ENREGISTREMENTS ET CD: LE DERNIER DISQUE DE CLAUDIO ABBADO – BRUCKNER SYMPHONIE N°9

Le dernier disque
Le dernier disque

Quelle erreur !
Quelle erreur de n’avoir pas repris en vidéo ce concert où Claudio Abbado à bout de forces, mais pas d’inspiration, a offert au public un testament en forme d’inachèvement, en programmant dans la même soirée et l’Inachevée de Schubert, et la Symphonie n°9 de Bruckner qui est aussi son inachevée. On a préféré retransmettre et enregistrer l’Eroica et les extraits de Gurrelieder de Schönberg, qui constituaient en 2013 le premier programme du Lucerne Festival Orchestra.
La symphonie n°9 de Bruckner vient de sortir fin juin en CD chez DG/Accentus, et tout mélomane un peu amoureux d’Abbado se doit de la posséder dans sa discothèque. C’est d’ailleurs un disque qui se vend bien, au moins à en croire certaines listes comme http://www.classical-music.com/chart/official-classical-chart
La manière dont Abbado avait abordé ces deux symphonies inachevées (Schubert-Bruckner) et notamment la symphonie de Bruckner avait suscité chez les mélomanes présents des discussions passionnées, tant la manière d’Abbado, très intériorisée, d’une tristesse indicible, a frappé.

Je ne suis pas sûr que ne présenter dans un enregistrement que la symphonie de Bruckner sans celle de Schubert soit une si bonne idée. Certes, elle permet à l’éditeur de projeter deux enregistrements séparés, mais l’arc interprétatif et le discours d’Abbado sont si cohérents entre les deux œuvres, que je peux difficilement écouter l’une sans l’autre. Car c’est bien l’inachèvement et la fin qui sont sussurés ici. Et le compte rendu que j’en ai fait sur le moment sonne étrangement, au regard des événements qui ont suivi. Je renvoie le lecteur à ces analyses, mais j’en donne ci-dessous les conclusions : « Une soirée et une édition 2013 qui laissent un goût amer en bouche: comme d’habitude, des exécutions d’une qualité inouïe, avec un orchestre phénoménal, comme d’habitude des émotions et des moments très forts, mais cette année, quelque chose d’autre, où était absent cet élan vital, cette éternelle jeunesse qu’Abbado communique dans sa vision de la musique. Etait-ce parce qu’il était plus fatigué (c’était visible dans ses gestes, et il a dû pendant la série de concerts annuler son intervention pour la fête des 75 ans du Festival) est-ce un tournant interprétatif ? L’avenir nous le dira, mais en tout cas, bien des amis qui le suivent encore plus que moi étaient frappés par cette vision sans espoir qui transpirait de ces soirées et du fond de leur âme, ne voulaient pas l’envisager. »
Abbado était discret, parlait peu, et en tous cas presque jamais en répétition, et presque jamais de ses concerts ou de ses interprétations. Mais faire de la musique pour lui c’était aussi dire quelque chose de lui même. Ce qu’il ne disait pas, il l’exprimait par la musique, par les concerts, qui étaient pour lui tranche de vie. Il y a donc quelque chose de prémonitoire dans ce Bruckner, comme une annonce, comme un présage qu’il semblait sentir.
À réécouter l’enregistrement (qui est un montage des trois soirées de concert) on retrouve les mêmes impressions, mêlées au souvenir, car évidemment l’écoute d’aujourd’hui est traversée par le fait qu’il s’agit du dernier programme qu’Abbado a dirigé et tous les commentaires qu’on peut faire ou avoir fait en sont gauchis. On est quand même toujours  frappé d’une part par la ductilité extrême de l’orchestre et la qualité de l’exécution, des pizzicati à se damner, des cordes d’une douceur et d’une suavité inconnues (c’est incroyable cette douceur triste qui émerge du premier mouvement), une lenteur certes, mais d’une fluidité étonnante dans les enchaînements, sans heurts,  interventions des cuivres presque timides au départ, avec l’élégance inouïe à laquelle Abbado nous avait habitués. Il est servi par des solistes d’une virtuosité unique (flûtes, clarinette, hautbois, trompettes mais aussi contrebasses incroyables), saisis sans doute aussi par la nature du moment, qu’ils devaient sentir encore plus que le spectateur : c’est cet unisson (uni-sono), cette unicité du son qui frappe et qui emporte. On ne sait sur quoi fixer son attention, tant il est difficile d’isoler un moment ou un autre, mais on reste confondu par l’art du crescendo, le contrôle des volumes, et la clarté du rendu. Une douce, très douce marche vers l’abîme, sereine et résignée.
Le second mouvement est « un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler »(Racine, Phèdre, scène finale), une énergie rageuse, rendue par un jeu étourdissant des pizzicati, un crescendo d’une extrême tension pour aboutir à une explosion des tutti qui reste néanmoins presque contenue, tant elle semble naturelle, aller de soi, avec un refus des ruptures, dans un sens aigu des liens musicaux qui se sont construits : des contrastes entre la douceur des bois et la brutalité des forte, qu’on a souvent comparé à du Prokofiev ou du Stravinski, il reste un ballet certes inquiétant, mais sans cette angoisse mystique qui pourrait saisir, c’est une rage qui passe, comme le reste passera et finira.
Au contraire, le début du dernier mouvement, l’adagio, s’affirme avec à la fois les grandes orgues de la solennité brucknerienne, pour être immédiatement compensée par la douceur des confidences abbadiennes,  indicible (ah les bois…), qui étreint jusqu’au plus profond du cœur en des murmures à peine perceptibles des cors et des cordes : il s’agit d’un chant, l’avenir nous a dit que c’était un chant du cygne, un cygne encore vivant, encore créatif, encore avide de confidences, encore désireux d’avenir et de confiance, mais déjà pris par la nostalgie et les regrets : tout nous parle, le moindre son, la moindre inflexion, dans cet adagio à la lenteur non solennelle, mais résignée, qui n’appellerait que des larmes. Mais ce sont les trois dernières minutes, suspendues, qui resteront gravées pour toujours dans le souvenir des auditeurs, et qui dans ce disque, demeurent bouleversantes. Ces trois dernières minutes-là valent tous les messages, tous les concerts, toute une expérience d’auditeur. Elles sont définitives…
On l’aura compris, ceux qui n’ont pas encore ce disque doivent courir en faire l’acquisition. En faire l’impasse est inconcevable : un testament qui est une porte ouverte sur le Paradis.  [wpsr_facebook]

 

 

 

LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014: Gustavo DUDAMEL dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (BEETHOVEN-STRAVINSKI)

Gustavo Dudamel © Vern.Evans
Gustavo Dudamel © Vern.Evans

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sinfonie Nr. 6 en fa majeur op. 68 Pastorale
Igor Strawinsky (1882-1971)
Le Sacre du Printemps

 

Le festival de Pâques de Lucerne propose traditionnellement une mini résidence du Symphonieorchester des Bayerischen Runfunks, et cette année, c’est Gustavo Dudamel et Andris Nelsons, les stars de la nouvelle génération, qui le dirigent à tour de rôle.

Qui est Gustavo Dudamel ? Est-il un superficiel ? Un médiatique ? Un travailleur ? Un classique ? Un novateur ? Quelle place a-t-il dans l’actuel Panthéon des chefs ?
Et d’où vient son immense popularité ?
Ayant suivi sa carrière depuis les origines, lorsqu’il effectua ses premières tournées en Europe avec l’orchestre Simon Bolivar des jeunes du Venezuela qu’il dirigeait à 19 ans, lorsqu’après avoir remporté le concours de direction d’orchestre Gustav Mahler de Bamberg, il dirigea l’automne suivant les Bamberger Symphoniker, dans un programme Jean Françaix (bien connu en Allemagne) et Saint-Saëns (Symphonie avec orgue).
On remarquait immédiatement des qualités notables : sens de la dynamique, extrême précision du geste, pulsation rythmique marquée.
Très vite sa carrière a explosé, et même à l’opéra : il fut appelé à la Scala par Stéphane Lissner pour diriger Don Giovanni dans une mise en scène de Peter Mussbach, et la scène de la mort de Don Giovanni reste ancrée dans ma mémoire, elle me rappelait en effet Furtwängler.
Malheureusement, les autres expériences à l’opéra (Bohème, Rigoletto) furent assez décevantes :  Dudamel s’occupe avec un soin extrême de l’orchestre, pas forcément des chanteurs.
Car, chef d’orchestre depuis l’âge de 14 ans et ayant fait ses armes auprès de l’orchestre des Jeunes du Venezuela, il a dû à la fois diriger et former, et effectuer un travail de grande précision auprès de musiciens formés sur le tas, dans l’orchestre et par l’orchestre, pour leur permettre d’arriver au niveau exceptionnel qu’ils ont atteint.
J’avais en tête tous ces souvenirs en voyant Gustavo Dudamel diriger le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks.
Je ne l’avais pas entendu depuis plusieurs années lors de ce concert de Lucerne. Et j’avais entendu des avis contrastés de la part de ceux qui avaient écouté certains de ses concerts. Les derniers (à Paris, Requiem de Berlioz à Notre Dame) étaient unanimement salués, d’autres expériences avaient été moins heureuses : on l’estime tantôt froid et peu expressif, tantôt métronomique (sic), tantôt très (trop) classique tantôt très (trop) sirupeux.
Rien de tout cela ce soir.
Le programme proposait en première partie la Symphonie n°6 Pastorale de Beethoven, une pièce rebattue, qui permet aussi d’innover dans l’interprétation: pour ma part quand je l’écoute elle me rappelle le tableau de Giorgione, La Tempesta (Galerie de l’Académie à Venise). Une femme (gitane ?) protégeant un bébé  au premier plan qui regarde le spectateur et un soldat tourné vers elle face à un paysage qui commence à s’agiter au milieu d’une végétation abondante, avec en arrière plan une ville sous un ciel menaçant.
Il y a dans ce tableau quelque chose de serein, et en même temps d’inquiétant. Une composition qui met en scène une nature luxuriante envahissante, et une ville, et de l’eau, et deux êtres un peu perdus, ou là par hasard. Et quand je lis les lignes de Berlioz sur cette symphonie, je comprends, par Giorgione interposé, ce qu’il veut nous dire lorsqu’il parle de paysage composé par Poussin et dessiné par Michel Ange. Je tiens le tableau de Giorgione comme l’un des plus grands de l’histoire de la peinture, et lorsque je reviens à Venise, je vais systématiquement le voir comme aimanté par ce regard féminin un peu mystérieux, vaguement craintif, et pourtant d’une étrange sérénité.
Et la Pastorale de Beethoven, c’est pour moi la musique qui convient à cet univers, une nature qui n’a rien de mièvre, qui n’a rien de bucolique, qui n’a rien de pastoral au sens du XVIIème : pas de bergers ni de bergères, adieu Tircis, adieu le Tendre mais une vision syncrétique des sons, des bruits, des fluides mystérieux de la nature, avec leurs contrastes et leur violence, leur douceur et leur souffle.
Dudamel aborde l’œuvre, que le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks connaît bien et qu’il a jouée avec Mariss Jansons son chef il n’y a pas si longtemps, d’une manière qui évite toute mièvrerie, avec une sorte d’objectivité étonnante, laissant la musique parler sans jamais se laisser aller à je ne sais quelle complaisance. Le son est plein, décidé, fabuleusement clair. Il y a lecture, il y a vraie direction de quelqu’un qui sait ce qu’il veut offrir. Ce Beethoven-là est un vrai tableau, c’est une véritable description qu’il conduit, et qu’il balaie. Mon mouvement préféré, le quatrième ( Gewitter – Sturm <Tonnerre – Orage>) est abordé de manière à la fois sèche et prodigieusement précise, qui met en valeur les fulgurances de l’orchestration beethovénienne, s’emparant d’un topos de la musique descriptive qui court les opéras de Vivaldi à Rossini pour en faire un instantané inquiétant, où les choses deviennent personnes, où la nature devient presque terreur, une nature qui parle. C’est magnifiquement interprété et coloré.

Gustavo Dudamel
Gustavo Dudamel

J’avoue avoir été étonné de la maturité de ce travail, et du son extraordinaire qui en sort, un son à la fois plein, présent, sans jamais être un son à effets, alors que ce serait si facile.
Et c’est la même impression avec le Sacre du Printemps, une pièce que Dudamel affectionne, et qui prolonge d’une certaine manière cette vision païenne de la nature, par une célébration sacrificielle. Ici, en maître absolu de l’orchestre, Dudamel impulse, c’est à dire instille une pulsion phénoménale qui semble venir des profondeurs. Il n’y a rien là de descriptif, il y a là un véritable regard, froid, méthodique, un regard non plus à la Giorgione, mais à la Flaubert, au Flaubert de Salammbô, exact, précis et à la fois terriblement romanesque, quelque chose de monumental et d’écrasant. J’ai vraiment admiré l’animation, c’est à dire le paysage plein de souffle et d‘âme qu’il réussit à dessiner, animus et anima, et il sollicite l’orchestre pour créer des contrastes d’images sonores brutales, sans jamais aucune scorie, des sons d’une précision presque inhumaine, la messe inquiétante de la nature.
Ce concert fut pour moi une sorte de fête de correspondances, musique, peinture, littérature se répondent en une sorte de fête sabbatique dont je garde encore un souvenir vibrant. Dudamel m’a étonné, m’a même saisi. Grand, vraiment.
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Gustavo Dudamel & Andris Nelsons après l'acte III de Parsifal (Lucerne, 12 avril 2014)
Gustavo Dudamel & Andris Nelsons après l’acte III de Parsifal (Lucerne, 12 avril 2014)

LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014: Andris NELSONS dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (Richard WAGNER – PARSIFAL Acte III)

Andris Nelsons le 12 avril 2014 avec Georg Zeppenfeld et Simon O'Neill © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 avec Georg Zeppenfeld et Simon O’Neill © Lucerne Festival/Peter Fischli

En 2016, Bayreuth a programmé une nouvelle production de Parsifal, confiée à Andris Nelsons, très apprécié pour son Lohengrin (vous vous rappelez ? Celui des rats…) et au performer allemand Jonathan Meese, ce qui au contraire provoque déjà la polémique. Comme c’est l’usage, les chefs invités à Bayreuth qui n’ont jamais dirigé l’œuvre pour laquelle ils sont invités la mettent au programme de leurs concerts. Ce fut par exemple le cas pour Kirill Petrenko à Rome avec Rheingold, ou Gatti, toujours à Rome, pour ce même Parsifal.
Par ailleurs, pour sa résidence pascale à Lucerne, l’Orchestre de la radio bavaroise, programme toujours un grand concert choral.
C’est donc un projet Parsifal qui est né, mais pour le seul troisième acte, avec le magnifique chœur de la Radio bavaroise (dirigé par Michael Alber) et des solistes de choix : avec Simon O’Neill (Parsifal), Georg Zeppenfeld (Gurnemanz) et Tomasz Konieczny (Amfortas).
Andris Nelsons est un vrai, un grand chef, et notamment un grand chef d’opéra. Il sait donner une vraie couleur, une vraie direction à ses interprétations : il y a incontestablement des prises de risque dans l’approche des œuvres. Voilà un chef qui excelle dans Wagner..mais aussi dans Puccini, dont l’épaisseur orchestrale et la complexité de l’écriture sont quelquefois une surprise pour ceux qui le prennent pour un simple vériste.
J’ai déjà entendu ainsi un troisième acte isolé, c’était à Paris, avec les Berliner Philharmoniker dans la fosse, et Herbert von Karajan au pupitre. Et c’est évidemment frustrant…pas d’explosion dramatique du deuxième acte, pas de lancinant et extatique premier acte. On rentre immédiatement dans le deuil, dans le drame, dans la nuit qui va précéder l’éveil du Printemps (dont le même orchestre avait interprété Le Sacre la veille avec Gustavo Dudamel).
En deux soirées, cette phalange exceptionnelle a connu deux des jeunes chefs les plus en vue, dont on peut à la fois admirer la technique, mais aussi les profondes différences, si l’on excepte leur manière de bouger en dirigeant, Andris Nelsons bougeant sa grande carcasse dans tous les sens, et pas vraiment d’ailleurs d’une manière élégante : il devra sans doute se contrôler plus..mais à 36 ans…

Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli

À 36 ans, il s’attaque à un sommet wagnérien, avec cette sûreté que seuls les chefs de forte nature possèdent. Nelsons a un côté bûcheron nordique, bon enfant mais imposant qui fait contraste avec une approche très sensible, très raffinée quelquefois, et trépidante d’autres fois. Dans une salle peu favorable aux voix mais très favorable à l’orchestre par la clarté sonore qu’elle reproduit, il ne couvre jamais les solistes, et réussit à colorer d’une manière totalement inattendue l’ensemble de l’acte. Après un début retenu, sombre, sans lyrisme et sans aucun sentimentalisme, il réussit à sculpter des sons plus aérés avant d’être aériens pour gratifier d’un Karfreitagzauber (l’Enchantement du vendredi Saint) vraiment bouleversant, avec une sorte de trépidation intérieure et de vie bruissante qui étonne (d’autant qu’on sait qu’il y a eu très peu de répétitions). Certes la Verwandlungsmusik ne sonne pas comme cette antichambre de la mort qu’était Abbado dans cette même salle avec ses cloches orientales géantes, mais elle sonne tout de même très inquiétante, avec l’enchaînement d’un chœur qui ne mérite que des éloges, pas si nombreux, mais qui emplit la nef comme un chœur de cathédrale.

Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli

À aucun moment, Nelsons ne se laisse aller à des complaisances, jamais son approche ne sonne pathétique, pas de pathos, mais pas d’objectivité froide non plus, il ya dans tout ce travail une étrange force intérieure, un tremblement fondamental qui secoue l’auditeur, d’autant que l’orchestre de la Radio bavaroise sonne sans aucune scorie, avec une netteté des attaques, une clarté des pupitres, un sens des niveaux sonores qui frappe d’admiration.
Face à ce travail admirable, trois solistes qui sont immédiatement entrés dans l’œuvre, avec la fugace Kundry de Sabine Staudinger, une artiste du chœur au timbre chaud à qui l’on demande de crier et de « dienen » et qui s’efface aussitôt.
Le Parsifal de Simon O’Neill est étrangement presque plus concerné en concert que lorsqu’on le voit en scène, beau timbre, très clair, très velouté, très lyrique, mais qui sait aussi montrer une voix puissante et héroïque (il est un bon Siegmund, et les bons Siegmund sont souvent de bons Parsifal (Vickers, Hoffmann et même Domingo, sans parler de Kaufmann) et un bel engagement. Comme les deux autres collègues, il est doué d’une diction d’une cristalline clarté.
Tomasz Koniecny est Amfortas, un Amfortas très honorable, mais peut-être pas au niveaud es deux autres, il incarne un Amfortas souffrant, mais à la fois trop clair et trop engagé pour être si affaibli, comme l’exige la partition ; Pour tout dire, il ne m’est pas apparu rentrer totalement dans le rôle (il est vrai que les conditions d’un troisième acte pour Amfortas sont difficile, 10mn pour convaincre), tout le monde n’est pas Mattei, ni Van Dam qui était Amfortas avec Karajan à l’Opéra de Paris lors du concert que j’évoquais. En revanche merveille que le Gurnemanz de Goerg Zeppenfeld qui fait regretter de ne pas entendre le premier acte. Diction parfaite, sens des nuances, sens du dire et du discours, voix étonnamment claire tout en étant profonde, sonore, bien projetée, et surtout sans maniérisme, sans coquetterie, avec une linéarité et une simplicité en plein écho avec la direction musicale. Prodigieux d’intelligence.
Au total, nous avons entendu à travers ce troisième acte la promesse d’un très grand Parsifal, ce fut un triomphe mérité, ce fut un très grand moment, ce fut aussi (et donc) une très grande frustration, mais c’est un mal présent en vue d’un bien (bayreuthien) futur.
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Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli

LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014: CHAMBER ORCHESTRA OF EUROPE dirigé par Bernard HAITINK le 5 AVRIL 2014 (Robert SCHUMANN) avec Gautier CAPUÇON

Bernard Haitink et le COE ©PKetterer/Lucerne Festival
Bernard Haitink et le COE ©PKetterer/Lucerne Festival

Tout le monde ce soir-là en rentrant dans l’auditorium du KKL avait la tête ailleurs, mes voisins, à côté, derrière, devant parlaient du concert du lundi 7 annulé,  qui devait être celui de Claudio Abbado, de celui de demain dimanche 6, par le Lucerne Festival Orchestra en sa mémoire. Il suffisait d’ouvrir le programme de salle : un texte de Michael Haefliger qui évoque la figure de Claudio nous plongeait dans le souvenir.
Et ce soir, Bernard Haitink, qui a dirigé à sa place de nombreux concerts quand Claudio était souffrant, encore à l’automne dernier nous le rappelait encore.
Et ce soir, le Chamber Orchestra of Europe, que Claudio a porté sur les fonds baptismaux : il reste encore tant de musiciens des origines qu’effectivement, beaucoup dans la salle voyant Haitink et le COE pensaient…Claudio.
D’ailleurs, une foule de spectateurs habituels de l’été sont là. Combien de spectateurs, en entrant dans la salle se sont dit : jamais plus…jamais plus l’entrée de cette silhouette gracile et souriante. Ce soir, personne n’était totalement heureux ni totalement disponible.
Et pourtant, la magie de la musique a agi, et c’est ce qu’a toujours voulu Claudio, se faire oublier derrière l’œuvre qu’il exécutait : ce soir, le Chamber Orchestra of Europe, Bernard Haitink et  Gautier Capuçon ont réussi à nous extraire de cette amertume et de cette tristesse, grâce à un Schumann magistralement interprété, et qui nous a en quelque sorte projetés vers le présent.
Ce soir marque le début d’un cycle Schumann qui va continuer cet été, et Haitink dirige les deux symphonies des débuts, la n°1 « le Printemps » et la n°4, pratiquement contemporaine (en 1841, mais que Schumann a profondément remaniée en 1851) nées peu après le mariage avec Clara et donc positives et pleines d’optimisme. Entre les deux, le concerto pour violoncelle op.129, de 1850, moins ouvert, plus lyrique, plus mélancolique aussi, comme si nous étions en cette soirée initiale, aux deux bouts de la courte carrière de Schumann.

Haitink en Master's Class ©Georg Anderhub/Lucerne Festival
Haitink en Master’s Class ©Georg Anderhub/Lucerne Festival

Bernard Haitink est toujours très présent à Lucerne, et depuis deux ans il donne aussi une Master’s class de direction d’orchestre, 3 jours, 6 heures par jour, cette année autour de Beethoven, Mozart, Mahler et Debussy, pour huit jeunes chefs d’orchestre venus aussi bien du Chili que de Taiwan ou de Belgique, sept hommes et une femme, la parité n’est pas encore entrée dans ce métier-là. Il disait justement à l’un des jeunes impétrants qu’aujourd’hui tous les chefs bougent beaucoup en dirigeant alors qu’à son époque, seul Bernstein bougeait. Et il défendait dans la direction une certaine retenue, d’infimes mouvements, un regard bienveillant, des gestes clairs à la main gauche, sans devoir trop parler en répétition (« talking conductor ») ni bouger excessivement son corps, qui dit-il nuit à la compréhension.
C’est bien ce qu’il applique sur le podium : on est toujours frappé par la retenue et la réserve de ce chef , qui pourtant réussit à transmettre aux orchestres dynamique et énergie, comme dans ce programme où ce qui frappe d’abord c’est la relation forte avec le Chamber Orchestra of Europe, excellent, suivant le chef avec une précision rare, pas de décalages, pas de scories, et un son charnu qui surprend vu l’effectif relativement réduit…
Nous l’avons dit, c’est un Schumann ouvert, printanier, lumineux qu’offre Haitink, un Schumann nouveau comme seuls les chefs vénérables peuvent oser le faire. Aussi bien dans la 1ère Symphonie Le Printemps en si bémol majeur, et la quatrième en ré mineur, son approche surprend, par le choix d’un orchestre relativement réduit, par la distribution des violons à droite et à gauche du chef, qui dialoguent d’une manière étonnante, par un son d’une incroyable clarté, et qui déploie une énergie d’une force peu commune malgré l’effectif.

Gautier Capuçon & Bernard Haitink ©PKetterer/Lucerne Festival
Gautier Capuçon & Bernard Haitink ©PKetterer/Lucerne Festival

À 85 ans, Bernard Haitink montre une merveilleuse vitalité : son Schumann plus énergique que romantique est plein de séduction, plein d’allant, plein de jeunesse. Le concerto pour violoncelle, interprété avec par Gautier Capuçon qui a donné son meilleur, se montrait plus mélancolique, un peu plus sombre, et tranchait sur des symphonies où le soleil perlait sans cesse : un regard peut-être un peu plus conforme que les deux symphonies.
Une ouverture du festival mémorable : un autre son, une vision neuve, une vision épurée, rajeunie…un autre diable d’homme, ce Haitink. [wpsr_facebook]

Bernard Haitink ©PKetterer/Lucerne Festival
Bernard Haitink ©PKetterer/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014 EN MÉMOIRE DE CLAUDIO ABBADO: le 6 AVRIL 2014, LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA (SCHUBERT) dirigé par Andris NELSONS (BERG-MAHLER) avec Isabelle FAUST et Bruno GANZ

La salle, debout, applaudit l''orchestre
La salle, debout, applaudit l”orchestre

Franz Schubert (1797-1828)
«Allegro moderato» de la Symphonie n° 7 en si mineur D 759Inachevée
Friedrich Hölderlin (1770-1843)
Elegie Brot und Wein (Pain et Vin)
Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre A la mémoire d’un ange
Gustav Mahler (1860-1911)
Finale de la Symphonie n° 3 en ré mineur

Dans les saluts que nous échangions, entre amis et connaissances, il y avait de tristes sourires de ceux qui se retrouvent pour témoigner du bonheur que Claudio nous a donné dans cette salle. Nous venions tous pour lui, mais sans lui.
L’initiative du Lucerne Festival Orchestra, qui n’a jamais joué à Pâques a  longtemps été tenue secrète, la présence d’Andris Nelsons, qui la semaine prochaine va diriger le troisième acte de Parsifal (programmé avec lui en 2016 à Bayreuth), la présence d’Isabelle Faust qui reste pour toujours l’interprète magique du concerto de Berg (une exécution à Berlin au minimum mémorable en 2012), tout nous prépare évidemment à un moment d’une intense émotion, d’autant que la nature du programme est en elle-même une épreuve pour l’auditeur fidèle des concerts de Claudio.
D’abord, l’ «Allegro moderato» de la Symphonie n° 7 en si mineur D 759 Inachevée, qui fait partie du dernier programme dirigé par Claudio à Lucerne pour ses trois derniers concerts, exécutée sans chef, c’est à dire sans doute avec les partitions annotées par les musiciens lors des répétitions de Claudio ; quand on se souvient de ce moment d’une intense tristesse en août dernier, de ce Schubert déjà vécu comme un adieu, on a déjà le cœur serré.
Ensuite, le concerto pour violon de Berg, à la mémoire d’un ange, par Isabelle Faust, comme à Berlin avec les Berliner Philharmoniker: quand on se souvient de ce moment suspendu, d’une poésie ineffable : « Isabelle Faust est incomparable de légèreté, de discrétion, de maîtrise du volume sonore, son approche lyrique est à elle seule un discours, l’approche du chef épouse avec une telle osmose celle de  la soliste, qu’on a l’impression qu’elle est le prolongement de l’orchestre: il n’y a pas de dialogue soliste/orchestre, il y a unité “ténébreuse et profonde”, les sons ne se répondent pas, ils se prolongent les uns les autres, ils composent comme un chœur inouï. Oui, ce Berg est phénoménal et le deuxième mouvement, dont les dernières mesures sont à pleurer d’émotion, est un chef d’œuvre à lui seul. Quel moment! » (Concert du 11 mai 2012)

« Le concerto pour violon fut, comme vendredi, phénoménal par moments, avec un second mouvement d’une tendresse à vous serrer le cœur. C’est bien d’ailleurs ce qui m’a pris, tout au long du concert, avec des moments où mon cœur battait très fort, même en attendant les moments d’émotion éprouvés le vendredi, tout a recommencé…et Abbado, à la sortie, disponible pour la trentaine de personnes qui l’attendaient à sa voiture, a signé de nombreux autographes, en souriant, disponible, détendu comme on ne l’avait pas vu depuis longtemps. » (Concert du 13 mai 2012).
J’ai tenu à citer les comptes rendus écrits à l’époque dans le blog auxquels les lecteurs peuvent se reporter, pour faire remonter le souvenir quasi inénarrable de ces moments. La présence dans le programme de ce concerto montre à la fois l’importance qu’il put avoir pour Isabelle Faust (qui l’a enregistré avec l’Orchestra Mozart sous la direction de Claudio),et illustre aussi le drame de l’absence, de cette absence partagée qui fait que nous sommes là aujourd’hui:  on ne peut évidemment pas échapper à l’expression « à la mémoire d’un ange » qui à cette occasion pointe Claudio…

Dans le programme aussi, un texte d’Hölderlin, un poète que Claudio adorait, à qui il a dédié un projet à Berlin, et qui sera dit par Bruno Ganz, le complice des projets berlinois, qu’on vit aussi à Lucerne : l’immense acteur était très lié à l’immense chef, et Claudio cita ce texte lors d’un échange avec Ganz dans ses dernières semaines,
Enfin, le dernier mouvement de la Symphonie n°3 de Mahler, « ce que me conte l’amour », comme Mahler avait écrit au départ à son propos, immense monument d’apaisement, comme si l’âme trouvait l’amour dans une sorte de mouvement inscrit déjà dans l’éternité, mais qui laisse aussi percer comme toujours chez Mahler, la mélancolie et une indicible nostalgie. Cette symphonie exécutée à Lucerne l’été 2007 fut un des sommets du cycle Mahler avec le LFO. Mais Claudio dut renoncer à cause de sa santé à la tournée newyorkaise et en octobre 2007, ce fut Pierre Boulez qui monta sur le podium du LFO pour une soirée inoubliable qui restera aussi dans les mémoires de Carnegie Hall.
Tous ces souvenirs mêlés étreignent déjà et ce concert en mémoire de Claudio souligne la béance de ce manque, qu’enfin nous réalisons : ne dirigeant jamais l’hiver, Claudio reprenait ses activités en mars ou avril. Cette année, il ne sera pas là…et, il y a un an, à Lucerne, il était parmi nous, en forme, dans un concert mémorable où avec Martha Argerich il avait enivré la salle.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de faire un compte rendu, il s’agit peut-être une dernière fois, de communier pleinement dans ce souvenir, tous ensemble, tout ce public venu essentiellement parce que dans cette salle il  a vécu d’indescriptibles moments sous la magie de Claudio et qu’il veut avec le LFO revivre quelque chose de cette magie là.
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Voilà les quelques lignes que j’avais déjà écrites quelques heures avant le concert.
Il est 22h40, en ce 6 avril 2014, il y a déjà 4h que ce moment incroyable s’est terminé, et je ne peux le rappeler sans que les larmes ne me viennent encore, comme pendant ces quasi deux heures où, comme dans un de ces miracles que seuls l’art et la musique peuvent susciter, Claudio Abbado était parmi nous, n’a pas cessé d’être au milieu de nous, invisible, absent et pourtant tellement là : il fallait voir les musiciens, qui presque tous étaient là, de Wolfram Christ à Diemut Poppen, de Lucas Macias Navarro à Jacques Zoon, d’Alois Posch à Raphael Christ,  jouer pour lui, présent dans les cœurs, pour être avec lui encore une fois, pour son sourire. Comme le dit dans le programme Reinhold Friedrich le trompettiste jovial (qui le matin même avait donné un beau concert avec l’organiste Martin Lücker), « le plus beau cadeau, c’était pouvoir rencontrer son regard joyeux ». Ce regard joyeux, comme il a dû l’avoir en cette fin d’après midi, tant orchestre et salle étaient en communion totale, tous là projetés par l’esprit et par la musique dans ce regard là, auquel nous ne cessions de penser, tant ce que nous entendions était lui. Le Lucerne Festival avait fait les choses justes, sans ostentation, ni photos géantes, ni projection d’un portrait dans la salle: seulement l’ordinaire (si l’on peut dire…), seulement la musique, comme  Claudio sans doute l’aurait voulu.
Dès l’Inachevée, et ce premier mouvement, allegro moderato exécuté sans chef, avec le podium vide nous avons été replongés en août dernier.
Il était là, indiscutablement : il suffisait d’entendre la douceur ineffable des premières mesures, un son à peine audible surgi du néant que seul Claudio pouvait obtenir d’un orchestre. Il fallait voir Sebastian Breuninger, le premier violon (il appartient au Gewandhaus de Leipzig), jouer et regarder l’orchestre, d’un petit geste du corps souligner quelque attaque, pour comprendre de quelle concentration tous ont fait preuve pour lui offrir une telle exécution, qui nous disait quelque chose, qui avait une ligne ferme, des nuances, des modulations, des couleurs dictées par un esprit absent auquel tous nous pensions. Et déjà en fixant ce podium désespérément vide, marquant l’irrémédiable absence, et en écoutant dans la musique sa présence, son incroyable présence, les larmes coulaient, d’émotion, de tristesse mais aussi de cette joie profonde que seule la musique me donne lorsqu’elle me semble venir d’ailleurs…
Par bonheur, aucun applaudissement n’est venu interrompre cette magie aussitôt suivie par la voix éraillée de Bruno Ganz surgi du fond de l’orchestre lisant Elegie Brot und Wein de Hölderlin

Rings um ruhet die Stadt; still wird die erleuchtete Gasse,
Und, mit Fackeln geschmückt, rauschen die Wagen hinweg…

Ce fut un moment de pure parole, dans la musique du vers de Hölderlin célébrant les noces du paganisme et du christianisme,  des mystères de Dionysos et de Demeter et de l’Eucharistie, se résolvant dans la paix de la nuit qui ouvre et qui ferme le poème.
Il y a quelque chose de profondément païen dans la certitude que dans cette salle ce soir, vibre partout un esprit qui circule, anime et bouleverse en même temps musiciens et auditeurs. Car les musiciens jouent à l’évidence pour lui, comme s’il était là, parce qu’il est là, parce que nous sommes tous autour de lui.
Nous étions tous pris dans un enthousiasme commun, enthousiasme au sens premier de possession par Apollon ou Dionysos, et cette possession, on ne peut la prendre pour de l’excès, elle était authentique, générale, partagée, bouleversante.
Apollonienne aussi l’exécution qui suivit du concerto de Berg « à la mémoire d’un ange » dans une interprétation ineffable, indicible, d’Isabelle Faust, qui a créé d’incroyables sons, tour à tour à peine perceptibles (le début !), jamais brutaux, jamais autre chose que pure délicatesse ou pure poésie, dialoguant avec un orchestre en état de grâce mené avec une attention millimétrée par Andris Nelsons. Des sons nés au violon se prolongeant dans tel ou tel pupitre, des sons nés de l’orchestre se prolongeant au violon : le début à lui seul est un enchantement. Il y a là une retenue, un sens des équilibres, une installation totale de la poésie à l’orchestre et chez la soliste, avec par moments une légèreté presque aérienne, qui nous fait voler et par moment une tension qui serre le cœur, celle née de l’irrémédiable. Isabelle Faust est vraiment pour moi la seule aujourd’hui qui réussisse à proposer une vision de cette œuvre dans ses contrastes, à la fois éthérée, aérienne et pleine du malheur terrestre, avec ses moments de refus, d’amertume, presque sarcastiques. On se souviendra longtemps de ce son infini du violon qui clôt le concerto, jamais peut-être aussi légèrement et fermement exécuté, au point qu’un long silence a ponctué cette fin.
Pour couronner ce moment, un finale de la 3ème de Mahler totalement bouleversant. Dès les premières mesures, les larmes viennent, dès les premières mesures, le cœur bat, et dès les premières mesures aussi, on sent dans l’orchestre un incroyable engagement, et une volonté du chef de laisser l’orchestre respirer, parler, raconter. Andris Nelsons dans les deux moments extraordinaires qu’il a dirigés (Berg et Mahler) n’a jamais imité ou chercher à faire comme Abbado, c’est un son qui par sa plénitude, par son intensité, par sa grandeur, et par sa singularité, lui appartient totalement, mais en même temps, c’est une approche en phase avec ce que nous attendons, sans emphase, sans pathos, avec un souci d’accompagner l’orchestre comme si c’était l’orchestre qui avait à nous dire des choses et que Nelsons n’en était que l’exégète.
Il en résulte une vision, d’une inimaginable puissance émotive, des dizaines de personnes ont en main leur mouchoir, d’autres ont la tête dans les mains, je ne voyais moi-même plus qu’à travers des larmes qui coulaient sans cesse. Non pas les larmes de l’absence, mais celles de l’émotion partagée, de cette communion profonde qui a saisi la salle dans ce silence des moments saisissants, celui où personne ne tousse plus, ne bouge plus, celui où chacun est à la fois en soi et livré à ce moment fabuleux qui étreint totalement.
Immense moment, conclu par un très long silence, interrompu par quelques applaudissements vite réprimés, silence imposé par le chef, et par l’immobilité suspendue de l’orchestre, silence où tous nous pensions à Claudio, suivi enfin par de très longs applaudissements, nourris, avec la salle spontanément debout qui applaudissait de manière soutenue, mais jamais tonitruante, de ces applaudissements d’où s’est modestement effacé Andris Nelsons, 36 ans, qui a démontré ce soir non seulement qu’il était un grand chef- nous le savions- mais qu’il était aussi un être d’une rare élégance. Aucun souci de protagonisme, c’est l’orchestre qu’il a mis sans cesse en avant, et derrière lequel il s’est noyé pour saluer.
Mais voilà, lorsque Sebastian Breuninger, le premier violon, entendant ce long applaudissement continu, intense, profond, et comprenant qu’il s’adressait aux musiciens mais aussi à l’absent, a éclaté en sanglots, comme bien d’autres membres de l’orchestre, en larmes eux aussi, (il a accompagné certains pendant toute leur carrière) alors, doucement, Andris Nelsons l’a pris, et a décidé de faire sortir l’orchestre. L’applaudissement a accompagné cette sortie et a continué longuement à scène vide : nous applaudissions tous Claudio, nous applaudissions à sa présence d’une si grande intensité ce soir, et nous applaudissions à ce moment sublime de communion vécu, nous applaudissions les artistes, nous applaudissions nos souvenirs et nous applaudissions cette musique qui ce soir n’était que don presque mystique. C’était le dernier concert de Claudio Abbado…
Je n’ai jamais vécu cela, jamais. Et donc encore une fois, grazie Claudio !
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PS: Le concert a été retransmis dès ce soir par la TV suisse, il le sera aussi par ARTE un peu plus tard et le 10 avril, par la radio suisse.

Claudio-Abbado

ANDRIS NELSONS DIRIGERA LES CONCERTS DU LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA À LA PLACE DE CLAUDIO ABBADO AU FESTIVAL DE LUCERNE CET ÉTÉ

Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival

Voici le communiqué de presse du Festival de Lucerne.

Lucerne, le 14 février 2014. Au festival d’été 2014, c’est Andris Nelsons qui dirigera le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA dans deux programmes Brahms qui avaient été conçus par Claudio Abbado en personne. « Nous sommes extrêmement ravis qu’Andris Nelsons, l’un des grands chefs d’aujourd’hui, ait accepté de diriger les concerts du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA », a déclaré Michael Haefliger, le directeur du festival. « Nous nous réjouissons en outre de pouvoir présenter les programmes Brahms projetés par Claudio Abbado. Ainsi le souvenir du fondateur du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA sera-t-il vivant dans la programmation du festival. » On entendra au concert d’ouverture, le 15 août, ainsi que le 16, la Deuxième Sérénade en la majeur, la Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre, avec Sara Mingardo en soliste, et la Deuxième Symphonie en ré majeur. Les 22 et 24 août figureront au programme le Premier Concerto en ré mineur, avec Maurizio Pollini, et la Troisième Symphonie en fa majeur.

Né en 1978 à Riga, Andris Nelsons a été « artiste étoile » du Festival de Lucerne en 2012. Il prendra la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Boston au début de la saison 2014/2015. Depuis la saison 2008/2009, il est à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, avec lequel il a fait ses débuts au Festival de Lucerne à l’été 2009. On pourra l’entendre au LUCERNE FESTIVAL à Pâques, le 12 avril, avec l’Orchestre de la Radio bavaroise, dans le Troisième Acte de Parsifal de Wagner. Cet été, il dirigera au Festival, outre le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA, le City of Birmingham Symphony Orchestra, les 30 et 31 août.

Le Blog du Wanderer précise en outre qu’Andris Nelsons avait été indiqué par Claudio Abbado dans une interview comme celui qui était à son avis le plus apte à succéder à Sir Simon Rattle au Berliner Philharmoniker.

Programme:

15 et 16 août | 18h30 | Concert d’ouverture et Concert symphonique 1 |
Salle de concert du KKL de Lucerne
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Chœur de la Radio bavaroise (Gerald Häussler direction) | Andris Nelsons direction | Sara Mingardo contralto
Johannes Brahms: Sérénade no 2 en la majeur op. 16 | Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre op. 53 | Symphonie no 2 en ré majeur op. 73

16 août | 22h00 | Late Night 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Barbara Hannigan soprano et direction musicale
Œuvres de Gioachino Rossini, Wolfgang Amadeus Mozart, György Ligeti et Gabriel Fauré

19 août | 19h30 | Concert symphonique 4 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniel Harding direction | Stefan Dohr cor
Antonín Dvořák : La Colombe op. 110 | Wolfgang Rihm : Concerto pour cor (création mondiale, commande du LUCERNE FESTIVAL, de la Philharmonie du Luxembourg et de l’Orchestre Philhar- monique du Luxembourg, de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise et de la Stichting Omroep ZaterdagMatinee) | Antonín Dvořák : Symphonie no 9 en mi mineur op. 95 « du Nouveau Monde »

20 août | 19h30 | Musique de chambre 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Ensemble de cuivres du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Steven Verhaert direction | Eriko Takezawa piano
Œuvres de Jean-Baptiste Lully, Carlo Gesualdo, Leoš Janáček et Zoltán Kodály

21 août | 19h30 | Musique de chambre 2 | Salle de concert du KKL de Lucerne Oliver Schnyder piano | Solistes du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA Œuvres de Robert Schumann, Gabriel Fauré et Johannes Brahms

23 août | 11h00 | Musique de chambre 3 | Lukaskirche

Mahler Chamber Soloists

Œuvres de Leoš Janáček, Wolfgang Rihm et Sergueï Prokofiev

22 et 24 août | 19h30 | Concerts symphoniques 5 et 7 | Salle de concert du KKL de Lucerne LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Andris Nelsons direction
Maurizio Pollini piano
Johannes Brahms : Concerto pour piano no 1 en ré mineur op. 15 |

Symphonie no 3 en fa majeur op. 90

25 août | 19h30 | Concert symphonique 8 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniele Gatti direction | Midori violon
Felix Mendelssohn : Ouverture du Songe d’une nuit d’été op. 21 |
Concerto pour violon en mi mineur op. 64 | Symphonie no 4 en la majeur op. 90 « italienne »

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LUCERNE FESTIVAL 2014: LE FESTIVAL D’ÉTÉ (15 AOÛT-14 SEPTEMBRE 2014) et le FESTIVAL PIANO (22-30 NOVEMBRE 2014)

La salle du KKL

Abbado et Brahms, Haitink et Schumann, Rattle et Bach, Chailly et Mahler, Midori, Hannigan, Bartoli… et tant d’autres !

 

Cette année, le programme du Lucerne Festival (Sommer), le festival d‘été paraît avec un mois d’avance sur les dates habituelles : il y a évidemment derrière une stratégie visant à devancer d’autres festivals concurrents, Salzbourg entre autres, qui programme souvent les mêmes concerts puisque les orchestres font leur tournée d’été obligée, passant par les deux plus grands festivals d’orchestres en Europe, et dans  les mêmes programmes quelquefois.
Lucerne est un lieu enchanteur, mais dans un contexte économique tendu, les prix pratiqués restent très sélectifs, notamment pour un public non helvétique. Il reste qu’il faut s’y prendre vite pour acheter des billets à des tarifs raisonnables  (à partir de 30 ou 40 CHF). Réservations en ligne à partir du 10 mars 12h et par écrit à partir du 17 mars.
Par rapport à la programmation exceptionnelle de 2013, due au 75ème anniversaire de la création du festival, l’édition 2014 est redimensionnée ; par ailleurs, la crise est passée, en Suisse aussi, pour un Festival très largement autofinancé ou aidé par des sponsors privés (Crédit Suisse, Nestlé, Zürich Versicherung et Roche) : Nestlé est par exemple le sponsor régulier du Lucerne Festival Orchestra.
Les deux éléments symboles du « règne » de Michael Haefliger à la tête du Festival sont d’une part le Lucerne Festival Orchestra lié à Claudio Abbado et la Lucerne Festival Academy liée à Pierre Boulez qui ne dirigera pas, mais qui est toujours présent comme pédagogue.

C’est un cycle Brahms qui ouvrira le Festival d’été avec Claudio Abbado dans  deux programmes intégralement dédiés à Brahms, dont on peut supposer qu’il se poursuivra en 2015, puisque deux symphonies sur les quatre sont programmées cette année (les symphonies n°2 & 3).
Le thème de l’année est « Psyché », en lien avec les effets psychiques de la musique, commençant par le mythe d’Orphée et la soirée d’ouverture aura lieu le vendredi 15 août 2014 avec le concert inaugural du Lucerne Festival Orchestra dirigé par Claudio Abbado . Au programme la Sérénade n°2 en la majeur op.16, la Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre op.53 (soliste : Sara Mingardo) et la Symphonie n°2 en ré majeur op.73. Ce programme sera répété le samedi 16 août.
Immédiatement après, le dimanche 17 août, un concert du West-Eastern Diwan Orchestra dirigé par Daniel Barenboim qui fera courir les foules : après la création européenne de deux œuvres de Ayal Adler (compositeur israélien) et Kareem Roustom (compositeur syrien) – Barenboim continue son travail salutaire de promotion parallèle d’artistes israéliens et arabes et de rencontres autour de la musique -, est programmé le deuxième acte de Tristan und Isolde de Wagner dans une étincelante distribution, Peter Seiffert, Waltraud Meier, Ekaterina Gubanova et René Pape. Le 18 août, un second concert avec un programme Webern, Mozart, Ravel et en soliste le pianiste israélo-palestinien Saleem Abboud Ashkar.
Pendant ce premier week-end, deux concerts à ne pas manquer dont le premier concert de l’artiste étoile de cette édition, la soprano Barbara Hannigan dans la série « Late night music » le 16 août à 22h, avec le Mahler Chamber Orchestra dans du Rossini et du Mozart, mais surtout deux œuvres de Ligeti, l’étourdissant Concert românesc et les Mysteries of the Macabre. Le dimanche 17 août à 11h, un concert de l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Matthias Pintscher avec Bruno Ganz en récitant, au programme deux œuvres des compositeurs en résidence Unsuk Chin et Johannes Maria Staud et Bereshit für Ensemble de Matthias Pintscher.
Le Mahler Chamber Orchestra, qui constitue l’ossature du Lucerne Festival Orchestra se produira le mardi 19 août sous la direction de Daniel Harding dans un programme Dvořák/Rihm : Die Waldtaube op.110 et Symphonie n°9 op.95 « du nouveau monde » d’un côté et une création de Wolfgang Rihm, le concerto pour cor – et en soliste le grand Stephan Dohr, cor soliste du Philharmonique de Berlin, ex-soliste du Lucerne Festival Orchestra.
Le Lucerne Festival Orchestra sous la direction de Claudio Abbado donnera son deuxième programme Brahms les vendredi 22, dimanche 24 et lundi 25 août, en affichant Maurizio Pollini dans le concerto pour piano n°1 en ré mineur op.15 et la symphonie n°3 en fa majeur op.90.
Parallèlement, le Lucerne Festival Academy Orchestra sera pour la première fois dirigé par Sir Simon Rattle le samedi 23 août dans un programme Berio (Coro per 40 voci et strumenti) et Chin (création de Le silence des Sirènes pour soprano et orchestre, avec pour soliste Barbara Hannigan) pendant que la seconde artiste étoile du festival, la violoniste Midori, donnera deux concerts Bach (intégrale des sonates et partitas pour violon seul) dans la Franziskanerkirche les 22 & 23 août.
Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe continuent leur cycle Schumann commencé à Pâques dans deux concerts aux programmes différents, le 26 août avec Isabelle Faust en soliste (Manfred Ouvertüre op.115, Concerto pour violon en ré mineur et la Symphonie n°3  en mi bémol majeur op.97 « Rhénane ») et le 28 août avec Murray Perahia (Ouvertüre, scherzo und finale en mi majeur op.52, Concerto pour piano en la mineur op.54 et symphonie n°2 en ut majeur op.61).

Hormis le concert dirigé par Sir Simon Rattle le 23 août, le Lucerne Festival Academy Orchestra formé de jeunes instrumentistes en formation donnera plusieurs concerts d’un grand intérêt :

–          Le 30 août, concert dirigé par Heinz Holliger avec la participation du chœur de la radio lettone dans un programme Heinz Holliger (Scardanelli Zyklus).

–          Le 1er Septembre, Concert du Lucerne Festival Academy Ensemble dirigé par Matthias Pintscher avec le baryton Leigh Melrose (Berio, Pintscher, Lachenmann)

–          Le 6 septembre, concert dirigé par Matthias Pintscher (pour la création de la version intégrale de Zimt, ein diptychon für Bruno Schulz) avec la Symphonie n°4 de Gustav Mahler (chef non encore connu). Soliste, Barbara Hannigan

Les solistes attendus cette année sont, outre Midori, artiste étoile,
– Lang Lang le 24 août (programme non déterminé)
– Anne-Sophie Mutter et Lambert Orkis (au piano) le 9 septembre (Previn, Mozart, Penderecki – une création pour violon seul, Beethoven)
Le 11 septembre,  Cecilia Bartoli viendra avec I Barocchisti dirigés par l’excellent Diego Fasolis pour un « service après vente » de son CD « Mission » car son programme est justement intitulé « Mission » autour d’œuvres d’Agostino Steffani dont elle assuré une large publicité des derniers mois.

Bien entendu, le festival se doit d’être à la hauteur de sa réputation dans l’invitation d‘orchestres prestigieux pour une série de concerts, ainsi entendra-t-on deux orchestres de fosse dans des programmes symphoniques :

–          Le vendredi 29 août, l’Orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par Philippe Jordan avec pour soliste Anja Harteros (invitée à Lucerne avec l’orchestre de l’Opéra et jamais invitée à l’Opéra de Paris) dans un programme Fauré (Pelléas et Mélisande op.80), Strauss (scène finale de Capriccio), Mussorgski/Ravel, Tableaux d’une exposition.

–          Le dimanche 31 août, le Mariinsky Theatre Symphony Orchestra dirigé par Valery Gergiev dans un programme Wagner (Prélude de Lohengrin), Chopin (concerto pour piano n°1 en mi mineur op.11, soliste Daniil Trifonov, et la Symphonie n°6 en la mineur op.74 « Pathétique » de Tchaïkovski)

Entre les deux concerts, et pour remplir votre week-end, Andris Nelsons et le City of Birmingham Symphony Orchestra (CBSO) proposeront :

–          Le samedi 30 août un programme Beethoven (Concerto pour piano n°5 en mi bémol majeur “L’Empereur”, avec pour soliste Rudolf Buchbinder) et Elgar (Symphonie n°2 en mi bémol majeur op.63, une grande rareté)

–          Le dimanche 31 août à 11h un programme Wagner (Extraits de Parsifal et Lohengrin avec Klaus Florian Vogt).

Un week-end chargé avec des moments qui devraient intéresser les mélomanes et les lyricomanes.

Les autres  soirées symphoniques promettent de grands moments :

Berliner Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle
– le mardi 2 septembre
dans un programme Rachmaninov (Danses symphoniques op.45) et Stravinsky (L’Oiseau de Feu)
le mercredi 3 septembre où sera reproposée la magnifique version scénique de Peter Sellars de la Passion selon Saint Mathieu de Bach, avec le Rundfunkchor de Berlin et une distribution de rêve, Camilla Tilling, Magdalena Kožená, Mark Padmore, Topi Lehtipuu, Christian Gerhaher, Eric Owens.
Si l’on peut aisément se passer du premier concert, Rattle n’étant pas vraiment un chef pour Stravinsky, il ne faut rater sous aucun prétexte ce dernier programme ;: demandez déjà à votre patron une journée de congé !

Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam dirigé par Mariss Jansons dans deux programmes très variés :
le 4 septembre, Brahms (Variations sur un thème de Haydn, op.56a), Chostakovitch (Symphonie n°1 en fa mineur op.10), Ravel (Concerto en sol avec Jean-Yves Thibaudet) et Daphnis et Chloé, Suite n°2.
le 5 septembre, Brahms (Concerto pour violon en ré majeur op.77, avec Leonidas Kavakos) et Strauss (Tod und Verklärung op.24 et Till Eulenspiegel lustige Streiche op.28

N’étant pas vraiment un grand fan de Kavakos, j’aurais tendance à choisir le premier programme, mais la perspective d’entendre cet orchestre enivrant dans Strauss est terriblement tentante quand même.

En revanche, le week-end suivant (dimanche et lundi), il faudrait sans doute faire le voyage tant le programme du Gewandhausorchester Leipzig dirigé par Riccardo Chailly est attirant :
Dimanche 7 septembre, Cehra (paraphrase sur le début de la 9ème Symphonie de Beethoven) et Beethoven ( 9ème symphonie en ré mineur op.125 avec le chœur du Gewandhaus et les solistes Christina Landshamer, Gerhild Romberger, Steve Davislim et Peter Mattei)
Lundi 8 septembre, Mahler (Symphonie n°3 en ré mineur) avec Gerhild Romberger et le chœur de l’opéra de Leipzig, ainsi que le chœur et le chœur d’enfants du Gewandhaus de Leipzig.
Vous aurez compris qu’il sera très difficile de résister à ces sirènes-là.

Le Cleveland Orchestra et Franz Welser-Möst sont traditionnellement présents à Lucerne, cette année le mercredi 10 septembre pour un programme Brahms (Akademische Festouvertüre op.80), Widmann (Flûte en suite) et Brahms (Symphonie n°1 en ut mineur op.68).

Et non moins traditionnellement le Festival se clôt sur la résidence annuelle des Wiener Philharmoniker, pour trois concerts et trois programmes dirigés par Gustavo Dudamel
le vendredi 12 septembre, Mozart (Symphonie concertante en mi bémol majeur Kv364 avec Reiner Küchl et Heinrich Koll, et Sibelius (Le cygne de Tuonela op.22 n°2 et la symphonie n°2 en ré majeur op.43)
le samedi 13 septembre, Strauss (Also sprach Zarathustra), le concert du vainqueur du prix jeune artiste Crédit Suisse, et Dvořák (Symphonie n°8 en sol majeur op.88)
le dimanche  14 septembre, un programme russe un peu racoleur de Rimsky-Korsakov (La Grande Pâque russe op.36 et Shéhérazade op.35) et Moussorgski (Une nuit sur le Mont Chauve).
Pour ma part je choisis le premier programme à cause de Sibelius.

Bien d’autres concerts, (le cycle débutant, le cycle musique ancienne, le cycle moderne) des concerts des phalanges de Lucerne, et du théâtre musical dans tout ce mois  rempli de propositions d’une grande richesse. Il y a quelques week-end à retenir. Et si vous venez en voiture, sachez que l’hébergement est quelquefois moins cher dans les environs, dans un rayon d’une dizaine de km autour de Lucerne.
Allez ! Lucerne vaut bien une messe et la salle de Nouvel une tirelire cassée.

LUCERNE FESTIVAL PIANO (22-30 novembre 2014)

Et si votre tirelire est grosse, une visite au Festival Piano, traditionnellement fin novembre, est assez stimulante, notamment en 2014 où l’on entendra Maurizio Pollini le 22 novembre en ouverture (programme non encore publié) , Pierre-Laurent Aimard le 23 Novembre dans une partie du Clavier bien tempéré de Bach (Livre I BWW 846-869), mais c’est Beethoven qui domine la programmation avec Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra dans l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven les 24 novembre (concertos n°2, 1 & 3) et 26 novembre (concertos 4 & 5), Paul Lewis le 28 novembre (Op.109, 110, 111 de Beethoven), Martin Helmchen le 29 novembre (Beethoven Variations Diabelli – 33 variations en ut majeur sur une valse de Anton Diabelli op.120) et Marc-André Hamelin le 30 novembre (programme non encore connu).  Quelques concerts “débuts” à 12h15 les 26 (vestard Shimkus) 27 (Sophie Pacini) 28 (Benjamin Grosvenor) et un récital Evguenyi Kissin (au programme non encore publié) le 27 novembre complètent une très riche semaine.
À vos tirelires, Lucerne à la folie…!!
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Le KKL de Jean Nouvel

LUCERNE FESTIVAL 2014: LE FESTIVAL DE PÂQUES (5-13 AVRIL 2014)

Claudio Abbado

Abbado, Haitink, Dudamel, Nelsons, ..et les autres…
Le programme de Pâques du festival de Lucerne donne une importance toute particulière cette année aux oeuvres chorales ou impliquant des choeurs.

Andris Nelsons ©Stu Rosner

Un des sommets en sera sans doute l’acte III de Parsifal de Richard Wagner, par l’orchestre de la Radio bavaroise (Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks), et le choeur de la Radio bavaroise (Chor des Bayerischen Rundfunks) sous la direction d’Andris Nelsons avec Stuart O’Neill (Parsifal), Georg Zeppenfeld (Gurnemanz) et Tomasz Konieczny (Amfortas) le samedi 12 avril 2014,

Gustavo Dudamel ©Tristram Kenton

mais l’orchestre, traditionnellement en résidence à Pâques, donnera aussi un concert dirigé par Gustavo Dudamel le vendredi 11 avril dans un programme Beethoven (Symphonie n°6 Pastorale) et Stravinsky (Le Sacre du printemps), c’est à dire un programme un peu plus païen au milieu d’oeuvres plus religieuses.
Le concert de clôture affichera le dimanche 13 à 11h la Petite Messe solennelle de Rossini avec le Chœur de la Radio bavaroise et des solistes plutôt jeunes (Max Hanft, Regula Mühlemann, Marianna Pizzolato, Mika Kares et Dominik Wortig), tandis qu’une autre messe solennelle, moins petite, dominera la semaine en écho, la Missa Solemnis de Beethoven dirigée par András Schiff, par la Capella Andrea Barca, le Balthazar Neumann Chor et les solistes Ruth Ziesak, Britta Schwarz, Robert Holl et Werner Güra le mercredi 9 avril.
En musique baroque, Michael Haefliger propose Balthazar de Haendel,  par la Junge Philharmonie ZentralSchweiz et l’Akademiechor de Lucerne, une production locale, et en musique ancienne, c’est l’excellent choeur anglais Stile antico, qui travaille sans chef et qui serait bien en train de révolutionner l’interprétation du répertoire polyphonique qui va proposer  un concert intitulé “Passion, mort et résurrection” avec un florilège d’auteurs comme William Byrd, John Taverner, Tomás Luis de Cristobal, Orlando Gibbons…une soirée sans doute passionnante à ne pas manquer le mardi 8 avril.
Enfin, Reinhold Friedrich, trompettiste vedette du Lucerne Festival Orchestra , et Martin  Lücker à l’orgue proposent un concert original trompette & orgue avec des oeuvres d’Albinoni, Bach, Liszt, Enescu, Hindemith le dimanche 6 avril à 11h.
Last but not least, deux concerts d’ouverture à ne pas manquer, d’une part, Claudio Abbado et son orchestra Mozart dans un programme encore partiel, comprenant la Symphonie n°3 en la mineur op.56 Ecossaise de Mendelssohn, le lundi 7 avril et pour fêter ses 85 ans, Bernard Haitink dirigera le Chamber Orchestra of Europe (fondé par Claudio Abbado) dans un programme Schumann avec deux symphonies, la n°1 op.38 (le Printemps) et la n° 4 op.120, ainsi que le concerto pour violoncelle en la mineur op.129  avec Gautier Capuçon en soliste le samedi 5 avril, en ouverture du Festival.
Un programme très divers, avec un travail de variations sur la musique  chorale qui promet beaucoup à ceux qui pourraient passer la semaine à Lucerne. Pour les autres, il faut bloquer les deux week end successifs celui du 5 en tirant jusqu’au lundi 7 et celui du 12-13 an anticipant au vendredi 11.  Joyeuses Pâques…!
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Bernard Haitink © DR

LUCERNE FESTIVAL 2013: ESA-PEKKA SALONEN dirige le PHILHARMONIA ORCHESTRA le 13 SEPTEMBRE 2013 avec Gerard FINLEY, Christiane STOTIJN, Paul GROVES (BERLIOZ, ROMÉO ET JULIETTE)

Le choeur (scène finale) © Peter Fischli

Roméo et Juliette n’est pas l’une de mes oeuvres favorites de Berlioz, c’était d’ailleurs une raison supplémentaire pour faire le voyage de Lucerne, pour la dernière fois cet été, car l’orchestre, le chef et la distribution constituaient des atouts non négligeables pour me faire changer d’avis.
L’idée de Roméo et Juliette vient à Berlioz probablement peu avant 1830, lorsque l’Odéon programme le drame de Shakespeare, dans la saison 1827-1828. Harriet Smithson joue Juliette. Racine et Shakespeare de Stendhal est paru quelques années auparavant, la préface de Cromwell est à peu près contemporaine en 1827, année de la création à Paris de Giulietta e Romeo de Vaccaj (créé au Teatro della Cannobiana de Milan en 1825) et Bellini crée ses Capuleti e Montecchi à Venise en 1830 et au Théâtre Italien de Paris en janvier 1833. Berlioz l’avait d’ailleurs vu en Italie et en avait rendu compte de manière sévère. Bref, le monde intellectuel et musical se libère des carcans de règles classiques que les classiques les premiers avaient su accommoder. C’est dire aussi que le drame de Shakespeare (même si le  librettiste Felice Romani – auteur des deux livrets de Bellini et de Vaccaj s’inspire de sources directement italiennes plus que du drame de Shakespeare) est à la mode. C’est pourtant en 1839 que Berlioz crée Roméo et Juliette; l’oeuvre a donc été pensée longtemps avant d’être présentée. Il s’agit effectivement d’une œuvre  pensée, élaborée, tant du point de vue du livret que de la construction. Ce n’est ni un opéra, ni une symphonie. Certes, c’est une symphonie avec voix et choeur, où l’inspiration de Beethoven (dans sa symphonie n°9, qui date de 1824) est très probable – Berlioz avait écouté les symphonies de Beethoven dirigé par Habeneck qui l’avaient profondément marqué en 1828.  Mais pas seulement symphonie: elle a quelque chose d’un mélologue, d’un poème dramatique, d’une musique de scène, d’un opéra, d’une cantate. L’histoire est racontée, et non jouée: des récits à la troisième personne, mais aussi et surtout racontée en musique, comme dans une symphonie à programme (la fête chez les Capulets). Même le choeur doit à la fois s’exprimer en parlando, ou exploser comme dans le final un peu pompeux et un peu beethovénien. Les interventions du soprano e du ténor sont brèves, celle de la basse plutôt lourde et plutôt longue: c’est la basse le seul chanteur qui ait un rôle, celui du père Laurence (frère Laurent) qui raconte la fin du drame et qui intervient. Ténor et soprano ne représentent pas vraiment Roméo et Juliette, mais racontent et décrivent à la troisième personne. C’est donc une oeuvre complexe, qui apparaît à première audition sans vraie ligne mélodique, mais qui exige une grande attention pour répérer ensuite la manière dont Berlioz reprend les thèmes, les transforme, les insère çà et là, tantôt en les déconstruisant, ou en les diluant, tantôt en les citant. Une oeuvre qui laisse la place à de grands moments symphoniques éblouissants, qui renvoie à l’univers des Troyens, ou à la Fantastique, à des moments de retenue, élégiaques, avec des fulgurances orchestrales d’une grande modernité. Car dans l’expression lyrique, tout ce qu’exprime la vie est permis. Ainsi, déjà le sous-titre de l’oeuvre est tout un programme: “Symphonie dramatique avec choeurs, solistes, et un prologue avec le caractère du récitatif , d’après la tragédie de Shakespeare”.
En réalité, le récit est confié aux solistes, et l’expression des sentiments à l’orchestre (comme dans la partie “Roméo seul, tristesse, bruits lointains de bals et de concerts, garnde fête chez Capulet”) seule la partie finale pourrait se rapprocher de l’opéra. Dans une oeuvre avec un tel programme, il fallait un chef qui imprimât à la fois une dynamique, mais qui fût aussi techniquement maître des masses, pour répondre aux exigences à la fois musicales et techniques de la partition. Esa-Pekka Salonen nous offre ici un des grands moments du Festival de Lucerne 2013, sommet supplémentaire dans la chaîne de sommets qu’a constitué le Festival cette année. Une fois de plus, il montre l’osmose entre les musiciens du Philharmonia et le chef, et aussi l’excellence individuelle des musiciens.

© Peter Fischli

Car son orchestre est d’une clarté exemplaire, chaque pupitre est isolé, parfaitement lisible, jamais perdu dans la masse orchestrale. L’orchestre est d’une très grande qualité, à tous les niveaux, que ce soient les cordes, somptueuses, charnues, profondes, les bois – exceptionnels-, les cuivres d’une rare netteté -, les percussions. Et il est vraiment totalement dans les mains du chef qui leur transfère une énergie et une puissance assez prodigieuses. Comme dans l’Elektra d’Aix, le son produit n’est jamais vraiment tonitruant, ou écrasant  comme il pourrait l’être dans une musique d’une telle énergie, il est équilibré, au sens où à des moments de grande retenue et de grande intériorité répondent certes des moments spectaculaires, mais toujours “tenus”, toujours à l’intérieur de limites qui garantissent une parfaite lisibilité, une clarté de cristal, tout en maintenant une tension forte et une dynamique incroyable, au point que spontanément, le public cherche à applaudir après “Grande fête chez Capulet”, un moment à la fois ébouriffant et grandiose, dansant bien sûr mais complètement étourdissant, mené à un train d’enfer, comme une valse éperdue qui serait déjà une course à l’abîme. Le début, qui est une sorte d’ouverture (Introduction – combats- tumulte – intervention du Prince) est déjà un exemple de ce dynamisme et de cet art des équilibres sonores et de la ligne qui va être un des éléments portants de la soirée, avec des cuivres extraordinaires. La manière dont les attaques sont prises, les sons produits, sont d’une très grande modernité et ouvrent vers Mahler et au-delà. À la fois précis et équilibré, dynamique et virevoltant, ce Berlioz là est passionnant et il sonne vrai, au sens où cette clarté nous dit quelque chose, nous parle, nous tient en haleine, on repère çà et là des échos des ambiances de la Fantastique (notamment aux bois) quelquefois aussi des phrases qu’on va retrouver dans les opéras comme Benvenuto Cellini ou les Troyens. En tous cas des moments inoubliables: on se souviendra longtemps de l’extraordinaire ambiance dessinée dans la scène d’amour, ou la tension bouleversante de la scène de la crypte (Roméo au tombeau des Capulets – invocation). D’une musique qui me paraissait jusque là complètement extérieure et qui ne réussissait pas à me parler, chef et orchestre ont réussi à créer en moi à certains moments une indicible émotion.

Esa-Pekka Salonen © Peter Fischli

À cet orchestre exceptionnel correspond un choeur magnifiquement préparé (le Philharmonischer Chor der Stadt Bonn, choeur philharmonique de la ville de Bonn, dirigé par Thomas Neuhoff) peut-être encore plus impressionnant dans les parties plus retenues, qui sonnent comme des cantates, mais splendide également dans la partie finale, qui n’est pas pour mon goût musicalement la plus intéressante et en tous cas doué d’une expression française transparente: on comprend tout.
Des trois solistes, j’ai quelque réserves pour Christiane Stotijn, déjà exprimées à l’occasion d’autres concerts. La diction est claire, mais la voix reste sans grande expression, affligée d’un fort vibrato, et manque de projection, y compris dans cette salle: une voix qui ne (me) parle pas, et qui (me) laisse indifférent.
Paul Groves tout au contraire allie une science du dire exceptionnelle, une expressivité à la fois présente, tendue, et un timbre velouté toujours séduisant. Son scherzetto de la reine Mab est vraiment un exemple de style français, les paroles sont sculptées, l’expression est totalement convaincante; beau moment.

Gérard Finley © Peter Fischli

Il faut attendre la fin de l’oeuvre pour entendre le magnifique Père Laurencede Gérard Finley, à la fois récitant et personnage. Nous sommes à l’opéra où seul devant l’orchestre la basse s’adresse seule à l’ensemble des choeurs et se construit une sorte de dialogue entre cette voix puissante, claire, qui martèle son exigence de paix et de pardon, et finalement les choeurs qui s’y soumettent. Les chanteurs anglo saxons (Groves est américain, Finley canadien) ont une capacité étonnante à articuler et prononcer le français avec une justesse stupéfiante. Finley n’a pas une voix dont la profondeur et la largeur permettraient un final spectaculaire, mais il a une voix qui sait rendre l’impression d’ humanité et il possède un grand art de la couleur. Sans être impressionnant, il est totalement convaincant, voire émouvant et de là aussi se dégage une impression de justesse.

Oui, juste est l’adjectif qui convient à ce concert exemplaire, qui a su parfaitement et magnifiquement rendre  le côté novateur de cette musique en unifiant par le style et la clarté de l’approche ce qui pourrait la rendre diffuse, hétéroclite, voire désordonnée. Aucune impression de ce type: Salonen réussit grâce à des masses orchestrales et chorales exceptionnelles à proposer un Roméo et Juliette  romantique paradoxalement à la fois échevelé mais maîtrisé, dompté mais novateur, et toujours passionnant, rigoureux mais toujours ouvert vers des espaces infinis:  Salonen nous montre en Berlioz le Chateaubriand de la musique.
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© Peter Fischli

 

 

LUCERNE FESTIVAL 2013: Ivan FISCHER dirige LE BUDAPEST FESTIVAL ORCHESTRA le 8 SEPTEMBRE 2013 (BARTÓK – DVOŘÁK)

Iván Fischer à la tête du Budapest Festival Orchestra à Lucerne le 8 septembre © Lucerne Festival/Georg Anderhub

Ce dimanche 8 septembre est un jour béni pour le mélomane drogué à Lucerne: deux concerts de haute tenue, à 11h le Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan Fischer, à 18h30, le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé par Mariss Jansons. Un joli couronnement de week-end.
Le Budapest Festival Orchestra est une phalange assez jeune, 30 ans, née en 1983, qui s’ajoute au paysage musical hongrois, de grande tradition. Il y a en effet en Hongrie une grande tradition musicale, notamment depuis le 19ème siècle, une musique nationale portée notamment par Ferenc Erkel, et aussi une musique populaire portée par les communautés tziganes, qui actuellement ne sont en odeur de sainteté que dans les cafés concerts touristiques de la capitale hongroise. Les XIXème et XXème siècles sont riches de compositeurs (Erkel, Liszt, Kodály, Bartók, Ligeti, Kurtág…) et les chefs d’orchestre d’origine hongroise (ou austro-hongroise) sont légion et parmi les plus grands : Arthur Nikisch, Hans Richter, Eugène Ormandy, Fritz Reiner, Ferenc Fricsay, George Szell, Antal Doráti, Georg Solti, Sándor Végh, ou encore István Kertész, János Ferencsik, János Fürst, Zoltán Peskó, Zoltán Kocsis, et évidemment les frères Ádám et Iván Fischer actuellement les plus représentatifs de l’école hongroise. Ádám Fischer dirige le Festival Wagner de Budapest chaque printemps, avec un succès grandissant, mais n’est pas vraiment une figure actuellement favorite du régime en place, il a démissionné avec éclat de son poste de directeur de l’Opéra pour protester contre la politique mise en place par Viktor Orbán, c’est un grand chef d’opéra et un très grand wagnérien, tout sauf un routinier. Son frère Iván, plus discret, mène désormais une carrière largement internationale, mais plus symphonique que son frère, et la saison de son Budapest Festival Orchestra, qu’il a fondé en 1983, est d’une grande richesse, largement appuyée sur le Palais des Arts de Budapest, ce complexe moderne de plusieurs salles (comprenant aussi le Ludwig Múzeum, musée d’art contemporain) au bord du Danube où ont lieu les grandes manifestations musicales de la saison dont le Festival Wagner d’ Ádám Fischer et le Festival Mahler de Iván Fischer qui deviennent chacun des références. Plusieurs prix ont récompensé de récents enregistrements mahlériens du Budapest Festival Orchestra. Dans la saison 2013-14, on remarque une prépondérance du répertoire d’Europe centrale, dont Iván Fischer s’est fait une spécialité de référence, notamment Antonín Dvořák dont on entendra à Budapest cette année Rusalka (version de concert) et le Requiem, la Symphonie n°9 de Mahler, la symphonie n°9 de Bruckner. En feuilletant cette saison 2013-2014, je trouve que c’est une des saisons symphoniques les plus stimulantes d’Europe.

C’est dire que la présence à Lucerne de cet orchestre, qui a conquis ses lettres de noblesse depuis 30 ans, dans un programme Bartók/ Dvořák, ne pouvait qu’attirer le mélomane, même si la salle du KKL n’était pas complètement pleine.
Ce qui frappe d’abord, c’est le son de cette phalange, très particulier, avec des cordes splendides (grande tradition des violons hongrois et tsiganes) et des bois stupéfiants (la flûte laisse pantois), un son qui n’a rien du son « internationalisé » et interchangeable de certains orchestres de luxe, un son qui par son côté singulier, rappelle l’impression produite par la Staatskapelle de Dresde, un son à la fois plein, très charnu, avec un legato bien à lui, pas forcément fluide mais toujours très construit, très architecturé, avec une clarté stupéfiante, qui évidemment dans la salle de Lucerne sonne merveilleusement .

Danses populaires roumaines, avec les trois musiciens jouant les mélodies originales © Lucerne Festival/Georg Anderhub

La première partie du programme, dédiée à Béla Bartók, proposait d’abord les Danses populaires roumaines pour orchestre Sz.68 qui remontent pour la version pour piano à 1915, puis orchestrale à 1917. Iván Fischer a pris la parole pour présenter ces pièces de manière originale, puisqu’avant chaque danse mise en musique et orchestrée par Bartók, trois musiciens de l’orchestre, un violon, un alto, une contrebasse jouaient la danse dans sa version originale et populaire. C’était un moyen extraordinaire d’apprécier le travail d’adaptation de Bartók et le passage d’une musique populaire, un peu brute, à l’élaboration très raffinée du point de vue orchestral du compositeur. Ce sont des courtes pièces, originaires de Transylvanie (comme Bartók d’ailleurs)et de la Roumanie ex-hongroise: le titre original est danses populaires roumaines de Hongrie, mais Bartók y a renoncé lorsque la Transylvanie est devenue roumaine (en 1918). Bartók faisait une nette différence entre les musiques populaires consommées dans les villes (j’y faisais allusion plus haut), tsiganismes pour cafés ou musiciens installés qui le laissaient sceptique (du type Danses hongroises de Brahms ou Rhapsodies hongroises de Liszt) et les musiques authentiquement populaires, plus naturelles, plus brutes aussi, des mélodies à l’expression plus simple avec des choix techniques quelquefois surprenants, voire avant-gardistes sans toujours le formuler ainsi. Ainsi s’est-il dédié à la recherche d’un langage musical moins élaboré, une sorte de langue maternelle musicale non imprégnée d’une acculturation citadine ; il est parti à la recherche méthodique de mélodies populaires, par des expéditions en Hongrie, mais pas seulement, il est allé en chercher jusqu’en Afrique du nord. Vers 1913, il avait réuni plus d’un millier de mélodies et a commencé à choisir sept danses, la danse du bâton (Joc cu bâtă), le Brâul, joué sur une flûte de berger, mais aussi  la Danse de Butschum (buciumeana), jouée au violon tsigane, la polka roumaine, la danse rapide (Mărunţel) etc… Certaines danses me font d’ailleurs penser à d’autres compositeurs qui travaillent la pâte des mélodies populaires, par exemple Moussorgski (dans la troisième danse : Topogó / Pe loc). Ce qui frappe, c’est l’apparente simplicité initiale de la mélodie originale (jouée avec brio, voire virtuosité époustouflante par ces musiciens du rang) et la complexité, voire la luxuriance de l’orchestration, le choix de faire porter la mélodie par tel ou tel pupitre, de jouer sur les alternances cordes et bois, sur des différences de volume, en bref par le pouvoir de l’art, de la technique, de l’imagination, arriver à une vraie transfiguration de ces oeuvres.
J’ai eu souvent du mal avec Le Mandarin merveilleux,  la pantomime en un acte de Menyhért Lengyel qui a inspiré cette oeuvre terminée en 1924 et créée à l’opéra de Cologne en 1926. Bartók en écrit les premières esquisses dès la parution du scénario dans une revue (Nyugat) en 1917. C’est dire le temps pris pour la gestation. C’est le directeur musical de Cologne, Eugen Szenkar, qui dirige. Immense scandale, tellement immense qu’il menace(rait) l’ordre public, on parle de musique dégénérée, on invective le directeur musical, juif d’origine hongroise, en l’accusant de ne programmer que des étrangers, et on invoque ses origines…Alors, le maire de la ville prend la décision d’interdire l’oeuvre et de la retirer de la programmation. Il s’appelait Konrad Adenauer.
C’est une oeuvre que j’estime difficile, ou du moins il est difficile d’y entrer. L’ histoire se déroule au coeur d’une ville violente et agressive: trois mauvais garçons se servent d’une jeune fille comme appât pour attirer les passants, les entraîner dans une mansarde d’un faubourg de la ville et les dérober, voire les tuer. Trois victimes défilent, deux sans le sou, un vieux cavalier, un jeune homme timide, que les voyous rejettent. Arrive un  Mandarin, apparemment riche qui tout d’abord froid, de cette froideur que la jeune fille elle-même a accumulé en fréquentant les bas-fonds de la ville, mais il se laisse finalement séduire par la danse lascive de la jeune fille; les voyous l’attaquent pour le dérober, en essayant de l’assassiner, par étouffement, par le poignard, et en essayant de le pendre. Mais son désir le fait survivre à toutes ses blessures. Alors la jeune fille se débarrasse de ses complices, et alors qu’elle agissait mécaniquement, cette fois se donne vraiment à lui: ses blessures peuvent alors saigner, et il peut mourir, il s’agit d’une mort d’amour.
À Lucerne, où évidemment il n’y avait ni ballet ni pantomime, le récit s’est déroulé avec un surtitrage, un peu désordonné (c’est difficile de suivre une partition ainsi) mais tout de même, cela a permis de suivre à la fois les différents moments de l’action mais surtout de les identifier musicalement, et alors la pièce devient d’une très grande clarté, avec ses audaces, ses moments inspirés de Stravinski, son côté fortement expressionniste qui rappelle les ambiances à la Max Beckmann ou à la Otto Dix. À noter dans cette exécution  d’abord la présence du choeur (magnifique choeur de la Radio bavaroise), qu’il ajouta en 1923,  car c’est la pantomime complète qui est jouée et non la suite d’orchestre (qui, je crois, date de 1928). Cette Pantomime complète avec choeur  fut enfin reprise à la Scala…en 1942(!) et entama la carrière que l’on sait. L’interprétation du Budapest Festival Orchestra frappe d’abord par sa clarté, et je dirais presque sa retenue, ou plutôt sa tension très forte, glaciale, qui à la fois permet de suivre l’action, mais de noter clairement les moments inattendus: il s’inspire bien sûr du folklore hongrois, mais aussi de la musique arabe, en introduisant des figures, des agencements sonores inattendus et violents, avec des fortissimos aux cors stupéfiants et une utilisation des bois (notamment la clarinette, sensée représenter la jeune fille) qui laisse rêveur quand c’est un tel orchestre qui s’en empare. Bien sûr, Bartók est leur répertoire, mais interprété avec cette précision, cette étourdissante maîtrise technique, cette vibrante présence subite des personnages comme une sorte de prosopopée sonore, c’est proprement incroyable. La clarté est stupéfiante, mais aussi une certaine lenteur qui décortique les moments les plus oppressants (notamment lorsqu’apparaissent les prétendants face à la jeune fille) et une douceur momentanée qui se transforme en tension angoissante. Fischer joue de ces ambiances avec une incroyable habileté et nous implique directement dans l’histoire. Comment expliquer cet étrange sentiment? C’est certes brutal, notamment les dissonances surprennent avant de nous prendre, mais ce n’est jamais dur, c’est à la fois glacial et presque tendre: les interventions des cuivres restent presque douces, piano. Rien ne nous écrase et pourtant nous sommes totalement capturés, j’ose dire que c’est la première fois que cette oeuvre m’a saisi de cette manière. Je pense aussi que le lien avec le texte surtitré a très bien fonctionné. Les salles de concerts pourraient s’en inspirer. Un moment musical d’exception, un sommet.
Enfin, la deuxième partie était dédiée à deux oeuvres de Dvořák, la courte Legende op.59 et la Symphonie n°8:  Dvořák, autre auteur de prédilection d’Iván Fischer qui suit décidément les traces de Rafael Kubelik: il pourrait en être l’héritier.
Par leur aspect très intériorisé, peu spectaculaires, les Légendes de Dvořák pourraient être le pendant, l’antithèse des danses slaves (dont l’orchestre exécutera un bis étourdissant), d’abord pour piano (février 1881), elles furent très vite orchestrées dès la fin de 1881. Nous nous trouvons en rupture de ton avec Bartók qui illuminait la première partie. L’univers des 10 “Légendes” (de toutes petites pièces) dédiées à Hanslick est beaucoup plus introverti. Fischer choisit de jouer la Legende n°10 en si bémol, une pièce d’environ 5 minutes, avec un jeu particulier sur la couleur, sur les changements de tons et les échanges entre cor et clarinette (exemplaires), une pièce d’ambiance non dépourvue d’éloquence qui par sa retenue, nous éloigne de l’univers expressionniste de la première partie, Fischer installe ainsi l’univers de Dvořák, un univers ici un peu mystérieux, ce n’est pas une oeuvre à programme et on ne sait même pas pourquoi ce titre Légendes.
La symphonie n°8 en sol majeur, un peu moins connue que la symphonie n°9 “du nouveau monde” est une symphonie de la sérénité et de l’optimisme, composée d’août à novembre 1889, et dédiée à l’académie François-Joseph de Bohème qui l’avait appelé comme nouveau membre. Il la compose dans sa résidence estivale de Vysoká, la Villa Rusalka, ce qui explique sans doute l’importance de la nature et notamment l’intervention du chant d’oiseau à la flûte, qui est le thème principal du premier mouvement. Fischer soigne les aspects les plus bucoliques, dans une sorte d’équilibre et de retenue, sans jamais vraiment faire exploser l’orchestre: si c’est une oeuvre plus optimiste dans l’ensemble, il lui donne une couleur sérieuse, subtile, un peu surprenante même notamment dans les deux derniers mouvements. Il travaille beaucoup les systèmes d’échos sonores, dans un mouvement harmonieux plutôt concentré. Concentration est le mot qui convient à cette interprétation qui est tout sauf démonstrative, loin d’un romantisme que l’approche de la nature pourrait favoriser: ici c’est presque un peu (trop?) intériorisé, mais cette manière d’approcher l’oeuvre permet aussi de mettre en valeur chaque pupitre, de l’isoler même, notamment la flûte, vraiment extraordinaire ou les cuivres, l’enchaînement entre l’appel initial aux cuivres du quatrième mouvement et les cordes (violoncelles et altos) est à ce titre bouleversant.
Au sortir de ce concert vraiment magnifique, une certitude et un constat: la certitude, c’est que cet orchestre est exemplaire, de technique, de sûreté, avec un son vraiment singulier. Le constat c’est qu’Iván Fischer est bien connu des mélomanes assoiffés de concerts, mais peu connu du grand public. Il mène une carrière solide, mais marquée par la modestie. Or il est pour moi l’un des tout premiers chefs de notre temps, une valeur sûre bien plus fiable que d’autres chefs plus exposés médiatiquement. Il a créé et façonné son orchestre, pour aboutir à une sorte d’osmose entre geste (minimaliste)  et réponse presque intuitive des musiciens et s’y est presque exclusivement consacré. Voilà le résultat d’un travail de fond, d’une grande épaisseur, voilà un orchestre qui parle son langage, un langage original et fort. Et surtout un langage qui vous atteint, parce que l’orchestre tient un vrai discours: il y a déjà  deux semaines que ce concert s’est déroulé, et je l’ai bien encore en mémoire: et cette mémoire-là, elle est due pour l’essentiel à l’extraordinaire communication sensible qui s’est installée avec le public en ce dimanche matin, loin du spectaculaire, mais terriblement prenante.
Un seul conseil, regardez le site de l’orchestre (qui tourne souvent cependant) et identifiez dans son excellente programmation quelques concerts; vous en profiterez pour voir ou revoir Budapest, une des belles capitales d’Europe, aux prix encore très raisonnables.
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Iván Fischer à Lucerne © Lucerne Festival/Georg Anderhub