SALLE PLEYEL 2012-2013 : CLAUDIO ABBADO DIRIGE L’ORCHESTRA MOZART LE 11 JUIN 2013 (BEETHOVEN, MOZART, HAYDN, PROKOFIEV) avec RADU LUPU et REINHOLD FRIEDRICH

Saluts, debout devant Abbado  (à partir de la gauche) Jacques Zoon et Lucas Macias Navarro

Après le triomphe du concert du 14 avril dernier, le public est venu nombreux écouter Claudio Abbado avec cette fois son Orchestra Mozart. Le concert de l’an dernier avait un peu déçu certains (notamment la prestation de Radu Lupu et le son de l’Orchestra Mozart) et c’était l’occasion de voir des évolutions.
L’Orchestra Mozart est, on le sait, à géométrie variable selon les programmes ; formé de jeunes, mais aussi de chefs de pupitres et de solistes prestigieux, venus pour la plupart du Lucerne Festival Orchestra, on pouvait reconnaître ce soir Wolfram Christ, alto (ex-Berliner Philharmoniker), son fils Raphael (qui est le premier violon de l’Orchestra Mozart et qui appartient aussi au Lucerne Festival Orchestra)  Jacques Zoon à la flûte  (Lucerne Festival Orchestra, ex-Concertgebouw, ex-Boston Symphony Orchestra), Lucas Macias Navarro (Hautbois solo du Concertgebouw) , Alois Posch (Ex-Wiener Philhamoniker, actuellement à l’Orchestra Mozart et au Lucerne Festival Orchestra), Alessandro Carbonare à la clarinette (Accademia Nazionale di Santa Cecilia), Daniele Damiano au basson (Berliner Philharmoniker) , Martin Baeza à la trompette (Deutsche Oper Berlin et Lucerne Festival Orchestra) et le remarquable Raymond Curfs aux percussions (ex-Mahler Chamber Orchestra, et actuellement au Lucerne Festival Orchestra et à l’orchestre du Bayerischer Rundfunk). En bref, du beau monde et des musiciens familiers d’Abbado aux pupitres clefs. Notons enfin que Reinhold Friedrich, considéré comme l’un des plus grands trompettistes internationaux, était le soliste du concerto pour trompette de Haydn et qu’il est depuis 10 ans le trompette solo époustouflant du Lucerne Festival Orchestra
Le programme était apparemment  éclectique, comme quelquefois Abbado sait en composer avec des pièces assez brèves entourant la symphonie classique de Prokofiev…un programme faussement éclectique, contracté autour de la période 1790-1805 , avec le Prokofiev (Symphonie n°1 « classique » de 1917) qui s’appuie sur cette tradition même et notamment Haydn. Un faux éclectisme donc et un vrai programme!
«Les créatures de Prométhée », ouverture pour le seul ballet écrit par Beethoven,  est ce qui reste dans les répertoires et les programmes  aujourd’hui, le reste du ballet étant tombé dans l’oubli.  Elle met en valeur les cordes, que j’ai trouvées  plus soyeuses (comme on dit) que ce à quoi l’Orchestra Mozart nous a habitués, avec une souplesse plus marquée, et une grande ductilité. Le Beethoven d’Abbado est souvent moins  « beethovénien »  comme on dit, y dominent élégance et équilibre. C’était le cas. Et c’était évidemment réussi.
Plus de discussions sur le Concerto pour piano no 27 en si bémol majeur (K. 595) de Mozart, qui clôt en 1791 la série des concertos de Mozart pour piano et dont la création le 4 mars 1791 est l’une des dernières apparitions publiques du compositeur . Une très longue introduction, une atmosphère très douce, un brin mélancolique, quelquefois même enfantine. Certains ont trouvé les cordes plutôt rêches, je ne partage pas cette impression. L’ensemble dégage une atmosphère  d’une grande sérénité, d’une sorte d’équilibre retrouvé. Le Mozart d’Abbado est toujours d’une immense élégance, non dépourvue d’aspérités quelquefois, comme Mozart lui-même le construisait, et l’œuvre par sa retenue convient bien à Radu Lupu qui triomphe. Tous les amis croisés reconnaissent qu’on retrouve les qualités techniques de Lupu, et une vraie ligne interprétative alors que  la prestation l’an dernier nous avait fortement déçus. On retrouve surtout une véritable osmose entre orchestre et soliste, et une écoute mutuelle en cohérence. Cette sérénité qui marquerait presque une volonté de Mozart d’apparaître apaisé donne à cette première partie une réelle unité. D’ailleurs, Prokofiev mis à part, c’est bien à la période charnière XVIIIème-XIXème qu’Abbado se dédie ce soir, montrant des facettes diverses d’un classicisme musical  arrivé à un point de maturation et d’équilibre, avant qu’il ne bascule dans autre chose avec justement Beethoven.
La deuxième partie rendait hommage à la trompette de Reinhold Friedrich. On connaît en général mal la littérature pour trompette, mais le concerto pour trompette de Haydn est au moins connu pour son célèbre troisième mouvement. C’est l’un des derniers concertos de Haydn.
Un incident a mis un peu la salle en émoi souriant : Friedrich s’est aperçu dès les premières mesures que la trompette n’allait pas, et a fait des signes à Abbado, qui a fini par arrêter l’orchestre.
Qui connaît Reinhold Friedrich, qui l’a vu en orchestre sait que le personnage est plutôt très bon enfant, très sympathique et naturel, et surtout qu’il a un sens du groupe très marqué, c’est un vrai maître qui « accompagne » ses collègues des cuivres (souvent ses anciens élèves) , il est donc allé chercher un autre instrument ou essayer de réparer, pendant qu’un des trompettistes courait derrière la scène pour l’aider. On a attendu un peu , Abbado était souriant, voire rieur (notamment avec Zoon) et sans aucune tension. Friedrich est revenu avec (je crois) un autre instrument. Il était évidemment un peu nerveux, et peut-être un peu moins assuré que d’ordinaire, et notamment qu’à Bologne l’avant-veille à ce qui m’a été dit. Il bougeait beaucoup, se retournait vers les collègues, marquait les rythmes. L’orchestre a joué Haydn avec cette énergie juvénile, très rythmée, un son plein, très différent du Mozart apaisé qui précédait ; ce Haydn-là, « avait la pèche » comme on dit, et correspond bien à l’énergie toujours diffusée par Friedrich. Il a été comme d’habitude exceptionnel de souplesse, produisant des sons suraigus incroyables, avec des écarts et une tenue de souffle exceptionnels, et surtout un son d’une grande netteté. Le mouvement lent notamment est surprenant, on entend des sons à la trompette qu’on n’imaginerait pas d’un instrument plutôt associé à un rythme plutôt martial. En bref, un véritable exercice de virtuosité, non dénué d’une certaine ironie (avec des sons impossibles et à la limite de la dissonance), voire de distance, salué par le public. Friedrich est vraiment un musicien exceptionnel, mais aussi un homme toujours souriant, toujours plein de santé très aimé de ses collègues, même dans la difficulté comme aujourd’hui où perçait l’inquiétude sur la tenue de l’instrument.
Il y a des années et des années qu’Abbado n’avait pas programmé la Symphonie Classique de Prokofiev, un compositeur qu’il affectionne pourtant. On sait que Prokofiev l’a composée pendant la première guerre mondiale (création en 1917, à la veille de la révolution d’octobre ) pour répondre, ironiquement, à ceux qui lui reprochaient ses prises de risque, sa manière peu conventionnelle d’aborder les œuvres, de proposer des créations, ses dissonances, son « modernisme ». D’où son appellation de « Symphonie Classique ». La pièce est brève (une vingtaine de minutes), l’orchestre est tel qu’on le voyait à la fin du XVIIIème et propose effectivement une symphonie traditionnelle en quatre mouvements assez équilibrés qui se conforment strictement aux canons de la symphonie.
Et pourtant rien de moins classique que la symphonie de Prokofiev vue par Abbado. A chaque fois Claudio Abbado nous prend à revers : et c’est là où l’on mesure le renouvellement permanent, la volonté d’aller aux limites, l’époustouflante jeunesse de ce chef. Évidemment, vous l’aurez compris, parce que vous avez lu d’autres comptes rendus de ce blog sur Abbado, une fois de plus on n’a jamais entendu ça comme ça: insistance sur les dissonances, sur les écarts, une certaine brutalité là on l’on a souvent le souvenir d’un  équilibre sonore et mélodique, une primauté incroyable aux bois, qui deviennent ceux qui mènent la danse (Carbonare et sa clarinette ! Zoon ! Macias Navarro) l’incroyable subtilité (oui, subtilité !) des timbales de Curfs qui réussissent à murmurer. Une symphonie pleine de sève, de jeunesse, bouillonnante, explosante et jamais fixe, débordante et au total décoiffante.
Je ne cesse de penser quand je le vois diriger, à sa manière de laisser les musiciens s’exprimer, de les laisser faire de la musique, Abbado est un orchestrateur de liberté, d’une liberté qu’il accorde avec confiance aux instrumentistes parce qu’ils jouent ensemble, depuis longtemps, qu’ils se devinent mutuellement et se connaissent. Et pourtant face à des Berliner renouvelés dont il ne connaît aujourd’hui qu’à peine le quart des musiciens, il a aussi réussi en mai dernier une rencontre miraculeuse. C’est bien de musique qu’il s’agit, d’une manière d’aborder les partitions en considérant l’orchestre non comme un immense instrument au service d’une vision, mais comme un groupe d’individus réunis autour d’un projet  musical commun. Une telle approche rend la rencontre avec les orchestres une rencontre humaine autour d’un projet. C’est par exemple très différent chez Simon Rattle, et on le voit avec les mêmes Berliner: il construit lui-même une vision en dosant chaque son, sans sembler laisser d’espace de liberté : tout est calculé, chaque effet est calibré dans un grand projet d’ensemble. Il en résulte (et ce n’était pas vrai  aux temps de Birmingham) une impression de froideur, ou d’artifice, ou même d’ennui malgré l’extraordinaire capacité technique de l’orchestre.
Avec Abbado rien n’est jamais vraiment comme la veille, c’est toujours neuf, toujours dans le futur, le possible, ou plutôt dans l’impossible qui devient réalité à chaque concert . Ce soir, c’était Prokofiev qui frappait par sa nouveauté et son extraordinaire fraicheur. Délire évidemment dans le public.
Et puis, rare ces derniers temps : Abbado concède un bis : le quatrième mouvement de la Symphonie n°104 de Haydn « Londres », qu’il va jouer avec l’Orchestra Mozart en septembre. Signe que l’orchestre répète, signe aussi qu’il a besoin d’entendre sonner l’orchestre en concert pour répéter dans les conditions du direct, comme on dirait à la TV, mais signe subtil aussi d’une volonté de cohérence : on vient d’entendre un Prokofiev décoiffant, et on entend un Haydn éclairé par ce Prokofiev, fluidité, élégance bien sûr, mais surtout joie, exubérance avec des rythmes un peu syncopés, des sons inhabituels, des prises de risque dans lesquels l’orchestre tout entier s’engouffre. Eh, oui, la merveille, l’étonnement (au sens classique du XVIIème) dans ce programme si (faussement) « classique », mais on le sait, les classiques ne nous touchent que parce qu’ils été écrits « romantiquement » et Abbado est peut-être le dernier des grands chefs romantiques.
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Après le concert la photo souvenir: Daniele Damiano prend en photo les trompettes (dont Baeza et Friedrich) et Curfs le percussionniste

 

SALLE PLEYEL 2012-2013: CLAUDIO ABBADO dirige le MAHLER CHAMBER ORCHESTRA (BEETHOVEN, Soliste: Martha ARGERICH et MENDELSSOHN)

Martha (Pleyel, 14 avril 2013)

Il y a quelques semaines à Lucerne, j’assistais à une Master Class de direction d’orchestre de Bernard Haitink. Il encadrait quelques jeunes venus de tous les continents dans des œuvres de Beethoven, Mozart, Debussy entre autres. Ceux-ci prenaient la baguette, puis aussitôt après, si les choses allaient moins bien que prévu, il la prenait lui aussi pour « montrer » une battue, un geste, un tempo… A peine prenait-il la baguette et à peine le son montait-il qu’on était dans un autre univers: l’orchestre (Festival Strings Lucerne) , sur un geste, sonnait différemment, comme un petit miracle qui se répétait à chaque intervention. Il y eut effectivement quelques moments (Bruckner!) proprement miraculeux.
Peut-on expliquer comment un chef vous change un son et un orchestre? Comment sur un geste, y compris minimal, les choses s’entendent différemment.
Hier soir, à Pleyel, Claudio Abbado et Martha Argerich, avec la Mahler Chamber Orchestra, ont offert au public parisien une soirée miraculeuse, une de ces soirées phénoménales dont on se souviendra longtemps. A-t-on déjà entendu le concerto n°1 de Beethoven comme ça? A-t-on jamais entendu la symphonie n°3 de Mendelssohn « Écossaise » comme ça? On n’en a pas le souvenir, tant tout nous est apparu neuf, tant le son, les rythmes, les couleurs étonnaient au sens très fort , tant on était étourdi de tant de nouveauté. Tant ces pièces connues sonnaient inconnues, et tant tout cela se déroulait  dans une atmosphère apaisée, détendue, souriante.
Une fois de plus, Abbado nous indique ce qu’est faire de la musique ensemble. C’est faire de la musique jamais recommencée, une musique de tous les possibles, y compris des risques, des pianissimis d’une légèreté inouïe, un son du plus grêle au plus rond, au plus plein, au plus éclatant avec un orchestre d’à peine 50 musiciens qui sonnent comme le double.
On avait bien remarqué à Lucerne le mois dernier qu’Abbado était dans une forme éblouissante, énergique, planant, volant avec la musique. Et qu’avec Argerich il forme un couple complice (un peu comme avec Pollini) : ils se parlent pendant les pauses entre deux mouvements, ils se sourient, il s’écoutent avec gourmandise (après s’être titillés quelquefois en répétition), et Argerich incroyablement concentrée ne cesse d’écouter l’orchestre, de fixer un instrument, de lui répondre, pendant qu’Abbado en écho propose le son adapté, la couleur adaptée à la soliste: aucun contraste entre un soliste qui irait son chemin et un orchestre qui dirait autre chose; ici on fait la musique, sans théâtre, sans gestes énormes, sans grimaces, on est dans la musique, tous ensemble, noyés dans ce bonheur-là.
Il y a un mystère Abbado: pendant les répétitions, là ou d’autres expliquent aux musiciens ce qu’ils veulent, ou bien sculptent chaque note pour obtenir le son voulu, l’effet voulu, lui travaille beaucoup en amont avec les assistants, relit avec attention les partitions et lorsqu’il est face à l’orchestre, il fait jouer, en faisant recommencer quand il l’estime nécessaire, mais sans mot dire ou à peine, écoutant les remarques des musiciens, qui peuvent faire telle ou telle proposition: cette manière de procéder a souvent eu  le don d’agacer, certains pupitres et non des moindres disant que les répétitions d’Abbado sont inutiles. Et pourtant, pour le Tristan de Berlin en 1998, il avait demandé un grand nombre de services d’orchestre signe que les répétitions comptent pour lui: il n’est pas comme Knappertsbusch qui les détestait. Mais dès que le concert arrive, les plaintes  sont oubliées, et c’est la surprise, à l’orchestre comme dans le public. C’est aussi qu’Abbado désormais, depuis qu’il a quitté Berlin ne dirige plus que des orchestres avec lesquels entretient une relation régulière: Orchestre Mozart, Lucerne Festival Orchestra, Mahler Chamber Orchestra (beaucoup moins qu’il y a quelques années), Berliner Philharmoniker. Lorsqu’il travaille avec un autre orchestre comme l’orchestre du Maggio Musicale Fiorentino ou celui de la Scala récemment, il mélange deux phalanges, une connue de lui , une moins connue et place en tant que de besoin ses musiciens fétiches comme chefs de pupitre. Car il travaille aussi avec des musiciens qu’il a connus quelquefois depuis les temps du Gustav Mahler Jugendorchester qui connaissent sa manière de faire de la musique ou qui sont des instrumentistes hors pair qu’il a repérés. Ainsi la Mahler Chamber d’hier avait une couleur un peu « Lucerne », un peu « Mozart » avec un premier violon venu du Lucerne Festival Orchestra et du Gewandhaus de Leipzig, Sebastian Breuninger (reconnaissable à sa manière de se « démener » comme un diable), mais aussi le contrebassiste vénézuélien Johannee Gonzalez. Nouveau venu un surdoué de la clarinette, époustouflant, inouï, l’autrichien Andreas Ottensamer, (père et frère clarinettistes aux Wiener Philharmoniker). Bref, un Mahler Chamber Orchestra sur mesure pour Abbado, malgré le grand niveau de la formation « ordinaire ».
Le concerto n°1 op.15 de Beethoven, premier des concertos (publié en 1801), a été pourtant composé après le deuxième, en 1795/96, créé à Vienne en 1800, n’était pas très aimé de son auteur qui le considérait comme une œuvre « du passé ». De fait l’influence de Haydn et de Mozart se fait sentir et la longue introduction orchestrale initiale fait irrésistiblement penser à Mozart. Dès le début, Abbado accentue les contrastes par des première mesures très retenues, très légères, dont le thème est repris aussitôt de manière plus éclatante, avec plus de brio, sans se départir d’une incroyable fluidité et d’un magnifique jeu avec les bois, somptueux:  tout cela sonne comme une sorte d’ouverture, avec son accord final assez brutal, qui fait entrer le piano de manière presque furtive par contraste. Le premier mouvement est un jeu d’arabesques entre le piano et l’orchestre autour du thème principal. Le toucher de Martha Argerich, jamais agressif, très fluide, et produisant en même temps un son d’une netteté et d’une précision incroyables emporte les rythmes en une parfaite osmose avec l’orchestre, avec l’impression d’un tissu parfaitement tressé orchestre/soliste sans jamais de solution de rupture. Si le son du piano est à la fois fluide et net , celui de l’orchestre est incroyablement transparent, laissant chaque instrument s’exprimer, Abbado laisse jouer, tout en construisant les architectures si bien qu’on a l’impression d’un Beethoven renouvelé, à la fois intime, juvénile, presque farceur et en même temps déjà grave. Si le troisième mouvement, un rondo  énergique, très rapide et acrobatique au piano, est étourdissant de maîtrise technique – mais peut-on alors parler de maîtrise technique tant la technique disparaît derrière tant de naturel et tant de joie –  le dialogue devient presque souriant et joueur, ce jeu de renvois de « répliques » au sens théâtral du terme, si donc tout cela cloue le public sur place et le fait exploser, c’est le second mouvement qui m’a littéralement chaviré: le début au piano aux accents plus beethovéniens, presque hésitants, presque par effraction, avec l’orchestre fusionnel accompagnant ces premières mesures  d’abord, mais prenant la suite sur le même thème, avec la même couleur: la performance des bois (basson et clarinette) est étonnante et entame un dialogue avec le piano qui va se poursuivre de manière sublime pendant tout le mouvement. On a l’impression d’une aria qui se développe au piano, affirmée, puis allégée, puis hésitante, avec des effets de main gauche tels que l’on serait pas étonné d’apprendre que Martha a quatre mains! Les reprises à l’orchestre lissés et polis à un point de discrétion et de légèreté totalement bouleversants  Ce fut un moment magique, magique parce qu’en même temps d’une incroyable simplicité, avec un naturel confondant: on entend à peine les cordes accompagnant le piano, on entend en écho les cuivres, ou les bois et jamais envahissants, un système d’échos qui crée à la fois la douceur et une impression de paix mélancolique et suspendue (ah! les toutes dernières mesures de ce mouvement!)
Triomphe immédiat, salle debout pendant de longues minutes et enfin un bis (Schumann), évidemment merveilleux, merveilleux de technique, de fluidité, de simplicité. Martha Argerich toute simple dans sa grandeur.

Martha (14 avril 2013)

La symphonie n°3 « Écossaise », esquissée à partir d’un voyage de Mendelssohn en Écosse en 1829, a été terminée et créée à Leipzig en 1842 . On ne sait que dire…devant l’évidence; on n’a jamais entendu cela, et ce dès le début, où pas un seul instrument n’échappe à l’oreille. Chaque son est clair, identifiable, isolable et fusionne à la fois avec les autres donnant une vision unitaire de l’ensemble.  L’intervention des cordes quelques mesures après le début est hallucinante de présence, de mystère, de grandeur et de subtilité. D’une œuvre souvent jouée, d’emblée un regard neuf qui change l’idée qu’on en avait. L’introduction du second thème du premier mouvement,  retenue, avec un orchestre qui retient le volume, qui atténue l’enchainement, motive un effet de crescendo dès la reprise du thème, avec une accélération qui entraine l’auditeur dans un effet de tension extraordinaire et qui ne le quittera pas. jusqu’à la fin. Effet d’espace, effet de paysage aux couleurs incroyables, qui rend palpable une sorte de discours, l’impression fréquente chez Abbado que l’orchestre parle, tient un discours qu’on perçoit et qu’on comprend par le cœur plus que par l’esprit: sa manière de laisser les musiciens aller, son regard (quand on a la chance de le voir de l’arrière scène), ses sourires, ses larges gestes englobants et jamais vraiment martiaux ou didactiques, sa main gauche qui danse la musique, tout cela fait monter l’émotion et provoque une sorte d’adhésion, d’engagement de chaque pupitre: on a l’impression qu’une lumière se fait. Les effets de pianissimis ou de retenue de la clarinette (Andreas Ottensamer encore une fois, retenez ce nom, il est époustouflant), les modulations de la phrase, la sûreté des cuivres, qui en même temps ne sont jamais envahissants (ils en auraient l’occasion pourtant) cela crée une subtilité du discours, avec une telle science des rythmes, de l’espace qu’on a l’impression que l’écriture de Mendelssohn est une traduction  musicale d’une page de Chateaubriand.
Le deuxième mouvement « vivace » cueille l’auditeur déjà capturé par son optimisme, sa joie, sa gaieté, et son relief, avec les interventions des bois totalement renversantes, il faut imaginer, au milieu de ces sons qui dansent,  le regard sur le visage du chef, quelquefois extatique lorsqu’il entend un moment réussi, lorsqu’il comprend que l’orchestre est en train de jouer exactement ce qu’il veut et comme il veut. La fin, qui s’allège progressivement jusqu’à la disparition du son laisse le spectateur suspendu et surpris mais c’est pour ménager l’entrée dans l’adagio, avec son dialogue initial cordes/cuivres, rythmés par des pizzicatis d’une légèreté à se damner, l’ensemble étant d’une couleur qui annonce Brahms . Les cors (avec le nouveau premier cor du Mahler Chamber Orchestra, Jose Vicente Castelló) sont ahurissants lors de l’énoncé du second thème, à la fois  plus funèbre, plus sombre, et qui lorsque tout l’orchestre est emporté, bouleverse, que dis-je, tourneboule l’auditeur. Tristesse, retenue, mais aussi majesté, noblesse jamais démonstrative, jamais extérieure, nous sommes tout en nous, retournés dans un paysage intérieur qui se structure en nous et qui fait monter l’émotion et, oui, les larmes. En écrivant ces lignes, il me semble encore entendre ces voix qui se reprennent l’une l’autre la mélodie, au cor, aux bois, aux cordes dans une alternance fluide et en même temps marquée.
A quatre vingt ans, Abbado recrée une autre disponibilité vers ces pages, il les recrée, il replace Mendelssohn au centre du monde symphonique, en proposant cette vision incroyablement profonde, subtile, construite, comme si il voulait nous rappeler, nous imposer la subtilité et l’incroyable couleur de cette musique.
Un dernier mouvement qui commence par des voix des cordes, du basson, des cors, alternés pour exploser ensuite et élargir le propos; le rythme n’est pas rapide, mais très marqué,  le dialogue bois et flûte avec l’ensemble de l’orchestre commence à donner l’impression d’une machine merveilleuse qui se structure elle même, d’un orchestre qui n’a plus de besoin de son chef pour produire le son juste, de plus en plus d’ailleurs Abbado sourit presque sans interruption. Reprise de la mélodie par des pupitres différents en une magnifique unité, une harmonie étonnante dans les rythmes et dans la couleur, une explosion chromatique telle un feu d’artifice . Je le répète ce qui frappe c’est que ces pages finales, qui pourraient être lourdes, notamment au moment de la conclusion un peu grandiloquente, restent aériennes. La conclusion est précédée d’un moment où l’orchestre s’éteint littéralement après un solo de clarinette renversant, comme si les sons peu à peu et progressivement se faisaient d’abord discrets puis disparaissaient dans le silence. Alors du même coup ce moment ultime et un peu grandiloquent devient presque soulagement, après la retenue et l’effacement; Abbado conclut et  n’en accentue pas la lourdeur presque hymnique, au contraire, le son au lieu d’exploser martialement comme on l’entend quelquefois, gagne progressivement en expansion, mais reste un infime ton en dessous d’un final qui serait trop invasif, trop marqué: Abbado refuse le spectaculaire, refuse un son théâtral qui serait minutieusement calibré et mis en scène. Il construit une monumentalité fondue dans un paysage,  qui s’y intègre sans jamais en imposer. Oui, un Mendelssohn pareil c’est phénoménal.

Tout en essayant de rendre quelques impressions fugaces, j’ai presque oublié de dire les larmes qui coulent, de dire les longs, les interminables applaudissements,  de toute la salle debout, en délire, comme rarement on en voit à la pause et à la fin (près de 12 minutes). Un ami m’avait envoyé un sms de Ferrare après le concert de vendredi 12 « concerto incredibile, uno di quelli storici ». Comme il avait raison.
Il y avait dans mon abbadothèque intime le concert du 15 avril 2002 à Salzbourg, où une septième de Beethoven ahurissante avait mis toute une salle à genoux, il y aura désormais le 14 avril 2013 où un couple de  jeunes gens de la musique ont fait éclater le soleil et le bonheur. Abbado, ou la musique de l’éternel printemps.
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Claudio fait saluer le basson et la clarinette (14 avril 2013)

 

LUCERNE FESTIVAL EASTER 2013: Mariss JANSONS dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNK le 24 MARS 2013 (CHOSTAKOVITCH Symphonie n°6 – BEETHOVEN Symphonie n°5 )

Lucerne, 24 mars 2013

Après le choc du War Requiem, le programme de ce concert assez court (1h05 de musique en tout) pouvait paraître  passe-partout: il affichait certes la 6ème de Chostakovitch, pas très connue, mais surtout la 5ème de Beethoven, sorte de miel destiné à attirer les mouches. J’y suis donc allé en me disant qu’en aucun cas je ne pourrais éprouver quelque chose de comparable à ce que m’avait apporté le concert Britten de la veille.
La symphonie n°6 de Chostakovitch, coincée entre les deux monuments que sont la 5 et la 7, est moins connue que ses deux voisines, si elle a obtenu un grand succès à sa création le 5 novembre 1939 à Leningrad sous la direction de Evguenyi Mavrinski, elle a vite été critiquée à cause de sa construction en 3 mouvements, très déséquilibrée puisque le premier mouvement de plus de 15 minutes très sombre est suivi de deux autres mouvements plutôt brefs au rythme rapide et joyeux. De fait l’œuvre ne dépasse guère trente minutes.
Dès les premières mesures du largo aux altos et violoncelles, on comprend à la netteté, à la rondeur du son que ce sera exceptionnel. Ce largo, aux accents proches de Mahler, et même de Sibelius, est plutôt sombre. Mariss Jansons travaille avec précision chaque élément, et lui aussi, comme Abbado, révèle une architecture, fait entendre les différents éléments, les différents niveaux, sait obtenir des musiciens des couleurs sonores très différentes: ce qui frappe, c’est à la fois la plongée dans une atmosphère mystérieuse, et en même temps inquiétante, y compris quand le son se développe en expansion. De longs et lourds silences, des confidences notamment dans les bois, qui se répondent (flûte extraordinaire, dialogues en écho entre piccolo et cor anglais), une sorte d’atmosphère suspendue, et tendue, qui va trancher avec le court second mouvement, allegro, qui est une sorte de scherzo vif, souriant, humoristique et à la fois grinçant, sarcastique un peu comme chez Mahler, c’est joyeux (premières mesures), mais jamais tout à fait, c’est enlevé comme une danse, mais une danse plutôt macabre. Un tourbillon où Jansons emporte son orchestre avec une précision incroyable qui laisse peu le temps de respirer, tout explose mais on entend l’explosion dans chacun de ses éléments. Ce halètement, rythmé par une flûte étourdissante (quelle ovation à la fin!), étonne (au sens fort) dans le dernier mouvement qui est une manière de galop endiablé, qui laisse peu de souffle au spectateur, tant l’entrain, la joie, la sève dionysiaque nous entraîne dans un vertige étourdissant, et Jansons au milieu donne des signes d’une telle netteté, prend ce mouvement avec tout son corps, se met aussi à sauter, si bien que nous entendons et nous voyons le mouvement. C’est de plus en plus acrobatique, cela va à une vitesse folle, et pourtant on comprend tout, on entend chaque son, chaque touche sonore, même les plus ténues, qui se confrontent aux plus graves. Et la fin arrive avec à la fois une telle brutalité et une telle surprise que le public crie son enthousiasme: dans ce final littéralement animal, il n’y a qu’à hurler un enthousiasme total devant cette performance, encore plus endiablée que dans son enregistrement avec l’Oslo Philharmonic. Il y a là de la folie, de l’humour, de la joie, mais aussi une sorte de frénésie qui entraîne tout le public, une frénésie où se reconnaissent le goût de Chostakovitch pour les rythmes forts, de danses virevoltantes. Et au milieu de cette folie furieuse, il y a une incroyable maîtrise du son: l’orchestre est tout simplement prodigieux, je l’ai rarement entendu à ce niveau de perfection.

Photo Peter Fischli

On comprend qu’après une telle orgie de son et de rythmes, l’imposante 5ème de Beethoven semble plus attendue. On se demande d’ailleurs comment dans une œuvre aussi rebattue, qui existe en nous sans que nous ayons besoin de l’écouter, nous pouvons réussir à trouver encore du neuf, de l’originalité, de l’intérêt presque et pourtant…
déjà la disposition des cordes de l’orchestre changent: premiers et seconds violons se font face, contrebasses à gauche cette fois, et alors une nouvelle construction architecturale des sons apparaît notamment dès les premières mesures.
C’est un travail passionnant qui nous est donné d’entendre, un travail où la grandeur, la monumentalité sont marquées, l’orchestre est un orchestre beaucoup plus nombreux pour le Beethoven d’Abbado à Rome en 2001 qui avait opté pour une version plus aérienne, toute en souplesse et en fluidité. L’option de Jansons, c’est à la fois une sorte de version plus épique, plus solennelle, plus romantique aussi, avec des contrastes très marqués entre des moments où l’orchestre susurre et puis où un instant plus tard il explose. Et ce n’est pas pour autant une version de plus de la cinquième. L’attention au volume, explosif quelquefois mais jamais démesuré est marquante, la rondeur des sons, la fluidité est là aussi, mais ce qui frappe, c’est l’incroyable clarté, on se croirait évoluer dans un palais translucide où l’on distingue tout, où chaque son est pris dans sa liaison aux autres, mais aussi pris isolément (ah! ces pizzicati au troisième mouvement). Et alors naît l’émotion qui vous prend à la gorge au crescendo final du troisième mouvement qui explose au quatrième sans respiration et cette émotion ne lâchera pas jusqu’à la fin. Mariss Jansons est quelqu’un qui tient l’orchestre dans sa main ferme sans jamais lui lâcher la bride, qui va jusqu’au bout des possibilités, mais qui en même temps produit un son d’une telle humanité si formidablement présente dans ce Beethoven là qu’il finit par nous emmener au bord de larmes qu’on attendait pas dans cette œuvre là qu’on croyait explorée définitivement. C’est l’œuvre des grands chefs de nous faire toujours voir là on on ne voyait pas, mais c’est le caractère des grandes œuvres de toujours se dérober. Eet de ces mesures archi-connues émerge alors comme le « petit pan de mur jaune » cher au Vermeer vu par Proust, un élément qu’on n’avait pas entendu encore, qui ne nous avait pas arrêté, que la direction cristalline de Jansons nous révèle alors, qui nous va nous suivre alors jusqu’à l’obsession et jusqu’au ravissement, et qui fait que l’on aurait envie de retenir le chef pour que le moment en question ne cesse pas. Oui, je l’ai dit souvent, il faut aller à Lucerne, mais surtout il ne faut pas rater un concert de Mariss Jansons: ce chef nous emmène toujours dans l’inattendu, dans un vrai point de vue, original, quelquefois surprenant (son Brahms ) et qui réussit toujours à nous toucher car émane de sa manière de diriger une telle joie, un tel rayonnement, un tel engagement qu’il ne peut que nous émouvoir au plus profond.
Et comme pour faire prolonger le ravissement du public, encore et toujours debout, un bis ce soir, un bis mozartien exclusivement aux cordes, toutes les cordes, qui montrait quel orchestre il avait sous la main! Une merveilleuse soirée.
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Lucerne, 24 mars 2013

LUCERNE FESTIVAL 2013 – ÉTÉ: LE PROGRAMME DES CONCERTS

Le Festival de Lucerne de l’été 2013 sera un peu redimensionné. Effet de la crise? Une grosse semaine en moins puisque cette année le Festival ouvre le 16 août et non le 8 comme l’an dernier. La programmation en est-elle affectée? Pas vraiment: on trouve comme d’habitude la théorie des orchestres de prestige présents au bord du Lac, Philharmonique de Berlin(Rattle), Philharmonia(Salonen), Concertgebouw(Gatti), Radio Bavaroise (Jansons), Staatskapelle de Dresde (Thielemann), Philharmonique de Vienne (Maazel), Philharmonique de Saint Pétersbourg (Temirkanov), Symphonique de Pittsburgh (Honeck), avec cette année, Wagner oblige (il a séjourné à Lucerne, dans la villa de Tribschen), un Ring des Nibelungen complet avec l’excellent Symphonique de Bamberg, un des orchestres de grande tradition, on pourrait même dire de Haute École, qui fut l’orchestre de Joseph Keilberth, dirigé aujourd’hui par Jonathan Nott.

Et Abbado? la thématique de cette édition « Révolution » l’a conduit à programmer un concert d’ouverture (16 et 17 août) composé de trois compositeurs à leur manière « révolutionnaires », Luigi Nono (Extraits de Prometeo), Schönberg (Extraits des Gurrelieder – à quand le moment rêvé de la programmation de l’intégrale?) et l’Eroica de Beethoven. Le second concert continuera d’explorer Bruckner avec la Symphonie n°9 WAB 109, pour trois concerts (23, 24, 26 août).

Sans répéter ce que vous lirez parfaitement dans le programme officiel publié dans le site, je voudrais attirer votre attention sur ce que j’estime être incontournable. D’abord Der Ring des Nibelungen , direction Jonathan Nott, Bamberger Symphoniker, les 30 et 31 août et les 2 et 4 septembre  avec entre autres Klaus Florian Vogt (Siegmund), Petra Lang/Eva Johansson (Brünnhilde), Albert Dohmen (Wotan/Wanderer) Torsten Kerl (Siegfried) , Mikhaïl Petrenko (Fafner/Hunding) Elisabeth Kulman (Fricka).

Chaya Czernowin, compositrice israélienne, sera l’artiste en résidence 2013, et plusieurs orchestres joueront ses oeuvres, à commencer par le  West Eastern Diwan Orchestra, dirigé par Daniel Barenboim qui donnera deux concerts, le 18 août (Verdi, Haddad, Wagner, Czernowin) et le 19 août (Wagner, Berg, Beethoven) deux concerts où l’on jouera Wagner, mais aussi un compositeur israélien et un compositeur arabe.
Le Concertgebouw pour sa venue annuelle, sera dirigé par Daniele Gatti les 1er et 3 septembre pour deux concerts, au programme Mahler IX (le 1er septembre) et Bartok/Prokofiev le 3 septembre, parce que Mariss Jansons leur chef dirigera son autre orchestre (Orchestre de la Radio Bavaroise) quelques jours après, le 7 septembre dans un programme Beethoven (concerto pour piano n°4 – Mitsuko Uchida)/Berlioz (Symphonie Fantastique), et le 8 septembre dans un programme Mahler avec la symphonie n°2 « Résurrection », et le chœur de la Radio Bavaroise, Anna Larsson et Genia Kühmeier en solistes…on y sera!

J’ai noté aussi le Philharmonia Orchestra dirigé par Esa Pekka Salonen dans une Damnation de Faust de Berlioz avec Paul Groves (Faust) etGérard Finley, mais aussi, hélas, Christianne Stotjin.

Je n’oublie pas Maurizio Pollini le 1er septembre à 11h et Pierre Boulez, programmé avec le chef Pablo Heras Casado avec le Lucerne Festival Academy Orchestra le 7 et le 9 septembre pour deux concerts différents, l’un très contemporains (Mason, Attahir, Ammann,  Boulez) l’autre plus « classique » (Webern, Berg | Berio, Stravinski).

C’est la fête à Lucerne, comme vous pouvez le constater, et le 25 août ce sera encore plus fort, puisque les deux orchestres Lucerne Festival Orchestra et Lucerne Festival Academy Orchestra, dirigés par David Robertson, seront réunis dans la ville pour un programme surprise connu seulement en juin prochain!
Prenons donc notre mal en patience, et délectons-nous à l’avance de ce programme un peu allégé, mais si alléchant.

LUCERNE FESTIVAL 2012: BERNARD HAITINK DIRIGE LES WIENER PHILHARMONIKER le 15 SEPTEMBRE 2012 avec Murray PERAHIA (BEETHOVEN Concerto pour piano n°4, BRUCKNER Symphonie n°9)

©Priska Ketterer/Lucerne Festival

Après Salzbourg où ce concert a été donné le 25 août et un crochet par les Proms de Londres les 6 et 7 septembre  voilà les Wiener Philharmoniker à Lucerne, pour conclure en beauté le Festival 2012. On peut même entendre (s’il est encore disponible) le concert de Londres sur le site de la BBC (Radio3). Je reprends le commentaire de la page Facebook de Dominique Meyer, directeur de l’Opéra de Vienne: « Hier soir, à Salzburg, j’ai eu la joie d’entendre de nouveau les Wiener Philharmoniker, leur son magnifique, la douceur des cordes, la force et la rondeur des cuivres, qui peuvent jouer fortissimo sans que le son ne durcisse, la beauté triste et crépusculaire des Wagner Tuben à la fin de la Neuvième de Bruckner…. Et Bernard Haitink, net, clair, précis, évident. Immense musicien. »
Il n’y pas grand chose de plus à dire, même si je vais essayer de transmettre mes impressions d’hier à Lucerne. Le dernier concert entendu de Murray Perahia avait justement été à Lucerne, en 2007 (l’année de la 3ème de Mahler) avec Claudio Abbado et le Lucerne Festival Orchestra un concerto n°4 de Beethoven où les options de l’un et de l’autre ne s’étaient pas rencontrées. Rien ici de pareil. Bernard Haitink fait dialoguer l’orchestre avec le soliste d’une manière exemplaire: le son des Wiener est évidemment incroyable à la fois de retenue et montre une écoute attentive du soliste et une osmose qui affiche une sorte d’évidence. Les Wiener surprennent toujours quand on les entend après quelques années ou quelques mois de distance – Bon, même si je les ai entendus dans « Die Soldaten » il y a trois semaines, mais Zimmermann et Beethoven ce n’est pas exactement pareil – . ce qui surprend d’abord par rapport à tous les autres orchestres, c’est qu’ils sont presque exclusivement un orchestre au masculin, comme on en voyait il y a trente ans, ou sur les bandes d’archives. J’ai compté deux femmes dans l’ensemble. Pas de remarque sur la parité, mais déjà l’impression d’un orchestre « autre », de tradition (discutable sur ce point…), « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change », avec une certaine raideur aristocratique dans les attitudes. Ce ne sont évidemment que menues remarques qui n’ont rien à voir avec la musique, mais qui donnent un « contexte », quelque chose qui serait du genre « s’il n’en reste qu’un je serai celui-là ». Et puis le son, un son reconnaissable entre tous, une perfection formelle quasiment inaccessible (ah, ces pizzicati, ces cordes, ces cuivres!), un son qui ne bouge pas, comme si on le mettait en boite après chaque concert depuis des dizaines d’années pour le ressortir au concert suivant, un son et une couleur qui se cultivent bien sûr, et que les Wiener essaient jalousement de conserver, et que d’aucuns leur reprochent. Ils n’ont pas de chef sinon le directeur musical de la Staatsoper de Vienne quand ils sont en fosse à l’Opéra. mais en tant que Wiener Philharmoniker, ils sont indépendants et libres, et au total donnent peu de concerts dans l’année si on les compare aux Berliner Philharmoniker, dont le son, lui évolue sans cesse: de Karajan à Abbado et à Rattle, ils ne sonnent pas du tout de la même façon, c’est frappant dans les cordes. Cette stabilité sonore, s’accorde merveilleusement bien avec Bernard Haitink, lui aussi image d’une permanence, qui est à la fois dans l’énergie, la subtilité et une recherche continue d’équilibre, garantie par le volume sonore des Wiener jamais excessif, jamais débordant, mais toujours imposant.

©Priska Ketterer/Lucerne Festival

Ainsi du deuxième mouvement du concerto de Beethoven, avec ce duel entre un orchestre tendu et un soliste plus doux, plus suave, plus « romantique », un duel millimétré, et en même temps d’une telle perfection qu’on se laisse prendre de manière définitive. Encore plus dans le troisième mouvement, si dansant, où Perahia est littéralement éblouissant de rythme, d’imagination, d’inventivité, de fluidité, mais aussi de simplicité,que l’orchestre accompagne jouant sur le son plein compact et charnu, mais aussi sur les limites de l’audible. C’est vraiment un très beau Beethoven qui nous a été livré là, pas forcément novateur, mais pas  « classique » au sens « académique », qui a la justesse de la vie, et une étrange intensité, qui ne fait pas spectacle tant le geste de Haitink est mesuré (on est aux antipodes d’un Chailly quelques jours avant), mais qui force à la concentration, et à la rentrée en soi et qui force l’admiration.
Avec la 9ème de Bruckner, inachevée, que Haitink choisit de jouer sans les « possibles » d’un quatrième mouvement, mais dans la certitude des trois mouvements terminés, elle a vraiment les caractères d’un achèvement: dès les premières mesures où les cordes tremblantes rappellent quelques mesures du second acte de Siegfried, on rentre dans une ambiance de concentration une fois encore, qui explose bientôt dans la perfection formelle de l’orchestre dont le son n’écrase jamais et qui  provoque en nous des émotions qui bouleversent. Dominique Meyer parlait de la rondeur des cuivres, ce qui frappe, c’est qu’aucun son n’est « exagéré », même là où ils annoncent un futur atonal, l’ensemble reste à la fois tendu et équilibré, dans une architecture de l’évidence qui impose une écoute synthétique, absolument pas démonstrative. Le fameux scherzo est ainsi à la fois dramatique, et impressionne, sans effrayer, et la légèreté des cordes du trio est littéralement bluffante ainsi que la couleur donnée aux pizzicati (marque des très grands orchestres): c’est bien ce contraste qui crée la force et la tension. Et quand on aborde l’adagio, sublime, et tellement wagnérien par moments, la force des crescendos, l’extrême douceur des diminuendos, époustouflent et ce qui ne devait pas être un final se révèle en être un, qui annonce certains moments de la 9ème de Mahler -le début notamment-, qui évoque aussi certaines phrases de Wagner:  les dieux de la musique, au Crépuscule de leur vie, parlent le même langage.
Je me souviendrai longtemps des dernières mesures, qui sont une sorte de révélation: Bruckner qui n’est pas un de mes compositeurs de l’île déserte , est bien prêt, grâce à Haitink, de s’y installer, j’en suis depuis ce concert (hier) à ma cinquième audition de la 9ème (Furtwängler, Karajan, Giulini!-2 fois-, Wand) et j’attends avec curiosité, et impatience déjà, celle (très probable) d’Abbado l’an prochain dans cette même salle.
Longue ovation, debout, de la salle, mais Haitink disparaît vite, c’est un modeste. Sublime conclusion d’un festival qui cette année a été comme toujours particulièrement riche  et  donne immédiatement envie de la suite. Rendez-vous déjà en novembre pour le Festival de piano, et à Pâques (Abbado, Jansons, Dudamel, Eliot Gardiner). 2013 est le 75ème anniversaire du Festival (né en 1938) et l’été dont le thème est « Révolution » réservera encore des moments étonnants (Sacre du Printemps, Ring complet…).
Alors oui, encore et toujours, il faut aller à Lucerne.
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©Priska Ketterer/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2012: CLAUDIO ABBADO DIRIGE LE LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA les 17 & 18 AOÛT 2012 (BEETHOVEN-BRUCKNER)

Claudio Abbado à la fin du concert du 18 août

Le KKL, le centre de conférences et de culture de Lucerne est l’un des bâtiments les plus réussis de Jean Nouvel. Le toit ayant quelques problèmes d’infiltrations d’eau, il est actuellement en réfection, mais cela ne gâche pas trop le paysage. Car construit au bord de l’eau, le bâtiment est traversé de bassins/canaux qui  rappellent le lac tout proche.
Comme on est à Lucerne et qu’il arrive d’y pleuvoir, le toit fait aussi auvent et permet d’être dehors sans jamais être mouillé, ni même de subir les assauts du soleil quand il frappe violemment comme ces jours-ci. Quant à la terrasse, sous le toit, elle fait découvrir Lucerne et son lac comme si c’était une longue tapisserie qui se déroulait autour du bâtiment. Magique, et unique. En bref, on y est bien.
L’acoustique de cette salle haute comme une cathédrale et dominée par l’orgue, au plafond en forme de ciel étoilé, est charnue, réverbérante, et en même temps claire: du haut du dernier balcon, on entend chaque pupitre avec une précision étonnante. Nouvel a usé pour Lucerne des même principes que l’Opéra de Lyon, sas de pénétration, salle comme suspendue dans une coque de bois, sauf que le blanc y remplace le noir. Il n’y a qu’à espérer que la future Philharmonie parisienne suive cet exemple.
L’ambiance n’est pas m’as-tu vu comme quelquefois à Salzbourg, les suisses (85% du public) sont gens discrets et plutôt bon enfant, même si l’on croise ici tout ce que la Suisse compte de richesse et de puissance. Enfin, la possession d’un billet du Festival donne droit à la libre circulation sur les transports en commun de Lucerne, et à 50% du prix du billet aller/retour en train, de n’importe quel point de la Suisse. Si vous venez en train, pensez-y!
(imagine-t-on la SNCF accordant le même privilège aux possesseurs de billets pour Aix? non, ce n’est pas imaginable)
Bref, les lecteurs de ce blog le savent, il faut aller à Lucerne: c’est le Festival où passent tous les orchestres du monde, les plus grands chefs du monde, pendant plus d’un mois et ce depuis 1938. Cette année il dure du 8 août au 15 septembre, avec un Festival d’automne dédié au piano, et un festival de Pâques.
Traditionnellement c’est le Lucerne Festival Orchestra, un orchestre composé de musiciens de divers horizons choisis par Claudio Abbado qui ouvre le Festival pendant une dizaine de jours, avec des concerts symphoniques et des formations de chambre. Si les éléments de l’orchestre d’origine de 2003 ont changé (plus de frères Capuçon, plus de Natalia Gutman, plus de Berliner Philharmoniker, à qui « on » a interdit de participer à l’orchestre) il reste de nombreux chefs de pupitre venus d’orchestres prestigieux (Camerata de Salzbourg, Gewandhaus de Leipzig, Concertgebouw d’Amsterdam, Deutsche Oper Berlin, Accademia di Santa Cecilia, quatuor Hagen et quelques ex des Wiener ou des Berliner Philharmoniker). Les tutti de l’orchestre sont constitués du Mahler Chamber Orchestra, et cette année, de quelques éléments de l’Orchestra Mozart ainsi que de musiciens indépendants ayant le plus souvent appartenu à la Gustav Mahler Jugendorchester du temps où Abbado dirigeait des sessions. Tous sont donc des musiciens qui ont l’habitude de jouer sous la direction de Claudio Abbado.
La programmation de cet orchestre explore le monde symphonique en privilégiant Mahler et Bruckner. La VIII de Mahler ne sera pas jouée et le cycle Mahler enregistré s’arrêtera peut-être là, à moins que Das Lied von der Erde ne soit au programme une prochaine année, puisque l’enregistrement avec les Berliner ne sort pas, alors que l’enregistrement de Rattle avec les mêmes solistes et les Berliner est déjà sorti et qu’il n’a rien à voir avec la magie vécue le 18 mai 2011. Notons que Rattle a pris pour habitude de reprendre systématiquement l’année d’après les œuvres faites par les Berliner avec Abbado…allez savoir pourquoi.

Concert du 17 août

Cette année donc, le second programme est composé du concerto n°3 de Beethoven avec Radu Lupu comme soliste, et de la symphonie n°1 de Bruckner.
Du concerto n°3 de Beethoven, un souvenir, immense, à Ferrare il y a une dizaine d’années: Mahler Chamber Orchestra, Abbado, Martha Argerich qui le jouait en concert pour la première fois. Une énergie, une virtuosité, un sang qui bouillonnaient si bien que Argerich et Abbado ont dû bisser le dernier mouvement. Il en reste un enregistrement DG.
Après la dernière prestation parisienne de Radu Lupu avec Abbado dans Schumann, j’avais quelques craintes. Mais cette fois, les choses ont été réussies. D’abord un orchestre extraordinaire, dès le long prélude orchestral et ensuite Radu Lupu plus concentré, plus attentif à l’orchestre, même lorsqu’il semble ne pas partager les options du chef (plusieurs fois, il fait signe d’une main gauche discrète de ralentir le tempo). En effet, l’orchestre lorsqu’il est lancé seul, est nerveux, vif, prodigieusement engagé. Lupu en revanche est beaucoup plus paisible, lent, avec ce toucher léger surprenant qui colle mal à son physique d’ours des Carpathes sorti du bois. Quand on compare l’attaque d’Argerich, nerveuse et énergique, à celle très intériorisée de Lupu, c’est un abîme qu’il y a entre ces deux regards.
Abbado navigue un peu entre les deux, il se met vraiment en osmose avec le soliste dans le largo, totalement extatique: une merveille artistique. Et entraîne Lupu dans le dernier mouvement, le rondo qui montre une véritable écoute réciproque. Radu Lupu fait même cette fois très peu d’erreurs, très peu de fausses notes, malgré un dernier mouvement qu’on sait très acrobatique. Il en résulte au total un très grand moment, où ces deux conceptions s’accordent néanmoins, l’énergie étant confiée à l’orchestre, et la vision plus intimiste, sans grandiloquence, au soliste. Oui, cet accord-là a priori difficile s’est réalisé ce soir et ce Beethoven était une merveille. Et en bis Radu Lupu a offert le 2ème mouvement de la sonate n°8 « Pathétique » de Beethoven
On attendait beaucoup de la symphonie de Bruckner, d’abord parce que cette année c’est le seul programme symphonique après l’aventure interrompue de la VIIIème de Mahler, ensuite parce que c’est peut-être la symphonie la moins « brucknérienne » de toutes, et donc, tous les auditeurs à la peine avec Bruckner étaient a priori mieux disposés, d’autant qu’elle n’est pas dilatée comme les suivantes et que son énergie se concentre autour de 50 minutes! De bien mauvaises raisons donc, qui s’évaporent dès les premières mesures d’un des immenses concerts de l’année.
Abbado a choisi de jouer la version de Vienne, révisée en 1891 suite à l’élévation de Bruckner au grade de Doctor Honoris Causa de l’Université de Vienne. Cette version est plus rarement jouée, et le chef Hermann Levi (créateur de Parsifal) avait essayé de dissuader Bruckner d’entreprendre une révision (surtout sensible au final me semble-t-il).
Il faut souligner comme d’habitude, et au risque de se répéter, l’incroyable ductilité, la redoutable virtuosité de l’orchestre dans les mains d’Abbado à tous les niveaux de pupitres. Chaque bloc a un son particulier qui échange avec le bloc voisin avec un sens de l’écoute mutuelle époustouflant: notons le jeu entre les cuivres et les cordes au premier mouvement, notamment dans les moments où il s’inspire du chœur des pèlerins de Tannhäuser avec les cors magnifiques emmenés par Bruno Schneider (Bläserensemble Sabine Meyer), et Ivo Gass (Tonhalle Zürich), les trompettes de Reinhold Friedrich (Staatliche Hochschule für Musik Karlsruhe) et Martin Baeza (Deutsche Oper berlin), mais aussi les trombones menés par Jörgen van Rijen (Concertgebouw), les bassons par Guillaume Santana (Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken) sans oublier le trio de choc flûte de Jacques Zoon (ex Boston Symphony Orchestra, ex Concertgebouw), hautbois phénoménal tout au long de la symphonie du miraculeux Lucas Macias Navarro (Concertgebouw) et la clarinette d’Alessandro Carbonare, l’un des grands solistes italiens (Accademia Nazionale di Santa Cecilia), ce dialogue et cette écoute entre les pupitres sont proprement uniques dans cet orchestre qui travaille à 120 comme une formation de chambre;   notons dans le scherzo le dialogue extraordinaire entre violoncelles altos et contrebasses d’un côté, et violons de l’autre, chacun plantant  un paysage d’une couleur particulière; notons enfin la science unique du crescendo que je crois seul Abbado possède à ce point, faisant partir le son d’un simple murmure (oui, même chez Bruckner) pour le faire arriver à une explosion large, universelle, qui déborde de force et d’énergie, comme dans le final, à couper le souffle. Il y a chez Mahler une montée sonore jusqu’à un climax, il y a chez Bruckner une sorte d’élargissement de proche en proche d’un son qui ne monte pas mais qui s’étend jusqu’à devenir un océan. Et quand le son s’arrête, le silence de suffocation se fait: il faut qu’un imbécile seul dans toute la salle se mette à applaudir pendant le silence pour interrompre ce souffle suspendu. Immédiate standing ovation, longs applaudissements, immense joie d’avoir été bouleversé par ces moments uniques. Claudio Abbado une fois de plus a frappé, on se souviendra de ce Bruckner et de ce Beethoven. Vivement demain en tous cas. A suivre!

 

Standing ovation (1)

Concert du 18 août

Pour ce dernier concert du cycle du Lucerne Festival Orchestra, mes amis et moi nous sommes livrés au petit jeu du « c’était mieux hier »… « j’ai préféré aujourd’hui » où les quelques dizaines de spectateurs présents aux deux concerts échangent des impressions, et font quelquefois baver d’envie les amis absents, en leur envoyant des sms émerveillés, et pire encore, les amis présents la veille et absents le soir, en leur faisant peser tout ce qu’ils ont manqué en n’étant présent qu’à un concert, évidemment le moins bon des deux.  C’est quelquefois vrai, car un concert n’est jamais tout à fait semblable à un autre, mais les impressions personnelles dépendent de l’humeur du jour, de la place occupée si elle est différente de la veille:  l’acoustique, le rendu des instruments, tout cela peut varier et voilà le jugement qui bascule. Enfin le dernier concert, traditionnellement, c’est celui du regret, des interrogations (que fera-t-il l’an prochain?) des adieux et des fleurs qui tombent en pluie sur l’orchestre. Moments de joie et d’émotion qui comptent évidemment dans la construction des mythologies abbadiennes.

©Peter Fischli Lucerne Festival

Le concert s’est terminé par une immense ovation, standing ovation, Claudio Abbado réclamé jusqu’à ce qu’il apparaisse seul après la sortie de l’orchestre (en réalité il est réapparu seul quand quelques musiciens se battaient encore à coup de fleurs).
Ce soir le Beethoven a commencé avec 15 minutes de retard (à cause d’une musicienne non  encore arrivée)  et m’est apparu sensiblement différent, même si toujours aussi merveilleux, mais cette fois ci un merveilleux plus rêveur, plus serein, où l’orchestre a suivi le ton du soliste, mais où Radu Lupu a joué encore mieux que la veille, avec ce toucher-effleurement inimitable, ce doigté délicat, mais aussi un peu plus de fermeté quelquefois et d’énergie, et des fausses notes infimes (toujours au troisième mouvement). Le Largo a été un moment de temps suspendu, où l’orchestre a rivalisé avec le soliste dans la recherche du son non pas le plus ténu, mais le plus aérien, jusqu’à l’évanescence, et des dialogues renversants entre le piano et les vents, des crescendos à se pâmer, un système d’échos et de reprises basson/hautbois stupéfiants, et une reprise des cors, sur un fil sonore, dans les dernières mesures qui laissent songeurs. Si le tempo du dernier mouvement imposé par Radu Lupu reste assez contenu, j’ai adoré les cordes, les reprises violoncelles, altos,  violons, et l’intense écoute mutuelle, il faudrait presque figurer ce réseau d’écoute qui s’installe à partir du soliste, les regards échangés, les signes de satisfaction. Oui, nous sommes ailleurs, j’allais dire comme d’habitude: marqué par Argerich, j’ai eu un peu de mal à entrer dans l’option de Radu Lupu, mais la manière dont Abbado fait répondre l’orchestre, l’osmose réelle ce soir plus qu’hier entre orchestre et soliste, m’ont fait sortir de la salle dans une sorte d’apesanteur, le sourire aux lèvres, heureux.

Radu Lupu le 18 août ©Peter Fischli Lucerne Festival

Triomphe et bis de Lupu, un morceau connu, plus dynamique que la veille mais comme souvent on connaît l’air, mais le titre échappe: tout le monde discutait Beethoven? Schubert? et personne n’a trouvé, au moins autour de moi (en fait une « amie » de Facebook a retrouvé le morceau, il s’agit du Moment Musical n°1 en do majeur de Schubert).

Standing ovation (2)

En ce qui concerne la seconde partie, j’ai commencé par considérer l’incroyable nombre de musiciens, notamment les cordes (j’ai à peu près compté 16 altos, 16 violoncelles au moins, 10 contrebasses et une cinquantaine de violons) et si j’étais à une place très différente de la veille, je n’ai pas perçu de différence fondamentale d’approche entre les deux concerts, sinon encore plus de précision, plus de clarté, encore plus d’engagement: mais est-ce une impression ou une réalité? J’ai toujours comparé Abbado à un architecte qui nous montre sa pyramide, puis nous fait rentrer dans les dédales internes de la construction: on comprend tout, on perçoit tout, rien n’échappe, pas un son n’est diffus, aucune confusion, chacun de ses concerts est une invitation à mesurer la densité d’un tissu sonore, à sans cesse aller plus loin,  un concert dirigé par Abbado met toujours en éveil et animus et anima. Abbado est un animateur au sens originel, ou plutôt un « animeur », rien de l’image du « chef » dans cette manière de diriger au petit geste, au regard, au sourire, c’est un réseau serré de « ressenti » qui fait avancer le son. Et c’est souvent miraculeux.
Cette musique, pleine de reprises, d’allusions, de constructions, avec des moments mélodiques éthérés, mais qui ne semblent jamais aller jusqu’au bout, qui restent un peu frustrants, réclame cette clarté, cette fluidité étonnante. Je suis toujours ébahi par la plénitude du son des cordes, et notamment les altos, les violoncelles et les contrebasses, au son plein, chaleureux, profond, notamment dans le premier mouvement où ils rythment un pas de marche. Une fois de plus, c’est l’adagio et le scherzo qui m’ont séduit, moment larges qui évoquent de vastes horizons, des juxtapositions d’univers, un peu – mais pas trop-  répétitifs comme un exercice de grand style, avec des crescendos à couper le souffle, des enchaînements surprenants, où le fortissimo voisine subitement avec le son le plus ténu, sans heurts, sans brutalité; et puis cette incroyable énergie communicative (il faut voir les musiciens se démener, le timbalier penché sur ses peaux, les trompettes en extrême tension, le visage écarlate de Lucas Macias Navarro, la flûte jamais en défaut de Jacques Zoon. Chaque moment est l’occasion d’une jouissance esthétique infinie, issue d’une perfection technique, d’un engagement individuel de chaque pupitre, avec même une sorte de beauté des gestes, de ces vagues successives des mouvements de l’orchestre engagé, concentré, qui diffuse une énergie tellurique, oui, tellurique. En plus il y a du don dans ce jeu car c’est évidemment aussi pour Claudio Abbado qu’ils jouent et cela se voit, se vérifie dans cette joie finale où tous l’appellent, puis tous se saluent avec des embrassades chaleureuses. Expérience toujours recommencée, et toujours émerveillée, et toujours exceptionnelle, qui n’est pas du même ordre que les autres concerts, y compris les meilleurs, dans cette salle.
Rendez-vous en septembre à Vienne, Hambourg, Moscou et Ferrara, et rendez-vous le 16 août 2013 pour encore une fois cet enchantement irremplaçable.

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Claudio Abbado vient de saluer seul, il sort à gauche au fond

 

LUCERNE FESTIVAL 2012: CLAUDIO ABBADO DIRIGE LE LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA les 8, 10 et 11 AOÛT 2012 (BEETHOVEN-MOZART)

©Peter Fischli Lucerne Festival

Concert du 8 août

L’ouverture du Festival de Lucerne se déroule selon un rituel rodé: le président du conseil d’administration Hubert Ackermann accueille et souhaite la bienvenue aux invités officiels et au public, un/une politique prononce le discours d’accueil convenu, ce soir la Présidente de la Confédération Helvétique, Eveline Widmer-Schlumpf, qui ne s’est pas trop fatiguée, et un grand intellectuel parle du thème de l’année: on a eu naguère Peter Sloterdijk ou Nike Wagner,

©Peter Fischli Lucerne Festival

ce soir c’est le grand théologien et penseur Hans Küng, l’un des plus grands théologiens du XXème siècle (et du XXIème débutant) qui va disserter pendant près de 45 minutes sur les compositeurs et la foi. Il parle de musique, de foi, de Bruckner et de sa foi naïve, de Mahler et de sa foi tourmentée, de la VIIIème de Mahler, non sans ironie, vu les circonstances, et bien sûr du Requiem de Mozart et de Beethoven. C’est un peu long, cela manque quelquefois de nerf, mais ce discours dans un bel allemand académique ne manque pas de références et montre en tous cas quel rôle joue la musique dans la culture allemande.
Après une courte pause, le concert commence avec la première partie dédiée à la musique de scène de la tragédie Egmont (un texte de Goethe de 1788). Une œuvre peu jouée, dont on connaît surtout l’ouverture (qui combine l’ouverture effective et la « symphonie de victoire » finale) comme par exemple Claudio Abbado l’a dirigée dernièrement à Pleyel avec l’Orchestra Mozart. Le comte d’Egmont croit en la liberté et en la bonté, il s’oppose à l’envahisseur espagnol en la personne du Duc d’Albe, mais est abandonné par les siens, sauf de sa maîtresse, qui se suicide. Il est emprisonné, condamné à mort, il meurt en martyr, et dans la foi en ses valeurs. De cette tragédie Beethoven a tiré 40 minutes de musique, deux airs de Clärchen, la maîtresse (Juliane Banse) et de longs monologues parlés dits ici par Bruno Ganz, et accompagnés de musique comme un mélologue, des textes grandiloquents, un peu boursouflés, que Bruno Ganz lit en surjouant un peu, avec un pathos à la limite du ridicule, notamment à la fin, mais c’est le style là Sturm und Drang.
Chaque morceau chanté ou parlé est entrecoupé d’intermèdes de  musique, très dynamique, une musique un peu martiale qui allie brio, marches, rythme très vivace, et qui donne la part belle aux bois et notamment au dialogue clarinette (Sabine Meyer) et flûte (Jacques Zoon) et aux merveilleux solos de hautbois (Entr’acte III).
Évidemment dès les premiers moments de l’ouverture, le son de l’orchestre et l’acoustique de la salle effacent totalement le souvenir de Paris, des cordes soyeuses, qui savent moduler un son, qui rappellent celles des Berliner sous Abbado, des cuivres extraordinaires (Reinhold Friedrich) , des bois à faire rêver, tout cela donne, avec l’acoustique réverbérante de la salle, une chaleur, une énergie peu communes. On aurait préféré un autre soprano que la pâle Juliane Banse, qui fait honnêtement son travail, mais sans éclat, sans poésie, sans vraie présence: le rôle est ingrat, il est vrai, deux Lied initiaux, et puis c’est tout, jusqu’à la fin.
J’ai dit que Bruno Ganz, acteur immense, un peu cabot désormais, avait tendance à en faire un peu trop, mais il dit le texte avec des accents qui quelquefois  font aimer la langue allemande pour l’éternité. Reste le vrai protagoniste, l’orchestre dont on ne sait où tendre l’oreille tant c’est somptueux: l’ouverture est vraiment de l’ordre du sublime.
Abbado dirige avec énergie, avec dynamisme, faisant ressortir le brio, la vie, tous les aspects épiques: il en résulte de vrais instants de bonheur, et au total, c’est vraiment un magnifique moment, dont on sort ragaillardi. J’ai beaucoup aimé.
Face à cette explosion, le Requiem KV 626 en ré mineur est pris par Abbado sur un mode tout différent. A ceux qui attendraient de voir des orages romantiques se lever, une sainte colère de l’homme résistant face à la mort, Abbado oppose une sorte de sérénité céleste, comme si ce Requiem était déjà une pièce de l’au-delà, de l’apaisement, du repos éternel. L’orchestre est réduit (une quarantaine de musiciens) et va jouer « en mineur », on l’entend juste ce qu’il faut, laissant au chœur la part des anges (c’est le cas de le dire), c’est à dire tout ce qui rend cette musique sublime et justement, céleste: le chœur est le vrai protagoniste ce soir et il est à vrai dire inouï, j’ai rarement entendu une telle perfection. Formé des meilleurs éléments de deux des chœurs les plus éminents en Europe, celui de la Radio bavaroise et celui de la Radio suédoise (qui étaient prévus pour une certaine symphonie de Mahler…), on se demande comment on pourrait prétendre à mieux, c’est tout simplement époustouflant: on se souviendra pour toujours de la manière dont il chante « requiem sempiternam » dans l’Agnus Dei. C’est pour ainsi dire, unique.
Du côté des solistes, on est frappé par René Pape, évidemment (éblouissant, notamment dans le Benedictus, et  bien sûr, le Tuba mirum) et par Sara Mingardo, voix pure, ronde, puissante, elle aussi dans le Tuba mirum (magnifique « Judex ergo cum sedebit »), moins par le ténor Maximilian Schmitt à la voix juste mais un peu légère. On est en revanche très réservé devant la prestation  pénible d’Anna Prohaska, voix âpre, rêche, avec de fréquents écarts de justesse, n’ayant aucune des qualités de lyrisme, de légèreté, de pureté vocale exigées par la partie. Elle gâche l’ensemble.
Quant à l’orchestre, j’ai dit qu’il était discret, travaillant souvent sur un fil de son, à peine perceptible comme Abbado sait en obtenir parce que le parti pris est clairement de donner au chœur la plus grande importance, et de laisser l’orchestre soutenir, par touches presque pointillistes.
On se souviendra avec émotion cependant de la clarinette (Sabine Mayer) dans l’introitus ou dans le benedictus, des trombones impeccables du tuba mirum, des cordes sublimes de suavité dans le recordare ou pleurantes comme Abbado sait l’obtenir dans le lacrimosa époustouflant, ou les trompettes (Reinhold Friedrich) du sanctus.
Le long silence final en dit long sur la manière dont le public est frappé par ce travail très particulier, qui marque une évolution nette. Le premier Requiem avec les berlinois m’était apparu un peu froid, un peu absent, celui-ci n’a rien de distant, mais c’est comme une sorte de regard serein sur la mort, sur le départ. Après la mort triomphante d’Egmont, on a là une mort sans souffrance, sans attaches terrestres mais déjà conquise par le ciel, une grande émotion et tout à la fois une sérénité bien éloignée des émotions mahlériennes qui vous secouent, et vous tourneboulent. De là où ce Requiem nous regarde, plus rien n’impressionne, ce Requiem est celui de l’ailleurs presque heureux, en tous cas rasséréné.

Au total, on continue évidemment de regretter le changement de programme, mais c’est une très belle soirée qui nous a été offerte, au point que je retournerai le 10 et le 11 avec un plaisir non dissimulé pour approfondir cette interprétation surprenante, avec deux pôles radicalement opposés, qui nous permet de naviguer entre le plaisir de la mort héroïque et celui de la mort sereine, sur les rives du plus beau des lacs suisses.

Concert du 10 août

Entre le 8 et le 10 août, il s’est passé un court laps de temps qui permet au concert de ce soir de passer du niveau de très beau concert à celui de sublime moment. Ce qui a été dit avant hier vaut pour ce soir, avec un plus qui place l’ensemble, à un niveau de perfection tel que les amis qui ont annulé à cause de l’affaire Mahler ont fait une belle erreur. Un Requiem de cette trempe, on n’en entendra sans doute jamais plus.
Egmont montre les mêmes qualités et les même défauts, sauf que l’orchestre est encore plus grand, encore plus pur, techniquement au point de la perfection. L’ouverture est littéralement un coup de tonnerre, encore plus somptueuse que le 8, avec un son d’une rondeur inouïe, des bois qui vous clouent sur place, des cordes à vous faire chavirer: les violoncelles et les altos sont époustouflants. Alors, certes, Juliane Banse reste en deçà, et Bruno Ganz un peu « au-dessus », qui ne réussit pas à équilibrer une prestation qui reste de haut niveau, mais un peu trop surjoué, surdit, avec des maniérismes certes en liaison avec un texte difficilement acceptable aujourd’hui, mais Ganz ne fait pas grand chose pour le faire accepter…sinon qu’il y a l’orchestre derrière, et cette musique, qui n’est quand même pas l’une des meilleures que  Beethoven a écrites, n’est pas désagréable à entendre, surtout quand elle est jouée par des instrumentistes en état de grâce.
Dès le début du Requiem, avec l’attaque orchestrale reprise par le chœur, on sent que l’on est un cran au-dessus du 8 août, d’abord par l’homogénéité du son, la maîtrise du volume: l’orchestre effleure le son et donne paradoxalement une forte tension immédiatement perceptible. C’est peut-être la tension, palpable de bout en bout, qui donne ce plus dont je parlais. En tous cas, il apparaît clair que le quatuor des solistes n’est pas le protagoniste de cette interprétation. Même si Madame Prohaska est encore en deçà du nécessaire, avec son attaque problématique dès l’introitus, et même si cette fois le ténor Maximilian Schmitt est plus présent, et montre un timbre velouté et une bonne maîtrise technique, les solistes ne sont que quatre instrumentistes de plus, au milieu de l’orchestre. C’est le dialogue entre chœur et orchestre qui domine, un chœur dont il est inutile de décliner des qualités:

il est littéralement insurpassable, dans le murmure comme dans le forte, dans la modulation, dans la diction (on entend chaque mot). A ce chœur unique, répond un orchestre un peu plus présent que l’autre soir, qui montre une retenue, une domination du moindre son, à tous les pupitres, et qui accompagne le chœur dans un dialogue presque céleste et intense tout à la fois, d’une intensité inouïe. Dans cet auditorium qui est haut comme une cathédrale, avec un plafond constellé, l’effet est ravageur pour l’émotion, une émotion si contenue, si compressée qu’il faut de longues minutes pour s’en remettre, pour avoir même envie d’applaudir après le très long silence final. Mais le public se réchauffe de plus en plus, ne cesse d’applaudir pour finir par se lever et gratifier l’ensemble des protagonistes de la standing ovation méritée.
On se souviendra du 10 août. Qu’en sera-t-il le 11?


Concert du 11 Août

Globalement, le niveau du concert n’était guère différent de la veille. Egmont cependant, aux dires de ceux qui y étaient hier, et c’est aussi mon avis, était un peu en deçà du niveau atteint notamment par l’ouverture et à cause de quelques hésitations de Bruno Ganz,  qui a eu un « trou » au début de son texte, et qui ne retrouvait plus la suite (avec le texte sous les yeux…).

Saluts après Egmont

Juliane Banse était peut-être un peu plus en voix, notamment dans sa seconde intervention, « Freudvoll und leidvoll… », mais la voix, jolie, manque quand même de projection. On reste toujours abasourdi par les bois, le hautbois de Lucas Macias Navarro (un rêve) et la clarinette de Sabine Meyer, ainsi que les cuivres étourdissants (les cors!!). Il reste toujours intéressant de voir comment la musique et le texte dit s’harmonisent. Abbado suit les inflexions de Bruno Ganz (un tout petit peu moins boursouflé) et fait écho aux modulations de la langue parlée. On peut trouver cette musique un peu ronflante, il reste des moments magnifiques, des retenues qui touchent vraiment, avec des cordes qui savent chanter avec un engagement peu commun: il suffit de voir se démener le premier

Sebastian Breuninger

violon Sebastian Breuninger (Gewandhaus Leipzig).
Le Requiem en revanche a été comme la veille, en tous points sublime, avec quelques

Claudio Abbado

différences (peut-être aussi dues à la place  occupée ce soir, plus proche de la scène). Notamment les solistes étaient plus présents , le ténor Maximilian Schmitt a été chaque soir un peu meilleur, et ce soir il a donné une joli preuve de style, de portamenti, de volume.
René Pape est toujours somptueux et écoute l’orchestre avec qui il chante en écho, Sara Mingardo est vraiment elle-aussi très présente, et perçoit immédiatement quelle couleur donner à ses interventions, Anna Prohaska est toujours un peu en marge, ce qui est dommage, car elle a les interventions solistes les plus importantes. Que dire du choeur et de l’orchestre, qui se répondent et s’écoutent, avec un orchestre toujours époustouflant de ductilité, je me suis intéressé ce soir aux trombones et à la trompette, tout en sourdine, en discrétion, mais aussi tout en fluidité: du grand art.
Ce soir encore, l’impression d’avoir entendu un immense moment, qui nous mène ailleurs: un tel Requiem, je ne l’avais jamais entendu. Il est autre, oui c’est quelque chose d’autre et Abbado une fois de plus nous surprend, tout en nous faisant oublier notre regret initial (pas de Mahler!) Hier et ce soir, nous avons été mené ailleurs, dans un espace autre, là où nous ne pensions pas aller avec un sentiment qui allie étrangement sérénité et tension extrême.
Le public une fois de plus ne s’y est pas trompé, il a accompagné le long silence final, et a commencé à applaudir longuement, mais sans cris habituels, puis de plus en plus chaleureux, de plus en plus fort, jusqu’à la standing ovation…il revenait du ciel et reprenait ses habitudes de public à Lucerne, ce soir en restant en salle et battant des mains jusqu’à ce qu’Abbado revienne seul, orchestre sorti, répondre à sa demande et saluer une dernière fois sous les vivats.

Vous pouvez revoir ce Requiem sur Medici TV en cliquant sur le lien suivant: Requiem Mozart Abbado 8 août 2012

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