LA SCALA APRÈS LISSNER: LES DÉBATS COMMENCENT…

C’était à prévoir, l’annonce du départ de Stéphane Lissner de la Scala a commencé à produire de l’agitation dans le Landerneau milanais. Articles de presse, polémiques dans les blogs lyriques, on jette quelques noms en pâture, et quelques uns jettent Lissner avec l’eau du bain.

Stéphane Lissner

Ils reprochent par exemple à Lissner d’avoir les dernières années plus pensé à sa carrière qu’à sa programmation. C’est un peu court, d’autant que Stéphane Lissner est arrivé à la Scala à carrière faite: c’était un pari vu l’état du théâtre à l’époque (grève, orchestre et choeur ayant voté pour le retrait de Riccardo Muti et de Carlo Fontana etc…), mais Lissner était déjà un personnage assis, reconnu et on parlait (déjà) de lui pour succéder à Gérard Mortier à l’Opéra de Paris….il succèdera en fait au successeur de Mortier, justement parce qu’il occupait la Scala. Je l’ai souvent écrit, Lissner est un manager d’une grande intelligence qui a un très gros réseaux d’artistes, au premier rang desquels Barenboim: il les a mobilisés, et cela a fonctionné.
Lissner a eu plusieurs mérites:
– redonner confiance aux masses artistiques du théâtre, très secouées par les dernières années Muti. Le théâtre sortait de 18 ans d’un règne qui a eu des mérites musicaux, certes, mais peu de mérites scéniques: peu de spectacles ont émergé de cette époque et les dernières années furent d’une médiocrité totale et plutôt routinière. Bref, et public et masses artistiques n’en pouvaient plus. C’est d’ailleurs amusant de lire que Carlo Fontana lui-même, le prédecesseur de Lissner, fait la leçon pour l’après Lissner!
– appeler des chefs  variés, et beaucoup de jeunes: Daniel Harding, Gustavo Dudamel, Robin Ticciati, Daniele Rustioni, Andrea Battistoni, Gianandrea Noseda pour les jeunes, John Eliot Gardiner, Daniele Gatti, Riccardo Chailly (qui avaient peu dirigé à la Scala), Fabio Luisi. Il a fait aussi revenir Zubin Mehta et bien sûr Daniel Barenboim.
– proposer des mises en scène plus actuelles en appelant des metteurs en scènes affichés partout sauf en Italie après une période (celle de Muti) où les spectacles étaient la plupart affligeants de conformisme: la tradition au pire sens du terme. Il a ainsi fait revenir Chéreau (Tristan und Isolde), mais aussi affiché Robert Carsen, Richard Jones, La Fura dels Baus, Claus Guth, Peter Mussbach, Peter Stein, Federico Tiezzi: tout n’a pas été une réussite, mais tout de même, on a vu à la Scala enfin des spectacles d’aujourd’hui, de valence européenne.
– enfin, grâce à Barenboim, il a reconstruit un répertoire wagnérien, et surtout proposé un Ring, dans une production bien distribuée, et bien dirigée  (malgré les critiques, souvent injustifiées) de l’un des metteurs en scène les plus recherchés aujourd’hui, Guy Cassiers, après le Ring (scéniquement) catastrophique de Riccardo Muti dans les années 90.
Quoi qu’on dise, c’est un vrai bilan.
Mais voilà, je le répète toujours, la Scala est le plus grand théâtre de province du monde: c’est le lieu où l’on retrouve souvent les mêmes têtes, c’est un public dont la majorité est dans un rayon de 2km autour du théâtre, c’est un public plutôt conservateur, et très peu cultivé en matière de spectacle vivant: que de découvertes en ces dernières années d’œuvres peu ou pas entendues à Milan, de metteurs en scènes inconnus, de chefs jamais venus. C’est que le paysage musical et théâtral de l’Italie est dévasté. Le berlusconisme est passé par là, bien sûr, qui se moquait éperdument de mener une politique pour le spectacle vivant, mais le gouvernement Monti avec ses restrictions budgétaires n’est pas beaucoup mieux. Les grandes troupes que l’ Europe s’arrache (Romeo Castellucci/Pippo Delbono) ont eu du mal à s’imposer en Italie, et il y a peu de metteurs en scène italiens exportables ou exportés qui ne soient pas octogénaires (Pier Luigi Pizzi, Franco Zeffirelli, Luca Ronconi), le seul jeune metteur en scène récent qu’on commence à s’arracher partout, c’est Damiano Michieletto, c’est quand même peu.
En appelant Barenboim comme directeur musical, il consacrait la Scala comme théâtre international tourné vers l’Europe du nord, car Barenboim est tout sauf un spécialiste de répertoire italien, et c’est là que le bât blesse. Car il y a un gros manque dans le bilan Lissner, c’est qu’il n’a pas vraiment réussi à faire de la Scala un fer de lance en matière de chant italien, ce qu’elle a toujours été traditionnellement (mais Muti et Fontana n’y ont pas réussi non plus!) : on a plus de chance d’y voir un beau Janacek ou un beau Britten qu’un grand Verdi. Et à ce que je sais le Rigoletto qui clôt cette saison, dirigé par Gustavo Dudamel dans la mise en scène plan plan de Gilbert Deflo a eu une première très houleuse il y a quelques jours.
Lissner a sans doute considéré que la priorité était ailleurs, outre qu’il n’y a pas suffisamment de chanteurs spécialistes du répertoire italien et surtout verdien pour pouvoir construire une saison italienne digne. D’autant que la presse conservatrice tire sur lui à boulets rouges (mais ne nous affolons pas, elle tirait aussi très violemment et souvent stupidement sur Paolo Grassi et Claudio Abbado) ou les “puristes” comme ceux du blog Il corriere della Grisi, font savoir bruyamment leur désaccord en huant régulièrement et ont une tendance fâcheuse à la critique universelle sans vraiment démontrer un sens de la nuance;  mais leurs remarques ne sont pas fausses, et leurs analyses sont bien ciblées et malheureusement souvent justifiées. Mais leur attitude agressive fait qu’il se diffuse aujourd’hui (comme au temps de Carlo Fontana d’ailleurs) l’idée que le public du Loggione (le poulailler) est un public inéduqué, hueur, au comportement sauvage, alors que s’il y a un public compétent à la Scala, il est aux première et seconde galeries. Et ce public, il faut le reconnaître, est tout de même frustré de l’absence d’une vraie politique en matière de répertoire et de chant italiens. Il est de bon ton à l’opéra, qui a toujours été un lieu de batailles, de jouer le consensus mou et d’accepter de bon gré la médiocrité: vu le prix des places on ne va pas mégoter! Le public du “Loggione” de la Scala est encore un public  qui n’accepte ni consensus mou, ni qu’on lui fasse prendre des vessies pour des lanternes, et c’est heureux. L’équilibre reste à trouver entre une programmation de théâtre international européen et théâtre emblématique du chant italien (débat qui n’est pas nouveau, déjà aux temps d’Abbado!): on ne compte plus les échecs de Lissner à ce niveau (Aida, Don Carlo par exemple) et les reprises finies dans les huées (comme Tosca l’an dernier). Le successeur devra sûrement mettre en place une vraie politique dynamique pour chercher et former des chanteurs qui sortent  le chant italien et notamment verdien de sa médiocrité actuelle. La Scala ne peut se reposer sur le marché russe ou slave pour défendre son répertoire. Et les grandes distributions de chant italien en Europe sont pour la plupart non italiennes (voir les Don Carlo avec Harteros, Kaufmann sur les scènes l’an prochain, voir le répertoire italien à Salzbourg). Il y a par exemple fort à parier que La Traviata qui ouvrira avec Diana Damrau la saison 2013-2014 finira dans le brouhaha. Je me demande comment les responsables de la Scala peuvent faire une telle erreur. Prenons date!

Carlo Fontana

Le départ de Lissner met en évidente difficulté ceux (la mairie de Milan, l’Etat, la Région, les partis…) qui vont devoir choisir un successeur. Jusqu’à Carlo Fontana, c’était l’apanage du parti socialiste, qui fourguait ses cadres. Lissner, venu d’ailleurs et premier manager étranger à la Scala (et l’un des premiers étrangers en Italie à diriger une grande institution) a changé la donne politique: aujourd’hui, on peut faire appel à un étranger, mais il faudrait alors un étranger qui connaisse bien la problématique spécifique de ce théâtre et qui accepte de s’y soumettre, car je ne vois personne actuellement qui ait, en Italie, les reins assez solides, et une connaissance suffisamment approfondie du marché international pour lui succéder. La médiocrité est telle (même à Rome, même à Florence, – Florence a souvent été l’antichambre de la Scala) que la tâche va être difficile.

Sergio Escobar

Parmi les noms qui circulent, il y a celui de Sergio Escobar, directeur du Piccolo Teatro, qui est milanais (un atout dans un monde aussi clochemerlesque), parce qu’il fut le directeur administratif de la Scala aux temps de Carlo-Maria Badini, un ex-socialiste, intelligent, mais sans aucun sens de l’artistique (on le voit dans la misère programmatique du Piccolo).

Le seul, qui pour moi pourrait au moins préparer une programmation digne, qui a une vision, une connaissance musicale approfondie, une connaissance du

Cesare Mazzonis

marché européen, un réseau et une grande intelligence, c’est Cesare Mazzonis, qui fut directeur artistique aux temps de Carlo Maria Badini (années 80!) , actuellement conseiller à l’orchestre de la RAI de Turin;  il a dépassé l’âge de la retraite, mais il pourrait être “conseiller spécial” auprès d’un surintendant lige. Et bien entendu je ne parle pas de l’autre question, très italienne, Surintendant/Directeur artistique, qui  multiplie le problème par deux car il n’y pas plus sur le marché italien de surintendants que de directeurs artistiques qui tiennent la route.
Stéphane Lissner avait exigé de cumuler les deux, alla francese.
Ainsi, en partant pour Paris avant le terme de son contrat en 2017 (il avait annoncé qu’il n’irait pas au-delà de 2015), il révèle un problème de succession qui est tout simplement l’indice de la grande misère des politiques culturelles publiques en Italie alors que la culture dans ce pays est un élément identitaire fort, et que l’opéra est l’art national: il ne faut jamais oublier que le symbole de la reconstruction du pays après la deuxième guerre mondiale fut la reconstruction de la Scala en peu de temps après les bombardements dont elle fut victime, et le concert de réouverture donné par Arturo Toscanini en 1946. La Scala est un théâtre étroitement lié à l’identité italienne. Les spectacles de Lissner ont été souvent une réussite qui risque d’être effacée par l’échec lourd sur le répertoire italien.  Bonne chance au successeur:  la Scala aujourd’hui est un vrai cadeau empoisonné.

LUCERNE FESTIVAL 2012: MESSA DA REQUIEM de G.VERDI, le 29 AOÛT 2012 ORCHESTRE ET CHOEUR DU TEATRO ALLA SCALA (dir.mus Daniel BARENBOIM) avec Jonas KAUFMANN, René PAPE, Anja HARTEROS, Elina GARANCA

©Priska Ketterer / Lucerne Festival

Le Requiem de Verdi est  la carte de visite de la Scala. Ses forces l’exécutent régulièrement, toujours en tournée, et à Milan le plus souvent à la Scala et quelquefois dans la Basilica di San Marco où il a été créé. Je l’ai par exemple entendu à Paris lors de l’échange Lulu (Opéra de Paris à la Scala) et Wozzeck (Scala à l’Opéra de Paris) en Mai 1979; c’était alors Claudio Abbado avec Margaret Price, Veriano Lucchetti (remplaçant Pavarotti, malade), Christa Ludwig, Nicolaï Ghiaurov au théâtre des Champs Elysées: les anciens du temps de Liebermann s’en souviennent sûrement. Le Requiem de Verdi par la Scala, c’est la garantie de jouer à guichets fermés, encore plus avec un quatuor vocal tel qu’il a été réuni ici. De fait, devant le KKL, le Palais de la culture et des congrès, beaucoup de monde cherchait des places. La Scala fait à cette occasion une mini tournée, elle  donne trois concerts, l’un à la Scala le 27 août,  l’autre à Lucerne le 29 août, le troisième évidemment à Salzbourg le 31 août.
Si Verdi ne fait pas vraiment partie de l’univers habituel de Daniel Barenboim, il faut reconnaître que son Requiem est plutôt réussi, du moins lors des deux exécutions précédentes que j’ai entendues. Ce soir, il est très attentif à chacun, son geste est très précis, voire excessif lorsque sa main vibre sous le visage des chanteurs, qu’il veut très proches de lui, sous sa main justement, au point qu’il recule le podium (et que Jonas Kaufmann se précipite pour l’aider sous les applaudissements du public attendri). Le début est surprenant: on a l’habitude d’entendre ce premier mot “Requiem” murmuré, alors que là, le chœur attaque en appuyant fortement sur le “Re” de requiem avec un effet particulier, surprenant. Barenboim va insister sur les contrastes, passant du fortissimo à un murmure des cordes, et propose une interprétation spectaculaire, avec un tempo assez rapide, mais sans véritable intériorité. Rien d’aérien ni de suspendu (sauf de rares fois, et toujours grâce aux chanteurs) dans cette approche, assez expressionniste et un peu froide, même si elle reste très impressionnante: évidemment, l’explosion du Dies Irae, avec ses trompettes disséminées dans les hauteurs de la salle, fait l’effet voulu, écrase et frappe: le chœur préparé par Bruno Casoni est  impeccable de volume, de clarté, de grandeur, son Sanctus est tout à fait exceptionnel . Nous sommes aux antipodes de l’ambiance “suspendue” créée par Abbado dans le Requiem de Mozart quelques semaines plus tôt: ce n’est pas la foi et l’élévation vers le Ciel (thème du festival) qui ici est valorisée, mais le côté “laïc”, si j’ose dire, de l’œuvre, c’est un Requiem fortement terrestre! Mais le travail de Barenboim avec l’orchestre est si attentif et si précis (on a rarement l’habitude de le voir attaché ainsi à chaque détail et à chaque expression) que cette interprétation est acceptable, même si on peut en préférer d’autres (j’en reste quant à moi à une soirée salzbourgeoise incroyable avec Karajan et à un Abbado phénoménal dans le Duomo de Parme, deux concerts de 1980).
Évidemment, tout le monde attendait le quatuor vocal qui n’a pas déçu, car d’abord, tous quatre sont de remarquables techniciens, qui savent contrôler leur voix, qui savent murmurer, qui produisent des sons célestes: l’attaque du Kyrie de Jonas Kaufmann est anthologique, avec une voix qui monte progressivement et s’élargit d’une manière linéaire et avec un volume toujours contrôlé: du grand art! Ce grand art, on le retrouve dans l’ingemisco dont on ne sait quoi admirer: le volume, le contrôle, la retenue de la voix, les variations de couleur, ou simplement la poésie et l’émotion qui vous traversent le corps et vous font battre le cœur. Kaufmann est le seul à savoir contrôler la voix jusqu’à un murmure, avec des mezze-voci qui vous tourneboulent. Il sait dominer les formes, mais il sait aussi exprimer les émotions à tirer les larmes (un absolvisti  suspendu, aérien, un souffle, dans l’Ingemisco: je n’en suis pas encore revenu! ). René Pape en revanche ne m’est pas apparu dans sa meilleure forme. Au début notamment, la voix habituellement si large et sonore ne sortait pas et restait assez sourde dans le mors stupebit. Le chanteur est évidemment exceptionnel et la technique reste confondante, mais le volume ne réussit que rarement à frapper l’auditeur, même si peu à peu cela va mieux: son lacrimosa est d’une intensité rare ainsi que son confutatis maledictis.
Dès le Kyrie, Anja Harteros est renversante, mais c’est dans le Libera me qu’elle m’a le plus ému. Cette figure anguleuse, enfermée dans son vêtement noir (avec des cheveux courts, elle ferait penser à Barbara!) est une figure de la tragédie, elle exprime l’effroi devant l’inconnu: comment chante-t-elle in die illa tremenda! avec quelle humanité elle prononce le premier “Libera me” si précipité. Quelle sûreté dans les aigus (ignem!), bref, elle est égale à elle même, fascinante.
Mais c’est peut-être Elina Garanca qui m’a le plus étonné: la voix me semble élargie par rapport aux dernières apparitions entendues. Élargie, charnue, d’une rare pureté, avec des graves absolument somptueux, profonds, sonores, et des aigus d’une grande sûreté. Le passage du grave à l’aigu est d’une rare homogénéité, et le duo mezzo/soprano du Recordare (quaerens me sedisti lassus…) est une pure merveille, à couper le souffle ainsi que son nil inultum remanebit du Dies Irae J’avais un peu de réserves naguère à son propos, je la trouvais un peu froide, elles se sont envolées: elle fut vraiment grandiose.
Le moment le plus extraordinaire dans lequel le quatuor s’est montré totalement  irremplaçable, c’est l’offertorium où Harteros (libera animas omnium fidelium defunctorum) et Kaufmann (Hostias et preces tibi sublime!)  notamment clouent l’auditeur sur place, mais où les quatre chanteurs alliés à un orchestre il faut bien le dire époustouflant de finesse magnifient ce  moment où la musique devient elle-même d’un tel lyrisme qu’elle s’envole de l’église pour devenir pur quatuor d’opéra: au lieu de monter au ciel, elle va directement inonder notre cœur.
Long silence final, puis longs applaudissements, standing ovation, émotion partagée. Que de superlatifs j’ai usés dans ce compte rendu, parce que on ne sait plus que louer: dans un océan de grandeur, on essaie de traduire les émotions, de comprendre aussi comment elles arrivent dans une interprétation  qui évite tout mysticisme et où globalement l’émotion de la foi laisse place à celle de l’art pur, et où le Créateur auquel on se confie, c’est bien Verdi, si bien servi ce soir .
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©Priska Ketterer / Lucerne Festival

SALZBURGER FESTSPIELE 2012: TAMERLANO DE G.F. HAENDEL LE 9 AOÛT 2012 (Version de concert) (Dir.Mus: Marc MINKOWSKI avec Placido DOMINGO)

Placido Domingo le 09/08/2012 ©Silvia Lelli

Je vais assez rarement au Festival de Salzbourg l’été, je vais plus régulièrement à Pâques. L’été, Salzbourg est livrée pieds et poings liés aux marchands du temple, Mozart en chocolat, en tee shirts, en cristal, en bonbons, Mozart en tout, et même en musique. En dehors des Mozart du Festival (cette année Zauberflöte avec Harnoncourt au Manège des rochers et Re Pastore en version de concert), des concerts apparaissent comme génération spontanée, de ci de là, avec des musiciens en costumes XVIIIème, sans compter les Mozart de rue, les acteurs statufiés devant sa maison natale etc…etc…
Contrairement à Bayreuth, où le Festival vit sa vie un peu en dehors de la vie citadine (et de plus, le Musée de Wahnfried est fermé, et encore pour quelques années, et l’Opéra des Markgraves va fermer pour au moins 4 ans), le Festival de Salzbourg est étroitement lié à la ville, et la puissante association des commerçants veille au grain.
Même si ce qu’on entend à Salzbourg est souvent exceptionnel, et impossible à entendre ailleurs (les Wiener Philharmoniker dans la fosse, les meilleurs orchestres, les plus grands chefs et chanteurs), cela reste pour moi un “produit” de luxe où il manque un peu d’âme.
Mon premier souvenir lorsque j’y vins en 1979  fut de voir les gens cherchant des billets pour l’Aida de Karajan, au lieu de produire un carton avec “Suche Karten” comme à Bayreuth, agiter en éventail des liasses de billets de 1000 Schillings devant les dizaines de Rolls qui déposaient les spectateurs au festival…
Aujourd’hui Audi sponsor du festival a remplacé les Rolls, j’ai compris depuis que Rolls ou Audi faisaient le tour du pâté de maisons à vide, pour faire croire à une abondance de véhicules qui n’est en réalité que mise en scène pour impressionner le bon peuple.
Salzbourg est une immense entreprise de spectacle, parfaitement organisée, huilée, avec aujourd’hui à sa tête Alexander Pereira, celui qui sait le mieux aligner artistes et sponsors, communiquer et aussi qui a su à Zurich s’attacher durant des années les meilleurs sponsors et les meilleurs artistes.
L’argent à Salzbourg n’est pas un problème, mais les années post-Mortier ont montré que gérer cette machine n’est pas si simple, vu la succession rapide des intendants (Peter Ruzicka, Jurgen Flimm…) qui n’ont pas réussi à tracer un sillon. Pereira, c’est le manager qu’il faut à Salzbourg, et on le voit dès cette première saison, où il affiche pour la première fois Puccini (La Bohème) dans un Festival où aucun opéra de Puccini n’a jamais été joué, avec Anna Netrebko et Piotr Beczala, dirigé par Daniele Gatti, mise en scène par la nouvelle star des scène italiennes, Damiano Michieletto. Le couple Netrebko/Beczala écume depuis plusieurs années les Bohèmes dans les bons théâtres, rien d’inattendu donc, mais tout le monde y court, impossible d’avoir une place, et tous ceux qui l’ont vue disent “remarquable”, un “spectacle qui comptera”,” grandiose”.
Pour ma part, j’ai voulu aller entendre encore et toujours Placido Domingo, affiché dans un opéra baroque en version de concert, Tamerlano, où il chante le sultan Bajazet. Je sais qu’il a abordé récemment ce répertoire, dans cette post-carrière tardive où il chante un peu ce qu’il veut, en fonction de ce qu’il peut et j’étais à la fois curieux et ravi d’entendre encore ce chanteur qui a accompagné toute ma vie de mélomane.
Bien m’en a pris, la soirée, Domingo ou non d’ailleurs, fut grande.

Je ne suis ni un amateur d’opéra baroque, ni un amateur de Minkowski. Mais il faut quelquefois ravaler ses opinions, pour admettre une performance exceptionnelle. Certes, je ne change pas vraiment mon goût pour l’opéra baroque, que je trouve être souvent plus une performance acrobatique, une succession d’airs assez répétitifs , même si souvent étourdissants. Il faut néanmoins reconnaître que Tamerlano présente aussi des moments dramatiques intéressants, surtout au troisième acte, où la succession d’airs et de récitatifs s’interrompt pour privilégier le récitatif accompagnato (presque un mélodrame) ou le récitatif pur, comme si le théâtre prenait la main sur la performance vocale: la longue scène finale, où Bajazet meurt dans un long murmure vocal accompagné par un long murmure orchestral, avec un Domingo encore bouleversant de présence, est une scène d’anthologie, ainsi que le surprenant ensemble final où quatre protagonistes sur cinq encore vivants chantent la clémence de Tamerlan, tandis que Asteria, la cinquième n’apparaît pas, comme effacée par la mort de son père Bajazet.
Autre attrait, la présence de deux contreténors, les deux amoureux d’Asteria, la fille du sultan Bajazet, Tamerlano, le conquérant mal aimé et mal aimant, et Andronico, l’ami de Tamerlan, amoureux d’Asteria, se croyant mal aimé d’une Asteria qui feint d’accepter l’amour de Tamerlan pour mieux l’assassiner ensuite (la parabole de Judith et Holopherne…), et chantant continuellement son désespoir.
Quand Minkowski dirige son orchestre, il en résulte une performance de haute qualité et de haute tenue, il obtient d’ailleurs un triomphe mérité, l’orchestre est magnifique de ductilité, les bois et cuivres sont somptueux, notamment lorsqu’ils jouent en solistes et sont mis en valeur par le chant, les récitatifs sont accompagnés au clavecin souvent avec humour (une touche de “marche nuptiale” de Mendelssohn bien incongrue et souriante à la fin!) par Francesco Corti, remarquable. Minkowski conduit avec beaucoup d’énergie comme toujours, mais aussi avec subtilité, en modulant le son, en donnant à chaque moment sa couleur, son volume, son épaisseur propres. Du grand travail, un magnifique résultat.
Si je venais en bon fan pour Placido Domingo, je repars ravi par le Festival de beau chant auquel nous avons eu droit à tous niveaux. Deux contreténors, d’une couleur et d’un timbre très différents. Le premier, Bejun Mehta, entendu il y a quelques semaines à Aix dans Written on skin, timbre clair, acrobate pyrotechnique de la vocalise, corps tout au service du chant, gesticulant, prenant ses élans, connaissant son rôle sans partition, qui compose un personnage certes conquérant mais faible devant l’amour: moins d’airs que l’autre contreténor, mais tous ahurissants de vélocité, de technicité. Une immense performance saluée par un très grand triomphe de public.
Le second, l’argentin Franco Fagioli, timble moins éclatant, plus sombre, voix plus petite aussi,  qui joue d’une alternance graves (avec une voix “normale” et aigus avec la voix du contreténor) d’une rare intensité. C’est qui a les airs les plus nombreux, souvent acrobatiques,  avec des variations de couleur étonnantes. Très grande performance également.
Face à eux, Placido Domingo dans le premier rôle écrit pour ténor de l’histoire de l’opéra je crois, qui affiche certes une voix au timbre un peu vieilli dans les parties centrales, qui cherche loin son grave un peu détimbré, mais qui, dès qu’il y a des agilités ou des aigus, retrouve son timbre de toujours et sa couleur intacte. On reste stupéfait de la maîtrise technique, de la perfection des agilités, de l’interprétation, et de la diction. Le personnage est là, remplissant la scène, et la scène finale à la fois dite et chantée, murmurée avec un sublime accompagnement orchestral, est un moment d’anthologie qui fait penser aux grandes morts chantées par Domingo, Otello ou Boccanegra et qui sait diffuser une émotion intense. Grandiose.
Face à ces trois grands, la jeune soprano Julia Lezhneva, 22 ans, chante Asteria de manière, il faut  bien le dire, totalement époustouflante: elle a tout d’une grande, technique, maturité, modulation. La qualité de la voix, le timbre, la maîtrise de la couleur, tout, vraiment tout y est. Chacune de ses apparitions est un pur bonheur. Ah! quelle Fiordiligi elle doit être!! En voilà une qui pouvait faire le soprano du Requiem de Mozart à Lucerne, à la place de  l’acide Prohaska. Si le marché et les agents ne la ruinent pas, elle pourrait bien être le soprano mozartien des prochaines années: en tous cas, ne la manquez surtout pas. Triomphe évidemment!
Face à elle l’Irene de la jeune française Marianne Crebassa, une belle voix de mezzo, aux graves sompteux, à la technique bien dominée, très énergique, très intense, qui promet de grands succès tant sa prise sur le public est forte par une présence hors du commun. Une future Charlotte peut-être, et en tout cas une future grande…
Enfin,  last but not least, dans le rôle secondaire de Leone, le baryton-basse Michael Volle, (le Mandryka d’Arabella à Paris, le Sachs de Meistersinger à Zürich, le merveilleux Wolfram de Tannhäuser à Zürich encore) venu à Salzbourg appelé par Pereira dont il a fait les beaux soirs zurichois, et l’un des barytons vedette des scènes germaniques, complète à la perfection la distribution, en apportant sa touche de (baryton)basse noble, et cette couleur incomparable dans les ensembles.
On l’aura compris, ce Tamerlano (long de 3h45 quand même) valait bien les onze heures de route aller/retour Lucerne Salzbourg et j’en suis revenu émerveillé par la qualité du chant entendu et ébloui par l’ensemble de la performance. Au-delà du formalisme inhérent au genre, car c’est bien d’abord un festival formel auquel l’opéra baroque invite le public, des formes pyrotechniques impressionnantes qui laissent évidemment imaginer ce que devaient être les représentations d’alors: on écoutait les airs et on faisait autre chose entre les airs. Mais avec un Domingo habitué des scènes, et maître de l’interprétation sensible (ceux qui l’ont entendu dans ses grandes années savent ce que je veux dire), et un opéra qui tranche avec les formes traditionnelles en son troisième acte, on a vraiment droit à un mélange entre forme et fond qui produit une soirée merveilleuse, et qui fait aussi mentir les Cassandre qui en 1976 promettaient à Domingo, tout jeune Otello encore, une fin de carrière dans les trois ans.
Ce ne fut ce soir que du bonheur.
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BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: L’AFFAIRE EVGUENYI NIKITIN (DER FLIEGENDE HOLLÄNDER)

Evguenyi Nikitin

Evguenyi Nikitin, qui devait chanter Der Holländer dans la nouvelle production de Der Fliegende Holländer dirigée par Christian Thielemann et mise en scène par Jan-Philipp Gloger s’est retiré du Festival de Bayreuth.
Le journal Bild am Sonntag a révélé que Nikitin avait des tatouages nazis sur le corps, la magazine Der Spiegel a confirmé. Ces tatouages remontent à l’époque où Nikitin appartenait à un groupe Heavy Metal ou Gothique (je ne sais pas trop faire la différence), une faute de jeunesse qu’il regrette amèrement, a-t-il déclaré.
Après une entrevue avec la direction du Festival, il a décidé de se retirer. La direction du Festival, très sensible à tout ce qui peut évoquer le passé auquel le Festival de Bayreuth a été lié pendant les années noires du nazisme en Allemagne et fermement décidée à ne jamais laisser entrer le ver dans le fruit (voir la mise en scène très critique des Meistersinger von Nürnberg de Katharina Wagner) ne transigera jamais sur ces questions.
La situation pour l’administration du festival est délicate, à trois jours de l’ouverture du festival et de la Première de la nouvelle production. Elle a demandé à Samuel Youn, très bon chanteur découvert dans la production de Lohengrin mis en scène par Hans Neuenfels où il chante Der Heerrufer des Königs (le héraut) de reprendre le rôle au pied levé.
Je ne suis pas loin de penser que cette malheureuse affaire, révélée par la presse, ne soit une manière de déstabiliser la direction bicéphale du Festival, qui a beaucoup d’adversaires en Allemagne. Au-delà du lamentable cas de Nikitin, beaucoup considèrent que les deux soeurs Wagner n’ont pas le poids suffisant pour assumer la direction du Festival de Bayreuth. Je pense qu’on va avoir de nombreux débats pendant la préparation de Bayreuth 2013, prenant prétexte de la production du Ring par Frank Castorf, et peut-être quelques polémiques bien ciblées, dont celle-ci est un prélude.
Il reste que le départ de Nikitin était, politiquement, une obligation. Enfin, beaucoup de bruits courent sur les opinions politiques de Christian Thielemann (voir la polémique sur son programme Strauss avec les Berliner Philharmoniker en Mai 2011), et lui est fermement ancré à Bayreuth. Il a d’ailleurs fortement condamné le chanteur, tandis que l’Opéra de Munich critique une décision précipitée…A qui profite le crime?

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Samuel Youn en Héraut dans la production de Lohengrin de Hans Neuenfels

XLII CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE 2012 (2): JOURNAL DE BORD – 27 JUIN 2012

Nous sommes à la moitié de chemin. Trois journées d’ éliminatoires sont déjà passées. Pendant les premières éliminatoires, les candidats présentent un air de leur choix. Pour les secondes éliminatoires, les candidats présentent un air au choix du jury, et/ou un air de l’opéra au concours. Cette année, tous les candidats ont présenté l’air de l’opéra au programme en plus de l’air choisi par le jury.
Sans préjuger des rôles de l’opéra, le passage de la première à la deuxième éliminatoire exprime le désir du jury de réentendre les candidats qui paraissent avoir les capacités techniques et interprétatives de continuer le concours. Au bout de ces trois jours, l’élimination signifie le plus souvent que les voix ne sont pas adaptées, vocalement, stylistiquement à l’opéra au programme ou qu’elles ont encore besoin de maturation.
Nous avons entendu des voix au timbre intéressant, riches de potentialités, mais pas forcément prêtes, ou pas forcément adaptées, surtout dans le cas de candidats très jeunes. A la fin des épreuves, les candidats peuvent rencontrer le jury qui donne des conseils, explique les motivations de l’élimination et encourage les déçus.
Nous avons entendu aussi des voix très intéressantes, qui méritent de continuer et qui sans doute sont à l’orée d’une carrière. C’est toujours encourageant de constater que les voix existent, et que l’avenir est assuré. Il y a vraiment dans les basses, et les sopranos des figures d’avenir, mais aussi chez les ténors, notamment les ténors de type rossinien ou mozartien, c’est à dire des voix plus légères, et plus ductiles.
Ce soir nous sommes plutôt optimistes, sur les 62 candidats inscrits (dont quelques absents), il en reste une vingtaine en lice pour la demi-finale. C’est encourageant.

à suivre

XLII CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE 2012 (1): JOURNAL DE BORD – 24 JUIN 2012

Teatro Mario del Monaco di Treviso où se déroulent les épreuves

Invité cette année au jury du concours international de chant Toti dal Monte de Trévise, en Italie (Trévise est située à une trentaine de kilomètres de Venise dans l’arrière pays, vers les Dolomites), je me propose d’alimenter le blog en essayant de décrire ce qui se passe, sans bien sûr trahir le secret des délibérations, en un journal de bord aussi complet que possible.
Le concours international de chant Toti dal Monte en est à sa 42ème édition, depuis sa fondation en 1969 par la soprano Toti dal Monte, native d’un village (Mogliano Veneto) à la périphérie de Trévise. Toti dal Monte, l’une des plus mythiques Butterfly du XXème siècle a fondé un concours dont le prix est un rôle dans une production du théâtre de Trévise, qui est mise au programma du concours. Ainsi, depuis les secondes éliminatoires, les jeunes chanteurs chantent un extrait de l’œuvre au programme, et à la finale, le jury construit la distribution à partir des finalistes. Si un rôle ne trouve pas son finaliste, le théâtre va “sur le marché” trouver un professionnel.
De très nombreux et célèbres chanteurs ont débuté leur carrière au “Toti dal Monte”, Ghena Dimitrova, Alessandro Corbelli, Mariella Devia, Ferruccio Furlanetto, Ildebrando d’Arcangelo, Lorenzo Regazzo, quelques français, Yann Beuron, Sophie Pondjiclis. D’autres y ont participé sans remporter le rôle, c’est le cas de Patrizia Ciofi en 1993 pour “La Sonnambula”. Au jury ont longtemps siégé Magda Olivero, Leyla Gencer, Regina Resnik. Pendant les années 80 et 90, Regina Resnik et le chef d’orchestre Peter Maag ont fondé “La Bottega” qui était un atelier de préparation au spectacle, qui accueillait jeunes chanteurs et jeunes musiciens, mais aussi jeunes techniciens pour préparer sous l’autorité des maîtres l’ensemble du spectacle. La Bottega a fermé ses portes à la mort de Peter Maag, mais Regina Resnik a continué à être au jury jusqu’à récemment.
Cette année, l’œuvre au programme est Il matrimonio segreto de Cimarosa; l’an dernier c’était Madama Butterfly.
Le jury est composé de Gianfranco Gagliardi (Italie), Administrateur unique de Teatri e Umanesimo Latino SpA, émanation de la Fondation Cassamarca, une fondation bancaire qui gère le Théâtre de Trévise, Gabriele Gandini (Italie), Directeur artistique de Teatri e Umanesimo Latino SpA, José Antonio Montaño (Espagne), chef d’orchestre, qui dirigera la production, Renate Kupfer (Allemagne), consultante et responsable de casting vocal, Evguenia Dundekova (Bulgarie), chanteuse et enseignante de chant, Daniel Bizeray (France), directeur artistique de la section vocale de la Fondation Royaumont, Stefano Romani (Italie) , Directeur artistique Teatro Sociale di Rovigo, Gianni Tangucci (Italie), Directeur Artistique de la Fondazione  Pergolesi Spontini (Jesi), Président du jury, et votre serviteur.
Le concours se déroule en deux séries d’éliminatoires, une demi-finale, une finale. La première série d’éliminatoires se déroule lundi 25 et mardi 26 et permet d’entendre l’ensemble des candidats et candidates, au nombre de 62 cette année pour la distribution de six rôles (deux sopranos, deux basses, un ténor, une mezzo soprano): ils chanteront un air à leur choix. Pour la seconde série d’éliminatoires, les candidats chanteront un air au choix de la commission qui peut être un extrait de l’opéra au concours ou non.
A la demi-finale, les candidats chanteront un air au choix de la commission parmi les airs présentés, des airs ou des ensembles  de l’opéra.
Lors de la finale, une ou plusieurs distributions seront formées pour exécuter l’intégralité de l’opéra ou de larges extraits. Les vainqueurs formeront la distribution de l’opéra qui sera exécutée la saison 2012-2013 dans les théâtres de Trévise, Rovigo et Ferrare.

(à suivre)

 

 

DISQUES CD & DVD: MES ENREGISTREMENTS PRÉFÉRÉS/ AIMER ERNANI, de Giuseppe VERDI et faire le point.

Ernani. Voilà un opéra relativement rare sur les scènes, encore que le MET l’ait programmé cette année avec Angela Meade. Très rare à Paris en tous cas, alors que le livret est calqué sur la pièce de Victor Hugo. Je n’ai pas souvenir d’un Ernani à l’Opéra de Paris, en tous cas pas dans les 50 dernières années. J’en ai vu qu’un seul, à la Scala, dirigé par Riccardo Muti dans la distribution A (Domingo Freni Bruson Ghiaurov) et la distribution B (Millo, Surjan, Bartolini, Salvadori) dirigée elle par Edoardo Müller, dans la mise en scène contestée de Luca Ronconi.
Créé à la Fenice de Venise en 1844, il eut un succès immédiat et fut très vite repris dans les opéras du monde. Classé dans les opéras de jeunesse, de deux ans postérieur à Nabucco, il en a les difficultés vocales, notamment pour le rôle d’Elvira, qui est un rôle exigeant agilité et puissance, et dont on n’a pas vraiment de titulaires aujourd’hui. A la Scala, c’est le seul rôle pour lequel Freni fut critiquée (mais elle fut aussi critiquée pour son Aïda avec Karajan à Salzbourg) et à entendre le disque et surtout au souvenir de la représentation, il semble qu’elle s’en sorte avec les honneurs. Je me suis donc fait une écoute confrontée entre trois enregistrements très différents :
Maggio Musicale Fiorentino de 1957 (Dimitri Mitropoulos, avec Anita Cerquetti, Mario del Monaco, Ettore Bastianini, Boris Christof

– Scala 1982 (Riccardo Muti, Mirella Freni, Placido Domingo, Renato Bruson, Nicolai Ghiaurov)
-MET 1962 (Thomas Schippers, Leontyne Price, Carlo Bergonzi, Cornell MacNeil, Giorgio Tozzi)

Je n’ai pas écouté les enregistrement alternatifs, même si je connais bien celui de RCA, peut-être mieux chanté encore par Leontyne Price, car elle y a un meilleur phrasé (enregistré à Rome, elle a peut-être bénéficié de répétiteurs locaux )

La version ci-dessous est sensiblement équivalente à l’autre version du MET, mais outre que je préfère Bergonzi à Corelli, baryton (Mario Sereni) et basse (Cesare Siepi) diffèrent

ErnaniCorelli

 

(NB)J’aimerais attirer l’attention sur la collection du MET, éditée chez Sony, qui présente quelques unes des grandes représentations dans les années 50-60, dans des distributions fabuleuses, même si les chefs sont quelquefois moins connus (Ex. une Walkyrie avec Nilsson, Rysanek, Ludwig, Vickers, Stewart) et à des prix très raisonnables.

Mais revenons à Ernani.
On remarque que dans les trois cas, les distributions sont d’un très haut niveau. Ce type d’opéra ne peut justement passer que dans ces conditions-là. Une remarque à ce propos, un DVD du MET affiche Pavarotti avec l’Elvira de Leona Mitchell. Leona Mitchell est une belle chanteuse, avec un registre central puissant,  mais qui ne peut rivaliser dans Elvira avec les autres têtes d’affiche dont il est question ici.

 

MI0001036564L’enregistrement de 1957 a un avantage certain, c’est qu’il affiche Dimitri Mitropoulos, un de ces chefs rigoureux, imaginatif, novateur, remarquables d’honnêteté et de modestie, et surtout excellent chef d’opéra dans Mozart, dans Verdi, et excellent chef symphonique par exemple dans Mahler (il est mort en répétant à la Scala la 3ème symphonie de Mahler). Il fut présent au MET dans les années 1950, en permanence: Rudolf Bing lui rend un hommage vibrant dans son livre “5000 nuits à l’Opéra”. Ce fut une chance pour le théâtre d’avoir sous la main un chef de cette envergure qui faisait l’ordinaire du théâtre et garantissait un extraordinaire niveau musical. Il sait à la fois alléger, donner une extraordinaire dynamique, accompagner, il a un sens dramatique aigu, souvent électrisant, suit à merveille les chanteurs; et et il dirige une équipe de rêve de l’époque, Mario del Monaco, aux moyens insolents, (ah! son aigu final de l’air initial “Mercè diletti amici”) mais toujours pour mon goût en équilibre instable pour la justesse, Bastianini d’une solidité à toute épreuve, et Christoff qui comme d’habitude, n’arrive pas à me convaincre autant qu’un Ghiaurov (avec Muti) ou même que Giorgio Tozzi (avec Schippers). Anita Cerquetti qui chante un peu à l’ancienne,  mais dans l’aria “Ernani Ernani involami” elle fait toutes les notes et même plus, avec cadences et c’est sublime, même si la cabalette “M’è dolce il voto ingenuo” semble la gêner un peu (ralentissement du tempo).
716sAAcunMLL’enregistrement de 1962 a un avantage, qui s’appelle Leontyne Price, au faîte de sa puissance et de ses moyens et un autre nommé Carlo Bergonzi c’est à dire ce qu’il y a à peu près de mieux dans Verdi. Quant à Thomas Schippers, emporté par un cancer du poumon à 47 ans en 1977, c”est un chef à qui l’on doit de grands enregistrements (Carmen avec Regina Resnik,  Ernani avec Leontyne Price chez RCA etc…) qui a collaboré avec Leonard Bernstein et qui fut très lié à Gian Carlo Menotti dont il a créé plusieurs œuvres. Sa présence au MET dans les années soixante nous vaut entre autres cet Ernani et des Meistersinger (toujours chez Sony). Il a 29 ans lorsqu’il monte sur le podium pour diriger Ernani, il le fait de manière énergique,  impose un tempo rapide, un halètement typiquement verdien et cela électrise le public. Quant à Carlo Bergonzi, il est fait pour Verdi: il a la largeur vocale, la solidité, les aigus, l’homogénéité. Malgré les coupures, traditionnelles au MET, malgré l’absence de reprises, cet enregistrement a la vigueur de la scène, avec une Leontyne Price extraordinaire de facilité, elle a le volume, les aigus déconcertants,  la dynamique, le contrôle sur la voix, la technique: la chanteuse née pour Verdi, et douée d’un timbre exceptionnel, même si en matière de phrasé il y a mieux : sur scène au MET, Leontyne Price est souvent difficilement compréhensible (comme je l’ai écrit plus haut, dans son Ernani chez RCA, fait en Italie, c’est meilleur de ce point de vue)

81LgY6ryTmLEnfin, l’enregistrement de Muti est bien évidemment meilleur du point de vue du son. Il est repris des représentations de la Scala de décembre 1982. C’était la deuxième apparition de Muti au pupitre de la Scala (sa première fut “Le nozze di Figaro”, dans la production de Strehler adaptée à la Scala, celle qu’on voit aujourd’hui à Bastille) et la première dans Verdi, brevet nécessaire pour accéder au poste de directeur musical (qu’il prendra en 1986). A l’époque, Muti était auréolé de ses Verdi électriques, explosifs, prodigieux de vitalité réalisés à Florence: les temps changèrent à la Scala, quand, au lieu de diriger Verdi , il se mit à le penser. Et ce fut d’un ennui mortel.  Mais cet Ernani avait bien le parfum des Verdi florentins,  même si ce fut un demi-succès notamment à cause de l’échec total de la mise en scène de Luca Ronconi, qui eut des conséquences sur la dynamique et les mouvements des chanteurs.

Mais musicalement, quel chef d’oeuvre! Pourquoi? D’abord parce que Muti, qui était alors réputé pour être d’une rigueur extrême sur les dérives de la tradition, refusant par exemple dans Trovatore l’Ut final de “Di quella pira”, propose une version qu’on peut dire presque définitive. Dans Ernani, pas d’ornementations, une grande rigueur mais un rythme explosif dès le départ (Choeur “Evviva beviam beviam”), comme souvent chez lui à cette époque (voir sa Traviata avec Scotto et Kraus) . Freni dans Elvira se place sans doute en retrait par rapport à Cerquetti, pour les ornementations, et à Price, dont elle n’a pas la puissance ni le volume. Mais elle a le sens dramatique, l’énergie, et le style, et surtout, elle est le personnage. Elvira, c’est un condensé de toutes les difficultés, volume d’Aida, agilités d’Odabella (Attila), lyrisme d’Amelia (Boccanegra). A l’époque, Freni chantait Elisabetta de Don Carlo, Aida à Salzbourg, elle chantait encore évidemment Amelia du Simon Boccanegra. Elle avait le volume, la rondeur vocale, le dramatisme dans la couleur. Au disque, elle apparaît  une Elvira très séduisante, très lyrique. Je ne suis peut-être pas objectif , mais je le revendique: je ne critiquerai jamais  Mirella Freni qui m’a tant et tant donné sur scène mais en l’occurrence je pense être juste. Les autres protagonistes, Renato Bruson, à la voix de velours, impeccable de style et Nicolaï Ghiaurov, toujours impressionnant et prodigieux de présence dans un rôle pas si difficile pour une basse, sont à mon avis supérieurs à leurs prédécesseurs; quant à Domingo, s’il n’a plus tout à fait les aigus, il a la chaleur, le timbre, la rondeur, l’engagement, l’humanité. Dans l’ensemble, à cause de Muti, et à cause de l’homogénéité du cast, cet enregistrement, qui a pour moi le parfum du souvenir (et ça compte), reste le plus complet et le meilleur du marché.
Certes, les autres ne sont pas négligeables, loin de là, et ils sont aussi accessibles à un prix très compétitif . Alors, vous ne voulez pas acquérir Muti, offrez-vous d’un coup Mitropoulos et Schippers (un des trois). Mais surtout, surtout, écoutez Ernani, un des plus beaux opéras de Verdi, trop peu connu en France, et qui mériterait une grande production (avec…Harteros par exemple).
Les enregistrements réalisés depuis Muti ne présentent pas d’intérêt, sauf le DVD du MET avec Luciano Pavarotti (aux aigus difficiles) qui bénéficie du Verdi massif, symphonique, énergique de James Levine, l’Elvira très correcte de Leona Mitchell (mais qui à mon avis n’arrive pas à égaler les autres), Sherill Milnes, toujours froid, n’a pas l’élégance stylistique d’un Bruson, et a perdu les aigus, un peu opaques, un Raimondi qui chante Silva comme Scarpia, et donc est bien loin de la profondeur de Ghiaurov.
Mais surtout évitez Bonynge Pavarotti Sutherland, complètement hors jeu.[wpsr_facebook]

Mirella Freni dans Ernani (Scala 1982)
Mirella Freni dans Ernani (Scala 1982)

 

 

 

 

CONCERT À CARNEGIE HALL NEW YORK: Matthias GOERNE & Leif Ove ANDSNES (Lieder de MAHLER & CHOSTAKOVITCH) le 1er mai 2012

J’aime Carnegie Hall. Vieux bâtiment, riche d’histoire (120 ans) couvert de photos dédicacées de vieilles gloires connues ou inconnues (Magda Olivero, Jan Peerce, Josef Hoffmann ou d’autres). La salle possède une acoustique merveilleuse, où que vous soyez, mais y accéder, notamment aux places de Balcony, tout en haut, est d’une incommodité rare. Deux petits ascenseurs de chaque côté ou bien de longs escaliers aux marches très hautes et raides, peu adaptés au public du troisième ou quatrième âge. Puis, après l’ascenseur (Dress Circle) encore une volée d’escaliers pour arriver finalement en haut de la salle, vue plongeante impressionnante comme sur la photo avec l’ouvreuse qui vous dit de  bien faire attention aux marches, raides, hautes, difficiles en montée comme en descente. Vertige assuré. A part cela moquette rouges, uniformes rouges très chics du personnel. Un lieu un peu à part, en tout cas et lorsque vous sortez après un concert aussi retenu, recueilli, sensible comme celui dont je rends compte, vous tombez dans l’agitation de la 7th Avenue, avec les lumières de Times Square tout au fond, et sous vos yeux un vendeur de quatre saisons avec le public qui se précipite pour acheter deux ou trois fruits: le choc est total.
Ce fut un concert mémorable au programme à la fois surprenant et cohérent fait de choix de Lieder de Mahler extraits du Knaben Wunderhorn, des Rückert Lieder, et des Kindertotenlieder et de Lieder de Chostakovitch tardifs extraits de la Michelangelo Suite (op.145), composée à partir de poèmes de Michel Ange. Les textes se mélangent, se succèdent presque sans interruption, comme s’ils appartenaient à un même ensemble, comme en tous cas les deux artistes veulent les présenter en un tout cohérent. Ils ont préféré, plutôt que de donner les œuvres séparément, les unir en les liant par les thématiques, l’enfance et la fin de vie, la guerre, la mort (qui est le thème essentiel de la soirée), d’autant que Chostakovitch aimait Mahler et a souvent adopté ses techniques d’expression.
Ce programme déjà donné l’an dernier à Salzbourg, sera aussi donné à l’Opéra de Vienne le 30 mai…Si vous êtes par là….Et ne manquez pas Goerne dans le Schwanengesang avec Eschenbach à Paris Salle Pleyel le 11 mai prochain.
Dès le début, “ich atmet’ einen linden Duft” avec son jeu de mot sur le double sens de “linden”(délicat/Tilleul), pose l’ambiance et dessine un paysage d’une délicatesse infinie, le toucher très léger de Andsnes, la voix à la fois chaude et large de Goerne, avec sa facilité à l’aigu (presque donné en falsetto), montre à la fois la technique mais surtout un miracle de diction et d’expression. Ces Lieder de Mahler, qu’on entend souvent avec orchestre (Urlicht par exemple, qu’on retrouve dans la Symphonie Résurrection, chanté par une voix féminine) dessinent une ambiance complètement différente en récital avec piano. Ils diffusent une émotion plus intense, plus intime. L’immense salle de Carnegie Hall devient un extraordinaire lieu de l’intimité partagée: Urlicht, justement, qui clôt la première partie, a des allures de paradis (Mahler disait que ce devait être chanté comme par un enfant qui pense être au ciel). Et Goerne en donne une interprétation à la fois émerveillée et recueillie qui impose un silence final très impressionnant. Même remarque pour les choix de deuxième partie, avec le sommet constitué par “Ich bin der Welt abhanden gekommen”, qui impose une impression de temps suspendu et de mort heureuse. On sait que Mahler le composa à Maiernigg en Carinthie et qu’il exprimait une grande satisfaction de créer dans ces conditions. Goerne et Andsnes réussissent à exprimer cette satisfaction, cette expression d’une sorte de mort  douce avec une telle sensibilité et diffusant une telle émotion que les larmes viennent aux yeux. “Es sungen drei Engel” qu’on entend plus souvent dans la troisième symphonie (avec choeur de femmes et choeur d’enfants), donne aussi cette impression de légèreté, et de joie, avec une économie de moyens impressionnante. Quant aux chants de guerre (“Wo die schönen Trompeten blasen”, “Revelge”, “der Tambourgs’sell”) qui réussissent à exprimer à la foi l’angoisse, la nostalgie, la douleur, et l’attente de la fin, ils gardent cet aspect populaire et presque enfantin qui ne leur donne que plus de force. Goerne réussit ce prodige de chanter presque comme un enfant.
Les mélodies de Chostakovitch ont été publiées en 1974. Ce sont les “Seven sonnets of Michelangelo” présentés en 1967 par Peter Piers et Benjamin Britten qui ont donné l’idée à Chostakovitch de composer son op.145. Il faut lire les sonnets de Michel Ange, bouleversants sonnets d’amour et sonnets amers sur la situation politique de Florence et la corruption ambiante: Chostakovitch compose 11 mélodies regroupées par thèmes commun, amour, qu’il va orchestrer en 1975. Les thèmes en sont le lyrisme et l’amour, la corruption, la mort et l’immortalité (dans l’épilogue), dans l’ordre: 1 Vérité 2 Matin 3 Amour 4 Séparation 5 Colère 6 Dante 7 Pour l’exil 8 Créativité 9 Nuit
10 Mort 11 L’immortalité. le programme de la soirée en inclut 6, Matin, Séparation, Dante, Nuit, Immortalité, Mort. Ce programme propose des mélodies de chaque partie : Matin et Séparation font écho au cycle d’amour et de lyrisme. Dante fait écho à l’exil forcé de Dante et au sort fait aux artistes, comme claire allusion à la situation de l’art dans l’URSS d’alors.

La Notte, Michel Ange, Sagrestia nuova, Basilique de San Lorenzo

Nuit se réfère à la statue éponyme de la sacristie de la basilique de San Lorenzo, avec un magnifique solo de piano et un texte qui oppose le calme de la nuit et un monde fait de honte et de crime, c’est pour moi l’un des plus beaux de la série.
Les deux artistes ont placé “Immortalité” avant “Mort” et préfèrent donc exprimer avant l’idée de mort celle de la complète liberté de l’immortalité, placée juste après “Ich bin der Welt abhanden gekommen”, le poème de la mort douce, et le poème “Mort”, plus dramatique, côtoyant “Der Tambourgs’Sell”, qui évoque un Tambour probablement condamné à mort.

On ne sait que privilégier dans ce concert, l’intelligence de la composition du programme, la variété des couleurs de la voix de Goerne, qui est à la fois joyeuse et mélancolique, qui n’exagère jamais les contrastes avec un volume égal, même si on sent la puissance de la voix quelquefois subitement remplir l’immense vaisseau. Un contrôle qui permet à la fois des notes filées, des aigus en falsetto, des graves impressionnants, et en même temps une impression de suavité et de douceur qui prend aux tripes. En cela on sent parfaitement l’entreprise construite en commun.

Leif Ove Andsnes ©Felix Broede

Andsnes est lui aussi d’une très grande légèreté et d’une très grande douceur, avec un son souvent ouaté et délicat, mais aussi- notamment dans Chostakovitch ou dans les chants militaires de Mahler- réussit à exprimer ce mélange de rudesse, et de douceur, et à évoquer en même temps l’enfance. C’est vraiment un travail exceptionnel.
On comprend que, grand lecteur des sonnets de Michel-Ange et adorateur de Mahler, j’ai pu être séduit puis complètement pris par un programme très original, passionnant, qui ne distille jamais l’ennui, ou la lassitude, mais l’envie d’en entendre plus, de demeurer dans cette atmosphère si particulière où la mort est douce et la vie amère.

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Photo by John A. Lacko courtesy of the Gilmore Keyboard Festival.

IN MEMORIAM VERIANO LUCHETTI (1939-2012)

Un autre chanteur de mes années de jeunesse vient de disparaître , le ténor Veriano Luchetti, sans doute peu connu des jeunes générations. C’était un  artistes qui assurait une représentation, toujours avec un succès égal, jamais pris en défaut, et avec une honnêteté et une modestie notable. A d’autres époques, le manque de ténors de bon niveau lui eût assuré une carrière plus spectaculaire. Il était considéré souvent comme un bon ténor de série A, mais pas une star à l’égal des stars d’alors qui avaient nom Pavarotti, Carreras, Domingo, Vickers.
C’était une voix claire, qui n’avait pas un timbre exceptionnel, mais une technique telle, un tel contrôle, un art des notes filées et des mezze-voci, des aigus si assurés, qu’il avait toujours un grand succès à la représentation. A Paris, il a interprété Don Carlo en 1975 (en alternance avec Giuseppe Giacomini) Gabriele Adorno dans Simon Boccanegra (Avec Abbado) et c’était magnifique, il a aussi interprété Alvaro de la Forza del Destino et Gaston de Jerusalem en 1984: il était considéré comme une grande voix pour Verdi , alors qu’à l’audition, la voix semblait plus petite et fragile, en réalité, elle était solide et sans failles.
Combien de fois me suis-je dit, entendant la misère actuelle des voix verdiennes: ah! si Luchetti était là!

Je l’avais personnellement connu dans des circonstances pas du tout lyriques: je faisais une cure dans un hôtel des Dolomites, à Brixen/Bressanone, pour perdre un peu de poids, et nous nous retrouvions le soir, autour d’une tisane infecte pour plaisanter sur notre sort et discuter un peu d’opéra, il était sympathique, toujours souriant. Il avait épousé un soprano très investi dans le travail avec les jeunes, Mietta Sighele, plus adaptée au répertoire puccinien et vériste.
Tous les amis de ma génération sont tristes aujourd’hui.

IN MEMORIAM ELIZABETH CONNELL

Elisabeth Connell, soprano dramatique sud-africaine,  nous a quittés à 65 ans il y a peu, elle allait chanter prochainement à Toulon. Elle faisait partie de ces chanteuses qui, sans avoir fait une carrière de star, vous garantissait une qualité toujours égale, et un beau moment d’opéra. Un coup d’œil sur son répertoire qui allait de Brünnhilde à Turandot, mais aussi Fiordiligi et Norma montrera sa versatilité et l’adaptation de cette voix à toutes les situations, et toujours de manière honorable.
Pour moi, elle restera attachée à deux souvenirs du temps lointain où elle était mezzo-soprano. D’abord, un Don Carlo concertant à l’Opéra de Paris dirigé par Nello Santi en 1978 je crois où elle fut une Eboli impériale, qui fit crouler la salle sous l’ovation (et la surprise! elle était alors très peu connue), puis à Bayreuth où elle fut une époustouflante Ortrud dans la mise en scène de Götz Friedrich avec Peter Hoffmann. Elle fut une Ortrud qui savait chanter, qui ne criait pas, et qui avait dans la voix un sens inné du drame. Pour moi, elle reste la plus grande Ortrud entendue sur une scène. Après 1980, elle devint soprano dramatique, elle chanta donc Brünnhilde, Isolde, et tous les grands rôles du répertoire. mais elle chanta aussi du répertoire italien, Norma comme précisé plus haut, mais aussi Odabella, Lady Macbeth ou Abigaille, et des rôles straussiens ou la Leonore de Fidelio. Elle fut moins impressionnante qu’en mezzo à mon avis, mais elle était une artiste sérieuse, modeste, sympathique toujours capable de donner de grandes émotions. Elle m’a procuré des moments d’opéras immédiatement gravés dans les grands souvenirs. Merci pour ce qu’elle nous donnés.