La programmation d’Aix cette année est faite de deux nouvelles productions (Alcina et Entführung aus dem Serail) et de deux reprises, l’une venue de Madrid (Iolanta-Perséphone), et l’autre ce Midsummer night’s dream de Britten, dans la mise en scène de Robert Carsen, qui est l’une des productions mythiques d’Aix en Provence, coproduite par l’opéra de Lyon, sans doute la plus mythique des 30 dernières années, qui a fait plus ou moins le tour des grands opéras du monde et qui est reprise cette année. Quel mélomane ne l’a pas vue, soit en DVD, soit en salle, soit à la télévision ?
La production de Robert Carsen a si bien contribué à populariser l’opéra de Britten qu’il est difficile de s’imaginer un Midsummer night’s dream qui ne soit pas vert pomme (la forêt) et bleu cobalt (le bleu profond de la nuit et du rêve), qui n’ait pas revêtu les habits que Carsen lui a confectionnés (avec la complicité de Michael Levine, auteur des décors et costumes), dont le sommet est le lever de rideau de l’acte III avec ces trois lits suspendus dont la photo court toutes les bonnes revues et j’oserais dire, tous les bons livres d’histoire du spectacle vivant, s’ils existaient.
Mais cela va bien au-delà je crois : l’œuvre de Britten commençait juste à être jouée hors les îles britanniques dans les années 80. Tout juste si Paris une dizaine d’années avant cette production avait découvert Peter Grimes (Saison 80/81), et la Scala quelques années auparavant (75/76) grâce à une tournée du Royal Opera House, à l’époque où les tournées étaient plus fréquentes.
La découverte de Midsummer night’s dream, grâce à cette production, on peut l’affirmer, a d’ailleurs permis à d’autres œuvres de Britten de trouver place dans le répertoire ordinaire des salles d’opéra. Britten (comme Janacek d’ailleurs) a explosé dans les années 90.
Benjamin Britten a su adapter la pièce de Shakespeare et en réduire le texte plutôt long et complexe d’une manière très efficace, il a aussi su l’adapter aux réalités de l’opéra, qui nécessite une clarté plus grande, une certaine linéarité. L’ensemble est particulièrement équilibré, y compris avec la fin désopilante en forme de théâtre dans le théâtre, parodie d’une grande drôlerie de l’opéra italien .
C’est donc avec joie que j’ai revu ce spectacle pour la cinquième fois, aves les forces de l’Opéra de Lyon, qui me sont si familières, et leur chef Kazushi Ono.
À distance de 24 ans, on note évidemment l’évolution des modes scéniques à l’usage et à la nature des couleurs, à une certaine manière de théâtraliser, à l’absence de vidéo, devenue un lieu commun des mises en scène d’aujourd’hui. Mais on note aussi les permanences, et surtout un style Carsen qui déjà à ses débuts avait marqué : sens esthétique aigu, jeu des acteurs, géométrie des espaces et des mouvements, intelligence de la lecture où le dit fait affleurer le non dit avec finesse et intelligence et sans insistance excessive. Un style qui a tellement séduit qu’on a vu depuis les productions de Robert Carsen croître et multiplier partout de manière presque déraisonnable.
Il reste que ce travail d’une rare intelligence a laissé une trace profonde avec raison. Un Songe sous une lune lumineuse géante ou minuscule, illustré par une variation sur le lit, lieu du songe et lieu du reste : il fallait oser une idée aussi simple qui fait du plateau un immense lit, sur lequel quelquefois sont disposés une série de lits en dortoir, et au dessus duquel sont à d’autres moments suspendus trois lits entre ciel (de lit) et terre : ce Songe : c’est à la fois une affaire de lit, de fantasmes y compris les plus crus (l’âne) mais aussi, et c’est là aussi le tour de force, l’expression d’une très grande poésie, dont l’effet ne s’est pas érodé depuis 24 ans.
Je pense qu’il faut aussi ajouter au franc succès de la production non seulement ses qualités propres, nombreuses, mais qu’en ce 12 juillet elle succédait à l’Enlèvement au Sérail très tendu et très violent de la veille, et qu’ainsi d’une certaine manière, elle a fait respirer le public qui avait assisté à l’angoissante représentation de l’opéra de Mozart. Enfin le droit au rêve, et non pas au cauchemar obligé.
On a donc revu, et avec quel plaisir, les tribulations d’un Puck excellent (l’acteur Miltos Yerolemou) sautillant, roulant, cabriolant et d’une compagnie de chanteurs très homogène, et techniquement parfaite, dans ce style d’un extrême raffinement qui tient à la fois du post romantisme et du chant baroque.
Bien sûr dominent Laurence Zazzo, magnifique Obéron (rôle créé par Alfred Deller) au style impeccable et à l’allure royale et Sandrine Piau, belle Tytania, primesautière, fraîche, aux aigus triomphants, mais aussi les deux couples, au style très soigné, à la belle technique et au jeu très engagé, Rupert Charlesworth (Lysander) et ElizabethDe Shong (Hermia), John Chest (Demetrius)
et la remarquable Layla Claire (Helena), ainsi que le Bottom de Brindley Sheratt, âne désopilant dont Tytania tombe amoureuse avec tous ses compagnons artisans (excellent Flute/Thisbe de Michael Slattery).Toute la compagnie du reste montre une jeunesse, un engagement et des qualités notables, j’en veux pour preuve la prestation brève, mais très notable du couple Hippolyta (Allyson Mc Hardy) et Theseus (Scott Conner). L’Académie du Festival d’Aix fournit d’ailleurs régulièrement de jeunes artistes qui participent aux productions, et il y a dans la distribution quatre de ses anciens membres.
Le Trinity Boys Choir outre ses apparitions scéniquement remarquables d’une rare fraîcheur et d’un professionnalisme confondant, est idéal dans cette musique difficile, dans la grande tradition des « voix blanches » anglaises ; il remporte un succès important et mérité. L’orchestre de l’Opéra de Lyon sous la direction de Kazushi Ono sait parfaitement jouer des différents styles dont l’œuvre s’inspire, il est tantôt très intimiste, avec des sons à peine perceptibles (remarquables cordes), tantôt plus présent, et plus énergique, mais toujours d’une extrême précision et d’un raffinement presque éthéré, avec une rondeur qu’on ne lui connaît pas toujours : une remarquable prestation, qui confirme l’excellence de Kazushi Ono dans ce type de répertoire..
Au total, une soirée de très grande tenue, musicalement sans failles, qui nous rappelle que les grands spectacles ne meurent jamais, parce que de spectacle forcément éphémères, ils deviennent des œuvres : ce Midsummer night’s dream n’est plus un spectacle, c’est une œuvre inscrite dans l’histoire de la scène européenne.[wpsr_facebook]