OPERA DE PARIS 2011-2012: LA FORZA DEL DESTINO DE GIUSEPPE VERDI, le 20 novembre 2012 (Ms en scène: Jean-Claude AUVRAY, dir.mus: Philippe JORDAN)

30 ans déjà que La Forza del destino a disparu des saisons parisiennes. En parcourant le programme de salle en ce dimanche on se rappelle que Placido Domingo, Carlo Cossutta, Fiorenza Cossotto, Martina Arroyo, Raina Kabaivanska, Martti Talvela, Kurt Moll, Nicolai Ghiaurov,  Gabriel Bacquier, Fernando Corena, Anna Tomowa Sintow ont agrémenté nos soirées, et que les chefs,  à part Giuseppe Patanè, n’étaient pas des personnalités notables, (Julius Rudel, Gianfranco Rivoli). La mise en scène de John Dexter, qui avait si bien réussi avec I Vespri Siciliani était décevante et plate. Un spectacle qui a passionné pour les voix, on se souvient de manière émue des duos Domingo/Arroyo, ou de l’incroyable (il n’y a pas d’autre mot) Carlo de Piero Cappuccilli.
L’œuvrereste ingrate, avec des moments de musique sublime, et d’autres moins heureux, et un constant mélange des genres, des passages incessants d’un lieu à l’autre (ce qui a poussé Jean-Claude Auvray  à choisir ici la fluidité des toiles peintes, et ce n’est pas si mal) et lorsqu’on met en face la réussite du Trouvère, d’un bout à l’autre chef d’oeuvre absolu, on sent dans la Forza del Destino quelque hésitation et quelque faiblesse. On aimerait cependant que les théâtres osent la version originale de Saint Petersbourg avec ce spectaculaire final où Alvaro lance une bordée d’insultes avant de se suicider. Ici on a choisi de faire la version de la Scala, façon Mahler/Mitropoulos, c’est à dire avec le prologue d’abord, puis l’ouverture (Sinfonia) qui précède la scène de la taverne.
J’attendais donc avec une certaine anxiété ce spectacle car je ne cesse d’affirmer que l’époque n’est pas très favorable à Verdi et j’avais lu les critiques plutôt mitigées (c’est le moins qu’on puisse dire) de la presse parisienne. Si la production n’est pas de celles qu’on retiendra (elle rejoindra celle de Dexter, avec laquelle elle a certaines parentés – le plateau vide par exemple- dans les oubliettes de l’histoire), musicalement, le résultat est inégal, mais on passe quand même un bon, et quelquefois beau moment.
Jean-Claude Auvray, comme l’a fait remarqué Christian Merlin dans Le Figaro passait pour novateur il y a trente ans. Cet heureux temps n’est plus: voilà la mise en scène typique destinée à durer 10, 20, 30 ans comme ces mises en scène de l’Opéra de Vienne jouées 277 fois depuis la Première. Au fait était-ce la 3ème ou la 277ème fois? Car la production auraitpu aussi bien naître en 1967, en 1975 ou en 1982, tant elle est passe partout. Elle permettra à toutes les distribution futures de se glisser à peu de frais (de répétitions) dans les pantoufles de la mise en scène. Je ne vois pas d’autre idée que celle de placer l’action au moment du Risorgimento. Pour le reste, c’est pain béni pour les chanteurs non acteurs, à commencer par Violeta Urmana. Malgré tout, cette non mise en scène n’est pas mal faite: éclairages réussis de Laurent Castaingt, costumes chatoyants et plutôt agréables à la vue de Maria-Chiara Donato, jolis décors en toiles peintes d’Alain Chambon. Les foules sont bien dirigées, avec des mouvements spectaculaires face au public. En bref, une vraie mise en scène d’opéra pour l’oeil, et mais pas pour le cerveau: il peut reposer en paix! Pas de Regietheater à l’horizon!  pas de Theater non plus! et pas vraiment de Regie!

Musicalement, on est à un autre niveau, et c’est  même ce qui sauve l’affaire. D’abord cette fois-ci (au contraire de Faust et de Tannhäuser) le chœur est parfaitement en place sans décalages avec l’orchestre, avec une énergie et une puissance de très bon aloi. On est heureux de le retrouver.
La distribution est plus inégale. J’ai eu la chance aujourd’hui d’assister à la première représentation chantée par Marcelo Alvarez, puisqu’il a dû annuler les deux premières. Force est de constater que la prestation décevante du mois dernier à la Scala dans Rosenkavalier (Ein Sänger) est oubliée. La voix, sans être énorme, est jolie, bien timbrée, puissante quand il faut (un tantinet limite quand même) et surtout Alvarez sait l’alléger, il sait en jouer, il sait moduler, il sait chanter piano et s’il n’est pas un acteur de génie, il sait donner les inflexions justes à sa voix et être émouvant. Un vrai Alvaro, bien meilleur que le regretté Licitra, à la voix puissante mais mal domptée, que j’avais vu à Vienne dirigé par Mehta il y a quelques années. Face à ce bel Alvaro, Violeta Urmana fait problème. Signalons d’abord à Marie-Aude Roux dans sa critique (le Monde du 16 novembre) qu’elle inverse l’ordre des choses: Urmana a commencé mezzo et s’est mise à aborder les rôles de soprano ensuite et non l’inverse. Je continue a penser qu’elle eût fait sans doute une mezzo exceptionnelle et qu’elle est un soprano sans vrai caractère; la voix est de qualité, mais elle reste lourde, sans vraie ductilité, alors Verdi en demande, sans réussir à alléger, à moduler et avec un aigu quelquefois crié, hurlé, aigre, peu agréable. Son début du “Pace pace” est à mon avis raté, et si la note finale est réussie, quelques aigus sont bien désagréables. Quand je pense qu’elle va aborder Brünnhilde (il est vrai en concert) de Siegfried, timeo danaos et dona ferentes… Il en résulte une certaine platitude dans son interprétation, une certaine froideur de cette voix sans vrai engagement, mais aussi çà et là de beaux moments, comme les toutes dernières mesures ou “Vergine degli angeli”.  J’avais vu à Vienne Nina Stemme qui n’est pas vraiment faite pour ce répertoire, et qui avait une tout autre dimension et aussi et surtout des réserves vocales que madame Urmana n’a point. Et pourtant elle est affichée dans Leonora un peu partout…
Face à ce couple, le choix de Vladimir Stoyanov pour Carlo est à mon avis la seule vraie erreur de casting. La voix n’est pas séduisante, pas vraiment homogène, la technique approximative, le volume manque, ce qui est catastrophique pour “Urna fatale del mio destino” et surtout “E’ salvo, oh gioia”. Évidemment on pense aux grands anciens, mais aussi aux barytons capables aujourd’hui de chanter ce rôle qui exige non seulement éclat et volume, mais aussi élégance et technique, et on ne manque pas  de barytons (Mariusz Kwiecien?) aujourd’hui.
La Preziosilla de Nadia Krasteva n’a pas toujours une grande justesse, ni un vrai style, ni des aigus triomphants,  (on se souvient d’Hanna Schwartz, qui était abonnée au rôle à Paris, et bien sûr de la Cossotto, qui en faisait des tonnes, mais avec un style de chant et un volume et des aigus!), il reste que le personnage existe et le ran-tan-plan reste un vrai morceau de bravoure.
Le Fra Melitone de Nicola Alaimo confirme ce qu’on savait de ce jeune baryton, une voix maîtrisée, du style, une grande homogénéité, des aigus: je l’avais entendu remplaçant Carlos Alvarez dans Iago à Salzbourg et il m’avait vraiment plu. C’est confirmé, voilà un futur grand baryton italien: de plus son personnage n’est pas exagéré, certes moins truculent que celui de Bacquier, inoubliable dans le rôle, mais très naturel et très vrai. En tous cas voilà du chant!
Quant à Kwanchoul Youn, son entrée en scène marque un basculement musical: enfin on est devant un chanteur stylé, devant une voix bien posée, même si les graves sont moins impressionnants que chez certains de ses illustres prédécesseurs (Kurt Moll…Nicolai Ghiaurov) on reste séduit par la grandeur du personnage et son humanité, et la qualité vocale de la prestation, c’est un Guardiano indiscutable et c’est lui qui, avec Alaimo et Alvarez, remporte le plus grand succès.

On le voit, une distribution inégale, mais dans l’ensemble de bonne tenue, ne boudons pas…



Mais une fois de plus, c’est Philippe Jordan qui surprend son monde dans un répertoire où, c’est le moins qu’on puisse dire, il n’était pas attendu (on a échappé à Oren…!). L’orchestre est parfaitement au point, d’une clarté cristalline et la direction est d’une grand raffinement. Cette approche de Verdi, plus esthétisante, avec moins de tripes, mais plus d’élégance, séduit indiscutablement. Elle est bien plus intéressante que ce qu’avait tenté de faire Muti avec Le Trouvère à la Scala (“Verdi, c’est comme Mozart”), il en était résulté un ennui mortel que jamais on n’éprouve ici. Certains reprocheront quelquefois un manque de dramatisme , mais je dois dire que je ne l’ai pas vraiment noté. Ce que je peux affirmer en revanche, parce que j’ai vu de nombreuses soirées de la précédente production, entre 1975 et 1981,  c’est qu’on a là indiscutablement la meilleure direction musicale de Forza del Destino qu’on ait eu à l’Opéra et bien meilleure que celle de Zubin Mehta à Vienne (il était ce soir là dans une soirée “routine”).
Au total, je trouve que la presse a été un peu injuste avec une production qui musicalement tient globalement la route (avec quelques doutes sur Urmana et Stoyanov…) et qu’on ne passe pas un moment désagréable; certes, la mise en scène va encore alimenter la polémique sur les choix esthétiques de Nicolas Joel, mais je dois reconnaître que je m’attendais à bien pire, vu ce que j’avais lu, et qu’en revanche j’ai passé un vrai moment musical verdien, avec les émotions inévitables et la redécouverte de cette évidence: quand Verdi s’y met, c’est quand même quelque chose!

TEATRO ALLA SCALA 2010-2011: DER ROSENKAVALIER de Richard STRAUSS le 1er octobre 2011 (Dir: Philippe JORDAN, ms en scène Herbert WERNICKE)

Depuis  l’émotion qui m’a étreint au moment du trio final, la première fois que je vis Le Chevalier à la Rose à l’opéra – c’était la pâlichonne production parisienne de Rudolf Steinboeck, dirigée par Horst Stein, avec Christa Ludwig, Yvonne Minton, Lucia Popp dans des décors de Ezio Frigerio-, il y a toujours au moins un instant où mon cœur bat un peu plus vite, où les larmes sont (au moins) prêtes à couler. Elles coulèrent abondamment quand je vis Kleiber à Munich (Jones, Fassbaender, Donath) plusieurs fois, par bonheur. Kleiber, c’était une explosion sonore dès la première mesure:  il arrivait sur le podium et en une seconde, toute la masse de l’orchestre explosait dans une urgence inconnue jusqu’alors et une joie haletante et profonde mêlée d’intense émotion ne nous lâchait plus.

Il y a des œuvres qui appellent les larmes et Le Chevalier est de celles-là, il y a des œuvres qu’on ne se lasse pas d’entendre et le Chevalier est de celles-là. Il y a des œuvres enfin qui ne laissent qu’un goût de bonheur dans le cœur et Le Chevalier est de celles-là. C’est dire avec quelle joie j’ai fait le voyage de Milan, attiré par le trio de dames ( Schwanewilms, Di Donato, Archibald) affiché par le Teatro alla Scala. Jadis Kleiber y officia aussi, en 1976 (Lear, Fassbaender, Popp) et la partie du public qui le vit alors s’en souvient encore, évidemment.

La dernière production de 2003 (Mise en scène de Pier Luigi Pizzi, dir.Jeffrey Tate) ne m’avait pas fait vibrer. Et j’avoue ne pas avoir encore trouvé mon chef straussien de prédilection aujourd’hui: Sinopoli, qui a beaucoup dirigé Strauss,  ne m’avait jamais convaincu, et je ne suis pas aujourd’hui maniaque de Christian Thielemann, j’en suis resté, en bon ancien combattant, à Böhm, Sawallisch, Solti, Kleiber, qui ont illuminé mes soirées straussiennes et cette lumière-là brille encore en moi, jamais éteinte, toujours vive, indétrônée.
Il se trouve cependant qu’à chaque fois que j’ai entendu Philippe Jordan dans ce répertoire, il m’a plu, accroché, et souvent convaincu. Son approche très élégante, assez marquée par la musique de chambre, sa manière de faire émerger les notes, de clarifier le jeu instrumental, tout cela me plaît tout particulièrement et tranche assez avec le Strauss qu’on entend habituellement. Et samedi soir 1er octobre à la Scala fut notamment grâce à lui une très belle soirée straussienne. Honneur aux dames: la Sophie de Jane Archibald est très émouvante. La voix n’est pas très grande ( aucune des trois d’ailleurs n’a ce qu’on appelle une grande voix, de ce point de vue, c’est assez homogène), mais le style et les inflexions sont justes et son duo de la Rose au deuxième acte est vraiment de grand niveau. De plus, elle compose un personnage très juste, très frais. Le Chevalier de Joyce Di Donato peut surprendre, on a l’habitude d’entendre cette magnifique artiste  dans Mozart, ou Rossini, et à cette voix claire on peut préférer des timbres plus sombres (Tatiana Troyanos fut mon Chevalier chéri), elle respire jeunesse et joie de vivre, et la voix est vraiment exceptionnelle, avec une très belle diction. Quant à Anne Schwanewilms, dont la voix a dans certaines inflexions quelque menue acidité, elle chante la Maréchale comme un long Lied, avec un sens du texte et de la diction qui confondent et qui émerveillent. Rarement il m’a été donné d’entendre un monologue du premier acte aussi fort, aussi intense, avec une simplicité et un naturel tout à fait exceptionnels, sans aucune recherche d’effets. Là non plus, la voix n’est pas immense, mais quelle performance! Quelle intelligence ! Quelle présence!

A ce trio de haut niveau, il faut rajouter  Peter Rose, qui compose un Ochs vocalement impeccable, avec de vrais graves; il propose un personnage jamais outré, n’en fait jamais trop, et ainsi en devient presque émouvant au troisième acte. Hans-Joachim Ketelsen est un Faninal honorable, et les rôles secondaires sont eux aussi très honorablement distribués et tenus, notamment Ingrid Kaiserfeld en Marianne Leitmetzerin et Hélène Schneiderman en Annina. Seule (grosse) déception, Marcelo Alvarez en chanteur italien. Vaut-il la peine d’afficher un tel nom pour un tel rôle? Et pour pareil résultat. Sauf à penser que cette contre performance est voulue par la mise en scène (le ténor ridicule et mauvais) force est de constater que nous n’y sommes pas. Difficultés a négocier aigus et passages, style douteux, aucune élégance dans un rôle qui en demande ( voir Gedda dans l’enregistrement de Karajan), en somme, un vrai ratage.

L’orchestre dont ce n’est pas le répertoire de prédilection, – Sawallisch en son temps avait beaucoup souffert pendant les répétitions de “La femme sans ombre” – a vraiment été cette fois exemplaire. Comme je l’ai dit plus haut, et comme les parisiens le savent, Philippe Jordan n’est pas un chef à effets, il ne recherche pas les gros contrastes ou les explosions sonores. Il est un vrai ” concertatore” soignant beaucoup les relations thématiques, cherchant à isoler les instruments, pour mettre en valeur les thèmes ( voir par exemple la manière dont il exalte l’instrumentation dans la présentation de la rose, et notamment le hautbois). L’introduction du troisième acte est un modèle d’attention à chaque pupitre, dont il obtient des sons d’un grand raffinement et d’une grande légèreté. Cette interprétation presque chambriste séduit sans aucun doute et le chef obtient un très gros succès du public. Ce travail remarquable, qui confirme l’aisance de Philippe Jordan dans ce répertoire, gagnerait cependant à mon avis  à avoir en plus une petite touche de fantaisie, voilà une qualité de son père Armin que le fils Philippe pourrait faire sienne, au moins quelquefois. Quand on a de telles qualités techniques, il faut aussi savoir oser!

La mise en scène de Herbert Wernicke a fait un bon tour d’Europe. Rappelons qu’elle est née pour Salzbourg, du temps de Gérard Mortier, il y a une quinzaine d’années et qu’elle fait partie de ces productions initiées par Mortier à Bruxelles, Salzbourg ou Paris qui continuent à vivre et à séduire. Citons pour mémoire La Clemenza Di Tito des Hermann, Katia Kabanova de Marthaler, l’affaire Makropoulos de Warlikovski. A Salzbourg d’ailleurs, le très large plateau du Grosses Festspielhaus donnait à la scène finale une grandeur mélancolique inoubliable. Wernicke place l’intrigue dans la Vienne du début du XXème siècle, et c’est en quelque sorte “la dernière valse” d’un monde de la légèreté qui s’éteint. L’œuvre est créée à Dresde en janvier 1911, trois avant la guerre et le début de l’engloutissement des empires européens. Fondée sur des jeux de reflets et d’images (salons viennois, salle du théâtre, fosse) elle n’est jamais outrancière, notamment au troisième acte, et reste toujours juste. Sa peinture des personnages, notamment la Maréchale très digne, très naturelle, et en même temps d’une criante humanité, et Octavian, jeune et fougueux, mais tendre bien personnifié par Joyce Di Donato, la Sophie enfantine, comme sortie d’un couvent, habillée de noir à la fin est vraiment bouleversante. La présentation de la rose, qui avec l’escalier et les costumes blancs (Octavian en haut de forme blanc à la Fred Astaire) rappelle les revues américaines de Music hall et renvoie la scène au monde des apparences et des paillettes, installe bien avec ses jeux de reflets et de miroir dont nous avons parlé cette idée d’un monde qui n’est plus celui du réel, un monde en suspension qui ne voit rien venir. Ce travail, bien repris par Alejandro Stadler ( rappelons que Herbert Wernicke est mort prématurément en 2002) garde une très grande force et réussit en actualisant l’intrigue et en transposant l’époque, à en maintenir intact le charme, et à donner à l’œuvre une réelle force intemporelle. Les parisiens connaissent certes la production, mais la Scala a réussi à afficher une qualité musicale exceptionnelle, rarement atteinte dans cette œuvre aujourd’hui.
Grande soirée et donc grande joie.

OPERA DE PARIS 2011-2012: quelques notes sur la saison.

J’ai longtemps hésité avant d’écrire sur la saison 2011-2012 de l’Opéra de Paris. En effet, à première lecture, rien de particulièrement stimulant ne m’apparaissait, à part une reprise de la Veuve Joyeuse avec la grande Susan Graham, un chef intéressant, Asher Fisch, et la mise en scène de Jorge Lavelli (1997), qui y a laissé quelques grands souvenirs (au moins un Faust historique, et un Pelléas magnifique). Pour le reste, parmi les nouvelles productions, un Faust justement, qui succède à celui de Lavelli qui trente ans durant a rempli les salles de Garnier puis de la Bastille, après avoir provoqué un fameux scandale (« bien fait pour Gounod », avait hurlé un spectateur !). Je pense d’ailleurs que la production pouvait encore durer, mais des problèmes de rangement de décor et d’état général avaient contraint à l’abandonner. On a ainsi vu longtemps le fameux palais de verre et de métal, tout construit (il était soudé et impossible à démonter les dernières années) trônant dans l’arrière scène de Bastille. C’est Jean-Louis Martinoty qui va mettre en scène cette nouvelle production, ce qui devrait garantir un travail sérieux et solide, Alain Lombard, autre revenant, la dirigera, c’est une référence pour Faust, qu’il a enregistré jadis, et Roberto Alagna, Paul Gay, Inva Mula et Tassis Christoyannis en composeront la distribution. Succès assuré sur le papier. Une production faite pour durer, tant Faust est un pilier de l’Opéra de Paris, et sans doute faite pour  attirer un aimable consensus.
Avec Violeta Urmana en Leonore de la Force du Destin, j’ai malheureusement plus de doutes. Philippe Jordan dirigera ainsi ce Verdi (un directeur musical se doit de tout diriger, et Philippe Jordan est plus connu pour ses Strauss, et maintenant ses Wagner, que pour ses Verdi : on découvrira donc), Jean-Claude Auvray assurera la mise en scène (là aussi rien que de très habituel dans le genre production de grande série) et Marcelo Alvarez assurera les premières. Notons Kwanchoul Youn en Padre Guardiano et le jeune Nicola Alaimo en Fra Melitone (ah..Bacquier!). J’avoue ne pas être convaincu de certains choix, mais faire Verdi est si difficile aujourd’hui. Tout de même, il y a quelques autres Leonore possibles que Violeta Urmana (elle le chantera aussi à Vienne, et Nadia Krasteva fera Preziosilla dans les deux théâtres) même si en ce moment les vraies Leonore sont rares (et Madame Urmana n’en est pas une).
Manon, production construite pour Natalie Dessay (avec son chef favori Evelino Pido’), et dans une mise en scène de Coline Serreau. Là aussi rien que de très habituel, et pas de quoi fouetter un chat, même si notre Natalie nationale devrait briller. Plus intéressante la création de La Cerisaie de Philippe Fenelon, pour la mise en scène de Georges Lavaudant. Jolie distribution pour l’Hippolyte et Aricie de Rameau (Topi Lehtipuu, Sarah Connolly), pour le reste, à voir (Mise en scène Ivan Alexandre, direction musicale d’Emmanuelle Haim, assez contestée l’an dernier). Une nouvelle (?) production de Cavalleria Rusticana et Pagliacci, avec le tandem Daniel Oren (Direction musicale) et Giancarlo del Monaco (Mise en scène), ce qui nous promet originalité et raffinement…(hum) et enfin une Arabella avec Renée Fleming et Michael Volle, avec l’équipe du beau Capriccio de Vienne (Marco Arturo Marelli pour la mise en scène, Philippe Jordan pour la direction musicale) : cela au moins vaudra sans doute le voyage.
Dans l’ensemble pas de quoi frémir ni pâmer d’aise. Une saison non pas d’artisanat raffiné, mais de grande industrie, visant à remplir la salle, avec son lot de nouveautés, de créations, de grand répertoire standardisé. Il est sûr que les saisons de Mortier, toutes discutables qu’elles soient sur certains choix, proposaient des parcours plus originaux et avaient de quoi intéresser un peu plus. La volonté de recentrer sur certains opéras français (et encore, les plus courus…) ou sur le vérisme est louable, mais alors, demanderait un travail plus approfondi sur mise en scène et direction musicale, pour mettre en valeur ce répertoire. Je continue de penser que confier Francesca da Rimini l’an dernier à Daniel Oren et Gianfranco del Monaco (après un André Chénier ridicule) fut une erreur qui fait ranger l’œuvre dans le vérisme, ce qu’elle n’est pas. L’équipe d’ailleurs semble avoir signé pour toutes les nouvelles productions véristes. Tant pis pour le vérisme hélas.

Les reprises sont toutes honnêtement distribuées, avec leur lot de vrais grands noms, de fausses gloires du jour, et un usage exagéré des faux metteurs en scène modernes (Carsen, Decker), mais on verra avec plaisir Sophie Koch en Venus, Klaus Florian Vogt en Titus (et Stephanie d’Oustrac en Sesto !) Angela Denoke en Salomé, Evgueni Nikitin en Tomski et Galouzine en Hermann. Pour le reste, rien de notable.
On comprend que deux salles à programmer exige un jeu subtil de nouvelles productions, de raretés, de reprises un peu attrape tout. Mais il faut bien reconnaître que la saison 2011-2012 n’a pas grand chose pour stimuler l’intérêt des mélomanes. Ce n’est pas d’ailleurs le seul théâtre d’importance à gérer en bon père de famille le patrimoine maison. Mais vu l’argent englouti par notre Opéra National, on pourrait espérer un travail de programmation un peu plus élaboré. A titre de comparaison, la saison de l’Opéra National de Lyon avec des moyens moins gigantesques, est autrement plus intéressante, plus recherchée, tout en restant populaire et très ouverte : le projet Puccini Plus alliant des opéras en un acte de Puccini et d’autres compositeurs réputés plus « modernes » (Zemlinski, Schönberg, Hindemith) est vraiment une belle proposition !
Certes , on rétorquera que la mission de l’Opéra de Paris est à la fois d’être un conservatoire mais aussi une vitrine aussi diverse que possible composée d’un savant mélange de spectacles devant attirer un public nombreux sans prendre trop de risques. Cette mission-là est sans nul doute remplie. Mais en ce moment, la vitrine est un peu éteinte, et les idées ne sont pas légion. Il est aussi vrai qu’actuellement, mieux vaut « assurer » que se risquer pour des idées…mais alors gare à la routine, même la routine de luxe, la pire de toutes, car elle fait prendre des vessies pour des lanternes.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2010-2011 : GÖTTERDÄMMERUNG / Le Crépuscule des Dieux (Dir: Philippe JORDAN, Ms en scène: Günter KRÄMER) le 3 juin 2011

 

Scène finale

 

Depuis hier soir 3 juin, l’Opéra de Paris a un Ring complet dans son répertoire. Le dernier Crépuscule des Dieux remonte à 1962.  Rolf Liebermann avait essayé d’en monter un, avec Solti, qui s’annonçait somptueux musicalement, mais le demi-échec de la production Stein-Grüber, les coûts induits à un moment où sa gestion était très critiquée, et où la présidence de la République avait pris ses distances, tout cela avait amené à l’interruption de l’entreprise.

On reste sur des souvenirs forts d’un Or du Rhin hors normes de Peter Stein, un très grand chef d’œuvre de la mise en scène d’opéra, d’une Walkyrie étonnante dans des décors de Edoardo Arroyo, où déjà Grüber voulait  raconter l’histoire,

avec des vrais chevaux (un peu trop affectueux, pour qui se souvient de l’annonce de la mort où Gwyneth Jones avait à lutter contre des coups de langue d’une monture trop amoureuse…) et du vrai feu. Mais à l’époque, un an après le choc Chéreau, Grüber était apparu un peu en retrait.
35 ans après, Nicolas Joel a réussi à boucler la commande. nous avons enfin un Ring complet à Paris. En soi, c’est un signe fort de la bonne santé de notre première scène nationale.
Et ce Ring est dominé par l’extraordinaire prestation musicale de l’Orchestre de l’Opéra, magnifiquement dirigé, façonné, sculpté, coloré, par son directeur musical Philippe Jordan. On aime ses Mozart, ses Strauss, et on adore ses Wagner, très symphoniques, charnus, pleins, et en même temps fouillés jusqu’au moindre détail, qui font apparaître tous les niveaux, toute la construction architectonique de l’œuvre. Ainsi le Crépuscule des Dieux emporte définitivement l’adhésion. S’appuyant sur un tempo très (trop?) lent, notamment au premier acte (2h10), Philippe Jordan en fait une sorte d’immense marche funèbre, immense cérémonie d’un monde qui coule, où peu à peu tout se délite et s’engloutit dans une sorte de suicide collectif. Le premier duo Siegfried/Brünnhilde devient une sorte de chant forcé, où la joie de l’amour est tempérée par un je ne sais quoi d’inquiétant qui fait qu’on n’y croit pas une seconde.


Elisa Haberer/ONP                                            Récit de Waltraute

On retiendra aussi le magnifique récit de Waltraute, avec une Sophie Koch exceptionnelle, d’une intensité qui donne le frisson, donnant sens à chaque syllabe d’un texte merveilleusement dit, et aussi tout le trio du deuxième acte, dans sa partie finale, où l’accompagnement orchestral est suffoquant , et enfin tout le troisième acte, de la légèreté triste de l’apparition des filles du Rhin, à la glaçante marche funèbre, et au final très amer voulu par le metteur en scène.

A cette entreprise somptueuse et tout à fait exceptionnelle correspond une mise en scène assez décevante, non pas par son propos et ses idées, qui prises séparément, peuvent paraître pleines de sens et souvent intéressantes, mais sont mal servies par  un visuel confus et des choix discutables.
Plusieurs postulats de départ à ce travail:
– Premier postulat: ce n’est pas Hagen qui mène l’histoire, mais Alberich qui manie Hagen de bout en bout: c’est lui qui a recueilli l’héritage de Wotan.
Déguisé en nounou fantomatique, il fouille au lever de rideau dans les oripeaux des journées précédentes (Nothung, lance brisée de Wotan, armure de Brünnhilde) pour chercher à prendre ce qui va lui être utile. Hagen quant à lui est un enfant paralysé en fauteuil roulant, qui tient un planisphère dans la main. On voit l’enjeu: dominer le monde, lui imposer ses règles: Alberich ramasse la lance brisée de Wotan et la répare, puis la donne à Hagen. D’où le symbole: Siegfried sera tué par la lance même de Wotan. Alberich poussera Hagen au propre et au figuré à gérer la vengeance, il est présent à la mort de Siegfried et c’est lui qui pousse la lance, Hagen, en fauteuil roulant, ayant de facto une mobilité réduite. C’est enfin lui et non Hagen qui au final se jette dans le Rhin pour récupérer l’anneau, mais les filles du Rhin en un dernier combat lui prennent sa lance, le tuent, et récupèrent l’anneau.
Dernière image au baisser de rideau, d’un côté Brünnhilde et Siegfried morts, de l’autre, le corps d’Alberich, percé de la lance de Wotan, au pied de ce qui reste de l’Or qui brille timidement. Autrement plus fort était le final de Kupfer où, devant le monde écroulé, Alberich seul restait vivant en scène, et fermait le rideau.

Second postulat: Brünnhilde et Siegfried sont au départ de jeunes mariés encore en habit de noces, mais Siegfried au lieu de partir en barque avec son épousée, très désireuse de le suivre, s’en va pour un voyage de noces solitaire sur le Rhin. Ils sont tous deux abrutis par le désir d’embourgeoisement (du déjà vu, là aussi chez Kupfer) – Brünnhilde aménage l’appartement et range la vaisselle pendant que Waltraute essaie de la convaincre, Siegfried est un jeune sans cervelle, en habit de jeune marié, en proie à tous les désirs (les femmes, l’alcool) et incapable de distinguer le bien du mal. Ce sont deux humains, deux mortels qui ont abandonné tout ce qui restait de leur héroisme. Le texte a beau sans cesse revenir sur l’héroisme de Siegfried, celui-ci a abdiqué son statut de héros, pour endosser celui d’humain médiocre: plus de Nothung, un seul habit de marié qui perd tout son sens à mesure que l’intrigue avance, et un imperméable chiffonné à la Colombo. A cet embourgeoisement forcément médiocre correspond la fascination de Siegfried pour le monde minable des Gibichungen.

-Troisième postulat, justement, un monde des Gibichungen petit, médiocre, auquel Siegfried s’adapte, dans lequel il se vautre, philtre ou non. Pour identifier ce monde, pendant le voyage de Siegfried sur le Rhin, des serveuses (en fait des hommes) en Dirndltracht orange et vert, installent des tables façon Biergarten bavarois. Le choeur rameuté par Hagen est vêtu en orange vif, installé sur les marches du Walhalla, sorte d’allusion aux Maîtres chanteurs (les femmes arrivant un peu plus tard comme dans le défilé des Corporations…) en somme, une fête de mariage qui ressemblerait à une Festwiese (scène finale des Meistersinger) qui tournerait mal. Là aussi un monde engoncé, recroquevillé sur ses traditions (Maibaum comme dans les villages bavarois). Günther vêtu d’un costume assez vulgaire d’un vert triste, est d’une insigne lâcheté, d’une faiblesse coupable et raillée par Brünnhilde qui le repousse violemment et le domine lorsqu’il se présente à elle avec Siegfried pour lui arracher l’anneau (il faut l’intervention de Siegfried, évidemment, pour qu’il arrive à ses fins), Gutrune vêtue d’un tailleur rouge ridicule, qui répond assez passivement à un Siegfried qui se jette littéralement sur elle avec une insigne vulgarité. Ainsi ce monde des hommes est-il assez repoussant, tout conduit à détruire le mythe. Quant à Brünnhilde, elle rêve d’un intérieur petit bourgeois rabougri.
Les traces du mythe, dans le Crépuscule, ce sont les Nornes et les filles du Rhin, chantées ici par les mêmes chanteuses (au moins deux sur trois), et vêtues sensiblement de la la même manière, robe noire, sac à main et talons pour les Nornes, et elles se transforment en Filles du Rhin qui apparaissent dès le début du Voyage de Siegfried en fond de scène (ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise idée). Ces Nornes ne tissent pas, mais regardent un fond de scène trouble (le monde?), écoutent un sol muet: rien du futur n’apparaît, sauf quand se tenant les unes aux autres, elles rompent la chaîne en une rupture annonciatrice de catastrophe.

Pris isolément, ces postulats acceptables, mais pas si nouveaux, proposent des pistes intéressantes. Mais Gunter Krämer est beaucoup trop démonstratif, beaucoup trop didascalique, beaucoup trop didactique: sans cesse les choses sont soulignées, grassement, sans cesse des idées se rajoutent au livret qui pourtant est assez parlant et clair, au besoin pour le contredire: deux exemples,

– d’abord, dans la dernière scène de l’acte I, le livret dit que Günther attendra Siegfried au bas du rocher de Brünnhilde, en réalité ils arrivent tous deux devant Brünnhilde et Siegfried devient une sorte de marionnettiste qui “gère” Günther en le poussant, dissimulé derrière lui en brandissant son Tarnhelm comme un torchon qui cacherait son visage.

– ensuite pourquoi faire de Hagen un handicapé en fauteuil roulant manipulé par son père, alors que le livret indique clairement qu’il a épousé les haines ancestrales – dans la sc.I du deuxième acte par exemple- à quoi sert de rajouter l’image d’un Alberich angoissé de rater son coup et de se laisser voler la victoire éventuelle (jeu sur le planisphère entre Hagen et son père) au point que dans la scène finale, c’est non pas Hagen (sorti de scène poussé dans sa chaise roulante par Gutrune…) comme dans le livret qui intervient en se jetant sur l’anneau mais Alberich: Alberich luttant avec les filles du Rhin et mourant par sa propre lance (ou celle de Wotan) est à mon avis un contresens, Alberich étant le seul héros resté vivant à la fin de l’œuvre, comme l’avait bien souligné Kupfer à Bayreuth.
La vision finale est d’ailleurs assez pauvre, et l’apocalypse se réduit à une sorte de jeu de massacre


Elisa Haberer/ONP                                                                           Fin du Walhalla

sur un écran géant tel un jeu vidéo (c’est très clairement indiqué) inventé par une Brünnhilde collée contre l’écran de feu. Une fin “virtuelle” qui enlève jusqu’au bout la magie de la scène finale à laquelle nous sommes habitués, et qui frustre tellement les spectateurs qu’un cri (“honteux!”) fuse dans le public dès que le silence se fait.

Du point de vue du décor, l’élément central est une sorte de grille (voir ci-dessus) sur laquelle sont projetés des vidéos, porte monumentale vers les espaces virtuels,  si le gigantesque escalier qui conduit au Walhalla est encore présent, la scène est plutôt moins encombrée que précédemment. On notera que la vidéo accompagnant la Marche funèbre (le corps de Siegfried dématérialisé montant au Walhalla) rappelle dans son principe celle de Bill Viola pour la mort de Tristan.
Alors au total, ce Crépuscule, moins échevelé que les autres journées (la Walkyrie notamment),- certaines scènes sont même étonnamment “sobres”- est dominé par l’envie de Gunter Krämer de noircir encore plus un livret qui pourtant ne manque pas en soi de noirceur ni de pssimisme, dans une volonté affirmée d’empêcher de laisser à l’histoire et au public un quelconque espoir, une quelconque lumière qui permettrait d’espérer (comme chez Braunschweig ou même chez Chéreau) dans le futur.

Au service de ce spectacle, au parti pris très discutable, mais d’une plus grande cohérence que les autres journées,et à la musique enivrante dans la fosse, une distribution contrastée, qui n’a pas la belle homogénéité que dans Siegfried en mars dernier.

 
Torsten Kerl

 

(Photo Elisa Haberer)

Torsten Kerl avait séduit dans sa vision d’un Siegfried adolescent attardé, avec une voix solidement plantée. Sans doute fatigué, son Siegfried du Crépuscule, qui nécessite de chanter moins en force, avec un legato plus affirmé, un peu plus de lyrisme, est nettement insuffisant en volume (c’est frappant dans ses duos avec Brünnhilde) et accuse des difficultés dès qu’il faut monter brutalement à l’aigu (deuxième acte!!) et cale au troisième acte. Il remporte un succès d’estime.
La Brünnhilde de Katarina Dalayman est littéralement incroyable de volume dès qu’elle monte à l’aigu, elle domine complètement l’immense vaisseau de la Bastille, et remporte un triomphe total. Pour ma part, je trouve que lorsque les aigus ne sont pas sollicités, la voix perd de la couleur, de l’expression et on a peine à l’entendre (graves et registre central), on a souvent l’impression d’une sorte de monotonie, d’un chant uniforme, rythmé par d’impressionnantes montées à l’aigu, mais pas vraiment habité.
Le Hagen de Hans-Peter König vu à New York il y a un mois dans Hunding a une voix impressionnante, et il remporte un juste triomphe, mais dans Hunding, il prêtait cette voix énorme à un personnage plus subtil, du moins chez Lepage, et plus humain. Il semble très gêné de devoir chanter assis dans son fauteuil roulant, et l’interprétation en souffre, une immense voix, pas vraiment habitée là non plus. Mikhail Petrenko à Aix avec un volume bien moindre et une voix plus claire, pas vraiment adaptée au rôle, était tellement plus convaincant rien que par un style et une diction incomparables.
L’Alberich de Peter Sidhom n’a rien des grands Alberich d’aujourd’hui ou d’hier, voix voilée, volume limité, interprétation pâle. Sans intérêt.
Sophie Koch en revanche est éblouissante de bout en bout dans Waltraute, une Waltraute elle aussi débarrassée des oripeaux de Walkyrie, en longue robe et capuchon noirs, comme une religieuse sans coiffe ou sans cornette, bouleversante, nous l’avons dit.
Si Iain Paterson est un remarquable Günther, rôle très difficile à habiter, avec sa diction parfaite, sa puissance, son énergie désespérée et vide, Christine Libor, qui avait ébloui au Châtelet dans “Les Fées” il y a quelques années, est décevante, souvent proche du cri, avec une voix mal adaptée au rôle et trop stridente. Les Nornes(Nicole Piccolomini, Daniela Sindham, Christine Libor)/Filles du Rhin (Nicole Piccolomini, Daniela Sindham, Caroline Stein) sont assez correctes , à mon avis  les premières meilleures que les secondes.

Que dire en conclusion sinon répéter qu’avec ses hauts et ses bas nous avons un Ring à Paris et que c’est la bonne nouvelle de la saison. Un Ring dominé par l’extraordinaire prestation de l’orchestre,

et du chef, qui confirme que nous tenons là un très grand chef, de haut lignage (il a de qui tenir!!), doué d’un sens théâtral de tout premier ordre. Un Ring dans l’ensemble assez bien chanté, mais pas  exceptionnel à cause de prestations beaucoup trop contrastées. Et un Ring chaotique au niveau scénique, avec un peu de bon et beaucoup de pire, discutable – cela alimentera la chronique- de bout en bout, qu’on devra quand même voir et revoir (supporter?) tout au long des saisons prochaines, et qui peut-être se transformera ou s’améliorera. Pour l’instant, on est entre la colère et l’indifférence,mais jamais  l’admiration, avec cette lassitude du déjà vu, ou de fréquentes grimaces devant les tortures subies par le livret et les excès inutiles.
Les rêves de Gunter Krämer sont des cauchemars méandreux.

 

OPERA NATIONAL DE PARIS 2010-2011 : SIEGFRIED de Richard WAGNER ( Dir.mus: Philippe JORDAN, Mise en scène Günter KRÄMER) le 15 mars 2011

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Soyons justes, ce Siegfried n’est pas la représentation du siècle, mais du prologue et des deux  journées présentées, c’est sûrement la représentation la plus cohérente, ne serait-ce que parce que le premier acte est assez réussi et que certaines images du troisième ne manquent pas de grandeur. Musicalement, la direction de Philippe Jordan, remarquable, soutient une équipe de chanteurs dans l’ensemble satisfaisante. On ne sort pas en furie, comme ce fut pour moi le cas au sortir de La Walkyrie.
Pour Siegfried, il faut d’abord saluer un niveau musical globalement supérieur à ce qu’on a entendu précédemment. L’orchestre dirigé par Philippe Jordan est en tous points remarquable: la direction au tempo souvent plus lent que d’habitude (le prélude installe une tension très forte et donne une couleur mystérieuse qui fait d’ailleurs contraste avec le lever de rideau) fait justice à tous les moments de la partition, des Murmures de la forêt étonnants de chaleur et de douceur, un troisième acte tout de somptuosité sonore, alternant moments de pure poésie suspendue et moments d’une formidable intensité dramatique, une clarté de lecture qui laisse entrevoir tous les pupitres, un accompagnement des chanteurs d’une grande précision. Ce travail exemplaire révèle de plus en plus un très grand chef d’opéra.
La distribution est d’un d’un très haut niveau. et montre une fois de plus ce que j’affirme depuis quelque temps: il n’y a aucun problème à monter Wagner aujourd’hui et une oeuvre aussi difficile que Siegfried qui exige une performance physique énorme du protagoniste peut être proposée avec trois  ténors pour lesquels on est assuré de la performance, Lance Ryan, Stephen Gould, Torsten Kerl (puisque c’est une prise de rôle à Paris) et au moins un chanteur d’un niveau bien inférieur, mais qui “assure” tout de même, Christian Franz.
Torsten Kerl (un nom qui va bien avec Siegfried!) n’a pas le timbre étonnamment juvénile et clair de Lance Ryan, ni sa vaillance, mais c’est en quelque sorte une “force tranquille”: un timbre velouté, une grande douceur, sans jamais donner l’impression de forcer et un engagement scénique qui provoque l’admiration. Un très grand Siegfried, et un beau choix de Nicolas Joel. On est heureux aussi de revoir Juha Uusitalo qui a traversé un passage à vide dû à des problèmes de santé. La voix n’a peut-être plus tout à fait  la puissance d’antan, mais le timbre sonore, et pur, la couleur, la largeur sont revenus. Sa scène avec Mime, et celle avec Erda (un peu traitées de la même manière par la mise en scène d’ailleurs) sont d’une rare intensité. Même remarque avec le Fafner exceptionnel de Stephen Milling, le court moment de sa mort et la réplique à Siegfried donnent le frisson.
mime.1300295177.jpgLe Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke , qui est en train de devenir le Mime de référence, comme Heinz Zednik en son temps: je trouve cependant que la voix manque de couleur et n’est pas si expressive, alors qu’au contraire la composition de l’acteur, en “ménagère allemande de plus de cinquante ans” est à la fois magnifiquement décalée et désopilante. La prestation globale reste très impressionnante. Seule faiblesse dans l’ensemble des hommes, l’Alberich de Peter Sidhom, très fade, sans expression, qui me semble loin d’être à la hauteur du reste de la distribution.
Du côté féminin, Qiu Lin Zhiang est une bonne Erda, solide, à la voix profonde exigée par le rôle, la composition et le jeu sont très solides,  Elena Tsallagova dans l’oiseau n’est pas exceptionnelle, mais la prestation reste satisfaisante. La Brünnhilde de Katarina Dalayman a l’engagement voulu, et il en faut pour chanter ce rôle d’une très grande difficulté (le duo final de Siegfried est pour la soprano l’un des moments les plus difficiles de toute la partition du Ring) sur un escalier gigantesque particulièrement raide, où tout mouvement incongru et non contrôlé serait fort risqué. Il reste que cette chanteuse ne m’a jamais convaincu: les aigus sont là, puissants, projetés mais quelquefois aussi criés, ou manqués l’engagement est réel, mais quelques problèmes dans les graves, souvent détimbrés, et une note finale – comme souvent chez beaucoup de ses collègues, reconnaissons le- ratée. Mais cela reste très honorable, voire meilleur que d’habitude.

Au total, du côté de la musique, ce retour de Siegfried, pas joué à l’opéra depuis 1959, est plutôt un grand bonheur.
Du côté de la scène, on est forcé d’être beaucoup moins positif, même si là aussi, le spectacle est plus cohérent et moins ridicule que ce à quoi Günter Krämer nous a habitués. Il reste tout de même des choses difficilement supportables (le deuxième acte, minable)

mime2.1300295165.jpgLe premier acte présente une grotte de Mime sous l’escalier monumental montant au Walhalla, bien connu depuis l’Or du Rhin. Un ascenseur monte vers les cintres (l’ours l’utilise)et en fait Mime est une sorte de travesti (perruque blonde, habits de ménagère allemande) qui cultive son jardin (plantes, géraniums, nains de jardin etc… et même un ensemble de Cannabis éclairé par des lampes rouges comme dans une serre: Mime est un petit trafiquant. Une atmosphère ridiculement familiale, où Siegfried est un ado qui boit du Coca et mange du Nutella. L’attitude de Siegfried semble bien proche d’une manifestation de crise d’adolescence, engoncé dans une salopette trop juste de qui a grandi trop vite. Bonne idée aussi que l’apparition du Wanderer dans un costume de vagabond qui ressemble un peu au costume endossé par Wotan dans la première production de Siegfried à Paris il y a bien longtemps. Un seul point pénible: lors du chant de la forge, des soldats(?) en arrière fond esquissent comme des pas de marche militaire. Pourquoi?

acte-ii.1300295148.jpgLe deuxième acte est totalement raté à mon avis: tout mystère, toute poésie en sont effacés. Le lever de rideau laisse voir à gauche Alberich et à droite Wotan (ou l’inverse) habillés à l’identique (merci Chéreau à qui l’idée est prise) qui veillent sur l’antre de Fafner vers laquelle se dirigent des esclaves-soldats nus portant des caisses marquées “Rheingold”, renfermant des armes qu’ils vont pointer sur tout ce qui s’approche de la grotte. Fafner n’est jamais un Dragon, mais un roi à la couronne de carton pâte(personnage à la Ionesco, qui porte la même couronne que Mime à la fin du premier acte lorsqu’il se voit déjà, telle Perrette et son pot au lait, détenteur de tous les pouvoirs). L’oiseau n’est pas un oiseau mais un jeune personnage que Siegfried suit (pourquoi le faire doubler alors par la chanteuse? Celle-ci pouvait parfaitement jouer et chanter..)
La forêt est automnale, les feuilles mortes volent, actionnées par Wotan, toujours à l’affût (c’est une constante de l’opéra selon Krämer: Wotan est là jusqu’aux dernières mesures). Cette forêt jonchée de feuilles mortes prépare sans doute déjà le Crépuscule. Ainsi Siegfried joue-t-il à peine avec les symboles tant recherchés par les autres, Tarnhelm, Anneau car sans doute voit on le jeu des hommes au lieu du jeu des mythes et le combat de Siegfried et du Dragon est un simple duel entre Fafner et lui, deux mortels. Les gardiens nus s’écroulent quand Fafner s’écroule. la forêt se réduit à deux rideaux de tulle peint superposés. Il y a un refus total de la magie, qui reste portée par la musique, mais ce qui est représenté sur scène va contre et les décors de Jürgen Bäckman ne sont pas convaincants.

Le troisième acte commence par une vision nocturne du Walhalla, où les dieux semblent assis à des tables de bibliothèque (lampes de bureau vertes) parmi lesquelles Erda, à moins que cette idée de bibliothèque ou d’archive ne soit une allusion à la mémoire du monde, portée justement par Erda.

erda.1300317611.jpgLa scène entre Wotan et Erda, non dénuée d’intensité et de violence se déroule sur et autour d’une table, et finalement n’est pas si mal réussie, la tension que Wotan crée n’y est pas étrangère. Le rideau d’avant-scène, celui qu’on avait déjà vu au premier et second acte, portant les traces de mots inscrits à la craie (Riesen, Nibelung, Notung, résultats des devinettes posées à Mime par le Wanderer) ou le mot “Fürchten”: “avoir peur” qui est ce qu’ignore Siegfried jusqu’à la vue de Brünnhilde, tombe à nouveau pour isoler Wotan et Siegfried, la scène se déroule selon les canons habituels, et Siegfried, brisant la lance se précipite vers le rocher, en fait l’escalier immense et raide qui monte vers le Walhalla, au centre duquel gît Brünnhilde. Près d’elle, Wotan écroulé, vaincu, face contre terre, en haut à droite une armée d’anges gardiens, chœur muet, qui attendent sans doute le Dieu. Un peu en contrebas Siegfried qui va monter jusqu’à Brünnhilde pour la réveiller. Peu de mouvements possibles sur cette pente abrupte, sur ces marches assez raides à la maigre surface, d’où quelques images fortes sans grands mouvements possibles, par exemple Brünnhilde qui dort au milieu des personnages qu’on vient de décrire, avec des débris de la gloire d’antan, bouclier, table renversée, lettres GER de Germania abandonnées.

Le duo en lui-même sans doute à cause de la situation un peu acrobatique, est réglé de manière bien frustre, sans urgence érotique, sans véritable palpitation des cœurs. Il faut attendre la dernière image pour apprécier une idée:

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celle de Wotan regrimpant péniblement et en s’écroulant vers le Walhalla, suivi et soutenu de ses anges gardiens, sorte de vision à la fois parallèle et antithétique de la vision finale de l’Or du Rhin, et,  tandis que Brünnhilde le considère d’un regard rapide en le voyant s’éloigner, elle se tourne rapidement vers Siegfried et se jette dans ses bras  pour le premier émoi.

Au total, un spectacle sans grandes trouvailles, encore une fois, mais qui est malgré tout  plus cohérent que les spectacles précédents (à moins qu’on ne s’habitue…) avec quelques éléments accrocheurs çà et là, mais toujours des visions ridicules et didactiques (Fafner), sans intérêt. Comme pour les épisodes précédents, cela ne nous apprend rien et nous laisse de marbre. Heureusement la musique a emporté l’adhésion: une vision musicale s’installe, incontestable et c’est Philippe Jordan le grand vainqueur : il accèdera sans doute au Walhalla des chefs.

Il y a de quoi se réjouir que l’Opéra de Paris soit en route vers son premier Ring depuis 1959…Patience et longueur de temps…En juin prochain, Nicolas Joel aura gagné son paradis wagnérien.
Ce ne sera certes pas la production rêvée, mais ce sera sans doute de la belle musique. On pourra attendre alors le premier Ring complet, et se rendre compte de l’effet produit par quatre soirées successives en immersion dans du Günter Krämer. [wpsr_facebook]

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OPERA NATIONAL DE PARIS 2010-2011: LE NOZZE DI FIGARO de W.A.MOZART le 21 novembre 2010 (Ms en scène Giorgio STREHLER)

dessin-frigerio.1290381217.jpgDessin de Ezio Frigerio

Peu importe si Nicolas Joel a voulu faire la nique à Gérard Mortier en reproposant la production des Nozze di Figaro que son prédécesseur avait annulée des tablettes de l’opéra dès son arrivée en 2003 (le programme souligne que les décors avaient été détruits après la dernière reprise parisienne de 2003). Gérard Mortier avait en 2006 affiché la production salzbourgeoise de Christoph Marthaler, sorte de folle journée vraiment folle, qui avait horrifié un certain nombre de mélomanes, et qui convenait bien à un Festival, peut-être moins à une maison d’opéra.

Nicolas Joel a repris la production vieille de 37 ans (avril 1973). Une production qui a d’ailleurs connu bien des vicissitudes: les décors originaux de1973 faits pour Garnier, avaient été refaits à l’ouverture de Bastille, plus clairs, plus Louis XVI que Louis XV, ce sont ces décors que Mortier fit détruire en 2003. Les décors de la  production d’aujourd’hui sont ceux de la Scala de Milan qui remontent à 1981 (pour l’ouverture de la saison offerte à Riccardo Muti pour la première fois à la Scala par Claudio Abbado alors encore directeur musical) et ils ont été l’objet d’une restauration. De même les costumes de la création de Paris ont été soit refaits soit restaurés, et on a fait appel aux membres de l’équipe d’origine encore vivants (Humbert Camerlo, Maryse Flach, Ezio Frigerio) pour cette reprise hautement symbolique.
Nicolas Joel a eu raison: cette production est emblématique de l’opéra de Paris, puisqu’elle ouvrit une nouvelle ère, celle de Liebermann, célébré cette année par une exposition à partir de décembre prochain, ère dans le sillon de laquelle l’Opéra de Paris vit encore (rappelons que Hugues Gall et Gérard Mortier furent ses collaborateurs, puis héritiers spirituels).
Hugues Gall avait d’ailleurs avec ces Nozze di Figaro conservé aussi la fameuse production du Faust de Jorge Lavelli, grand scandale en son temps (1975). Voilà, avec les Contes d’Hofmann  et la Lulu de Chéreau, les productions phares d’une période devenue mythique.

figaro-1-la-scala.1290381231.jpgPhoto Marco Brescia, teatro alla Scala

Une maison d’Opéra doit s’appuyer sur des jalons de son histoire, et en l’absence de grandes créations historiques à Garnier (le Saint François d’Assise de Messiaen excepté, car les grandes oeuvres furent souvent créées à l’Opéra Comique, comme Carmen ou Pelléas), il est bon de garder en répertoire des productions aussi emblématiques que ces Nozze di Figaro, qui ont accompagné l’histoire de l’Opéra de Paris pendant près de 40 ans et qui sont un des plus grands spectacles de l’histoire de la mise en scène.

Liebermann avait d’ailleurs on s’en souvient, quitté l’Opéra en 1980 en reproposant en guise d’adieux Le Nozze di Figaro dans la (quasi, à Freni et Krause près) même distribution qu’en 1973, avec Solti au pupitre. Compulser les différentes distributions qui ont jalonné ces 37 ans laisse un peu rêveur. Et moi même j’ai dû voir une cinquantaine de représentations dans cette mise en scène, notamment au temps de Liebermann.
590736_les-noces-de-figaro-le-nozze-di-figaro-saison-2002-2003.1290381190.jpgPhoto Opéra de Paris Saison 2002-2003

Exercice nostalgique ? Pas vraiment, tant comme on dit, ce travail “n’a pas pris une ride”. Comme souvent pour les très grandes mises en scènes, elles sont en réalité une oeuvre d’art de référence, là où le spectacle vivant est inscrit dans l’éphémère, elles s’inscrivent dans une durée qui transcende les publics et les époques. On l’entend aux réactions du public, qui participe pleinement, et on le touche de manière palpable tant éclairages, couleurs, mouvements réveillent les émotions: c’est bien le cas en ce final du deuxième acte avec d’un côté les personnages “colorés” et de l’autre les trois personnages en noir, ou au final du troisième lorsque les paysans dansent une sorte de carmagnole prérévolutionnaire. et enfin le merveilleux quatrième acte, construit avec une rigueur exemplaire, d’une clarté scénique cristalline, et un jeu d’ombres d’une infinie poésie. Le génie de Strehler a été de créer une ambiance automnale, fin de règne, en cohérence avec Beaumarchais quand Da Ponte avait un peu édulcoré le texte du livret pour le faire accepter de Joseph II, et en même temps d’une grande mélancolie, notamment  par rapport au personnage de la Comtesse.

Il faut reconnaître que revoir cette production, c’est faire renaître les images et les souvenirs qui se bousculent: inoubliable Gabriel Bacquier dans le Comte, comme il s’est fait regretter ce soir, inoubliable comtesse de Margaret Price, inoubliables Chérubin de Teresa Berganza ou de Frederica Von Stade, inoubliable José Van Dam en Figaro, et inoubliable Solti, fait de finesse, d’énergie, de tension, de rythme, avec un orchestre étincelant. Face à ces souvenirs grandioses, forcément évoqués, invoqués, convoqués, la représentation du 21 novembre fut honorable, mais ne restera pas dans les annales.

Cette représentation est une très honnête reprise, et tient essentiellement par la mise en scène, qui reste impressionnante. La distribution est  de bon niveau international, solide, mais sans vraie révélation. La Comtesse de Barbara Frittoli est très correcte, mais cela reste bien plat, comme toujours chez cette chanteuse un peu froide, un peu distante, avec des défauts vocaux plus appuyés (le vibrato) et un manque de travail d’expression sur un texte qu’on ne comprend pas toujours, sans  véritable effort d’interprétation. Le Comte de Dalibor Jenis manque de maturité et de profondeur, il est plus pantin que grand seigneur: peu d’élégance dans le geste et les attitudes. La voix manque de puissance et de projection, ne s’entend pas dans les ensembles, et reste souvent couverte par l’orchestre. La Marcellina d’Ann Murray nous donne l’occasion de revoir et réentendre cette belle artiste qui nous enchanta dans Lucio Silla (de Chéreau à la Scala) ou même Elvira de Don Giovanni (avec Muti en 1987 à la Scala). La voix a des stridences, mais les récitatifs ont vraiment dits de manière subtile et on aurait aimé l’entendre dans “Il capro e la capretta”, coupé malheureusement à la représentation tout comme l’air de Basilio. Autres vétérans, Robin Leggate, encore un très bon Basilio, et Robert Lloyd, qui fut une grande basse et dont la voix n’est plus qu’une ombre.
Karine Deshayes (Cherubino) a un jeu frais, engagé, et une voix solide, mais n’entre pas dans la poésie extraordinaire du personnage, elle joue, mais n’interprète pas: un peu le même défaut que Barbara Frittoli, aucun frémissement, peu de sensibilité, et une voix un peu monolithique (aux beaux aigus cependant).
Saluons enfin la jolie Barbarina de la jeune Maria-Virginia Savastano qui donne un vrai moment de fraîcheur (notons que son fameux air du 4ème acte se passait dans la mise en scène originale devant un mur gris qui s’ouvrait ensuite sur le jardin et ses ombres, et que le mur a disparu aujourd’hui…)

Reste le couple Suzanne/Figaro, sans doute les deux chanteurs les meilleurs de la distribution, bien que Ekaterina Siurina ait une voix un peu légère pour mon goût, la couleur est jolie et la poésie présente, notamment au quatrième acte, dans le “deh vieni non tardar”. Luca Pisaroni, qu’on avait vu dans d’autres rôles mozartiens (Leporello) est un Figaro solide, parfaitement à l’aise dans le personnage, et qui a la voix exacte du rôle. Une très belle prestation.

Le chef Philippe Jordan est moins inventif et plus “classique” que son père. Son approche est solide, l’orchestre est très au point (au temps de Liebermann, une fois sur deux, le cor final de l’air de Figaro “aprite un po’ quelgl’occhi”  du quatrième acte tombait en rase campagne!), mais il manque un peu de légèreté, il manque quelquefois non l’énergie, mais la pulsion intérieure. C’est au point, c’est souvent juste, ce n’est jamais émouvant et c’est dommage.

Au total, nostalgie aidant, souvenirs aidant, Mozart aidant, j’ai passé un très bon moment, mais un moment seulement. Cette représentation n’a pas fait bouger mes lignes, même si elle les a agrémentées.

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OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2009-2010: LA WALKYRIE à l’OPERA BASTILLE (Mise en scène GÜNTER KRÄMER, Dir.Mus: PHILIPPE JORDAN), le 20 Mai 2010

 

200620102128.1277111334.jpgAprès l’Or du Rhin en mars, la Walkyrie clôt cette première partie de L’Anneau di Nibelung, entamé cette année par Nicolas Joel, qui se poursuivra l’an prochain par Siegfried et le Crépuscule des Dieux. Cette entreprise, indispensable pour notre Opéra national, est à mettre au crédit de Nicolas Joel, même si le résultat artistique est pour l’instant pour le moins contrasté. Cette Walkyrie confirme la perplexité face au choix du metteur en scène Günter Krämer pour conduire le projet. Mais elle confirme aussi l’excellent choix du directeur musical Philippe Jordan, qui a de qui tenir, son père Armin Jordan ayant été un remarquable chef wagnérien, et qui est le triomphateur de la soirée -disons plutôt de la matinée-.
Commençons par le plus pénible, la mise en scène.
On avait remarqué déjà dans l’Or du Rhin des incohérences, des maladresses, une pauvreté conceptuelle qui laissait mal augurer de la suite. Cette Walkyrie, premier jour, n’est pas pire que le prologue, on pourrait même dire que l’ensemble est moins hideux. Disons seulement qu’elle confirme la pauvreté de l’entreprise et que ce spectacle sans vision, sans propos, sans structure ne laissera pas de traces indélébiles dans la mémoire, mais seulement des soupirs d’agacement. Trois actes, trois styles, trois orientations, Acte I, « Guerre des clans en Serbie », Acte II, « Vive les pommes », Acte III, « Panique à la morgue ».
Chéreau avait génialement introduit l’idée de clan ou de bande, lorsque Hunding entrait en scène, accompagné de ses hommes et qu’il entourait les deux enfants perdus (qui rappelaient vaguement ceux de “La Dispute” de Marivaux). Krämer la reprend, en commençant par évoquer la guerre des clans dans laquelle Siegmund est pris malgré lui, et les soldats de Hunding qui massacrent le petit peuple (on dirait bien des soldats serbes), entrent en forcent avec lui dans la maison. Des cadavres amoncelés en arrière plan, violence contre Sieglinde, violence de Siegmund contre Hunding menacé, tout cela est très démonstratif et va contre une musique très tendue, toute de violence rentrée au contraire. L’épée est dissimulée derrière un tableau qui , tiens tiens, représente un frêne, et que Sieglinde et Siegmund déchirent de manière un peu ridicule au couteau (le tableau est en papier…). Tout ce premier acte aux couleurs pseudo politiques, n’est pas vraiment passionnant et la mise en scène reste peu inventive, le travail sur l’acteur, inexistant, et tout ce qui pourrait donner vie, la pulsation érotique par exemple, est systématiquement éliminée. La direction très précise et analytique de Philippe Jordan manque quand même un peu d’éclat, de vie de sève dans cet acte et le duo final se traîne un peu.
J’ai appelé le deuxième acte « Vive les pommes » puisque la pomme est le motif central de l’acte, le fil rouge qui tient lieu de cohérence. Dans le Walhalla (nous sommes en haut de l’Echelle de Jacob menant au Walhalla (voir l’Or du Rhin) et les athlètes ont fixé les lettres du mot Germania (voir encore l’Or du Rhin), bientôt d’ailleurs les lettres GER disparaissent pour ne laisser que « ..mania »..Est-ce un autre signe à décrypter ?….Les Walkyries s’amusent au lever de rideau autour de la table des dieux et jouent avec des dizaines de pommes, symbole d’éternelle jeunesse (voir encore et toujours l’Or du Rhin, où ce fruit obsédait beaucoup le metteur en scène), Brünnhilde, lors de l’annonce de la mort, compose une sorte de chaîne de pommes, sans doute une ligne directe vers le Walhalla, et Siegmund, pour signifier son refus, donne un coup de pied vengeur dans le bel ordonnancement de fruits composé par Brünnhilde. Ce deuxième acte est très sage par ailleurs, il ne se passe pas grand-chose, sinon, seule vraie réussite de l’entreprise, les interventions de Fricka, magnifiquement portées par une Yvonne Naef royale en crinoline rouge sang, qui assiste au combat final Siegmund/Hunding en un face à face avec Wotan qui lui montre à la fin le cadavre de Siegmund avec un geste qui a l’air de dire « t’es contente, hein ? ».
Le dernier acte s’ouvre sur une sorte de morgue ou de salle de médecin légiste où des Walkyries infirmières nettoient les corps nus des héros morts (ouh la la ! comme c’est osé !!), la chevauchée des Walkyries, c’est « Panique à la morgue » où les cadavres s’amoncellent, passent sur la table, sont nettoyés, puis repartent régénérés.  Avec un baisser de rideau inattendu entre la deuxième et la troisième scène (le duo Wotan- Brünnhilde) car il faut bien – au mépris de la fluidité scénique à laquelle Wagner tenait tant, débarrasser le plateau des cadavres, des tables, des cuvettes, des torchons. Toujours pas la moindre attention au travail d’acteur, les chanteurs ne sont pas guidés, pas conduits, et font grosso modo ce qu’ils font partout. Une curiosité finale, Erda passe devant le brasier (après tout pourquoi pas), et Brünnhilde profondément endormie sur une table aux côtés du cadavre de Siegmund (on n’ose imaginer le futur réveil de Brünnhilde par Siegfried face au cadavre de papa !), se lève et va sous la table : elle ne peut dormir, elle devenue simple mortelle, au même niveau que le héros mort, et sous les yeux de tous (Walkyries, soldats) au fond dans l’ombre rougeoyante du brasier.
Krämer a repris à Braunschweig l’idée des fauteuils XVIII° (ici, ils sont noirs et non rouges) évoquant le Walhalla, il a repris à Chéreau et à d’autres l’idée de la bande de Hunding, il n’en a cependant rien fait : pas de mise en scène, un travail sans construction sans colonne vertébrale, sans aucun intérêt. Finalement mieux vaut ce deuxième acte sans grandes idées (mais avec des pommes) où les chanteurs sont laissés à eux-mêmes que des idées inutiles, qui ne disent rien de l’intrigue et sont souvent scéniquement mal réglées (une fois de plus, comme dans l’Or du Rhin, des sorties injustifiées: « Ein Quell » au premier acte où Siegmund demande de l’eau), et quelques incohérences des mouvements réglés dans l’espace scénique.
A ce travail médiocre et sans intérêt aucun correspond au contraire une réalisation musicale de qualité, même si la distribution, solide au demeurant, n’est pas totalement convaincante. Robert Dean Smith est un Siegmund émouvant, à la voix claire, si claire même qu’on se demande s’il arrivera au bout des « Wälse » des « Nothung » ou de l’accent final (« Wälsungenblut ») que même le grand Vickers rata un soir de MET avec Karajan. Son deuxième acte est plus pâle. La voix fatigue, l’orchestre la couvre. C’est dommage car le chant est engagé et l’interprétation prenante.  La Sieglinde de Ricarda Merbeth en revanche montre de bout en bout une voix très solide, mais l’interprétation reste froide (une seule lueur de passion au troisième acte), et un peu distante, comme d ‘habitude chez cette chanteuse qui n’a jamais réussi à me convaincre (son Elisabeth de Tannhäuser à Bayreuth me laissait totalement froid). Voilà une de ces voix qui « assure » sans séduire ni créer l’adhésion. Le Hunding de Günther Groissböck est solide et compose un personnage de soldat brutal et violent très crédible, tout comme le Wotan de Thomas Johannes Mayer, initialement prévu en complément de Falk Stuckmann pour trois représentations, et qui a jusqu’ici assuré toute la série. Sans avoir une voix éclatante, sans avoir un timbre exceptionnel, c’est sans doute celui qui est le plus expressif et qui suit les inflexions du texte avec le plus de précision, dans son personnage de perdant, de Wotan humain, trop humain. Une bonne prestation, face à la Fricka de très grande facture de Yvonne Naef, impériale en crinoline rouge, qui campe un vrai personnage avec une voix somptueuse, et particulièrement expressive, la meilleure du plateau. Des Walkyries-infirmières, on retiendra d’étranges notes raclées, des couacs gênants au moins au début du 3ème acte, avec une meilleure cohésion à la fin de leur scène, mais on les oubliera vite. Reste la Brünnhilde de Katarina Dalayman, avec ses aigus comme toujours plus tonitruants que chantés (ses « Hojotoho » initiaux), qui au total, même si cette chanteuse ne m’a jamais totalement convaincu, s’en sort avec les honneurs, même si je persiste à penser qu’on ne tient sûrement pas la Brünnhilde du moment, mais seulement la plus demandée du moment.

Le plus convaincant, c’est à n’en pas douter le chef. Je ne partage pas son option analytique et lente du premier acte, d’où n’émergent dans le duo final aucune pulsion, aucune vibration, aucun pathos. C’est l’ambiance pesante de la première partie qui gouverne la couleur donnée à l’ensemble de l’acte. On aimerait plus de rythme, on aimerait que la musique se laisse plus aller, mais Philippe Jordan n’a ni la fantaisie, ni l’imagination de son père. C’est un rigoureux constructeur, d’une redoutable précision, qui sait parfaitement accompagner le plateau et sait faire ressortir toutes les qualités de l’orchestre, même si quelques faiblesses se laissent encore percevoir (les cors…). Cordes somptueuses, bois et vents magnifiques. Le son charnu, plein, le souci de faire ressortir tous les niveaux, le relief font des deuxième et troisième actes des moments de référence. Une direction exemplaire même si quelquefois discutable, qui projette cette production au rang de celles qu’il faut aller écouter malgré ses failles et avec une distribution au total sans grands défauts ni grand éclat… Jordan sera sans aucun doute l’atout majeur de ce Ring, car pour le reste, la caravane peut passer.

200620102131.1277111443.jpgUne conclusion en demie teinte donc, avec la certitude maintenant bien installée d’un spectacle sans aucun intérêt scénique, faussement provocant, faussement analytique, et surtout complètement dépassé, celle d’une distribution honnête à très honnête, sans être celle de l’année loin de là, et un chef, qui sauve totalement la représentation par la qualité de son approche et le soin apporté à la « concertazione ». Pour le coup, le choix de Philippe Jordan comme directeur musical est une très bonne intuition de Nicolas Joel.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2009-2010: DAS RHEINGOLD (L’Or du Rhin) de Richard Wagner, mise en scène Günter KRÄMER à l’Opéra Bastille (16 mars 2010)

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L’entreprise était une nécessité. L’Opéra de Paris, la plus grande maison d’opéra du monde avec ses deux énormes salles,  n’avait plus à son répertoire depuis des lustres une production de l’Anneau du Nibelung (le “Ring”). C’est au Châtelet (Bob Wilson) et au Théâtre des Champs Elysées (Mesguich) qu’on doit les dernières productions présentées, et mieux encore, à l’Opéra de Paris, la dernière tentative, qui remonte à 1976,- une production hardie de Peter Stein et Klaus Michael Grüber- avait avorté après “La Walkyrie”, pour cause économique (Problème des coûts de production soulevé par un audit-vengeance de Giscard suite à une grève survenue lors d’une soirée dédiée “aux français méritants”  ). Hugues Gall avait d’autres priorités, Gérard Mortier n’avait pas osé, ou pas envie.(1)
Nicolas Joel l’a enfin programmé, et c’est donc un projet qui se justifie, d’autant que tous les théâtres se mettent en ordre de marche pour 2013, année du bicentenaire de Richard Wagner. La Scala commence aussi cette année, le MET l’an prochain. Vienne, Londres, Florence et Valence ont déjà leur production en boite.
Quels sont les enjeux d’un “Ring”? Paradoxalement, pour une grande maison, ils sont évidemment musicaux, mais peut-être pas  prioritairement . En effet, la plupart des maisons d’opéra cherchent naturellement à proposer une interprétation de grande tenue avec des chanteurs de qualité et un chef de prestige (Pappano, Levine, Welser-Möst, Barenboim). La rareté des représentations, des reprises, font qu’un “Ring” est toujours un événement, c’est bien le cas cette année qui voit la ruée des spectateurs sur les représentations de l’Opéra Bastille. Pour une maison d’Opéra, l’enjeu du Ring, et notamment depuis celui de Chéreau à Bayreuth, réside sans doute plus dans la mise en scène, qui devient un emblème des choix artistiques, et qui va marquer les esprits, notamment par l’intérêt des médias. Le MET par exemple investit beaucoup dans le choix de Robert Lepage, La Scala aussi en misant sur Guy Cassiers, choix très novateur. En confiant la réalisation à Günter Krämer, Nicolas Joel fait le choix d’un grand professionnel pas vraiment inventif ni original, et celui d’une lecture conforme à la tradition allemande , suffisamment moderne pour être dans l’air du temps et suffisamment sage pour pouvoir durer sans trop choquer, le choix du répertoire plutôt que du coup médiatique, c’est le choix de la sécurité. En faisant de cet Or du Rhin, la première production dirigée ès qualités par le nouveau directeur musical Philippe Jordan, il en fait aussi un moment très symbolique de la vie de l’orchestre.

Malheureusement c’est raté. Le résultat tape en dessous de tout ce qu’on pouvait souhaiter. Si les trois autres journées valent le prologue, cela nous promet de longs moments d’ennui. Le spectacle ne tient que par la direction musicale, précise, fouillée, très analytique, trop même car elle manque quelquefois de tension. Peut-on en tenir rigueur au chef quand on voit ce qui se passe sur scène ?…Philippe Jordan a fait preuve de sa rigueur habituelle dans la lecture de la partition, et l’orchestre le suit, avec une concentration qu’on ne lui connaît pas toujours. Il lui manque un soupçon de fantaisie, un soupçon de dramatisme, mais l’ensemble est vraiment appréciable, sinon remarquable.

La distribution réunie par Nicolas Joel est globalement décevante. Certes, Falk Struckmann est un Wotan de haut niveau, doué d’une diction parfaite, d’une voix encore sonore, d’un timbre de qualité. Mais il ne campe pas un personnage intéressant, dominant comme il doit l’être dans le prologue. Sophie Koch est une Fricka de très grande qualité, sans être aussi intense que dans Brangäne par exemple, Kim Begley s’en tire avec tous les honneurs dans Loge, c’est sans doute le meilleur de la compagnie, avec Iain Paterson dans Fasolt et la Erda de Qiu Lin Zhang  dont l’intervention cependant est bien mal réglée par le metteur en scène. Mais aucun n’est vraiment exceptionnel.
En revanche Peter Sidhom est un Alberich  bien pâle (comme le Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke), au moins dans la première partie, quasiment inexistant dans la première scène avec les filles du Rhin (un comble!), cela s’améliore cependant dans la scène de Nibelheim. Froh (Marcel Reijans) et Donner (Samuel Youn) sont traités par la mise en scène comme des comparses, et vocalement cela ne vaut guère beaucoup mieux. Freia est notoirement insuffisante (Ann Petersen), pas de volume, voix stridente et courte. Et les filles du Rhin restent assez moyennes, voire insuffisantes (Daniela Sindham en Wellgunde).
Quand on pense à la distribution rassemblée par Liebermann en 1976 (Sir Georg Solti, Adam, Ludwig, Dernesch, Mazura, tear, Finnilä), on reste sur sa faim.
Quand on pense aussi à la mise en scène de Peter Stein, qui avait si intelligemment utilisé l’espace de la scène de Garnier pour en faire un Univers, on se dit que le travail de Günter Krämer est un vrai recul, même par rapport à cette production de 34 ans plus ancienne. D’ailleurs, on aurait pu voir son spectacle il y a dix ans, vingt ans, trente ans tant il est déjà vieux, après quatre représentations. Tous les poncifs des 30 dernières années y sont servis, y compris les géants en ouvriers avec drapeaux rouges qui hurlent de la salle. Aucune direction d’acteurs (ils n’ont rien à faire pendant de longs moments sinon être là), des incohérences (entrée de Freia),  les scènes centrales (Les dieux, Nibelheim)  d’un ennui mortel: il ne s’y passe rien, les chanteurs sont livrés à eux mêmes ou platrés dans l’immobilité. Aucun travail sur les rapports des personnages entre eux, qui vivent une sorte d’existence cloisonnée, aucune lecture vraiment claire: l’allusion à Germania, le rêve architectural des nazis, est comme plaquée, et son absence n’enlèverait rien de fondamental à l’ensemble. Nibelheim est marquée au centre par une sorte de pendule (coupe-pizza géant a dit fort justement Renaud Machart dans “Le Monde”) qui taille l’or et les solutions des scènes de transformation (Dragon, Grenouille) a priori intéressantes, tournent court. Le Walhalla est une sorte l’Echelle de Jacob immense gravie comme les gradins de l’Olympia Stadion de Berlin par des athlètes en blanc “Riefenstahl”. Esthétiquement, cela ne vaut pas non plus tripette. Globe terrestre qui rappelle de très loin  la coupole actuelle du Reichstag pour le séjour des dieux, des solutions scéniques lourdes, qui nécessitent des machinistes a vue: on sait – c’est suffisamment souligné- que nous sommes au théâtre. Les mouvements des figurants, des machinistes, le miroir qui renvoie la salle ou les cintres, tout cela est archi déjà vu et ne donne pas grand sens à l’ensemble. Seuls le lever de rideau et la scène des filles du Rhin sont assez frappants et procèdent d’une bonne idée (des mains rouges qui remuent comme des animaux au fond des flots). . Ne parlons pas des costumes de Falk Bauer, hideux; quant aux décors de Jürgen Bachmann, ils sont sans intérêt. Bref, tout cela est une proposition faible qui ne fait qu’ accompagner ou illustrer (mal) l’histoire dont au fond, rien ne nous est dit. Il résulte qu’il est impossible d’y voir une ligne claire, un propos. Je préfère de loin Otto Schenk au MET, au moins, le parti pris “traditionnel” est assumé. On a ici une fausse modernité, qui n’apporte rien à la compréhension ni du texte ni de l’œuvre.

Allez, chers amis, replongez- vous dans vos DVD et revoyez Chéreau, ou même Schenk, cela vous évitera de perdre du temps en baillant à ces représentations qui laissent mal augurer de la suite. Dommage, vraiment dommage, quand on pense à l’investissement que représente un Ring: c’est une occasion ratée, et c’est vraiment regrettable pour Philippe Jordan qui défend vaillamment la musique de Wagner.

(1) Pendant l’interrègne de Bernard Lefort en 1971-1972, avant l’arrivée de Liebermann, avait été présentée une production de “Die Walküre”.