BAYREUTHER FESTSPIELE 2013: TANNHÄUSER, de Richard WAGNER le 18 août 2013 (Dir.mus: Axel KOBER; Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)

Comme le vin, les productions bonifieraient-elles en vieillissant. Ou bien finit-on par s’habituer, comme Mithridate au poison? Ou bien le fait d’arriver enfin à Bayreuth fait-il voir la vie en rose? Le fait est que j’allais à ce Tannhäuser sans grande illusion, et que j’en ressors plutôt satisfait, à la différence de l’an dernier. Je renvoie quand même le lecteur à mes comptes rendus de cette production, celui de 2011 et celui de 2012.
Je rassure tout de suite ceux qui ont vu ce spectacle et qui ne l’ont pas aimé: dans ses grandes lignes, rien n’a vraiment changé et il reste très complexe, voire intellectuellement un peu onanistique. Le programme de salle cette année donne à voir un schéma de la complexité dramaturgique qui a présidé à sa préparation, proprement illisible, même avec les explications de son auteur. J’ai découvert par exemple que la mise en scène est remplie d ‘allusions au groupe allemand métal Rammstein. Combien de spectateurs de Bayreuth connaissent suffisamment Rammstein pour pouvoir les lire les voir, les comprendre? Vu le public et vu l’âge moyen, ils doivent se compter sur les doigts d’une main.
Dans ce “trop plein” au décor monumental de machines à broyer les excréments pour en faire du gaz, ou de machines à alcool, de tuyaux, de cordes et de palans, il y a tout de même des moments qui me sont apparus plutôt mieux dominés, notamment en ce qui concerne la direction d’acteurs, plus précise, plus juste aussi. C’est sur le deuxième acte que j’aimerais revenir d’abord. La trouvaille essentielle de la mise en scène c’est pour moi l’idée d’une Elisabeth engagée, désirante, et (presque) érotisée. Le duo initial après “Dich teure Halle” entre Tannhäuser et Elisabeth est très bien conduit et construit, avec Wolfram, chaperon malgré lui, et le couple qui se cherche, qui se touche en essayant de se cacher du malheureux amoureux éconduit, qui de son côté évite leurs regards, sans pouvoir s’empêcher des les voir, et qui se désespère. Il y a là de jolies trouvailles, qui réfèrent aux scènes entre amoureux du théâtre traditionnel, avec les moments de dépit, et les moments d’élan, le tout avec un regard ironique, et quelquefois grinçant.
La manière dont Wolfram est traité m’est aussi apparue intéressante, dans sa figure d’amoureux éconduit, et désespéré, et en même temps tout en retenue, j’ai retrouvé la “romance à l’étoile” où il valse avec Venus, et c’est là aussi à la fois surprenant et réussi, voire presque poétique.
Ce travail reste très distancié sur l’histoire, et le regard ironique est partout, on rappellera pour mémoire les pèlerins revenus de Rome obsédés par la purification (ils se lavent et s’essuient à plaisir), Elisabeth sanctifiée entourée de moines et récupérée en quelque sorte par l’Église institution, un Venusberg qui est une cage étroite pour hommes  -bestiaux, à la fois réceptacle des excréments et racine d’une sorte de frêne du monde avant l’heure, ces spermatozoïdes géants qui dansent la samba ou balancent leur tête en rythme, pendant que Venus tient leur flagelle comme Fricka ses boucs. Tout cela, pris isolément, peut faire sourire, mais peut même faire  quelquefois penser. Il y a encore une fois (c’est la troisième!) de l’intelligence et de la réflexion dans ce travail: le programme interpelle même Alain Badiou (Cinq leçons sur le “cas” Wagner, Caen 2010) et les articles développent avec force les idées centrales de la mise en scène, notamment un Tannhäuser   structurellement souffrant entre Dionysos et Apollon qui se résout par un syncrétisme marqué par l’image finale : tant le ratiocinations pour finir par constater que le monde est fait de Venusberg, de mort, de saints, de bas en haut, et c’est par le bas que naissent les enfants. Il fallait y penser.
Musicalement, les choses se sont stabilisées, même si la distribution n’est pas de celles qui vont vous marquer à vie.
Torsten Kerl est  bien plus à l’aise que l’an dernier, et Tannhäuser lui convient décidément plus que Siegfried. Les aigus sortent bien, il tient la distance, et la voix a une douceur assez suggestive; son joli timbre, son engagement scénique en font un Tannhäuser très crédible. C’est bien mieux dominé, bien plus intéressant .
Camilla Nylund reste une Elisabeth solide, très précise, très contrôlée dans son chant, mais dont l’étendue et le volume font un peu défaut: les aigus restent un peu coincés dans les hauteurs, et la voix manque de largeur. Vu la manière dont le personnage est conçu par la mise en scène, on aimerait une plus grande présence vocale.
Michael Nagy est bien plus en forme que l’an dernier, la voix très veloutée sonne de nouveau, avec une diction exemplaire, et une couleur très émouvante. Il remporte fort justement un très gros succès.
Michelle Breedt ne sera pas la Venus du siècle, mais elle existe, et les aigus, cette fois sortent bien, bien mieux que l’an dernier en tous cas, on s’en contentera dans un personnage conçu  surtout pour éviter de faire rêver.
Le plus gros succès de la soirée c’est encore cette année pour le Landgrave (très grave) de Günther Groissböck, musculeux, dominateur, avec cette voix de bronze qu’on sent partie pour une carrière de basse wagnérienne de référence.
Notons encore dans les rôles  secondaires le joli berger de Katja Stuber, dont le metteur en scène fait un personnage qui circule pendant tout l’opéra, a mi-chemin entre l’Oscar du Ballo in maschera et le Cherubino des Nozze di Figaro (il est d’ailleurs clairement amoureux d’Elisabeth, lui aussi) et le Walther von der Vogelweide de Lothar Odinius, impeccable comme les autres années.
Mais le changement cette année (l’avant dernière puisque Tannhäuser sera retiré de la programmation un an plus tôt), c’est qu’on a enfin trouvé un chef. Après l’échec regretté de Thomas Hengelbrock, après le demi-succès de Christian Thielemann l’an dernier, la direction du Festival a appelé Axel Kober, directeur musical de Düsseldorf et donc habitué aux Tannhäuser scandaleux (celui de Düsseldorf a été purement et simplement retiré de l’affiche). Axel Kober, 43 ans, qui vient de la région (il est né à Kronach, a étudié à Würzburg et ancien boursier de la fondation Richard Wagner) est l’un de ces chefs solides qui ont jusqu’ici fait une carrière respectable sans être brillante. Son Tannhäuser a reçu un accueil très positif, sans être délirant, à l’image d’une direction fouillée, solide, qui fait très bien ressortir les détails de la partition (moins difficile à Bayreuth si on comprend le fonctionnement de la fosse), ce qui donne à l’ensemble une grande épaisseur sans déchainer l’enthousiasme par ses trouvailles. C’est une direction peut-être moins personnelle, mais totalement dominée, au tempo assez lent, avec des moments vraiment exceptionnels (ouverture, final du second acte par exemple). Son entrée à Bayreuth est plutôt une réussite.
Au total, je suis sorti de la représentation assez satisfait, l’ensemble musical était homogène, solide, plutôt tiré vers le haut. Il est clair que le travail du chef y est pour quelque chose…
Et puis, que voulez-vous, à peine les premières notes émergent de l’abîme mystique, dans l’obscurité quasi totale de la salle, il se passe toujours quelque chose. C’est Bayreuth.
[wpsr_facebook]

BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: TANNHÄUSER le 28 juillet 2012 (Dir.mus: Christian THIELEMANN, Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)

Avant la représentation

La production n’avait pas convaincu l’an dernier. Les chanteurs non plus. Le chef non plus, du moins pour une partie du public. Cette année, la distribution a partiellement changé. Exit l’horrible Venus de Stephanie Friede. Exit Lars Cleveman, pas vraiment en phase avec la vocalité du rôle. Exit enfin Thomas Hengelbrock, le chef qui n’avait pas vraiment emporté les suffrages.
Torsten Kerl comme Tannhäuser, Michelle Breedt comme Venus, et enfin Christian Thielemann comme remplaçant de luxe de Thomas Hengelbrock: on pouvait s’attendre à plus convaincant, au moins musicalement. Sebastian Baumgarten a adapté sa mise en scène aux nouveaux venus, il a effacé certains moments et changé certaines scènes, et ça n’est pas mieux que l’an dernier.
Pour ma part c’est une grande déception, musicale et scénique. Malgré l’immense succès public, qui n’atteint tout de même pas les sommets du Lohengrin de la veille, rien ne m’a convaincu dans cette deuxième édition.
Sebastian Baumgarten a beaucoup réfléchi à ce Tannhäuser, et son propos n’est pas stupide que de prendre le monde clos de la Wartburg pour en faire un monde clos de l’après culture, du jour où progrès et technologie auront définitivement annihilé toute humanité. Il a lu les écrits de Wagner sur la question, et la méfiance que Wagner nourrissait pour la confiance aveugle dans le progrès scientifique. Dans un monde digne d’Huxley, il installe un Tannhäuser d’où tout rêve, toute beauté, toute poésie est exclue, et seul Tannhäuser l’artiste porte en lui ce qui reste d’humanité aimante, d’où le décalage avec le reste des hommes. En séjournant au Venusberg, il est tout de même tombé dans le piège, le Venusberg dans cette production n’étant pas un ailleurs, mais une cage que l’on conserve comme une soupape de sécurité, comme un antimonde nécessaire à la survie du monde “positif”. D’où Venus, présente au concours de chant du deuxième acte.
Beaucoup de scènes ont été revues, et simplifiées, ou aplanies. Je regrette pour ma part la disparition des “descentes” des personnages (Elisabeth comprise) dans le Venusberg, qui prenaient sens dans un monde aussi hygiéniste (entrée des pélerins qui s’essuient au troisième acte) et aussi réglé, d’où toute liberté est exclue. On apprécie aussi le traitement d’Elisabeth, comme être désirant et non pas seulement sainte en devenir. Quelques belles idées, comme la romance à l’étoile de Wolfram chantée à Venus, présente sur scène devant lui, une Venus laide, enceinte, qui ne porte rien d’autre que cette prégnance depuis le début de l’œuvre et qui seulement à la fin en sera libérée, Venus porteuse d’un avenir que ni Tannhäuser, ni Elisabeth ne peuvent porter.
Mais il y a trop de choses en scène, des cuves, des appareils, des robinets, des réceptacles pour excréments (la société Wartburg est spécialiste du recyclage d’excréments pour en faire du méthane), et même un dortoir au dernier niveau (il y a trois niveaux de hauteur d’un décor gigantesque toujours à scène ouverte dès que les spectateurs arrivent. On pouvait éviter les vidéos préparatoires, le compte à rebours avant la représentation, les intermèdes dans les entractes. Qui sortait lentement de la salle pouvait avoir droit à une sorte de messe autour d’un autel où les figurants chantaient l’hymne allemand.
A la fin, tout cela fait fatras. D’accord pour l’esthétique de la laideur, mais ne donner au spectateur aucun espace de rêve peut préfigurer ce qui nous attend dans quelques siècles est un peu excessif ! Nous sommes à Bayreuth, et aimons aussi respirer et rêver. La mise en scène du Lohengrin, qui part de présupposés voisins, a su créer de belles images, a su servir une certaine esthétique: nous sommes avec ce Tannhäuser au coeur de l’idéologie du metteur en scène totalitaire: prisonniers dans notre cage comme Tannhäuser dans le Venusberg, obligé comme nous de subir le bal des spermatozoïdes géants…Même pour moi qui suis un ardent défenseur du Regietheater, c’est un peu trop…
Qui connaissait ce travail de Baumgarten s’attendait cette année à une explosion musicale. Le souvenir ému de merveilleux Tannhäuser de Christian Thielemann dans cette salle (production colorée de Philippe Arlaud) accompagne les festivaliers fidèles. Sa venue au pupitre après une prestation discutée de Thomas Hengelbrock était attendue ardemment, il n’y a pas de foule aujourd’hui “qui au nom de Christian ne s’aille réveillant”. Il a donc reçu l’ovation attendue, sinon méritée, sinon justifiée. Je dois confier avoir préféré Hengelbrock l’an dernier à cette direction sans éclat, aux tempos ralentis, au son assourdi. Est-ce voulu? A-t-il voulu accompagner la vision noire de la mise en scène par une direction aussi aseptisée? Évidemment, c’est en place, évidemment, les trois dernières minutes du spectacle restent splendides et provoquent l’explosion du public, mais le reste, y compris l’ouverture, surprend par son manque de dynamique, sa lenteur: ce n’est pas plat, c’est à côté de ce qu’on attend dans cette musique plutôt luxuriante.
La distribution n’a pas grand chose pour compenser: la Venus de Michelle Breedt efface évidemment le pénible souvenir de Stephanie Friede. Est-ce pour autant une Venus convaincante? Pas vraiment, aigus tirés et volume limité ne font pas une Venus. Le Tannhäuser de Torsten Kerl,  personnage à mi-chemin entre Siegfried et Parsifal (sorte d’enfant pénible à punir du martinet) chante tout sur le même ton et fatigue assez vite, pas de coloration vocale, pas d’interprétation, peu de volume. Torsten Kerl ne serait-il convaincant qu’en Rienzi à la Deutsche Oper?
L’an dernier on avait apprécié le Wolfram de Michael Nagy, cette année, grosse déception là aussi, la voix n’a plus ce timbre velouté, certains sons émis sont pénibles, le grave est affecté, l’aigu moins triomphant…coup de fatigue?
Restent l’Elisabeth de Camilla Nylund, qui fait une belle prestation, avec une voix sûre, un bel aigu, et surtout un registre central particulièrement charnu. Ce ne sera pas l’Elisabeth du siècle, mais c’est une bonne référence aujourd’hui, le Landgrave toujours impressionnant de Gunther Groissböck, au physique athlétique de chevalier sans peur qui régit tout ce petit monde de tuyaux et cuves à la baguette, c’est la seule vraie voix, avec celle encore plus convaincante que l’an dernier encore de Lothar Odinius, Walther von der Vogelweide magnifique qui pourrait bien être, lui, un Tannhäuser crédible.
Donc un Tannhäuser sans Tannhäuser, sans Wolfram ou presque, sans Venus avec un chef discutable et un metteur en scène qui a raté son coup, ça en fait beaucoup en une soirée. Il en va ainsi de Bayreuth, après le Capitole de la veille la Roche Tarpéienne du jour. N’importe, qui connaît Bayreuth sait qu’il vaut toujours mieux être là qu’ailleurs, et que ce sont lamentations d’enfant (trop) gâté.
[wpsr_facebook]

Après la représentation, salut sous les huées de Sebastian Baumgarten

 

KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 15 Janvier 2012: IM WEISS’N RÖSSL (L’Auberge du Cheval Blanc) de R.BENATZKY (Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)

Dagmar Manzel - @Photo Komische Oper

Quelle idée saugrenue!  Dans  un blog que le drame wagnérien a envahi ou que la musique de Mahler irradie, que vient faire l’Auberge du Cheval Blanc? Que vient faire un titre exhumé  de la poussière du vieux Châtelet dans une série de comptes rendus sur le Regietheater?
Justement (et injustement) l’Auberge du Cheval Blanc (Im weiss’n Rössl, titre original), mérite mieux que l’oubli méprisant dans lequel on l’a plongée. Et l’opérette se porte bien mieux en Allemagne qu’en France, où elle a été tuée, on se demande pourquoi, lorsqu’on a dédié le théâtre du Châtelet, qui en était le seul temple national, à la musique dite “sérieuse”. Les allemands et les autrichiens nous montrent bien que l’opérette, lorsqu’elle est montée comme il se doit, est un spectacle de belle tenue, et bien des chanteurs d’opéra s’y sont frottés: quand Schwarzkopf ou Gedda chantent “Le pays du sourire” ou “La Veuve Joyeuse”, c’est du sérieux ! D’ailleurs, la Veuve Joyeuse est la seule œuvre qui semble digne de nos grandes scènes nationales, puisque l’Opéra l’affiche dans quelques semaines.
Un deuxième motif, plus personnel, me pousse vers l’Auberge du Cheval Blanc. Ce fut le premier spectacle musical de ma vie, au Châtelet justement; j’avais six ou sept ans, au début des années soixante, dans une production qui eut à l’époque un très grand succès (avec Bernard Lavalette dans le rôle de Leopold) et j’ai pu constater, en  revoyant cette œuvre à Berlin ces jours-ci, combien cette expérience d’enfance m’avait frappé, et quels souvenirs elle avait laissés. Ma sonate de Vinteuil c’est l’Auberge du Cheval Blanc de Benatzky…on a les références qu’on peut !
Enfin, troisième motif, c’est évidemment la mise en scène de Sebastian Baumgarten, après Carmen, après Tannhäuser, voir comment il aborde l’opérette est une expérience intéressante à vivre, car on ne peut pas se rater: il y a un public en général plutôt conservateur, plutôt âgé, qui attend ses airs et un certain style et qui exige de passer un moment de fête. Comment résiste l’œuvre de R.Benatzky à la moulinette du Regietheater?
En cette matinée dominicale, dans une ville de Berlin froide et ensoleillée, la foule arrive par grappes à la Komische Oper, une foule essentiellement âgée, qui remplit le théâtre à ras bord, un public à l’opposé de celui de Carmen, deux jours avant. Trois soirs, trois publics différents, et un même théâtre, c’est dire  combien le lieu est accueillant pour tous les types de publics et c’est dire aussi sa popularité.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre (dans les jeunes générations de mélomanes français, beaucoup n’en ont jamais entendu parler – cela fait 50 ans qu’on ne la représente pas à Paris), quelques mots sur l’histoire, qui se passe à la fin du XIXème en Autriche, au bord du lac de Saint Wolfgang, dans le Salzkammergut, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Salzbourg, dans une auberge “Im weiss’n Rössl” qui existe encore aujourd’hui et qui fait payer cher ses attraits touristiques et son mythe.

L'amour, toujours l'amour - @Freese-Drama-Berlin.de

Le chef des garçons de restaurant, Leopold est amoureux fou de sa patronne Josepha, qui lui préfère un de ses vieux clients, Siedler, un avocat. A la faveur de l’arrivée d’un client berlinois, Giesecke fabricant de caleçons, et de sa fille Ottilie, Siedler tombe amoureux d’Ottilie. Il se trouve être avocat de la partie adverse dans une guerre économique entre deux firmes de caleçons, celle de Giesecke, et celle de Sülzheimer, qu’il défend. Comment Léopold va-t-il essayer de manœuvrer pour favoriser cet amour, comment Josepha, à la faveur de la venue de l’Empereur, va comprendre qui elle aime vraiment, comment les couples se forment dans un monde qui se transforme, avec le développement du tourisme, des voyages, mais aussi des débuts d’une économie nouvelle (l’œuvre est créée en 1930), voilà les fils tissés de cette intrigue.
Souvent confondue avec une bluette qui vante les charmes d’une Autriche de carte postale, l’Auberge du cheval Blanc n’est pas une opérette autrichienne, mais plutôt berlinoise (créée à Berlin en 1930, pour un public berlinois habitué aux revues) et Giesecke le berlinois  vante Berlin et ses lacs, plutôt que ceux du Salzkammergut, sous les applaudissements à tout rompre du public présent!
Dans cette œuvre, il est beaucoup question d’argent , de coûts et presque d’industrie touristique, il s’agit de vendre une image, un lieu, une auberge, un hôtel, il s’agit de penser à faire de la promotion! Il s’agit aussi de vanter la campagne face à la jungle des villes…tiens…tiens…
Enfin, en 2009, on a retrouvé dans des archives à Zagreb du matériel inconnu qui a permis de présenter à l’occasion de la Première de cette production, en 2010, une “Urfassung”, une version reconstituée de la version originale de 1930 plus longue, en 3h1/2, qui montre un visage complètement nouveau de cette opérette qui est en réalité une “revue-opérette” à la berlinoise, plus berlinoise qu’autrichienne. Une version avec orchestre en fosse et deux orchestres supplémentaires, un orchestre de jazz, une petite formation avec des cithares autrichiennes, et un pianiste qui accompagne les dialogues. Et surtout une musique qui tire bien plus vers Kurt Weill que vers Johann Strauss! C’est que la Berlin des années 20 et de la République de Weimar est la Berlin des revues, et du cabaret, et c’est de cette tradition là que l’œuvre naît.  Cette “modernité” de la musique, bien loin de la ringardise dans laquelle on la range,  m’a vraiment frappé. Ce qu’on sait de la création est aussi étonnant: elle fut présentée dans un théâtre de 3000 personnes, avec, dit-on, 700 personnes sur le plateau:  ce fut un immense succès dont tirent trace les films réalisés à Hollywood et le destin mondial d’une œuvre dont l’auteur mort en 1957 a été classé par les nazis parmi les musiciens dégénérés: cette musique devait donc gêner le régime nazi aux entournures pour la classer ainsi (il est vrai que la plupart des auteurs qui avaient présidé à sa naissance étaient d’origine juive, ou homosexuels, ou communistes). Après 45, on en a fait une bluette romantique internationalisée, une opérette comme “Rose-Marie” ou d’autres, qui en fait ont totalement appauvri l’originalité musicale politique, ironique d’une œuvre qu’on a aplatie pour qu’elle réponde aux canons de l’opérette de l’époque et des films hollywoodiens.

Max Hopp - Dagmar Manzel @Komische Oper

On a donc droit à une version plus théâtralisée, chantée par des acteurs et non des chanteurs d’opérettes ou d’opéras (comme à la création semble-t-il), avec une vraie différence entre première partie avec les airs mondialement connus, et une seconde partie, plus dialoguée, dont le seul moment vraiment connu est l’air de Sigismund (Célestin – “on a l’béguin pour Célestin”- dans la version française). On s’étonnera moins aussi que dans ces conditions Baumgarten s’en soit emparé pour faire du théâtre, dans une ambiance musicale dirigée par l’excellent spécialiste du genre qu’est Koen Shoots.

 

@Komische Oper

Des acteurs qui chantent plutôt que des chanteurs qui jouent, c’est le choix qui a été fait en appelant la célèbre actrice Dagmar Manzel pour Josepha et l’époustouflant Max Hopp dans Leopold.
Le choix de Baumgarten est de montrer, comme il dit, le crach de l’opérette “de papa”, et ce qu’elle révèle en arrière plan. Eh, bien l’opérette ne craque pas, elle résiste au contraire, et elle entraîne dans son piège Baumgarten tout en emportant l’adhésion d’un public enthousiaste : Baumgarten s’éloigne bien sûr des minauderies du genre, et propose des voies qui nous dirigent vers des styles et des gags proches du cinéma muet, des revues à grand spectacle de l’époque, du mime, avec des corps gesticulants, s’écroulant, virevoltant, un décor unique peu daté de Janina Audick diversement éclairé d’une auberge (sur laquelle est écrit: “On commence lentement à comprendre qu’il faut vraiment être modeste”) dont les cloisons s’ouvrent et se ferment laissant voir les intérieurs comme ceux d’une maison de poupée, avec en avant-scène deux plongeoirs sur le lac (en réalité la fosse d’orchestre), deux douches latérales, et deux écrans vidéos qui laissent défiler des sortes de cartes postales. Les  costumes de Nina Kroschinske ne sont pas vraiment “folkloriques” , sauf pour Josepha et pour quelques éléments plus pittoresques (les conseillers municipaux).
On joue donc le jeu de l’opérette mais en décalage, avec gags, jeux de mots, rapidité, mouvement, on en rajoute aussi (quelques allusions de Leopold à la manière de parler d’Hitler) en insistant sur des points plus liés aux contexte historiques qu’à l’intrigue elle-même (l’économie par exemple, avec un exposé sur les monnaies, le Mark et le Dollar qui fait rire toute la salle), le piano (Daniel Regenberg) accompagne les dialogues soit par du jazz, ou par des airs de l’œuvre, et rythme quelquefois les mouvements, comme s’il accompagnait un film muet.

L'Empereur (Irm Hermann) - @Photo Komische Oper

Enfin pour montrer qu’on est au théâtre et dans la pacotille, l’Empereur est joué par une femme, Irm Hermann, ce qui finalement ne gêne pas un seul instant, tant le spectateur joue le jeu.

Il reste que la deuxième partie, plus dialoguée, présente quelques longueurs – il s’agit bien d’une revue-opérette, et donc le dialogue a beaucoup plus d’importance que dans l’opérette où il fonctionne comme simple lien entre deux airs, Baumgarten a peut-être voulu tuer le genre dans sa ringardise, mais il n’y ni provocation, ni entreprise de destruction: le succès énorme du spectacle auprès de ce public en est la preuve éclatante. On chante, on rit, on est heureux et on sort tout regaillardi. On n’a plus de Regietheater, mais du Theater, tout simplement.

@Komische Oper

Dans mon cas, je suis sorti tout étonné d’avoir retrouvé des airs enfouis dans ma mémoire, des images qui remontaient très clairement de la mise en scène de l’époque avec sa façade de chalet gigantesque, et je me suis rendu compte de l’importance induite de ce spectacle originel dans mon parcours personnel. Même si Baumgarten a évité le style Châtelet, il m’y a tout droit reconduit et malgré lui, dès les premières mesures, j’ai retrouvé mes émotions d’enfant.

 

KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 13 Janvier 2012: CARMEN de Georges BIZET, Ms en scène Sebastian BAUMGARTEN

J’ai décidé de m’offrir un week-end berlinois entièrement dédié au “Regietheater”. Après les réactions entendues sur les ondes et lues dans la presse sur le travail de Frank Castorf autour de la Dame aux camélias à l’Odéon, je pense que certains trouveront cette démarche suicidaire ou insensée…
Et pourtant, ce petit voyage à Berlin a plusieurs motifs qui m’apparaissent très légitimes.
Le premier est de comprendre comment travaille Sebastian Baumgarten: après son Tannhäuser de Bayreuth, je voulais en savoir plus sur d’autres productions, et la Komische Oper affiche en nouvelle production une Carmen qu’il met en scène et qui est un vrai succès public. Mais en plus ce week-end offrait une autre mise en scène de Baumgarten, Im weiss’n Rössl, plus connue en France comme “L’Auberge du Cheval Blanc” et la reprise d’une Traviata mise en scène de Hans Neuenfels (auteur du fameux Lohengrin de Bayreuth retransmis sur ARTE et qui a déchaîné les passions), deux Baumgarten + un Neuenfels, que demande le peuple !?
Mais cela ne suffisait pas, j’ai donc conclu ces journées par une soirée à la Schaubühne, pour voir Kabale und Liebe, de Schiller (qui a inspiré la Luisa Miller de Verdi), dans une mise en scène de Falk Richter dont j’ai vu une inoubliable version des “Trois Soeurs” de Tchekhov, dans ce même théâtre. Après quoi je serai réarmé pour affronter la production théâtrale en France, tiède et fade.
Quelques mots d’abord sur la Komische Oper de Berlin, théâtre qui porte ce nom depuis 1947, à l’instigation de Walter Felsenstein, et en hommage à l’Opéra Comique français né au XVIIIème siècle.
Situé à un pas d’Unter den Linden, sur la Behrensstrasse, le théâtre a été construit à la fin du XIXème siècle (1892) sous le nom de “Theater unter den Linden”, puis prend le nom de “Metropol-Theater” comme théâtre de revue et d’opérette. Il ferme en 1933 pour rouvrir un an après sous le nom de “Staatliches Operettentheater” (Théâtre National de l’Opérette) . En 1945, il est bombardé, tout est détruit sauf  la salle néobaroque restée intacte. Il est reconstruit, puis agrandi.

La Komische Oper est surtout connue pour le travail qu’y a effectué Walter Felsenstein dont les mises en scènes restent encore un modèle du genre, et qui vont donner à cette salle de taille moyenne (1240 places) un statut emblématique des institutions culturelles est-allemandes.

Trois caractères essentiels :
– d’abord, c’est un théâtre qui, pour permettre l’accessibilité à tous, présente toutes les œuvres en langue allemande. Il est très aimé du public berlinois et populaire.
– un répertoire assez large qui va des standards populaires du répertoire aux opérettes et aux musicals: on y voit aussi bien “Die Meistersinger von Nürnberg” que “L’auberge du Cheval Blanc” ou “Kiss me Kate”.
– un théâtre dont l’identité, fondée sur l’apport de Felsenstein, est celle d’ un travail théâtral soucieux d’inventivité et de modernité, et ce sont donc les mises en scène qui souvent attirent l’attention. Le choix de travailler sur des mises en scènes très contemporaines attire la presse et centre l’attention sur la Komische Oper: sans cela la presse s’intéresserait beaucoup moins au travail qui s’y fait.

Aujourd’hui, dans une ville de Berlin qui finance la culture fortement endettée, où trois opéras se partagent le marché (Staatsoper, Deutsche Oper, Komische Oper), on peut se demander quel rôle donner à la Komische Oper: présenter des œuvres en allemand a-t-il encore un sens à l’heure du surtitrage (le système est installé, comme à Vienne ou à Milan, dans les fauteuils et le spectateur a le choix entre allemand, anglais, français et turc)? La Komische Oper a-t-elle un avenir? Il est clair que c’est un théâtre très aimé du public, lié à l’histoire de Berlin, , à sa tradition et le fermer serait traumatique. Alors, Andreas Homoki, l’intendant actuel, qui termine son mandat (il va à Zürich pour succéder à Alexander Pereira), a accentué encore la part  d’une vision théâtrale très contemporaine, en invitant des metteurs en scène connus pour leurs positions radicales (Neuenfels, Bieito), mais donnant aussi la possibilité à des artistes plus jeunes de proposer des productions (Baumgarten, Kosky). Lui succèdera justement l’an prochain Barrie Kosky, australien, un autre enfant terrible de la scène contemporaine allemande et anglo-saxonne.
D’autres noms sont liés à la Komische Oper, le metteur en scène Harry Kupfer, les chefs Yakov Kreizberg, ou plus récemment,  Kirill Petrenko qui en fut un temps le directeur musical. En général c’est une rampe de lancement pour jeunes chefs, et un temple pour les metteurs en scène novateurs.
Ainsi, après le Tannhäuser plutôt contrasté et discuté de cet été à Bayreuth, j’ai voulu en savoir plus, ou plutôt en comprendre plus sur le metteur en scène Sebastian Baumgarten, pour ne pas rester sur une impression mitigée, et essayer de mieux rentrer dans son univers. J’ai donc à mon programme cette Carmen,  sa dernière production,qui remonte à novembre dernier, et Im weiss’n Rössl (L’auberge du cheval blanc) qui quant à elle remonte à Novembre 2010. Il s’agit donc de toute manière de productions récentes.
Quant à musique, j’ai rarement vu dans ce théâtre des production musicalement très médiocres, il reste que les deux autres opéras de la ville ont des troupes plus aguerries, et des chefs souvent plus avancés dans la carrière, mais pas forcément meilleurs.

Dernier acte – Photo Komische Oper

La distribution prévue en cette soirée du 13 janvier est plutôt la seconde distribution, avec un autre chef que celui de la première,  Josep Caballé-Domenech (38 ans), directeur musical de l’orchestre de Colorado Springs, élève de David Zinman, qui a montré une grande énergie et un grand sens dynamique dans sa direction, rapide, mais juste, qui suit les chanteurs avec attention et donne une vraie couleur à sa direction, en somme tout sauf un batteur de mesure. Il a su insuffler un vrai rythme, qui convient bien à la mise en scène.

Carmen - Photo Komische Oper

Les chanteurs, sans être exceptionnels, s’en sortent plutôt avec les honneurs, en premier lieu la Carmen de Katarina Bradic, très crédible physiquement,  à la voix sombre, bien posée, assez puissante: une belle Carmen (sa Habanera est très réussie, et  de plus chantée en français – le reste est en allemand-). Son Don José, Jeffrey Dowd, un ténor américain spécialiste des rôle plutôt lourds (Siegmund, Tristan, Frau ohne Schatten), en troupe à Essen, est loin de démériter et montre une belle intensité dans son chant. On préfèrerait évidemment l’entendre en français, mais il a du style, et le duo final avec Carmen est vraiment réussi. L’Escamillo de Günter Papendell, un des meilleurs membres de la troupe, à la voix très sonore et étendue, est légèrement décevant par rapport à ce que j’avais entendu précédemment (notamment dans Armide, de Glück, dans ce même théâtre, où il était vraiment remarquable). La Micaela de Erika Roos, tout jeune soprano lyrique, est très intense, possède déjà un chant très maîtrisé et impose sa personnalité en scène avec bonheur. Bonne Mercedès de Karolina Gumos, et Frasquita vaillante, à la voix un peu stridente, de la jeune Anastasia Melnik, de la troupe de l’Opéra Studio attaché à la maison. En somme, une distribution très honorable, sans vraie trouvaille, mais qui défend vaillamment la musique de Bizet et qui se glisse très bien dans les exigences de la mise en scène.

Sebastian Baumgarten a fait des choix moins radicaux que pour son Tannhäuser de Bayreuth, même si on reconnaît sa patte à la profusion d’idées, à la manière d’en rajouter, d’adapter les dialogues avec plus ou moins de bonheur, mais de garder tout de même l’essentiel du livret tout en le transposant de nos jours, dans un de ces quartiers maudits de la banlieue des villes. Le décor de Thilo Reuther représente au lever de rideau en premier plan une banque (Santander) éventrée sans doute par un attentat, et en arrière une de ces barres de cités , en état de délabrement avancé. Un décor de béton, explosé, où les soldats sont devenus des sortes de miliciens qui combattent les contrebandiers, ou plus des trafiquants révoltés que des contrebandiers d’opérette. Des vidéos s’égrènent, une fleur, jetée sur une route, des interrogatoires de police qui jouent sur le présent et le futur. Il n’y  plus de cigarière, mais des femmes qui fabriquent sans doute des poulets conditionnés, et qui les plument et les jettent dans une marmite après les avoir sacrifiés en une étrange cérémonie vaudou où Carmen est presque invoquée. Pas de garde montante ni descendante. Des dialogues modifiés, avec une importance plus grande, beaucoup plus grande donnée à Zuniga que dans la mise en scène traditionnelle, quelques coupures (choeur des enfants, choeur “un, dos, quartos”), des personnages rajoutés, notamment une danseuse de flamenco (Ana Menjibar qui remporte d’ailleurs un très grand succès, peut-être le plus marqué de la soirée), qui s’insère  dans les dialogues par de savoureuses adresses en espagnol, ou qui danse des intermèdes, accompagnée de deux guitaristes qui jouent aussi le rôle de continuo dans les dialogues (c’est d’ailleurs une bonne idée)…

Et malgré tout cela (je sens certains lecteurs pâlir), on a devant soi un spectacle fort, assez cohérent, avec de vrais moments de théâtre, qui viennent là où on ne les attendait pas: pas de rose jetée, mais un ballon de basket avec lequel joue Don José qui tombe sous les pieds de Carmen, qui renvoie la balle à José, où  s’ensuit un échange qui passe très vite de l’indifférence à l’échange vrai, au regard, à l’accroche, et ce qu’on prenait pour une provocation supplémentaire prend sens et devient un des moments les plus forts du spectacle.

Habanera - Photo Komische Oper

Carmen chantant sa Habanera n’est pas Carmen, mais une sorte de représentation fantasmatique de la mort, dans un costume très rigide, c’est la mort qui chante l’amour, enfant de Bohème. Elle ne devient Carmen qu’au moment de l’agression, très violente,  en fin de premier acte, qui provoquera son arrestation. C’est cette violence qui frappe: un monde de mort, de violence, de rapports de domination homme/femme, où l’amour porte irrémédiablement à la mort. Avec une métaphore qui est celle de la Corrida: sur une vidéo apparaît en projection “On ne doit pas avoir de doute au moment de la mise à mort c’est la loi de la Corrida”, une corrida illustrée en vidéo par deux mains, une masculine, une féminine, qui courent sur deux corps. Amour=corrida=mort, un motif que Baumgarten utilisera évidemment au dernier acte lors du duo. On oscille en permanence entre  hyperréalisme et idéalisme:

Micaela et José - Photo Komische Oper

Micaela est idéalisée, vêtue comme ces Vierges siciliennes ou andalouses qu’on promène sur des chars, en cape de satin bleu, avec des lumières scintillantes dans les cheveux, et son second monologue au troisième acte est vu comme un rêve de José, alors que  son entrée en scène au premier acte se confronte immédiatement au monde des hommes en rut, d’une violence plus forte que d’habitude. Il y a aussi hélas des moments où l’idée de la mise en scène tue l’intensité: dans le monologue des cartes (“La mort, toujours la mort…), Carmen entame une sorte de danse macabre chorégraphiée comme une danse de squelette, il faut bien le dire un peu ridicule. Une plus grande sobriété eût procuré un effet plus fort.
Au total un spectacle fait de profusion, avec l’exploitation d’idées somme toute banales sur l’œuvre (Eros/Thanatos, Carmen face à Don José comme le taureau face à son torero), d’autres meilleures, comme la violence qui naît de la très grande pauvreté, mais dans un style qui fonctionne et même séduit le public et dans une cohérence stylistique et plastique bien plus maîtrisée que dans le Tannhäuser de Bayreuth.

Incontestablement, ce spectacle est un grand succès, et attire un nombreux public, visiblement séduit (applaudissements et rappels sont interminables) et particulièrement jeune:  70% de la salle, pleine, a moins de trente ans, avec des classes et leurs professeurs, mais aussi des groupes d’adolescents, 14-15 ans, qui se sont mis sur leur 31 pour venir à l’opéra. Alors, si ce spectacle, pas totalement convaincant pour mon goût, mais plus réussi, incontestablement, que ce Tannhäuser de Bayreuth qui a tant fait couler d’encre, attire à l’opéra un public plus jeune, et plus disponible, alors, c’est qu’il atteint un but que bien d’autres n’arrivent pas à atteindre, et donc bravo l’artiste!!

OPERAS EN EUROPE 2011-2012 (2): SPECTACLES A RETENIR – VIENNE & BERLIN

Se reporter aux commentaires spécifiques sur les saisons pour la Scala, Paris, Lyon.

Vienne, Berlin,  voici venir le moment des deux grandes capitales européennes de la musique d’opéra, 300 soirs à Vienne, trois opéras à Berlin, des titres variés, des standards certes, mais aussi bien des raretés. L’énorme offre berlinoise permet de diversifier les styles, les approches, les artistes, même si on voit mal se prolonger encore longtemps une situation d’une telle richesse. A Vienne, nous avons pour l’instant passé sous silence le Theater an der Wien, qui propose une programmation nouvelle correspondant à l’espace plus réduit et à un authentique théâtre du XVIIIème, et qui explore un répertoire différent de la Staatsoper, ni la Volksoper, qui n’a pas les mêmes choix esthétiques que la Komische Oper de Berlin, bien qu’elle ait la même fonction sociale et même si l’apport intellectuel de la  Komische Oper à l’histoire du théâtre est autrement plus riche (Se reporter aux sites respectifs).  Les productions du Theater an der Wien sont certes alléchantes, mais elles ne me sont pas apparues plus stimulantes que dans d’autres lieux similaires, c’est une programmation qu’on verrait bien à Aix en Provence par exemple.

VIENNE

Le Staatsoper de Vienne est un lieu un peu particulier. Un des hauts lieux de la grande tradition de l’Opéra, une institution d’une importance considérable dans le paysage autrichien, trois cents soirées du 1er septembre au 30 juin, un bal qui fait courir le monde, un vrai public de fans, capable de faire des jours et des jours de queue pour voir ses idoles (je fis trois jours pour Carmen avec Abbado, Baltsa, Carreras…)et un intendant, pour la première fois de son histoire, non issu de la sphère germanique, le français Dominique Meyer, germanophone, grand ami des Wiener Philharmoniker, qui a entrepris de faire bouger un peu les lignes dans cette vénérable institution et qui semble y réussir, tant à l’opéra qu’au ballet, introduisant le répertoire baroque (Armida avec Anja Harteros), le bel canto (l’an dernier Anna Bolena – Netrebko/Garanca- fit son entrée au répertoire) ou rafraichissant les productions maison vénérables et légendaires (cette année le Rosenkavalier de Otto Schenk).
Dans l’énorme quantité de titres (rien que dans les nouvelles productions ou les reprises qui ont été retravaillées, on compte 16 titres entre ballets et opéras)  au total une quarantaine  d’opéras différents, il est difficile de faire un choix clair, mais je vais signaler tout de même ce qui me fait très envie:

Don Carlo/Don Carlos: cette année, Vienne s’offre le luxe de présenter deux productions du chef d’oeuvre de Verdi, d’une part la version française dans la production désormais culte de Peter Konwitschny et une nouvelle production du Don Carlo italien montée par Daniele Abbado, fils de…On s’offrirait bien le luxe d’aller revoir l’une et découvrir l’autre.
Don Carlos, mise en scène Peter Kontwitschny, dir.mus. Bertrand de Billy avec Kwanchoul Youn (Philippe II), Ludovic Tézier (Rodrigue), Yonghoon Lee (Don Carlos), Adriane Pieczonka (Elisabeth), Béatrice Uria-Monzon (Eboli). Une distribution très honorable qui devrait produire un spectacle de haut niveau.

Don Carlo, mise en scène Daniele Abbado, dir.mus. Franz Welser-Möst, avec René Pape (Filippo II), Ramon Vargas (Don Carlo), Simon Keenlyside (Rodrigo), Luciana d’Intino (Eboli), Krassimira Stoyanova (Elisabetta). Inutile de dire qu’une fois de plus René Pape sera très attendu, comme à Munich ainsi que Simon Keenlyside, dont on connaît le magnifique Posa. Mais la distribution est moins excitante que celle de Munich (16-29 juin 2012)

Entre Zürich, Munich, Berlin, Vienne, beaucoup de Don Carlo(s) à voir cette année, et c’est heureux, avec des distributions assez variées, ce qui ne peut que réjouir.

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. C’est une des nouvelles productions de l’année qu’il faudra aller voir. L’oeuvre de Kurt Weill reste rarement représentée ( il y a eu récemment une belle production à Nantes) j’avais vu la représentation de Salzbourg en 1998, mise en scène Peter Zadek, dir.mus. Dennis Russell-Davies, dans les décors de Richard Peduzzi où Gwyneth Jones prêtait sa voix ruinée, mais fantastiquement ruinée pour le rôle à Leokadja Begbick, (avec aussi Catherine Malfitano et Jerry Hadley). En reproposant une forme “opéra”, Weill et Brecht posent à la fois la question de sa légitimité et celle de son public. Une oeuvre d’un immense intérêt et surtout tellement d’actualité! Dominique Meyer a composé une distribution stimulante (Christopher Ventris, Angelika Kirschlager, Elisabeth Kulman – Leokadja – , et le très bon Tomasz Konieczny) et fait appel à Jérôme Deschamps, peintre d’une société déjantée pour la mise en scène, le tout sera dirigé par Ingo Metzmacher, un maître pour ce type de répertoire. A VOIR ABSOLUMENT. (Du 24 janvier au 5 février 2012).

Parmi les spectacles viennois attirants, on peut aussi noter

Roberto Devereux, avec, comme à Munich, Edita Gruberova, cette fois-ci dirigée par Evelino Pido’, qui porte décidément à Vienne (et en France…) le bel canto, dans une mise en scène du roumain Silvio Purcarete , que les français connaissent bien, avec José Bros, et Nadia Krasteva (26 mai-10 juin)

Die Frau ohne Schatten, dirigée par Franz Welser-Möst, dont on connaît l’affinité pour Strauss, mise en scène de Robert Carsen, avec Adriane Pieczonka (Kaiserin), Robert Dean Smith (Kaiser), Evelyne Herlitzius (Färberin), Wolfgang Koch (Barak, der Färber), soit une belle distribution. Frau ohne Schatten est un de ces opéras qu’on aime à peine on commence à l’écouter et qui a laissé de sublimes interprétations (Rysanek, Nilsson, Böhm…) . (17-27 mars 2012).

Signalons au passage un Ring des Nibelungen unique du 1er au 13 novembre dirigé cette année par Christian Thielemann dans la mise en scène maison de Sven-Eric Bechtolf, avec une pléiade de grands chanteurs wagnériens, Albert Dohmen, Katharina Dalayman, Stephen Gould, Christopher Ventris, Waltraud Meier, Janina Baechle, Tomasz Konieczny…succès assuré même si je ne suis pas fan de Thielemann.

Signalons aussi un Faust, dir.mus: Alain Altinoglu, Mise en scène Nicoals Joel, avec Inva Mula..jusque là on est en terrain connu, mais aussi avec Jonas Kaufmann et l’excellent Adrian Eröd dans Valentin, Albert Dohmen étant Mephisto. Ce Faust devrait faire courir les foules.

Enfin, last but not least, j’ai un faible un très gros faible pour une reprise du Rosenkavalier dans la mise en scène de Otto Schenk, dirigé par Peter Schneider en décembre et par Jeffrey Tate en avril, avec en décembre, Anja Harteros, Chen Reiss, Kurt Rydl et Michaela Selinger et en avril Nina Stemme, Kurt Rydl, Elina garanca et Miah Persson, alternative difficile je crois que je choisirai(s) avril, le trio est vraiment un trio de choc! A NE PAS MANQUER.

Il y aurait bien d’autres choses à signaler: le beau Cardillac d’Hindemith dirigé par Welser Möst qui a triomphé l’an dernier (29 mars-4 avril), un Parsifal pascal dirigé par Thielemann avec Angela Denoke dans Kundry, une Clemenza di Tito avec Michael Schade et Elina Garanca, mise en scène Jürgen Flimm, direction Louis Langrée (17 mai-1er juin 2012) et la Traviata d’Aix (mise en scène Jean-François Sivadier) sans Dessay, mais avec Ermonela Jaho, et dirigée en mai par Bertrand de Billy (10-20 mai) et De la Maison des morts, de Janacek (11 décembre-30 décembre) dirigée par Franz Welser Möst dans une mise en scène de Peter Konwitschny et puis..et puis..et puis..promenez-vous (que dis-je..perdez-vous) dans le site de l’opéra de Vienne, vous resterez étonné de l’offre de ce théâtre “de répertoire” qui allie les avantages du répertoire et ceux de la stagione (notamment pour les distributions)… et puis c’est l’occasion d’aller voir et revoir les Klimt et les Schiele du Belvedere, et les Brueghel et les Archimboldo du Kunsthistorisches Museum, sans oublier le Café Landtmann, le Café Schwarzenberg (mon préféré), le café Mozart, le café Hawelka et le café Diglas (Wollzeile, derrière la Stephansdom, mon second préféré)…

 

BERLIN

Avec ses trois opéras, Staatsoper Unter den Linden, Deutsche Oper, Komische Oper, Berlin à elle seule peut justifier un long séjour lyrique, encore faut-il trouver la période qui permette de voir dans les trois établissements un spectacle qui en vaille la peine.

  • STAATSOPER UNTER DEN LINDEN

Comme son nom ne l’indique plus, la Staatsoper unter den Linden a déménagé à cause de très gros travaux de rénovation (surélévation de la scène notamment) pour trois à quatre ans au Schiller Theater, plus petit, situé presque en face de la Deutsche Oper, côté ouest, alors que la Staatsoper fut l’Opéra de Berlin Est avant la chute du mur. Le directeur artistique depuis vingt ans en est Daniel Barenboim, l’orchestre en fosse est la Staatskapelle Berlin. Daniel Barenboim étant aussi le directeur musical de la Scala, les liens entre ces deux théâtres se sont resserrés, ils ont notamment en commun le Ring de Guy Cassiers, et quelques distributions ou productions (Don Giovanni cette saison affiche dans les deux théâtres, pour deux productions différentes, bien des chanteurs communs). Un regard sur la riche programmation m’a permis de repérer deux reprises intéressantes :

    • Candide, de Leonard Bernstein, dir. mus. Wayne Marshall, mise en scène Vincent Boussard (costumes de Christian Lacroix). L’œuvre mérite d’être vue, elle est encore rare dans les théâtres, et cette production a une flatteuse réputation, la distribution comprend Maria Bengtsson dans Cunégonde et la grande Anja Silja dans the Old Lady. C’est en ce moment…du 1er au 15 novembre (à combiner avec le Don Carlo – encore-  du Deutsche Oper).
    • L’Etoile, de Chabrier, succès de l’an dernier, repris pour Noël (du 4 au 22 décembre) dans la mise en scène de Dale Düsing, et dirigé par Simon Rattle (qui est très bon dans ce type de répertoire) avec Jean-Paul Fouchécourt, Magdalena Kožená, Giovanni Furlanetto.

            On remarquera aussi dans les reprises le fameux Simon Boccanegra (mise en scène minable de Federico Tiezzi) avec Placido Domingo et Anja Harteros (cela vaut encore le voyage malgré tout), dirigé par Daniel Barenboim (26 au 31 mai 2012), un beau Tristan (Barenboim, avec Waltraud Meier), du 10 au 25 mars 2012, une Butterfly de pur répertoire, mais dirigée par…Andris Nelsons et avec la nouvelle coqueluche Kristina Opolais (6 au 13 mai), et pour les nostalgiques de Paris ou d’Aix, la magnifique Traviata mise en scène par Peter Mussbach (vous vous souvenez…Aix) avec la non moins magnifique Christine Schäfer (vous vous souvenez..Paris) dirigée par le jeune et talentueux Omar Meir Wellber entre le 27 novembre et le 17 décembre et une reprise les 29 juin et 1er juillet sans Christine Schäfer.

Dans les nouvelles productions, celle de De la Maison des morts (Chéreau) vient d’avoir un triomphal succès dirigée ici par Sir Simon Rattle, une autre devrait promettre :

Al gran sole carico d’amore, de Luigi Nono, œuvre revenue sur les scènes grâce à Salzbourg (c’est d’ailleurs la même production qu’on va revoir) avec au pupitre Ingo Metzmacher, qui ici aussi fera sans doute l’unanimité (Mise en scène Katie Mitchell) (entre le 1er et le 11 mars). A INSCRIRE SUR SES TABLETTES.

Dans les œuvres contemporaines, une autre coproduction avec Salzbourg, et avec Amsterdam, encore dirigée par Ingo Metzmacher :

Dionysos, de Wolfgang Rihm, dans une mise en scène de Pierre Audi du 8 au 15 Juillet 2012 dans le cadre de « Festival Infektion »…

Dans les autres « premières », il faut signaler quand même
Don Giovanni, dans la production salzbourgeoise très discutée de Claus Guth (un Don Giovanni blessé à mort par le Commandeur et qui vit le tout pour le tout dans ses dernières heures) avec Anna Netrebko, Christopher Maltman, Erwin Schrott, Dorothea Röschmann…(du 24 juin au 6 juillet).

Lulu, avec l’équipe du Wozzeck (Andrea Breth, Daniel Barenboim) et une distribution qui impose le respect : Mojka Erdmann dans Lulu, Deboreh Polaski dans Geschwitz, et Michael Volle dans Schön.. m’est avis que cela devrait valoir le voyage (31 mars-14 avril)

Orphée aux Enfers, d’Offenbach, dans une mise en scène du cinéaste Philipp Stölzl (Celui à l’on doit le Rienzi de la maison d’en face, le Deutsche Oper)  dirigée par Christoph Israel qui devrait là aussi décoiffer un peu.

Quelques productions pour les jeunes d’œuvres peu connues qui devraient stimuler l’intérêt des anciens :

–          Aschenputtel (Cendrillon) de Ermanno Wolf-Ferrari (du 5 au 29 décembre) chaque jour au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater

–          Moscou quartier des cerises, de Chostakovitch, que les lyonnais connaissent bien au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater tous les deux jours entre le 2 mai et le 17 mai prochains.

Enfin, le baroque et musique ancienne ne sont pas en reste, avec deux productions à noter :

Rappresentazione di anima e di corpo, de Emilio De Cavalieri, dirigé par René Jacobs et mis en image par Achim Freyer, avec Marie-Claude Chappuis, et l’Akademie für Alte Musik Berlin (8 juin-17 juin)

Il trionfo del corpo e del disinganno, dirigé par Marc Minkowski avec les Musiciens du Louvre, avec Delphine Galou et Charles Workman, dans une mise en scène de Jürgen Flimm (15 au 29 janvier 2012)

Comme on le voit, une programmation riche, qui couvre des directions et des répertoires, exigeante, fouillée, comme on en voit peu en France, complétée par l’offre un peu plus « grand public » (mais pas tant que ça) de la Deutsche Oper (mais il faut remplir une salle beaucoup plus vaste). Il faudra faire des choix. Je pense quand même que j’irai voir Al gran sole carico d’amore et Lulu.

 

 

 

 

  • DEUTSCHE OPER

Au milieu des 7 nouvelles productions (avec trois productions concertantes dues à des choix économiques) et de la trentaine de titres offerts par la Deutsche Oper, il va être encore difficile de faire des choix. On va finir par avoir envie de s’installer à Berlin ! Notons que la Deustche Oper vient d’offrir  une fois de plus l’inusable production du Ring des Nibelungen (ce mois de septembre dernier) de Götz Friedrich, qui régna sur cette maison, sous la direction du directeur musical actuel, Donald Runnicles, avec une distribution de bon niveau (Jennifer Wilson en Brünnhilde de Walküre, Stephen Gould en Siegfried, avec Torsten Kerl, avec aussi Robert Dean Smith en Siegmund.

Dans les reprises notons aussi

Rienzi, mise en scène Philipp Stölzl, dir.mus : Sebastian Lang-Lessing, avec Torsten Kerl en Rienzi et Manuela Uhl en Irene. J’ai rendu compte dans ce blog de cette très belle production et je ne saurais trop conseiller de faire le voyage : Rienzi est si rare.(20 au 30 avril)

Si vous êtes à Berlin pour Noël, ne pas manquer non plus la reprise de
Hänsel und Gretel, de Humperdinck, un des must de l’opéra allemand, dans une mise en scène de Andreas Homoki (un bon metteur en scène), dirigée par Garett Keast avec Jana Korukova/Julia Benziger et Anna Schoeck/Martina Welschenbach (23-27 décembre)

Parmi la longue liste des premières de la saison où l’on voit notamment la première berlinoise du Tancredi de Rossini (Dir.mus Alberto Zedda, mise en scène : Pierluigi Pizzi avec Patrizia Ciofi (du 22 janvier au 4 février), Patrizia Ciofi assurera (avec Joseph Calleja) aussi deux  représentations concertantes des Pêcheurs de perles de Bizet, direction Guillermo Garcia Calvo (les 19 et 22 décembre), ce qui est aussi une première berlinoise. On note aussi une Jenufa, un Lohengrin. J’ai noté aussi la nouvelle production de

Don Carlo mise en scène Marco Arturo Marelli (qui avait fait à Garnier le Don Carlos français et le Don Carlo italien dans les années 1980 sous l’ère Bogianckino.) dirigé par Donald Runnicles, avec Roberto Scandiuzzi en Filippo II et Anja Harteros (qui chante souvent au Deutsche Oper (je l’y ai entendue dans Traviata où elle fut pour moi inoubliable) Massimo Giordano en Carlo et Anna Smirnova dans Eboli…(du 23 octobre au 12 novembre, et du 8 au 14 avril avec d’autres chanteurs)

Mais c’est sur deux représentations concertantes d’un relief particulier que j’ai jeté mon dévolu :

Candide, de Leonard Bernstein, le 15 mars prochain en hommage à l’humoriste Loriot (Vicco von Bülow) mort en août dernier, dirigé par Donald Runnicles, avec notamment Toby Spence dans Candide et Grace Bumbry dans the Old Lady..Qui manquerait Grace Bumbry ??

Il Trovatore, de Verdi. J’ai dit qu’un Trovatore bien distribué était difficile à trouver aujourd’hui. Les 6 et 9 juin prochains au Deutsche Oper de Berlin, on pourra entendre en représentation concertante Stuart Neill qui est un bon ténor (mais est-ce un Manrico ?), mais surtout Anja Harteros en Leonora (enfin !!), l’excellent Dalibor Jenis en Luna, et la somptueuse Stephanie Blythe (la fabuleuse Fricka de New York) en Azucena, le tout dirigé par le très jeune chef italien Andrea Battistoni…J’espère que cela va palpiter, haleter et qu’on va enfin avoir un Trovatore digne de ce nom.

On l’aura compris, s’il y a un voyage à faire pour moi, c’est le samedi 9 juin pour Trovatore, pour écouter Harteros et Blythe, et découvrir Battistoni dont on parle tant.

 

  • KOMISCHE OPER

t voilà le troisième larron, le théâtre de Felsenstein, que Andreas Homoki va quitter pour Zürich. Pour faire exister son établissement (où tous les opéras sont donnés en allemand) entre les deux géants berlinois, il a tablé sur la nouveauté des mises en scène et sur la provocation. Si vous voulez voir cette année des mises en scènes de Hans Neuenfels, allez donc voir Traviata, si vous voulez, après le Tannhäuser de Bayreuth voir encore une production de Sebastian Baumgarten, vous pourrez voir Carmen dès la fin Novembre, et depuis octobre et jusqu’en janvier vous pourrez voir Im weissen Rößl (l’auberge du Cheval blanc, oui oui) toujours par Baumgarten. Vous pourrez aussi voir une nouvelle production de Homoki (La petite renarde rusée), de Calixto Bieito (Freischütz) et enfin de Stefan Herheim (Xerxès). Bref, c’est le théâtre à ne pas fréquenter pour ceux qui sont allergiques au Regietheater.
Pourtant on y voit souvent des spectacles intelligents et vifs dans des conditions musicales moyennes : quelquefois on voit à la Komische Oper les stars de demain, quelquefois celles d’hier, mais on fait aussi des découvertes (le chef Konrad Junghänel qui va diriger Xerxès que j’entendis dans Armide est vraiment excellent). Mon goût pour le théâtre allemand qui m’est souvent reproché fait que je vais sans doute faire le voyage pour Carmen et L’auberge du cheval blanc : je veux comprendre la manière dont travaille Baumgarten, Le Freischütz de Calixto Bieito, qui va être dirigé par Patrick Lange le directeur musical du théâtre m’attire également. Et inutile de dire que je vais me précipiter au Xerxès de Haendel, mis en scène par Stefan Herheim vu mon admiration pour ce metteur en scène et mon intérêt pour le chef Konrad Junghänel.

Aussi proposerais-je la sélection suivante, destinée aux curieux, aux fous furieux, aux inconscients et aux masos.

Carmen, de Bizet, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus. Stefan Blunier, avec Stella Doufexis en Carmen (du 27 novembre au 27 janvier et le 4 juillet)

Im weissen Rößl, [L’auberge du cheval blanc] de Benatzky, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus Koen Schoots/Peter Christian Feigel (6 nov-15 janv)

Der Freischütz, de Weber, mise en scène Calixto Bieito, dir.mus Patrick Lange avec Günter Papendell, Bettina Jensen, Dmitry Golovnin (depuis le 29 janvier, en fév., mars, avril, jusqu’au 6 juillet)

Xerxès, de Haendel, mise en scène Stefan Herheim, dir.mus Konrad Junghänel à partir du 13 mai et jusqu’au 5 juillet, avec Stella Doufexis.

On remarque aussi dans les nouvelles productions
Le cheval de bronze [das bronzene Pferd], d’Auber, livret de Eugène Scribe dans une mise en scène de Frank Hilbrich, dirigé par Maurizio Barbacini. Auber est si rare dans nos contrées que cela vaut aussi le voyage d’aller voir cette production, qui court du 11 mars au 3 juillet.

Enfin lst but not least, un peu de Hans Neuenfels ne peut faire mal à la santé et donc pour les irréductibles, la reprise de
Traviata, mise en scène Hans Neuenfels, dir.mus.Patrick Lange, du 14 janvier au 14 février (mais surtout en janvier !)

Pour ma part, Xerxès, bien sûr, mais aussi Carmen,  l’Auberge du cheval blanc et sans doute Freischütz. Le système de répertoire permet néanmoins d’étaler ses projets sur plusieurs années, les productions étant reprises régulièrement.

 

Comme on le voit, à Berlin, on a tous les choix, tous les styles, tous les répertoires, la tête tourne devant cette offre à la limite excessive – est-ce que les restrictions économiques le permettront longtemps ?  En tous cas pour l’instant,  pas de quoi s’ennuyer, mais l’exercice est délicat qui consiste à concentrer en peu de temps des spectacles qui valent le déplacement.

 

 

 

A suivre.. Londres, New York, Florence, Rome

FESTIVAL DE BAYREUTH: PERSPECTIVES 2012

Le Festival de Bayreuth 2011 est mort, vive le Festival 2012.

Comme le dit le communiqué de presse, pour une vente de 57750 billets, il y a eu 320000 demandes de 80 pays…Le Festival n’est donc pas tout à fait moribond.
Bayreuth 2012 ouvrira le 25 Juillet 2012 avec une nouvelle production de Der Fliegende Holländer, mise en scène de Jan Philipp Gloger, décors de Christof Henzer, costumes de Karin Jud, lumières de Urs Schönebaum, dramaturgie de Sophie Becker. Jan Philipp Gloger , qui a 30 ans,  a fait sa première mise en scène d’opéra en 2010 à Augsburg (Le Nozze di Figaro). Il est metteur en scène résident au Staatstheater de Mayence et a  déjà reçu des prix pour ses travaux de théâtre. L’orchestre sera dirigé par Christian Thielemann, et la distribution comprend Adrienne Pieczonka (Senta), Evgeny Nikitin (Der Holländer), Franz Josef Selig (Daland), Michael König (Erik) et Benjamin Bruns (Der Steuermann). Evgeny Nikitin en Hollandais est un très bon choix et la distribution de ce Fliegende Holländer semble sur le papier intéressante.
Cette année était la dernière année des Meistersinger, restent donc en programmation, Parsifal (Mise en scène Stefan Herheim), dirigé par Philippe Jordan qui fait ainsi son entrée au Festival et qui succède à Daniele Gatti. Ce Parsifal fera l’objet d’un enregistrement le 5 août. En outre on pourra voir Tristan und Isolde ( Peter Schneider, Christof Marthaler), gageons qu’on trouvera plus facilement des billets pour ce Tristan désormais bien connu.
Enfin, on pourra voir ou revoir Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels, pour faire plaisir aux téléspectateurs en colère, direction musicale Andris Nelsons) et la production 2011 de Tannhäuser dirigée par Thomas Hengelbrock et mise en scène par Sebastian Baumgarten qui fera encore l’unanimité…
Grande nouveauté,  pour la première fois, on pourra commander ses billets par internet (à partir du 15 septembre sur le site http://ticket.btfs.de)  mais la commande papier est encore valide. On introduit donc internet, mais à dose limitée…

Voilà bien des batailles encore en perspective, mais la possibilité d’avoir ce Parsifal retransmis est excitante, vu la qualité du travail de Stefan Herheim.

A l’an prochain…

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: TANNHÄUSER le 1er août 2011 (Dir.Mus.: Thomas HENGELBROCK, Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)


Photo: Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele

Il y a deux manières de considérer l’opéra et le théâtre. Ou bien ce sont des arts de l’agrément, distractions culturelles certes mais distractions d’abord qui permettent à la fois la rencontre sociale et le contact avec l’art en passant le temps agréablement.  Ce sont aussi des distractions de luxe, qui sont les premières victimes des situations de crise (on le voit en Italie actuellement) car on les considère comme superflues. Et puis, en lien avec ses origines religieuses, il y a une manière de considérer le théâtre comme un art indispensable à toute société selon les formes qu’elle se crée, où la distraction passe au second plan après l’expérience théâtrale. Indispensable, c’est-à-dire aussi nécessaire que d’autres rites sociaux, ou nécessités sociales. En Allemagne, le théâtre fait partie intégrante de l’éducation du citoyen, les affaires de théâtre sont sérieuses, ce qui se passe au théâtre est sérieux et fait débat.

C’est aussi pourquoi l’entreprise de Bayreuth est en perpétuel débat. Depuis ses origines, le débat théâtral y est âpre : il faut se rappeler de la violence des réactions devant les mises en scène de Wieland Wagner, notamment lorsqu’il a touché aux sacro-saints Meistersinger, il faut aussi se rappeler les formes de protestation au moment du Ring de Chéreau (broncas dans la salle, au moins les premières années, distribution de tracts à l’entrée du théâtre avertissant le spectateur de l’horreur à laquelle il allait assister), et évidemment, les Cassandre annonçant la fin de Bayreuth, l’irrémédiable déclin, qu’on annonçait déjà lorsqu’on toucha à la mise en scène originelle de Parsifal, inscrite dans le plâtre pendant une quarantaine d’années après la création. C’est ainsi, Bayreuth est l’un des lieux de débat de la culture allemande, beaucoup plus que ne peut l’être Avignon pour le théâtre en France. En ce sens le passage à Bayreuth de Christoph Schlingensief fut hautement symbolique, lui à qui le pavillon allemand de la Biennale de Venise rend actuellement hommage. C’est la direction qu’a prise Katharina Wagner en faisant désormais systématiquement appel à des metteurs en scène novateurs de la scène germanique, que ce soit Marthaler (suisse), Herheim (norvégien), ou Neuenfels et maintenant pour ce Tannhäuser, Sebastian Baumgarten. Le débat a toujours eu lieu, et il ne s’agit pas d’une question de snobisme : que signifie « respecter la pensée de l’auteur », quand cet auteur a vécu dans un contexte différent du nôtre, et avec des présupposés moraux, politiques, artistiques différents. Si Wagner parle aux metteurs en scènes d’aujourd’hui et au public d’aujourd’hui, c’est que ces œuvres parlent au-delà d’elles-mêmes et de l’époque où elles ont été composées, elles parlent au monde d’aujourd’hui avec des problèmes d’aujourd’hui, elles continuent de poser question et c’est heureux. C’est l’éternelle question de l’interprétation. La représentation théâtrale évolue avec le temps, les techniques, la société. Et de même que nous ne voyons pas un tableau « tel qu’il a été conçu », ou une cathédrale gothique, ou le Parthénon, de même nous ne pouvons voir une œuvre « telle qu’elle a été conçue », c’est un leurre. Je pense que nous ne supporterions pas de voir les œuvres que nous admirons telles qu’elles ont été conçues, y compris au niveau musical et au niveau du chant. Aussi devons-nous, du moins c’est mon avis, rester disponibles et ouverts aux formes d’interprétation possibles, à toutes les formes, et c’est une force de ce Festival de faire encore polémique, à sa 100ème édition. De ce point de vue, Salzbourg est beaucoup plus consensuel et moins intéressant.

Ainsi l’accueil de ce Tannhäuser fait débat, violent débat : des spectateurs partent en cours de représentation, d’autres ressortent avant même la première note, dès qu’il voient le décor, à rideau ouvert 15 minutes avant le spectacle, à l’ouverture des portes. Il fait débat, aussi bien musicalement que scéniquement.

Musicalement, la direction de Thomas Hengelbrock a été fortement contestée : ses choix « philologiques », sa manière d’aborder l’œuvre très attentive à la génétique de la partition, son souci de coller à la mise en scène, sa relative lenteur, son manque d’éclat volontaire,  tout cela a été pêle-mêle reproché, arguant qu’un chef venu du baroque ne pouvait pas aborder Wagner. Hengelbrock qui vient effectivement du baroque, a depuis longtemps élargi son répertoire, et il est connu pour son exigence et sa rigueur.  Je n’ai pas été loin de là scandalisé par son approche, plutôt originale, sortant des sentiers battus, mais approfondie et particulièrement stimulante au début du troisième acte, par exemple. Ensembles et grandes scènes chorales gardent de toute manière leur capacité à fasciner (la fin notamment), même si elles sont moins spectaculaires. Au total, une interprétation certes un peu inhabituelle, peut-être moins somptueuse (si l’on compare à ce que fit Christian Thielemann dans la production précédente de Philippe Arlaud, et qui reste une grande référence), mais très prenante et très en place.

Du point de vue du chant, beaucoup à dire, et la distribution arrêtée cette année n’a pas vraiment donné les résultats escomptés. Il y a du très bon (Günther Groissböck dans le Landgrave, Michael Nagy dans Wolfram), du bon (Camilla Nylund), du moins bon (Lars Cleveman), du très mauvais (Stephanie Friede dans Venus).

Camilla Nylund n’a pas une grande voix, les aigus se resserrent dès que la voix monte, la voix disparaît dans les ensembles (final de l’acte II) mais le timbre est joli, mais l’interprétation modèle, mais le personnage d’une grande tenue. La prière du 3ème acte est vraiment une modèle de tenue de voix, d’attention aux détails, de contrôle. Pour toutes ces raisons, Camilla Nylund, tout en ayant des moyens limités, réussit à passer la rampe avec grand honneur. Lars Cleveman en revanche déçoit. Je l’avais beaucoup apprécié dans Tristan à Londres où il remplaçait Ben Heppner. La voix semble prématurément vieillie, les aigus peinent à sortir, la vaillance ne lui réussit pas et l’ensemble reste pâlot. Rien à avoir avec le Tannhäuser de Stephen Gould dans cette même salle il y a quelques années, ou même celui de Peter Seiffert à Zürich cet hiver. La prestation n’est pas convaincante à 100%, et les difficultés sont visibles, bien que la scène finale soit assez réussie.
Stephanie Friede dans Venus, c’est exactement l’opposé de tout ce qu’il faudrait faire. Certes, la Venus de Baumgarten est volontairement enlaidie, enceinte, c’est un repoussoir qui malgré tout attire les hommes (tous peu ou prou veulent descendre dans le Venusberg …). Est-ce pour être aussi un repoussoir vocal et donc à la limite du supportable pour le spectateur qu’elle a été choisie ? Rarement nous avons entendu plus laid : attaques peu précises, cris, problèmes de stabilité vocale et surtout série de problèmes de justesse très lourds : rien n’est juste, la voie bouge et sa dernière intervention au troisième acte est un modèle du genre insupportable : on ne reconnaît même pas les notes ! A  oublier…à moins qu’elle n’ait justement été engagée pour tous ces défauts, ce qui serait un comble. Si tel n’est pas le cas, c’est une erreur de casting manifeste qui ne peut que susciter des lourdes interrogations sur la pertinence de certains choix vocaux à Bayreuth.

Günther Groissböck reçoit le plus imposant triomphe de la soirée, la voix est grande, le personnage imposant, la technique impeccable. Rien à dire. Mais on ne fait pas un Tannhäuser avec le Landgrave. Ni même avec un excellent Wolfram comme celui de Michael Nagy (que j’avais remarqué dans le héraut de Lohengrin à Budapest). Un peu moins impressionnant que Michael Volle dans ce même rôle à Zürich (la voix est plus légère), mais d’une grande douceur vocale, avec un timbre chaleureux, une très belle couleur. Dans les rôles plus petits, notons le Walther de Lothar Odinius, presque plus en place et plus puissant que Tannhäuser et la voix elle aussi bien en place de la jeune Katja Stuber (ein junger Hirt).

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est  comme toujours incomparable et reçoit une ovation impressionnante et amplement  méritée.

Mais on le constate,  musicalement, le spectateur ne pouvait sortir pleinement satisfait de la salle, et inévitablement, il faudra sans doute revenir sur le métier l’an prochain pour afficher un cast plus homogène.

Mais venons-en au nœud de notre affaire, la mise en scène de Sebastian Baumgarten, qui a violemment heurté une partie du public. On ne peut dire que Baumgarten ne soit pas un enfant du milieu, lui dont l’aïeul dirigeait l’opéra de Berlin. Le propos de départ est assez simple, voire assez commun et déjà traité par d’autres : le monde de la Wartburg est un monde fermé, coupé du monde et d’un idéalisme et intellectualisme totalitaires (un peu comme la République de Platon, le débat autour de l’amour dans le concours de chant n’est-il pas une version particulière du Banquet du même Platon ?) c’est aussi un monde artistiquement apollinien. Par son chant Tannhäuser est un poète en rupture avec ce monde, il affiche des valeurs dionysiaques. Ayant décidé de quitter la Wartburg, il se retrouve là où son chant charme, au Venusberg, amant de Venus. Comment concilier Apollon et Dionysos, éternelle question de l’art et de la vie, dont il nous est proposé une réponse ici .  Avec son décorateur Joep van Lieshout, un plasticien créateur d’objets à la limite de l’art, de l’architecture et du design, il a créé un espace sur trois niveaux, qui envahit toute la scène de Bayreuth, y compris en hauteur, sensé figurer une usine de retraitement de déchets organiques (excréments humains), qui fait vivre la communauté en totale autonomie. Nourriture et alcool (il faut bien aussi se distraire…)  sont produits , et ce qui est rejeté se retrouve sous terre, au Venusberg, qui dans cette architecture se trouve être une cage dans les dessous, dans laquelle on accède par une trappe. L’essentiel se déroule sur le plateau, dans le cercle qui délimite (le toit de) la cage qui pendant la scène du Venusberg monte  sur le plateau, puis disparaît dans les dessous lorsque Tannhäuser fuit (à voir sur youtube). On comprend le symbole : la Wartburg est une société autosuffisante dont l’objet est la purification. Tout ce qui n’est pas pur est envoyé soit au Venusberg (si incurable), soit à Rome chez le pape (si on l’estime curable). D’où les containers (marqués ROM 451) où rentrent les pèlerins, et d’où ils sortiront au troisième acte, purifiés (et obsédés par le nettoyage : ils ne cessent de s’essuyer) . Que ces containers rappellent certains wagons remplis d’humains de la seconde guerre mondiale n’est sans doute pas un hasard. Sur la scène, des cuves d’alcool, d’éthanol , de méthane (Biogas).
Le monde du Venusberg en revanche est une cage remplie de monstres, de créatures spermatozoïdaires, et gouverné par une Venus enlaidie, et enceinte. Rien du Venusberg langoureux et mystérieux de la version de Paris. On est à l’opposé de la purification, on est dans le trash. Mais les deux mondes communiquent, par une trappe : y disparaissent Elisabeth et Tannhäuser au début du 2ème acte, y descend un instant Wolfram, s’y retrouvent un moment tous les protagonistes : tout le monde à un moment ou un autre a envie de Venusberg ou a à faire avec le Venusberg.
Qu’ensuite Elisabeth seule comprenne parfaitement le chant de Tannhäuser qui vante la chair comme enjeu de l’amour puisqu’elle vient d’y goûter et qu’elle s’ouvre les veines en guise d’expiation ensuite (comme des stigmates) est aussi logique dans cette perspective.

Ainsi Tannhäuser pris entre Dionysos et Apollon, entre l’Esprit et Venus, ne peut choisir, et le pape ne peut l’absoudre, ce serait reconnaître que Venus est parmi nous : c’est idéologiquement impossible : il mourra donc, et son corps dans l’image finale gît entre le Venusberg (en bas) régénéré par la naissance d’un enfant de Venus, et la figure hiératique entourée de prêtres de Sainte Elisabeth (en haut). Ce que s’ingénie à montrer la mise en scène, c’est que notre société est prise dans sa globalité dans cet éternel dilemme : d’où la scène ouverte sur la salle avant même le début de l’œuvre, d’où la scène ouverte aux « vrais » spectateurs présents sur le plateau même (une cinquantaine, nos représentants), d’où des figurants en travail permanent avant le lever de rideau, dès la fin de la musique, pour gérer le fonctionnement  de la communauté et de la structure de production, d’où un monde global mécanisé, où même le Venusberg a sa place, un monde tragique qui ne sort jamais de ses contradictions (c’est un peu le propos de Lohengrin, c’est aussi la situation dont on ne se sort pas dans Parsifal à moins de connaître la blessure de la chair pour que naisse la compassion). En bref une situation assez habituelle chez Wagner, où c’est quelque part le proscrit ou l’étranger qui porte la lumière (Parsifal, Lohengrin, Walther même, et bien sûr Tannhäuser, cet autre Richard Wagner), car l’art ne peut naître que de l’opposition, que de Prométhée, que du vol du feu.

Il en résulte sur scène une mise en scène complexe, où le regard sur le monde est sans concession (couleurs criardes, Venus horrible, monstres, refus de l’esthétisme), sans doute trop complexe. Bien des choses ont déjà été dites par d’autres metteurs en scène, et je pense qu’on aurait eu intérêt à épurer, mais cet excès même, insupportable, n’est-il pas en quelque sorte le ressort de ce travail, qui se veut sans réponse, sans issue, que celle de la fuite, du refus, de la mort. Que Venus s’en sorte à la fin (en bel habit doré) avec cet enfant que le chœur se passe de bras en bras, que le monde de la joie, du mouvement  et du futur soit chez Venus, pendant que le monde figé est du côté d’Elisabeth peut se comprendre, c’est la victoire de Dionysos sur Apollon, mais en même temps, toute option de libre arbitre, tout mouvement de l’un vers l’autre est interdit et conduit à l’impasse. On retiendra des moments réussis, le troisième acte, le final du deuxième où la vision d’une Isabelle tout sauf éthérée, femme courageuse et décidée, est une vision intéressante qui sort des schèmes habituels. Mais on peut regretter le désordre scénique, qui distrait de l’action, un décor complexe dont on pouvait faire quelque économie : certes ce travail n’est pas stupide, et demande une grande concentration, mais il ne peut qu’être violemment rejeté par ceux qui voulaient retrouver un Tannhäuser traditionnel qui fasse un peu rêver. C’est raté, dans cette apologie du cauchemar permanent que Baumgarten nous a proposés.

J’ai essayé d’être le plus clair et le plus juste possible. Je n’ai pas été enthousiasmé. Je n’ai pas été non plus ni offusqué, ni choqué. Il m’a manqué un peu (beaucoup) d’émotion. Mais si la distribution avait vraiment convaincu, je pense que les nerfs de certains spectateurs n’auraient pas craqué.

Voir le reportage d’ARTE d’il y a quelques jours

 

 

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011 : Quelques échos de l’accueil de TANNHÄUSER

N’ayant pas assisté à la première je me garderai bien d’en faire un compte rendu en bonne et due forme. J’ai écouté la retransmission radio, qui ne m’est pas apparue musicalement à dédaigner. La direction de Thomas Hengelbrock, très critiquée pour sa lenteur (il a été fortement hué) m’est apparue à la radio effectivement lente, mais plutôt très analytique, très architecturée, avec un final somptueux. (Sans doute aussi la mise en scène qui a excédé certains spectateurs a-t-elle contribué à gauchir l’audition…). Camilla Nylund a les qualités habituelles : la chanteuse est appliquée, très professionnelle, mais a des problèmes dès qu’elle monte trop à l’aigu, qu’elle a court et qui serre la voix. Les centres sont beaux, les aigus moins. Lars Cleveman m’est apparu plutôt satisfaisant à l’audition, beaucoup ont critiqué sa manière de chanter et ont noté des difficultés. Unanimité en revanche pour Günther Groissbrock (Landgrave), magnifique et surtout pour Michael Nagy, magnifique Wolfram qui a triomphé auprès du public (cela ne me surprend pas, vu son Héraut de Lohengrin le mois dernier à Budapest). Unanimité aussi, mais contre Stephanie Friede dans Venus, ce que j’en ai entendu en radio confirme : attaques ratées, aigus courts, voix vieillie, désagréable à entendre.
La mise en scène de Sebastian Baumgarten dénonce le cloisonnement culturel de notre société aseptisée, marquée par le catholicisme, qui ne permet pas aux âmes libres de passer d’un mode de vie et de pensée à l’autre, pas de place pour des Tannhäuser qui ne trouvent leur identité que dans le changement : c’est Wagner lui-même qui fait dire à Wotan dans Rheingold : « Qui vit aime le changement et la variété: ce jeu je ne peux m’en passer ». Le spectacle a été très mal accueilli à la Première, avec une bordée impressionnante de huées (le final, particulièrement provoquant, montre une Venus enceinte, qui triomphe.et qui met au monde un enfant…) Ce que j’en ai su par des amis spectateurs confirme cette impression négative. Ce que j’en ai lu et les déclarations d’intentions du metteur en scène stimulent en revanche ma curiosité. J’espère pouvoir m’y confronter dès cette année.