OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2013: Christian THIELEMANN dirige la SÄCHSISCHE STAATSKAPELLE DRESDEN le 30 MARS 2013 (HENZE-BEETHOVEN-BRAHMS) avec Yefim BRONFMAN

Concert du 26 mars ©OFS/Matthias Creutzinger

Il faut le confesser, il y a longtemps qu’au festival de Pâques on n’avait pas été à pareille fête. Soyons justes, les concerts du Berliner Philharmoniker avec Jansons ou Mehta étaient très réussis, voire extraordinaires. Presque systématiquement en revanche, ceux dirigés par Simon Rattle manquaient de souffle ou d’intérêt. L’an dernier Das Lied von der Erde, avec les mêmes solistes et le même orchestre qu’avec Abbado un an avant (Rattle suit toujours à un an les programmes d’Abbado, et c’est cruel pour lui) avait été d’un ennui marquant. Et je me souviens il y a quelques années d’une 2ème de Brahms sans aucun intérêt, et même franchement mauvaise. Rattle n’est pas avec Berlin (et c’est paradoxal) aussi intéressant dans le répertoire classique allemand qu’il ne l’était avec le CBSO précédemment. La note pour la note, l’effet pour l’effet (souvent théâtral et souvent superficiel), même au prix d’acrobaties de l’orchestre, mais le cœur vide et l’âme aux abonnés absents. Voilà pourquoi aussi les abonnés avaient chuté d’une manière impressionnante à Salzbourg.
Cette année, effet Thielemann, effet rejet aussi des Berliner après le coup de Baden-Baden, 10% de fréquentation en plus à Salzbourg.
Et ce soir un vrai concert de musique allemande, de Beethoven à Henze, qui nous a convaincus que peut-être, le festival de Pâques avait gagné à ce changement (au moins à ce stade des concerts, et après deux soirées).
Ce fut effectivement un grand moment de musique, un grand moment d’émotion, et la démonstration s’il le fallait que la Staatskapelle est pleinement à la hauteur de l’enjeu.
Dans la pièce de Henze “Fraternité” créée en 1999 pour Kurt Masur et le New York Philharmonic, est un “air” pour orchestre destiné à fêter le nouveau millénaire. Cette pièce remplace la création mondiale de “Isolde’s Tod” prévue, et que la disparition de Henze en octobre 2012 a forcé à annuler. Fraternité est un air pour orchestre et donc présente une sorte de palette totale des possibilités d’un orchestre, en 8 minutes, en un crescendo mélodique qui en même temps est une symphonie de couleurs diverses qui vont être explorées dans un format d’air instrumental, construit comme un air chanté, avec sa partie lente, intime, ses crescendos à l’aigu, et surtout l’exposition totale de toutes les parties d’orchestre, qui laissent jouir de la qualité de chaque pupitre de la phalange de Dresde . Chacun dans sa sphère prend sa part de la mélodie de Henze construite comme une sorte de mélodie infinie qui devrait illustrer l’idéal de fraternité, par les sons et la structure, solidaires les uns des autres, construisant ensemble une mélodie, prenant tour à tour la main dans une perfection technique remarquable, et bâtissant ensemble une sorte de métaphore musicale de la fraternité. Une sorte d’utopie mélodique.
Le 5ème concerto de Beethoven, l’Empereur, est évidemment une pièce de référence du répertoire pianistique. Dès le début, dès la cadence initiale, Yefim Bronfman frappe par la douceur du toucher et la netteté du son en même temps dans un style rien moins que démonstratif, avec une fluidité stupéfiante. Son approche fait passer au premier plan non pas l’énergie superficielle, mais au contraire une sorte de légèreté, faite d’effleurements miraculeux qui provquent immédiatement une grande émotion et une certaine stupéfaction.  En écho, Thielemann, avec une direction très précise, très attentive aux systèmes d’écho entre le piano et les pupitres singuliers – le final avec le dialogue entre le timbalier et le piano (répété le matin même à la demande de Bronfman) est une des moments les plus frappants de cette exécution, où Thielemann fixé sur le piano, adapte sa battue aux mouvements précis du soliste pour mieux conduire le timbalier, il en résulte une sorte de duo étonnant, techniquement parfait, incroyablement lisible dans l’aller/retour pianiste, baguette, qui emporte l’adhésion et provoque l’enthousiasme. Cette construction dialoguée, et enflammée, est un des éléments particulièrement marquants de cette exécution. D’un côté un pianiste toujours élégant, jamais démonstratif, jamais exubérant, et surtout toujours exact, et de l’autre un orchestre au son très “classique”, très structuré, très clair, très énergique, qui lui répond avec une clarté exemplaire, et sans jamais aucune lourdeur, je dirais presque “à la Böhm” . On revient à une interprétation d’ensemble “classique”, et avec une telle perfection et un tel engagement que le résultat ne peut que provoquer chez le public conquis un délirant enthousiasme qui provoque un bis du pianiste, une pièce acrobatique, fluide comme le jeu de l’eau d’une fontaine baroque, à la fois brillante et hyper technique avec un toucher à peine sensible qui provoque néanmoins un son aérien: stupéfiant. Alors évidemment à l’entracte tous proposaient un auteur, car la connaissance de la littérature pianistique même des mélomanes les plus avérés reste limitée: les propositions allaient de Liszt à Schubert, en passant par Chopin et Debussy. Bref, tout le petit monde du piano! Peu importe après tout, mais c’était stupéfiant, notamment la dernière note, comme un envol à peine effleuré, et disparaissant dans les limbes: merveilleux.
J’ai vu un Thielemann bien moins raide que par le passé, bien moins lourd, beaucoup plus net dans ses gestes, attentif au maximum à chaque élément et chaque pupitre, dont la battue tellement lisible qui correspond à la clarté du son de l’orchestre qu’on dirait qu’il y a une bien plus forte osmose entre Dresde et Thielemann qu’il pouvait y en avoir entre Munich et Thielemann, par exemple. Et cela nous permet de redécouvrir s’il est besoin l’extraordinaire qualité de cet orchestre, ce son plein et en même temps non pas léger, mais transparent qui a fait dire à beaucoup qu’il y avait longtemps, dans cette salle, qu’on n’avait pas entendu quelque chose d’aussi convaincant.
Et le Brahms (Symphonie n°4) a fait dire à l’une de mes amies, admiratrice éperdue des Berliner, qui vient chaque année au Festival de Pâques depuis la première année de Karajan,  qu’un tel Brahms, elle n’en avait pas entendu depuis des lustres et qu’il fallait remonter justement à Karajan pour retrouver pareille exécution. Il est vrai que les Brahms récents de Sir Simon Rattle avec les Berliner n’ont convaincu personne.
Ici, nous en sommes tous restés bouche bée. Ce fut la perfection, perfection technique, bien sûr, avec un orchestre dont la clarté, je le répète, permet de remarquer chaque scorie, et il n’y en eut point: une musique où l’on ne recherche pas spécifiquement la beauté du son, mais le relief, mais la monumentalité, mais la dynamique interne une flexibilité étonnante. Le dernier mouvement fut évidemment exemplaire, sans jamais être tonitruant, mais toujours juste dans l’expression et le tempo, référence à Bach dont il s’inspire, mais aussi avec des moments qui renvoient aussi à certaines phrases de Wagner (utilisation des bois, époustouflants de technique, de justesse et d’émotion). Pour ma part j’ai peut-être encore préféré le deuxième mouvement, andante moderato, sublime moment où les couleurs orchestrales sont mises en valeur de manière telle que cela prend presque à la gorge, comme une cantilène élégiaque.
Le premier mouvement, Thielemann le voit d’une couleur grise: il nous a dit en répétition le matin “Connaissez vous Hambourg en novembre? Eh bien, c’est comme le début de cette symphonie” , gris, sombre,  venteux, presque inquiétant. Il en résulte un moment extraordinaire d’intensité, qui nous a donné un Brahms à la fois moderne et engagé, mais avec des couleurs qui rappelaient certains chefs du passé, Sawallisch, Böhm et même Karajan, dont Thielemann fut l’assistant. J’ai suffisamment pensé que Thielemann n’apportait rien de neuf pour me dédire cette fois, ce Brahms surgit peut-être aujourd’hui tout droit de nos rêves et des nostalgies du passé, mais ce classicisme est en réalité une réinterprétation, un regard d’aujourd’hui qui combine passé et présent, en un classicisme moderne qui pourrait bien être LA référence. En tous cas, il y a des années et des années que je n’avais entendu un tel Brahms. Ce fut grandiose et convaincant. Pour les concerts de Thielemann, déjà, ce festival fait référence et a réussi son coup.
[wpsr_facebook]

Yefim Bronfman ©Dario Acosta

 

 

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2013: Christian THIELEMANN dirige la SÄCHSISCHE STAATSKAPELLE DRESDEN le 29 MARS 2013 (BRAHMS: EIN DEUTSCHES REQUIEM)

Salzbourg, 29 mars 2013

Pendant que les Berliner Philharmoniker s’installent dans leurs nouveaux quartiers de printemps à Baden-Baden, la Staatskapelle de Dresde s’installe dans les siens à Salzbourg. Je continue à regretter ce départ, le festival de Pâques ayant été fondé pour les Berliner. On ne va pas indéfiniment pleurer, et il faut prendre acte de la présence de Dresde et non plus de Berlin. La Saxe au lieu du Brandebourg, et surtout un orchestre de haute tradition je dirais de haute école (Dresde) au lieu d’un orchestre internationalisé (Berlin), qui s’est profondément ouvert aux standards des grands orchestres du monde et qui peut-être (bien que je l’adorasse) a perdu de sa germanité au profit de standards plus globalisés, mais pas forcément moins séduisants d’ailleurs.
C’est bien là le caractère de la Staatskapelle, une phalange qui cultive son identité, un orchestre d’ailleurs plus “mature” que d’autres, dont les membres sont moins jeunes qu’ailleurs: tout cela se traduit par son très particulier, très rond, très plein et en même temps rien moins que massif ou compact. Ce qui frappe en effet, c’est sa clarté, c’est la manière dont on reconnaît immédiatement chaque pupitre, comme dans un labyrinthe qui nous conduirait dans chaque son, devant chaque instrument, sans que ce soit un effet de chef, mais plutôt un effet de génome.
C’est un peu aussi le caractère du Gewandhaus de Leipzig, mais sans doute moins marqué qu’à Dresde. La ville anéantie après la guerre a gardé à travers son orchestre le parfum d’avant, celui de la mémoire de celle qui était la Florence sur l’Elbe: à une semaine de distance, le War Requiem de Lucerne parlait de l’anéantissement de Coventry, trésor d’histoire, auquel a répondu celui de Dresde, autre trésor et au Requiem anglais de Britten répond ce soir le Requiem allemand de Brahms exécuté par les dresdois (même si celui-ci par la force des choses et du temps ne témoigne pas de la destruction de Dresde) . En écoutant la Staatskapelle de Dresde, comment ne pas penser à la ville, et comment ne pas faire de liens émouvants.
On a dit beaucoup de choses de Christian Thielemann, de son irrégularité, de son approche de “Kapellmeister”, ce qui n’est pas forcément un compliment dans la bouche de ceux qui le disent, de sa raideur, de ses gestes imprécis etc…etc…Moi-même, j’en prends ma part, et je ne compte pas ce chef parmi mes favoris. J’ai aimé le Thielemann jeune, qui dirigeait à Bologne ou Genève, j’ai peu apprécié le Thielemann munichois, celui de Bayreuth ces dernières années (alors que son Tannhäuser de 2005 était sublime). J’étais donc très curieux cette année d’écouter avec attention la relation qu’il a commencé de tisser avec la phalange saxonne.
Le Deutsches Requiem de Brahms ne reprend pas la liturgie de la Messe des morts, comme les autres grands Requiem, Brahms avait une religiosité très personnelle et a voulu composer une œuvre (suite à la mort de Robert Schumann et sans doute de sa mère, bien qu’il ne l’ait jamais confirmé) non liturgique, mais humaniste, en puisant dans les Saintes Écritures. La genèse en est assez longue, et une première partie fut créée à Vienne avec un succès moyen, l’œuvre complétée  fut créée le Vendredi Saint à Brême le 10 avril 1868, mais Brahms ajouta la 5ème partie (intervention du soprano), pour créer la version que nous connaissons  le 18 février 1869 au Gewandhaus de Leipzig avec l’orchestre homonyme.
C’est une œuvre essentiellement chorale, avec seulement trois interventions des solistes (un baryton, un soprano) au n°3 , n°5, n°6
J’ai entendu pour la dernière fois Ein deutsches Requiem à Lucerne, avec l’orchestre de la radio Bavaroise et Mariss Jansons, une interprétation moins spirituelle que terrienne, au rythme rapide, et pour tout dire légèrement en dessous de l’attendu. Ma référence est Abbado, aérien, dans un ciel nuageux d’une légèreté séraphique.
Thielemann commence plutôt assez rapidement, avec un son surprenant, tellement clair, tellement déconstruit, avec chaque notule qui arrive aux oreilles, qu’on est un peu sur la réserve au départ: rien de mystique dans ce morceau n°1 [Selig sind, die da Leid tragen] , rien de religieux, rien de spirituel. C’est parfait, et c’est vide. On n’arrive pas à découvrir les intentions, on ne ressent rien, ni aucune élévation.
Dès le n°2 [Denn alles Fleisch es ist wie Gras], les choses changent. L’ambiance devient plus recueillie, le chœur sublime, l’orchestre, pourtant assez net, ne le couvre jamais, avec une attention soutenue du chef sur chaque instrument, et la musique gagne en rythme (grâce notamment à un exceptionnel timbalier qui scande l’ensemble de manière sourde), en expansion, en grandeur, prend incontestablement plus de sens. Bois magnifiques, cuivres sans reproche. L’orchestre dans tous ses pupitres ensemble est vraiment grandiose: même si pris individuellement ils ne sont pas aussi exceptionnels que dans d’autres phalanges, ils jouent ensemble, et font ensemble de la musique et non des notes.
Michael Volle, le baryton, rend le n°3 sublime [Herr, lehre  doch mich]. La voix est d’une douceur et d’une suavité rares, la diction exceptionnelle, la science de la projection est un modèle, cela produit une forte émotion.
Il faut aussi s’arrêter au n°5 [Ihr habt nun Traurigkeit] sur le soprano, moins connu, Christiane Karg, membre de la troupe de l’Opéra de Francfort et appelée de plus en plus à participer à des concerts (avec Thielemann, Jansons, Harding, Nezet-Séguin. Une voix très ronde, très bien posée, techniquement impeccable. J’ai entendu dans cette voix pour l’instant plutôt habituée au baroque (Aricie, Poppea) mais aussi à Norina ou Musetta, un vrai soprano lyrique qu’on sent près à d’autres défis (j’ai entendu dans cette voix une future Marschallin). Un timbre riche, coloré qui m’a séduit tout particulièrement.
Le n°6 permet au chœur de faire entendre sa qualité exceptionnelle (c’était aussi lui la semaine dernière à Lucerne dans le War Requiem), un explosion de sons, de couleurs et une diction prodigieuse. S’il y a quelque chose d’inoubliable dans ce concert, c’est d’abord la prestation puissante, profondément engagée, mais aussi subtile et précise du chœur, qu’on sait être l’un des meilleurs et des plus demandés aujourd’hui.
Le n°7 [Selig sind die Toten] qui fait écho au n°1 me semble plus profond, plus fortement engagé, et Thielemann (qui dirige sans baguette) très attentif au chœur qu’il suit pas à pas, donne à ce mouvement final une vraie spiritualité (les sopranos du chœur sont époustouflants).
L’auditeur est quasiment amené sans effort aucun à pénétrer cet univers, à entrer dans le souffle spirituel qui peu à peu à envahi l’espace. Il en résulte un concert grandiose, qui peut-être a pris peu à peu ses marques et son rythme, après un début qui de l’avis de tous était un peu extérieur et qui s’est très vite installé sur les ailes des anges. Cette interprétation ne détrône pas ma préférée en concert (Abbado, effleurant les cieux), mais ce fut tout de même un très grand moment de musique, qui légitime pleinement la présence de ce merveilleux orchestre au festival de Pâques: la succession est assurée.
[wpsr_facebook]

 

BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER le 31 juillet 2012 (Dir.mus: Christian THIELEMANN, Ms en scène: Jan Philipp GLOGER)

Depuis 34 ans, pas une production de “Der fliegende Holländer” n’a raté son rendez-vous avec Bayreuth, c’est de loin la production la mieux servie et musicalement et théâtralement.

Simon Estes (Production Kupfer)

Toutes les productions ont peu ou prou marqué le spectateur à commencer par la plus juste et la plus impressionnante de toutes,

Le décor du duo Senta/Hollandais (Kupfer)
Production de Harry Kupfer

celle de Harry Kupfer (1978), dirigée par Dennis Russell Davies, puis Woldemar Nelsson, avec Simon Estes, Matti Salminen et Lisbeth Balslev, dont il existe un DVD, à acheter séance tenante, aussi pour la version du Vaisseau sans rédemption finale.

 

 

 

La fameuse maison qui tourne, symbole de la production de Dieter Dorn

 

Puis vint Dieter Dorn, avec sa maison tournante,

Production Dieter Dorn

qui fit de grand souvenirs, notamment pour la direction de Giuseppe Sinopoli et ses deux basses, Bernd Weikl et Hans Sotin, avec la Senta de Elisabeth Connell ( à la fin Cheryl Studer).
Ces deux dernières productions furent présentées 7 fois au Festival, un record!

La dernière, celle de Claus Guth, plus psychanalytique, était aussi réussie, mais peut-être moins intéressante musicalement et surtout vocalement (John Tomlinson, les dernières années, n’avait plus la voix d’antan).

Production de Claus Guth

______________________________________

C’est un metteur en scène peu connu du grand public, jeune (il est né en 1981), et très apprécié des spécialistes, Jan Philipp Gloger, actuel metteur en scène attaché au Stadttheater de Mayence qui est l’artisan de cette nouvelle production du Festival, avec les décors de Christof Hetzer et les costumes de Karin Jud.
A y bien réfléchir, la mise en scène allemande est fondée sur la figure de la métaphore: tout récit, toute histoire apparaissant une métaphore d’autre chose, d’un contexte, d’une époque, d’un destin humain. De plus, les trois mises en scènes de Lohengrin, Tannhäuser et ce Fliegende Holländer réfléchissent avec des fortunes diverses, à la signification des œuvres de Wagner aujourd’hui: il s’agit de montrer ce que ces récits mythiques disent de nous, hic et nunc, et après tout c’est bien la fonction du mythe que de nous éclairer sur le sens de notre vie.
La métaphore sur laquelle Jan Philipp Gloger réfléchit, c’est celle de l’Océan, force contre laquelle on ne peut rien et qui nous entraîne malgré nous. Et l’Océan, c’est ce monde qui nous ballotte et nous domine, contre lequel toute révolte est inutile, bien que nous nous dressions contre les éléments. Gloger et son décorateur Christof Hetzer voient l’Océan comme une structure complexe qui nous domine, une sorte d’entrelacs de circuits électriques, de néons, de chiffres qui défilent comme les sommes englouties en bourse, ou même comme une ville vue du ciel avec ses milliers de lumières qui dessinent les rues. En bref, notre monde, dominé par l’horreur économique et productive.
Ils s’inspirent étroitement des écrits de Wagner sur le Hollandais, ou de certaines phrases du livret. pour faire du Hollandais un marginal qui a quitté ce monde pour en chercher un autre, et qui ne réussit pas à changer de peau. Ce marginal arrive avec sa valise à roulette, buvant un café Starbucks dans un verre de carton, comme un cadre d’aujourd’hui, et pendant son monologue répond aux sollicitations des garçons d’hôtel, des femmes (une prostituée, une masseuse d’hôtel) mais il les renvoie, il les fuit,  c’est l’un de ces grands voyageurs désireux de commercer et d’ouvrir des routes commerciales, comme lors des grandes découvertes, et qui prend conscience de la vanité de cette vie, sans réussir vraiment à trouver le repos et tentant plusieurs fois le suicide: il s’ouvre les veines durant son monologue.

Ouverture de la valise pleine de billets (Bruns/Selig/Youn)

En rencontrant Daland, et le Steuermann, il rencontre de purs produits de cette horreur économique, des êtres qui ne pensent qu’argent, achat et vente, d’où la facilité avec laquelle Daland vend sa fille.
Dès le second acte, toute l’action va se dérouler sur un plateau, comme une scène couverte par une structure métallique comme on voit les scènes en plein air, et l’histoire de Senta et du Hollandais va se dérouler comme un “pezzo chiuso”, comme un espace clos de deux êtres qui se trouvent. Car il y a immédiatement entre les deux un véritable amour, et non la recherche d’un intérêt pour le Hollandais à attirer la jeune fille. C’est un coup de foudre.
Transposant toute l’histoire Gloger fait des fileuses des employées d’usine qui emballent des ventilateurs (Le Hollandais ne cesse de parler de vent) dans des caisses en carton.

Les jouets de carton de Senta

Avec ce carton, Senta, au lieu d’emballer comme les autres, fait des découpages et découpe un bateau, une statuette (le Hollandais évidemment), des maisons, des fleurs, du feu, en bref toute l’histoire du Hollandais dont elle rêve. Leur rencontre et leur duo se déroulent dans cet espace, et leurs silhouettes, ainsi que celle des jouets de carton, se projettent en ombre donnant à la scène une réelle puissance, et pour finir, le Hollandais donne à Senta des ailes de carton et une torche, qui lui donne une petite allure de statue de la liberté: Senta et le Hollandais sont semblables, deux marginaux perdus dans ce monde dont ils ne veulent pas. La foule, le peuple, sont sans cesse manipulés, par le Steuermann notamment, sorte d’homme de main de Daland: l’infantilisation du monde qui dit oui à l’argent et à l’argent seulement est l’un des traits marquants de cette production, qui fait de la société où évoluent les personnages une société sans âme, sans autre but que de produire et faire du fric.
Au milieu, le Hollandais et Senta vivent un amour qui ne peut que se heurter aux autres, même si Daland a plongé dans la valise à billets pour vendre sa fille à ce marchand si offrant. Au moment de grande scène du début du troisième acte, c’est toute la production  qui est remise en question, on brûle tout (le Hollandais et Senta brûlent les billets de banque) et les matelots (ici les membres du clan du Hollandais) se heurtent aux autres, obligeant le Hollandais à renoncer à vivre l’amour, et à demander à Senta de le suivre dans la mort, puisqu’il est impossible d’aimer ici bas: elle se remet ses ailes de carton, elle reprend sa torche, elle se poignarde, lui aussi et ils s’enlacent dans leur sang et dans leur amour, perchés au sommet d’une montagne de caisses de carton.
Rideau.
Musique de la rédemption par l’amour.
Le rideau s’ouvre à nouveau et des ouvrières emballent désormais des statuettes de carton représentant le couple enlacé qu’on va vendre à la place des ventilateurs. La rédemption, c’est la rédemption par l’argent, tout ce qui reste au monde d’aujourd’hui. Ils meurent, et leur mort ne résout rien. Elle accentue le cynisme du monde.
J’ai essayé d’expliquer l’essentiel d’une mise en scène copieusement huée (une dame horrifiée dès le début a crié “peinlich”  puis est sortie), mais qui, vu le parti pris, est plutôt cohérente, et en phase avec ce qu’écrit Wagner sur son œuvre, ainsi qu’avec le livret. Il y aura bien des points à clarifier, notamment le rôle des chœurs, et du peuple, la présence d’une barque dans laquelle dorment Daland et le Steuermann. En tous cas, même si elle surprend, plus de vaisseau – il est vraiment fantôme!-, plus d’Océan remplacé par cette structure métallique immense, plus de fileuses,  l’histoire est là, et une histoire centrée sur ces deux êtres qui se trouvent et qui vivent un instant de bonheur, plutôt que la seule histoire du Hollandais qui en général est plutôt un égoïste qui entraîne une jeune fille dans la mort pour résoudre son problème, mais sans  rédemption par l’amour, dans un monde où la seule valeur est l’argent.
Pour son entrée à Bayreuth, Gloger a montré qu’il savait ce que théâtre voulait dire, qu’il savait lire un livret, qu’il suivait aussi la musique, car tous les mouvements sont très en phase avec la musique.
Une musique dirigée par Christian Thielemann, bien meilleur à mon avis que dans Tannhäuser, avec une ouverture vraiment fantastique d’énergie, de dynamisme, de lyrisme et un parti pris qui tourne le dos à l’idée que Der Fliegende Holländer serait un opéra romantique, avec ses airs, ses duos, un peu “à l’italienne”. C’est une direction qui montre le Wagner du futur, avec des ruptures de tempo certes, mais aussi avec une fluidité, une continuité, un suivi du texte exemplaires; ce parti pris a surpris certains spectateurs, qui l’ont violemment hué. Une approche non conventionnelle, et plutôt réussie à mon avis. Sans parler de l’orchestre absolument impeccable, sans un seul raté, sans une seule scorie, avec un équilibre sonore phénoménal (ce qui nous changeait de Jordan la veille) et un chœur sur lequel il n’y a rien d’autre à dire qu’époustouflant.
Du côté des chanteurs, le remplaçant de Nikitin, Samuel Youn, s’en sort très bien: voix claire, diction impeccable, très beau timbre, art de la coloration. Il y a bien quelques signes de fatigue, mais le personnage est vraiment incarné, présent, engagé. Une belle (et inattendue) prestation. Je ne pense pas que Nikitin aurait fait mieux.
Le Daland de Franz Josef Selig est aussi “incarné” et la différence de voix entre les deux est frappante et caractérise parfaitement les personnages. Samuel Youn a plutôt une voix raffinée, et projette un personnage éduqué, voire aristocratique. Selig a une voix plus “brute” et donne au personnage une couleur moins élaborée, plus “popu” (ou comme on se l’imagine à l’opéra), Jean Gabin face à Pierre Fresnay, si vous voyez ce que je tente d’expliquer.
Les deux ténors s’en sortent très bien, Benjamin Bruns est un des meilleurs “Steuermann” qui m’ait été donné d’entendre, avec un jeu cynique accompli et une vraie présence scénique. Quant à Michael König en Erik, sans avoir un timbre follement séduisant, il a de l’énergie et de l’engagement qui en font un vrai personnage lui aussi très différent en diction et en couleur du Hollandais: on comprend que Senta le repousse…
Christa Mayer est une Mary sans relief, on a vu mieux.

Adrianne Pieczonka

Mais le vrai et seul problème de la distribution, c’est la Senta de Adrianne Pieczonka. La voix n’est pas (plus?) faite pour ce rôle qui exige un volume qu’elle n’a pas montré, des aigus qui ne se resserrent pas et des graves qu’elle n’a plus.. Seul le registre central est acceptable, mais le reste est vraiment insuffisant: le personnage est là, tache rouge sang dans un océan de gris, l’énergie est là aussi, mais une énergie scénique qu’on ne réussit pas à retrouver dans la voix. La ballade est décevante, les aigus de la scène finale sortent mal. Pour ma part, il s’agit d’une erreur de distribution, et c’est dommage pour une artiste de valeur comme elle.
Au total, une soirée très défendable, qui n’atteint pas de sommets, mais qui passe très nettement la rampe, même si je ne pense pas que cette lecture qui a volontairement fui la thématique du Hollandais “projection de Senta” (chez Guth comme chez Kupfer) et qui a tenté de travailler sur l’amour, dans un monde sans amour, marquera au même niveau que les productions précédentes auxquelles je faisais référence, mais on s’y habituera vite. Musicalement, on a entendu quelques buhs, injustifiés et dans l’ensemble avec les réserves exprimées, on tient là un bon niveau.
Et voilà, Bayreuth 2012 c’est fini pour moi, rangé dans les souvenirs, avec un inoubliable Lohengrin et un grand Tristan. Si on y ajoute un Hollandais acceptable, le cru 2012 peut se boire sans crainte, à quelques bouteilles près. 2013, ce sera une autre histoire et on y pense déjà avec angoisse et délice…
[wpsr_facebook]

BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: TANNHÄUSER le 28 juillet 2012 (Dir.mus: Christian THIELEMANN, Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)

Avant la représentation

La production n’avait pas convaincu l’an dernier. Les chanteurs non plus. Le chef non plus, du moins pour une partie du public. Cette année, la distribution a partiellement changé. Exit l’horrible Venus de Stephanie Friede. Exit Lars Cleveman, pas vraiment en phase avec la vocalité du rôle. Exit enfin Thomas Hengelbrock, le chef qui n’avait pas vraiment emporté les suffrages.
Torsten Kerl comme Tannhäuser, Michelle Breedt comme Venus, et enfin Christian Thielemann comme remplaçant de luxe de Thomas Hengelbrock: on pouvait s’attendre à plus convaincant, au moins musicalement. Sebastian Baumgarten a adapté sa mise en scène aux nouveaux venus, il a effacé certains moments et changé certaines scènes, et ça n’est pas mieux que l’an dernier.
Pour ma part c’est une grande déception, musicale et scénique. Malgré l’immense succès public, qui n’atteint tout de même pas les sommets du Lohengrin de la veille, rien ne m’a convaincu dans cette deuxième édition.
Sebastian Baumgarten a beaucoup réfléchi à ce Tannhäuser, et son propos n’est pas stupide que de prendre le monde clos de la Wartburg pour en faire un monde clos de l’après culture, du jour où progrès et technologie auront définitivement annihilé toute humanité. Il a lu les écrits de Wagner sur la question, et la méfiance que Wagner nourrissait pour la confiance aveugle dans le progrès scientifique. Dans un monde digne d’Huxley, il installe un Tannhäuser d’où tout rêve, toute beauté, toute poésie est exclue, et seul Tannhäuser l’artiste porte en lui ce qui reste d’humanité aimante, d’où le décalage avec le reste des hommes. En séjournant au Venusberg, il est tout de même tombé dans le piège, le Venusberg dans cette production n’étant pas un ailleurs, mais une cage que l’on conserve comme une soupape de sécurité, comme un antimonde nécessaire à la survie du monde “positif”. D’où Venus, présente au concours de chant du deuxième acte.
Beaucoup de scènes ont été revues, et simplifiées, ou aplanies. Je regrette pour ma part la disparition des “descentes” des personnages (Elisabeth comprise) dans le Venusberg, qui prenaient sens dans un monde aussi hygiéniste (entrée des pélerins qui s’essuient au troisième acte) et aussi réglé, d’où toute liberté est exclue. On apprécie aussi le traitement d’Elisabeth, comme être désirant et non pas seulement sainte en devenir. Quelques belles idées, comme la romance à l’étoile de Wolfram chantée à Venus, présente sur scène devant lui, une Venus laide, enceinte, qui ne porte rien d’autre que cette prégnance depuis le début de l’œuvre et qui seulement à la fin en sera libérée, Venus porteuse d’un avenir que ni Tannhäuser, ni Elisabeth ne peuvent porter.
Mais il y a trop de choses en scène, des cuves, des appareils, des robinets, des réceptacles pour excréments (la société Wartburg est spécialiste du recyclage d’excréments pour en faire du méthane), et même un dortoir au dernier niveau (il y a trois niveaux de hauteur d’un décor gigantesque toujours à scène ouverte dès que les spectateurs arrivent. On pouvait éviter les vidéos préparatoires, le compte à rebours avant la représentation, les intermèdes dans les entractes. Qui sortait lentement de la salle pouvait avoir droit à une sorte de messe autour d’un autel où les figurants chantaient l’hymne allemand.
A la fin, tout cela fait fatras. D’accord pour l’esthétique de la laideur, mais ne donner au spectateur aucun espace de rêve peut préfigurer ce qui nous attend dans quelques siècles est un peu excessif ! Nous sommes à Bayreuth, et aimons aussi respirer et rêver. La mise en scène du Lohengrin, qui part de présupposés voisins, a su créer de belles images, a su servir une certaine esthétique: nous sommes avec ce Tannhäuser au coeur de l’idéologie du metteur en scène totalitaire: prisonniers dans notre cage comme Tannhäuser dans le Venusberg, obligé comme nous de subir le bal des spermatozoïdes géants…Même pour moi qui suis un ardent défenseur du Regietheater, c’est un peu trop…
Qui connaissait ce travail de Baumgarten s’attendait cette année à une explosion musicale. Le souvenir ému de merveilleux Tannhäuser de Christian Thielemann dans cette salle (production colorée de Philippe Arlaud) accompagne les festivaliers fidèles. Sa venue au pupitre après une prestation discutée de Thomas Hengelbrock était attendue ardemment, il n’y a pas de foule aujourd’hui “qui au nom de Christian ne s’aille réveillant”. Il a donc reçu l’ovation attendue, sinon méritée, sinon justifiée. Je dois confier avoir préféré Hengelbrock l’an dernier à cette direction sans éclat, aux tempos ralentis, au son assourdi. Est-ce voulu? A-t-il voulu accompagner la vision noire de la mise en scène par une direction aussi aseptisée? Évidemment, c’est en place, évidemment, les trois dernières minutes du spectacle restent splendides et provoquent l’explosion du public, mais le reste, y compris l’ouverture, surprend par son manque de dynamique, sa lenteur: ce n’est pas plat, c’est à côté de ce qu’on attend dans cette musique plutôt luxuriante.
La distribution n’a pas grand chose pour compenser: la Venus de Michelle Breedt efface évidemment le pénible souvenir de Stephanie Friede. Est-ce pour autant une Venus convaincante? Pas vraiment, aigus tirés et volume limité ne font pas une Venus. Le Tannhäuser de Torsten Kerl,  personnage à mi-chemin entre Siegfried et Parsifal (sorte d’enfant pénible à punir du martinet) chante tout sur le même ton et fatigue assez vite, pas de coloration vocale, pas d’interprétation, peu de volume. Torsten Kerl ne serait-il convaincant qu’en Rienzi à la Deutsche Oper?
L’an dernier on avait apprécié le Wolfram de Michael Nagy, cette année, grosse déception là aussi, la voix n’a plus ce timbre velouté, certains sons émis sont pénibles, le grave est affecté, l’aigu moins triomphant…coup de fatigue?
Restent l’Elisabeth de Camilla Nylund, qui fait une belle prestation, avec une voix sûre, un bel aigu, et surtout un registre central particulièrement charnu. Ce ne sera pas l’Elisabeth du siècle, mais c’est une bonne référence aujourd’hui, le Landgrave toujours impressionnant de Gunther Groissböck, au physique athlétique de chevalier sans peur qui régit tout ce petit monde de tuyaux et cuves à la baguette, c’est la seule vraie voix, avec celle encore plus convaincante que l’an dernier encore de Lothar Odinius, Walther von der Vogelweide magnifique qui pourrait bien être, lui, un Tannhäuser crédible.
Donc un Tannhäuser sans Tannhäuser, sans Wolfram ou presque, sans Venus avec un chef discutable et un metteur en scène qui a raté son coup, ça en fait beaucoup en une soirée. Il en va ainsi de Bayreuth, après le Capitole de la veille la Roche Tarpéienne du jour. N’importe, qui connaît Bayreuth sait qu’il vaut toujours mieux être là qu’ailleurs, et que ce sont lamentations d’enfant (trop) gâté.
[wpsr_facebook]

Après la représentation, salut sous les huées de Sebastian Baumgarten

 

FESTIVAL DE BAYREUTH 2012: TANNHÄUSER SERA DIRIGÉ PAR CHRISTIAN THIELEMANN

Christian Thielemann arrive...

Le Festival de Bayreuth a annoncé le 3 mars que Thomas Hengelbrock ne dirigera pas “Tannhäuser” lors du festival 2012 et qu’il est remplacé au pupitre par Christian Thielemann.
Il est dommage que Thomas Hengelbrock n’ait pas continué à diriger ce Tannhäuser car sa manière d’aborder la partition était originale, et cohérente, même si critiquée. Cependant il faut bien reconnaître que le souvenir de Christian Thielemann au pupitre du dernier Tannhäuser de Bayreuth (Mise en scène Philippe Arlaud) est si fort (c’est pour moi l’un des plus beaux Tannhäuser jamais entendus) me fait accueillir ce changement avec joie.
Une autre remarque: avant que la solution “Eva-Katharina” à la tête du Festival ne soit décidée, le projet de Katharina Wagner impliquait fortement la présence de Christian Thielemann à Bayreuth et l’arrivée d’Eva (liée à d’autres clans artistiques) avait laissé penser à un éloignement. Le rôle de ce chef lors des commémorations du bicentenaire 2013, et sa présence renforcée en 2012 laisse penser que son influence artistique n’a pas baissé sur la colline verte ou du moins qu’il est revenu en cour. Il est vrai que sa présence à Dresde, ville importante pour Wagner et les succès qu’il a remportés à Salzbourg (La Femme sans Ombre), à Vienne (Le Ring l’automne dernier) et sa prochaine arrivée (à Pâques 2013: Parsifal) au Festival de Pâques de Salzbourg avec la Staatskapelle de Dresde (puisque les Berliner Philharmoniker s’en vont à Baden-Baden, cruelle erreur à mon avis!) en font actuellement un incontournable: depuis les départs de Daniel Barenboim et de James Levine de Bayreuth, aucun chef n’a vraiment “incarné” le Festival depuis une dizaine d’années, sinon justement Thielemann, mais pour un Ring très discutable.
Les mouvements du monde musical sont dignes des stratégies politiques: la pointe émergée d’un iceberg qui cache bien d’autres enjeux. Christian Thielemann, très apprécié en Autriche, n’a pas réussi à s’implanter à  Berlin, sa ville, et n’a pas réussi à s’implanter non plus à Munich, la seconde capitale musicale d’Allemagne; il a besoin de points d’ancrage allemands qui en fassent un incontournable dans le paysage musical allemand. En imposant la Staatskapelle de Dresde à Salzbourg, en s’imposant à Bayreuth et dans les festivités du bicentenaire, il redevient un pôle fort du paysage germanique. D’autant que Munich est actuellement en période de transition et que la situation à Berlin est verrouillée par Sir Simon Rattle au Philharmonique et Daniel Barenboim à la Staatsoper.

N’importe, le Festival de Bayreuth n’y perd pas à ce remplacement, qui va réveiller la curiosité pour ce Tannhäuser bien mal accueilli en 2011, et relancer la chasse au billet!!

[wpsr_facebook]

Et Thomas Hengelbrock s'en va

BAYREUTH 2013: LE VOILE EST LEVÉ: LA DISTRIBUTION DU RING EST COMPLÈTE

L’organisation du Festival de Bayreuth 2013, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. est désormais connue.

Les cérémonies anniversaires le 22 mai 2013 seront marquées par un concert de l’orchestre du Festival de Bayreuth au Festspielhaus, dirigé par Christian Thielemann (extraits de Walküre -Acte I- de Götterdämmerung, de Meistersinger et même de Rienzi, dont les notes sonneront pour la première fois sous le toit du Festspielhaus.) concert suivi d’une fête dans la ville.
Note: Ce programme originel a été modifié: Walküre -Acte I-, Tristan und Isolde, prélude et Mort d’Isolde, Götterdämmerung, marche funèbre, Meistersinger ouverture. Exit Rienzi, la seule originalité. Dommage.

L’un des enjeux étant les représentations des œuvres de jeunesse de Richard Wagner dans une saison qui devrait en afficher l’intégrale, ces œuvres seront présentées en coproduction avec l’Oper Leipzig (lieu de naissance de Wagner) qui les affichera en 2012-2013 (Die Feen) ou en 2013-2014 (Das Liebesverbot)
Si l’on ne touche pas au Festival et si les œuvres de jeunesse n’y seront pas jouées, et surtout pas dans la salle du Festspielhaus, elles seront donc présentées pendant la première quinzaine de juillet (du 7 au 14 juillet)  dans la “Oberfrankenhalle” à Bayreuth, en version concertante (Die Feen, le 9 juillet 2013, direction musicale: Ulf Schirmer) ou en version scénique:
– Das Liebesverbot les 8, 11, 14 juillet 2013, direction musicale: Constantin Trinks mise en scène: Aron Stiehl
– Rienzi les 7, 10 et 13 juillet, direction musicale: Christian Thielemann mise en scène: Mathias von Stegmann

Attention, réservation en ligne à partir du 27 juillet 2012, 18h00, premier arrivé, premier servi.
Diverses manifestations, concours (y compris un concours de rap à partir de textes de Richard Wagner) , colloques, films, émaillent la saison du Festival. Le Festival affichera une nouvelle production du Ring des Nibelungen dans une mise en scène de Frank Castorf, et une direction musicale de Kirill Petrenko,et voici quelques éléments de distribution: Brünnhilde devait être Angela Denoke, elle a renoncé et l’administration du Festival a trouvé une remplaçante, ce sera pour tout le cycle Catherine Foster.  Wolfgang Koch sera Wotan et le Wanderer, Lance Ryan et Johan Botha seront Siegfried et Siegmund (ils ont déjà tenu ces rôles lors de la dernière année du Ring précédent), Anja Kampe Sieglinde et Martin Winkler Alberich. Notons aussi l’excellent Iain Paterson comme Gunther et Attila Yun comme Hagen et Franz-Josef Selig comme Hunding.

Frank Castorf dans une interview au journal Die Welt en dit quelques mots: pour Castorf, l’or d’aujourd’hui est l’Or noir, dont chacun cherche à s’approprier, et son Ring “mondialisé”  ira de Berlin Alexanderplatz à Wall Street.
Vous en saurez plus en lisant l’intégrale de l’interview (en allemand) sur le lien Interview Castorf dans Die Welt
Août 2012: sur le Site du festival de Bayreuth, les distributions complètes et les dates du Festival 2013 sont en ligne.

Site des festivités Richard Wagner: Année Wagner 2013 Leipzig/Bayreuth

Site du Jubilé Wagner de la ville de Leipzig: Jubilé Wagner-Leipzig

CONCERT DU NOUVEL AN: Variations sur un thème à BERLIN, DRESDE, VENISE

En dehors DU concert du Nouvel An, les télévisions allemands ont retransmis deux concerts de Saint Sylvestre (Silvesterkonzert), celui des Berliner Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle (à 18h30 le 31 sur ARD), et celui de la Dresdner Staatskapelle dirigée par son chef Christian Thielemann (à 17h35 le 31, sur ZDF), tandis qu’ARTE proposait le concert du Nouvel An de La Fenice, dirigé par Diego Matheuz, l’assistant de Claudio Abbado qui commence à faire une belle carrière en Italie. Le concept fait florès.
Les concerts de Noël, de Nouvel An, de Saint Sylvestre sont des événements habituels des scènes germaniques, c’est l’occasion de manifester tout ce que la musique peut avoir de festif, mais aussi de rassembler le public autour de son orchestre – on sait que cette relation particulière de l’orchestre au public est très importante en Allemagne, dans toutes les villes où il y a un théâtre et un orchestre.
Je me souviens de Soirées de Saint Sylvestre à la Philharmonie, dirigées par Abbado, suivies d’agapes, de soirées dansantes, dans les espaces du bâtiment de Scharoun. C’est souvent l’occasion soit de jouer des programmes d’œuvres populaires, ou des programmes un peu décalés (en 2002, Sir Simon Rattle proposa le musical “Wonderful town” de Leonard Bernstein, qui fut l’un des grands moments de ma vie de mélomane), ou des programmes d’opérettes, de ces opérettes ou de ces pièces légères qu’on prend très au sérieux en pays germanique: Strauss est réputé très difficile à jouer vraiment dans l’esprit “viennois”. Cette tradition a gagné l’Italie avec le “concert de Noël” de la Scala (cette année Dudamel dans la 2ème Symphonie de Mahler) et surtout le concert du Nouvel An de La Fenice, qui j’espère, ne cherche pas à faire concurrence avec celui de Vienne, parce que là c’est raté d’avance.

La polémique a précédé les deux “Silvesterkonzerte” de Berlin et Dresde, puisque les chaînes généralistes allemandes ARD et ZDF se concurrençaient à peu près à la même heure, l’une (Berlin) dans un programme très dansant, mais des grandes danses du répertoire symphoniques (Danses slaves de Dvorak, danses hongroises de Brahms, L’Oiseau de feu de Stravinski, la Danse des sept voiles de Salomé, mais aussi le concerto pour piano et orchestre de Grieg, avec Evgueni Kissin en soliste), la Staatskapelle de Dresde proposant un programme Franz Lehar, beaucoup plus conforme à la tradition qui préfère l’opérette à la musique “sérieuse” ce soir-là.
Rien n’est le fait du hasard. Le concert berlinois reste un concert traditionnel, avec une volonté de proposer un programme peut-être plus thématique, mais le plus souvent ouvrant le répertoire sans trop laisser  s’éloigner des rives de la musique dite “sérieuse”. On entendit Abbado dans des soirées italiennes, Verdi, Rossini, certes, ou  proposant des extraits symphoniques acrobatiques (comme le dernier mouvement de la VIIème de Beethoven à un train d’enfer, qu’il affectionne particulièrement). Il est conforme à l’esprit d’ouverture de l’orchestre et permet de l’entendre dans divers registres, dont certains inhabituels, d’autre non. C’est un moment de convivialité, point trop mondain (au contraire de Vienne) même si Angela Merkel en est une fidèle, mais la chancelière n’est pas du tout une mondaine. En ce sens, le concert de ce 31 décembre a répondu aux attentes: Sir Simon Rattle étant un maître du “spectaculaire”, et affectionnant les répertoires un peu dansants (son Oiseau de feu à ce titre était particulièrement en phase), j’ai personnellement beaucoup aimé le concerto de Grieg et Kissin, dans un très bon soir.
Face aux Berliner Philharmoniker, valeur consacrée qui ne se confronte pas aux Viennois dans leur répertoire ni dans leurs horaires (encore que le concert du Nouvel An de Vienne est aussi le soir précédent un “Silvesterkonzert”) , la Staatskapelle de Dresde dirigée par Christian Thielemann apparaît comme une challenger dans un combat de Titans. C’est que l’installation de Thielemann à Dresde, après ses tribulations et son échec munichois, apparaît comme le point de référence d’une certaine tradition germanique, avec un orchestre qui en est le symbole immuable et un chef qui en a fait son fond de commerce. Ainsi a-t-on face à face, un orchestre qui serait celui de l’ouverture et la modernité (Berliner Philharmoniker et Rattle) et un orchestre qui porterait la grande tradition (Dresde et Thielemann). Alors il est logique que dans la tradition des pays germaniques, Dresde offre un concert Franz Lehar, dédié aux airs d’opérette les plus connus, en une soirée traditionnellement “légère”, qui fasse lointain écho au concert de Vienne, autre grande référence de la tradition. Et puis, depuis longtemps maintenant, Christian Thielemann cultive la figure des grands Kapellmeister du passé, alors qu’il a peut-être plus de succès en Autriche qu’à Berlin, sa ville, où il a eu aussi une expérience contrastée. Il y a derrière ces deux concerts mis en exergue et en concurrence quelque chose de plus qu’une simple émulation musicale.

Et la Fenice…? Il ne faut pas se leurrer, la Fenice de Venise n’est plus aujourd’hui un théâtre pour les vénitiens, comme le sont les salles de Berlin ou Dresde pour les habitants , la ville de Venise (60000 habitants) n’a pas une assise de public suffisante. C’est un théâtre à la réussite contrastée au niveau artistique, mais depuis sa restauration après le dernier incendie, un lieu d’attirance touristique fort. Une soirée à La Fenice, c’est quelque chose qui fait rêver, entre une matinée à l’Accademia et un repas à “La Colomba”. Le niveau actuel du théâtre est honnête sans plus, et ne peut être comparé à celui de La Scala, de Rome ou de Florence. L’opération “Concert du Nouvel An” est une opération d’image, qui repose sur le nom de Venise, sur la gloire passée de son théâtre et le mythe qu’il génère, notamment chez les touristes chic et choc et qui ne répond à aucun concept, sinon celui de copier le concept viennois à la mode italienne (Disons “Verdi au lieu de Strauss” pour faire bref), y compris avec le ballet, comme à Vienne. Il s’achève toujours par le “libiamo” de Traviata (créée à Venise). Concept plaqué, pour moi sans aucun intérêt mais qui correspond sans doute à une niche de marché, du petit marché de la musique classique à la TV, et qui permet à ARTE de se singulariser et de cultiver le fantasme vénitien du public, français notamment. Musicalement honnête sans plus (Diego Matheuz est un très bon chef certes, qui deviendra quelqu’un avec lequel compter, mais comment rivaliser aujourd’hui  avec Rattle, Thielemann ou Jansons), le concert de la Fenice est une opération plaquée, sans aucun intérêt artistique clair, mais avec un intérêt touristique et donc économique certain.

Comme on le voit, le concept de concert de Saint Sylvestre ou de Nouvel An se vend bien sur nos TV qui souvent (ARTE excepté) découvrent que la musique classique existe entre le 25 décembre et le 1er janvier, paillettes, rêve, fleurs, musique légère, ballets, tous les ingrédients de la fête y sont. Mais l’artistique cette année était à Vienne et à Berlin, à Dresde ensuite, et pas trop à Venise.
Le concept construit au fil des ans par Vienne, qui repose sur une vraie tradition, est artistique (le choix du chef y est déterminant: on a vu combien les concerts donnés par Carlos Kleiber sont devenus des mythes) et s’est peu à peu coloré depuis les vingt ou trente dernières années, à cause du tourisme, de l’élargissement du public des spectateurs, il reste à mon avis le modèle du genre, et aussi un modèle d’équilibre entre exigences médiatiques et artistiques. Mais le Philharmonique de Vienne a inventé le nouveau concept de Sommerkonzert (concert d’été), en plein air, gratuit, cette année dirigé par Gustavo Dudamel, en écho au concert donné en juin par les Berliner Philharmoniker à la Waldbühne (que Dudamel a dirigé d’ailleurs), version “popu” qui compense le concert du Nouvel An, qui est particulièrement exclusif…

FESTIVAL DE BAYREUTH: PERSPECTIVES 2012

Le Festival de Bayreuth 2011 est mort, vive le Festival 2012.

Comme le dit le communiqué de presse, pour une vente de 57750 billets, il y a eu 320000 demandes de 80 pays…Le Festival n’est donc pas tout à fait moribond.
Bayreuth 2012 ouvrira le 25 Juillet 2012 avec une nouvelle production de Der Fliegende Holländer, mise en scène de Jan Philipp Gloger, décors de Christof Henzer, costumes de Karin Jud, lumières de Urs Schönebaum, dramaturgie de Sophie Becker. Jan Philipp Gloger , qui a 30 ans,  a fait sa première mise en scène d’opéra en 2010 à Augsburg (Le Nozze di Figaro). Il est metteur en scène résident au Staatstheater de Mayence et a  déjà reçu des prix pour ses travaux de théâtre. L’orchestre sera dirigé par Christian Thielemann, et la distribution comprend Adrienne Pieczonka (Senta), Evgeny Nikitin (Der Holländer), Franz Josef Selig (Daland), Michael König (Erik) et Benjamin Bruns (Der Steuermann). Evgeny Nikitin en Hollandais est un très bon choix et la distribution de ce Fliegende Holländer semble sur le papier intéressante.
Cette année était la dernière année des Meistersinger, restent donc en programmation, Parsifal (Mise en scène Stefan Herheim), dirigé par Philippe Jordan qui fait ainsi son entrée au Festival et qui succède à Daniele Gatti. Ce Parsifal fera l’objet d’un enregistrement le 5 août. En outre on pourra voir Tristan und Isolde ( Peter Schneider, Christof Marthaler), gageons qu’on trouvera plus facilement des billets pour ce Tristan désormais bien connu.
Enfin, on pourra voir ou revoir Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels, pour faire plaisir aux téléspectateurs en colère, direction musicale Andris Nelsons) et la production 2011 de Tannhäuser dirigée par Thomas Hengelbrock et mise en scène par Sebastian Baumgarten qui fera encore l’unanimité…
Grande nouveauté,  pour la première fois, on pourra commander ses billets par internet (à partir du 15 septembre sur le site http://ticket.btfs.de)  mais la commande papier est encore valide. On introduit donc internet, mais à dose limitée…

Voilà bien des batailles encore en perspective, mais la possibilité d’avoir ce Parsifal retransmis est excitante, vu la qualité du travail de Stefan Herheim.

A l’an prochain…

DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/WAGNER : PARSIFAL

solti_wagner_parsifal.1289037326.jpg

Je me souviens de mes débuts de mélomane: j’avais des difficultés à choisir des versions des opéras que j’aimais, encore qu’à l’époque, dans les années 70, le choix était encore assez réduit. Rien de plus subjectif  que la construction du goût musical:  souvent, j’achetais un disque d’extraits, et, habitué à ce son, ce rythme, ces voix, ce tempo, j’achetais ensuite la version complète qui devenait presque naturellement ma version de référence. Ce ne fut pas le cas pour Parsifal.

parsifalboulez.1289037656.jpg

J’achetai d’abord en extraits un LP de la version Boulez, avec l’idole de mes jeunes années, Gwyneth Jones, et je commençai à me sensibiliser à l’œuvre en ayant dans l’oreille la clarté et la profondeur du son et la rapidité du tempo imprimés par Pierre Boulez, mais je fis ensuite l’acquisition ruineuse de la version Solti, qui venait de sortir, premier enregistrement en studio, qui bénéficiait du fameux son DECCA, à la suite de ma première visite à l’opéra de Paris (Parsifal, Horst Stein, Helge Brilioth, Joséphine Veasey, Donald Mac Intyre, Franz Mazura).
J’ai ensuite écouté, fait l’acquisition de bien d’autres versions, à commencer par les différentes versions de Hans Knappertsbusch, Pierre Boulez, mais aussi de plus récentes, Karajan (merveilleuse), Barenboim, Levine,Thielemann. J’ ai aussi écouté et enregistré des versions radio: Abbado à Berlin et à Salzbourg, Gatti à Bayreuth, Boulez à Bayreuth en 2002. Bref l’embarras du choix.
Dans les versions “live” reprises à la radio, je crois que j’ai un très gros faible pour Abbado à Berlin, le 29 novembre 2001,  avec le Philharmonique de Berlin dans une forme éblouissante et malgré une distribution inégale (Linda Watson, Robert Gambill..mais quand même le magnifique Kurt Moll) parce que c’est le plus beau final que j’aie pu entendre, avec ses chœurs dispersés dans la salle, son chœur d’enfants (le Tölzer  Knabenchor) perché au sommet de la Philharmonie, extraordinaire de pureté, ses cloches asiatiques au son si particulier, cette impression aérienne que je n’ai retrouvée ni en salle ni à l’audition de son Parsifal salzbourgeois (avec Thomas Moser et Violeta Urmana). Pierre Boulez à Bayreuth est aussi à écouter, dans un cadre fort différent de son premier Parsifal: la mise en scène de Christoph Schlingensief mobilisa les passions et fit quelquefois oublier cette extraordinaire direction charnue, lyrique, pleine, presque définitive au service d’une équipe de chanteurs un peu faiblarde hélas.

A part ces trésors qui  seront sans doute publiés un jour (il faudra alors vous précipiter sur Abbado-Berlin), contentons-nous pour cette fois des versions officielles. On doit reconnaître que toutes sont excellentes, voire extraordinaires, notamment les différentes version Knappertsbusch, Karajan aussi bien que Barenboim et Levine à Bayreuth ou index.1289037708.jpgThielemann à Vienne (avec Domingo et Meier) proposent des Parsifal exceptionnels. il reste que mon choix n’a pas bougé depuis 40 ans et que je préfère encore aujourd’hui la version Solti.

D’abord à cause du fameux son “DECCA” toujours enchanteur, qui frise la perfection par la profondeur et la clarté. Ensuite parce que Solti réussit à la fois à rendre l’atmosphère mystique et recueillie, mais aussi l’ampleur majestueuse des transformations et de la scène du Graal, et le bouleversant “enchantement du vendredi saint” avec des Wiener Philharmoniker à leur sommet et un chœur du Staatsoper de Vienne  tout aussi remarquable. Enfin il réussit en contraste à rendre le deuxième acte très dramatique, très théâtral (le prélude est impressionnant). La scène des filles-fleurs est une totale réussite,  une lecture absolument admirable d’intelligence, avec une couleur unique: c’est une lecture qui souligne l’orientalisme voulu de la musique, mais aussi une ambiance mystérieuse, voire magique, aidée en cela par un groupe de filles fleurs de référence (de jeunes chanteuses d’avenir qui s’appellent Lucia Popp, Kiri Te Kanawa, Gillian Knight, Anne Howells…).
La distribution est particulièrement homogène, avec un jeune Kollo à la voix très claire, presque trop claire pour le rôle (l’opposé du Parsifal mur de Vickers par exemple), une Kundry exceptionnelle, Christa Ludwig, qu’on n’attend pas dans ce rôle, qui marque l’interprétation par un parti pris  sauvage,  très théâtral (en harmonie avec le chef) et un Klingsor , Zoltan Kelemen, qui étonne dans ce rôle par sa musicalité, et une interprétation “chantée” qui garde pourtant au texte son côté parlé, éructé. Mais qui a vu Kelemen sur scène (je le vis dans l’hallucinant Alberich qu’il fit à Bayreuth avec Chéreau en 1977 – et 1976- qui reste à tout jamais l’Alberich de référence pour moi) et qui surtout l’a entendu sait quel extraordinaire chanteur nous avons perdu en 1978, lorsqu’il a été emporté par la maladie.
Cette distribution fait en quelque sorte un lien entre de nouvelles gloires du chant wagnérien et les gloires finissantes: Hans Hotter en Titurel encore impressionnant, et surtout l’admirable Gottlob Frick, égal, simple, profond, une sorte de Gurnemanz pour l’éternité. Quant à Dietrich Fischer Dieskau en Amfortas de grand luxe, il est presque trop léché et trop parfait pour ce rôle de roi déchu, à mi-chemin entre la noblesse, la déchéance et la souffrance sauvages. Cette toute petite réserve n’empêche pas de continuer malgré Knappertsbusch, la référence, Boulez, dans l’ailleurs,

parsifalkarajan.1289037691.jpgKarajan, lui aussi bouleversant, ou même Abbado, et son ambiance “spatialisée” toute particulière (“Du siehst, mein Sohn, zum Raum wird hier die Zeit” / “Tu vois, mon fils, ici l’espace et le temps se confondent”) cette version comme ma version de l’île déserte, sans doute aussi parce qu’elle est liée à ma jeunesse, à mes souvenirs et que j’ai construit ma connaissance et ma familiarité avec l’œuvre à partir de cet enregistrement
Il reste que le mélomane désireux d’acheter un Parsifal, peut sans crainte en choisir un des autres, rarement en effet une œuvre n’aura bénéficié de tels sommets.

[wpsr_facebook]
knappertsparsifalger.1289038619.JPGLe premier enregistrement de Hans Knappertsbusch au Festival de Bayreuth, celui de 1951.

knapperts62.1289038925.jpgEt le dernier, celui de 1962 en version remastérisée.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: GÖTTERDÄMMERUNG le 1er août 2010 (Christian THIELEMANN – Tankred DORST)

salutsrideauchef.1280740628.jpg

Ce Ring se termine donc. Il ne laissera pas trop de regrets ni même de souvenirs. Rares sont les images marquantes, rares les moments de théâtre. Néanmoins, par rapport à mon souvenir de 2006, j’ai beaucoup plus apprécié la direction de Christian Thielemann. Maîtrise incontestable des équilibres, clarté des pupitres (il est vrai que l’acoustique de Bayreuth est exceptionnelle), rondeur des sons, beaux effets symphoniques. Il reste que pour mon goût elle manque tout de même de dramatisme, notamment dans l’Or du Rhin. Thielemann s’inscrit dans la tradition du classicisme allemand, des grands Kapellmeister. Ce type de figure manquait sans doute à Bayreuth depuis Horst Stein, ou même Wolfgang Sawallisch, et manquait aussi au marché des chefs d’orchestre : peu de grandes phalanges allemandes de référence (Munich, Berlin) sont dirigées aujourd’hui par des chefs germaniques: on trouve Rattle, Barenboim, Nagano, Jansons. Thielemann est une figure nécessaire dans le paysage, même si d’autres chefs allemands me semblent plus intéressants et originaux, Ingo Metzmacher par exemple, voilà un chef pour Wagner, et porteur d’une vraie vision. Espérons.

Il reste que Christian Thielemann propose un Ring de haute tenue, et de grande qualité musicale: c’est heureux. Rappelons que le dernier (mise en scène Jurgen Schlimm) confié à Giuseppe Sinopoli en 2000, décédé après la première édition, avait été confié ensuite à Adam Fischer, excellent chef pour Wagner, mais qui n’avait pas l’aura d’un Thielemann. Après ce Ring, Thielemann dirigera Der Fliegende Holländer en 2012 et Tristan en 2015 (mise en scène Katharina Wagner), il aura alors dirigé tous les opéras à Bayreuth. L’arrivée d´Andris Nelsons, puis en 2013 pour le Ring du très attendu Kirill Petrenko, devrait imposer le passage de relais à la nouvelle génération, bien que pour 2013, les grands anciens (Barenboim, Levine essentiellement) aient marqué leur disponibilité à la nouvelle direction.
Tout le monde ici se demande qui mettra en scène le Ring de l’année Wagner (2013), les deux directrices n’ont pas exclu de faire appel à quatre metteurs en scène différents, ce qui serait une curiosité esthétique plus que discutable, mais certainement très efficace pour faire s´agiter la presse et les aficionados. En tous cas, pas de discussions passionnées ici pour le travail de mise en scène : le Crépuscule des dieux confirme ce qui a précédé. Le concept pourrait être intéressant s´il était bien réalisé, mais c´est vraiment raté.

On vient écouter Wagner à Bayreuth pour se remplir d’émotions, or aucune image, aucune scène ne répond à ce besoin. Le seul moment d’émotion authentique, c’est la marche funèbre qui suit la mort de Siegfried, à rideau fermé… Aucun effort pour proposer une image tant soit peu poétique, sinon cette vision finale du couple d’amoureux ou de l’enfant qui joue, c’est maigre après une scène d’embrasement du Walhalla où tout le monde circule en tous sens, comme lors d’un incendie « humain », empêchant de se concentrer sur l’image apocalyptique que toute la salle attend. Eh, oui, une fois de plus, on pense à Chéreau, mais aussi à Kupfer : on pense à l’émotion qui étreignait, à mesure que les notes s’égrenaient et que le spectacle allait se clore. Émotion de la fin du Ring, émotion de la fin d’un spectacle magique.

Rien de tout cela ici.

Et pourtant, le Crépuscule est toujours à Bayreuth un moment particulier : après à peu près une semaine où l’on a eu la même place, les mêmes voisins avec qui on a lié conversation, où la vie s’est organisée autour du Ring, voilà que tout prend fin. Déjà la fanfare d’appel des spectateurs au troisième acte est lacérante, notamment la troisième fanfare, que tout le monde attend dans le silence, dans l’ambiance crépusculaire d’un doux soir d’été, avant de se précipiter dans la salle et c’est en voyant le Crépuscule des Dieux qu’on prend mieux la mesure de la monumentalité de l’œuvre, et du parcours que Wagner fait faire au spectateur. Pour toutes ces raisons, le spectateur est disponible pour se laisser aller à l’émotion.

regie.1280740565.jpgInutile de gloser sur une mise en scène indigente, sans direction d’acteurs, sans ligne directrice ferme: pourquoi cet homme déguisé en coq au deuxième acte ? Pourquoi un pique-nique clairement inspiré du Déjeuner sur l’herbe de Manet au moment de la mort de Siegfried ? Pourquoi une trentaine de paires de chaussures devant le décor du palais des Gibichungen ? Pourquoi une jeune dame déguisée en Fricka dorée ? On n’en finirait pas de poser des questions qui semblent sans réponse. Et malgré ces pointes surréalistes, une désespérante convention dans les gestes, les mouvements, et une totale absence d’interaction entre les personnages.
Du point de vue musical, Thielemann fait merveille ainsi que le choeur

choeur3.1280740841.jpgcomme toujours exemplaire, et Siegfried-Lance Ryan lance sa voix jeune et radieuse qui triomphe sans mélange au rideau final. La voix de Erik Halfvarson dans Hagen est en revanche fatiguée. c´est une voix grosse, qui crie trop fort, lancée dans une sorte de gueuloir, complètement détimbrée le plus souvent, et le personnage à peu près inexistant qui n’a ni l’aspect inquiétant, ni la force négative des grands Hagen.

alberich.1280740739.jpgAndrew Shore dans Alberich en revanche a l’élégance qui manque à son fils Hagen, une fois encore, son chant frappe par son style et les accents de la voix : un bel Alberich, même s´il n´est pas l´un des plus puissants. Ralf Lukas dans Günther éprouve des difficultés notamment dans les passages, mal négociés.

hagengunthgutrune.1280740532.jpgEdith Haller (Gutrune) ne s’en tire pas trop mal, mais a tendance à crier elle aussi. Les filles du Rhin et les Nornes sont toutes très bonnes (la scène des filles du Rhin au début du troisième acte est magnifiquement chantée). Quant à Christa Mayer (Waltraute), elle est plus à l´aise que dans Erda, mais ne laisse pas d´impression marquante. Reste Linda Watson, une Brünnhilde de plâtre qui lance ses aigus comme des flèches, mais dont on entend mal tout le monologue final, la voix noyée dans le flot orchestral. Les notes sont faites, sans musique, sans poésie, sans interprétation et sans aucun jeu, sinon un bras lancé par ci par là, pour tout dire, sans aucun, mais aucun intérêt.

Au total donc, un Rheingold passable, une Walkyrie décevante, un très grand Siegfried, et un Götterdämmerung sans âme, mais tout de même un orchestre de plus en plus somptueux et un chef de grande classe accompagnant une distribution faite de quelques diamants (les ténors) sans écrins. Cela reste insuffisant pour un tel lieu. Mais on oubliera vite ces années d’un Ring gris, en attendant le prochain, dans 3 ans.

salutsdecor2.1280740826.jpg