OPERNHAUS ZÜRICH 2013-2014: DIE SOLDATEN de Bernd Aloïs ZIMMERMANN le 26 OCTOBRE 2013 (Dir.mus: Marc ALBRECHT, Ms en scène Calixto BIEITO)

Triomphe final

Bis repetita placent.  Encore une fois quand on aime on ne compte pas.
Impressionné, voire secoué par ce spectacle vu le 4 octobre, je suis retourné le voir pour plusieurs raisons: réentendre cette musique qu’on a besoin d’installer dans l’oreille, réentendre les chanteurs et surtout vérifier si l’impact du spectacle était aussi fort à la seconde vision qu’à la première.
Tout s’est vérifié.  L’orchestre de l’Opéra de Zürich est  vraiment remarquable, et cette ville a beaucoup de chance de disposer en son sein de deux phalanges aussi talentueuses que l’orchestre de la Tonhalle et l’Orchestre de l’Opernhaus (Philharmonia Zürich), ce n’est évidemment pas tant dans les moments explosifs qu’on peut écouter au mieux, mais dans les moments plus retenus, notamment au début de la seconde partie, après la pause, où on peut apprécier à la fois les nuances, la légèreté de sons à peine perceptibles, des bois remarquables (flûtes notamment), le tout malgré un dispositif complexe où le chef est n’est pas visible par tous les musiciens, jamais visible pour les chanteurs même s’ils ont à disposition six écrans sur lesquels ils peuvent le suivre, et un assistant qui donne les départs au centre du premier rang d’orchestre. Malgré toutes ces difficultés, pour autant qu’on en puisse juger, une précision et une exactitude qui laissent rêveur.
Mérite des musiciens, visiblement ravis de l’entreprise, visiblement en phase avec le chef, totalement engagés dans l’aventure, mérite du chef, qui domine cette partition impossible , mérite d’une entreprise où théâtre et musique sont si intimement liés que l’engagement doit être totalement partagé par tous pour que l’ensemble puisse fonctionner.
Dans la belle interview que Marc Albrecht donne dans le programme de salle, il précise qu’il a assisté dans sa jeunesse à toutes les répétitions de l’opéra lorsque son père, le chef Georg Alexander Albrecht, l’a programmé à Hanovre. D’emblée, il déclare que c’est “une de ces oeuvres que l’on n’oublie jamais”. Il affirme par ailleurs que c’est une œuvre sans cesse aux frontières de l’impossible, artistiquement et techniquement: une complexité à laquelle on se heurte sans cesse, car c’est une sorte d’œuvre d’art totale, qui fait appel à tous les styles de musique, qui demande à l’orchestre une énorme plasticité, à cause aussi de tempos complexes, ultra rapides, différents selon les groupes de musiciens. Le résultat en est une prise sur le public à chaque fois vérifiée, alors que ce type de musique n’est pas a priori populaire. Ainsi à Zürich dont le public ne peut être considéré comme un public d’avant garde: le triomphe final, les longs applaudissements, les rappels infinis, la standing ovation finale, l’exclamation de la salle qui s’apprêtait à quitter le théâtre en voyant le rideau se rouvrir une dernière fois, tout cela montre quel moment ont vécu les spectateurs et comment ils ont reçu le spectacle.
En l’ayant déjà vu, et même en s’attendant aux événements, on reste encore frappé par la violence de cette musique, par la manière qu’elle a de nous posséder, de nous pénétrer, de nous assommer. Car comme la première fois, j’en suis sorti un peu flageolant et secoué, et il m’a fallu du temps pour émerger; d’ailleurs, le parvis est resté longtemps parsemé de petits groupes de spectateurs qui continuaient d’échanger entre eux.
Ayant rendu compte de manière assez détaillée de l’ensemble dans mon précédent article, je ne vais ni m’attarder ni me répéter, mais je voudrais encore souligner la performance exceptionnelle de Susanne Elmark en Marie, voix puissante, large, dramatique, incroyablement engagée (c’est elle qui reprendra le rôle à Berlin), de Michael Kraus en Stolzius, intense, tendu, prodigieux de puissance et d’émotion, de Pavel Daniluk en Wesener, voix profonde, colorée d’une grande humanité, de Peter Hoare en Desportes, peut-être ce soir encore meilleur que le 4 octobre, avec une sacrée ductilité dans la voix, de Julia Riley en Charlotte vibrante et naufragée, sans oublier Hanna Schwarz, toute de dureté et de violence rentrée, avec des graves encore étonnants, et Cornelia Kallisch, qui chante sa partie comme un Lied. En fait, ils sont tous remarquables, il n’y a aucun maillon faible dans cette production. Merci, merci.

C’est pourquoi il reste pour moi un grand mystère et une grande désolation, c’est le silence de la presse française sur cette production. Certes, la place de la musique classique et de l’opéra dans notre presse quotidienne est réduite à la portion congrue, et les espaces dédiés aux quelques comptes-rendus critiques se réduisent comme peau de chagrin, ce qui transforme le plus souvent la substance des articles en un “j’aime/j’aime pas” peu conforme à l’idée même de critique. Quand on compare les espaces dédiés à la critique de spectacle dans la presse allemande ou anglo-saxonne, on est édifié sur l’état de notre presse écrite française et sur l’état de la critique.
Je me souviens guettant les articles de Jacques Longchamp dans Le Monde quand j’étais étudiant. Il n’y a hélas plus grand chose à guetter aujourd’hui qu’une superficialité totalement insignifiante : à quoi sert la presse écrite, si elle ne donne pas du temps et de l’espace à l’analyse fine, à quoi servent les pages culturelles si elles ne stimulent pas la curiosité, si elles ne prennent pas le risque de l’ailleurs, si elles n’emmènent pas le lecteur là où il n’aurait pas forcément l’idée d’aller?
Je conviens que la musique dite classique reste une niche peu fréquentée ou peu labourée en France, je conviens que l’opéra n’a pas réussi à devenir un art populaire: à marché réduit, espace réduit. Mais le rôle de la presse ne serait-il pas d’aller à contre courant plutôt que d’épouser les tendances?
Dans ces conditions, effectivement, il n’y avait aucun intérêt à se déplacer à Zürich pour aller voir Die Soldaten: on ne va pas se déplacer pour une œuvre à peu près inconnue, créée à Lyon (1) en 1983 pour 5 représentations (par l’Opéra de Lyon  à l’auditorium Maurice Ravel, à cause des masses nécessaires, dans une mise en scène de Ken Russell et dirigée par Serge Baudo), puis 2 fois à Strasbourg en 1988 dans la production de Stuttgart de Harry Kupfer et 6 fois à Paris (Bastille) pendant la saison 1993-94  dans la même production (soit respectivement 18, 23  et 28 ans après la création) et dirigée par Bernhard Kontarsky comme à Strasbourg: 13 représentations en 48 ans ( la création remonte à 1965) d’un opéra reconnu comme l’une des grandes œuvres du XXème siècle…
On ne va pas se déplacer pour un metteur en scène, Calixto Bieito qui n’a jamais travaillé en France et donc inconnu du grand public, alors qu’il est célèbre ailleurs et qu’il travaille dans bien des pays d’Europe.
On ne pas pas se déplacer pour un chef peu connu en France, Marc Albrecht, qui a peu travaillé à Paris sinon en  2002  pour Juliette ou la clé des songes et en 2005 pour De la maison des morts.
On ne va pas faire 4h de TGV pour aller voir et entendre des inconnus n’est-ce pas? D’autant que la distribution ne contient aucun artiste fameux à Paris…

Cette totale absence de curiosité m’effraie de la part d’institutions (presse et médias) qui devraient au contraire être à l’affût des choses, et j’y vois un signe non seulement de dessèchement, mais un signe inquiétant de fermeture. Aller voir ailleurs, comparer, ramener des expériences, donner des idées, stimuler nos institutions culturelles, tel devrait être le rôle de la presse: un rôle d’aiguillon. Au lieu de cela on a une presse culturelle le plus souvent poudre aux yeux, une presse de surface et non de contenus. Nos grandes institutions culturelles de spectacle, Comédie Française et Opéra dans lesquelles grande part du budget du Ministère de la Culture est engloutie, ont renoncé à toute véritable politique artistique, sinon celle du chiffre et de la banalité consensuelle. Si les établissements publics n’ont plus pour fonction d’être un fer de lance, de donner des orientations, d’explorer des voies nouvelles, qui le fera? Et qui devrait les pousser à le faire, sinon la presse culturelle qui se contente d’épouser les tendances, les modes, une presse suiveuse et non éclaireuse.
Oui, je trouve pitoyable qu’il ne se soit pas trouvé un journal de surface nationale capable de payer à un journaliste un Paris-Zürich en TGV et une nuit d’hôtel pour aller voir ce spectacle.
Oui je trouve pitoyable qu’on en soit encore à penser que Paris est en matière de spectacle ou de musique une référence telle qu’on ne cherche pas à voir ce qui se passe ailleurs, alors que ces dernières années la plupart des spectacles européens marquants ont eu lieu ailleurs.
Oui je trouve pitoyable qu’on reste encore si hexagonal, si français, alors qu’il n’y a pas de culture plus européenne que celle du théâtre et de la musique dite occidentale: tout a toujours circulé, tout a toujours bougé, tout a toujours voyagé.
Oui, je trouve pitoyable que notre presse culturelle n’ait plus de rôle intellectuel porteur d’idées, de contradiction, mais seulement un rôle de porte-voix, et trop souvent de porte-voix du conformisme.

Le théâtre a toujours eu une fonction sociale, et ce qui s’y passe est toujours un symptôme: quand il ne s’y passe rien, et que la presse ne va pas là où il se passe quelque chose, c’est signe que les choses vont mal, c’est qu’elles se recroquevillent: ce n’est pas de la tristesse qui me saisit, c’est de la colère.

(1) Un grand merci à Jean Spenlehauer, chargé d’édition à l’Opéra de Lyon, de me l’avoir rappelé. Notons au passage  que c’est Lyon et Strasbourg, bien avant Paris, qui ont pris l’initiative de présenter cette oeuvre en France.
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Saluts, Marc Albrecht salue l’orchestre

 

 

OPERNHAUS ZÜRICH 2013-2014: DIE SOLDATEN, de B.A.ZIMMERMANN le 4 OCTOBRE 2013 (Dir.mus: Marc ALBRECHT, Ms en scène Calixto BIEITO)

Prologue © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Il y a des soirées qui vous laissent à genoux, tellement secoué que vous avez les jambes en coton, tellement fasciné que vous n’avez qu’une envie, c’est de revenir.  En voilà une qui me marquera, et pour longtemps.

Car musicalement, scéniquement, vocalement, c’est une des productions les plus impressionnantes, les plus intelligentes, les plus frappantes qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années. J’étais resté sur la magnifique production salzbourgeoise, une fresque qui s’étalait aux pieds des arcades de la Felsenreitschule, avec un orchestre multiplié d’une précision phénoménale qui témoignait du gigantisme de l’entreprise. Ici ce n’est pas une fresque qu’on regarderait en spectateur, c’est un viol collectif qui vous implique, vous heurte, vous bouscule, qui casse les stucs de la salle de l’opéra de Zürich, qui casse les rapports scène salle, intrusion de l’insupportable dans le cocon de la bonbonnière zurichoise. Un énorme choc qui vous laisse assommé et en même temps si fasciné et si drogué par cette musique qu’elle en devient addictive, oui vous sortez sur l’esplanade de l’Opéra et vous avez un désir fou de revivre ça et notamment la dernière image,

Scène finale © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Marie dégoulinante de sang les bras en croix, en contre jour (très beaux éclairages du français Franck Evin), pendant que les tambours (et les bandes sonores, qu’il n’ y avait pas à Salzbourg) rythment de manière obsessive à la limite du supportable la mort/transfiguration (ou le martyre) de l’héroïne.

© Monika Rittershaus /Opernhaus Zürich

Voilà un spectacle total, où s’entremêlent la musique et le chant, les paroles, le théâtre, les présences, les images vidéo, et l’orchestre, avec sur scène souvent les percussions au milieu des chanteurs, comme un personnage de plus: Bieito a habillé l’orchestre en soldats, le chef arrive en treillis, et il n’y a plus de différence entre un musicien et un personnage. J’ironisais il y a peu sur l’utilisation du noir, couleur des musiciens dans l’Alceste de Gluck mise en scène par Py, qui lui aussi met l’orchestre sur scène, mais avec un tout autre résultat (un  spectacle qui apparaît au regard de celui-ci d’un conformisme confondant); ici au contraire on oublie l’orchestre, visible et invisible dans le dispositif scénique: visible parce que cette masse impressionnante est bien là, invisible parce que la musique est tellement insérée voire tissée dans l’action qu’on l’oublie. Nous sommes vraiment au coeur de la Gesamtkunstwerk chère à Richard Wagner.
Pour bien comprendre ce travail, il faut partir de l’espace à disposition. La salle de Zürich est une salle du XIXème, plutôt petite par rapport aux grands opéras comparables; une salle pleine de stucs, de putti, une sorte de pièce de pâtisserie. Le plateau n’est pas immense non plus, sans grands dégagements latéraux, puisque les décors sont entreposés dehors sous des bâches. Impossible d’y loger les masses gigantesques exigées par cette oeuvre dans un cadre traditionnel fosse/scène/salle.
Alvis Hermanis à Salzbourg était lui aussi parti de l’espace, de ce manège de rochers qui entoure une scène sans dégagement où tout est espace de jeu, et qui est décor écrasant et omniprésent, une scène tout en largeur, avec des gradins disposés frontalement. Il a opté pour la fresque, pour la multiplication des espaces, pour le déroulement des scènes sur toute la largeur du plateau, avec un orchestre gigantesque étalé en largeur lui aussi. Le spectateur n’a plus qu’à regarder le spectacle, il est seulement spectateur de cette immense machine, traitée comme une fresque où chaque scène prendrait place dans une sorte de niche, avec une luxuriance de détails où l’oeil finit par se perdre, mais avec des moments de grande fascination et de grande beauté.

Le dispositif global © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Bieito dans l’espace réduit de l’Opernhaus opte pour l’inverse, pour un spectacle complètement concentré, avec espace de jeu unique et disposition de l’orchestre en hauteur sur une immense structure métallique jaune sur le plateau (décor de Rebecca Ringst), pendant que les chanteurs évoluent sur la fosse recouverte. Dans cet espace réduit, l’impression de proximité est multipliée, que vous soyez à l’orchestre ou dans les balcons, vous êtes toujours ou près du jeu, ou près de l’orchestre dont le son vous arrive directement plus vous êtes en hauteur, ou près des écrans vidéo qui sont en fond de scène, en hauteur ou sur les côtés du proscenium. Où qu’il soit, le spectateur se sent concerné, se sent prisonnier, se sent pris au piège. De plus, la structure métallique jaune et laide, un peu comme une structure de grue, se confronte aux stucs de la salle, elle les agresse (d’ailleurs à la fin un des personnages détruit quelques putti), elle les dérange, c’est comme une sorte de viol d’espace: ce spectacle ne saurait se dérouler dans une salle “moderne”, il n’aurait pas cette force de contraste, il ne violerait rien du lieu: s’il venait à Paris (on peut rêver, n’est-ce pas?), il lui faudrait Garnier et non Bastille.
Quelles sont les conséquences musicales d’une telle option (la seule possible au vu de l’espace disponible) et d’un tel dispositif? D’abord, il faut garantir la précision dans le suivi des chanteurs qui ne voient pas le chef et que le chef ne voit pas: il y a certes plusieurs écrans de contrôle, mais en plus, à la place habituelle du chef d’orchestre ou peu s’en faut (au milieu du premier rang), le souffleur donne les attaques en suivant les mouvements de Marc Albrecht sur écran , c’est sur lui que repose la cohérence scène-orchestre: on se souvient que lorsque Joseph Losey avait imaginé un dispositif similaire pour son Boris Godunov à Garnier, les décalages entre les chanteurs, les choeurs et  l’orchestre avaient été très fréquents, notamment pendant les premières représentations.
Pour les spectateurs,  selon les places, le son de l’orchestre doit sans doute être sensiblement différent. J’étais en bas, au 8ème rang et le son m’est apparu au départ particulièrement transformé, avec des voix au premier plan très fortes, et un orchestre au fond (et en hauteur) dont le son arrivait légèrement étouffé, en tous cas au second plan. À Salzbourg, on avait l’impression (et pas seulement l’impression) d’un orchestre écrasant, de masses infinies, et tout le monde avait admiré Ingo Metzmacher pour la précision avec laquelle il menait les Wiener Philharmoniker dans une oeuvre nouvelle pour eux qui ne jouent pas Zimmermann tous les soirs à Vienne…
À Zürich, l’orchestre est distribué en hauteur sur plusieurs niveaux, et pour partie les percussions sont sur des chariots sous le dispositif général, et viennent lentement quand c’est nécessaire du fond de scène (comme la plupart des participants) comme émergeant d’un tunnel brumeux, pour arriver finalement sur le plateau au milieu des chanteurs. Et donc le son a plusieurs niveaux, une grande présence des percussions quand elles sont sur le devant, un son des “tutti” plutôt modéré, mais en même temps une clarté étonnante de l’ensemble: ainsi entend on les citations de Bach ou les moments de jazz de manière beaucoup plus nette qu’à Salzbourg où c’était un peu noyé dans l’ensemble, mais sans qu’elles apparaissent pourtant mises en valeur ou soulignées, mais naturellement insérées comme le désirait Zimmermann; l’orchestre de jazz était aussi quelquefois sur la scène, notamment au moment de la première apparition des soldats, ivres d’alcool, de sexe, et de violence qui torturent un pauvre hère pendu au milieu. D’où un résultat où tissu musical et tissu scénique s’entremêlent, se tressent (c’est bien de tissu qu’il s’agit). Le flot musical est global, mais la présence  des voix au premier plan donne au théâtre une importance décisive. Elles apparaissaient toutes avec beaucoup de relief, volumineuses, imposantes, et malgré une mise en scène très physique, où les corps sont mis à contribution, se roulent dans le sang ou la boue, sautent, courent, s’écroulent, se frappent, on reste stupéfait de la qualité d’ensemble de la diction et admiratifs devant l’engagement de  tous. C’est bien d’une violence globale qu’il s’agit, au sens où si elle est figurée avec un réalisme d’une rare crudité par les acteurs chanteurs, elle est reçue en direct par les spectateurs qui la prennent comme une gifle – certains même en quittent la salle, ou comme une sorte de catharsis du sanguinaire. Evénement cathartique pour sûr, qui assume pleinement sa dimension grand-guignolesque: mais le Grand Guignol est aussi catharsis.

La vision d’Hermanis à Salzbourg restait relativement sage (et à distance, trop sage peut-être) : il nous racontait l’histoire d’une jeune fille victime de ses illusions, Marie, dans un monde déjà lointain (la première guerre mondiale) et l’histoire de sa chute. Ce qui frappait, c’était la beauté de l’ensemble orchestre-scène, c’était la précision du décor, c’était les différents lieux, c’était le jeu des premiers et second plans: en bref, le regard était sans cesse sollicité, et l’audition de l’oeuvre prenait place dans un rapport scène/salle traditionnel: un opéra énorme, mais qui restait un spectacle, et un grand spectacle.
Ici, c’est tout à fait différent. D’abord, Bieito a choisi une ambiance contemporaine: nous sommes aujourd’hui, hic et nunc. Les chanteurs étant pratiquement dans la salle, le spectateur reçoit la violence en plein visage, en pleine oreille, il voit et entend une sorte de mécanique effrayante qu’on entrevoit dès le départ, lorsqu’avancent pendant le prélude tous les personnages marchant au pas du fond vers le proscenium, toute une société , femmes et hommes, comme militarisée, dans la première scène également où évolue Marie côté jardin, en petite fille innocente (couettes, jupe d’enfant sage à la France Gall chantant “Annie aime les sucettes”, c’est à dire pas si sage que ça)  en dialoguant avec sa soeur Charlotte, tandis que Stolzius (le promis de Marie) à droite côté cour en pyjama, l’oeil fixe, est appuyé contre la structure métallique, s’y cogne,  d’où un filet de sang sur le visage.

 

Marie (Susanne Elmark) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich


Le contraste est déjà là, qui nous indique l’avenir. Sur les écrans vidéo, dès le début aussi, un visage de petite fille blonde angélique: toute la première partie est construite sur le contraste entre une toute jeune fille vivant ses premiers émois, écoutant avec envie les boniments d’un soldat aristocrate (Desportes) qui va finir par la posséder (en tous les sens du terme), et un monde où toutes les femmes sont des objets, des putes, des filles à soldats (Soldatenmenschen):

L’andalouse © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

l’apparition au milieu du groupe de soldats ivres de la femme andalouse (jouée par la chorégraphe du spectacle, Beate Vollack, une silhouette fascinante présente tout au long de la soirée) qui danse de manière lascive au milieu de la soldatesque constitue une figure antagoniste de ce qu’on voit en Marie. Mais dans la deuxième partie, Marie est adulte, elle s’habille et se coiffe en adulte: Bieito insiste notamment sur les relations violentes à sa soeur, et évidemment, de déchéance en déchéance, Marie, se retrouve dans la scène finale presque nue, offerte, et on lui verse un seau de sang sur le corps. La dernière image est terrible, au son du tambour et de la bande sonore qui produit des bruits de guerre, elle s’offre, ensanglantée, bras en croix, devant le public. Une image qui répond en écho à la première du spectacle où tout le monde marche au pas. Bieito montre une société dont les soldats ne sont que la métaphore: une société qui ne fonctionne que par la violence, que par le viol, que par l’agression; cette question traverse d’ailleurs tout son travail depuis longtemps: cette lecture du monde  ne peut que heurter celui qui vient à l’opéra pour se “distraire”, cette lecture est leçon.

Pas de vedettes dans cette distribution très homogène, où, comme je l’ai souligné, les voix, par leur position, sont mises en valeur.

Stolzius (Michael Kraus) et sa mère (Hanna Schwarz) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Au premier plan le Stolzius de Michael Kraus, belle voix profonde de baryton basse, à l’articulation et à l’expressivité exemplaires, avec un jeu légèrement halluciné qui en fait un personnage à la fois étrange et très attachant, magnifique composition, comme celle du Wesener (le père de Marie) de Pavel Daniluk, une très belle voix de basse  appartenant à la troupe de Zürich depuis 14 ans.

Pavel Daniluk (Wesener) et Marie (Susanne Elmark) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Il compose un beau personnage, très émouvant dans ses scènes de l’acte I, tant avec Marie qu’avec Desportes (Peter Hoare,  qui réussit à contenir ce personnage de séducteur dans une sorte de médiocrité que seul l’uniforme fait reluire: apparaît d’autant plus la naïveté de Marie), signalons aussi le Mary d’Oliver Widmer, lui aussi pilier de la troupe de Zürich.

Marie (Susanne Elmark) & Desportes (Peter Hoare) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Mais ce sont surtout les personnages féminins qui me paraissent être, plus que les hommes des silhouettes fascinantes, et en premier lieu la Marie de la soprano danoise

Marie (Susanne Elmark) et Desportes (Peter Hoare) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Susanne Elmark qui faisait ses débuts à Zürich et dans ce rôle particulièrement exposé pour un soprano colorature: rarement on a vu une chanteuse  se mettre en danger de la sorte et se donner à un rôle, corps et voix. La voix est forte, bien posée, avec une diction parfaite, et une très belle présence, même si son côté “petite fille perverse” est peut-etre un trop appuyé (mais sans doute Bieito l’a-t-il voulu ainsi) dans la première partie. Susanne Elmark fréquente à la fois les rôles traditionnels de colorature (on la verra cette année à Amsterdam dans Fiakermilli), mais aussi la musique d’aujourd’hui où ce type de voix est fréquemment utilisé. À retenir et à revoir.
J’ai dit combien le rôle joué par Beate Pollack (l’andalouse), muet, était frappant de présence continue: une belle personnalité scénique, fascinante, marquante, troublante qui traverse tout le spectacle.
Tout comme la Comtesse de la Roche de Noëmi Nadelmann, une vraie figure, une grande et belle voix, très expressive, une apparition très forte dans son personnage à la fois aristocratique et un peu déjanté, là où Gabriela Beňačková l’an dernier à Salzbourg était une sorte de douairière statufiée.

Noëmi Nadelmann (Comtesse de la Roche) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Les figures de femmes sont soignées: elles apparaissent souvent dans des flashes pleins d’émotion contenue, comme Cornelia Kallisch (la mère de Wesener), se traînant avec son cathéter et gratifiant l’auditeur de cette diction parfaite et d’une expression à la fois simple et soignée, très marquante, qui a un effet immédiat sur le public.

Cornelia Kallisch (au 1er plan) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Cornelia Kallisch est elle aussi une des grandes personnalités de la troupe de Zürich, une de ces chanteuses qui a fait une carrière discrète, mais qui remporte à chaque apparition  un énorme succès (je me souviens sur cette même scène d’une Madelon (!) d’André Chénier proprement bouleversante): une grande artiste.

Marie (Susanne Elmark) & Charlotte (Julia Riley) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Bieito a particulièrement travaillé aussi la relation aigre entre les deux soeurs, Marie et Charlotte, et propose une Charlotte à la jolie voix (Julia Riley)  physiquement conformée, un peu terne, sage, un peu moralisatrice à l’opposé de Marie: la relation entre les deux, traitée assez superficiellement à Salzbourg par Hermanis, est ici d’une rare violence, y compris physique.

Marie (Susanne Elmark) et Charlotte (Julia Riley) © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Je garde pour la fin la “surprise” Hanna Schwarz, la Fricka de Chéreau à Bayreuth, que j’ai vue dans tant de rôles wagnériens dans les années 70 et 80 (Fricka, Brangäne, Waltraute)  mais aussi dans Preziosilla de la Forza del Destino. Elle est la mère de Stolzius, et au-delà de la performance vocale, honorable, c’est l’émotion des grands souvenirs qui émerge et qui envahit. Encore une raison de marquer cette soirée.

Hanna Schwarz, la mère de Stolzius © Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

On a dit quelle perfection émergeait de l’orchestre de Ingo Metzmacher à Salzbourg. On a dit aussi quelle complexité présente le dispositif de Zürich pour l’orchestre, complètement éclaté . On doit souligner la performance de l’Orchestre de l’Opéra de Zürich (appelé Philharmonia Zürich), totalement convaincante  malgré les difficultés du dispositif , avec une exactitude et une précision remarquables, un son d’une clarté confondante, et un engagement à souligner; il est vrai que Marc Albrecht a su mener à bien le travail qui a abouti à cette qualité exceptionnelle. Une fois de plus, ce chef quelquefois un peu sous estimé montre qu’il doit compter dans la galerie des grands chefs d’opéra: ce qu’il a fait ce soir dans Die Soldaten est tout à fait extraordinaire, pas un décalage, pas une scorie, mais au contraire un discours qui rend l’oeuvre (presque) transparente,  d’une lisibilité rare en gardant tout au long à la fois tension, dynamisme et énergie: c’est prodigieux.
Quant à Calixto Bieito, il signe là pour moi l’un de ses spectacles les plus accomplis.  Il travaille en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Espagne…on se demande bien pourquoi il ne travaille pas en France… J’apprécie ce metteur en scène, quelquefois provocateur, mais jamais gratuit, mais toujours très cohérent, mais toujours très logique, qui sait donner une direction claire et souvent originale aux oeuvres auxquelles il se confronte. Ici point de provocation: le texte dans toute sa crudité et sa violence, et un regard glacial, métallique, chirurgical sur l’horreur du monde, et sans concession sur l’horreur d’une certaine humanité, quand le trop humain et l’inhumain se confondent et se vautrent ensemble dans la boue sociale.

Soldatesque…© Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

Vous l’avez compris, ce début de saison est éclairé par cette production phare qui ne peut qu’emporter l’adhésion et qui laisse loin derrière bien des productions décoratives:
C’est pour les coeurs mortels un divin opium !  dirait Baudelaire

Filez en TGV à Zürich (dernière le 26 octobre, il y a encore des places pour toutes les représentations) ou rendez-vous à Berlin, Komische Oper, en juin prochain: si vous manquez ce spectacle écrasant, vous manquerez à vos devoirs de spectateur curieux et de mélomane passionné.
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© Monika Rittershaus / Opernhaus Zürich

 

 

MÜNCHNER OPERNFESTSPIELE 2013 / BAYERISCHE STAATSOPER: BORIS GODUNOV de Modest MUSSORGSKI le 26 juillet 2013 (Dir.mus: Kent NAGANO, Ms en scène: Calixto BIEITO )

Partie I Tableau 1© Wilfried Hosl/Bavaria State Opera
Il y a des années que je n’ai entendu un Boris Godunov. Je crois bien depuis le fantastique Boris  dirigé par Abbado à Salzbourg (Mise en scène Herbert Wernicke) dans les deux éditions  (1994 et 1998) , ce qui ne nous rajeunit pas. On a plus vu récemment des Khovantchina on a  même vu  Salammbô. Mais de Boris, qui était pourtant le cheval de bataille que les théâtres représentaient assez régulièrement, moins de traces (une production de Kokkos à Vienne en 2007 sous la direction de Daniele Gatti). Personnellement, j’ai vu une production à Londres (version Rimski) en 1974, avec Nicolaï Ghiaurov, dirigée par Edward Downes, puis celle de la Scala avec Abbado, en 1979, dans la mise en scène de Iouri Lioubimov (version originale), puis celle de Paris (Joseph Losey, avec Ruggero Raimondi et dirigée par Rouslan Raytcheff dans la version Chostakovitch) où l’orchestre était sur scène sous une couronne géante (décor de Gilles Aillaud), puis celle de Tarkovsky à Vienne (Abbado) en 1991, une édition du Bolshoï en tournée à la Scala qu’il vaut mieux oublier en 1989, une production de Yannis Kokkos à Bologne, puis enfin les deux fois celle de Wernicke à Salzbourg (toujours Abbado). Depuis 1979 et Abbado, je n’ai entendu que la version originale de Mussorgski (version 1872, avec l’acte polonais), sauf celle de Paris (Chostakovitch) et je crois celle du Bolshoï en 1989. Des productions vues, trois me sont restées dans le coeur, pour des raisons différentes: celle de Losey, qui avait placé l’orchestre au fond, et qui faisait se dérouler l’opéra sur la fosse d’orchestre couverte de Garnier, donnant une proximité inconnue jusque là aux chanteurs, avec un Ruggero Raimondi époustouflant, celle de Iouri Lioubimov, qui rendit à mon avis à Boris Godunov son aspect presque rituel, dans une structure de décor qui imitait les icônes russes avec au centre une icône de la vierge, et tout autour des espaces pour les différentes scènes, comme ces icônes russes qui racontent des vies de saints ou les scènes de la bible, et celle de Herbert Wernicke, la plus impressionnante, qui replaçait l’histoire de Boris dans la longue lignée des tsars et des secrétaires généraux du parti de l’URSS, et donc remettait en perspective l’histoire de Boris avec celle du pouvoir en Russie, et celle des relations de ce pouvoir au peuple. La scène du couronnement, avec cette cloche géante au centre, et l’arrivée de Boris entouré des membres du “comité central” était inoubliable, ainsi que la scène finale avec l’innocent. Il en existe des vidéos, à voir séance tenante.
La production de la Bayerische Staatsoper de Calixto Bieito se place dans ce sillon-là, celui d’une analyse politique à l’éclairage de la vie politique d’aujourd’hui et des manifestations du pouvoir, face aux peuples trompés, vision noire, très noire de l’illusion démocratique. C’est sans nul doute l’une des grandes productions de ce temps, qui génère une tension et une amertume extraordinaires. Kent Nagano dirige la version originale de 1869, sans acte polonais, une version qui ressemble à une icône sonore. Je reviens à l’idée géniale de Lioubimov en 1979 qui construisait sur la scène cette icône géante racontant la vie de Boris, comme une sorte de passion avec ses stations, conduisant à l’issue fatale. Il y a un peu de cela dans cette version originale, où en quelques tableaux très concentrés, le parcours de Boris est présenté, elliptique, en quelques scènes, et de manière étonnante, plus concentré sur les contextes que sur Boris lui-même qui intervient trois fois, sur trois tableaux, le couronnement, l’exercice du pouvoir résumé en deux moments, une scène privée, leçon à son fils sur la politique suivie de la scène très politique avec Shuiski qui se conclut par son premier délire. Et enfin la mort. Tout le reste raconte et le peuple, et la montée en puissance du faux Dimitri. À peine le couronnement achevé, commence la genèse de la chute inexorable, puisque la scène suivante est celle de Pimen, qui raconte l’histoire de la Russie, et la naissance du “destin” de Grigori, devenu faux Dimitri (le fils du Tsar détrôné par Boris, qu’on soupçonne de l’avoir assassiné), puis un épisode du voyage de Dimitri, qui suit les deux moines Varlaam et Missail, et se retrouve dans une auberge à échapper aux recherches. Quelques scènes emblématiques de la chute de Boris, sur fond de peuple opprimé, qui se termine, non pas par le peuple et l’innocent comme la version de 1872, mais par la mort de Boris. La version de 1869, exécutée ici sans entracte, sonne comme une longue passion vers la mort avec d’un côté un peuple sans cesse instrumentalisé, un usurpateur Dimitri/Grigori dont la montée en puissance est téléguidée par les boyards et notamment Shuiski, et un Boris qui sombre peu à peu dans la folie. Cette concentration n’en fait pas une fresque, mais un regard chirurgical sur les mécanismes de pouvoir, sans concession, avec une instrumentation rèche, rude (le prologue!) qui évite le lyrisme, et des alliances instrumentales étranges, surprenantes qui ont conduit en son temps aux révisions de Rimsky-Korsakov, beaucoup plus lénifiantes. Or, la musique de Mussorgski est d’une étonnante modernité. Modernité par les choix de l’instrumentation, par les ruptures, par la couleur. Debussy avait toujours près de lui la partition de Boris. Cette modernité musicale, tellement révélée par les choix de Kent Nagano, qui ne laisse que peu de place au lyrisme, en fait, en cohérence avec la mise en scène, une sorte de messe noire terrible: tempos quelquefois accélérés, longs silences, clarté de l’orchestre et de l’instrumentation, sorte de neutralité glacée en évitant les accents qui pourraient tomber dans le pathos, analyse chirurgicale de la partition et prééminence du choeur (magnifique, dirigé par Sören Eckhoff), qui chante souvent sur le devant de la scène, écrasant l’orchestre par son volume (y compris l’énorme choeur d’enfants), une interprétation glaçante, accentuée par des effets sonores voulus par la mise en scène, comme le son des matraques sur des barrières métalliques qui couvre, ou alterne avec le son des cloches dans la scène du couronnement: le Te Deum de la violence.
Dès le départ, on comprend que le moment sera fort, scène noire, silence dans la fosse, et une rangée de policiers avec casques et matraques barrant la scène et masquant le peuple qui chante sa souffrance et son attente.
Partie I tableau 1 © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

Un peuple bariolé qui va bientôt, à mesure que l’attente de l’élection du Tsar se fait plus pressante, après l’intervention lénifiante (et musicalement sublime de Chtchelkalov ), brandir des photos (comme les icônes ou les portraits funèbres des temps anciens) de nos hommes politiques tous souriants, enfin de tous ceux que Bieito estime être des faiseurs ou des démagogues : cela commence par Poutine, immédiatement suivi de Sarkozy. Puis tous apparaissent (sauf Merkel et Obama…le lecteur cherchera pourquoi), les Berlusconi, Monti, Rajoy, Orban, Cameron, Blair, Bush, Barroso, et même Hollande avec un sourire béat. Vision de tous ces portraits qui renvoient évidemment à la médiocrité du personnel politique, à la naïveté populaire, à l’extraordinaire tromperie sur la marchandise politique (et politicienne) que les peuples vivent en ce moment.

Partie I Tableau 1 © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

A cet état politique en moisissure correspond parallèlement une violence qui s’exprime contre les populations, la police tabasse, violente, encadre. Et quand Boris apparaît, tant attendu, il est très haut, très loin, on le voit à peine, sur la terrasse de la grosse structure métallique sombre qui va accompagner tout l’opéra, tout à tour fond de scène, ou mur d’un Kremlin imaginaire, château fort dont l’intérieur s’ouvre pour les scène de palais avec Boris (les panneaux s’ouvrent comme autant de ponts-levis). Un Boris lointain, raide, immobile, une statue déjà sans âme. Vision formidable.
Calixto Bieito et sa décoratrice Rebecca Ringst construisent un univers noir, nocturne, avec des éclairages crus (Michael Bauer) coupant la brume ambiante, un univers de mort et de crime, nuit et brouillard.
Ce que voit Bieito dans cette histoire c’est non pas un pouvoir oppressant un peuple innocent, mais au contraire un pouvoir né d’une société violente et oppressante par elle-même: le peuple est violent (violence contre l’Innocent dans le premier tableau de la quatrième partie, lancement de cocktails Molotov), mais les individus le sont aussi entre eux.

Partie II Tableau 2 Scéne de l’auberge © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

L’aubergiste (Deuxième partie, deuxième tableau), qui dans cette mise en scène est une vendeuse ambulante de verroterie et de boissons, pour faire échapper Grigori Otrepiev tue froidement les policiers venus à sa recherche (Bieito résolvant ainsi d’ailleurs un problème dramaturgique réel), mais maltraite aussi sa petite fille. Bieito met de la violence partout: l’innocent est tué au pistolet (scène à la limite du supportable) par une jeune fille dont la main est tenue par Shuiski, et dans la scène finale, Shuiski, véritable âme du complot contre Boris, arrive accompagné de Grigori/Dimitri qui pendant que Boris meurt au premier plan, étrangle ou étouffe une à une les enfants (Bieito fait de Fjodor une jeune fille) et l’entourage de Boris (Xenia, la nourrice), accomplissant le crime duquel Boris a été accusé pour arriver au pouvoir et installant ainsi l’assassinat comme mode de succession, pendant que le choeur final chante “point de salut”.

Partie III Tableau 1 © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

Le monde privé qui entoure Boris (Troisième tableau) est un salon d’un luxe un peu ostentatoire et de style asiatique, sous une carte géante de l’ex URSS, qui montre combien l’Asie compte dans cet Empire, Fjodor, le Tsarévitch joue avec un gros globe terrestre comme avec un ballon, il prend déjà la posture (il est ici comme je l’ai signalé plus haut, vu comme une jeune fille: Bieito s’appuie sur la réalité de la voix pour lui faire correspondre la réalité du corps) , Xenia, perchée sur la terrasse,  jeune fille un peu vulgaire en tenue de samedi soir, pleure son fiancé de manière un peu excessive, scène de famille un peu pitoyable, tandis que l’espace politique est figuré par une table de réunion avec des chaises vides (dans laquelle se déroulera et la rencontre avec Shuiski, et  la mort du Tsar). Tout cela n’est ni marqué par l’émotion, ni par la sensibilité, on est dans la pure chirurgie. Alors certes, Calixto Bieito accentue le pessimisme du livret en lui faisant dire les possibles de l’histoire avec une thèse, née de la lecture du livret, qui est l’interaction entre le pouvoir et la société: un pouvoir sans légitimité ou acquis dans une démocratie biaisée procède d’une société sans repères et sans règles, et alimente le désastre social. Le peuple, tenu à l’écart du processus politique finit par être dépossédé et laissé à ses démons. D’où la violence qui circule, d’où le pessimisme terrible de la vision, d’où une lecture contemporaine d’un Boris qui n’est que le masque de nos politiques d’aujourd’hui, mais il n’y a même pas de place dans ce monde pour des indignados, qui pourraient signifier quelque lueur d’espoir, mais seulement pour des gestes violents et gratuits:

Partie IV, 1er tableau © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera
les cocktails Molotov se brisent contre les murs, mais ces derniers restent debout et  s’imposent. Dans un monde aussi noir, dans une société en proie au besoin et aux doutes, il est facile à n’importe quel homme providentiel de prendre de l’ascendant. Grigori Otrepiev peut se faire passer pour le faux Dimitri, peut séduire les foules, peut être celui qu’on attend. Le monde est trop faible pour résister aux usurpateurs.  
Scène finale © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

Voilà donc l’histoire que nous raconte Bieito, et celle que raconte Mussorgski, celle d’un monde sans loi, sinon celle du plus fort et du plus malin, celle d’un peuple sans repères, celle d’une société sans morale. Boris n’apparaît que peu dans l’opéra qui porte son nom, parce qu’il n’est qu’un instrument de l’histoire, d’une histoire représentée par Pimen, qui lui, la connaît. Son intervention finale montre en même temps qu’il sait l’utiliser. Il est l’un des multiples rouages de l’entreprise qui mine le pouvoir.
A cette vision cruelle et sans concession correspond une analyse musicale taillée au cordeau par Kent Nagano, je l’ai souligné plus haut, et servie par une distribution de très haut niveau. Il n’y a pas vraiment dans Boris Godunov de rôles dominants: Boris bien sûr mais comme je l’ai dit, il apparaît relativement peu, Pimen bien sûr dont le récit remplit tout le premier tableau de la deuxième partie, et Shuiski, dont Bieito a accentué le rôle ambigu, qui apparaît dans l’ombre là où les événements s’accélèrent, qui est le manipulateur “faiseur de rois”, au besoin criminel, garantissant évidemment le maintien des privilèges des boyards. À toutes ces figures, Bieito donne un rôle dans sa construction et la plupart sont des pantins aux mains de pouvoirs occultes (les boyards, ici), Boris, sans doute arrivé au pouvoir par manoeuvres politiques ( l’intervention de Chtchelkalov au premier acte, pour calmer la foule, et aussi les ardeurs de la police) et peut-être par l’assassinat (le tsarévitch Dimitri), Grigori, l’aventurier opportuniste peut-être instrument des catholiques (dans la version 1872 en tous cas), dans celle de 1869, c’est plus flou, Pimen, à la fois celui qui dit l’histoire, mais qui lui donne aussi un coup de pouce, Shuiski, le gardien des droits de sa caste. Tous personnages clairement identifiables dans tous jeux politiques, d’hier et d’aujourd’hui. Cette lecture très radicale ne change pas les données du Boris de toujours, elle les prolonge et les éclaire. Magnifique travail.
La distribution réunie est très équilibrée, particulièrement soignée.
En confiant le rôle de Shuiski à Gerhard Siegel, un ténor qui excelle dans les rôles de composition (Mime par exemple), le management munichois en fait (comme dans la mise en scène) un rôle central, sa voix forte, son habileté à colorer, à varier les expressions, à articuler et à “mâcher le texte” en fait un Shuiski tout à fait remarquable, c’est aussi un acteur notable, et sa présence, même muette occupe souvent l’espace.

Pimen, c’est Anatoli Kotscherga, vu la semaine précédente dans Don Giovanni à Aix où j’avais noté le manque d’éclat d’une voix désormais déclinante. Kotscherga est une très grande basse, il fut l’un des Boris d’Abbado, il a été Mazeppa sous la direction de Kirill Petrenko à Lyon.
Pimen et Gregori © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

Il est un magnifique Pimen. Justement à cause des faiblesses et irrégularités de la voix. Tantôt des sons extraordinairement puissants, une profondeur insondable et un volume étonnant, et tantôt une voix blanche, sans éclat, sans couleur, le tout alternant en une phrase. Cela lui donne à la fois une vérité (Pimen est un vieillard) saisissante et une grande authenticité (c’est un artiste immense), ces faiblesses de la voix font qu’il ne semble pas chanter un rôle, mais être ce rôle, dans sa réalité: il semble même téléguider le jeune Grigori, comme si lui, le chroniqueur, faisait l’histoire. Une composition impressionnante, qui secoue et qui émeut.
J’ai beaucoup aimé le Chtchelkalov d’Ivan Golovatenko, timbre chaud, jolie couleur,  qui apaise les interventions  du choeur au début de l’opéra, et l’impressionnant Varlaam de Vladimir Matorin, à la fois puissant et très bien interprété, hors de la tradition, avec des accents très populaires et une diction très colorée alors qu’on sait qu’au Bolshoï il est un Boris (et donc une basse noble) de référence. Grand moment.
J’ai moins aimé le Grigori de Serghei Skorokhodov, qui scéniquement est très crédible dans son rôle d’ambitieux sans scrupules, mais qui vocalement ne m’a pas vraiment frappé, ni par la diction, ni par la projection, ni par la qualité du timbre.
Dans les rôles féminins, le Fjodor de Yulia Sokolik est particulièrement frais et juvénile (le rôle le veut), et fait habile pendant à la Xenia un peu déjantée d’Anna Virovlanski (l’Oiseau dans Siegfried, la Voce del cielo dans Don Carlo et Xenia: heurs et malheurs d’appartenir à une troupe), elle est incontestablement un personnage, mais pas si convaincante vocalement, tout comme Heike Grötzinger en nourrice. La plus convaincante est l’aubergiste de Margarita Nekrasova, présence scénique et vocale, puissance, jolie couleur: elle s’impose, incontestablement.

L’innocent (avec à droite Shuiski)© Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

Saluons enfin le très émouvant Innocent de Kevin Conners (qui excelle dans son personnage de souffre douleur, et dont l’assassinat est presque insoutenable), dont l’interprétation a convaincu le public: il remporte un éclatant succès, justifié.

Boris (Alexander Tsymbalyuk) © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

Quant à Alexander Tsymbalyuk, il incarne un Boris à diverses facettes, très neutre au départ dans son discours initial au peuple, presque absent, voire indifférent, une voix très chaleureuse et très noble dans la troisième partie, avec de magnifiques harmoniques; une voix jeune, vive, dans la force de l’âge et pas vraiment un de ces Boris fatigués qu’on entend quelquefois. c’est évidemment dans les moments de crise (avec Shuiski) et dans la scène finale (qui sont l’essentiel de ses interventions) qu’il est le plus extraordinaire, à la fois noble, grandiose, et totalement animal, avec des sons proches du cri: j’ai rarement entendu un “Ja Tsar eščë”(je suis encore Tsar) aussi bouleversant.

Moert de Boris (Alexander Tsymbalyuk) © Wilfried Hosl/Bavaria State Opera

C’est vraiment une magnifique incarnation de Boris, aux couleurs variées, très “humaine”, très émouvante, et très jeune aussi. A ne pas manquer dès que possible dans ce répertoire.
Encore une fois, voilà une entreprise où musique et mise en scène se conjuguent, où le propos ne prend toute la force que dans l’interaction de la fosse, de la scène et de la troupe. Une grande soirée qui était projetée au dehors, sur la Max-Joseph Platz noire de monde et récupérable en streaming sur le site de la Bayerische Staatsoper. À la fin, les saluts furent raccourcis pour que l’ensemble de la distribution aille saluer la foule rassemblée dehors, avec explosion du public, et lâcher de ballons joyeux.

Les saluts à la foule de la troupe du Boris Godunov
Après un opéra aussi noir, c’était un peu bizarre de voir une joie pareille, mais la soirée prodigieuse le valait. La Bayerische Staatsoper est vraiment une très grande maison.
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Oper für alle/Opéra pour tous

TEATRO LA FENICE VENISE 2011-2012: CARMEN de Georges BIZET le 26 juin 2012 (Dir.mus: Omer MEIR WELLBER, Ms en scène: Calixto BIEITO) avec Béatrice URIA MONZON.

La production de Bieito (à Barcelone) Foto ©Antoni Bofill

La Fenice est un théâtre un peu spécial. Incontestablement c’est l’un des grands théâtres historiques d’Italie (La Traviata  y fut créée entre autres), mais c’est aujourd’hui un théâtre “difficile”. En effet, sa situation, au centre d’une ville de 70000 habitants inaccessible à la voiture, et son accès difficile pour les gens du territoire (il faut prendre la voiture, la parquer, ou prendre le train, puis aller chercher le Vaporetto, jusqu’au Rialto, puis environ 10 minutes de marche dans le dédale des ruelles vénitiennes),  environ 1h30 de transport, arriver pour la représentation de 19h (soit partir du bureau en avance etc…) et s’assurer que le dernier train ne parte pas avant 22h30 au bas mot. Il faut donc caler beaucoup de paramètres pour organiser sa sortie à l’opéra.  Sans doute une réflexion territoriale s’imposerait (un théâtre au Tronchetto ou à Mestre aurait pour sûr moins de charme, mais serait plus aisé d’accès pour les populations concernées) mais ce n’est pas le moment, dans une Italie en proie à la crise, même dans la très très riche Vénétie.
Alors les seuls spectateurs réguliers de La Fenice, ce sont les touristes, qui remplissent la salle qu’ils mitraillent de photos. C’est un public qui vient plutôt pour le lieu que pour ce qu’on y entend, on le sentait bien même pour un opéra aussi populaire que Carmen. Est-ce à dire que La Fenice “sert la soupe” aux touristes, rien de moins vrai. Il y a un véritable effort pour alterner des grands standards et des œuvres moins connues, comme récemment la Lou Salomé de Giuseppe Sinopoli. Et en tous cas même les standards sont confiés à des metteurs en scène et à des équipes artistiques de bon niveau. Il reste que remplir le théâtre pendant toute la saison est difficile.
Pour Carmen, le choix a été de proposer 13 représentations avec deux distributions: c’est le début de la haute saison  et Venise déborde de touristes, bonne occasion de remplir le théâtre (qui pourtant le soir où j’y étais n’était pas plein),  Carmen est un opéra très connu, et il était bien distribué, dans une mise en scène d’un des enfants terribles des plateaux, l’espagnol Calixto Bieito, qui a travaillé partout en Europe, sauf bien entendu en France… Des atouts incontestables pour attirer le public, d’autant que la distribution est bonne et le chef, Omer Meir Wellber, désormais connu comme un chef qui monte.
Et de fait, ce fut une très bonne soirée.
La production de Calixto Bieito proposée au Liceu de Barcelone en 2010, est un spectacle que Bieito a conçu initialement en 1999 et qui a déjà bien tourné, Espagne, Hollande, Suisse, Italie. Le théâtre de Bâle la propose cette année, pendant qu’elle tourne en Italie, à Palerme, Venise et Turin.  Ce n’est donc pas une proposition nouvelle, mais le spectacle, comme on dit “ne prend pas une ride” et constitue sans doute une des grandes réussites de Bieito, qui ne donne même pas dans la provocation.
Le plateau est semblable à une arène, avec un cyclorama au fond qui projette quelques ombres, il est vide au centre,

Acte 1

avec au premier acte une hampe à laquelle on va hisser le drapeau espagnol, au second acte un espace vide sur lequel arrive une vielle voiture Mercedes d’où sortent Carmen Frasquita, Mercedes, Dancaïre et Remendado qui vont “piqueniquer” avec quelques caisses d’alcool de contrebande. Le troisième acte (voir photos )  se déroule sur le même plateau dominé par un taureau géant, sous lequel un Torero pendant l’introduction a pris nu son “bain de pleine lune” (très jolie scène), le quatrième sur un espace vide, qu’on délimite à la craie, au centre duquel Carmen et Don José livreront leur dernier combat.

La production de Bieito (Bâle) Foto©Hans-Jörg Michel

C’est la foule qui fait tous les changements, c’est elle qui varie: foule de soldats au premier acte,  de bohémiens (d’aujourd’hui, et pas d’opérette) aux deuxième et troisième actes, une foule bigarrée enthousiaste au quatrième acte, derrière une corde, qui regarde le défilé qui est réduit à son strict minimum. De l’Espagne, il y a une présence continue du drapeau, mais aucune “espagnolade” sinon quelques éléments ironiques,  comme lorsque Frasquita et Mercedes s’habillent en gitanes d’opérettes pour séduire les douaniers, ou comme le taureau gigantesque qui reproduit en fait un taureau vantant une marque d’alcool qu’on voit sur le bord des routes et autoroutes espagnoles aujourd’hui. La vision de Bieito s’insère donc dans la réalité d’une Espagne d’aujourd’hui, et dans un monde bohémien qui serait contemporain (avec les clichés d’usage, par exemple l’emploi des vieilles Mercedes)

Violence et sensualité sont les caractères de ce travail: violence notamment dans le traitement des soldats au premier acte, à peine libérés de leur service ils “s’éclatent” ou saccagent (la cabine téléphonique du premier plan), ils poursuivent les femmes, les contraignent, se frottent outrageusement à la hampe, se moquent du drapeau, en bref, se comportent à l’opposé de leur statut de soldat protecteur.
Lillas Pastia est un peu Monsieur Loyal, qui regarde le drame se nouer en se reposant sur une chaise pliante, au deuxième acte, ou en dessinant sur le sol le cercle de craie, au dernier acte. Il est une sorte de regard de la destinée, distante et à la fois présente du deuxième au dernier acte.
Le dernier acte est vécu comme un combat entre Don José et Carmen, dans une arène délimitée par un cercle de craie: poursuite, désespérance, violence (Carmen est égorgée). De leur côté les relations homme/femme sont un éternel jeu sensuel: y compris Micaela, jeune fille moderne et non oie blanche, qui “ose” baiser sur la bouche un Don José qui se recule: on sait qu’il ne l’aime pas dès le premier acte.

La production de Bieito(Bâle) ©Hans-Jörg Michel

Quant à Carmen, elle n’a pour argument que son corps, dont elle use avec beaucoup de provocation: dans la scène avec Don José au deuxième acte, elle laisse par exemple tomber sa culotte, rouge comme il se doit et se jette sur Don José. Sexe et sang, voilà la leçon de cette Carmen forte, bien structurée, bien jouée aussi et qui présente de très beaux tableaux. Calixto Bieito sait vraiment manier les foules et construire un projet de grande rigueur et de grande cohérence. Ce projet a pu surprendre un public un peu interdit devant le toréador nu (pourtant un seul nu dans une production de Bieito, c’est plutôt de la pruderie) ou l’usage irrévérencieux qui est fait du drapeau espagnol, mais dans l’ensemble, il correspond à ce que l’on peut attendre d’une Carmen d’aujourd’hui, bien supérieur dans le propos à la pâle production de Salzbourg au printemps dernier.
Musicalement, on ne peut que saluer l’ensemble de la performance.
A l’orchestre d’abord, mené d’une main de fer par Omer Meir Wellber. J’avais déjà noté ses qualités dans une représentation de Carmen à la Staatsoper de Berlin: le rythme est vif, l’énergie permanente. La précision des attaques, les modulations, le suivi des chanteurs et des chœurs, tout cela est vraiment remarquable et mérite d’être noté. Bien des raffinements de l’écriture de Bizet sont mis en valeur, même si l’orchestre de La Fenice ne vaut pas celui de la Staatsoper de Berlin. Le chef devra me semble-t-il  laisser peut-être  ses musiciens respirer, il paraît un peu “directif” quelquefois, mais c’est un très bon travail de “concertazione”. Il est beaucoup plus convaincant dans la fosse de la Fenice pour Carmen que dans celle de la Scala pour Aida, même si je n’avais pas détesté son travail. Il reste que ce jeune israélien, ex assistant de Daniel Barenboim, est sans doute un chef d’avenir à l’opéra. Enfin, le chœur est très bien préparé par Claudio Marino Moretti , et les scènes de foule, notamment à la fin sont impressionnantes.

Béatrice Uria Monzon (à Barcelone) Foto ©Antoni Bofill

On ne présente plus la Carmen de Béatrice Uria Monzon, qui semble l’avoir dans les gènes: la voix est sonore, les aigus sont splendides (le grave un peu moins, avec une tendance à poitriner un peu), et le personnage est là, somptueux. Il est vrai qu’elle est en plus, d’une grande beauté, qui correspond exactement à l’image qu’on peut avoir de Carmen: elle se glisse avec un grand naturel dans le personnage voulu par Bieito (elle a déjà participé à la production de Barcelone) et le résultat est confondant. Le duo final donne le frisson.
Roberto Secco en Don José a toutes les notes, il a aussi une certaine intensité, mais il ne réussit pas encore à acquérir le style de chant voulu. La voix est lumineuse, mais les paroles n’ont pas encore le poids qu’il faut. Il chante, dirais-je, “à l’italienne”, avec un français clair mais encore mal dominé du point de vue des accents, il n’a pas les mezze voci, il ne sait pas adoucir suffisamment, bref il n’a pas encore suffisamment mastiqué ni domestiqué le rôle, même s’il est à certains moments émouvant  de brutalité et de gaucherie à la fois.
Alexander Vinogradov chantait Escamillo:  j’avais noté à Berlin où il chantait déjà le rôle une couleur vocale nettement plus orientée vers la basse que le baryton, et une inadéquation stylistique notable. Cette fois-ci c’est nettement meilleur du point de vue du style, même si pour la couleur nous n’y sommes pas vraiment:  incontestablement cette voix a une couleur slave tellement marquée que cet Escamillo peine à nous faire rêver de corridas. Il reste que Vinogradov ne dépare pas, et a une belle présence.
Ekaterina Bakanova compose une Micaela correcte, mais qu’on n’inscrira pas au nombre des Micaela qui font crouler un théâtre, n’est pas Genia Kühmeier qui veut. La composition est séduisante, la voix est jolie, le français est satisfaisant. Et elle passe bien la rampe.
Je regrette un peu que Frasquita et Mercedes n’aient pas été confiées à des voix françaises, l’accent ne convient pas toujours, et Frasquita (Sonia Ciani) a tendance à crier, sa voix un peu métallique ne convient pas, alors que celle de Mercedes (Chiara Fracasso) passait beaucoup mieux. Les rôles secondaires ont dans Carmen une grande importance, et notamment Mercedes et Frasquita, tout comme Dancaïre et Remendado, confiés à Francis Dudziak (il s’en est fait une spécialité, le rôle d’une vie) et Rodolphe Briand (Remendado), tous deux tout à fait à leur place, qui animent le quintette avec beaucoup d’allant.
Au total donc une belle soirée, dans ce théâtre étrange qui ressemble à une bonbonnière un peu froide, une grande dame qui se laisserait voir, sans vraiment avoir encore reconquis une âme. La politique artistique est assez rigoureuse cependant, et bien moins putassière qu’on  pourrait le craindre vu l’évolution de la ville.
Mais il est évident que le seul trajet de la gare au théâtre est toujours le même enchantement, tourisme ou pas, et que l’arrivée au petit “Campo San Fantin” reste  une émotion, quand la façade assez discrète de la Fenice se dresse, au détour d’une”calle”, et l’arrivée dans la salle croulant sous l’or après un hall d’entrée plutôt sobre fait toujours son effet.

Magie...

On a beau décrier l’évolution de Venise vers une sorte de Disneyland culturel, il est impossible de ne pas tomber sous le charme: on attend de voir Casanova au détour d’un rio, arrivant sur sa gondole à l’opéra. C’était une soirée de plaisir: à Venise, c’est presque un pléonasme.

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Au centre: Micaela, Carmen, Don José, Escamillo
Saluts

OPERAS EN EUROPE 2011-2012 (2): SPECTACLES A RETENIR – VIENNE & BERLIN

Se reporter aux commentaires spécifiques sur les saisons pour la Scala, Paris, Lyon.

Vienne, Berlin,  voici venir le moment des deux grandes capitales européennes de la musique d’opéra, 300 soirs à Vienne, trois opéras à Berlin, des titres variés, des standards certes, mais aussi bien des raretés. L’énorme offre berlinoise permet de diversifier les styles, les approches, les artistes, même si on voit mal se prolonger encore longtemps une situation d’une telle richesse. A Vienne, nous avons pour l’instant passé sous silence le Theater an der Wien, qui propose une programmation nouvelle correspondant à l’espace plus réduit et à un authentique théâtre du XVIIIème, et qui explore un répertoire différent de la Staatsoper, ni la Volksoper, qui n’a pas les mêmes choix esthétiques que la Komische Oper de Berlin, bien qu’elle ait la même fonction sociale et même si l’apport intellectuel de la  Komische Oper à l’histoire du théâtre est autrement plus riche (Se reporter aux sites respectifs).  Les productions du Theater an der Wien sont certes alléchantes, mais elles ne me sont pas apparues plus stimulantes que dans d’autres lieux similaires, c’est une programmation qu’on verrait bien à Aix en Provence par exemple.

VIENNE

Le Staatsoper de Vienne est un lieu un peu particulier. Un des hauts lieux de la grande tradition de l’Opéra, une institution d’une importance considérable dans le paysage autrichien, trois cents soirées du 1er septembre au 30 juin, un bal qui fait courir le monde, un vrai public de fans, capable de faire des jours et des jours de queue pour voir ses idoles (je fis trois jours pour Carmen avec Abbado, Baltsa, Carreras…)et un intendant, pour la première fois de son histoire, non issu de la sphère germanique, le français Dominique Meyer, germanophone, grand ami des Wiener Philharmoniker, qui a entrepris de faire bouger un peu les lignes dans cette vénérable institution et qui semble y réussir, tant à l’opéra qu’au ballet, introduisant le répertoire baroque (Armida avec Anja Harteros), le bel canto (l’an dernier Anna Bolena – Netrebko/Garanca- fit son entrée au répertoire) ou rafraichissant les productions maison vénérables et légendaires (cette année le Rosenkavalier de Otto Schenk).
Dans l’énorme quantité de titres (rien que dans les nouvelles productions ou les reprises qui ont été retravaillées, on compte 16 titres entre ballets et opéras)  au total une quarantaine  d’opéras différents, il est difficile de faire un choix clair, mais je vais signaler tout de même ce qui me fait très envie:

Don Carlo/Don Carlos: cette année, Vienne s’offre le luxe de présenter deux productions du chef d’oeuvre de Verdi, d’une part la version française dans la production désormais culte de Peter Konwitschny et une nouvelle production du Don Carlo italien montée par Daniele Abbado, fils de…On s’offrirait bien le luxe d’aller revoir l’une et découvrir l’autre.
Don Carlos, mise en scène Peter Kontwitschny, dir.mus. Bertrand de Billy avec Kwanchoul Youn (Philippe II), Ludovic Tézier (Rodrigue), Yonghoon Lee (Don Carlos), Adriane Pieczonka (Elisabeth), Béatrice Uria-Monzon (Eboli). Une distribution très honorable qui devrait produire un spectacle de haut niveau.

Don Carlo, mise en scène Daniele Abbado, dir.mus. Franz Welser-Möst, avec René Pape (Filippo II), Ramon Vargas (Don Carlo), Simon Keenlyside (Rodrigo), Luciana d’Intino (Eboli), Krassimira Stoyanova (Elisabetta). Inutile de dire qu’une fois de plus René Pape sera très attendu, comme à Munich ainsi que Simon Keenlyside, dont on connaît le magnifique Posa. Mais la distribution est moins excitante que celle de Munich (16-29 juin 2012)

Entre Zürich, Munich, Berlin, Vienne, beaucoup de Don Carlo(s) à voir cette année, et c’est heureux, avec des distributions assez variées, ce qui ne peut que réjouir.

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. C’est une des nouvelles productions de l’année qu’il faudra aller voir. L’oeuvre de Kurt Weill reste rarement représentée ( il y a eu récemment une belle production à Nantes) j’avais vu la représentation de Salzbourg en 1998, mise en scène Peter Zadek, dir.mus. Dennis Russell-Davies, dans les décors de Richard Peduzzi où Gwyneth Jones prêtait sa voix ruinée, mais fantastiquement ruinée pour le rôle à Leokadja Begbick, (avec aussi Catherine Malfitano et Jerry Hadley). En reproposant une forme “opéra”, Weill et Brecht posent à la fois la question de sa légitimité et celle de son public. Une oeuvre d’un immense intérêt et surtout tellement d’actualité! Dominique Meyer a composé une distribution stimulante (Christopher Ventris, Angelika Kirschlager, Elisabeth Kulman – Leokadja – , et le très bon Tomasz Konieczny) et fait appel à Jérôme Deschamps, peintre d’une société déjantée pour la mise en scène, le tout sera dirigé par Ingo Metzmacher, un maître pour ce type de répertoire. A VOIR ABSOLUMENT. (Du 24 janvier au 5 février 2012).

Parmi les spectacles viennois attirants, on peut aussi noter

Roberto Devereux, avec, comme à Munich, Edita Gruberova, cette fois-ci dirigée par Evelino Pido’, qui porte décidément à Vienne (et en France…) le bel canto, dans une mise en scène du roumain Silvio Purcarete , que les français connaissent bien, avec José Bros, et Nadia Krasteva (26 mai-10 juin)

Die Frau ohne Schatten, dirigée par Franz Welser-Möst, dont on connaît l’affinité pour Strauss, mise en scène de Robert Carsen, avec Adriane Pieczonka (Kaiserin), Robert Dean Smith (Kaiser), Evelyne Herlitzius (Färberin), Wolfgang Koch (Barak, der Färber), soit une belle distribution. Frau ohne Schatten est un de ces opéras qu’on aime à peine on commence à l’écouter et qui a laissé de sublimes interprétations (Rysanek, Nilsson, Böhm…) . (17-27 mars 2012).

Signalons au passage un Ring des Nibelungen unique du 1er au 13 novembre dirigé cette année par Christian Thielemann dans la mise en scène maison de Sven-Eric Bechtolf, avec une pléiade de grands chanteurs wagnériens, Albert Dohmen, Katharina Dalayman, Stephen Gould, Christopher Ventris, Waltraud Meier, Janina Baechle, Tomasz Konieczny…succès assuré même si je ne suis pas fan de Thielemann.

Signalons aussi un Faust, dir.mus: Alain Altinoglu, Mise en scène Nicoals Joel, avec Inva Mula..jusque là on est en terrain connu, mais aussi avec Jonas Kaufmann et l’excellent Adrian Eröd dans Valentin, Albert Dohmen étant Mephisto. Ce Faust devrait faire courir les foules.

Enfin, last but not least, j’ai un faible un très gros faible pour une reprise du Rosenkavalier dans la mise en scène de Otto Schenk, dirigé par Peter Schneider en décembre et par Jeffrey Tate en avril, avec en décembre, Anja Harteros, Chen Reiss, Kurt Rydl et Michaela Selinger et en avril Nina Stemme, Kurt Rydl, Elina garanca et Miah Persson, alternative difficile je crois que je choisirai(s) avril, le trio est vraiment un trio de choc! A NE PAS MANQUER.

Il y aurait bien d’autres choses à signaler: le beau Cardillac d’Hindemith dirigé par Welser Möst qui a triomphé l’an dernier (29 mars-4 avril), un Parsifal pascal dirigé par Thielemann avec Angela Denoke dans Kundry, une Clemenza di Tito avec Michael Schade et Elina Garanca, mise en scène Jürgen Flimm, direction Louis Langrée (17 mai-1er juin 2012) et la Traviata d’Aix (mise en scène Jean-François Sivadier) sans Dessay, mais avec Ermonela Jaho, et dirigée en mai par Bertrand de Billy (10-20 mai) et De la Maison des morts, de Janacek (11 décembre-30 décembre) dirigée par Franz Welser Möst dans une mise en scène de Peter Konwitschny et puis..et puis..et puis..promenez-vous (que dis-je..perdez-vous) dans le site de l’opéra de Vienne, vous resterez étonné de l’offre de ce théâtre “de répertoire” qui allie les avantages du répertoire et ceux de la stagione (notamment pour les distributions)… et puis c’est l’occasion d’aller voir et revoir les Klimt et les Schiele du Belvedere, et les Brueghel et les Archimboldo du Kunsthistorisches Museum, sans oublier le Café Landtmann, le Café Schwarzenberg (mon préféré), le café Mozart, le café Hawelka et le café Diglas (Wollzeile, derrière la Stephansdom, mon second préféré)…

 

BERLIN

Avec ses trois opéras, Staatsoper Unter den Linden, Deutsche Oper, Komische Oper, Berlin à elle seule peut justifier un long séjour lyrique, encore faut-il trouver la période qui permette de voir dans les trois établissements un spectacle qui en vaille la peine.

  • STAATSOPER UNTER DEN LINDEN

Comme son nom ne l’indique plus, la Staatsoper unter den Linden a déménagé à cause de très gros travaux de rénovation (surélévation de la scène notamment) pour trois à quatre ans au Schiller Theater, plus petit, situé presque en face de la Deutsche Oper, côté ouest, alors que la Staatsoper fut l’Opéra de Berlin Est avant la chute du mur. Le directeur artistique depuis vingt ans en est Daniel Barenboim, l’orchestre en fosse est la Staatskapelle Berlin. Daniel Barenboim étant aussi le directeur musical de la Scala, les liens entre ces deux théâtres se sont resserrés, ils ont notamment en commun le Ring de Guy Cassiers, et quelques distributions ou productions (Don Giovanni cette saison affiche dans les deux théâtres, pour deux productions différentes, bien des chanteurs communs). Un regard sur la riche programmation m’a permis de repérer deux reprises intéressantes :

    • Candide, de Leonard Bernstein, dir. mus. Wayne Marshall, mise en scène Vincent Boussard (costumes de Christian Lacroix). L’œuvre mérite d’être vue, elle est encore rare dans les théâtres, et cette production a une flatteuse réputation, la distribution comprend Maria Bengtsson dans Cunégonde et la grande Anja Silja dans the Old Lady. C’est en ce moment…du 1er au 15 novembre (à combiner avec le Don Carlo – encore-  du Deutsche Oper).
    • L’Etoile, de Chabrier, succès de l’an dernier, repris pour Noël (du 4 au 22 décembre) dans la mise en scène de Dale Düsing, et dirigé par Simon Rattle (qui est très bon dans ce type de répertoire) avec Jean-Paul Fouchécourt, Magdalena Kožená, Giovanni Furlanetto.

            On remarquera aussi dans les reprises le fameux Simon Boccanegra (mise en scène minable de Federico Tiezzi) avec Placido Domingo et Anja Harteros (cela vaut encore le voyage malgré tout), dirigé par Daniel Barenboim (26 au 31 mai 2012), un beau Tristan (Barenboim, avec Waltraud Meier), du 10 au 25 mars 2012, une Butterfly de pur répertoire, mais dirigée par…Andris Nelsons et avec la nouvelle coqueluche Kristina Opolais (6 au 13 mai), et pour les nostalgiques de Paris ou d’Aix, la magnifique Traviata mise en scène par Peter Mussbach (vous vous souvenez…Aix) avec la non moins magnifique Christine Schäfer (vous vous souvenez..Paris) dirigée par le jeune et talentueux Omar Meir Wellber entre le 27 novembre et le 17 décembre et une reprise les 29 juin et 1er juillet sans Christine Schäfer.

Dans les nouvelles productions, celle de De la Maison des morts (Chéreau) vient d’avoir un triomphal succès dirigée ici par Sir Simon Rattle, une autre devrait promettre :

Al gran sole carico d’amore, de Luigi Nono, œuvre revenue sur les scènes grâce à Salzbourg (c’est d’ailleurs la même production qu’on va revoir) avec au pupitre Ingo Metzmacher, qui ici aussi fera sans doute l’unanimité (Mise en scène Katie Mitchell) (entre le 1er et le 11 mars). A INSCRIRE SUR SES TABLETTES.

Dans les œuvres contemporaines, une autre coproduction avec Salzbourg, et avec Amsterdam, encore dirigée par Ingo Metzmacher :

Dionysos, de Wolfgang Rihm, dans une mise en scène de Pierre Audi du 8 au 15 Juillet 2012 dans le cadre de « Festival Infektion »…

Dans les autres « premières », il faut signaler quand même
Don Giovanni, dans la production salzbourgeoise très discutée de Claus Guth (un Don Giovanni blessé à mort par le Commandeur et qui vit le tout pour le tout dans ses dernières heures) avec Anna Netrebko, Christopher Maltman, Erwin Schrott, Dorothea Röschmann…(du 24 juin au 6 juillet).

Lulu, avec l’équipe du Wozzeck (Andrea Breth, Daniel Barenboim) et une distribution qui impose le respect : Mojka Erdmann dans Lulu, Deboreh Polaski dans Geschwitz, et Michael Volle dans Schön.. m’est avis que cela devrait valoir le voyage (31 mars-14 avril)

Orphée aux Enfers, d’Offenbach, dans une mise en scène du cinéaste Philipp Stölzl (Celui à l’on doit le Rienzi de la maison d’en face, le Deutsche Oper)  dirigée par Christoph Israel qui devrait là aussi décoiffer un peu.

Quelques productions pour les jeunes d’œuvres peu connues qui devraient stimuler l’intérêt des anciens :

–          Aschenputtel (Cendrillon) de Ermanno Wolf-Ferrari (du 5 au 29 décembre) chaque jour au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater

–          Moscou quartier des cerises, de Chostakovitch, que les lyonnais connaissent bien au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater tous les deux jours entre le 2 mai et le 17 mai prochains.

Enfin, le baroque et musique ancienne ne sont pas en reste, avec deux productions à noter :

Rappresentazione di anima e di corpo, de Emilio De Cavalieri, dirigé par René Jacobs et mis en image par Achim Freyer, avec Marie-Claude Chappuis, et l’Akademie für Alte Musik Berlin (8 juin-17 juin)

Il trionfo del corpo e del disinganno, dirigé par Marc Minkowski avec les Musiciens du Louvre, avec Delphine Galou et Charles Workman, dans une mise en scène de Jürgen Flimm (15 au 29 janvier 2012)

Comme on le voit, une programmation riche, qui couvre des directions et des répertoires, exigeante, fouillée, comme on en voit peu en France, complétée par l’offre un peu plus « grand public » (mais pas tant que ça) de la Deutsche Oper (mais il faut remplir une salle beaucoup plus vaste). Il faudra faire des choix. Je pense quand même que j’irai voir Al gran sole carico d’amore et Lulu.

 

 

 

 

  • DEUTSCHE OPER

Au milieu des 7 nouvelles productions (avec trois productions concertantes dues à des choix économiques) et de la trentaine de titres offerts par la Deutsche Oper, il va être encore difficile de faire des choix. On va finir par avoir envie de s’installer à Berlin ! Notons que la Deustche Oper vient d’offrir  une fois de plus l’inusable production du Ring des Nibelungen (ce mois de septembre dernier) de Götz Friedrich, qui régna sur cette maison, sous la direction du directeur musical actuel, Donald Runnicles, avec une distribution de bon niveau (Jennifer Wilson en Brünnhilde de Walküre, Stephen Gould en Siegfried, avec Torsten Kerl, avec aussi Robert Dean Smith en Siegmund.

Dans les reprises notons aussi

Rienzi, mise en scène Philipp Stölzl, dir.mus : Sebastian Lang-Lessing, avec Torsten Kerl en Rienzi et Manuela Uhl en Irene. J’ai rendu compte dans ce blog de cette très belle production et je ne saurais trop conseiller de faire le voyage : Rienzi est si rare.(20 au 30 avril)

Si vous êtes à Berlin pour Noël, ne pas manquer non plus la reprise de
Hänsel und Gretel, de Humperdinck, un des must de l’opéra allemand, dans une mise en scène de Andreas Homoki (un bon metteur en scène), dirigée par Garett Keast avec Jana Korukova/Julia Benziger et Anna Schoeck/Martina Welschenbach (23-27 décembre)

Parmi la longue liste des premières de la saison où l’on voit notamment la première berlinoise du Tancredi de Rossini (Dir.mus Alberto Zedda, mise en scène : Pierluigi Pizzi avec Patrizia Ciofi (du 22 janvier au 4 février), Patrizia Ciofi assurera (avec Joseph Calleja) aussi deux  représentations concertantes des Pêcheurs de perles de Bizet, direction Guillermo Garcia Calvo (les 19 et 22 décembre), ce qui est aussi une première berlinoise. On note aussi une Jenufa, un Lohengrin. J’ai noté aussi la nouvelle production de

Don Carlo mise en scène Marco Arturo Marelli (qui avait fait à Garnier le Don Carlos français et le Don Carlo italien dans les années 1980 sous l’ère Bogianckino.) dirigé par Donald Runnicles, avec Roberto Scandiuzzi en Filippo II et Anja Harteros (qui chante souvent au Deutsche Oper (je l’y ai entendue dans Traviata où elle fut pour moi inoubliable) Massimo Giordano en Carlo et Anna Smirnova dans Eboli…(du 23 octobre au 12 novembre, et du 8 au 14 avril avec d’autres chanteurs)

Mais c’est sur deux représentations concertantes d’un relief particulier que j’ai jeté mon dévolu :

Candide, de Leonard Bernstein, le 15 mars prochain en hommage à l’humoriste Loriot (Vicco von Bülow) mort en août dernier, dirigé par Donald Runnicles, avec notamment Toby Spence dans Candide et Grace Bumbry dans the Old Lady..Qui manquerait Grace Bumbry ??

Il Trovatore, de Verdi. J’ai dit qu’un Trovatore bien distribué était difficile à trouver aujourd’hui. Les 6 et 9 juin prochains au Deutsche Oper de Berlin, on pourra entendre en représentation concertante Stuart Neill qui est un bon ténor (mais est-ce un Manrico ?), mais surtout Anja Harteros en Leonora (enfin !!), l’excellent Dalibor Jenis en Luna, et la somptueuse Stephanie Blythe (la fabuleuse Fricka de New York) en Azucena, le tout dirigé par le très jeune chef italien Andrea Battistoni…J’espère que cela va palpiter, haleter et qu’on va enfin avoir un Trovatore digne de ce nom.

On l’aura compris, s’il y a un voyage à faire pour moi, c’est le samedi 9 juin pour Trovatore, pour écouter Harteros et Blythe, et découvrir Battistoni dont on parle tant.

 

  • KOMISCHE OPER

t voilà le troisième larron, le théâtre de Felsenstein, que Andreas Homoki va quitter pour Zürich. Pour faire exister son établissement (où tous les opéras sont donnés en allemand) entre les deux géants berlinois, il a tablé sur la nouveauté des mises en scène et sur la provocation. Si vous voulez voir cette année des mises en scènes de Hans Neuenfels, allez donc voir Traviata, si vous voulez, après le Tannhäuser de Bayreuth voir encore une production de Sebastian Baumgarten, vous pourrez voir Carmen dès la fin Novembre, et depuis octobre et jusqu’en janvier vous pourrez voir Im weissen Rößl (l’auberge du Cheval blanc, oui oui) toujours par Baumgarten. Vous pourrez aussi voir une nouvelle production de Homoki (La petite renarde rusée), de Calixto Bieito (Freischütz) et enfin de Stefan Herheim (Xerxès). Bref, c’est le théâtre à ne pas fréquenter pour ceux qui sont allergiques au Regietheater.
Pourtant on y voit souvent des spectacles intelligents et vifs dans des conditions musicales moyennes : quelquefois on voit à la Komische Oper les stars de demain, quelquefois celles d’hier, mais on fait aussi des découvertes (le chef Konrad Junghänel qui va diriger Xerxès que j’entendis dans Armide est vraiment excellent). Mon goût pour le théâtre allemand qui m’est souvent reproché fait que je vais sans doute faire le voyage pour Carmen et L’auberge du cheval blanc : je veux comprendre la manière dont travaille Baumgarten, Le Freischütz de Calixto Bieito, qui va être dirigé par Patrick Lange le directeur musical du théâtre m’attire également. Et inutile de dire que je vais me précipiter au Xerxès de Haendel, mis en scène par Stefan Herheim vu mon admiration pour ce metteur en scène et mon intérêt pour le chef Konrad Junghänel.

Aussi proposerais-je la sélection suivante, destinée aux curieux, aux fous furieux, aux inconscients et aux masos.

Carmen, de Bizet, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus. Stefan Blunier, avec Stella Doufexis en Carmen (du 27 novembre au 27 janvier et le 4 juillet)

Im weissen Rößl, [L’auberge du cheval blanc] de Benatzky, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus Koen Schoots/Peter Christian Feigel (6 nov-15 janv)

Der Freischütz, de Weber, mise en scène Calixto Bieito, dir.mus Patrick Lange avec Günter Papendell, Bettina Jensen, Dmitry Golovnin (depuis le 29 janvier, en fév., mars, avril, jusqu’au 6 juillet)

Xerxès, de Haendel, mise en scène Stefan Herheim, dir.mus Konrad Junghänel à partir du 13 mai et jusqu’au 5 juillet, avec Stella Doufexis.

On remarque aussi dans les nouvelles productions
Le cheval de bronze [das bronzene Pferd], d’Auber, livret de Eugène Scribe dans une mise en scène de Frank Hilbrich, dirigé par Maurizio Barbacini. Auber est si rare dans nos contrées que cela vaut aussi le voyage d’aller voir cette production, qui court du 11 mars au 3 juillet.

Enfin lst but not least, un peu de Hans Neuenfels ne peut faire mal à la santé et donc pour les irréductibles, la reprise de
Traviata, mise en scène Hans Neuenfels, dir.mus.Patrick Lange, du 14 janvier au 14 février (mais surtout en janvier !)

Pour ma part, Xerxès, bien sûr, mais aussi Carmen,  l’Auberge du cheval blanc et sans doute Freischütz. Le système de répertoire permet néanmoins d’étaler ses projets sur plusieurs années, les productions étant reprises régulièrement.

 

Comme on le voit, à Berlin, on a tous les choix, tous les styles, tous les répertoires, la tête tourne devant cette offre à la limite excessive – est-ce que les restrictions économiques le permettront longtemps ?  En tous cas pour l’instant,  pas de quoi s’ennuyer, mais l’exercice est délicat qui consiste à concentrer en peu de temps des spectacles qui valent le déplacement.

 

 

 

A suivre.. Londres, New York, Florence, Rome