C’est une tradition depuis la refondation du Lucerne Festival Orchestra, en dehors des concerts symphoniques, pendant les 10 jours d’ouverture du Festival, les musiciens du LFO proposent à toute heure du jour des concerts de musique de chambre de très haute qualité: Claudio Abbado était persuadé que l’orchestre symphonique doit être formée de musiciens qui jouent aussi ensemble de la musique de chambre, pour s’écouter, pour construire une relation musicale cohérente ensuite à l’intérieur de la formation symphonique, et pour le plaisir des relations interpersonnelles, importantes dans un groupe aussi important fait d’artistes venus d’horizons différents.
Ce soir, premier concert de la plus récente série Late Night concert (des concerts qui débutent à 22h après le programme symphonique), avec un programme concocté autour d’Isabelle Faust, artiste étoile de Lucerne 2015, liée elle aussi à Claudio Abbado et à l’orchestre (elle a participé au concert du 6 avril 2014 en jouant le concerto à la mémoire d’un Ange de Berg qu’elle avait interprété assez récemment à Berlin avec les berlinois sous sa direction), l’Histoire du Soldat de Stravinsky, avec pour récitant Dominique Horwitz.
Autour d’eux, six solistes, dont cinq sont des premiers pupitres du LFO.
Reinhold Friedrich, trompette, professeur à l’Ecole supérieure de Musique de Karlsruhe, l’un des plus grands solistes actuels, Matthias Racz, basson, premier basson à la Tonhalle de Zürich, Frederic Belli, trombone solo à l’orchestre de la SWR Baden-Baden/Freiburg, Slawomir Grenda, contrebasse solo au Münchner Philharmoniker, Raymond Curfs, ex MCO, timbalier au Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, et Martin Spankenberg, clarinette, professeur à la prestigieuse Ecole Supérieure de Musique Hanns Eisler de Berlin.
Le « mimodrame » a été présenté non pas sous forme dramatique ni chorégraphique, mais « concertante ». Même le violon, Isabelle Faust, n’était pas parmi les personnages, à côté du récitant. Les musiciens sont disposés en cercle, au milieu du vaste plateau de Lucerne, et Isabelle Faust a la place la plus proche du public, à Jardin.
Une formation fabuleusement précise et vivante, avec des solistes exceptionnels, Raymond Curfs se surpasse, sans parler de Reinhold Friedrich et de la contrebasse de Slawomir Grenda qui semble un personnage. Le violon d’Isabelle Faust, virtuose certes, c’est bien le moins, mais aussi ironique, voire sarcastique, très expressif, est placé dans l’orchestre et apparaît aussi non plus comme personnage mais instrument, ce qui pour certains est un peu regrettable, mais cela se comprend au vu de l’option de départ, à savoir faire de cette Histoire du soldat d’abord un concert mêlé voix et instruments et non un « opéra », et proposer un opéra non « de chambre » mais « un opéra-musique de chambre », d’un modestie calculée et d’un effet vraiment notable.
La surprise vient peut-être di récitant, Dominique Horwitz, qui réussit une performance exceptionnelle. C’est un français arrivé en Allemagne à l’adolescence et qui y est resté: le ton, le travail sur la voix, la vivacité, la couleur, tout y est. J’ai l’habitude d’entendre la version originale française bien entendu, mais cette version est vraiment exceptionnelle et vaudrait enregistrement, Dominique Horwitz devrait aussi l’enregistrer dans l’original français, mais il n’est pas sûr qu’on arrive aux même effets: l’allemand est une langue accentuée, avec des longues, des brèves, et l’effet musical est immédiat, le français moins accentué rend un effet très différent .
Sa voix remplit la scène et se fond en même temps avec les divers instruments de sorte que cette représentation est vraiment concertante, tant la voix du récitant fait de la musique avec les autres. Ainsi, au lieu d’avoir des instruments et des personnages, on a devant soi huit instrumentistes qui jouent de leur instrument, chacun avec leur virtuosité et leur personnalité : Isabelle Faust et Dominique Horwitz ne sont plus solistes, ne sont plus le centre de l’attention mais font partie de cette entreprise de musique faite ensemble, une fois de plus triomphe le Zusammenmusizieren.
Après le concert de Haitink, encore un moment d’exception une heure après. Il y a des jours où Lucerne est vraiment un festival unique.[wpsr_facebook]