LUCERNE FESTIVAL 2014: CONCERT du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA le 16 AOÛT 2014 dirigé par ANDRIS NELSONS (BRAHMS)

Le LFO pendant le concert d'ouverture © Peter Fischli/Lucerne Festival
Le LFO pendant le concert d’ouverture © Peter Fischli/Lucerne Festival

Difficile, cette année de revenir à Lucerne l’été. Depuis 2003, un rituel était né, avec les 10 jours du LFO, les programmes composés par Claudio Abbado, cette chaleur incroyable du public qu’il avait su séduire, cet engagement des musiciens auxquels il était lié par une très longue collaboration : certains l’avaient connus lorsqu’ils étaient tout jeunes, lorsqu’ils étaient au Gustav Mahler Jugendorchester (GMJO) et ils l’avaient suivi ou croisé tout au long de leur vie professionnelle. Mais surtout ne pouvaient à cette occasion que défiler dans la mémoire du cœur et de l’esprit les moments incroyables de bonheur que nous avons pu vivre, et notamment les symphonies de Mahler.
De plus, Claudio Abbado, mais aussi Pierre Boulez et l’intendant Michael Haefliger ont su créer une ambiance particulière, chaleureuse, presque familiale à Lucerne qui fait qu’on y arrivait avec le goût de ces rencontres d’amis qui se retrouvent à intervalle régulier pour faire la fête ensemble. Il y avait de ça à Lucerne.
Cet heureux temps n’est plus.
Mais il n’est pas question pour moi de me retirer et de ne pas accompagner le destin de cet orchestre qui, quel que soit son avenir, restera celui de Claudio Abbado. Un orchestre d’amis…lorsqu’un ami disparaît, les autres continuent. Michael Haefliger a déjà annoncé que cet automne le successeur serait nommé. Il y a une vie qui commence, après Claudio, et sans doute comme Claudio l’aurait souhaité. Une vie pour faire de la musique ensemble, public et musiciens. Et il faut remercier Andris Nelsons d’avoir cette année relevé le gant. Ce doit être difficile, et pour son agenda (il dirige le 16 à Lucerne et le 17 à Bayreuth) et par le défi que cela représente : beaucoup de fans ont réagi en ne venant pas, parmi eux bien des abbadiani. Pour moi c’était vraiment l’année où il fallait être là, pour l’orchestre, pour Lucerne, pour Claudio. D’autant que tout le Festival cette année est dédié à sa mémoire.
Et beaucoup d’abbadiani présents m’ont envoyé sms et mails pour me dire leur immense déception après avoir écouté le premier concert…
Mais en arrivant le 17, j’étais triste, certes, d’un rite vidé de son sens sans le maître mythique des lieux mais très disponible pour entendre de la musique, même si on m’avait annoncé du gris.
Bien heureusement, effet du second concert ? détente des musiciens ? ou défaut d’écoute des abbadiani trop habitués au son Abbado de cet orchestre ? Je n’ai pas trouvé ce concert Brahms si décevant, loin de là. Bien sûr, le son d’Andris Nelsons est plus touffu, plus massif, avec des contrastes très accentués, c’est le cas dans la Sérénade que Claudio a si souvent proposée avec ce raffinement qu’on lui connaissait et cette indicible poésie, et que les habitués devaient trouver ici insupportable. Ce type d’œuvre ne fait pas partie du répertoire habituel de Nelsons, mais l’orchestre n’a pas du tout démérité. C’était loin d’être ennuyeux, avec des moments de très belle facture, mais une ambiance tellement autre, tellement moins élégante, moins fine, moins cristalline, en dépit des réussites çà et là, que pour un abbadien cela commençait très mal.
Toute autre ambiance dans la Rhapsodie pour alto. Une ambiance recueillie, très émue parce que la pièce attire les larmes, notamment à partir de la troisième strophe Ist aus deinem Psalter, avec son passage en ut majeur, bien que composée comme cadeau de mariage. C’est le type même de moment où Abbado excellait…E’ suo, comme disent les italiens. L’émotion est passée, avec un son plus contrôlé, et surtout avec Sara Mingardo, voix merveilleuse de contralto, qui avait l’habitude de chanter avec Claudio, et qui sait communiquer avec la voix et avec le cœur. Le magnifique chœur d’hommes du Bayerische Rundfunk a fait le reste.  L’orchestre répondait totalement aux attentes, ce fut là certes un moment pour abbadiani, mais avant tout un vrai beau moment musical où l’auditeur se sentait totalement impliqué.
Le lecteur comprendra les difficultés des auditeurs habitués à Abbado : ce concert fut pour beaucoup le moment où ils ont réalisé que Claudio n’était plus là et que, quel que soit le successeur, il faudrait s’habituer à d’autres approches, d’autres sons, d’autres gestes. Et que chercher à coller une ombre tutélaire sur une autre silhouette de chef ne pouvait que conduire à des déceptions cruelles, et à des jugements injustes, à l’emporte pièce, dictés par le vide ressenti et non par l’écoute.

Andris Nelsons dirigeant le LFO © Peter Fischli/Lucerne Festival
Andris Nelsons dirigeant le LFO © Peter Fischli/Lucerne Festival

On le sent parfaitement à l’audition de la Symphonie n°2 de Brahms: l’univers construit par Andris Nelsons est tout autre. Un chef de 36 ans peut difficilement jouer Brahms avec l’expérience et le parcours d’un chef de 80 ans, dont la formation même a été faite de ce répertoire (Abbado a été formé à Vienne chez Hans Swarowsky). Andris Nelsons vient d’une autre école. Première différence, là où Abbado évoque sa première expérience musicale forte avec un Nocturne de Debussy, Nelsons parle d’une représentation de Tannhäuser. Il a par ailleurs été formé à l’école de Saint Petersburg, directement et à travers Mariss Jansons qui rappelons-le fut l’assistant de Mrawinski. Jansons dont le Brahms a toujours fait discuter (je me souviens d’une exécution du Deutsches Requiem à Lucerne qui avait beaucoup désarçonné certains abbadiens).
Le son de Nelsons manque peut-être de raffinement diront certains, un son moins policé, et plus direct, plus brut, qui donne une couleur un peu rude à la symphonie. Mais le sens du contraste, le soin apporté aux moments plus contenus (magnifique deuxième mouvement) pour faire exploser l’orchestre dans les forte, une énergie particulièrement marquée, et vitale sans être démonstrative, vécue comme de l’intérieur, tout cela fait partie du style de Andris Nelsons. Nelsons n’est pas un chef très médiatique, il fait partie de ces chefs que j’apprécie parce qu’ils ne dirigent pas pour la galerie, pour montrer comme ils sont bons, c’est un chef du ressenti.
Le son de l’orchestre de Nelsons est ce son plein et chaleureux très caractéristique des écoles du nord, et notamment de l’école russe et tous les italiens présents sont plutôt habitués à Abbado, certes, mais aussi au Brahms de Giulini, ou même de Chailly, aux antipodes.  On parle de la formation des chefs, mais on devrait aussi parler de la formation ou du formatage des spectateurs …

Sara Mingardo et Andris Nelsons © Peter Fischli/Lucerne Festival
Sara Mingardo et Andris Nelsons © Peter Fischli/Lucerne Festival

Et, signe que les choses ne sont pas allées si mal, l’orchestre suit le chef avec sa conscience et son engagement habituels (premiers violons, Gregory Ahss Konzertmeister du Mozarteum et Sebastian Breuninger Konzertmeister du Gewandhaus de Leipzig), toutes les stars du Lucerne Festival Orchestra sont présentes, sauf Alois Posch (contrebasse), on entend le cor superbe de Alessio Allegrini, la trompette de Reinhold Friedrich, les timbales magiques de Raymond Curfs, et comme de juste les deux phénomènes Jacques Zoon (flûte) et Lucas Macias Navarro (hautbois) :  l’excellence de l’orchestre n’est plus à démontrer, son engagement non plus, d’autant plus cette année, mais un orchestre est un corps vivant, qui doit lui aussi faire son deuil et s’adapter à d’autres visions.

En conclusion, ce fut un beau concert, très ressenti, évidemment très différent de ce à quoi Claudio nous avait formatés : il fallait redescendre sur terre, et je le dis sans aucune acrimonie, ni déception,  nous sommes redescendus dans une sorte d’excellence musicale de l’ordre des esprits, et non de l’ordre des âmes . Il faudra sûrement un peu de temps pour recaler tout cela. Ce fut un moment difficile, mais nécessaire. Le Lucerne Festival Orchestra et Andris Nelsons ont mérité la standing ovation qui les a salués. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons le 15 août 2014 © Peter Fischli/Lucerne Festival
Andris Nelsons le 15 août 2014 © Peter Fischli/Lucerne Festival

ENREGISTREMENTS ET CD: LE DERNIER DISQUE DE CLAUDIO ABBADO – BRUCKNER SYMPHONIE N°9

Le dernier disque
Le dernier disque

Quelle erreur !
Quelle erreur de n’avoir pas repris en vidéo ce concert où Claudio Abbado à bout de forces, mais pas d’inspiration, a offert au public un testament en forme d’inachèvement, en programmant dans la même soirée et l’Inachevée de Schubert, et la Symphonie n°9 de Bruckner qui est aussi son inachevée. On a préféré retransmettre et enregistrer l’Eroica et les extraits de Gurrelieder de Schönberg, qui constituaient en 2013 le premier programme du Lucerne Festival Orchestra.
La symphonie n°9 de Bruckner vient de sortir fin juin en CD chez DG/Accentus, et tout mélomane un peu amoureux d’Abbado se doit de la posséder dans sa discothèque. C’est d’ailleurs un disque qui se vend bien, au moins à en croire certaines listes comme http://www.classical-music.com/chart/official-classical-chart
La manière dont Abbado avait abordé ces deux symphonies inachevées (Schubert-Bruckner) et notamment la symphonie de Bruckner avait suscité chez les mélomanes présents des discussions passionnées, tant la manière d’Abbado, très intériorisée, d’une tristesse indicible, a frappé.

Je ne suis pas sûr que ne présenter dans un enregistrement que la symphonie de Bruckner sans celle de Schubert soit une si bonne idée. Certes, elle permet à l’éditeur de projeter deux enregistrements séparés, mais l’arc interprétatif et le discours d’Abbado sont si cohérents entre les deux œuvres, que je peux difficilement écouter l’une sans l’autre. Car c’est bien l’inachèvement et la fin qui sont sussurés ici. Et le compte rendu que j’en ai fait sur le moment sonne étrangement, au regard des événements qui ont suivi. Je renvoie le lecteur à ces analyses, mais j’en donne ci-dessous les conclusions : « Une soirée et une édition 2013 qui laissent un goût amer en bouche: comme d’habitude, des exécutions d’une qualité inouïe, avec un orchestre phénoménal, comme d’habitude des émotions et des moments très forts, mais cette année, quelque chose d’autre, où était absent cet élan vital, cette éternelle jeunesse qu’Abbado communique dans sa vision de la musique. Etait-ce parce qu’il était plus fatigué (c’était visible dans ses gestes, et il a dû pendant la série de concerts annuler son intervention pour la fête des 75 ans du Festival) est-ce un tournant interprétatif ? L’avenir nous le dira, mais en tout cas, bien des amis qui le suivent encore plus que moi étaient frappés par cette vision sans espoir qui transpirait de ces soirées et du fond de leur âme, ne voulaient pas l’envisager. »
Abbado était discret, parlait peu, et en tous cas presque jamais en répétition, et presque jamais de ses concerts ou de ses interprétations. Mais faire de la musique pour lui c’était aussi dire quelque chose de lui même. Ce qu’il ne disait pas, il l’exprimait par la musique, par les concerts, qui étaient pour lui tranche de vie. Il y a donc quelque chose de prémonitoire dans ce Bruckner, comme une annonce, comme un présage qu’il semblait sentir.
À réécouter l’enregistrement (qui est un montage des trois soirées de concert) on retrouve les mêmes impressions, mêlées au souvenir, car évidemment l’écoute d’aujourd’hui est traversée par le fait qu’il s’agit du dernier programme qu’Abbado a dirigé et tous les commentaires qu’on peut faire ou avoir fait en sont gauchis. On est quand même toujours  frappé d’une part par la ductilité extrême de l’orchestre et la qualité de l’exécution, des pizzicati à se damner, des cordes d’une douceur et d’une suavité inconnues (c’est incroyable cette douceur triste qui émerge du premier mouvement), une lenteur certes, mais d’une fluidité étonnante dans les enchaînements, sans heurts,  interventions des cuivres presque timides au départ, avec l’élégance inouïe à laquelle Abbado nous avait habitués. Il est servi par des solistes d’une virtuosité unique (flûtes, clarinette, hautbois, trompettes mais aussi contrebasses incroyables), saisis sans doute aussi par la nature du moment, qu’ils devaient sentir encore plus que le spectateur : c’est cet unisson (uni-sono), cette unicité du son qui frappe et qui emporte. On ne sait sur quoi fixer son attention, tant il est difficile d’isoler un moment ou un autre, mais on reste confondu par l’art du crescendo, le contrôle des volumes, et la clarté du rendu. Une douce, très douce marche vers l’abîme, sereine et résignée.
Le second mouvement est « un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler »(Racine, Phèdre, scène finale), une énergie rageuse, rendue par un jeu étourdissant des pizzicati, un crescendo d’une extrême tension pour aboutir à une explosion des tutti qui reste néanmoins presque contenue, tant elle semble naturelle, aller de soi, avec un refus des ruptures, dans un sens aigu des liens musicaux qui se sont construits : des contrastes entre la douceur des bois et la brutalité des forte, qu’on a souvent comparé à du Prokofiev ou du Stravinski, il reste un ballet certes inquiétant, mais sans cette angoisse mystique qui pourrait saisir, c’est une rage qui passe, comme le reste passera et finira.
Au contraire, le début du dernier mouvement, l’adagio, s’affirme avec à la fois les grandes orgues de la solennité brucknerienne, pour être immédiatement compensée par la douceur des confidences abbadiennes,  indicible (ah les bois…), qui étreint jusqu’au plus profond du cœur en des murmures à peine perceptibles des cors et des cordes : il s’agit d’un chant, l’avenir nous a dit que c’était un chant du cygne, un cygne encore vivant, encore créatif, encore avide de confidences, encore désireux d’avenir et de confiance, mais déjà pris par la nostalgie et les regrets : tout nous parle, le moindre son, la moindre inflexion, dans cet adagio à la lenteur non solennelle, mais résignée, qui n’appellerait que des larmes. Mais ce sont les trois dernières minutes, suspendues, qui resteront gravées pour toujours dans le souvenir des auditeurs, et qui dans ce disque, demeurent bouleversantes. Ces trois dernières minutes-là valent tous les messages, tous les concerts, toute une expérience d’auditeur. Elles sont définitives…
On l’aura compris, ceux qui n’ont pas encore ce disque doivent courir en faire l’acquisition. En faire l’impasse est inconcevable : un testament qui est une porte ouverte sur le Paradis.  [wpsr_facebook]

 

 

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014: SIMON BOCCANEGRA de Giuseppe VERDI le 11 JUIN 2014 (Dir.mus:Daniele RUSTIONI; Ms en scène: David BÖSCH)

Scène finale © Stofleth
Scène finale © Stofleth

J’avoue avoir du mal avec Simon Boccanegra.
L’œuvre est tellement liée à Claudio Abbado, je l’ai si souvent entendue avec lui, j’ai dans ma discothèque je ne sais combien d’enregistrements live de représentations à Milan, Tokyo, Paris, Vienne que j’entends l’opéra de Verdi au prisme des souvenirs de cet orchestre sublime d’une infinie tendresse, d’un raffinement inouï, un orchestre qui parlait et qui pleurait quand à la fin Fiesco et Simon chantent « piangi »… Aucun opéra de Verdi dirigé par Abbado ne l’a été avec un tel amour, une telle osmose, une telle adéquation entre un chef et un compositeur. Et en 1971, Simon Boccanegra était une quasi découverte : ce qu’on considère aujourd’hui comme normal était neuf, et encore plus neuf à l’Opéra de Paris en 1977 ou 1978, où c’est Abbado qui le créa (Freni/Ricciarelli, Ghiaurov, Cappuccilli, Schiavi, Lucchetti) à la tête d’un orchestre de l’Opéra de Paris qu’il renia fortement, mais qui néanmoins, en témoignent les vidéos, était en état de grâce. Mais il n’y a pas que Claudio Abbado, il y a aussi la production de Giorgio Strehler (Milan 1971) qui a fait le tour du monde et qui a fini sa carrière à Vienne, où deux imbéciles, le baryton Eberhard Wächter, et l’agent Ioan Holänder, qui avaient pris les rênes de la Staatsoper, décidèrent de la retirer des cadres et même de la détruire. Elle était trop liée à un directeur musical (Abbado) qui avait fait acheter la production milanaise lors de son arrivée (tout comme celle du Viaggio a Reims de Ronconi, ou celle du Pelléas de Vitez) et qu’ils ont contribué à éloigner. Strehler c’est d ‘abord l’image inoubliable de ce lever de rideau sur Amelia (Freni), fond de barque et de voile, dans un éclairage crépusculaire, c’est Simon chantant la mer au dernier acte pendant que des marins en contre jour hissent une voile, au son d’un orchestre d’une légèreté évocatoire qui garde pour moi un goût d’infini, c’est ce prologue dans la nuit avec la trouvaille géniale du même décor figurant intérieur et extérieur du Palais où Maria gît. On ne cesserait de trouver des perfections à cette production, une de ces productions hors du temps, qui pourrait être reprise demain et qui garderait tout son sens et toute sa puissance sur le public, cela reste pour moi peut-être le plus grand travail de Strehler à l’opéra, supérieur encore à sa production des Nozze di Figaro (celle de 1973, pas celle de 1981 qu’on voit encore à Bastille). Comment ne pas évoquer ces souvenirs, qui restent imprimés dans ma mémoire de mélomane, et qui réussissent même à effacer la production de Peter Stein de Salzbourg (2000) : pour célébrer le millénaire, Abbado avait choisi de reprendre l’œuvre avec les Berliner avec une distribution somptueuse mais qui n’arrivait pas à faire oublier la précédente : Mattila remarquable, Guelfi sans grande présence, Raimondi trop vieux, et surtout un sublime Alagna dont l’entrée en scène courant sur la plateau reste la plus belle image de cette soirée. La production est celle qui a cours encore aujourd’hui à Vienne. Il reste que les Berliner avaient réussi à recréer une magie musicale d’une rare intensité, notamment dans les moments les plus dramatiques (troisième et quatrième acte), je me souviens des bois stupéfiants, je me souviens de cordes imperceptibles, de jeux de sonorités qui m’avaient saisi, moi qui connaissais chaque respiration de cette œuvre. Abbado a aussi à cette époque dirigé Boccanegra avec la Mahler Chamber Orchestra, à Ferrare et en Emilie Romagne, ce fut musicalement – et surtout orchestralement somptueux, vocalement et surtou scéniquement plus discutable. J’ai entendu aussi dans Simon Boccanegra Solti et Te Kanawa (pour l’enregistrement à la Scala du disque qu’il grava chez Decca), Chailly à Munich avec Freni, et bien sûr, le spectacle décevant de Johan Simons à Bastille sous Mortier, qui évacua toute poésie et plaça l’intrigue sous les projecteurs exclusifs d’un réalisme politique vulgaire et cru, et imbécile, du genre Boccanegra au pays de Jean-François Copé, et récemment Barenboim (à Berlin et Milan) avec Anja Harteros et Placido Domingo. Barenboim n’était pas dans son univers, Domingo y était merveilleux, mais ce ténor barytonnant ne faisait que remuer les souvenirs du Domingo ténor verdien qui reste l’un des soleils de ma vie de mélomane, et Anja Harteros est la seule qui puisse rivaliser avec Freni. Il reste une production ratée (Federico Tiezzi, décors de Maurizio Balo’ qu’on a changés à la Scala pour des décors de Pier Paolo Bisleri), d’une infinie pauvreté, laide à voir (et à revoir, vu le nombre de reprises) : tant qu’à faire, mieux valait proposer un travail semi-scénique ou concertant. Vous pourrez je crois revoir la production cet automne à Milan…
Je sens le lecteur agacé : c’est bien joli tout ça, mais Lyon ?
Je sens le futur spectateur lyonnais inquiet : si le Wanderer commence par évoquer les miracles passés, c’est pour mieux faire passer la déception présente, en la justifiant et en soulignant que la comparaison était inégale.

Prologue © Stofleth
Prologue © Stofleth

Et pourtant… Et pourtant, je vous engage à aller voir ce Simon Boccanegra de Lyon, qui est une production très digne, très émouvante, et qui rend justice à Verdi. D’abord, elle nous permet de voir le travail d’un jeune metteur en scène dernière génération des scènes allemandes, David Bösch, qui fera l’an prochain toujours à Lyon Die Gezeichneten/les Stigmatisés de Franz Schreker), un travail peut-être pas totalement abouti, mais fermement mené, avec des intentions claires, et de très bonnes idées. Elle nous permet aussi d’écouter un jeune chef de trente ans, Daniele Rustioni,  qui ne m’avait pas totalement convaincu à la Scala dans d’autres Verdi (Trovatore, Un ballo in maschera), mais qui dans la fosse lyonnaise, fait preuve d’une maturité, d’un sens dynamique, d’une exigence notables. Elle nous permet enfin d’apprécier une distribution plus qu’homogène, avec sa faiblesse (Simon) et ses forces (les autres).

Acte II © Stofleth
Acte II © Stofleth

David Bösch travaille sur trois plans :
–       d’abord il fait du vrai théâtre, en plaçant l’intrigue dans un décor de Patrick Bannwart (qui a réalisé les vidéos avec Falko Herold)presque unique : une tour fermée au départ du prologue, et qui s’ouvre dès l’acte I comme si le prologue renfermait en lui même l’histoire (et ce n’est pas faux), en éliminant toute référence anecdotique, plus de mer, plus de Gênes, mais un sol jonché de papiers, vaguement trashy, mais des objets symboles, comme ces valises qui sont le seul décor de l’intimité d’Amelia au premier acte, des costumes très essentiels de Falko Herold, des costumes à la fois d’aujourd’hui et sans âge, mais qui savent identifier les fonctions : Amélia, toute jeune fille avec son doudou, Simon devenu Doge en redingote écarlate, les autres tous en gris dans un univers presque sans couleur. Le premier acte, par la disposition même du décor, par ce mur qui réduit l’espace de jeu, reprend le parti pris de Strehler dont le prologue se déroulait devant cette façade immense et muette du Palais de Fiesco, et malgré les différences esthétiques, reproduit la même ambiance. Pour quoi du vrai théâtre ? parce qu’avec des ingrédients minimaux, il raconte une histoire, il raconte les cœurs qui saignent, il raconte l’amour de ces êtres dont, Paolo le traître mis à part, aucun n’est lâche, aucun n’est mauvais, tous nobles, tous grands, tous humains, ballotés par les luttes de clans, mais tous obéissant fortement à une morale. Un seul exemple de ce travail : l’image finale du prologue, très forte, où le peuple salue la victoire de Boccanegra, pendant que lui, en haut de la tour, se montre au balcon avec le cadavre de Maria dans les bras : rien que par cette image, on comprend que Bösch est un vrai metteur en scène.

Image finale - Prologue © Stofleth
Image finale – Prologue © Stofleth

–       Ensuite, il inscrit aussi une vraie vision politique, sans concession : Simon est un autocrate, un populiste arrivé au pouvoir par l’intrigue (achat de voix), c’est la plèbe contre le patriciat, mais une plèbe travaillée par des manœuvres troubles, avec ses hommes de main, qui stimulent les réactions de la foule comme les réchauffeurs d’ambiance des studios télé, qui ont toujours à la main un poignard (on ne sait jamais…), qui représentent le peuple qu’ils manipulent et qui attendent des prébendes. Simon, qui pourrait être l’exemple du despote éclairé, gouverne une assemblée de vieillards chenus, avec leurs cannes, leurs déambulateurs, leurs béquilles, eux aussi travaillés et contraints par les sbires, une assemblée lige qui n’a rien du noble conseil qu’on voit habituellement: honneur, richesse, pouvoir, voilà ce qui a été promis au prologue à ceux qui ont fait l’élection, tous les autres sont des outils au service de l’ambition de quelques uns. Mais Bösch montre aussi les mécanismes politiques sous jacents à l’histoire : à la fin, ce sont bien les aristocrates qui reprennent le pouvoir, et les vaincus sont bien les « populares », vaincus, ou condamnés à mort. Ceux qui avaient fait l’élection de Simon, resté 25 ans au pouvoir, finissent écrasés, comme si les valeurs morales étaient portées par l’aristocratie et les valeurs démocratiques perverties dès le départ n’étaient que valeurs démagogiques. Toute ressemblance…
–       Enfin, Bösch est persuadé que le livret n’est pas clair, et essaie, tout en racontant l’histoire sur la scène, de clarifier la situation en doublant le récit scénique d’indications en surimpression vidéo qui scandent les moments clés, dans une esthétique de manga : inscriptions agressives, dessins de Maria petite fille qui grandit : jolie idée que de marquer les 25 ans qui passent entre le prologue et le premier acte par une Amelia/Maria qui se transforme, par des feuilles de calendrier qui tombent comme autant de feuillets d’automne.  Tout n’est pas réussi , le souci de clarifier finit par réduire le sens de l’histoire, par distraire sans toujours éclairer (usage immodéré du graffiti, comme signe politique et signe explicatif) : malgré ces réserves, et grâce à son décorateur et son vidéaste, David Bösch crée un univers, gris, mélancolique, voire grinçant, bien que l’histoire soit traversée d’amour. Amour d’Amelia pour Gabriele, amour de Simon pour sa fille, et à la fin, amour mutuel des deux vieillards ennemis qui se retrouvent dans une communion autour d’Amelia/Maria

Acte II © Stofleth
Acte II © Stofleth

L’amour naïf d’Amélia, toute jeune fille au départ, sert de fil rouge à sa propre maturation : c’est lorsqu’elle est enlevée à la fin du premier acte qu’elle va se révéler à la fois face à foule, où elle prend clairement l’initiative, et au deuxième acte face à son père, qu’elle affronte, et face à son fiancé, qu’elle empêche d’accomplir l’irréparable. L’amour, du père et du fiancé, moteur de la maturation d’une âme : Amelia est changée, à la fin. Elle a grandi et elle s’est grandie. C’est bien aussi l’amour qui clôt ce Simon Boccanegra, d’une manière un peu naïve et discutable, à moins que ce ne soit une vision d’Amelia elle-même. Devant une assemblée du peuple composée de mariés et mariées, Simon meurt et disparaît en partant rejoindre sa Maria perdue au prologue, au milieu de cette assemblée devenue en quelque sorte une assemblée de Bienheureux. Maria sa fille épouse son Gabriele, pendant que Maria morte accueille son Simon…bon…c’est quand même un peu lourd, mais peut-être justifiable dans la vision d’un récit réductible à un Manga.

Daniele Rustioni
Daniele Rustioni

À cette vision forte, correspond un travail du jeune Daniele Rustioni incontestablement réfléchi et préparé. Il arrive à obtenir de l’orchestre des sonorités riches, pleines, voire inattendues dans cette salle à l’acoustique si sèche. Le début du prologue est vraiment très réussi, à la fois dans la simplicité et la linéarité, avec un son très égal, et qui installe parfaitement l’ambiance. Mais c’est dans les moments les plus dramatiques et les plus tendus qu’il excelle. Il mène l’orchestre avec une battue précise, ferme, énergique, et malgré les contrastes ne couvre jamais le plateau, car il est très attentif aux voix. Daniele Rustioni a une grande expérience de l’opéra, il a étudié à Londres où il a dirigé de nombreuses petites compagnies qui lui ont permis à la fois de construire son répertoire et mieux appréhender les lois de la direction. Il a donc une très bonne technique, un large répertoire malgré son âge, et guide parfaitement l’orchestre. Il a probablement travaillé en bonne harmonie avec l’orchestre, qui ne connaissait sans doute pas l’œuvre et qui a montré, peut-être mieux qu’à d’autres occasions, une maîtrise technique remarquable. C’est cependant dans les parties les plus lyriques que Daniele Rustioni pèche un peu. Or, dans Boccanegra, elles abondent. J’ai été gêné par des tempi un peu rapides, là où je suis habitué à un orchestre plus aérien, avec une couleur plus affirmée. La musique passe un peu linéaire, sans modulation, sans toujours parler vraiment de la situation (c’est notable dans le duo Amelia/Boccanegra au 1er acte, dont la scène avait très bien commencé avec l’introduction orchestrale à l’air d’entrée d’Amelia Come in quest’ora bruna ou surtout dans la partie finale de l’acte III, insuffisamment vibrante pour mon goût. Il en résulte une interprétation un peu froide. Il reste que dans l’ensemble, Daniele Rustioni montre une belle capacité à dominer cette partition, tellement marquée surtout pour un italien, surtout pour le milanais qu’il est.

Comme souvent à Lyon, la distribution est à la hauteur, globalement homogène avec des prestations vraiment excellentes.

Ermonela Jaho
Ermonela Jaho

C’est le cas d’Ermonela Jaho, une Amelia fraîche, solide vocalement, qui sait aussi ammorbidire et jouer sur la voix (notamment au final de l’acte II, redoutable pour le soprano). Certes, elle n’a pas l’aura ni le phrasé d’une Freni (mais qui ?), ni la présence d’une Harteros, il reste qu’elle s’impose par sa jeunesse, par la manière très franche d’affronter le rôle, par des aigus puissants, pas gonflés artificiellement et sans vibrato. Je sais que beaucoup de sopraïnomanes ne l’estiment pas, mais cette interprétation plus qu’estimable les contredit. Il reste que ce chant techniquement très au point mériterait peut-être une interprétation plus personnelle, un effort plus grand pour colorer, pour incarner. Elle a le temps de mûrir sa vision. Le Paolo de Ashley Holland qui avec le bon Pietro (très présent dans cette mise en scène) de Lukas Jakobski, composent les méchants de cet opéra de nobles cœurs, est un Paolo qui tranche avec la tradition initiée par Felice Schiavi, de Paolo difformes, qui roulent des yeux globuleux, qui en font des sortes de Quasimodo de pacotille.. Il est inquiétant, il donne une jolie interprétation scénique de ce personnage duplice et finalement assassin. Et vocalement, il chante avec style, sans surjouer ou surchanter, et c’est au total une prestation bien dominée.

Andrzej Dobber, Ermonela Jaho, Pavel Černoch © Stofleth
Andrzej Dobber, Ermonela Jaho, Pavel Černoch © Stofleth

Pavel Černoch dans Gabriele Adorno est sans doute pour moi l’une des révélations de la soirée. J’avais déjà entendu ce chanteur à Berlin dans Butterfly, très honnête Pinkerton (dirigé par Andris Nelsons), il est ici un Adorno qui existe (ce n’est pas toujours le cas) totalement incarné, avec une intensité rarement atteinte dans son air du II Sento avvampar nell’anima. D’ailleurs, la mise en scène en fait un personnage lacéré, presque tragique et lui donne un poids inhabituel. Il se révèle l’un des Adorno les meilleurs qu’on puisse entendre aujourd’hui. Un nom à retenir, et un triomphe mérité aux saluts. Ricardo Zanellato est aussi un Fiesco très efficace. Ce chanteur est de solide niveau pour les personnages qu’il incarne habituellement. Dans Fiesco, il y a un plus : il n’a pas la profondeur sonore d’un Ghiaurov ou même d’un Raimondi, mais il propose un Fiesco plus humain, presque plus tendre, qui donne à la scène finale et au duo avec Simon une profondeur humaine réelle. Une prestation  remarquable à l’actif d’un chanteur plutôt discret dans le paysage d’aujourd’hui, qu’on espère voir plus souvent sur les scènes européennes. DobberEnfin, Simon Boccanegra, c’est Andrzej Dobber, une basse chantante. Le rôle est écrit pour un baryton, c’est même l’un des très grands rôles de baryton : il fut chanté par Cappuccilli, qui l’a chanté partout, comme Renato Bruson, l’autre baryton italien… Aujourd’hui je serais bien en peine de citer un baryton (Domingo est hors course évidemment) capable de tenir le rôle…enfin, oui, il y en aurait un, c’est Ludovic Tézier qui est fait pour; il en aura la noblesse, l’élégance et la puissance. On aurait pu rêver que Tézier, si lié à Lyon prenne le rôle à cette occasion, mais il doit faire son 1234ème Germont à l’Opéra Bastille pour une vraie nouveauté : La Traviata…un événement paraît-il…laissez moi rire. Dobber est un chanteur qui travaille essentiellement en Allemagne, un des bons chanteurs du marché d’aujourd’hui. Mais Simon n’est pas vraiment fait pour lui, notamment toute la première partie (Prologue et premier acte) : phrasé discutable, diction problématique, aigus serrés, chant tout en force, toujours poussé notamment à l’aigu, et donc peu d’élégance et peu de style. C’est mieux dans la deuxième partie, le personnage, plus las, peut afficher une voix fatiguée et donc Dobber est plus à l’aise. Tout l’acte III est vraiment bien dominé, voire émouvant, et il a des accents qui rappellent Van Dam, ce qui est plutôt bon signe. Mais cette émission voilée, cette voix un peu sourde ne convient pas au rôle et ne convainc pas. Un Simon discutable pour un Simon Boccanegra convaincant, c’est le seul point un peu gris d’une entreprise très bien défendue par ailleurs ; le succès auprès du public lyonnais a été total, de longs applaudissements, fournis, répétés pour une œuvre qui malgré sa renaissance, reste relativement rare sur les scènes : il est vrai qu’elle exige un vrai cast, et un chef ; c’est une prise de risque pour bien des théâtres. Mais qui ne risque rien n’a rien, chi non risica non rosica. Et l’Opéra de Lyon à cette occasion a rosicato. Il mérite les roses. [wpsr_facebook]

Saluts le 11 juin
Saluts le 11 juin

PHILHARMONIE BERLIN 2013-2014: CONCERT À LA MÉMOIRE DE CLAUDIO ABBADO par les BERLINER PHILHARMONIKER (Dir.mus: Sir SIMON RATTLE, Soliste FRANK PETER ZIMMERMANN, violon)

En répétition à Stockholm (Vasa-Museum) © Cordula Groth  (détail)
En répétition à Stockholm (Vasa-Museum) © Cordula Groth (détail)

 

Schubert: Bühnenmusik zum Schauspiel Rosamunde, Fürstin von Zypern D797
Mozart: Violinkonzert Nr.3 G-Dur KV 216
Bruckner: Symphonie Nr.7 E-Dur

Il manquait aux différents hommages musicaux rendus à Claudio Abbado celui des Berliner Philharmoniker qui ont choisi d’honorer la mémoire de celui qui fut leur directeur musical du 8 octobre 1989 (date de son élection) au 13 mai 2002 (date du dernier concert en tant que chef des Berliner, à Vienne) aux dates où il aurait dû diriger comme chaque année les Berliner par un concert Schubert, Mozart, Strauss. En fait un règne de 12 ans commencé de fait par le premier concert en tant de « Chefdirigent »en décembre 1989, et pour l’histoire le 4 septembre 1990, date de la prise officielle de fonctions.

C’est Sir Simon Rattle, l’actuel « Chefdirigent », qui légitimement a dirigé le concert, en changeant le programme : au lieu des poèmes symphoniques de Strauss prévus, il a choisi de diriger la 7ème de Bruckner. Le reste du programme n’a pas été modifié, mais les Berliner ont joué sans chef, podium vide.
Par ailleurs, les Berliner ont édité une brochure d’une petite cinquantaine de pages « Erinnerungen an Claudio Abbado » (Souvenirs de Claudio Abbado),  dédié une jolie exposition dans le foyer de la Philharmonie et programmé la projection ce dimanche à 11h du Film de Bettina Ehrhardt (2001) « Eine Kielspur im Meer – Abbado – Nono – Pollini ».

Philharmonie, 16 mai 2014
Philharmonie, 16 mai 2014

Le 16 mai, tout le monde abbadien ou presque était là : amis italiens, son fils Sebastian, son entourage proche, et le public de Berlin, qui l’aimait tant est venu très nombreux puisque depuis plusieurs semaines les trois concerts prévus étaient complets. Une fois de plus, ambiance étrange que de voir les mêmes arriver à un an de distance, avec les mêmes habitudes, mais sans forcément le même sourire, pour voir le podium vide.
Dire que ce fut une émotion comparable à celle de Bologne, Milan ou Lucerne le 6 avril dernier serait mentir. Mais on ne venait pas chercher une fois de plus des larmes, mais simplement se retrouver tous rituellement et vivre ensemble un concert qui par bien des aspects fut d’une grande retenue et d’une grande tristesse.

Après Schubert...le 16 mai 2014
Après Schubert…le 16 mai 2014

Le Schubert initial (les musiques de scène pour Rosamunde, Princesse de Chypre D797) et notamment la pièce n°5 (entracte après le troisième acte –andantino), joué sans chef donc, avait déjà été joué en mai 2009, et donc répété avec Claudio. 7 minutes 30 de finesse, d’un son d’un pureté diaphane, avec des moments vraiment ineffables : ce fut musicalement et émotionnellement le sommet du concert. Cette pièce, très souvent insérée dans les programmes d’Abbado ces dernières années, avec tel ou tel orchestre, allie un certain lyrisme, une douceur indicible, et permet à l’orchestre de moduler, de jouer sur le volume, sur les différents niveaux sonores et met en avant une profonde sensibilité. Ce fut un grand moment.
Le public ne s’y est guère trompé : après un bref silence, des applaudissements chaleureux de tout le monde debout qui, comme à Lucerne, a fini par applaudir celui qui n’était pas là, longuement, avec ce caractère particulier des applaudissements-hommage, volume égal, pas d’excès, mais interminable.
Abbado aimait le public de Berlin, qui le lui rendait bien (voir l’indescriptible triomphe de la Fantastique de Berlioz l’an dernier) et qui répondait systématiquement à ce qu’il demandait. Désormais, c’est un lieu commun des concerts que le silence final avant les applaudissements. Abbado dès la fin des années 90 fut le premier à l’obtenir du public, on se rappelle notamment le silence extatique qui a conclu Parsifal dans cette salle en 2001.

Frank-Peter Zimmermann (de dos) à la fin du Mozart
Frank-Peter Zimmermann (de dos) à la fin du Mozart

Le concerto pour violon de Mozart n°3 KV 216 en sol majeur est une pièce bien connue pourtant longtemps laissée dans l’ombre, malgré une richesse rythmique, une fraicheur incomparable, tant du côté du soliste que de l’orchestre. L’adagio en particulier et le rondeau final inspiré d’une chanson populaire sont des moments d’une incroyable jeunesse. Frank-Peter Zimmermann n’a pas dirigé l’orchestre, même s’il a en imprimé le rythme et quelques attaques : sans effets virtuoses, avec une simplicité marquée et une certaine retenue, son interprétation est très convaincante. Il arrive à tirer un son extraordinairement clair, suave, et cette modestie globale sert le dialogue avec l’orchestre, qui du même coup s’en trouve valorisé.
Il reste, mais c’était à prévoir, que l’orchestre n’a peut-être pas eu le rythme ou le dynamisme qui correspondait à l’esprit de cette pièce. Le premier violon Daishin Kashimoto est un magnifique technicien, il n’y a bien évidemment aucune scorie, mais l’ensemble reste un peu retenu, et pour tout dire d’une grande tristesse. On dirait que tout est fait pour nous faire sentir l’absence.
Evidemment, chaque fois qu’on revient à la Philharmonie, chaque fois qu’on y réentend dans sa salle, et quelle salle, les Berliner Philharmoniker, on est toujours pris et fasciné par le son, par l’acoustique (c’est très banal de le dire, mais mieux vaut le répéter) incroyable de proximité, par le son parfaitement égal, pas la chaleur générale qui en émane : la Philharmonie est vraiment une salle du bonheur, d’une certaine simplicité : il n’y a rien-là que l’essentiel : on s’y sent bien. Et bien sûr, au-delà des classements médiatiquement payants des orchestres : lequel est le plus grand ? Berlin ? Amsterdam ? Vienne ? Munich ? Tout cela est un peu vain, notamment quand on constate la qualité du son produit, les pupitres solistes et notamment des cuivres et des bois : Stephan Dohr, Emmanuel Pahud, Albrecht Mayer, Dominik Wollenweber, Daniele Damiano. Saluons aussi l’arrivée comme premier violoncelle solo aux côtés de Ludwig Quandt du français Bruno Delepelaire.
On regrette d’autant leur absence du Lucerne Festival Orchestra à partir de 2005 (une règle qui leur a été imposée). Mais la chaleur du son, la perfection technique, la rondeur de l’ensemble laisse toujours pantois.
C’est bien ce qui caractérise le Bruckner qui fait la seconde partie du concert : la perfection orchestrale, un premier mouvement totalement bouleversant, notamment le tout début, parfaits équilibres, le tout mené avec une exactitude et une précision incroyable par Sir Simon Rattle qui n’avait pas la partie facile, et qui est apparu très retenu, moins extraverti qu’à l’habitude. La dernière fois qu’Abbado devait diriger la 7ème de Bruckner avec les Berliner, c’était à Lucerne en 2001. Mais il était malade et c’est Bernard Haitink qui l’avait remplacé.
En dépit de cette perfection technique et d’une exécution incontestable par sa qualité et par son total accomplissement formel, force est de constater qu’il ne passe pas grand-chose d’une émotion vraie. Que l’orchestre se laisse écouter passionnément, mais ne nous (me) parle pas. J’ai parlé d’exécution sur papier glacé, parfaite et luxueuse comme une revue chic, mais sans palpitation aucune (sauf, comme je l’ai dit, au début). Je suis resté sur ma faim, notamment lors du mouvement final et son élévation qui m’a laissé au sol. Une symphonie parfaitement mise au point, parfaitement mise en son, parfaitement en place, mais sans intériorité, ni véritable discours.

Sir Simon Rattle le 16 mai 2014
Sir Simon Rattle le 16 mai 2014

Je n’étais pas au second concert, mais on m’a dit que le Bruckner était plus parlant. Et les musiciens, pendant la première partie sans chef, avaient pris l’initiative d’un bouquet sur le podium.
Claudio n’est plus parmi nous, mais il est toujours dans notre oreille et dans le cœur, mais je ne suis pas sûr qu’il eût apprécié ces hommages répétés très vivement sentis par le public, lui qui disait que le chef n’est rien, mais le compositeur tout. La meilleure manière de le porter en nous, c’est d’aller au concert, de découvrir de nouvelles baguettes, d’écouter et d’aimer la musique, encore, toujours, et partout. [wpsr_facebook]

A Vienne le 13 mai 2002  © Cordula Groth
A Vienne le 13 mai 2002 © Cordula Groth

UN MOIS APRÈS…CESARE MAZZONIS ÉVOQUE CLAUDIO ABBADO

abbado2Un mois déjà que Claudio Abbado nous a quittés.
La vie a repris, certes. Mais j’ai mis du temps à réaliser que la musique n’aurait plus le même goût; qu’il n’y aurait plus cette excitation à aller vérifier comment ce diable d’homme allait encore une fois nous surprendre, nous prendre à revers, nous emmener là où on ne pensait pas aller. J’ai croisé pendant ce mois amis et musiciens qui le connaissaient, et nous étions tous un peu dans une sorte d’errance voire dans une attente un peu brumeuse, un peu perdue, et une énorme tristesse. Par chance, il n’avait dirigé aucun des opéras vus ce dernier mois et donc point de souvenir ni de comparaison.
Aujourd’hui est paru dans une revue italienne de culture très sérieuse  Il Mulino, une interview à Cesare Mazzonis sur Claudio Abbado.
J’ai un très grand respect pour Cesare Mazzonis, l’un des grands managers de l’opéra  de la musique en Italie, un authentique homme de culture, d’une rare finesse. Je l’ai cité dans mon compte rendu de Coeur de Chien (voir le blog) puisqu’il est l’auteur du livret. Je renvoie les italophones au texte original, et je me suis décidé à le traduire, car c’est un bel hommage, très juste, et très simple. Juste ce qu’il fallait pour Claudio.

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Traces
Cesare Mazzonis évoque un génie italien atypique, à un mois de sa disparition.
La Renaissance musicale de Claudio Abbado

La mort de Claudio Abbado a marqué un vide dont il ne semble pas facile de définir les proportions. Ainsi, encore, une aura d’ impénétrabilité continue de protéger le musicien milanais, avec cette même réserve qui lui fut familière dans la vie, un maestro en undestatement entendu comme accomplissement exclusif de la musique, presque comme si elle suffisait à parler pour lui. Maintenant que la musique se tait, la rencontre avec qui l’a  connu si longtemps et de près représente donc l’occasion de raconter Abbado dans une dimension proche du réel, en intégrant dans la même figure le génie incomparable et un homme d’une simplicité cohérente au quotidien, effleuré par la spontanéité candide d’un jeune homme malgré l’avance de l’âge et de la maladie.
Cesare Mazzonis a rencontré Claudio Abbado il y a plus de trente-cinq ans. Les deux ont commencé à collaborer à la Scala au début des années 80, quand l’un en était le directeur artistique et l’autre le directeur musical. Né en 1936 à Turin, Cesare Mazzonis est maintenant directeur artistique de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI  de Turin et de l’Accademia Filarmonica Romana. Parmi les nombreuses fonctions prestigieuses qu’il a eues tout au long de son parcours sur les chemins de la musique, limitons-nous à mentionner les débuts à la direction de la Musique de la RAI en 1967, puis la direction artistique de l’Orchestre de la RAI de Rome dix ans plus tard, les douze ans à la direction artistique du Teatro alla Scala, suivis des dix ans à la tête du Mai Musical Florentin. Depuis les années de Milan son dialogue avec Claudio Abbado ne s’est jamais interrompu, si bien qu’en 2006 Abbado l’a sollicité pour être consultant artistique de l’Orchestra Mozart, fondé à Bologne deux ans avant. Avec Mazzonis on pourrait parler d’Abbado pendant des journées entières si bien que la première question surgit au hasard du kaléidoscope de cette vaste mémoire.

Quelle est la première photographie qui renvoie à tant d’années d’amitié?
C’est une image complexe. Qui ne voit pas seulement l’artiste éthéré des dernières années, éprouvé par la maladie et engagé dans une recherche extrême de son et de pureté formelle essentiellement appliquée au répertoire symphonique allemand. Dans cette image surgit aussi le grand interprète de l’opéra italien, qui se divertissait avec la musique. Je me souviens par exemple quand, en tournée au Japon avec Il barbiere di Siviglia, il s’amusait avec Enzo Dara à lancer et relancer son chapeau du podium, pendant des dernières représentations. Ce n’était pas un bavard par nature, et avec la maladie, il était encore devenu plus fuyant. mais avant ces dernières années qui l’avaient affaibli physiquement, Claudio nageait, jouait même au foot; et ce qu’il ne perdit jamais de toute manière, ce fut le plaisir de faire des expériences -et même de blaguer!- avec les jeunes; avec eux il se sentait vraiment à son aise. Il se laissait aller avec l’espièglerie d’un enfant heureux.

Un artiste sévère et un homme gai alors?

Sa gaieté particulière m’a particulièrement ému quand il est revenu diriger à Florence en 2002, après avoir été frappé par le cancer et avoir affronté une opération qui l’a douloureusement marqué . Il était maigre comme un clou, et avec une  volonté incroyable à la même période, il était sur ​​le point d’affronter Parsifal au Festival de Pâques de Salzbourg. Il mangeait très peu, dans sa loge il avait avec lui un peu de banane et un morceau de chocolat. Après le concert, nous nous sommes retrouvés avec Zubin Mehta dans les coulisses à attendre qu’il réapparaisse … et voilà que sous les applaudissements réapparut cet être menu, presque transparent, qui rayonnait comme un enfant. Je me tournai vers Zubin qui n’est pas vraiment du genre sentimental … il avait les larmes aux yeux.

Probablement s’est il pris de passion pour le projet des orchestres vénézuéliens de José Antonio Abreu aussi par cette capacité qu’a la musique à sauver la vie …

Certainement l’exemple du Venezuela savait toucher la corde de l’humanité qui pour Claudio était indispensable à l’expérience musicale. Abbado a toujours affirmé le rôle social de la musique. Et de la culture en général. Malgré tout, malgré le moment présent qui n’est pas facile pour l’Italie, il regardait toujours le futur avec confiance, quelquefois même avec un regard utopique. Il nourrissait toujours l’espérance que ses projets se réaliseraient. Projets comme la construction d’un nouvel auditorium à Bologne, ou comme les 90000 arbres à planter à Milan . Lui voyait tout ça déjà réalisé, grâce à un sens visionnaire extraordinaire, qui représentait un stimulus d’une force  exceptionnelle pour sa créativité. Pendant notre collaboration à la Scala, il a conçu des cycles musicaux pour le moins pionniers à cette époque là: une rétrospective entièrement dédiée à Moussorgsky, une autre à Debussy, comprenant des oeuvres comme La Chute de la Maison Usher ou Rodrigue et Chimène. Et puis, à Berlin ou à Vienne, il  a créé des Festivals dédiés à la figure de Prométhée ou Faust, pour lier musique, arts visuels, littérature. Tous ensemble. Voilà, lui s’enthousiasmait pour cette capacité à mettre en lien et pour ce pouvoir fortement attractif de la culture.

Son processus créatif était-il méthodique ou impromptu?

Abbado avait ces deux qualités. Il se réveillait chaque matin avec une idée nouvelle, en proie à une activité imaginative fébrile, soutenue cependant par un très grand sens du concret. Claudio était animé par la vision et la volonté. À la Scala, il travaillait comme seule une personne très sérieuse pouvait le faire, et avec la même ténacité avec laquelle il a donnait suite à ses idéaux humanistes et sociaux, il étudiait l’ensemble de la connaissance musicale. Mais quelquefois, il avait besoin de s’isoler. Alors il allait à Alghero en Sardaigne où sa maison était un endroit précieux pour penser. Plus récemment,  l’hiver, il se réfugiait aux Caraïbes.

Quels  sujets le passionnaient, outre la musique?

Il avait des intérêts multiples. Il aimait la photographie, la littérature, recevait un nombre impressionnant de livres, il souffrait d’insomnies, et disait qu’il en profitait pour s’adonner à la lecture. Il avait une grande admiration pour Elias Canetti.

Abbado était vraiment le taiseux qu’il semblait être? 

Il n’était jamais trop direct. Il parlait par litotes, mais il réussissait à avoir une autorité impeccable sans jamais être autoritaire. L’éducation, la forme, c’était des enseignements qu’il avait bien hérités de son père. Ainsi élevait-il rarement la voix; il résultait extrêmement exigeant, mais avec élégance. Surtout avec les musiciens.

Selon vous, quels sont les traits musicaux qui rendaient immédiatement reconnaissable le son d’Abbado?

L’extrême clarté avec laquelle il dévoilait la partition à travers l’acte de la concertazione. Je pense par exemple au changement des couleurs des Berliner Philharmoniker au moment du passage de témoin avec Karajan.  Si ce dernier imprima une sonorité extrêmement sensuelle et hédoniste à l’orchestre, Abbado savait révéler un cadre parfaitement lisible, exprimé avec une lucidité cristalline. Son geste inspirait un parcours de clarté vers l’essence de la musique, débarrassé de tout artifice accessoire ou excessif.

Il a été souvent assimilé aux plus grands musiciens de la tradition européenne. En revanche, où se révélait son caractère italien?

Abbado était certainement un italien très atypique, mais il l’était profondément, comme Italo Calvino. Par la légèreté du geste, par la limpidité de la pensée. Il aimait l’Italie, rêvait de changements radicaux. Je me souviens quand il réfléchissait à comment on pouvait faire arriver l’eau au Sud…Il espérait toujours que notre pays puisse devenir un peu plus sérieux.

Quels amis lui furent particulièrement chers?

Il eut beaucoup d’amis spéciaux et pas seulement dans la musique. Avec Roberto Benigni et sa femme Nicoletta, c’était une amitié très vive, ils partagèrent aussi beaucoup de beaux moments à Alghero et Roberto qui connaissait bien les goûts de Claudio, lui fit cadeau de plantes magnifiques. Parmi les amis plus spéciaux connus les dernières années, il y avait aussi Roberto Saviano(1). Je me souviens que l’écrivain,  protégé par son escorte, vint plusieurs fois suivre les répétitions à Rome, à l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, et au San Carlo de Naples.

Qu’est ce qu’il nous a laissé de plus important?

Deux aspects principalement: le sérieux avec lequel affronter le travail , l’approfondissement continu de chaque partition, jusqu’au détail en apparence le plus minime et le désir de porter la musique aux jeunes, avec la fondation de nouveaux orchestres sur le modèle de l’Orchestre Mozart à Bologne.

Comment naquit le projet de l’Orchestre Mozart?

De l’idée de pouvoir réaliser la musique comme il la pensait. Avec les jeunes il aimait travailler sans règles fixes, les temps de répétitions étaient décidés ensemble, selon les exigences demandées par la préparation de chaque programme singulier. Et à Bologne il se sentait bien. Il aimait cette ville à dimension humaine, qu’il pouvait observer de sa maison qui donnait sur une vue splendide du centre historique, à Piazza Santo Stefano. Près de la basilique où a été dressée la chapelle ardente et où se sont déroulées les funérailles, dans la stricte intimité familiale. Le moment de l’adieu aussi s’est distingué par l’absolue sobriété abbadienne: Claudio s’en est allé dans une intimité austère, accompagné de la musique jouée par ses amis, entouré de quatre très beaux bouquets de tournesols. Rien d’autre. Aucun geste de Diva, aucune attitude hors de proportion. Dans le respect de quelqu’un qui parlait peu, ne faisait pas de discours et donnait rarement des interviewes. Un homme qui ne nous a laissé qu’un message de musique.

(1)Roberto Saviano, auteur de Gomorra sur la Camorra napolitaine, et depuis protégé par une escorte
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Cesare Mazzonis
Cesare Mazzonis

ANDRIS NELSONS DIRIGERA LES CONCERTS DU LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA À LA PLACE DE CLAUDIO ABBADO AU FESTIVAL DE LUCERNE CET ÉTÉ

Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival

Voici le communiqué de presse du Festival de Lucerne.

Lucerne, le 14 février 2014. Au festival d’été 2014, c’est Andris Nelsons qui dirigera le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA dans deux programmes Brahms qui avaient été conçus par Claudio Abbado en personne. « Nous sommes extrêmement ravis qu’Andris Nelsons, l’un des grands chefs d’aujourd’hui, ait accepté de diriger les concerts du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA », a déclaré Michael Haefliger, le directeur du festival. « Nous nous réjouissons en outre de pouvoir présenter les programmes Brahms projetés par Claudio Abbado. Ainsi le souvenir du fondateur du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA sera-t-il vivant dans la programmation du festival. » On entendra au concert d’ouverture, le 15 août, ainsi que le 16, la Deuxième Sérénade en la majeur, la Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre, avec Sara Mingardo en soliste, et la Deuxième Symphonie en ré majeur. Les 22 et 24 août figureront au programme le Premier Concerto en ré mineur, avec Maurizio Pollini, et la Troisième Symphonie en fa majeur.

Né en 1978 à Riga, Andris Nelsons a été « artiste étoile » du Festival de Lucerne en 2012. Il prendra la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Boston au début de la saison 2014/2015. Depuis la saison 2008/2009, il est à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, avec lequel il a fait ses débuts au Festival de Lucerne à l’été 2009. On pourra l’entendre au LUCERNE FESTIVAL à Pâques, le 12 avril, avec l’Orchestre de la Radio bavaroise, dans le Troisième Acte de Parsifal de Wagner. Cet été, il dirigera au Festival, outre le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA, le City of Birmingham Symphony Orchestra, les 30 et 31 août.

Le Blog du Wanderer précise en outre qu’Andris Nelsons avait été indiqué par Claudio Abbado dans une interview comme celui qui était à son avis le plus apte à succéder à Sir Simon Rattle au Berliner Philharmoniker.

Programme:

15 et 16 août | 18h30 | Concert d’ouverture et Concert symphonique 1 |
Salle de concert du KKL de Lucerne
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Chœur de la Radio bavaroise (Gerald Häussler direction) | Andris Nelsons direction | Sara Mingardo contralto
Johannes Brahms: Sérénade no 2 en la majeur op. 16 | Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre op. 53 | Symphonie no 2 en ré majeur op. 73

16 août | 22h00 | Late Night 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Barbara Hannigan soprano et direction musicale
Œuvres de Gioachino Rossini, Wolfgang Amadeus Mozart, György Ligeti et Gabriel Fauré

19 août | 19h30 | Concert symphonique 4 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniel Harding direction | Stefan Dohr cor
Antonín Dvořák : La Colombe op. 110 | Wolfgang Rihm : Concerto pour cor (création mondiale, commande du LUCERNE FESTIVAL, de la Philharmonie du Luxembourg et de l’Orchestre Philhar- monique du Luxembourg, de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise et de la Stichting Omroep ZaterdagMatinee) | Antonín Dvořák : Symphonie no 9 en mi mineur op. 95 « du Nouveau Monde »

20 août | 19h30 | Musique de chambre 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Ensemble de cuivres du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Steven Verhaert direction | Eriko Takezawa piano
Œuvres de Jean-Baptiste Lully, Carlo Gesualdo, Leoš Janáček et Zoltán Kodály

21 août | 19h30 | Musique de chambre 2 | Salle de concert du KKL de Lucerne Oliver Schnyder piano | Solistes du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA Œuvres de Robert Schumann, Gabriel Fauré et Johannes Brahms

23 août | 11h00 | Musique de chambre 3 | Lukaskirche

Mahler Chamber Soloists

Œuvres de Leoš Janáček, Wolfgang Rihm et Sergueï Prokofiev

22 et 24 août | 19h30 | Concerts symphoniques 5 et 7 | Salle de concert du KKL de Lucerne LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Andris Nelsons direction
Maurizio Pollini piano
Johannes Brahms : Concerto pour piano no 1 en ré mineur op. 15 |

Symphonie no 3 en fa majeur op. 90

25 août | 19h30 | Concert symphonique 8 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniele Gatti direction | Midori violon
Felix Mendelssohn : Ouverture du Songe d’une nuit d’été op. 21 |
Concerto pour violon en mi mineur op. 64 | Symphonie no 4 en la majeur op. 90 « italienne »

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L’HOMMAGE DE LA SCALA ET DE MILAN À CLAUDIO ABBADO. QUELQUES RÉFLEXIONS.

Milan, 27 janvier 2014
Milan, 27 janvier 2014

Le 27 janvier, j’étais à Milan.
N’ayant pu me rendre à Bologne, j’ai pu me libérer pour assister à cette cérémonie (voir la vidéo) dans la grande tradition scaligère, qui associe la ville (la “Cittadinanza”) et son théâtre, lors de l’hommage à un de ses directeurs musicaux disparus: Arturo Toscanini, Victor De Sabata, Gianandrea Gavazzeni eurent droit à cet hommage, c’est au tour de Claudio Abbado. L’Orchestre du théâtre joue dans une salle vide et ouverte sur la place . Cette fois-ci, sur la scène, le directeur musical , Daniel Barenboim, qui comme on le sait était un ami de longue date de Claudio,  dirigeait non pas l’orchestre de la Scala mais la Filarmonica, fondée par Claudio Abbado sur le modèle du Philharmonique de Vienne en 1982.
Daniel Barenboim et les musiciens ont donné une interprétation impeccable et très sentie de l’adagio de la Symphonie n°3, Eroica, de Beethoven, “à la Furtwängler”,  cher au coeur de Barenboim, pleine de solennité, pleine de grandeur, même au moment du fugato central, qui gardait cette monumentalité qui a bouleversé beaucoup d’auditeurs, des auditeurs silencieux, très divers: on y reconnaissait évidemment des amis, des connaissances, des spectateurs vus à la Scala (si l’on excepte les touristes et les mélomanes étrangers, 75% du public est milanais, et qui fréquente régulièrement cette salle prend vite ses repères), mais aussi des familles, des étudiants, des “anonymes” comme on dit. On entendait autour de soi “rinascità di Milano”, la renaissance de Milan, comme si, serrés autour de la mémoire de Claudio Abbado, les habitants se retrouvaient pour célébrer la ville, et pour célébrer celui qui, pendant dix-huit ans entre 1968 et 1986, en a été l’une des gloires, adulé par beaucoup, mais aussi très contesté par d’autres: la lecture de la presse de l’époque rendrait compte de l’extraordinaire violence des attaques dont il fut l’objet.
En tous cas il fut une figure à un moment où Milan, avec Paolo Grassi, Giorgio Strehler, Claudio Abbado, dictait à l’Italie sa couleur culturelle, notamment dans le spectacle vivant et où les institutions milanaises s’exportaient: on se souvient des tournées à l’Odéon du Piccolo Teatro, mais aussi de l’accord signé entre Paolo Grassi et Rolf Liebermann pour un échange régulier de productions. On a vu à l’époque à Paris et pour des raisons bonnes ou mauvaises Simon Boccanegra (Strehler, Scala), Wozzeck (Ronconi, Scala), Madama Butterfly (Lavelli, Scala), L’enfant et les sortilèges (Lavelli, Scala) tandis que Paris a envoyé Lulu (Chéreau, Boulez) au cours d’un Festival Berg qui fut l’unique événement notable de véritable échange entre les deux théâtres. Il est vrai que la réaction négative de Claudio pendant le Simon Boccanegra (il avait publiquement dit le mal qu’il pensait de l’orchestre) et la perte d’influence de Rolf Liebermann, qui n’était plus en cour auprès de la présidence de la République furent pour beaucoup dans le relatif échec de cette politique. Il reste qu’à Milan, et jusqu’à la fin des années 80 et le début de mani pulite, l’argent coulait à flot et les initiatives culturelles étaient assez nombreuses et spectaculaires, l’époque Abbado en a évidemment profité. C’est un peu ce souvenir qui flottait, un souvenir évidemment magnifié par l’émotion et la présence de nombreux nostalgiques de ce mythique Âge d’Or.
Ce fut une grande époque, mais aussi une époque féroce de luttes idéologiques, dont il reste des traces aujourd’hui: Claudio Abbado, homme de gauche, compagnon de route du PCI (Parti Communiste Italien) alors et toujours proche du PD (le Partito Democratico) n’avait plus depuis longtemps joué en usine, non plus que Maurizio Pollini, mais reste un chiffon rouge pour certains crétins: voir le titre du Il Giornale (le quotidien de Berlusconi) de ce jour qui traite Abbado de bacchetta rossa (baguette rouge)

claudio-abbado-il-giornale-prima-paginaou l’article infecte du journal Libero par un critique qui se cache sous un pseudo, qui l’attaque sur Cuba. Épiphénomènes, d’autant que les opinions bien connues d’Abbado et qu’il a toujours affirmées n’ont jamais interféré sur sa manière de faire de la musique qui elle n’est ni de gauche ni de droite. Quant à ceux qui soutiennent que c’est parce qu’il est de gauche qu’on l’honore de cette manière, laissons les nager dans leur bêtise ou leur crasse.
En tous cas, je pense que les journaux de la droite italienne ont vu non sans agacement 8000 à 10000 personnes se réunir sur la Piazza della Scala autour du chef disparu. Un tel rassemblement montre aussi quelle relation Claudio Abbado avait noué avec le public, et quelle image il avait dans la population qui ne fréquente pas forcément les salles de concert, mais qui était là ce lundi soir.
Car c’est bien là la particularité de ce chef: à la fois discret, voire fuyant, et en même temps capable de déchainer des enthousiasmes infinis et une admiration presque détachée de son activité.
On a croisé hier bien des amis, mais aussi des spectateurs connus comme “mutiani” car l’Italie sait avec génie structurer sa population en différents courants, ou clans: Abbado était lui même un tifoso du Milan AC (bien que Berlusconi en soit le propriétaire), quand d’autres soutiennent l’Inter. Cela semble en France un peu baroque, mais en Italie l’union autour du club de foot qu’on soutient a du sens. Sur ce modèle, le public de la Scala s’est au long de son histoire divisé en callassiani et tebaldiani,  en abbadiani et mutiani, demain sans doute (cela commence déjà depuis la nomination de Chailly comme directeur musical) en chaillyani et gattiani. C’est la vie pittoresque de ce théâtre, qu’ailleurs on arrive difficile à se représenter et comprendre. C’est cette réalité qui a permis aux abbadiani itineranti, lundi très nombreux, d’ailleurs objet d’un regard plutôt condescendant de notre presse musicale bien pensante, de se développer à l’ombre de Claudio. Quelqu’un l’a sussuré à la radio lors de la table ronde organisée par France Musique l’autre vendredi en disant “gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge”. Mais Claudio lui-même avait donné son placet à la création de ce club, et a continué jusqu’aux derniers jours à entretenir les contacts de manière suivie, tout simplement parce que les rapports avec lui étaient simples et amicaux et touchaient tous les sujets, il ne se gardait pas tant que ça de ses dangereux amis…
J’ai écouté d’ailleurs avec attention cette intéressante table ronde, podcastable. Je ne suis pas familier des rares choses que disent ou écrivent les journalistes français sur Claudio Abbado et j’ai parcouru d’assez loin ce qui s’est écrit en France . Je lis plutôt les grandes références de la presse de langue allemande qui l’ont toujours suivi : Frederik Hanssen (Tagesspiegel), Manuel Brug (Die Welt) et surtout Wolfgang Schreiber (Süddeutsche Zeitung) et Peter Hagmann (NZZ).
J’étais donc très curieux d’entendre une table ronde que j’ai trouvé passionnante surtout par ce qu’elle disait en creux. En creux, elle disait l’étrange rapport de Claudio Abbado avec la France: rien d’inexact, des remarques justes, et en même temps des références plutôt anciennes, qui me faisaient penser à ce qui se disait de lui dans les années 80, notamment pour ses concerts ou ses disques symphoniques, notamment pour sa froideur; quelqu’un a même parlé de “feu glacé”, oxymore que nos 10000 personnes présents lundi à la Scala apprécieront: se déplace-t-on à 10000 pour vingt minutes d’hommage à un “feu glacé”?
Ainsi, en ce qui concerne l’opéra, à part les années Scala et Verdi, peu ou pas de références: j’ai écrit quelque part dans ce blog qu’Abbado a longtemps été pour les français le chef verdien par excellence et j’ai entendu  plusieurs fois par les journalistes présents rappeler l’équation chef italien= répertoire italien: entre Verdi, Rossini, Donizetti, Bellini, Abbado a dirigé tout de même des phares du répertoire, même si les participants ont noté qu’il n’avait pas dirigé Puccini. Certes, mais je peux assurer qu’il en avait caressé l’intention.
Mais c’est à la suite d’un concert Brahms particulièrement heureux que les Berliner Philharmoniker l’ont élu et c’est plus sur Mahler qu’il a construit sa légende, notamment à la fin de sa carrière…
On a parlé à la radio de Verdi et Rossini mais les Wagner et les Mozart, Berg et Debussy n’ont pas été même évoqués, l’exhumation de Fierrabras de Schubert à Vienne passée sous silence, comme si cela ne correspondait pas à l’image qu’on voulait transmettre de lui. Et même à la Scala, Abbado a dirigé, outre Verdi, Bellini, Berg, Gabrieli, Debussy, Donizetti, Manzoni, Moussorgski, Mozart, Nono, Prokofiev, Rossini, Schönberg, Stravinski, Wagner. Réduire à Verdi/Rossini reste un peu limitatif, sinon vraiment erroné.
Autres approximations: on a évoqué en lui le “grand bourgeois” qui savait manœuvrer. Là aussi, on tombe dans le cliché, sans comprendre vraiment sa manière d’aborder les choses. Claudio Abbado est issue d’une famille de la bourgeoisie moyenne cultivée: c’est l’évolution de sa carrière, mais aussi le mariage de sa sœur Luciana avec Luigi Pestalozza, musicologue, historien de la musique, mais aussi partisan pendant la guerre et très lié au Parti Communiste qui font que la famille Abbado va pendant un temps être une référence dans la vie musicale milanaise, avec le frère Marcello au conservatoire G.Verdi, la sœur Luciana aux éditions Ricordi, et Claudio à la Scala: c’est plus une famille de bonne bourgeoisie de gauche (“radical chic” dirait-on en Italie) que véritablement de la grande bourgeoisie, mais en revanche elle pouvait assurément apparaître aux yeux des adversaires comme un clan qui verrouillait les activités musicales milanaises: il reste que Luciana Pestalozza a fait beaucoup pour la musique contemporaine à Milan et qu’au moins , comme les participants l’ont justement rappelé,  Claudio a de nombreuses fois laissé le pupitre très symbolique de la Prima du 7 décembre à des collègues: Votto (1969-70), Gavazzeni (1970-71, 1972-73), Böhm (1974-75), Kleiber (1976-77) – ils étaient très amis, Claudio portait sa montre-, Maazel (1980-81, 1983-84, 1985-86) et Muti (1982-83),  ont ouvert des saisons à la Scala .
Autre raccourci: l’habileté supposée de Claudio Abbado à gérer les arcanes de la vie milanaise. Les liens qu’il avait avec le parti communiste, mais aussi avec le parti socialiste (Paolo Grassi, sovrintendente de la Scala et son successeur Carlo Maria Badini) suffisaient dans une Italie dominée par des clans et des appuis partisans: il n’avait pas à se mouvoir. Il suffisait de vouloir pour obtenir.
De toute manière Claudio a toujours fait ce qu’il a voulu, et les faits sont têtus (comme lui): quand ils lui ont résisté, il est parti. Il est parti de la Scala quand il a senti des résistances dans l’orchestre travaillé par d’autres voix, il est parti de l’Opéra de Vienne quand la mort de Klaus Helmut Drese le Generalintendant de Vienne, avec qui il avait construit son projet,  a amené à la tête de la Staatsoper Eberhard Wächter et Ioan Holänder qui n’avaient pas du tout en tête le même projet,  il a annoncé son départ de Berlin peu après que le Spiegel eut fait état d’une fronde chez les berlinois, dont certains lui ont toujours été hostiles, (mais Guy Braunstein, ex-premier violon et Ludwig Quandt, violoncelle solo des Berliner portaient son cercueil) il a renoncé à diriger les viennois (mais Alois Posch, ex contrebasse solo des Wiener et contrebasse solo de Lucerne Festival Orchestra et de l’Orchestra Mozart portait son cercueil) lorsque les Wiener Philharmoniker ont refusé de changer leur organisation à Salzbourg pour qu’il puisse diriger tout le temps les mêmes musiciens (pour Tristan et Così fan tutte). S’ajoute à ce dernier point qu’à Salzbourg il se méfiait de Gérard Mortier et surtout n’était pas convaincu par le metteur en scène Hans Neuenfels dans Così fan tutte. Il est donc parti, en un communiqué de presse paru le 1er janvier 2000 !
Oui, il ne luttait pas, mais s’il sentait qu’il n’y avait plus consensus pour comme il le disait “faire de la musique ensemble”, ou simplement, faire les choses comme il l’entendait et comme il en avait envie, il partait ailleurs. D’ailleurs, son départ de Berlin marqua la fin de sa collaboration régulière avec des orchestres institutionnels qui ne correspondaient plus à ce qu’il attendait, après sa longue carrière.
Après Berlin, il ne dirigea que des orchestres qu’il connaissait, ou dont il avait plus ou moins choisi la composition, le Lucerne Festival Orchestra, le Mahler Chamber Orchestra (avec qui il a continué une collaboration au moins annuelle) et l’Orchestra Mozart, qu’il composait autant que de besoin, et une fois par an, les Berliner,  faisant du rendez-vous de mai un des grands moments de chaque saison .
Lorsqu’un chef de cette trempe meurt, il est évident qu’il faut revenir sur l’ensemble de la carrière, et l’on remarquera que son comportement fut singulier dès le début: pouvait-on alors ignorer qu’à 32 ans il imposa pour sa première apparition à Salzbourg (14 août 1965) la symphonie Résurrection de Mahler, au lieu d’un programme Cherubini que voulait Karajan? Et il imposa Wozzeck (en version originale) à la Scala dès 1971 dans un théâtre qui dix sept ans avant  en avait hué  la création à Milan (par Dimitri Mitropoulos et en version italienne).
En terme de parcours, les quatre participants ont beaucoup parlé de la Scala, mais peu de Vienne (sinon de Wien Modern, essentiel il est vrai), et presque pas de Berlin, sinon pour reconnaître que le choix des berlinois était judicieux après l’ère Karajan (même si cette nomination fut un coup de tonnerre). Curieusement, la période plus récente a été passée sous silence: j’ai bien entendu l’un d’eux reconnaître que ses Beethoven en DVD (2002-2003)  avaient plus de chaleur, mais c’était en même temps reconnaître qu’il ne les avait pas entendus en concert, ni à Rome, ni à Vienne (hiver 2001), ni même à Salzbourg (Printemps 2001) où il en a donné quelques uns. C’est bien là mon étonnement: comment parler de la musique d’Abbado sans rappeler d’autres concerts que grosso modo, ceux donnés à Paris, alors que c’est un chef qui ne prenait toute sa dimension qu’au concert.
Voilà pourquoi cette table ronde m’a laissé l’impression d’une considération plus convenue que vécue. Chacun a ses goûts et sans doute avait-on affaire à des critiques distanciés, ce qui est tout à fait admissible, mais à l’argumentation et aux exemples très partiels, et donc plutôt partiaux, ce qui l’est moins.
Personne n’est contraint d’aimer Abbado, mais tout de même, rester si éloigné de la réalité notamment des dernières années, où chaque apparition à Lucerne faisait événement, ou certains concerts à Berlin furent mémorables (en mai dernier, avec une Symphonie Fantastique encore dans les mémoires) m’étonne et me fait dire que Claudio, si aimé, voire adoré à Berlin, ou même à Vienne ait été mis à distance par une presse française qui ne s’est pas vraiment intéressée à sa carrière après 1990. Pourtant, les concerts de Pleyel ces dernières années avaient été accueillis par un public particulièrement chaleureux. Mais public et presse, ce n’est pas toujours la même chose.
Je ne pense pas être de parti pris (je vous vois sourire), certains programmes fractionnés ne m’enthousiasmaient pas, tous les concerts n’étaient pas des épiphanies, l’Orchestra Mozart ne sonnait pas toujours de manière convaincante (même si les dernières prestations furent vraiment exceptionnelles), mais il reste que Claudio nous surprenait toujours, notamment parce que retravaillant les partitions, il ne se répétait jamais: son Beethoven très symphonique de l’intégrale avec les Berliner parue en 2000 tranche avec l’approche dynamique et plus chaleureuse de la version suivante (les concerts de Rome de 2001) sortie en 2002-2003 en DVD et en 2008 en coffret CD, faite avec un orchestre plus réduit, plus proche d’un orchestre de Haydn que d’un grand orchestre romantique. Mais les derniers Beethoven de Lucerne marquent un retour à une approche plus symphonique.
Sa personnalité était peu ouverte à ceux qu’il ne connaissait pas, il n’aimait pas les interviews sauf de journalistes familiers ou amis (ce qui pouvait gêner ceux qui voulaient l’interviewer ou converser avec lui), il n’était ni un homme de discours, ni d’écriture, mais un homme de projets (il en fit à Milan, à Vienne, à Berlin…partout où il passa) et c’était au concert qu’il s’ouvrait et  parlait. Ses écrits (en collaboration avec Lidia Bramani par exemple) restent essentiellement d’intéressants récits d’expériences ou de souvenirs, des conversations, mais pas des moments d’une épaisseur conceptuelle inoubliable. Car s’il lisait beaucoup (j’avais vu traîner dans sa loge à Berlin un livre de Gustave Thibon au moment où il faisait Parsifal), ses lectures alimentaient la construction des projets, ses interprétations ou sa maturation des œuvres, mais pas vraiment de discours sur l’oeuvre, avec lui, on parlait de tout (notamment d’écologie ou de foot), et assez peu de musique. Il parlait d’ailleurs peu sur les oeuvres, et n’aimait pas qu’on souligne par exemple qu’il avait des compositeurs favoris. Je me souviens lorsque nous préparions une exposition autour de sa carrière, nous avions pensé insister sur Mahler en valorisant un espace spécifique: et il avait écarté cette suggestion en nous répondant : “E gli altri? poverini!” (Et les autres, les pauvres…). Cette modestie dans l’approche, il l’a toujours eue et revenait sans cesse sur le métier, en artisan plus qu’en maestro. Il revenait sur les œuvres quand il lui semblait qu’elles pouvaient encore dire quelque chose et il était aussi capable de juger sévèrement, voire de refuser de voir cités des enregistrements qu’il estimait ratés.
Son expression, sa plume, son outil, c’était l’orchestre et quand il n’a plus eu besoin de carrière, quand il a enfin pu faire ce qu’il voulait, et faire de la musique comme il voulait et avec qui il voulait, il en a saisi l’occasion. Ses dix dernières années furent donc une chance dont très peu de chefs ont pu bénéficier et qui furent un cadeau extraordinaire pour le public, notamment à Lucerne où la présence du Lucerne Festival Orchestra a changé vraiment l’ambiance des concerts, devenue familière, chaleureuse, une ambiance de confiance et de disponibilité, grâce à l’attention  de Michael Haefliger, un intendant à la fois passionné et sensible.
On peut comprendre que sa personnalité n’ait pu séduire ceux qui attendent des chefs un discours, une sorte d’enseignement sur les œuvres qu’ils abordent, les grenouilles de backstage. À Abbado il suffisait de les diriger pour faire comprendre et surtout pour faire sentir. J’ai écrit que c’était un chef synesthésique, il avait conquis le public par cette communication-là, subtile, impalpable, créatrice d’attente tendue: il y avait cette électricité dans l’air à Lucerne ou à Berlin lorsqu’il apparaissait, et de cela, nous sommes orphelins.[wpsr_facebook]

 

Appendice:
Claudio Abbado à l’opéra (Productions et non opéras en concert, systématiques à Berlin – avec une production de Falstaff à la Staatsoper Unter den Linden)

À la Scala
Manzoni: Atomtod
Donizetti: Lucia di Lammermoor
Bellini: I Capuleti e i Montecchi
Verdi: Don Carlo (2 productions), Simon Boccanegra, Macbeth, Aida, Un ballo in maschera
Rossini: Il Barbiere di Siviglia, La Cenerentola, L’Italiana in Algeri, Il Viaggio a Reims
Berg: Wozzeck (2 productions)
Nono: Al grand sole carico d’amore, Prometeo
Schönberg: Erwartung
Prokofiev: L’Amour des trois oranges
Stravinski: Oedipus Rex
Gabrieli: Edipo Re
Mozart: Le nozze di Figaro
Moussorgski: Boris Godounov
Wagner Lohengrin
Debussy: Pelléas et Mélisande
Bizet: Carmen

À Vienne (1986-1994)
Verdi: Don Carlo (répertoire), Simon Boccanegra,  Un ballo in maschera
Wagner: Lohengrin (répertoire)
Schubert: Fierrabras
Strauss: Elektra
Rossini:  Il Barbiere di Siviglia, L’Italiana in Algeri, Il Viaggio a Reims
Mozart: Les nozze di Figaro, Don Giovanni
Moussorgski: Boris Godounov, La Khovantschina
Debussy: Pelléas et Mélisande

Ailleurs (Edimbourg, Paris, Londres, Tokyo, Turin, Ferrare, Salzbourg, Berlin, Reggio Emilia, Bolzano, Tel Aviv etc…)
Bizet: Carmen
Verdi: Simon Boccanegra (3 productions), Otello, Falstaff (2 productions)
Rossini: Il Barbiere di Siviglia, Il viaggio a Reims
Debussy: Pelléas et Mélisande
Berg: Wozzeck
Strauss: Elektra
Wagner: Tristan und Isolde, Parsifal
Moussorsgki: Boris Godunov
Janaček: De la maison des morts
Mozart: Don Giovanni (2 productions), Così fan tutte, Le nozze di Figaro, Die Zauberflöte
Beethoven: Fidelio

 

 

GRAZIE CLAUDIO

Un ami à qui j’écrivais que ce matin je me sentais un peu vide m’a répondu : « Ah ! non ! Pas vide, plein du bonheur qu’on a pu engranger grâce à lui !!! ». Je n’avais pas envie d’écrire si vite, et il m’a redonné l’énergie qui ne devrait jamais nous abandonner : car Claudio, c’était la vie et l’énergie par la musique. Aucun de ses disques, aussi extraordinaires soient-ils, ne transmettra ces moments extatiques, ces moments de bonheur fou qu’il a pu nous donner en concert ou à l’opéra, ces moments où vous sortiez de la salle les jambes flageolantes, mais le sourire aux lèvres, où vous vous jetiez dans les bras des amis émus comme vous. Car Abbado c’était d’abord la musique en vie, et pas la musique en boite. Son univers on le ressentait au concert.
Une émotion pareille, seul lui a su nous la transmettre. Nous avions intitulé une petite exposition dédiée à sa carrière « Volare con la musica », voler avec la musique. L’expression est encore actuelle, Abbado a fait voler la musique pour des milliers d’auditeurs de ses concerts.
Comme d’autres artistes qui ont marqué l’histoire,  Abbado se régénérait sur le podium, il y vivait : lui le pudique, lui le discret, il communiquait d’un regard, d’un sourire, d’un geste et construisait avec les musiciens, et peut-être encore plus ces dix dernières années, un rapport étrange, intuitif, sensible, qui ne passait pas par la parole : il disait le bonheur des choses muettes. Il stupéfiait le public, mais aussi ses orchestres. La veille du dernier concert avec les Berliner, à Vienne, en 2002, pendant l’exécution de Pelléas et Mélisande de Schönberg, il pleura. Jamais nous ne l’avions vu ainsi, et certains musiciens berlinois ont porté longtemps en eux cette image.
Rappelons aussi cette incroyable « Fantastique » de Berlioz à Berlin en mai dernier. Qui pouvait imaginer la folie qui saisit la salle , et la manière dont il félicita chaque musicien dans les coulisses après le concert, comme s’il savait que ce serait le dernier.
Sans égrener ces moments de bonheur intense qui me donnent la force d’essayer de transmettre  quelque chose de cette magie-là, je voudrais revenir sur quelques traces où pour moi  émotion et bonheur, joie et bouleversement sont inextricablement mêlés : Simon Boccanegra, où l’on ne peut oublier l’orchestre de la scène finale, qui pleure avec Simon devant la mer. Il viaggio a Reims, avec son bis du gran concertato a quattordici voci, à la Scala en 1985, où il mit la salle en délire. Et ses Boris, et son Wozzeck, et son Pelléas qui fut (avec la complicité d’Antoine Vitez) un des moments qui le plus m’étreignit, notamment au moment de l’adieu à la Scala, et.. et..et..nous ne cesserons pas d’égrener le rosaire de la joie, et du souvenir intense de la communion la plus profonde.
Je m’arrêterai aussi sur des souvenirs plus récents. Le « toll » qu’un inconnu me susurra pendant la répétition générale de la symphonie n°2 de Mahler en 2003 à Lucerne, le sursaut de mon voisin à un moment (le cor lointain) de l’exécution de la 3ème de Mahler toujours à Lucerne, et ses larmes qui coulaient, les miennes ininterrompues, qui m’empêchèrent de voir lors de l’audition de « Ich bin der Welt abhanden gekommen » des Rückert Lieder de Strauss par Waltraud Meier et les Berliner en avril 2002, pour son dernier concert à Berlin en tant que directeur musical. Pièce d’une triste actualité, elle produit en moi quand je la réécoute toujours le même effet qu’au concert (mon dieu, le cor anglais de Dominik Wollenweber…). J’écoute et je réécoute, et je retrouve à chaque fois cette émotion qui m’étreint, et les larmes qui viennent: là, oui, on sent ce qu’est Abbado au concert.
5 minutes, qui vous changent une vie.
Car Abbado a changé ma vie. Il a  changé mon rapport à la musique. Il m’a appris à écouter et surtout à comprendre. Abbado n’est pas comme Boulez un pédagogue. Il ne dit rien, il n’explique rien. Mais il dit et il explique en dirigeant, et comme il dirige, il vit. C’est là sa vérité et c’est cela qu’il transmet, l’intensité, la profondeur, l’épaisseur de la vie. On ne sortait jamais indemne d’un concert d’Abbado
Abbado a changé ma vie aussi parce que sans le vouloir ni l’organiser, il a su fédérer autour de lui des gens de toutes origines sociales ou géographiques qui avaient été saisis de cette même intime conviction, de ce même rapport à la musique et sans les connaître il a créé entre eux des rapports intenses d’amitié, de complicité, de compréhension d’une très grande profondeur nés de ces émotions communes. Il a créé un rapport baudelairien : Abbado ne cesse de produire de la synesthésie.

« Le vent se lève, il faut tenter de vivre » écrivait Valéry.
Ces derniers mois, les phares de ma vie de spectateur et d’auditeur, Regina Resnik, Patrice Chéreau, Claudio Abbado sont partis. J’ai construit ma passion d’adulte autour de ces balises qui une à une deviennent des cénotaphes et qui malgré tout, évoquent et ravivent les émotions, qui elles restent bien vivantes. Comme tous les artistes, ils restent là, par-delà, au-delà, ils sont autour de moi.
C’est cette leçon de vie qu’il faut continuer à porter.
Claudio Abbado l’a portée jusqu’à l’extrême de ses forces : à Lucerne cet été, même si je le refusais, son Schubert et son Bruckner sonnaient comme une résignation. Abbado ce fut toujours pour moi une jeunesse incroyable, une énergie intacte, un sourire ineffable et bouleversant. Cet été à Lucerne, il n’y avait rien qu’une tristesse prémonitoire, que deux symphonies des adieux, inachevées comme le resteront tous les projets qu’il continuait d’échafauder : je m’en étais ouvert à quelques amis d’ailleurs, qui le ressentaient confusément et nous ne nous étions pas trompés : une fois de plus, Claudio avait parlé du haut du podium…
Alors, dans les prochains jours, nous allons lire à satiété les textes de circonstance qu’on a lus pour les autres grands disparus, les adieux officiels, les pensées préfabriquées, enfin, tout ce que Claudio n’aimait pas beaucoup . Mais nous savons bien ce que de là haut il va nous dire de sa main gauche qui dansait et de son regard enfantin et de  son doux sourire étonné.
Il va nous dire énergie, envie de construire, envie de témoigner,  envie de continuer à apprendre et à accompagner la musique. Michael Haefliger, le directeur du Lucerne Festival, disait il y a quelques années : nous ne nous posons aucune question, nous préférons faire comme s’il était éternel. Il rappelle dans son texte d’hommage une citation trouvée par Luigi Nono dans un monastère de Tolède : Wanderer, il n’y a pas de chemin. Ce qui compte c’est seulement de marcher. Si Claudio nous a quittés, le bonheur qu’il nous a offert, la générosité de son art, son regard sur le monde et sa volonté d’aller toujours de l’avant, de croire en la jeunesse, de faire naître sans cesse des projets nouveaux, d’être toujours dans l’avenir, nous restent comme de précieux dons : à nous d’aller plus loin, à nous d’y croire, à nous de continuer parce que Claudio est en nous : oui, je suis un abbadien, et aujourd’hui plus qu’hier encore, et j’en suis très très fier. En marche ! Grazie Claudio.

 

CLAUDIO ABBADO (1933-2014)

La nouvelle est tombée, on s’y attendait malheureusement.
Un peu plus tard j’essaierai d’écrire;  mais d’emblée un message de ses enfants: Claudio est avec nous tous. Il est parti pour le mystérieux voyage. Serrons nous autour de sa vie de bonheur. Nous ferons savoir où il sera possible de le saluer.
Daniele Alessandra Sebastian Misha

Claudio Abbado n’est plus. Et la musique est dépeuplée.

L’ACTIVITÉ DE L’ORCHESTRA MOZART EST PROVISOIREMENT SUSPENDUE

Orchestra Mozart et Claudio Abbado ©Marco Caselli Nirmal
Orchestra Mozart et Claudio Abbado ©Marco Caselli Nirmal

Le communiqué laconique s’affiche sur le site de l’Orchestra Mozart:

SOSPENSIONE TEMPORANEA DELL’ATTIVITA’ DELL’ORCHESTRA MOZART

A partire dall’11 gennaio

La Direzione comunica che a partire dall’11 gennaio 2014 le attività dell’Orchestra Mozart e dello Staff sono temporaneamente sospese.

Grazie  di cuore a tutti dallo staff dell’Orchestra Mozart.
________________________________________________
Suspension provisoire de l’activité de l’Orchestra Mozart
À partir du 11 janvier
La direction communique qu’à partir du 11 janvier 2014, les activités de l’Orchestra Mozart  sont provisoirement suspendues.
Merci de tout cœur à tous les membres du staff de l’Orchestre Mozart.

Nous sommes trop proches de Claudio Abbado pour ne pas être tous frappés par cette triste nouvelle qui obscurcit le début de cette nouvelle année, pour laquelle il y a peu encore nous formulions des vœux. Ainsi donc le dernier orchestre fondé par Claudio Abbado cesse (provisoirement écrit-on) l’activité. Les annulations successives de ces derniers mois et l’incertitude qui pèse sur les mois futurs ont eu raison du fragile équilibre de la structure, si fortement liée à Claudio Abbado, dont la santé inspire une forte inquiétude et pour lequel nous formulons les voeux les plus sentis, les plus forts de rétablissement prochain.
Certes, on pouvait espérer que la direction de l’Orchestre réfléchisse aux moyens de le pérenniser en faisant appel à d’autres chefs, en premier lieu à Diego Matheuz, directeur musical du Gran Teatro La Fenice, qui a la confiance d’Abbado et qu’elle construise pour cet orchestre un vrai futur. Ça n’a pas été le cas, semble-t-il pour des raisons diverses, dont la situation critique des institutions italiennes n’est pas la moindre.
Cet orchestre, nous l’avons vu naître, grandir et prospérer ces derniers temps: les concerts qu’il donnait montraient qu’il avait atteint sa maturité. Et les succès remportés, avec Haitink ces derniers mois, ont témoigné de la valeur à laquelle depuis 2004 (il atteint l’âge de 10 ans cette année) l’a porté Claudio Abbado.
Mais sa relation privilégiée à son chef, et l’affection mutuelle très forte qu’ils se portent, sa composition variable selon les concerts, mais toujours faite de musiciens familiers du travail d’Abbado, font que cette formation apparaît comme l’outil musical le plus proche, l’orchestre presque personnel du grand musicien. Comme toujours, Claudio a su installer une ambiance propice à la maturation, à la création, à la musique qu’on fait ensemble et dont on tire du bonheur: effectivement, il pouvait apparaître un peu difficile que ce dernier né et donc ce préféré puisse passer sous une autre baguette.
Et pourtant, ce fut le destin de tous les orchestres créés par Abbado, qui vivent aujourd’hui une vie complètement indépendante de leur fondateur. Pour ma part je l’appelle encore de mes voeux pour La Mozart, comme on dit familièrement en Italie. J’espère au plus vif de moi même que son activité renaîtra vite,  signe qui serait merveilleux pour tous les amis de la musique, de Bologne et du Maestro (j’emploie le mot, même si je sais que Claudio ne l’aime pas). Au cœur de Bologne l’intellectuelle, creuset d’une des plus prestigieuses Universités d’Europe, mais aussi la vivace, la joyeuse, était né ce joyau il y a dix ans qui désormais faisait partie de l’horizon musical local, mais aussi européen.
Le site des Abbadiani Itineranti  en porte même l’avenir avec ce magnifique croquis de l’auditorium de Bologne dédié à Claudio Abbado, et signé de Renzo Piano qu’on peut voir sur la page d’accueil. Abbado a toujours été en phase avec son époque, est toujours intervenu dans les débats de son temps et notamment les débats culturels et s’est toujours investi pour le monde et projeté vers le futur. Il nous faut, suivant son exemple, au-delà de la triste nouvelle du jour et des nuages qu’elle porte, espérer dans ce futur-là: dove c’è speranza, c’è vita.

Post-scriptum:
Ci-dessous une lettre émouvante que Benedetta Scandola, du staff de l’Orchestra Mozart, a écrite à tous ceux avec qui elle a travaillé au long de cette petite dizaine d’années:

Chers tous
On nous a communiqué que l’activité de l’Orchestre Mozart et du staff est provisoirement suspendue à partir du 10 Janvier 2014.
Après 9 ans et demi de travail à l’Orchestre Mozart je suis très affectée par ce communiqué que je peine encore à réaliser et à comprendre. Avec ces quelques lignes je tiens à dire merci à chacun de vous pour le travail accompli ensemble : avec certains nous avons partagé beaucoup de choses, avec d’autres nous nous sommes seulement croisés, mais je conserve dans mon cœur et dans mon esprit des souvenirs beaux et précieux de chaque projet, de chaque rencontre et de bien des visages. Claudio nous enseigne que c’est la générosité qui nous enrichit, et il a fondé le travail avec nous dans cette optique, désirant que chacun de nous donne le meilleur de lui-même sur cette base : maintenant quand je me retourne sur ces années passées à La Mozart, je vois à l’évidence que j’ai beaucoup reçu et si j’ai acquis des compétences dans mon travail je le dois à vous tous. Je tiens à dire un merci tout particulier à Claudio pour tout ce qu’il m’enseigne et me donne, à chacun de mes collègues pour avoir partagé en profondeur et intelligemment le travail et la fatigue, aux musiciens de l’orchestre pour toute la musique qu’ils nous ont offerte et les aventures vécues ensemble.
J’espère que nous réussirons à nous rencontrer très vite, à ne pas nous perdre de vue.
Merci à tous, je vous embrasse

Benedetta Scandola

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