LUCERNE FESTIVAL 2013 – ÉTÉ: LE PROGRAMME DES CONCERTS

Le Festival de Lucerne de l’été 2013 sera un peu redimensionné. Effet de la crise? Une grosse semaine en moins puisque cette année le Festival ouvre le 16 août et non le 8 comme l’an dernier. La programmation en est-elle affectée? Pas vraiment: on trouve comme d’habitude la théorie des orchestres de prestige présents au bord du Lac, Philharmonique de Berlin(Rattle), Philharmonia(Salonen), Concertgebouw(Gatti), Radio Bavaroise (Jansons), Staatskapelle de Dresde (Thielemann), Philharmonique de Vienne (Maazel), Philharmonique de Saint Pétersbourg (Temirkanov), Symphonique de Pittsburgh (Honeck), avec cette année, Wagner oblige (il a séjourné à Lucerne, dans la villa de Tribschen), un Ring des Nibelungen complet avec l’excellent Symphonique de Bamberg, un des orchestres de grande tradition, on pourrait même dire de Haute École, qui fut l’orchestre de Joseph Keilberth, dirigé aujourd’hui par Jonathan Nott.

Et Abbado? la thématique de cette édition “Révolution” l’a conduit à programmer un concert d’ouverture (16 et 17 août) composé de trois compositeurs à leur manière “révolutionnaires”, Luigi Nono (Extraits de Prometeo), Schönberg (Extraits des Gurrelieder – à quand le moment rêvé de la programmation de l’intégrale?) et l’Eroica de Beethoven. Le second concert continuera d’explorer Bruckner avec la Symphonie n°9 WAB 109, pour trois concerts (23, 24, 26 août).

Sans répéter ce que vous lirez parfaitement dans le programme officiel publié dans le site, je voudrais attirer votre attention sur ce que j’estime être incontournable. D’abord Der Ring des Nibelungen , direction Jonathan Nott, Bamberger Symphoniker, les 30 et 31 août et les 2 et 4 septembre  avec entre autres Klaus Florian Vogt (Siegmund), Petra Lang/Eva Johansson (Brünnhilde), Albert Dohmen (Wotan/Wanderer) Torsten Kerl (Siegfried) , Mikhaïl Petrenko (Fafner/Hunding) Elisabeth Kulman (Fricka).

Chaya Czernowin, compositrice israélienne, sera l’artiste en résidence 2013, et plusieurs orchestres joueront ses oeuvres, à commencer par le  West Eastern Diwan Orchestra, dirigé par Daniel Barenboim qui donnera deux concerts, le 18 août (Verdi, Haddad, Wagner, Czernowin) et le 19 août (Wagner, Berg, Beethoven) deux concerts où l’on jouera Wagner, mais aussi un compositeur israélien et un compositeur arabe.
Le Concertgebouw pour sa venue annuelle, sera dirigé par Daniele Gatti les 1er et 3 septembre pour deux concerts, au programme Mahler IX (le 1er septembre) et Bartok/Prokofiev le 3 septembre, parce que Mariss Jansons leur chef dirigera son autre orchestre (Orchestre de la Radio Bavaroise) quelques jours après, le 7 septembre dans un programme Beethoven (concerto pour piano n°4 – Mitsuko Uchida)/Berlioz (Symphonie Fantastique), et le 8 septembre dans un programme Mahler avec la symphonie n°2 “Résurrection”, et le chœur de la Radio Bavaroise, Anna Larsson et Genia Kühmeier en solistes…on y sera!

J’ai noté aussi le Philharmonia Orchestra dirigé par Esa Pekka Salonen dans une Damnation de Faust de Berlioz avec Paul Groves (Faust) etGérard Finley, mais aussi, hélas, Christianne Stotjin.

Je n’oublie pas Maurizio Pollini le 1er septembre à 11h et Pierre Boulez, programmé avec le chef Pablo Heras Casado avec le Lucerne Festival Academy Orchestra le 7 et le 9 septembre pour deux concerts différents, l’un très contemporains (Mason, Attahir, Ammann,  Boulez) l’autre plus “classique” (Webern, Berg | Berio, Stravinski).

C’est la fête à Lucerne, comme vous pouvez le constater, et le 25 août ce sera encore plus fort, puisque les deux orchestres Lucerne Festival Orchestra et Lucerne Festival Academy Orchestra, dirigés par David Robertson, seront réunis dans la ville pour un programme surprise connu seulement en juin prochain!
Prenons donc notre mal en patience, et délectons-nous à l’avance de ce programme un peu allégé, mais si alléchant.

LUCERNE FESTIVAL 2013 – PÂQUES : LE PROGRAMME DES CONCERTS DU 16 AU 24 MARS 2013

Le programme de Lucerne 2013, 75ème anniversaire du festival fondé en 1938 est paru, tant le programme de Pâques (début de la location 3 décembre) que celui d’été (location 4 mars). Vous pouvez le consulter celui de Pâques en suivant ce lien Lucerne Festival Pâques . Vous pouvez aussi consulter celui d’été en cliquant sur Lucerne Festival Eté.
A Pâques, la ligne initiée les autres années se poursuit avec trois grands moments qu’on ne manquera pas: un moment Abbado, un moment Haitink, et un moment Jansons, et quelques autres encore….
Ouverture du Festival le 16 mars 2013 avec un concert de Claudio Abbado, l’Orchestra Mozart et en soliste Martha Argerich , au programme:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827) Ouverture n° 3 de l’opéra Léonore op. 72
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791) Concerto pour piano et orchestre en do majeur KV 503
Ludwig van Beethoven
(1770-1827) Ouverture Coriolan op. 62
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791) Symphonie en si bémol majeur KV 319.

Le lundi 18 mars 2013, un second programme d’Abbado toujours avec Martha Argerich:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827) Ouverture n° 2 de l’opéra Léonore op. 72
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791) Concerto pour piano et orchestre en ré mineur KV 466
Franz Schubert
(1797-1828) Extraits de la musique de scène pour Rosamunde D 797
Joseph Haydn
(1732-1809) Symphonie en ré majeur Hob. I:96 Le Miracle

En clôture, deux concerts de l’Orchestre de la Radio Bavaroise, dirigé par Mariss Jansons
– le samedi 23 mars 2013, le War Requiem de Britten avec en solistes Emily Magee, Christian Gerhaher et Marc Padmore, Tölzer Knabenchor et Choeur de la Radio Bavaroise.
– Le dimanche 24 mars 2013, la Symphonie n°6 de Chostakovitch et la Symphonie n°5 de Beethoven

Et entre les deux, une master class de Bernard Haitink (les 21 ,22, 23 mars), et puis quelques menus autres concerts, dont deux concerts du Los Angeles Philharmonic dirigé par Gustavo Dudamel (le 20 marsJohn Adams, The Gospel According to the Other Mary Oratorio pour solistes, chœur et orchestre en présentation scénique  et le 21 mars  un concert Vivier, Debussy, Stravinsky – L’Oiseau de Feu) et enfin le 22 mars les English Baroque Soloists et le Monteverdi Choir sous la direction de John Eliot Gardiner exécuteront la Passion selon Saint Jean de Bach dans une nouvelle édition “Urtext” .
Vous n’en avez sans doute pas assez: Isabelle Faust donnera aussi un récital le 17 mars et la Jeune Philharmonie de Suisse centrale un concert à la Jesuitenkirche le 19 mars avec deux oeuvres rarement jouées, le Stabat Mater de Poulenc et le Te Deum de Bizet.

Vous avez compris, comme d’habitude, il faut aller à Lucerne, au moins pour le week end d’ouverture et celui de la clôture. On ne manquera ni Argerich et Abbado, ni Jansons dans ce Britten qui promet d’être un sommet (Gerhaher!!).

LUCERNE FESTIVAL 2012: MARISS JANSONS DIRIGE L’ORCHESTRE DU CONCERTGEBOUW le 1er SEPTEMBRE 2012 (BARTOK, MAHLER) avec Leonidas KAVAKOS

©Peter Fischli/Lucerne Festival

Ce concert de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam propose un programme qui a lui seul est un tissu d’échos, échos d’un parcours extraordinaire qui ne peut se conclure que sur la ténébreuse (surtout en ce moment), mais profonde unité de la culture européenne. Songeons: nous sommes en Suisse, écoutant un orchestre hollandais dirigé par un chef letton avec un soliste grec, qui exécutent un programme “austro-hongrois”: un concerto pour violon du plus grand musicien hongrois du XXème siècle, composé pour son ami le violoniste hongrois virtuose,  Zoltán Székely (1903-2001), créé à Amsterdam par ce même Concertgebouw en 1939 par Willem Mengelberg, lui-même lié à Lucerne où il a créé un orchestre et un chœur dans les années vingt, lié à la Suisse où il a fini sa vie après la seconde guerre mondiale pour cause de trop proche collaboration avec le régime nazi, et surtout lui-même aussi lié à Gustav Mahler, depuis 1902, dont ce soir on exécute aussi la première symphonie,  et qu’il a fortement contribué à diffuser, faisant du Concertgebouw un lieu mahlérien par excellence. La boucle de ce parcours d’échos est bouclée quand on sait que la 1ère Symphonie de Mahler a été créée à…Budapest, où Mahler était directeur de l’opéra en 1889. De Lucerne  à  Amsterdam en passant par Budapest, voilà  la magie de la diffusion de la culture sur un continent où les identités nationales paraît-il s’affirment de plus en plus fortement, et violemment parfois, notamment en Hongrie, alors toute son histoire culturelle n’est que circulation, métissage, inspirations réciproques et correspondances, au sens baudelairien du terme.
La deuxième remarque est la sympathie immédiate qu’inspire Mariss Jansons sur le podium. Ce chef discret est sans nul doute aujourd’hui le plus grand de tous (à part les grands mythes octogénaires ou quasi, les Abbado, Haitink, Boulez), et sur le podium c’est le plus souriant de tous, toujours ce sourire d’une humanité profonde, qui conduit les musiciens, avec une énergie peu commune malgré ses problèmes cardiaques (un ami s’était étonné de voir son geste, qu’il pensait moins démonstratif, plus distancié ou plus sénatorial). Cette joie, elle est communicative, ce sourire, nous l’avions tous au sortir d’un concert contrasté, mais aussi grandiose, un de ces soirs qui comptent dans la vie du mélomane. Quelle semaine! Après le Requiem de Verdi, une première de Mahler anthologique, et un concerto pour violon n°2 de Bartok qui laisse sans doute le goût d’inachevé dans la bouche, non à cause de l’orchestre mais à cause du soliste, mais qui pose de manière crue le problème de l’interprétation et de la sensibilité, à propos d’une musique d’un abord difficile et rèche. Ce soir la sensibilité et le coeur, c’est l’orchestre qui me les a données, un orchestre magnifique, au son épuré, à la finesse exemplaire, dans un concerto où l’aspect acrobatique du violon semble dominer, alors que dès que l’orchestre reprend, on est dans un autre univers, c’est cet écart qui me frappe. Si l’on compare avec le concerto de Berg, de trois ans antérieur, et écouté il y a quelques mois par Isabelle Faust, nous sommes avec Bartok à la frontière  du dodécaphonique, qu’il ne franchit pas, mais il est difficile de ne pas rapprocher ces deux expériences violonistiques, où le violon éthéré de Faust n’a rien à voir avec le coup d’archet violent, appuyé, au son plein du Stradivarius de Leonidas Kavakos. Un style techniquement sans reproche, très acrobatique et très dominé: Bartok en bon hongrois sait ce que violon veut dire. A ce jeu et notamment dans le long premier mouvement, Kavakos est très démonstratif et assez extérieur, il ne communique pas une épaisseur, mais un “jeu”, rien qu’un jeu, mais il ne dit rien. En tous cas, il ne m’a rien communiqué. Au contraire, et c’est très sensible au deuxième mouvement, andante tranquillo construit en thème et (sept) variations ce qui était l’intention initiale du compositeur quand Zoltán Székely voulait un concerto. Bartok joue entre un certain classicisme formel, mais aussi un jeu où l’orchestre est au premier plan, et ce jeu soliste/orchestre tourne pour moi à l’avantage de l’orchestre, contrebasses somptueuses (1ère variation) harpe (deuxième) mais aussi celesta et timbale. jeu à la fois d’accompagnement et presque de contraste avec le soliste. Grand moment. J’avoue ne pas avoir ressenti le violon de Kavakos, faisant pour moi plus de notes que de musique, avec un côté superficiel quand j’entendais un orchestre bien plus profond. Paganini en bis, il fallait s’y attendre. Dommage; j’attends de réécouter cet artiste de 45 ans, qu’on voit depuis une petite dizaine d’année dans les grandes salles de concert, et qui est l’artiste en résidence de Philharmonique de Berlin cette saison.
Avec Mahler, c’est un tout autre univers, une toute autre trempe, une toute autre profondeur: le son très dense de l’orchestre, rompu à ce répertoire, le soin de Jansons de ménager les contrastes, de rythmer jusqu’à l’imitation ironique le Ländler du second mouvement, de passer violemment d’un attendrissement bouleversant à un grincement insupportable, c’est tout Mahler qu’on ressent, c’est tout un discours qui nous est donné, le discours de l’amertume, déjà, mais aussi et surtout le discours de l’optimisme, de l’union avec la nature, une nature en harmonie, mais la souffrance aussi, et la déchirure: ses années de jeunesse étaient traversées par des crises amoureuses violentes, qui motivent l’envie d’écrire (Das Klagende LiedLieder eines fahrenden Gesellen). Ces expériences personnelles accumulées motivent le  besoin d’écrire une forme symphonique plus large, d’abord poème symphonique, en cinq moments dont un andante (“Blumine”) qu’il supprime pour, en 1896, lui donner son titre définitif de Première Symphonie, peu à peu acceptée par une critique d’abord sceptique (la critique hongroise avait loué ses dons de chef d’orchestre, mais lui déconseillait de continuer à diriger ses oeuvres). Il y a quelques années, Abbado avait dirigé cette symphonie à Lucerne, un moment sublime comme presque toujours Abbado en donne à Lucerne, et ce soir c’est sublime aussi, mais , et c’est heureux, complètement autre complètement ailleurs. J’avais je crois déjà usé de la métaphore, mais Abbado a l’élégance d’un temple ionique: monumental, élégant, raffiné. Ici Jansons construit une symphonie de style dorique, un dorique maîtrisé comme le Parthénon, avec ses contradictions, ses courbes légères qui corrigent les perspectives, une rigueur massive et en même temps d’une aveuglante clarté, où l’explosif est toujours maîtrisé, les cors, debout comme le demande la partition au dernier mouvement sont somptueux, mais leur son n’est pas envahissant dans une salle à l’acoustique si claire et si généreuse, l’explosion du début du mouvement et même le final restent “maîtrisés” au sens où le son reste compact. Un art consommé des équilibres, de l’élégance, et cela nous fait trembler. Le sommet de ce soir à mon avis, le troisième mouvement, la fameuse marche funèbre au son du Frère Jacques, avec sa terrible ironie, ses sons à la fois sublimes et grinçants, son rythme (percussions extraordinaires), un des moments les plus rares, car l’ironie peu à peu laisse place à l’effroi, l’émotion, l’humain. Mais aussi je l’ai écrit plus haut le second mouvement très “lourd”, au rythme saccadé de la danse populaire, non pas sublimée, mais vraiment “terrienne”, chtonienne, dirais-je. Enfin, je fais référence au début, les toutes premières secondes de la symphonie furent si magistrales que tout le public a compris à quel événement il lui était donné d’assister. Évidemment à la fin, très vite, standing ovation, sans qu’un seul spectateur ne quitte la salle. Et honte à ceux qui diraient d’un petit air entendu que le Concertgebouw “a toujours le même son”:  oui, et c’est tant mieux quand c’est ce son là: à Lucerne, à Amsterdam, dans ces salles à l’acoustique exceptionnelle, ce son se déploie, s’approfondit, se structure en échos, en lignes, en tissu sonore, compact mais clair , massif mais aéré, il met en espace le rêve du mélomane.
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LUCERNE FESTIVAL 2012: CLAUDIO ABBADO DIRIGE LE LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA les 8, 10 et 11 AOÛT 2012 (BEETHOVEN-MOZART)

©Peter Fischli Lucerne Festival

Concert du 8 août

L’ouverture du Festival de Lucerne se déroule selon un rituel rodé: le président du conseil d’administration Hubert Ackermann accueille et souhaite la bienvenue aux invités officiels et au public, un/une politique prononce le discours d’accueil convenu, ce soir la Présidente de la Confédération Helvétique, Eveline Widmer-Schlumpf, qui ne s’est pas trop fatiguée, et un grand intellectuel parle du thème de l’année: on a eu naguère Peter Sloterdijk ou Nike Wagner,

©Peter Fischli Lucerne Festival

ce soir c’est le grand théologien et penseur Hans Küng, l’un des plus grands théologiens du XXème siècle (et du XXIème débutant) qui va disserter pendant près de 45 minutes sur les compositeurs et la foi. Il parle de musique, de foi, de Bruckner et de sa foi naïve, de Mahler et de sa foi tourmentée, de la VIIIème de Mahler, non sans ironie, vu les circonstances, et bien sûr du Requiem de Mozart et de Beethoven. C’est un peu long, cela manque quelquefois de nerf, mais ce discours dans un bel allemand académique ne manque pas de références et montre en tous cas quel rôle joue la musique dans la culture allemande.
Après une courte pause, le concert commence avec la première partie dédiée à la musique de scène de la tragédie Egmont (un texte de Goethe de 1788). Une œuvre peu jouée, dont on connaît surtout l’ouverture (qui combine l’ouverture effective et la “symphonie de victoire” finale) comme par exemple Claudio Abbado l’a dirigée dernièrement à Pleyel avec l’Orchestra Mozart. Le comte d’Egmont croit en la liberté et en la bonté, il s’oppose à l’envahisseur espagnol en la personne du Duc d’Albe, mais est abandonné par les siens, sauf de sa maîtresse, qui se suicide. Il est emprisonné, condamné à mort, il meurt en martyr, et dans la foi en ses valeurs. De cette tragédie Beethoven a tiré 40 minutes de musique, deux airs de Clärchen, la maîtresse (Juliane Banse) et de longs monologues parlés dits ici par Bruno Ganz, et accompagnés de musique comme un mélologue, des textes grandiloquents, un peu boursouflés, que Bruno Ganz lit en surjouant un peu, avec un pathos à la limite du ridicule, notamment à la fin, mais c’est le style là Sturm und Drang.
Chaque morceau chanté ou parlé est entrecoupé d’intermèdes de  musique, très dynamique, une musique un peu martiale qui allie brio, marches, rythme très vivace, et qui donne la part belle aux bois et notamment au dialogue clarinette (Sabine Meyer) et flûte (Jacques Zoon) et aux merveilleux solos de hautbois (Entr’acte III).
Évidemment dès les premiers moments de l’ouverture, le son de l’orchestre et l’acoustique de la salle effacent totalement le souvenir de Paris, des cordes soyeuses, qui savent moduler un son, qui rappellent celles des Berliner sous Abbado, des cuivres extraordinaires (Reinhold Friedrich) , des bois à faire rêver, tout cela donne, avec l’acoustique réverbérante de la salle, une chaleur, une énergie peu communes. On aurait préféré un autre soprano que la pâle Juliane Banse, qui fait honnêtement son travail, mais sans éclat, sans poésie, sans vraie présence: le rôle est ingrat, il est vrai, deux Lied initiaux, et puis c’est tout, jusqu’à la fin.
J’ai dit que Bruno Ganz, acteur immense, un peu cabot désormais, avait tendance à en faire un peu trop, mais il dit le texte avec des accents qui quelquefois  font aimer la langue allemande pour l’éternité. Reste le vrai protagoniste, l’orchestre dont on ne sait où tendre l’oreille tant c’est somptueux: l’ouverture est vraiment de l’ordre du sublime.
Abbado dirige avec énergie, avec dynamisme, faisant ressortir le brio, la vie, tous les aspects épiques: il en résulte de vrais instants de bonheur, et au total, c’est vraiment un magnifique moment, dont on sort ragaillardi. J’ai beaucoup aimé.
Face à cette explosion, le Requiem KV 626 en ré mineur est pris par Abbado sur un mode tout différent. A ceux qui attendraient de voir des orages romantiques se lever, une sainte colère de l’homme résistant face à la mort, Abbado oppose une sorte de sérénité céleste, comme si ce Requiem était déjà une pièce de l’au-delà, de l’apaisement, du repos éternel. L’orchestre est réduit (une quarantaine de musiciens) et va jouer “en mineur”, on l’entend juste ce qu’il faut, laissant au chœur la part des anges (c’est le cas de le dire), c’est à dire tout ce qui rend cette musique sublime et justement, céleste: le chœur est le vrai protagoniste ce soir et il est à vrai dire inouï, j’ai rarement entendu une telle perfection. Formé des meilleurs éléments de deux des chœurs les plus éminents en Europe, celui de la Radio bavaroise et celui de la Radio suédoise (qui étaient prévus pour une certaine symphonie de Mahler…), on se demande comment on pourrait prétendre à mieux, c’est tout simplement époustouflant: on se souviendra pour toujours de la manière dont il chante “requiem sempiternam” dans l’Agnus Dei. C’est pour ainsi dire, unique.
Du côté des solistes, on est frappé par René Pape, évidemment (éblouissant, notamment dans le Benedictus, et  bien sûr, le Tuba mirum) et par Sara Mingardo, voix pure, ronde, puissante, elle aussi dans le Tuba mirum (magnifique “Judex ergo cum sedebit”), moins par le ténor Maximilian Schmitt à la voix juste mais un peu légère. On est en revanche très réservé devant la prestation  pénible d’Anna Prohaska, voix âpre, rêche, avec de fréquents écarts de justesse, n’ayant aucune des qualités de lyrisme, de légèreté, de pureté vocale exigées par la partie. Elle gâche l’ensemble.
Quant à l’orchestre, j’ai dit qu’il était discret, travaillant souvent sur un fil de son, à peine perceptible comme Abbado sait en obtenir parce que le parti pris est clairement de donner au chœur la plus grande importance, et de laisser l’orchestre soutenir, par touches presque pointillistes.
On se souviendra avec émotion cependant de la clarinette (Sabine Mayer) dans l’introitus ou dans le benedictus, des trombones impeccables du tuba mirum, des cordes sublimes de suavité dans le recordare ou pleurantes comme Abbado sait l’obtenir dans le lacrimosa époustouflant, ou les trompettes (Reinhold Friedrich) du sanctus.
Le long silence final en dit long sur la manière dont le public est frappé par ce travail très particulier, qui marque une évolution nette. Le premier Requiem avec les berlinois m’était apparu un peu froid, un peu absent, celui-ci n’a rien de distant, mais c’est comme une sorte de regard serein sur la mort, sur le départ. Après la mort triomphante d’Egmont, on a là une mort sans souffrance, sans attaches terrestres mais déjà conquise par le ciel, une grande émotion et tout à la fois une sérénité bien éloignée des émotions mahlériennes qui vous secouent, et vous tourneboulent. De là où ce Requiem nous regarde, plus rien n’impressionne, ce Requiem est celui de l’ailleurs presque heureux, en tous cas rasséréné.

Au total, on continue évidemment de regretter le changement de programme, mais c’est une très belle soirée qui nous a été offerte, au point que je retournerai le 10 et le 11 avec un plaisir non dissimulé pour approfondir cette interprétation surprenante, avec deux pôles radicalement opposés, qui nous permet de naviguer entre le plaisir de la mort héroïque et celui de la mort sereine, sur les rives du plus beau des lacs suisses.

Concert du 10 août

Entre le 8 et le 10 août, il s’est passé un court laps de temps qui permet au concert de ce soir de passer du niveau de très beau concert à celui de sublime moment. Ce qui a été dit avant hier vaut pour ce soir, avec un plus qui place l’ensemble, à un niveau de perfection tel que les amis qui ont annulé à cause de l’affaire Mahler ont fait une belle erreur. Un Requiem de cette trempe, on n’en entendra sans doute jamais plus.
Egmont montre les mêmes qualités et les même défauts, sauf que l’orchestre est encore plus grand, encore plus pur, techniquement au point de la perfection. L’ouverture est littéralement un coup de tonnerre, encore plus somptueuse que le 8, avec un son d’une rondeur inouïe, des bois qui vous clouent sur place, des cordes à vous faire chavirer: les violoncelles et les altos sont époustouflants. Alors, certes, Juliane Banse reste en deçà, et Bruno Ganz un peu “au-dessus”, qui ne réussit pas à équilibrer une prestation qui reste de haut niveau, mais un peu trop surjoué, surdit, avec des maniérismes certes en liaison avec un texte difficilement acceptable aujourd’hui, mais Ganz ne fait pas grand chose pour le faire accepter…sinon qu’il y a l’orchestre derrière, et cette musique, qui n’est quand même pas l’une des meilleures que  Beethoven a écrites, n’est pas désagréable à entendre, surtout quand elle est jouée par des instrumentistes en état de grâce.
Dès le début du Requiem, avec l’attaque orchestrale reprise par le chœur, on sent que l’on est un cran au-dessus du 8 août, d’abord par l’homogénéité du son, la maîtrise du volume: l’orchestre effleure le son et donne paradoxalement une forte tension immédiatement perceptible. C’est peut-être la tension, palpable de bout en bout, qui donne ce plus dont je parlais. En tous cas, il apparaît clair que le quatuor des solistes n’est pas le protagoniste de cette interprétation. Même si Madame Prohaska est encore en deçà du nécessaire, avec son attaque problématique dès l’introitus, et même si cette fois le ténor Maximilian Schmitt est plus présent, et montre un timbre velouté et une bonne maîtrise technique, les solistes ne sont que quatre instrumentistes de plus, au milieu de l’orchestre. C’est le dialogue entre chœur et orchestre qui domine, un chœur dont il est inutile de décliner des qualités:

il est littéralement insurpassable, dans le murmure comme dans le forte, dans la modulation, dans la diction (on entend chaque mot). A ce chœur unique, répond un orchestre un peu plus présent que l’autre soir, qui montre une retenue, une domination du moindre son, à tous les pupitres, et qui accompagne le chœur dans un dialogue presque céleste et intense tout à la fois, d’une intensité inouïe. Dans cet auditorium qui est haut comme une cathédrale, avec un plafond constellé, l’effet est ravageur pour l’émotion, une émotion si contenue, si compressée qu’il faut de longues minutes pour s’en remettre, pour avoir même envie d’applaudir après le très long silence final. Mais le public se réchauffe de plus en plus, ne cesse d’applaudir pour finir par se lever et gratifier l’ensemble des protagonistes de la standing ovation méritée.
On se souviendra du 10 août. Qu’en sera-t-il le 11?


Concert du 11 Août

Globalement, le niveau du concert n’était guère différent de la veille. Egmont cependant, aux dires de ceux qui y étaient hier, et c’est aussi mon avis, était un peu en deçà du niveau atteint notamment par l’ouverture et à cause de quelques hésitations de Bruno Ganz,  qui a eu un “trou” au début de son texte, et qui ne retrouvait plus la suite (avec le texte sous les yeux…).

Saluts après Egmont

Juliane Banse était peut-être un peu plus en voix, notamment dans sa seconde intervention, “Freudvoll und leidvoll…”, mais la voix, jolie, manque quand même de projection. On reste toujours abasourdi par les bois, le hautbois de Lucas Macias Navarro (un rêve) et la clarinette de Sabine Meyer, ainsi que les cuivres étourdissants (les cors!!). Il reste toujours intéressant de voir comment la musique et le texte dit s’harmonisent. Abbado suit les inflexions de Bruno Ganz (un tout petit peu moins boursouflé) et fait écho aux modulations de la langue parlée. On peut trouver cette musique un peu ronflante, il reste des moments magnifiques, des retenues qui touchent vraiment, avec des cordes qui savent chanter avec un engagement peu commun: il suffit de voir se démener le premier

Sebastian Breuninger

violon Sebastian Breuninger (Gewandhaus Leipzig).
Le Requiem en revanche a été comme la veille, en tous points sublime, avec quelques

Claudio Abbado

différences (peut-être aussi dues à la place  occupée ce soir, plus proche de la scène). Notamment les solistes étaient plus présents , le ténor Maximilian Schmitt a été chaque soir un peu meilleur, et ce soir il a donné une joli preuve de style, de portamenti, de volume.
René Pape est toujours somptueux et écoute l’orchestre avec qui il chante en écho, Sara Mingardo est vraiment elle-aussi très présente, et perçoit immédiatement quelle couleur donner à ses interventions, Anna Prohaska est toujours un peu en marge, ce qui est dommage, car elle a les interventions solistes les plus importantes. Que dire du choeur et de l’orchestre, qui se répondent et s’écoutent, avec un orchestre toujours époustouflant de ductilité, je me suis intéressé ce soir aux trombones et à la trompette, tout en sourdine, en discrétion, mais aussi tout en fluidité: du grand art.
Ce soir encore, l’impression d’avoir entendu un immense moment, qui nous mène ailleurs: un tel Requiem, je ne l’avais jamais entendu. Il est autre, oui c’est quelque chose d’autre et Abbado une fois de plus nous surprend, tout en nous faisant oublier notre regret initial (pas de Mahler!) Hier et ce soir, nous avons été mené ailleurs, dans un espace autre, là où nous ne pensions pas aller avec un sentiment qui allie étrangement sérénité et tension extrême.
Le public une fois de plus ne s’y est pas trompé, il a accompagné le long silence final, et a commencé à applaudir longuement, mais sans cris habituels, puis de plus en plus chaleureux, de plus en plus fort, jusqu’à la standing ovation…il revenait du ciel et reprenait ses habitudes de public à Lucerne, ce soir en restant en salle et battant des mains jusqu’à ce qu’Abbado revienne seul, orchestre sorti, répondre à sa demande et saluer une dernière fois sous les vivats.

Vous pouvez revoir ce Requiem sur Medici TV en cliquant sur le lien suivant: Requiem Mozart Abbado 8 août 2012

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LUCERNE FESTIVAL 2012 (ÉTÉ): CE QU’IL NE FAUDRAIT PAS MANQUER

Festival de Lucerne: 8 août-15 septembre 2012

Si vous êtes retraité, si les Francs suisses ne vous font pas peur, si vous aimez la musique, alors, louez un appartement à Lucerne du 8 août au 15 septembre, vous ne le regretterez sans doute pas ! Le  Festival de Lucerne 2012 dont le thèmes est “La foi” est un feu d’artifice d’événements tous plus attirants les uns que les autres. Je ne vais évidemment pas les détailler tous, il vous suffit d’aller sur le site du Festival de Lucerne pour avoir le tout en détails. je vais simplement rappeler quelques moments que vous auriez intérêt à noter dans vos tablettes.

D’abord, l’artiste étoile du Festival est le chef Andris Nelsons, qui dirigera le 3 septembre son orchestre, le City of Birmingham Symphony Orchestra dans la Symphonie n°2, Résurrection de Gustav Mahler, le 4 septembre, le concerto pour violon de Sonia Gubaidulina, et la Symphonie n°7 “Leningrad” de Chostakovitch, et enfin le 5 septembre la Symphonie n°9 de Beethoven . Sont prévues aussi des conversations et des rencontres.

Le cycle du Lucerne Festival Orchestra s’annonce exceptionnel.
Claudio Abbado devait diriger par trois fois, les 8, 10, 11 août la monumentale Symphonie n°8 de Mahler, la “symphonie des Mille” qu’il a si peu dirigée. Il n’est  décidement pas en phase avec cette œuvre monumentale et finalement il a renoncé à la diriger, et propose comme programme alternatif les musiques écrites par Beethoven pour la tragédie Egmont (toutes les musiques) et le Requiem de Mozart  et les 17 et 18 août le concerto pour piano n°3 en ut mineur de Beethoven (soliste Radu Lupu) et la Symphonie n°1 de Bruckner en ut mineur, WAB 101. Entre les deux notons un grand concert choral du Mahler Chamber Orchestra dirigé par Daniel Harding le 9 août (Schubert, “Chant des esprits sur les eaux” D 714, Schumann “Nachtlied”op.108, Schubert, Messe en mi bémol majeur D950), un concert de Maurizio Pollini du cycle “Perspectives”(Lachenmann-Beethoven) le  12 août (et un second le 30 août ) et un concert de Pierre-Laurent Aimard (Debussy, Liszt, Messiaen).

Pierre Boulez animera, à 87 ans, les ateliers de la Lucerne Festival Academy et dirigera le Lucerne Festival Academy Orchestra pour plusieurs concerts: à noter une Master Class de direction d’orchestre autour de Philippe Manoury du 1er au 7 septembre à 10h chaque jour, un atelier autour de deux jeunes chefs d’orchestre, Daniel Cohen et Gergely Madaras, et de deux compositeurs, Benjamin Attahir et Christian Mason, le 1er septembre à 12h, des ateliers préparatoires au concert, autour de Philippe Manoury (le 1er et le 6 septembre), de Jonathan Harvey (le 3 septembre), et de Schönberg (Erwartung, avec Deborah Polaski le 4 septembre) et le concert du  Lucerne Festival Academy Orchestra (Manoury, Harvey, Schönberg) le 7 septembre, d’autres concerts et d’autres ateliers sont prévus avec d’autres chefs, voir le programme détaillé.

Après les cycles et les rendez-vous annuels, notons quelques concerts qui mériteront le détour:
– Un concert le 22 août du GMJO: Gustav Mahler Jugendorchester, fondé par Claudio Abbado, dirigé par Daniele Gatti avec Frank Peter Zimmermann en soliste (Wagner, Berg, Strauss, Ravel)

– le 29 août, l’orchestre et le chœur du Teatro alla Scala dirigés par Daniel Barenboim donnent le Requiem de Verdi avec un quatuor de choc: Anja Harteros, Elina Garanca, Jonas Kaufmann(s’il est guéri), René Pape

– les 1er et 2 septembre 2012, Mariss Jansons et son Royal Concertgebouw Orchestra proposent le concerto pour violon de Bartok (Leonidas Kavrakos, violon), et la Symphonie n°1 de Mahler (Titan), et “le survivant de Varsovie” de Schönberg, la “Symphonie des Psaumes” de Stravinski, “Adagio for strings”, de Barber, “Amériques”de Varèse

– les 14 et 15 septembre, Bernard Haitink dirige le Philharmonique de Vienne dans deux programmes passionnants, le concerto pour violon de Sibelius (Vilde Frang, violon) et la Alpensymphonie de Strauss, puis le lendemain le concerto pour piano n°4 de  Beethoven (Murray Perahia) et surtout la Symphonie n°9 de Bruckner, à ne pas manquer.

Et puis le tout venant: London Symphony Orchestra (Valery Gergiev) le 24 août, The Cleveland Orchestra (Franz Welser-Möst) les 25 et 26 août, les Berliner Philharmoniker (Sir Simon Rattle) le 28 août, le St Louis Symphony le 6 septembre (David Robertson/Christian Tetzlaff), les Münchner Philharmoniker (Lorin Maazel) le 9 septembre, et tant d’autres concerts de chambre ou de solistes, et des rencontres, et des projections cinématographiques.

Eh oui, il FAUT aller à Lucerne!
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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2013: AVANT-PROGRAMME

Lucerne Festival Pâques, 16-24 mars 2013

En 2013, le Festival de Lucerne fête ses 75 ans. Et le programme de Pâques prochain est déjà très attirant. On annonce Claudio Abbado, Martha Argerich et l’Orchestre Mozart in Bologna dans le concerto pour piano en ut majeur K.503, Gustavo Dudamel et le Los Angeles Philharmonic dans “La mer” de Debussy et “L’Oiseau de feu” de Stravinski, ainsi qu’une représentation semi-scénique (réglée par Peter Sellars) de l’oratorio de John Adams “The Gospel According to the Other Mary ” dont la première a lieu en mai prochain à Los Angeles, et enfin Mariss Jansons  avec son Symphonieorchester des bayerischen Rundfunks (L’orchestre symphonique de la radio bavaroise) offrira le War Requiem de Britten (2013 sera l’année Britten), composé en 1961 pour marquer la reconstruction de la Cathédrale de Coventry. Enfin on entendra aussi des voix comme Mark Padmore et Christian Gerhaher.
Rendez-vous en mars prochain!

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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES le 31 mars 2012: Mariss JANSONS dirige le SINFONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (Janáček, Brahms)

Johannes Brahms (1833-1897)
Symphonie n° 2 en ré majeur, Op. 73
Leoš Janáček (1854-1928)
“Messe Glagolitique ”
Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise
Choeur de la radio bavaroise, direction Peter Dijkstra
Tatiana Monogarova, soprano
Marina Prudenskaia, mezzosoprano
Ľudovít Ludha, ténor
Peter Mikuláš, basse
Mariss Jansons, direction musicale
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On va manquer de superlatifs pour décrire la soirée qui vient de se terminer. Que des superlatifs absolus, définitifs, tant ce fut surprenant, impressionnant, neuf. Ce soir c’est de la pure énergie qui a circulé dans l’auditorium du KKL, une énergie optimiste, sûre d’elle, ouverte pour un Brahms d’exception, une énergie animale, d’une force peu commune, pour le Janáček, que,  honte à moi, j’entendais pour la première fois. Le tout dans la perfection technique d’instrumentistes totalement dévoués à leur chef, totalement engagés, totalement immergés dans le flot musical qui a tout emporté ce soir dans la salle en délire.
Par chance, ARTE était là et transmettra le concert le 15 avril.
On a écouté ce soir la symphonie n°2 de Brahms évidemment en écho à l’interprétation  de la symphonie n°4 la veille. Hier, c’était une sorte d’énergie tragique qui circulait dans la salle. Aujourd’hui, c’était une énergie vitale, optimiste, une sorte d’énergie pastorale au sens beethovenien du terme. Ma voisine, une dame largement septuagénaire très émue me glissa à la fin qu’elle avait soixante ans de violon derrière elle et que voir ainsi les cordes se déchaîner lui donnait envie d’aller jouer avec, tant leur énergie était communicative.
Jansons est revenu à la disposition orchestrale traditionnelle, Violons I et II à gauche, violoncelles, altos et derrière contrebasses à droite. Brahms joue en effet sans cesse sur l’épaisseur des sons graves face à celui des violons. On le sent au début très sensible, au son allégé mais à la couleur grave de l’ensemble altos/violoncelles, et aussi au cor, toujours atténué, mais toujours présent, et vraiment exceptionnel. Ce qui frappe dès le départ c’est la clarté, c’est la netteté et la précision des sons, et l’incroyable ductilité des cordes. Quand je regarde mes notes, elles sont remplies de points d’exclamation, notant çà et là l’art de la modulation porté à son sommet, notamment dans le deuxième mouvement, des diminuendi à se pâmer, mais aussi un élargissement progressif des volumes jusqu’à des tutti impressionnants, des phrases musicales qu’on découvre, qu’on n’avait jamais écoutées, ni même entendues, le tout sans aucune aspérité, sans cette scansion nette qu’on entendait la veille. Une sorte de suavité agreste qui surprend notamment dans le début du troisième mouvement, d’une grande fluidité, puis de cette attaque énergique des cordes qui nous transporte,
Dans le dernier mouvement, au début fulgurant qui alterne incroyable énergie et incroyable douceur en un contraste fort et en même temps jamais vraiment choquant, qui baigne  dans une atmosphère  optimiste et généreuse, on passe du dialogue d’un pizzicato et des bois à une reprise plus grave des violoncelles/altos, on lit tous les niveaux de tous les pupitres, rien n’échappe. Quant au final, il est totalement époustouflant, on a le cœur battant, on sort heureux, de cette énergie communicative qu’on a envie de partager immédiatement.
Ce qui frappe dans tout cela c’est  l’extrême construction de ce travail, on le sent dans les crescendos, dans la précision des attaques, dans la perfection instrumentale et évidemment le niveau prodigieux atteint par l’orchestre, sous l’impulsion du chef qui est toujours souriant d’un sourire communicatif et qui déploie une énergie incroyable. La vérité du cœur. A pleurer.
Quel changement! Je me souviens qu’en 1980, jouer Janáček était exceptionnel. A part Jenufa, bien peu d’œuvres étaient représentées ou jouées en concert. Les quelques mélomanes qui s’y intéressaient songeaient à créer une association des amis de Janáček, pour stimuler les organisateurs de concerts ou les directeurs d’opéra. J’ai entendu la Sinfonietta en 1990 lors d’une tournée du Philharmonique de Berlin en Italie, j’ai dû entendre pour la première fois Jenufa en 1982 ou 83. Le paysage a bien changé, heureusement, mais la « Messe glagolitique» reste une rareté. Et c’est vraiment dommage, c’est une oeuvre majeure! Elle est ainsi nommée par référence à l’alphabet introduit par Cyrille et Méthode, est écrite dans un texte qui est une sorte de slavon reconstitué, mais reprenant des éléments (partiels) de la messe en latin. S’affichant résolument slave, la Messe glagolitique est aussi une sorte de manifeste d’un panslavisme revendiqué, à un moment où Janáček, deux ans avant sa mort, n’a vraiment plus rien à faire d’un conformisme politique ou musical. Et disons-le tout net, la Messe glagolitique n’a rien d’une messe, dans sa rutilance, dans sa composition riche et charnue, généreuse, comme l’est toujours la musique de Janáček. C’est une messe, sans doute, mais plus à Dionysos, à la Nature, à l’énergie vitale, au paganisme (en ce sens, on est un peu dans l’esprit du Sacre du Printemps). On dirait aujourd’hui que Janáček déconstruit l’idée de messe, recueillie, intérieure, d’un dialogue intime. Ici c’est une explosion permanente, une sorte de cri rauque vers un Dieu presque agressé qui s’ouvre par une phrase musicale qui rappelle le début tempétueux de la Sinfonietta, auquel l’introduction fait irrésistiblement penser. Même l’orgue est totalement explosif, répétant un motif d’une rare énergie, dans le « Varhany solo » qui précède le final (Intrada). La nécessité de l’orgue fait comprendre d’ailleurs la rareté de cette œuvre dans les concerts (car toutes les salles n’ont pas de Grand Orgue !). Rareté qui serait incompréhensible autrement tant la musique en est puissante, prodigieusement présente, tout en étant à la fois complexe et accessible, une musique aux lointains échos…pucciniens  (j’ai encore le Trittico en tête, et  j’entends des choses lointaines qui pourraient venir de là, je me trompe peut-être, mais je sais que Janáček admirait Puccini). Ainsi pas un seul moment de répit, de repos, car tout est en tension permanente, notamment pour les voix, toujours sollicitées pour dépasser un orchestre monumental. S’en sort merveilleusement la soprano Tatiana Monogarova dont l’attaque dans le Kyrie est meurtrière : toutes ses interventions sont extraordinaires, et extraordinairement tendues. Une voix d’une pureté rare et d’un volume étonnant. A suivre ! Le ténor Ľudovít Ludha est très vaillant mais le timbre très clair le contraint à forcer et il s’en tire avec difficulté, eulement plus à l’aise quand l’orchestre est un poil plus bas. La basse assez connue Peter Mikuláš intervient tard, mais montre dans le Sanctus une assise claire, un très beau timbre et un beau volume qui s’élargit. Marina Prudenskaia pour la partie de mezzo intervient très peu, mais affiche un organe assez somptueux, comme toujours. Un quatuor admirable, même avec les petites réserves exprimées plus haut.
Le chœur de la Radio Bavaroise est sans doute le meilleur chœur d’Allemagne, il le prouve encore ce soir où sa prestation est littéralement prodigieuse, aussi bien dans la puissance que dans les mezze voci, où il est très sollicité, le son est pur, on entend bien le texte (même si on ne comprend  pas le slavon, on entend les « gospodin », les « boje », familiers aux auditeurs de Boris Godounov !), ce chœur a été ce soir simplement formidable.

On s’arrêtera aussi sur la prestation à l’orgue, très présente dans cette œuvre, de l’organiste lettone Iveta Apkalna, toute énergie, qui produit le son monumental voulu dans cette cathédrale laïque qu’est l’auditorium de Jean Nouvel, merveilleusement adapté à cette œuvre par son acoustique très chaude et très réverbérante .
Quant à l’orchestre, on reste stupéfait devant les cordes, on l’a dit, qui sont à la fois précises, nettes, mais aussi subtiles, qui savent adoucir le son jusqu’à l’extrême, mais ce soir c’est surtout le timbalier Raymond Curfs (bien connu des abbadiens, ancien du Mahler Chamber Orchestra, et timbalier du Lucerne Festival Orchestra)  qu’il faut fêter dans Brahms comme dans Janáček : il nous fait comprendre que le « Paukenschlag », le coup de timbale,  est un art gradué, voire subtil.  Un grand artiste ! Très applaudi par le public.

Ce soir, comme le dit très justement le programme de salle, la musique que nous avons entendue est une musique de la vérité, dans sa douceur comme dans sa violence, dans sa rudesse comme dans sa nature. Quel concert!

Chaque concert de Mariss Jansons est à la fois une surprise et un ravissement, on se sentait léger, rempli d’énergie, de vitalité, d’émotion à la sortie, ce fut mémorable ce soir, et hier grandiose: des concerts qui vont rester gravés, et ce soir le concert va bien vite rejoindre ma concertothèque du coeur. A vos cassettes, comme on dit, et rendez-vous le 15 avril, 19h15.
Quant à Mariss Jansons,  à l’orchestre et au chœur de la radio bavaroise, (avec le Tölzer Knabenchor) ils porteront à Lucerne en mars 2013 le War Requiem de Britten. Si le Dieu de Janáček nous est favorable, nous y serons.

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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES le 30 mars 2012: Mariss JANSONS dirige le SINFONIEORCHESTERORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (Beethoven, Bartok, Brahms) avec Vilde FRANG

C’est devenu une tradition: l’orchestre de la Bayerischer Rundfunk (Radio bavaroise) chaque année conclut la semaine du festival de Pâques de Lucerne par deux ou trois concerts (cette semaine, ce sera trois: deux dirigés par Mariss Jansons et un dirigé par Bernard Haitink) dont un concert choral (l’an dernier, c’était une version de concert de Eugène Onéguine, de Tchaïkovski dont j’ai rendu compte. L’été, Jansons dirige la plupart du temps son deuxième orchestre, celui du Concertgebouw.
Après Claudio Abbado, je considère Mariss Jansons comme le plus grand chef actuel: chaque concert alimente pour moi une sorte de “concertothèque” personnelle qui recèle dans les replis de mon cerveau ou quelque part dans mon corps les moments les plus vibrants de ma vie de mélomane. Jansons m’accompagne dans Sibelius, dans Chostakovitch, dans Tchaïkovski, dans Mahler aussi, où il voisine (sans l’égaler cependant dans mon coeur) avec Claudio. J’aime sa manière vigoureuse, engagée, et modeste de diriger, j’aime son art de l’architecture sonore, il fait partie de cette race de chefs qui ne dirigent pas mais qui font de la musique. Et pourtant, il reste discuté, nous avons avec les amis italiens d’âpres confrontations autour de son Mahler ou de son Brahms par exemple, qui sont aux antipodes de notre cher Claudio.
Ce soir, le programme est à la fois assez passe partout (Beethoven/Brahms) et un peu moins (Bartók). L’intérêt en est d’abord la découverte de cette jeune violoniste norvégienne de 25 ans Vilde Frang, lauréate 2012 de la fondation “Crédit Suisse” (75000 CHF de prix+ un concert avec les Wiener Philharmoniker dirigés par Bernard Haitink en septembre prochain) qui donne son second concert à Lucerne, et ensuite l’audition du concerto n°1 pour violon de Bartók, écrit en 1907-1908, découvert en 1956, et créé à Bâle en 1958, soit 13 ans après sa mort.
Dès la première pièce, la très fameuse ouverture pour Leonore III de Beethoven, on sent que le concert sera particulier. Les premières mesures d’une lenteur très marquée favorisent ensuite une explosion sonore qui met en valeur cordes (vraiment extraordinaires) et bois. Dans cette œuvre rebattue, qui fait toujours un énorme effet sur l’auditeur, et qu’on entend moins depuis que les chefs ne la dirigent plus dans Fidelio, on reste stupéfait de l’épaisseur de la pâte orchestrale et en même temps de la clarté du résultat, qui ne laisse rien échapper à l’oreille, rythme, dynamique, science du crescendo, tout est là et cette ouverture qui peut aussi laisser libre cours à une virtuosité née du rythme quelquefois époustouflant qui est imprimé (je me souviens de Bernstein…), est ici remarquable par la concentration qu’elle permet sur chaque instrument, sur la révélation de l’architecture et des différents niveaux instrumentaux. Certes, la fonction est celle de “captatio benevolentiae” avant un Bartók beaucoup moins populaire, mais le son produit est tellement neuf, tellement inattendu, que le public explose.
Le concerto pour violon Sz36 de Bartók est une œuvre écrite en 1907-1908, Bartók a 26/27 ans, il est sans doute tombé amoureux d’une violoniste, Stefi Geyer, qui ne lui rend pas son amour: Stefi est notamment très catholique et il affiche un athéisme agressif et une haine de la bourgeoisie provinciale. Il semble pourtant que cette figure le poursuivra puisqu’il va composer des “portraits” en reprenant ce concerto ou même reprenant le thème de Stefi dans d’autres œuvres.  Le concerto qui dure une vingtaine de minutes est composé de deux mouvements, Bartók avait l’idée d’un finale, mais ne le fera pas. Il envoie le concerto à Stefi Geyer qui le met dans un tiroir et n’en fera rien. Au moment de sa mort, on retrouvera la partition.
Les deux mouvements sont très différents, l’un très élégiaque, assez déchirant, l’autre très acrobatique et virtuose: la jeune Vilde Frang affiche une science du violon exemplaire. La semaine dernière, Isabelle Faust me frappait par la légèreté de son style, par la douceur de timbre et l’abondance de ses “filés” . Vilde Frang en comparaison a un son moins léger, moins aérien, mais l’œuvre aussi le veut, mais une maîtrise impressionnante.
Le début du concerto m’a beaucoup frappé. Il s’ouvre directement sur un long solo, laissé au soliste, alors que peu à peu l’orchestre va intervenir, aux violons I et II d’abord (quatre de chaque), puis à l’ensemble des cordes, puis enfin par les cuivres et les bois. Il en résulte une mélancolie marquée, et un sentiment bouleversant d’intimité. Le second mouvement, très virtuose, qui s’ouvre aussi par une “démonstration” du soliste, m’est apparu plus froid, plus distant, je suis moins rentré dans la musique (qui était donnée pour la première fois au Festival de Lucerne). Il reste que la performance de la jeune soliste est remarquable, elle obtient un grand triomphe, et offre un bis (Bartók!) acrobatique, et très marqué par le folklore. Quant à l’orchestre, on est frappé de la manière dont les cordes sont valorisées (distribuées d’ailleurs d’une manière inhabituelle: de gauche à droite violons I, violoncelles (et derrière contrebasses), altos, violons II, qui construisent ainsi des systèmes d’écho neufs. Magnifique moment, que la deuxième partie (la quatrième symphonie de Brahms) va couronner de manière très personnelle par Mariss Jansons.
J’avais entendu il y a deux ou trois ans son Brahms dans le “Deutsches Requiem” lent et solennel et beaucoup d’amis rappelaient la légèreté aérienne d’Abbado en critiquant le parti pris de lenteur, de solennité de Jansons. Sa symphonie n°4 procède du même parti pris. Abbado est toute fluidité, Jansons propose au contraire une vision beaucoup plus scandée, moins fluide, plus heurtée peut-être, avec un son très charnu, très plein, très “architexturé”. Ne nous trompons pas: son Brahms ici n’est pas massif ni compact et reste aéré, et c’est bien là la surprise. On y entend des choses incroyables, des phrases musicales inattendues, des instants sublimes, il a la beauté paradoxale d’un grand temple dorique, aux formes pures et géométriques, à l’élégance racée, mais aux tambours de colonnes volumineux. On est ni dans l’élégance ionique (Abbado) ni dans le décoratif corinthien (Rattle, insupportable). Une sorte de Brahms primal et grandiose. C’est séduisant, surprenant et cela finit par époustoufler (le début du deuxième mouvement avec cette entrée rêche des cors, et puis la subtilité des autres vents, m’a stupéfié).
Devant le triomphe obtenu, il concède un bis de circonstance, la Danse Hongroise n°1 (avec le voisinage de Bartók, c’était dû!) de la même eau, mais avec en sus une énergie incroyable et peu commune, inoubliable moment.
Il en va ainsi des grands chefs: ils nous prennent à revers, nous surprennent, nous séduisent et nous enlèvent, tel Europe enlevée par Zeus sur son taureau, je me suis laissé porté par cette force vitale qui émergeait de l’orchestre ce soir. Et qu’on ne nous dise pas que l’Orchestre de la Radio bavaroise (que Kleiber aimait tant diriger, et qui fut de Eugen Jochum et de Rafael Kubelik, excusez du peu ) est un orchestre qui viendrait après les grandes formations germaniques: c’est une phalange exceptionnelle, toute dévouée à son chef qu’elle vénère visiblement, aux cordes fabuleuses, avec un flûtiste de tout premier plan. J’ai pris ce soir une onde de choc, de puissance de grandeur. Bref, je suis comblé.

LUCERNE FESTIVAL PÂQUES le 24 mars 2012: Claudio ABBADO dirige l’ORCHESTRA MOZART (Mozart – Schumann) avec Isabelle FAUST

Claudio Abbado va bien, en tous cas il portait ce soir ses (presque) 79 ans de manière alerte, il était souriant, il a encore eu comme souvent à Lucerne, un triomphe avec standing ovation. A ceux qui s’inquiètent de son état, il faut dire qu’il limite ses concerts aux orchestres qu’il connaît bien (Orchestra Mozart, Mahler Chamber Orchestra, Berliner Philharmoniker, Lucerne Festival Orchestra), souvent faits de musiciens qu’il a choisis et qui le connaissent depuis des années. Il ne dirige pas l’hiver, et reprend les concerts chaque année en mars, de mars à décembre, avec un mois de repos en juillet. Il est évidemment économe de ses voyages, ne fait plus de grandes tournées lointaines, mais quand on voit le programme de Lucerne cet été (Mahler VIII et Bruckner I), on peut voir qu’il ne donne pas dans le léger. Il est certes plus fragile, et se fatigue plus vite, mais pour l’instant, tout va bien.
Ce soir, il a ouvert le Festival de Pâques de Lucerne (Abbado, Harnoncourt, Jansons, Haitink) par Mozart et Schumann: la Symphonie n°36 en ut majeur KV 425 “Linz” (1783), le concerto pour violon (avec Isabelle Faust) et orchestre n°5 KV 219 en la majeur (1775) et la Symphonie n°2 de Schumann op.61 en ut majeur. Toute la soirée en tonalité majeure et les deux symphonies en ut majeur: comme toujours Abbado tisse des liens et un discours de cohérence autour du programme proposé. Ce soir, les lumières sont abaissées, on joue dans une sorte de pénombre, la salle est bien plus tamisée que d’habitude, Abbado construit une ambiance plus intime et mélancolique, qui est la dominante. Son Mozart peut être rêche, dynamique, violent: ce soir, il est retenu, très “atténué”, presque chuchoté parfois.
C’est ce qui frappe dans la Symphonie “Linz”, composée en 1783, au retour d’un voyage décevant à Salzbourg où Mozart comptait réconcilier Constance Weber et son père. Mozart composa cette symphonie en quelques jours, son hôte à Linz ayant organisé un concert alors que Mozart n’avait pas de partitions avec lui: la symphonie fut composée, les copies furent prêtes et elle fut jouée au débotté! On remarque qu’Abbado accentue les clairs-obscurs, et propose une vision plus sombre que d’habitude (quand on compare à la Haffner jouée il y a peu avec le Lucerne Festival Orchestra). Est-ce le son de l’orchestre, moins clair, moins brillant que le Lucerne Festival Orchestra? Est-ce un parti pris de la soirée? je penche pour cette option. On reste toujours abasourdi de ce qu’Abbado obtient d’un orchestre en terme de pianissimi, de crescendi, de modulations et du rythme qu’il sait imposer rien qu’avec un minimum de gestes et tant, tant de regards, et d’une main gauche si dansante. Le troisième mouvement, le menuet, est d’une beauté bouleversante, il est vrai qu’il est porté par le hautbois du grand Lucas Macias Navarro et par le basson de Guillaume Santana qu’Abbado va saluer tout spécialement à la fin. Ce travail en écho permet de découvrir toute l’architecture du mouvement, qui va se prolonger dans le quatrième mouvement, alternant clair et obscur, mais dans un rythme plus vif, rappelant la Haffner.
Le concerto pour violon n°5 est le plus connu des concertos pour violon de Mozart, sans doute à cause du dernier mouvement dont une partie mime un mouvement “à la turque” ce qui lui a valu son surnom de concerto “turc”. Il commence tout de même là aussi par un adagio au violon qu’Isabelle Faust attaque avec un son imperceptible. Le style d’Isabelle Faust est complètement différent de l’enregistrement d’Abbado avec le même orchestre mais avec Giuliano Carmignola, plus franc, moins subtil, moins poétique. Isabelle Faust a compris la couleur “grise” qu’Abbado veut donner à la soirée et se montre capable de variations de style, de jeu, de toucher, effleurant à peine les cordes, ou attaquant franchement dans les graves, attentive aux moindres détails, d’une extrême sensibilité qui m’a fait penser à …Montserrat Caballé: Isabelle Faust, ce soir était une Caballé du violon, et c’était absolument sublime. Quant à l’orchestre, il écoute le soliste, et lui répond en écho, en rythme, en modulation, un sommet. Un sommet qu’Abbado prolonge par un bis (reprise du début du dernier mouvement), ce qui est rare à Lucerne.
La Symphonie de Schumann est aussi une œuvre mélancolique, commencée dans la dépression (Schumann lui même écrivait qu’il craignait qu’on vît sa fatigue à l’audition et Giuseppe Sinopoli, qui était chef d’orchestre, mais aussi psychiatre, appelait cette symphonie une “psychose compositive”) , une couleur aussi un peu sombre, qui commence comme un choral de Bach (inspiration directe de Schumann) et qui se termine quand même dans un dernier mouvement qui doit beaucoup à Beethoven. L’agitation domine le scherzo, la mélancolie, on la retrouve dans le dialogue flûte et surtout hautbois dans l’adagio élégiaque (3ème mouvement) qui commence par une citation de “L’offrande musicale” de Bach. Mais la couleur sombre est soulignée par les mouvements des contrebasses, ici magnifiquement emmenées par Alois Posch (ex Wiener Philharmoniker, et chef de pupitre des contrebasses dans le Lucerne Festival Orchestra). Il en résulte un son très rond, un peu recueilli, compact, et une couleur très particulière de l’ensemble, qui malgré un final “vivace” laisse peu de place à l’explosion, un Schumann “implosif”, qui fait exploser la salle à la fin.
On peut rester surpris par le choix d’un Mozart plus sombre, par la volonté d’imposer la mélancolie comme motto de la soirée, beaucoup de mes amis aiment un Mozart plus vif, plus explosif, moins “poli”. J’ai pour ma part été séduit.
Certes, j’aurais préféré entendre Lucerne dans ces œuvres, mais l’Orchestre Mozart est un orchestre de jeunes encadrés par des chefs de pupitre qui tous sont des éléments vedettes du  LFO, (Alois Posch, Diemut Poppen, Lucas Macias Navarro, Jacques Zoon, Raphael Christ…), en 8 ans d’existence, cet orchestre a fait d’énormes progrès, et le son en est transformé, quant à Abbado, toujours changeant, toujours explorant des voies nouvelles, jamais ennuyeux, jamais monotone, il nous a montré ce soir comment une lumière grise peut briller et bouleverser les cœurs . Vivement le prochain concert…vivement Berlin en mai.

LUCERNE FESTIVAL 2012: Quelques concerts à ne pas manquer

 

Le programme du Festival de Lucerne 2012 est paru. Vous pouvez-vous y reporter en allant directement sur le site Lucernefestival.ch. Mais j’aurais tant aimé que le programme annoncé, si attendu,   tant Claudio Abbado avait tardé à se décider, à savoir  la Symphonie n°8 de Mahler pour clore le cycle Mahler du Festival de Lucerne ouvert en 2003 avec une mémorable Symphonie n°2 soit maintenu. Et hélas, Claudio Abbado n’est décidément pas en phase avec cette symphonie et il a préféré diriger un autre programme.

Mercredi 8 août, 18.30, Ouverture du Festival
Vendredi 10 août, 19.30
Samedi 11 août, 18.30
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Chor des bayerischen Rundfunks
Schwedischer Rundfunkchor
Juliane Banse, soprano Anna Prohaska, soprano
Récitant, Bruno Ganz
Maximilian Schmitt, ténor
René Pape, Bass
Direction Claudio ABBADO

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Incidental music to Goethe’s tragedy “Egmont” for soprano, narrator and orchestra, Op. 84

Wolfgang Amadé Mozart (1756-1791)
Requiem in D minor, K. 626 (edition by Franz Beyer)

 

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Vendredi 17 août 2012, 19.30
Samedi 18 août 2012, 18.30

LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Radu Lupu, piano

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Konzert für Klavier und Orchester Nr. 3 c-Moll op. 37
Anton Bruckner (1824-1896)

Sinfonie Nr. 1 c-Moll WAB 101

Direction, Claudio ABBADO

Il semble presque qu’on s’oriente aussi vers une intégrale Bruckner, il a déjà dirigé la 4, la 5, la 7 à Lucerne et il dirigera la 1 en 2012, restent la 2, la 3, la 6, 8 et la 9Faisable s’il est en forme…

 

Dans les autres concerts notables, l’intégrale de Cendrillon de Prokofiev, avec le London Symphony orchestra dirigé par Valery Gergiev, le 24 août, le Requiem de Verdi, avec l’orchestre et le chœur du Teatro alla Scala dirigés par Daniel Barenboim et les solistes Jonas Kaufmann, René Pape, Anja Harteros, Elina Garanca, excusez du peu, le 29 août. Le Concertgebouw dirigé par Mariss Jansons dans deux programmes imbriqués avec ceux du City of Birmingham Symphony Orchestra dirigé par Andris Nelsons (les 1er et 2 pour Jansons, les 3 et 4 pour Nelsons)
1er septembre: Concertgebouw, Jansons, Bartok, Concerto pour violon (Leonidas Kavakos), Mahler Symphonie n°1
2 septembre: Concertgebouw, Jansons, Schönberg, Un survivant de Varsovie, Stravinski, Symphonie des Psaumes, Barber, Adagio pour cordes, Varèse, Amériques
3 septembre: CBSO, Nelsons, Mahler Symphonie n°2, Resurrection (Fujimura, Crowe)
4 septembre: CBSO, Nelsons, Gubaidulina, concerto pour violon n°1 “Offertorium” (Baiba Skride), Chostakovitch, Symphonie n° 7, “Leningrad” .
Et ne pas oublier que Mariss Jansons, avec son autre orchestre, celui de la Bayerischer Rundfunk, conclura le Festival de Pâques de Lucerne (les 30 et 31 mars), que Abbado aura ouvert avec l’orchestra Mozart le 24 mars prochain à 18h30:
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791)
Symphony in C major, K. 425 “Linz”
Concert for violin and orchestra in A major, K. 219 (Soliste Isabelle Faust)
Robert Schumann
(1810-1856)
Symphony No. 2 in C major, Op. 61

Les concerts de Jansons:
Le 30 Mars:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
“Leonore Overture” No. 3, Op. 72a
Béla Bartók
(1881-1945)
Concert for violin and orchestra No. 1, Sz. 36 (Soliste Vilde Frank)
Johannes Brahms
(1833-1897)
Symphony No. 4 in E minor, Op. 98 (1884/85)

Le 31 mars:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
Symphony No. 1 in C major, Op. 21
Leoš Janáček
(1854-1928)
“Glagolitic Mass” (Chor des Bayerischen Rundfunks, Tatiana Monogarova, Soprano, Marina Prudenskaia, alto, L’udovit Ludha, Ténor, Peter Mikulas, basse, Iveta Apkalna, orgue.
Mais à Pâques vous pourrez aussi entendre Nicolaus Harnoncourt, et l’été, j’ai passé sous silence Cleveland Orchestra (Franz Welser Möst), Le Gustav Mahler Jugendorchester (Daniele Gatti) les Berliner Philharmoniker (Sir Simon Rattle), les Münchner Philharmoniker (Lorin Maazel) un concert Vivaldi de Cecilia Bartoli , les Wiener Philharmoniker (Vladimir Jurowski, Bernard Haitink: ce dernier conclura le festival par la Symphonie n°9 de Bruckner le 15 septembre), j’en ai oublié plein dont Pierre Boulez avec le Lucerne Festival Academy Orchestra et Deborah Polaski dans “Erwartung” de Schönberg, ainsi que deux concerts “perspectives” de Maurizio Pollini…Inutile de continuer, vous êtes, je le sens déjà sur le site de Lucerne.
Billets à partir du 16 avril…