METROPOLITAN OPERA 2014-2015: LES CONTES D’HOFFMANN de Jacques OFFENBACH le 21 MARS 2015 (Dir.mus: James LEVINE, Ms en scène: Bartlett SHER)

Olympia (Erin morely Distrib.A) ©Marty Sohl /Metropolitan Opera
Olympia (Erin Morley Distrib.A) ©Marty Sohl /Metropolitan Opera

Encore une œuvre du répertoire français, et pourtant le texte n’est pas disponible dans le display de surtitrage qu’il y a devant chaque fauteuil. Anglais, allemand, espagnol seuls ont droit de cité. Il faut donc faire confiance à la diction et la prononciation française des chanteurs. On me répondra que le livret de Jules Barbier ne nécessite pas un effort intellectuel particulier mais tout de même…
On ne reprendra pas la polémique sur la version jouée, à chaque production sa version, d’autant plus depuis les dernières découvertes de Jean-Christophe Keck notamment sur l’acte de Giulietta et le final. Mais James Levine a choisi de suivre la version Œser qui remonte à 1976 et désormais remise en question après l’édition de Michael Kaye et évidemment celle de Keck. Une édition saluée lors de sa parution, qui fut suivie par l’enregistrement de Sylvain Cambreling qui n’est pas l’un des plus mauvais loin de là et qui conserve scintille diamant et le sextuor du 3ème acte (Giulietta). Levine propose non les dialogues parlés mais les récitatifs chantés de Guiraud (une rareté désormais…). Voilà pour les choix de version.
Cette production des Contes d’Hoffmann remonte à 2009, James Levine la dirigeait, et il la reprend aujourd’hui. Les Contes d’Hoffmann qu’il dirige avec les forces du MET depuis 1988 (avec une tournée au Japon) et au MET même depuis 1992. Contrairement à d’autres œuvres qu’il se réserve, il a souvent laissé la baguette (Simone Young, Frédéric Chaslin), il était donc intéressant de l’écouter dans un opéra où, on le sait, il excelle, mais où il n’est pas si fréquent, d’autant que c’était la dernière.
La mise en scène est de Bartlett Sher, metteur en scène américain fameux, pour les pièces qu’il a mises en scène et pour les musical, il fait partie des metteurs en scène que Peter Gelb a appelés pour renouveler un peu les mises en scène au MET, dont on sait ce qu’elles sont, et surtout ce qu’elle ne sont pas; on lui doit un Barbiere di Siviglia de bonne facture. Ces Contes d’Hoffmann ne révolutionnent pas la vision de l’œuvre : Chéreau le fit et avec quelle maestria à l’Opéra de Paris en 1975, et Marthaler à Madrid récemment en a proposé une vision étonnamment noire et tendue. Bartlett Sher en fait une vision à la fois littéraire, fantasmatique et fantasmagorique : Hoffmann est souvent derrière sa table de travail écrivant ses Contes et s’impliquant de manière romantique dans les histoires qu’il raconte ou en faisant un fantasme comme c’est visible dans l’acte de Giulietta, le moins linéaire et le plus violent.
Dans un décor sombre de Michael Yeargan, les visions alternent, plutôt fantasmagoriques pour l’acte d’Olympia, nous sommes presque à la limite du musical, plutôt épuré pour l’acte d’Antonia : je ne sais si Barltlett Sher a eu accès à la vidéo de Chéreau (hors commerce, mais qui doit circuler), mais au moins deux idées sont semblables, d’une part l’arrivée du Docteur Miracle en calèche (chez Chéreau, vraie calèche et vrai cheval), et d’autre part l’évocation de la mère avec un simple voile blanc. Il reste que c’est l’acte le plus réussi car le moins surchargé. L’idée de vêtir Antonia d’un habit de Diva en récital est excellente. L’acte de Giulietta est comme souvent le plus confus : le livret est surchargé de petits faits, peu clair et tout se succède à grande vitesse, sans vraiment de ligne limpide et suivie. Venise est évoquée, inévitable gondole, les fêtes masquées du XVIIIème aussi (Giulietta est vêtue comme au XVIIIème) avec une atmosphère à la fois de fête vénitienne, de maison de rendez-vous, mais avec aussi une violence contenue puis explosive, par exemple, lorsque Hoffmann tue Schlemil. C’est d’ailleurs l’un des moments où il apparaît le plus clairement que tout cela n’est que rêve. Bartlett Sher construit donc un rêve d’Hoffmann, souvent à sa machine à écrire : c’est un peu le même dispositif et la même idée que pour l’Orphée de Gluck vu récemment à Lyon, mais pas vraiment mené au bout de sa logique. Du point de vue plus strict du jeu et de la direction d’acteur, le travail est sommaire, et Sher laisse l’élaboration aux chanteurs qui font en somme ce qu’ils ont l’habitude de faire.
Il reste que c’est une mise en scène qui fonctionne, mieux que bien d’autres productions du MET.
Elle fonctionne aussi parce que la compagnie est engagée avec une énergie peu commune. C’est plutôt une distribution B, la reprise de janvier affichait Thomas Hampson dans les quatre rôles maléfiques et Vittorio Grigolo en Hoffmann. Même si les chanteurs sont apparemment moins « bankables », l’ensemble a une tenue et une homogénéité remarquables.

Matthew Polenzani (Hoffmann) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Matthew Polenzani (Hoffmann) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

Matthew Polenzani, qu’on connaît pour ses qualités de styliste est un Hoffmann très engagé, avec une diction impeccable et un style enviable. Lui dont on note toujours le volume relativement contraint (voir son Requiem de Verdi à la Scala où il remplaçait Kaufmann en octobre dernier), est ici très à l’aise et particulièrement en voix. Un travail de chant ciselé, attentif, et finalement une personnalité scénique attachante, voire émouvante, même s’il n’est pas un acteur de premier ordre. Un très bel Hoffmann, très propre, très net, impeccable en somme.

Laurent Naouri et Matthew Polenzani ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Laurent Naouri et Matthew Polenzani ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

Coppelius, Dappertutto, Miracle et Lindorf, c’est Laurent Naouri, magnifique ce soir : une voix claire, bien projetée, une diction exceptionnelle bien sûr, et un magnifique timbre de baryton basse. Il sacrifie un peu aux gestes codifiés du personnage, mais du point de vue musical, il est vraiment une très belle référence. Son scintille diamant est exemplaire et remporte un triomphe. Enfin un vrai style français. Un modèle.
Notons aussi quelques personnages secondaires qui ont surpris par leur allant et leur présence, par exemple le Frantz de Tony Stevenson, jeune diplômé maison du Programme Lindemann vraiment excellent dans l’air de la méthode, ou même Mark Showalter (Spalanzani, Nathanaël, un étudiant).
Du côté des rôles féminins, c’est un peu moins homogène, la Muse (Nicklausse) de Jennifer Johnson Cano, est très correcte sans être exceptionnelle, notamment du point de vue de l’incarnation vocale et scénique. Elle est loin d’effacer la performance inoubliable de Anne Sofie von Otter à Madrid. On est disons, dans le « tout venant » honorable.

Antonia (Susanna Phillips) avec Hoffmann (Matthew Polenzani) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Antonia (Susanna Phillips) avec Hoffmann (Matthew Polenzani) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

L’Antonia de Susanna Phillips est plus intéressante, plus vibrante aussi (pour le rôle, c’est indispensable), mais elle a eu ce soir deux accidents vocaux, un aigu qui s’est écrabouillé et un autre vraiment lancé faux, mais je pense que la tension consécutive au premier accident a créé le second. C’est dommage, car la personnalité et la voix sont intéressantes, et émouvantes.

Giulietta 5Elena Maximova) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Giulietta 5Elena Maximova) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

La Giulietta d’Elena Maximova est elle aussi de bon niveau; j’avoue avoir des difficultés avec Giulietta, qui est un rôle assez ingrat et qui nécessite une personnalité hors pair pour vraiment marquer. Vocalement c’est très honorable et quelquefois assez intense, sans être vraiment marquant. Ce n’est pas dans Giulietta que la Maximova impressionnera les foules.
En revanche, c’est dans Olympia que la jeune Audrey Luna m’a vraiment impressionné.
Olympia, machine à aigu, pour des voix petites qui montent haut et très haut et qui savent cadencer, vocaliser, roucouler, une bête de cirque en somme que Natalie Dessay, la dernière Olympia légendaire, finissait par haïr.
Audrey Luna a non seulement les suraigus, base nécessaire pour Olympia, elle a l’abattage, elle a les cadences et les variations, et surtout, ce qui la différencie d’autres Olympia, sa voix a une assise relativement large, et n’est pas ce rossignol qu’on entend habituellement, il y a là du corps, j’entends une future belcantiste car elle a un beau medium et une vraie personnalité. Dans un rôle aussi inintéressant, elle sait donner de la couleur. C’est suffisamment rare pour être noté. Ce soir, Audrey Luna c’est ma découverte. Retenez ce nom.

Olympia (Audrey Luna) avec Hoffmann (Matthew Polenzani)©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Olympia (Audrey Luna) avec Hoffmann (Matthew Polenzani)©Cory Weaver/Metropolitan Opera

Au total, une distribution de très bon niveau, avec de vraies découvertes et de vraies personnalités, servie par un chœur (direction Donald Palumbo) en très grande forme (le chœur du sextuor de l’acte de Giulietta, dans cette version parce qu’on sait qu’il a disparu des éditions postérieures à Œser), est vraiment éblouissant, et le prologue est remarquable.
Mais celui qui donné à la soirée sa vraie couleur, c’est James Levine qui réussit à rendre cette musique bouleversante. L’acte d’Antonia, le plus accompli, est tendu, avec un sens dramatique développé et un art du crescendo consommé. Mais l’ensemble de l’œuvre est mené avec une grande énergie, une incroyable dynamique, un sens symphonique accompli, et aussi, il faut le souligner, une grande variété dans la couleur, et une manière d’aborder les moments plus lyriques, plus mélancoliques avec un son velouté, enjôleur, et une extrême sensibilité, ce qui n’est pas ce qu’on reconnaît le plus à ce chef . Il en résulte une direction musicale qui est pour moi la meilleure entendue dans cette œuvre depuis longtemps, même si les choix éditoriaux peuvent se discuter. Que des Contes d’Hoffmann puissent à ce point à la fois briller et émouvoir, c’est vraiment l’ouvrage du chef, qui soutient le plateau et lui fait donner le maximum, comme d’habitude sans jamais le couvrir et favorisant toujours l’expansion des voix, avec un orchestre exceptionnel ce soir.
Avec pareille direction James Levine rend honneur à Offenbach, il lui donne un relief et une profondeur qu’on n’a pas l’habitude d’entendre. Quelles magnifiques moments ![wpsr_facebook]

La distr.A: Thomas Hampson, Kate Lindsey,Vittorio Grigolo, Hibla Germova et  ©Marty Sohl/Metropolitan Opera
La distr.A: Thomas Hampson, Kate Lindsey,Vittorio Grigolo, Hibla Germova et ©Marty Sohl/Metropolitan Opera

ATHÉNÉE – THÉÂTRE LOUIS JOUVET 2013-2014: LA GRANDE DUCHESSE DE GEROLSTEIN d’après Jacques OFFENBACH par la compagnie LES BRIGANDS (Dir.mus: Christophe GRAPPERON, Ms en scène: Philippe BEZIAT)

Antoine Philippot (Boum), Olivier Hernandez (Paul) Flannan Obé (Puck) © Claire Besse
Antoine Philippot (Boum), Olivier Hernandez (Paul) Flannan Obé (Puck) © Claire Besse

Après l’amour du Christ le samedi, celui des militaires le dimanche…ce dernier week-end avant Noël a été musicalement diversifié, mais Offenbach sied aux périodes de fêtes. De fait, l’Athénée était plein à ras-bord ce dimanche après-midi, des jeunes, des vieux, des enfants, qui ont fait un triomphe à cette Grande Duchesse de Gerolstein décalée, proposée par la compagnie Les Brigands qui depuis des années s’installe au moment de Noël au théâtre de l’Athénée.

Patrice Martinet, son directeur, a infléchi la couleur de sa programmation et l’a orientée vers la musique, en proposant dans cette salle mythique, une sorte de bonbonnière, à la fois surannée et chaleureuse, des productions théâtrales bien sûr (comme la Lucrèce Borgia de début de saison dont ce blog a rendu compte) , mais aussi des productions musicales et concerts adaptés à cet espace réduit, quelquefois au prix de réécritures, de réorchestrations (Un Pocket-Ring y a été présenté), à chaque fois avec gros succès. Un seul exemple, l’Ariane à Naxos présentée la saison dernière a marqué le public mélomane.
Ainsi de l’appel aux Brigands, une compagnie qui s’est fait une spécialité de l’adaptation pour orchestre réduit d’opérettes d’Offenbach pour l’essentiel (d’où le nom, Les Brigands) mais aussi d’autres grands classiques: on se souvient de la redécouverte il y a quelques années de Ta Bouche (1922) de Maurice Yvain et Albert Willemetz dans cette même salle.
Cette année, Les Brigands reviennent à Offenbach, proposant une version revisitée de La Grande Duchesse de Gerolstein, créée en 1867 à Paris, et vue par tous les souverains d’Europe, malgré un livret (de Meilhac et Halevy) traitant des dérives du pouvoir et des caprices des puissants, mais surtout, de la guerre (qui éclatera trois ans après).
Offenbach se prête à la réécriture, tant ses oeuvres ont été adaptées pour toutes sortes de salles, petites et grandes, pour toutes sortes d’orchestres, pour toutes sortes de distributions: encore récemment on a vu la Grande Duchesse de Gerolstein  revisitée à Bâle en 2010 par Christoph Marthaler (voir le compte rendu dans ce blog), lui qui avait monté une extraordinaire Vie parisienne à la Volksbühne de Berlin en 1998 et dont on verra à Madrid en mai prochain de nouveaux Contes d’Hoffmann . On a référé il y a quelques jours  sur les Contes d’Hoffmann dont les versions diverses pullulent; en fait Offenbach est adaptable à toutes les salles, tous les orchestres, toutes les voix, ce qui en a toujours favorisé la diffusion (je me souviens d’un Orphée aux Enfers de Lavelli dans l’écrin de l’Espace Pierre Cardin).
J’ai toujours aimé Offenbach, parce qu’il popularise les schémas de l’opéra, en le détournant, en le tournant en dérision, mais toujours avec une élégance musicale étonnante, et des livrets désopilants, mais toujours cultivés: La Belle Hélène, Orphée aux Enfers ont des livrets d’une incroyable drôlerie qui vont puiser avec exactitude à la source mythologique.
Dans un théâtre aussi intime que l’Athénée, reprendre une opérette de poids comme la Grande Duchesse de Gerolstein demande à la fois d’en réduire la voilure théâtrale, mais aussi musicale, sans en trahir ni le message, ni l’histoire, ni le ton. On peut dire que cette Grande Duchesse au pays du mariage pour tous présentée à l’Athénée est une réussite, dans le cadre de cet exercice contraint.
Rappelons en la trame, dans un royaume allemand d’opérette (même si la ville de Gerolstein existe – une eau minérale assez connue, la Gerolsteiner porte son nom), une Grande Duchesse pour tromper son ennui et poussée par ses conseillers avides de pouvoir, déclare la guerre, va visiter son armée et s’entiche d’un simple soldat, Fritz. Elle le promeut en cinq minutes caporal, lieutenant, capitaine, colonel, général, puis général en chef au grand dam de trois comploteurs qui feront tout pour le faire tomber , le général Boum, l’ex-général en chef, le baron Puck, conseiller politique et le Prince Paul, prétendant officiel qui attend depuis des mois ses fiançailles, négociées par le baron Grog, le diplomate de service dont la Grande Duchesse va s’enamourer après avoir renvoyé Fritz à son régiment.
Car Fritz est amoureux de Wanda, et n’a pas l’intention d’y renoncer, même pour l’amour de la Grande Duchesse. Il redeviendra donc simple soldat.
Dans cette version, deux modifications marquantes: Fritz n’est pas amoureux de Wanda, mais d’un de ses copains de chambrée, le soldat Krak (David Ghilardi) et Grog n’est pas un homme, mais une femme: deux obstacles à peu près insurmontables aux amours de la Grande Duchesse qui finira pas épouser le Prince Paul: “quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a”.
Cela ne change rien de l’action, mais change évidemment le sens de certaines répliques, et change le regard sur l’oeuvre, qui du même coup devient le témoignage de batailles récentes, tout en contribuant à la banalisation de situations d’aujourd’hui: mais que l’opérette, genre si daté et si conforme, banalise le mariage pour tous, car c’est de cela qu’il s’agit et présente deux hommes qui s’embrassent à pleine bouche, cela fait sourire toute la salle sans la choquer, et c’est tant mieux . À quand une Veuve joyeuse lesbienne?
Au total, dans l’économie du spectacle, ces modifications, qui en rajoutent sur l’humour du texte et font multiplier les rires (sans jamais tomber dans la vulgarité) ne changent rien à l’histoire, qui garde le même sens: aucune transformation de l’esprit de la pièce, au contraire du travail de Marthaler à Bâle, et un travail cohérent qui rend compte de ce qu’Offenbach voulait, et dont l’actualisation qui porte sur les moeurs, mais aussi l’époque (les soldats, vrais mâles, sont tous tatoués), ne change rien au message: on fait la guerre par opportunité plus que par nécessité et le pouvoir dictatorial est essentiellement celui du caprice.
Dans l’espace réduit de la scène de l’Athénée, le metteur en scène a placé sur deux niveaux orchestre (9 musiciens dirigés par Christophe Grapperon) et chanteurs (9 eux aussi), dans un plateau au décor (de Thibaut Fack) encombré d’objets, de caisses, d’instruments, de chaises et de pupitres, mais aussi de triangles où pendent des habits ou le fameux sabre “de mon père”. On réussit tout de même à bouger efficacement, chanter, danser sans se bousculer: c’est parfaitement fluide et maîtrisé.
Le rideau s’ouvre sur une chambrée endormie, et deux soldats se glissent dans le même lit: le ton est donné, un couple de soldats amoureux, un général Boum qui est caricature de soldatesque, en perpétuel besoin sexuel, quelques hommes de troupe tatoués, et une Grande Duchesse un peu délurée, et puis très vite tout bouge,  tout danse et tout chante.

Une mise en scène essentielle, fondée sur une utilisation habile de l’espace, sur une distribution de l’orchestre changeante, en version complète, en version récital (un à deux instruments) avec piano (dont les deux pianistes assis sur le même siège essaient par quelques jeux de fesses de bouter l’autre hors du banc.), le tout en un rythme très enlevé, avec entrées et sorties incessantes, qui  contribuent évidemment à mettre en joie le public, très impliqué par la proximité de la scène.
Du point de vue musical, les airs célèbres sont là, même s’il y a des coupures ou des raccourcis, et on peut encore une fois constater combien le Mozart des Champs Elysées est aussi “Le Rossini des Champs Elysées”, tant les formes – et notamment les ensembles- sont tributaires des opéras bouffes de Rossini. L’ensemble final de la première partie est vraiment un calque de final rossinien. L’orchestration, la légèreté, le rythme, tout renvoie à ces formes popularisées au début du XIXème par Il Barbiere di Siviglia, La Cenerentola et l’Italiana in Algeri. N’oublions pas que Rossini en 1867 est encore vivant et qu’il y a plaisir à mimer ces formes, qui ont survécu à Paris notamment à travers Auber. Offenbach ne fait que les prolonger par le pastiche.
Ainsi, du point de vue vocal, tout est permis, d’acrobaties vocales inédites à un chant plus naturel et plus direct qui sied à l’opérette. C’est cette dernière option qui est adoptée par la compagnie, qui a réuni une distribution homogène, de bon niveau, d’où émergent notamment évidemment la Grande Duchesse de Isabelle Druet, jeune mezzo soprano “révélation classique lyrique” de l’Adami en 2007 et “révélation lyrique” des Victoires de la musique 2010, qui promène son personnage avec abattage, engagement, et beaucoup de naturel, avec un très joli timbre de mezzo, le Fritz très en place vocalement de François Rougier, un personnage qui sait à la fois être élégant, ironique et jouer avec autant de naturel les soldats du rang, et aussi le Puck très distingué de Flannan Obé.
Ce qui frappe dans cette production, c’est que rien n’est fait au rabais: c’est une entreprise qui restitue une oeuvre, en vision mineure, mais en pleine fidélité à un esprit de dérision, sans jamais sacrifier la musique, et montrant des chanteurs engagés, de bon niveau et des instrumentistes jamais pris en défaut sous la direction assez fine de Christophe Grapperon. Dans un pays où la musique ne va pas partout, c’est une voie possible pour un certain répertoire: on se réjouit que cette Grande Duchesse puisse tourner et être vue et appréciée d’un large public sur le territoire . Voilà des Brigands bien sympathiques et qui seraient très bienvenus  dans toutes les scènes nationales qui du point de vue de la musique dite classique, sont souvent en panne d’imagination et à la traîne: la musique lyrique supporte les petites et moyennes formes, c’en est encore une éclatante preuve, et l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet en est aujourd’hui le foyer de référence.
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Saluts du 22 décembre 2013 (Athénée)
Saluts du 22 décembre 2013 (Athénée)

BAYERISCHE STAATSOPER 2011-2012 A LA TV (ARTE): LES CONTES D’HOFFMANN de J.OFFENBACH, avec Rolando VILLAZON et Diana DAMRAU le 29 décembre 2011 (Ms. en scène Richard JONES, dir.mus Constantinos CARYDIS)

Acte d’Olympia (Photo Bayerische Staatsoper)

Juste quelques mots. J’étais bien curieux d’écouter Rolando Villazon dont on a dit tout et le contraire de tout ces dernières années. Les Contes d’Hoffmann était avant sa maladie un de ses chevaux de bataille. La production nouvelle de Richard Jones, dirigée par Constantinos Carydis, bénéficiait, outre de Rolando Villazon, de Diana Damrau dans les trois rôles et de l’excellent John Releya dans les rôles noirs de Coppelius, Dappertutto, Miracle, le tout dans la version de Michael Kaye et Jean Christophe Keck, autant dire l’édition la plus récente et la plus fidèle à l’original, bénéficiant de la musique retrouvée au château de Cormatin qui donne à l’œuvre un aspect plus noir, moins brillant que dans les versions habituelles, mais pour cette série de représentations, frappée de coupures indignes d’un théâtre de ce niveau.
Je vous épargnerai le roman des Contes d’Hoffmann, en confessant ma préférence pour les anciennes versions: la suppression de certains airs ou ensembles de l’acte de Giulietta me frustrent…Mais voilà, la fidélité à l’œuvre ne va pas toujours de pair avec ce que notre goût a construit à travers les années…
La production de Richard Jones, qui dans un espace unique réussit à construire des univers différents qui naissent de l’imagination poétique d’Hoffmann, un palais noir pour Antonia, une maison de poupée où évoluent un Hoffmann et un Nicklausse en culotte courtes, beaucoup de couleur, des idées intéressantes çà et là, sans être un travail transcendant. J’ai bien aimé John Releya, qui a la voix du rôle du méchant, même s’il en fait un peu trop. J’ai beaucoup aimé Angela Brower qui malgré un français hésitant donne une interprétation intense et stylée, un nom à retenir. Diana Damrau, à l’instar de Sills ou Sutherland, reprend les quatre rôles , réussit une vraie performance. Pourtant si on l’attendait dans l’acte de Olympia, elle semble avoir perdu sa légendaire qualité de coloratura, même si les notes sont là (un peu dures dans le suraigu), c’est dans l’acte d’Antonia, mon préféré, qu’elle arrive à la fois à donner intensité et poésie à ce rôle qui est le plus tragique de la partition, et sans doute le plus épais psychologiquement, une vraie performance! Elle est plus gênée dans Giulietta, qui ne lui convient peut-être pas.
Acte d’Antonia (Photo Bayerische Staatsoper)

Reste Villazon, dont les Cassandre prévoyaient annulation totale ou partielle, et qui par bonheur a chanté toutes les représentations. La voix est là incontestablement, et ne marque pas de signes de fatigue, même si le volume semble avoir sensiblement diminué. Les notes suraiguës sont négociées plus qu’affrontées, mais pour le reste, il n’y a rien a dire et on retrouve l’intensité du chanteur, qui bravement se lance dans un rôle qui l’a marqué et dont on pensait qu’il ne pourrait plus le chanter. On est très heureux de retrouver cette force de la nature, qui a encore une incroyable prise sur le public à entendre l’ovation qu’il reçoit. C’est qu’il garde cet engagement qui en fait une bête de scène, avec quelquefois peut-être des outrances (il bouge toujours autant!), mais aussi des gestes d’une justesse frappante (dans l’acte d’Olympia, où il est habillé en jeune enfant, il se gratte le mollet avec l’autre jambe comme un enfant gêné avec un geste d’une délicieuse gaucherie, chapeau l’artiste) .

Acte de Giulietta (Photo Bayerische Staatsoper)

Il reste à souhaiter qu’il se ménage, pour pouvoir continuer à chanter longtemps, et qu’il ne se brûle pas sur les planches, comme on pouvait le craindre en voyant évoluer sa carrière.

La direction de Constantinos Carydis ne m’est pas apparue (à la TV) avoir un relief particulier, j’y ai remarqué un tempo plutôt lent en général avec des accélérations brutales, sans dessein général, malgré un orchestre et un chœur excellents dans l’ensemble. Mais je le répète, l’orchestre sonne souvent bien autrement en salle qu’à la TV.

Au total néanmoins une agréable soirée TV de semaine de fêtes, qui devrait se conclure toujours sur ARTE  par une Fledermaus ( mais l’acte II seulement, drôle d’idée) en direct de Vienne dans la mise en scène légendaire et rafraîchie d’Otto Schenk.

THEATER BASEL 2009-2010(Théâtre de Bâle): LA GRANDE DUCHESSE DE GEROLSTEIN vue par Christoph MARTHALER avec Anne Sofie VON OTTER (16 janvier 2010)

 

FINI DE RIRE

Depuis la mémorable « Vie parisienne » présentée en 1998 à la Volksbühne de Berlin sous la direction de Sylvain Cambreling, spectacle éblouissant qui a été un vrai tournant dans la manière de lire l’opérette, Christoph Marthaler ne s’était plus attaqué à Offenbach. Il avait alors choisi  d’en proposer la version complète. Un choix totalement opposé préside à la mise en scène de La Grande Duchesse de Gérolstein.

Ceux qui attendaient ou espéraient une version complète dans l’édition critique de Jean-Christophe Keck telle qu’elle avait été proposée en 2004 par le Châtelet et puis enregistrée avec l’équipe réunie autour de Marc Minkowski et Felicity Lott en seront pour leurs frais. Prenant prétexte des problèmes d’édition récurrents chez Offenbach et particulièrement sensibles dans une œuvre qui dès la création a été modifiée suite à des réactions négatives du public dès le deuxième acte, Marthaler ne propose en fait de l’ensemble de l’œuvre qu’une lecture complète du premier acte, en première partie, puis une lecture très personnelle et loin de la bonne humeur du Mozart des Champs Elysées en seconde partie: c’est au-delà du rire, ou peut-être derrière le rire qu’il nous invite à regarder en convoquant Bach, Haendel, Brahms et quelques menus fragments d’Offenbach. Le chef Hervé Niquet, -encore un baroqueux tenté par Offenbach (après Harnoncourt et Minkowski)- participe volontiers de l’opération puisque de chef et presque acteur dans la première partie, il n’est qu’acteur dans la seconde, celle du temps qui stagne et qui se perd.

Loin d’être une entreprise de destruction c’est à une vision de l’espace imaginaire  ouvert par La Grande Duchesse que nous sommes conviés, puisque Marthaler s’attache à un aspect unique et grave, qui est la guerre et l’antimilitarisme. On sait que l’œuvre a incontestablement une portée politique, et d’ailleurs la censure du second Empire s’en était inquiétée : elle a été présentée au théâtre des Variétés, en 1867, à l’occasion de l’exposition universelle, et tous les souverains d’Europe ont vu cette satire féroce du militarisme, des cours et de leurs petitesses, des faveurs gratuites, de la politique confisquée au peuple,  du bon plaisir du souverain fondé sur l’humeur du moment. C’est tout cela qui est présent au premier acte, les autres actes se développant autour d’une intrigue de cœur qui n’intéresse pas Marthaler.
Rappelons brièvement l’histoire : Le général Boum (Christoph Homberger
) et le baron Puck (Karl-Heinz Brandt )ont décidé de faire la guerre pour distraire leur souveraine qui s’ennuie, et qui ne veut pas épouser le prince Paul (Rolf Romei, correct)à qui elle est promise. Au moment où la Grande Duchesse passe les troupes en revue, elle repère un soldat qui monte la garde et en tombe amoureuse. Celui-ci, puni pour avoir embrassé sa belle, la jeune Wanda, devient en quelques minutes, de simple soldat, capitaine, puis général, baron et bientôt général en chef. Il part à la guerre et revient vainqueur (Marthaler s’arrête là). Au retour de la guerre, la duchesse cherche en vain à séduire le héros vainqueur. De dépit, elle rejoint les comploteurs composés de tous ceux à qui cette élévation a complètement enlevé pouvoir et influence. Après quelques péripéties, la Grande Duchesse dégrade le jeune Fritz qui retourne à son anonymat, et à ses amours, et finit par accepter d’épouser le prince Paul, en disant « quand on n’a pas ce que l’on aime, on aime ce que l’on a ».
De cette intrigue un peu faiblarde, Marthaler s’attache à montrer la guerre, – on va jusqu’à entendre une citation de Clausewitz !- dans ses aspects les plus caricaturaux puis les plus terribles. La guerre ne frappe jamais (ou rarement) ceux qui la décident, elle frappe ceux qui la font. Le propos de Marthaler, malgré l’ironie, le burlesque, le clownesque, est aussi sérieux que l’entreprise de Chaplin dans Le Dictateur.
160120101472.1263855889.jpgLe début est un grand moment. Le décor énorme, d’Anna Viebrock (qui signe aussi les costumes) représente au niveau supérieur un bâtiment des années 60, vitré, avec ses boiseries modernes de type hall d’Orly (ou d’hôtel) dominé par le fameux portrait de Sissi par Franz Xavier Winterhalter (qu’on trouve à la Hofburg de Vienne), et au rez-de-chaussée une porte avec code (cela a son importance), un magasin de vêtements féminins à la mode, et un marchand d’armes (Raphael Clamer), nouvellement installé, qui passe son temps à ranger sa vitrine (un canapé couleur treillis, sur lequel reposent des mitraillettes amoureusement disposées). Tout est vide, pas un humain.  Le marchand d’arme arrive, puis peu à peu quelques membres de la cour au dessus, et un pianiste devant un piano désaccordé qui joue …l’ouverture des Maîtres chanteurs. Toutes ses interventions seront essentiellement wagnériennes d’ailleurs (mort d’Isolde, Parsifal…). Puis arrive sur scène un soldat, portant un instrument, qui descend dans la fosse encore vide, puis peu à peu la scène et la fosse se remplissent, en haut, la cour en vêtements de cocktail des années 60, mais avec des coiffures quelquefois second empire, en bas, dans la fosse, un orchestre de soldats en treillis. Tous ces gens sont un peu erratiques, et ce monde ne semble pas très organisé, aussi, un des acteurs demande à la cantonade « Gibt es ein Regisseur im Publikum » (« Y-a-t-il un metteur en scène dans la salle » ?) Les dialogues sont en allemand, les parties chantées en français.

Le chef arrive alors bousculant portes et spectateurs, un général de Gaulle mâtiné de Louis de Funès, s’excusant de son retard, la musique monte de la fosse et c’est..Tannhäuser….Le chef hurle, puis l’opérette commence : en vingt minutes, ce début a complètement conquis la salle et installé le rire, la bonne humeur, et l’humour grinçant. Une divine surprise, jouée, mimée, construite à la perfection.

L’entrée de la Grande Duchesse, une étonnante Anne-Sofie von Otter, vêtue comme Elisabeth II les pires jours, est aussi un grand moment : elle pénètre dans le magasin de mode féminine et essaie un tailleur…en treillis lui aussi, puis change bientôt pour revêtir ses atours officiels. Tout cela pendant que le premier acte se déroule au dessus : le public pris entre tous les mouvements, les différents lieux, les différents gags, ne sait pas toujours où donner de la tête et les rires fusent, mais jamais ensemble, au gré des regards qui courent sur l’ensemble de la scène. Tout le premier acte se déroule entre le hall de la cour et le rez-de-chaussée où le marchand d’arme, lorsqu’il ne range pas sa vitrine (barrée d’un NEUERÖFFNUNG (ouverture récente, nouvelle) énorme, tire sur des cibles, les coups de feu répétés provoquant les célèbres « l’ennemi ! l’ennemi ! » du général Boum.

Il est difficile de rendre compte avec précision de tous les détails de ce travail théâtral, qui suit dans un rythme précis, voire métronomique la musique d’Offenbach : Marthaler connaît la musique, et n’oublie jamais qu’on est à l’opéra…tout apparaît logique, justifié, en phase avec le propos du texte, en prise évidente avec le public. En me relisant je me rends compte combien on pourrait y voir une sorte de fantaisie gratuite et destructrice : rien de tout cela. Le public est d’abord désarçonné, étonné, puis très vite rentre dans cette logique, et répond en écho par sa participation au regard dévastateur qui préside à la scène et si la deuxième partie étonne à nouveau par le parti pris radical de s’éloigner de l’œuvre, le spectateur est si bien conduit par le metteur en scène qu’il accepte sans barguigner tout le spectacle, qui est tout sauf provocateur : rien là-dedans n’est vraiment en contradiction avec ce que l’œuvre dit.

Mais poursuivons : le départ de Fritz à la guerre s’accompagne du départ de tous les hommes de la cour, et de tout l’orchestre, au son de la marche funèbre de Siegfried (dans Götterdämmerung) jouée au piano. Le chef se retrouve seul, les quelques membres de la cour et la Duchesse restés « à l’arrière » passent alors le temps dans une oisiveté angoissante, s’usant dans la boisson et le ton change, même si certes, çà et là, le burlesque réapparaît : les rires se font plus isolés, plus désordonnés, moins francs, le pianiste se met à jouer en continuo avec un violoncelliste, le seul soldat resté dans la fosse, les airs baroques extraits de Bach ou du Giulio Cesare de Haendel, ou le début du Deutsches Requiem de Brahms. C’est à une sorte de pantomime lente et silencieuse que Marthaler nous convie, une pantomime qui fait taire Offenbach. Le retour de Fritz fait penser à celui des soldats éclopés du célèbre Faust de Lavelli. La guerre n’est jamais une guerre d’opérette, et Fritz revient seul, sérieusement amoché, n’arrivant pas à marcher et entamant son air, en chutant dans la fosse, en s’écroulant. Lui aussi s’enfonce dans la nuit qui a envahi l’espace. Et puis la duchesse entre chez le marchand d’armes, s’endormant sur le canapé dans la vitrine avec deux mitraillettes dans les bras. Rideau.

gerolstein004_g.1263855355.jpgPhoto Tanja Dorendorf

La guerre a tué la musique, restée à l’état de fragments, elle a tué l’orchestre, elle a tué la cour : on a  fini de rire depuis longtemps. Lire ce regard là, à la lumière des trois guerres qui vont opposer allemands et français, dont la première commence à peine trois ans après la première de la Grande Duchesse, donne une véritable perspective, d’autant qu’Offenbach est à cheval sur les deux cultures, et que ses œuvres sont systématiquement données de part et d’autre du Rhin : mais en 1867, il raille devant Bismarck (qui a vu l’œuvre dans sa traduction allemande) les petits états germaniques ridicules qui disparaîtront en 1870 sous la férule de la Prusse, et devant Napoléon III les petitesse et la vacuité de la cour ; quant au Tsar, il court à la descente du train voir La Grande Duchesse (Hortense Schneider) dont le costume est une claire référence à son aïeule la Grande Catherine : tout ce que dit l’œuvre va bien au-delà de son intrigue, et c’est cet au-delà auquel s’est attaché Marthaler.

 

 

On n’a donc pas là un spectacle en marge de l’œuvre, mais un tout cohérent, et musical : Anne Sofie von Otter est une duchesse qui va chanter Offenbach mais aussi Haendel et Bach et elle est le personnage au-delà de toute éloge, dans la démarche, dans le port, dans la mimique, même si la voix était fatiguée ce soir là (une annonce avait été faite). Le Fritz de Norman Reinhardt est vocalement sans doute plus pâle, et son français est totalement inaudible mais l’exigence scénique auquel il est soumis dans la deuxième partie est notable. Les autres membres de la distribution sont acceptables ou médiocres, dans leur prestation vocale, mais incarnent totalement leur pesonnage. Quant aux acteurs de Marthaler (Jürg Kienberger et sa voix délirante de fausset qui ose chanter Haendel en duo avec Anne-Sofie von Otter, Ueli Jäggi en secrétaire privé et Christoph Homberger en général Boum) ils sont désopilants voire phénoménaux dans leur manière de mimer le chant ou la musique ou de se mouvoir, sans oublier la drôlerie du pianiste Bendix Dethleffsen : il y a quelque chose du génie des Marx Brothers là-dedans.

Quant à l’orchestre, il est dirigé avec vaillance, légèreté et une précision étonnante. L’attention à ce qui se passe sur scène est constante, et on lit dans l’engagement d’Hervé Niquet (dont les répliques sont en Français et non en allemand), et dans son application à faire le pitre pince sans rire soit envers les spectateurs, soit sur scène, une adhésion authentique à l’entreprise.

Une fois de plus, Christoph Marthaler de retour dans la ville de ses débuts, (tout comme Anne Sofie von Otter) réussit à surprendre, en s’engouffrant dans la brèche ouverte par une partition pas encore fixée, en s’engageant aussi dans un travail de théâtre à la précision d’orfèvre et dans un regard d’une acuité glaçante, comme dans la plupart de ses spectacles (rappelons-nous la magnifique lecture de Traviata à Paris), même si je garde intact le souvenir de la « Vie parisienne » que cette Grande Duchesse n’effacera sans doute pas(1) : qui lui proposera les Contes d’Hoffmann ou Orphée aux Enfers ?

Triomphe absolu, public ravi, pas une seul voix discordante : il y en eut à la Première, on pouvait s’en douter. Il faut aussi saluer l’imagination et l’ouverture de ce théâtre (salué par le mensuel Opernwelt comme le meilleur théâtre de langue allemande en 2009) qui propose depuis plusieurs années une programmation ouverte, des spectacles très contemporains et des mises en scène qui savent poser question : c’est Bâle, ville franchement ouverte sur l’art d’aujourd’hui, qui draine  un public venu d’Allemagne ou de France respirer un air d’opéra neuf, stimulant, ouvert, intelligent. Amis d’Alsace ou d’ailleurs, courez-y.

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(1)  Au théâtre, à la Volskbühne de Berlin une fois par saison (cette saison c’est déjà passé depuis novembre 2009) se joue l’un des spectacles les plus attachants et les plus accomplis, une fête de l’acteur, du théâtre et de l’émotion, Les légendes de la Forêt viennoise de Horvath. Si Avignon, qui va célébrer Marthaler, pouvait reprendre ce spectacle, l’un des plus beaux de la scène européenne des vingt dernières années ce serait une divine surprise.