable : il serait impossible de travailler sans. Mais c’est une sonorisation d’une grande discrétion et d’une très grande efficacité, le résultat en est qu’elle n’est jamais envahissante, et qu’on a l’impression de voix naturelles, avec les craintes légitimes que des dispositifs aussi performants font peser sur de futures sonorisations clandestines de hauts lieux de l’opéra.

Peter Bronder (Loge) © JU/Ruhrtriennale 2015
Peter Bronder (Loge) © JU/Ruhrtriennale 2015

Il y a là de toute manière une équipe cohérente et engagée, qui fait merveille, une équipe qui est d’abord dans le jeu, c’est à dire dans la couleur et l’expression : Peter Bronder à ce titre est un Loge qui n’a rien d’histrionique, une sorte de crapule raffinée, et donc intelligente, qui sculpte les paroles pour donner à ce texte une couleur incroyablement variée, sans jamais faire du jeu un double des paroles. Il est le plus vieux du plateau, et dirons nous, le plus mûr, le plus matois, avec ce presque rien de distance qui lui fait toujours être à la fois dedans et dehors, magnifique présence, et une voix qui sans être puissante est particulièrement bien projetée. Il est le « chef d’orchestre » de l’histoire, distancié mais pas trop, présent et ailleurs, dans une élasticité qui sied bien au personnage.
Face à lui, avec lui, le Wotan assez juvénile de Mika Kares, basse finlandaise (c’est presque un pléonasme tant les finlandais ont donné à cette tessiture) à la voix bien posée et projetée de manière efficace, à la diction remarquable. La présence de ce Wotan s’affirme de moment en moment, pour finir en personnage torturé, ravagé par la compréhension du monde que lui a donnée Erda. C’est un Wotan plus traditionnel évidemment que celui de Wolfgang Koch, qui dit le texte de manière sans doute moins variée, mais qui pose le personnage, avec sa père de lunettes à demi obscurcie ; une très belle prestation, qui pose un Wotan non conscient de sa perte qui va quand même y aller, comme chez Guy Cassiers, mais un Wotan qui finit écrasé.
Il faut saluer l’extraordinaire performance de Leigh Melrose en Alberich, un Alberich jeune, vigoureux, violent, puissant, étourdissant qui remplit la scène et la salle par une voix claire, magnifiquement projetée et un texte dit avec une conviction rare, un Alberich sans cesse in medias res, qui contraste avec la distance affichée chez Castorf par un Albert Dohmen plutôt presque aristocratique, un Alberich wotanisé. Ici l’Alberich de Leigh Melrose se pose comme opposé directement à Wotan, l’autre absolu.
Même engagement chez le Mime d’ Elmar Gilbertsson, ténor moins « caractériste » que les Mime habituels, une sorte de double de son frère en version vocalement moins imposante, mais non moins intense.

Fafber (Peter Lobert) © JU/Ruhrtriennale 2015
Fafber (Peter Lobert) © JU/Ruhrtriennale 2015

Les géants Frank van Hove (Fasolt) et Peter Lobert (Fafner) sans être exceptionnels, sont particulièrement efficaces et très émouvants dans la dernière partie.  Donner (Andrew Poster-Williams) et Froh (Rolf Romei) complètent efficacement la distribution masculine.

 

 

 

Du côté féminin, on apprécie la Fricka bien plantée de Maria Riccarda Wesseling, avec son mezzo charnu, et son personnage de bourgeoise caricaturale en tailleur et chapeau, une Fricka vocalement très présente, qui pose un personnage à la fois plein de relief et dérisoire, tandis que la Freia d’Agneta Eichenholz, qu’on a vue dans pas mal de productions récentes sur les scènes européennes, est volontairement pâle, réduite au statut d’instrument qu’on va se passer de main (des Dieux) en main (des géants), elle est en retrait, mais la voix est bien timbrée, bien claire, même si ce n’est pas la future Sieglinde qu’on espère toujours dans ce rôle.

Freai 5Agneta Eichenholz) et fricka (Maria Riccarda Wesseling) © Michael Kneffel
Freai 5Agneta Eichenholz) et fricka (Maria Riccarda Wesseling) © Michael Kneffel

Les filles du Rhin (Anna Patalong, Dorottya Láng, Jurgita Adamonyté) je l’ai déjà souligné, sont vraiment magnifiques, leurs voix s’unissent parfaitement, leur jeu est prodigieux de vérité, au plus près du spectateur, très vibrant et vivant, avec un chant très émouvant à la fin (Rheingold…). Les filles du Rhin qui ouvrent et ferment l’opéra doivent vraiment être musicalement impeccable parce qu’elle donnent la couleur et l’énergie à l’ensemble.

Erda (Jane Henschel) © Michael Kneffel
Erda (Jane Henschel) © Michael Kneffel

Je garde pour la bonne bouche Jane Henschel, une chanteuse magnifique d’intensité, qu’on ne cesse de redécouvrir. Mortier l’aimait tout particulièrement (souvenons nous de sa Kabanicha dans Katia Kabanova – Production de Marthaler- où elle fut défintive) poarce qu’elle est un personnage, un vrai mezzo de caractère apte à interpréter toutes les méchantes du répertoire, avec une voix toujours magnifiquement projetée, avec une diction parfaite, avec une intelligence des personnages incroyablement sensitive. Elle est une Erda impressionnante, seule au milieu de l’eau stagnante, annonçant la chute à ces Dieux qui viennent d’emporter une victoire à la Pyrrhus. C’est un des moments les plus forts et les plus émouvants de la soirée. Une Erda pour l‘éternité.

Et un Rheingold très spécifique, passionnant, non par le propos qu’il diffuse, assez rebattu, mais par la manière dont il s’adapte à la région, à son histoire, à sa géographie, à sa population, à ses lieux : un Rheingold pour la Ruhr, un Ruhrgold plus que Rheingold. Production forte, si forte qu’elle se suffit à elle même, et si forte qu’il ne faudrait surtout pas l’exporter, mais faire le voyage de la Ruhr pour la découvrir comme un symbole de cette région encore si marquée par le chômage et qui renaît par la culture.[wpsr_facebook]

Walhalla d'avant, Walhalla d'après, le cycle infernal
Walhalla d’avant, Walhalla d’après, le cycle infernal de la ruine