BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: L’AFFAIRE EVGUENYI NIKITIN (DER FLIEGENDE HOLLÄNDER)

Evguenyi Nikitin

Evguenyi Nikitin, qui devait chanter Der Holländer dans la nouvelle production de Der Fliegende Holländer dirigée par Christian Thielemann et mise en scène par Jan-Philipp Gloger s’est retiré du Festival de Bayreuth.
Le journal Bild am Sonntag a révélé que Nikitin avait des tatouages nazis sur le corps, la magazine Der Spiegel a confirmé. Ces tatouages remontent à l’époque où Nikitin appartenait à un groupe Heavy Metal ou Gothique (je ne sais pas trop faire la différence), une faute de jeunesse qu’il regrette amèrement, a-t-il déclaré.
Après une entrevue avec la direction du Festival, il a décidé de se retirer. La direction du Festival, très sensible à tout ce qui peut évoquer le passé auquel le Festival de Bayreuth a été lié pendant les années noires du nazisme en Allemagne et fermement décidée à ne jamais laisser entrer le ver dans le fruit (voir la mise en scène très critique des Meistersinger von Nürnberg de Katharina Wagner) ne transigera jamais sur ces questions.
La situation pour l’administration du festival est délicate, à trois jours de l’ouverture du festival et de la Première de la nouvelle production. Elle a demandé à Samuel Youn, très bon chanteur découvert dans la production de Lohengrin mis en scène par Hans Neuenfels où il chante Der Heerrufer des Königs (le héraut) de reprendre le rôle au pied levé.
Je ne suis pas loin de penser que cette malheureuse affaire, révélée par la presse, ne soit une manière de déstabiliser la direction bicéphale du Festival, qui a beaucoup d’adversaires en Allemagne. Au-delà du lamentable cas de Nikitin, beaucoup considèrent que les deux soeurs Wagner n’ont pas le poids suffisant pour assumer la direction du Festival de Bayreuth. Je pense qu’on va avoir de nombreux débats pendant la préparation de Bayreuth 2013, prenant prétexte de la production du Ring par Frank Castorf, et peut-être quelques polémiques bien ciblées, dont celle-ci est un prélude.
Il reste que le départ de Nikitin était, politiquement, une obligation. Enfin, beaucoup de bruits courent sur les opinions politiques de Christian Thielemann (voir la polémique sur son programme Strauss avec les Berliner Philharmoniker en Mai 2011), et lui est fermement ancré à Bayreuth. Il a d’ailleurs fortement condamné le chanteur, tandis que l’Opéra de Munich critique une décision précipitée…A qui profite le crime?

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Samuel Youn en Héraut dans la production de Lohengrin de Hans Neuenfels

BAYREUTH 2013, LE RING : INTERVIEW DE FRANK CASTORF DANS “WELT ON LINE” le 17 février 2012.

Frank Castorf - Photo Amin Akhtar

TRADUCTION de l’interview:

Je ne résiste pas: l’interview de Frank Castorf dont j’ai parlé dans mon avis sur Bayreuth 2013 nous en dit un peu sur le futur “Ring”, j’ai essayé de la traduire au mieux, pour que nous puissions nous préparer, et peut-être mieux connaître le metteur en scène qui a enflammé (et écœuré) une partie du public de l’Odéon en janvier dans « La Dame aux Camélias » et qui va sans doute faire couler beaucoup d’encre et de salive avant, pendant et après le Ring du bicentenaire au Festival de Bayreuth. C’est une belle interview, qui j’espère va vous intéresser et vous indiquer comment le “Ring” sera lu, entre globalisation, est-ouest, histoire de l’Allemagne et du Monde.

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Auteurs: Volker Blech, Stefan Kirschner | lien vers l’article en langue originale: WELT ON LINE : 17/02/2012

“Bayreuth est pour moi une transgression”

Frank Castorf met en scène le « Ring » du  Jubilé comme une parabole sur le bruit du pétrole et la mondialisation.
Une discussion sur les plateaux tournants et les clauses du contrat en petits caractères.

Le metteur en scène Frank Castorf, intendant de la Volksbühne de Berlin a été récemment à Belgrade, où il a rencontré Aleksandar Denic. Le Serbe réalise les décors pour du Ring de Castorf à Bayreuth en 2013, Le Festival fête le 200ème Anniversaire de la naissance et le 130ème anniversaire de la mort du compositeur Richard Wagner.
Ce vendredi, cependant, c’est une première à Berlin: il a mis en scène la nouvelle de Kleist “La Marquise d’O …”.
  Mais Castorf est déjà bien occupé par le “Ring”.

Welt on Line: Monsieur Castorf, vos spectacles sont rarement courts, combien de temps va durer la soirée?

Frank Castorf: Je l’ai dans mon contrat: On ne peut pas descendre en dessous de 17 heures.

Welt on Line: Mais…pour la Marquise d’O de Kleist?

Frank Castorf: Non évidemment, je parle du Ring de Bayreuth! Il a d’abord été question de réflexions, de modification dans le livret ou la partition, mais le chef Kirill Petrenko veut diriger l’original, ainsi que les soeurs Wagner. Alors j’ai dit “Ok!”, c’est bien que personne ne me demande de pratiquer des coupures. Et le Kleist à la Volksbühne dure trois heures!

Welt on Line: Vous mettez en scène le texte de Kleist pour la première fois?

Frank Castorf: Oui, j’ai découvert Kleist par hasard, sur mon parcours  dans le XIXème et  la fin du XVIIIème. Kleist a pour moi une modernité extraordinaire.

Welt on Line: Les drames de Kleist ne vous irritent pas?

Frank Castorf: En préparant la mise en scène de la “Marquise d’O”, j’ai découvert des anecdotes sur Kleist qui sont un trésor unique. Cet art de pointer des choses est grandiose: de courtes notes de journal sur la Charité (*NdT:  l’hôpital “historique” de Berlin) et en quatre lignes il en vient au fait. Kleist est un humoriste qui découvre toujours la purulence qui va faire percer le bubon. Un homme qui cherche toujours l’opposition.

Welt on Line: Et cet humour aigu et provocateur, la société berlinoise l’a perdu?

Frank Castorf: On doit l’avoir soi-même!  Nous vivons dans un grand consensus (NdT: nous dirions sans doute en France, “la pensée unique”) et vivons très bien avec. Qui dit aujourd’hui, vraiment ce qu’il pense?

 

Frank Castorf: Ils le peuvent, oui, parce qu’on ne peut les congédier. Ce sont les seuls qui soient libres parce qu’ils sont indépendants des indices d’écoute.

Welt on Line: Mais vous en êtes le meilleur contre-exemple, vous qui êtes au mieux avec le Maire de Berlin Klaus Wowereit, et son secrétaire d’Etat André Schmitz.

Frank Castorf: Mais je suis un dinosaure…et vous connaissez bien leur destin.

Welt on Line: Monsieur Schmitz est aussi enthousiaste à l’idée que vous allez mettre en scène le “Ring” de l’année du Jubilé à Bayreuth. D’autres considèrent votre style de travail comme de la pure provocation. Pourquoi prendre le risque de Bayreuth?

Frank Castorf: Bayreuth pour moi est une transgression. Le conservatisme y est beaucoup plus prononcé. Vous pensez, de l’opéra! et à Bayreuth! et le “Ring”, cette “œuvre d’art totale”! Si l’offre était venue de Vienne ou d’ailleurs, je ne l’aurais pas acceptée. Ou alors seulement si j’avais pu toucher à la partition ou au livret. Mais à Bayreuth, c’était impossible pour des raisons évidentes.

Welt on Line: On à peine à croire que vous ayez accepté les règles…

Frank Castorf: J’ai beaucoup hésité. Mais maintenant c’est dans le contrat, hélas! C’est un risque parce que je n’ai plus la possibilité de combiner le matériel de Wagner avec quelque chose d’autre. mais j’ai obtenu des choses dans les négociations. Il y aura une scène tournante, je pourrai travailler avec le film. Les gens d’opéra sont toujours un peu sceptiques. Les amateurs d’opéra conservateurs aussi. Il y a à Bayreuth un public qui n’est pas seulement sur le tapis rouge pour des raisons artistiques. Comme la chancelière, ou Thomas Gottschalk, le Grand-chancelier de “l’entertainment”. Je trouve ça bien ainsi! Ici à Berlin on est toujours entre soi, et ça finit par être ennuyeux!

Welt on Line: Le “Ring” célèbre en 17h la chute d’une race de Dieux. Quelle histoire racontez-vous?

Frank Castorf: Pour moi c’est un voyage vers l’Or de notre temps, vers le Pétrole. Et Siegfried est l’histoire de quelqu’un qui s’est mis en tête d’ apprendre la peur. On peut simplement raconter cela comme dans les contes de fées.  Cela rappelle aussi le grand classique d’Orson Welles, Citizen Kane. Dans Apocalypse Now, les Hélicoptères volent au  son de la “Chevauchée des Walkyries”. Cette manière d’interpréter a hanté nos têtes. Foin de l’illustration. Entrons au cœur de l’opposition logique!

Welt on Line: Votre “Ring” se déroule dans le présent?

Frank Castorf: Avec l’ère du pétrole commence l’industrialisation du monde. En 1890 il y a eu un boom en Azerbaïdjan. Les vieilles tours de forage de Bakou ressemblaient à des cathédrales de bois.Il y a deux extrêmes, aux antipodes, la Russie et le Texas, où le boom pétrolier a suivi dans les années 50. Mais dans la mise en scène on va s’éloigner du concept historiciste. Amérique et Russie  sont pour moi le XXème siècle. Au milieu, il y a quelque chose, et c’est nous. Mon décorateur Aleksandar Denic a construit quelque chose de magnifique: L’Alexanderplatz de Berlin comme socialisme postmoderne. Sur un plateau tournant seront réunis Est et Ouest, c’est notre voyage. Il commence n’importe quand après la deuxième guerre mondiale.

Welt on Line: Vous avez une attention politique plus aiguë à une Première à Bayreuth qu’à la Volskbühne. Comment voulez-vous en user?

Frank Castorf: Ça, on va voir. J’aime le plaisir des détours et je ne sais pas vraiment aujourd’hui où va me conduire la musique. Il y a l’Alexanderplatz, mais quand la scène tourne, on se retrouve à Wall Street. Je veux cette ambivalence sans conclusions univoques. Les conclusions univoques sont rarement exactes. Mais c’est vrai:  tous les systèmes que nous avions  se sont donnés comme Walhalla, et dans le même temps se sont dissoutes toutes les valeurs morales.
Welt on Line: Alors vous faites un “Ring” sur la globalisation?

Frank Castorf: Je ne peux dire si la globalisation est bonne ou mauvaise. Mais je remarque qu’avec l’effondrement du système de valeurs (NdT: le socialisme est-allemand) auquel je me suis frotté auparavant, beaucoup de choses ont empiré. Le mur Est/Ouest a aussi empêché beaucoup de choses, les grandes guerres. L’arrivée de l’Islamisme militant n’aurait pas été pensable. Mais on ne peut penser l’histoire comme souhait. Elle se passe et c’est tout.

Welt on Line: Kleist  comme Wagner, est-ce votre retour sur le fait allemand?

Frank Castorf: Je suis bien sûr aussi un vieux maître-éducateur teutonique. Je trouve que nous avons derrière nous une longue tradition qui explique pourquoi nous sommes devenus ainsi. C’est parfois terrible, c’est parfois aussi – comme dans le cas Wagner-quelque chose de tout à fait particulier. Ce qui m’intéresse, c’est le matériel qui nous est resté du XIXème, Grabbe, Hölderlin, Lenz. Chez Kleist, ce qui me fait plaisir, c’est de provoquer le rire par les contestations. Mon style n’est peut-être pas à la mode, mais cela va changer. En ce moment, à Berlin, je suis tombé dans une faille de la machine du temps.

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FESTIVAL DE BAYREUTH 2012: TANNHÄUSER SERA DIRIGÉ PAR CHRISTIAN THIELEMANN

Christian Thielemann arrive...

Le Festival de Bayreuth a annoncé le 3 mars que Thomas Hengelbrock ne dirigera pas “Tannhäuser” lors du festival 2012 et qu’il est remplacé au pupitre par Christian Thielemann.
Il est dommage que Thomas Hengelbrock n’ait pas continué à diriger ce Tannhäuser car sa manière d’aborder la partition était originale, et cohérente, même si critiquée. Cependant il faut bien reconnaître que le souvenir de Christian Thielemann au pupitre du dernier Tannhäuser de Bayreuth (Mise en scène Philippe Arlaud) est si fort (c’est pour moi l’un des plus beaux Tannhäuser jamais entendus) me fait accueillir ce changement avec joie.
Une autre remarque: avant que la solution “Eva-Katharina” à la tête du Festival ne soit décidée, le projet de Katharina Wagner impliquait fortement la présence de Christian Thielemann à Bayreuth et l’arrivée d’Eva (liée à d’autres clans artistiques) avait laissé penser à un éloignement. Le rôle de ce chef lors des commémorations du bicentenaire 2013, et sa présence renforcée en 2012 laisse penser que son influence artistique n’a pas baissé sur la colline verte ou du moins qu’il est revenu en cour. Il est vrai que sa présence à Dresde, ville importante pour Wagner et les succès qu’il a remportés à Salzbourg (La Femme sans Ombre), à Vienne (Le Ring l’automne dernier) et sa prochaine arrivée (à Pâques 2013: Parsifal) au Festival de Pâques de Salzbourg avec la Staatskapelle de Dresde (puisque les Berliner Philharmoniker s’en vont à Baden-Baden, cruelle erreur à mon avis!) en font actuellement un incontournable: depuis les départs de Daniel Barenboim et de James Levine de Bayreuth, aucun chef n’a vraiment “incarné” le Festival depuis une dizaine d’années, sinon justement Thielemann, mais pour un Ring très discutable.
Les mouvements du monde musical sont dignes des stratégies politiques: la pointe émergée d’un iceberg qui cache bien d’autres enjeux. Christian Thielemann, très apprécié en Autriche, n’a pas réussi à s’implanter à  Berlin, sa ville, et n’a pas réussi à s’implanter non plus à Munich, la seconde capitale musicale d’Allemagne; il a besoin de points d’ancrage allemands qui en fassent un incontournable dans le paysage musical allemand. En imposant la Staatskapelle de Dresde à Salzbourg, en s’imposant à Bayreuth et dans les festivités du bicentenaire, il redevient un pôle fort du paysage germanique. D’autant que Munich est actuellement en période de transition et que la situation à Berlin est verrouillée par Sir Simon Rattle au Philharmonique et Daniel Barenboim à la Staatsoper.

N’importe, le Festival de Bayreuth n’y perd pas à ce remplacement, qui va réveiller la curiosité pour ce Tannhäuser bien mal accueilli en 2011, et relancer la chasse au billet!!

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Et Thomas Hengelbrock s'en va

BAYREUTH 2013: LE VOILE EST LEVÉ: LA DISTRIBUTION DU RING EST COMPLÈTE

L’organisation du Festival de Bayreuth 2013, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. est désormais connue.

Les cérémonies anniversaires le 22 mai 2013 seront marquées par un concert de l’orchestre du Festival de Bayreuth au Festspielhaus, dirigé par Christian Thielemann (extraits de Walküre -Acte I- de Götterdämmerung, de Meistersinger et même de Rienzi, dont les notes sonneront pour la première fois sous le toit du Festspielhaus.) concert suivi d’une fête dans la ville.
Note: Ce programme originel a été modifié: Walküre -Acte I-, Tristan und Isolde, prélude et Mort d’Isolde, Götterdämmerung, marche funèbre, Meistersinger ouverture. Exit Rienzi, la seule originalité. Dommage.

L’un des enjeux étant les représentations des œuvres de jeunesse de Richard Wagner dans une saison qui devrait en afficher l’intégrale, ces œuvres seront présentées en coproduction avec l’Oper Leipzig (lieu de naissance de Wagner) qui les affichera en 2012-2013 (Die Feen) ou en 2013-2014 (Das Liebesverbot)
Si l’on ne touche pas au Festival et si les œuvres de jeunesse n’y seront pas jouées, et surtout pas dans la salle du Festspielhaus, elles seront donc présentées pendant la première quinzaine de juillet (du 7 au 14 juillet)  dans la “Oberfrankenhalle” à Bayreuth, en version concertante (Die Feen, le 9 juillet 2013, direction musicale: Ulf Schirmer) ou en version scénique:
– Das Liebesverbot les 8, 11, 14 juillet 2013, direction musicale: Constantin Trinks mise en scène: Aron Stiehl
– Rienzi les 7, 10 et 13 juillet, direction musicale: Christian Thielemann mise en scène: Mathias von Stegmann

Attention, réservation en ligne à partir du 27 juillet 2012, 18h00, premier arrivé, premier servi.
Diverses manifestations, concours (y compris un concours de rap à partir de textes de Richard Wagner) , colloques, films, émaillent la saison du Festival. Le Festival affichera une nouvelle production du Ring des Nibelungen dans une mise en scène de Frank Castorf, et une direction musicale de Kirill Petrenko,et voici quelques éléments de distribution: Brünnhilde devait être Angela Denoke, elle a renoncé et l’administration du Festival a trouvé une remplaçante, ce sera pour tout le cycle Catherine Foster.  Wolfgang Koch sera Wotan et le Wanderer, Lance Ryan et Johan Botha seront Siegfried et Siegmund (ils ont déjà tenu ces rôles lors de la dernière année du Ring précédent), Anja Kampe Sieglinde et Martin Winkler Alberich. Notons aussi l’excellent Iain Paterson comme Gunther et Attila Yun comme Hagen et Franz-Josef Selig comme Hunding.

Frank Castorf dans une interview au journal Die Welt en dit quelques mots: pour Castorf, l’or d’aujourd’hui est l’Or noir, dont chacun cherche à s’approprier, et son Ring “mondialisé”  ira de Berlin Alexanderplatz à Wall Street.
Vous en saurez plus en lisant l’intégrale de l’interview (en allemand) sur le lien Interview Castorf dans Die Welt
Août 2012: sur le Site du festival de Bayreuth, les distributions complètes et les dates du Festival 2013 sont en ligne.

Site des festivités Richard Wagner: Année Wagner 2013 Leipzig/Bayreuth

Site du Jubilé Wagner de la ville de Leipzig: Jubilé Wagner-Leipzig

FESTIVAL DE BAYREUTH: PERSPECTIVES 2012

Le Festival de Bayreuth 2011 est mort, vive le Festival 2012.

Comme le dit le communiqué de presse, pour une vente de 57750 billets, il y a eu 320000 demandes de 80 pays…Le Festival n’est donc pas tout à fait moribond.
Bayreuth 2012 ouvrira le 25 Juillet 2012 avec une nouvelle production de Der Fliegende Holländer, mise en scène de Jan Philipp Gloger, décors de Christof Henzer, costumes de Karin Jud, lumières de Urs Schönebaum, dramaturgie de Sophie Becker. Jan Philipp Gloger , qui a 30 ans,  a fait sa première mise en scène d’opéra en 2010 à Augsburg (Le Nozze di Figaro). Il est metteur en scène résident au Staatstheater de Mayence et a  déjà reçu des prix pour ses travaux de théâtre. L’orchestre sera dirigé par Christian Thielemann, et la distribution comprend Adrienne Pieczonka (Senta), Evgeny Nikitin (Der Holländer), Franz Josef Selig (Daland), Michael König (Erik) et Benjamin Bruns (Der Steuermann). Evgeny Nikitin en Hollandais est un très bon choix et la distribution de ce Fliegende Holländer semble sur le papier intéressante.
Cette année était la dernière année des Meistersinger, restent donc en programmation, Parsifal (Mise en scène Stefan Herheim), dirigé par Philippe Jordan qui fait ainsi son entrée au Festival et qui succède à Daniele Gatti. Ce Parsifal fera l’objet d’un enregistrement le 5 août. En outre on pourra voir Tristan und Isolde ( Peter Schneider, Christof Marthaler), gageons qu’on trouvera plus facilement des billets pour ce Tristan désormais bien connu.
Enfin, on pourra voir ou revoir Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels, pour faire plaisir aux téléspectateurs en colère, direction musicale Andris Nelsons) et la production 2011 de Tannhäuser dirigée par Thomas Hengelbrock et mise en scène par Sebastian Baumgarten qui fera encore l’unanimité…
Grande nouveauté,  pour la première fois, on pourra commander ses billets par internet (à partir du 15 septembre sur le site http://ticket.btfs.de)  mais la commande papier est encore valide. On introduit donc internet, mais à dose limitée…

Voilà bien des batailles encore en perspective, mais la possibilité d’avoir ce Parsifal retransmis est excitante, vu la qualité du travail de Stefan Herheim.

A l’an prochain…

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: Quelques mots sur le LOHENGRIN retransmis par ARTE en ce 14 août

Incontestablement c’est un beau cadeau que cette retransmission (presque) en direct. C’est un signe de changement que la nouvelle direction veut donner, après avoir inauguré les projections sur grand écran en plein air à Bayreuth même, les projections en streaming, et tout en continuant à publier des CD et DVD des productions en cours. Et c’est en même temps un joli coup pour Arte dont on peut saluer l’action en matière de retransmissions d’opéras et de concerts.
Sur la production elle-même, rien de spécial à ajouter à ce que j’ai écrit suite à la représentation du 27 juillet , publié le 30 juillet sur ce blog. Je confirme ce que j’y écrivais: en dépit des craintes,  Annette Dasch réussit à imposer son personnage, grâce à sa présence, grâce aussi à l’élégance de son chant, malgré une voix peu adaptée au rôle, Petra Lang est toujours aussi impressionnante, Klaus Florian Vogt montre une fois de plus douceur, élégance,  phrasé exceptionnel, clarté du discours. Oui, la voix n’est pas immense, mais elle remplit la salle du Festspielhaus sans problème et la prestation est remarquable. Ceux qui disent que Vogt est “un peu juste” ou qu’il est un “ténorino” sont de très mauvaise foi. Même dans d’autres salles que Bayreuth, Vogt est un artiste qui passe très largement la rampe.  Donc le spectateur n’est pas frustré, il a devant lui  un authentique Lohengrin, de la grande lignée des Lohengrin glorieux.
Je suis toujours aussi frappé par Georg Zeppenfeld et sa composition en Henri l’Oiseleur à la mode Ionesco. Les gros plans permettent de voir combien l’artiste (je devrais dire les artistes tant c’est le cas de tous) est concerné par l’action scénique. Samuel Youn est égal à lui même; seul Jukka Rasilainen déçoit un peu: la voix semble fatiguée, et convient plus à l’excellent Kurwenal qu’il chante au Festival qu’à Telramund (rappelons qu’il remplaçait Tomas Tomasson, souffrant, et que j’avais fort apprécié).
Avec la télévision, on a une vision assez précise du travail de mise en scène, du traitement des foules, du jeu des chanteurs. On pourra discuter à l’infini des mérites de Neuenfels, on peut aussi le vouer aux gémonies, mais on ne peut discuter et le sérieux de l’entreprise, et la précision du travail théâtral qui frappe immédiatement. Hans Neuenfels est évidemment un vrai et un grand metteur en scène. Certes, son point de vue est radical, sa vision est d’une rare crudité, et ce type de travail continue d’alimenter les discussions sur les approches scéniques, sur le “Regietheater” sur théâtre et opéra . Mais c’est heureux ! Heureusement, le théâtre est vivant, il est vie, il est débat. Que la TV ce soir nous donne cette image de Bayreuth est aussi un bien pour ceux qui penseraient que le temple wagnérien est un temple fossile. Bayreuth est un lieu permanent de discussions, et la presse allemande en  guette les moindres soubresauts. Dernier bruit en date: le choix éventuel de Frank Castorf comme metteur en scène du Ring 2013 amènerait de facto le retrait de Kyrill Petrenko, le chef prévu…
Revenons à ce Lohengrin. J’étais un peu intrigué par les conditions de retransmission. Connaissant la salle, il n’y a aucune possibilité d’y installer des caméras sans provoquer des réactions violentes d’un public qui attend 10 ans une place et qui verrait éventuellement le gel de plusieurs dizaines de places d’un très mauvais œil. Les caméras n’étaient donc pas au Parkett, où le spectateur peut à peine se mouvoir, alors imaginons la TV…
Les caméras étaient souvent en hauteur, deuxième galerie de face (probablement dans les espaces de travail, tour de lumière etc…), dans les cintres au dessus de la scène (belles images, inhabituelles), et sur les côtés des coulisses pour les gros plans. Elles étaient donc situées là où le spectateur n’est jamais. Et ce sont des plans tout nouveaux qu’on a pu ainsi voir. Encore une bonne surprise.
Je me suis demandé aussi pourquoi le choix de Lohengrin dont la mise en scène pouvait indisposer certains spectateurs (la commentatrice d’Arte l’a d’ailleurs souligné, mais Madame Gerlach devrait varier un peu son vocabulaire et ses appréciations). J’ai donc procédé par élimination. Comme toutes les mises en scènes sont âprement discutées, elles auraient toutes provoqué des réactions violentes de toute manière!
Les maîtres chanteurs et Tristan sont déjà en DVD et sont des productions déjà anciennes. Par ailleurs, Les Maîtres Chanteurs sont très longs (trop long sans doute pour le temps télévisuel: rien que l’acte III dure 2 heures) et Tristan n’est pas non plus un des opéras les plus courts. Parsifal aurait pu convenir, car le côté spectaculaire de la mise en scène de Stefan Herheim, les changements à vue auraient pu convenir à la TV, mais vu les angles de prise de vue, certains effets étaient très difficiles à rendre à l’écran, notamment les effets du troisième acte avec les miroirs et la salle en reflet. Par ailleurs, Parsifal est un opéra lui aussi assez long. Restent Tannhäuser et Lohengrin, qui durent chacun à peu près autant et qui sont deux oeuvres réputées “plus faciles”. Proposer pour la première retransmission en direct une nouvelle production et une production si critiquée (dont la distribution est pour le moins contrastée)  était peut-être risqué pour le spectacle et la suite de son exploitation. Reste donc Lohengrin qui a plein d’avantages: la production est récente (un an) et elle a pu être déjà rodée musicalement (notamment la direction d’orchestre, aux dires de tous bien meilleure cette année que l’an dernier), elle est déjà connue scéniquement et au total n’a pas été si mal accueillie par la presse et le public, et Hans Neuenfels est une gloire du théâtre allemand. La musique est plus accessible à un large public que celle de Parsifal ou de Tristan et la distribution est solide (sans compter la présence d’Annette Dasch, qui en Allemagne est une figure exploitée par les magazines people). En somme on comprend ce choix, et au total, c’est un choix cohérent.
Voilà donc une soirée de plus à Bayreuth pour moi, inattendue, mais très satisfaisante: le téléspectateur a pu réellement se rendre compte de ce qu’est ce Festival aujourd’hui. Merci encore Arte.

FESTIVAL DE BAYREUTH 2011 : En guise de conclusion

Le Festival se poursuit, mais pour le spectateur, tout a une fin et il faut rentrer. La tête encore dans les nuages wagnériens, l’esprit mobilisé par la lecture des différentes opinions émises sur la toile, de ceux qui ont vu les spectacles, de  ceux qui les ont entendus à la radio, et de  ceux qui ne les ont ni vus ni entendus, et les critiques de la presse allemande. On se plonge dans les livres et documents à sa disposition, on réécoute certaines œuvres ou les disques achetés là-bas (pour mon cas je me suis limité à des éditions très bon marché des premières œuvres « Das Liebesverbot », « Die Feen », et « Rienzi ».). Mais peu à peu se construit le bilan de l’édition 2011, la 100ème du festival.
Ma première remarque concerne les polémiques de l’année sur ce que certains blogs ont appelé la chute vertigineuse de la demande, et sur l’offre qui paraît-il se serait considérablement élargie. Certes, les Maîtres Chanteurs s’offraient et ne se cherchaient pas, certes, j’ai trouvé les places que je voulais (Parsifal, Tannhäuser). Mais inutile de se faire d’illusion : on n’en trouvait pas par brassées ! Loin de là. Certes, ce n’était pas la terrible chasse aux billets de certaines années. Mais j’ai connu par le passé des années de basses eaux : le Kartenbüro chassait les candidats à un éventuel « Vaisseau fantôme »(dans la légendaire production de Harry Kupfer, pourtant la meilleure de ces 30 dernières années) en 1985, pour sa septième édition !

Année sans Ring, année plus grise 

Lorsqu’il n’y a pas de Ring, qui attire toujours beaucoup de monde, le Festival reprend ses productions en cours avec la distribution des origines (ou à peu près s’il y a eu des accidents ou des erreurs de distribution) et ajoute une nouvelle production par an. Les années sans Ring sont toujours moins excitantes. Nous vivrons sans doute une année 2012 un peu similaire. Il est donc normal que Tristan (2005) et Meistersinger (2007) soient les moins demandés. Mais Tristan reste plus demandé que Meistersinger parce que la distribution en est honorable. Meistersinger en revanche a une mise en scène très discutée : certains spectateurs ne supportent pas l’idée qu’un membre de la famille Wagner prenne une position aussi critique sur cette œuvre symbole (Katharina est régulièrement huée), et il faut bien dire que l’équipe de chanteurs  réunie reste d’une qualité relativement modeste (notamment James Rutherford et Michaela Kaune) avec des accidents de parcours (Amanda Mace la première année, et  Franz Hawlata qui en dépit de ses qualités d’acteur fut vocalement très insuffisant).  C’est donc le spectacle le moins attractif pour le public et effectivement le moins attirant musicalement. J’ai dit plusieurs fois en revanche combien je trouvais l’approche de Katharina Wagner intelligente et cohérente. Par ailleurs tous les amis que j’ai croisés ou es personnes avec qui j’ai pu échanger à l’occasion des entractes apprécient le travail de Neuenfels sur Lohengrin, celui de Herheim sur Parsifal qui fut la première année un immense succès, et la curiosité prévaut sur ce Tannhäuser qui semble faire si peur …

Une chute de niveau continue…depuis très longtemps

Depuis que je viens à Bayreuth (34 ans cette année) j’entends parler de déclin, de chute du niveau, de mises en scène épouvantables, c’était une fois Wolfgang Wagner qui laissait tout à vau l’eau, trop âgé pour bien gouverner, c’était une autre fois la venue de Thielemann qui sonnait un retour à l’hyperclassicisme, ou bien à d’autres moments l’influence néfaste du clan Barenboim, ou bien celle de Levine (avec les allusions à leurs origines…). Que n’a-t-on pas dit sur Schlingensief, une erreur monstrueuse que même Pierre Boulez aurait marqué en laissant le pupitre au bout de deux ans (alors que c’était prévu dès l’origine, lorsque c’était Martin Kusej qui devait faire la mise en scène), production victime du départ de Boulez bien sûr (bien qu’Adam Fischer, qui quant à lui détestait la mise en scène, lui ait honorablement succédé), mais aussi et surtout de chanteurs pas vraiment à la hauteur. Je me souviens en 1978 d’une dame française, qui déclarait déjà qu’elle se demandait pourquoi elle venait chaque année, vu que c’était si mauvais. Une phrase que j’entends encore souvent.  Au total, Bayreuth ? C’est nul ! Rempli de snobs qui s’escriment à passer des heures dans une salle chaude et moite, mal assis sur des sièges durs et inconfortables, serrés les uns contre les autres (chaque année des évanouissements !), à crier au génie devant des spectacles qui ne valent pas tripette, avec des chanteurs qui ne connaissent rien au chant wagnérien et des chefs médiocres qui font la province allemande. Bref, 1900 masochistes présents qui expient au nom du snobisme…Je connais un blog italien très bien documenté, bien écrit , mais spécialisé dans la destruction tous azimuts de tout ce qui est offert sur les scènes d’aujourd’hui, au nom du bien chanter (celui du passé, bien sûr, celui qu’on n’a jamais entendu !) ce blog s’appelle Il Corriere della Grisi, j’y renvoie les lecteurs italophones, qui y trouveront aussi des informations nombreuses et un panorama complet de ce qui se fait (et qui ne devrait pas se faire, selon les auteurs) à l’opéra aujourd’hui.

Un moment délicat pour le Festival

Plus simplement, chaque festival, chaque institution culturelle a ses ratés, ses moments de doute, ou de transition. Pour le festival de Bayreuth après 50 de règne absolu de Wolfgang Wagner, il est clair que nous sommes à la croisée des chemins. D’une part les deux (demi)sœurs, qui doivent apprendre à travailler ensemble, et qui ont la charge de préparer le festival 2013, vrai test du fonctionnement de ce couple étrange, fait d’une jeune femme qui a grandi à Bayreuth, et a appris la mise en scène à l’école allemande, appartenant à la génération typique du Regietheater, et une femme beaucoup plus mûre, écartée au départ par son père, qui a été conseillère artistique à l’opéra de Paris, au Châtelet, au Festival d’Aix, et au Metropolitan : l’une sur la scène, l’autre derrière la scène. Cela peut fonctionner, cela peut aussi échouer, et on peut évidemment penser que si l’échec de cette paire est patente, la partie de la famille (les héritiers de Wieland) exclue du festival  (notamment Nike Wagner, la fille de Wieland, directrice artistique de »pèlerinages« « Kunstfest Weimar ») s’intéressera fort à la situation. Nous sommes dans un moment de fragilité et je ne serais pas étonné que les rumeurs qui courent actuellement ne soient pas si bien intentionnées. En termes artistiques, le festival 2011 ne m’est pas apparu d’un niveau si bas, avec un Lohengrin anthologique, un Parsifal et un Tristan très corrects, des Maîtres plus pâles au niveau musical, mais c’était déjà le cas les saisons précédentes, et un Tannhäuser âprement critiqué, musicalement à consolider, mais qui montre un vrai travail d’analyse aussi bien du côté théâtral que du côté orchestral :  on est loin du naufrage !

Des metteurs en scènes discutés, mais toujours de haut niveau

Du point de vue des mises en scènes, dans des genres d’approche très différents, on a un florilège de la mise en scène d’aujourd’hui en terre germanique : Marthaler est aujourd’hui appelé dans de très nombreux théâtres, Herheim est l’un des plus réclamés en Europe lui aussi, Neuenfels, moins connu hors d’Allemagne, est considéré comme une référence de la mise en scène, Katharina Wagner est plus jeune mais  travaille aussi beaucoup à l’extérieur de Bayreuth,  et Sebastian Baumgarten a derrière lui une grande expérience de théâtre, même s’il s’est lancé assez récemment dans la mise en scène. A moins de considérer tous ces artistes comme justes bons à attirer le chaland, il ne me semble pas que là non plus on alimente un déclin. Je n’ose imaginer l’accueil au futur Ring 2013 de Frank Castorf : d’autant que Castorf est très irrégulier, souvent critiqué y compris par les tenants du Regietheater et n’a pas connu que des triomphes : j’ai vu de lui une superbe production de « L’Idiot » et un spectacle (théâtral) plus discutable,  « Meistersinger ». Le spectateur parisien pourra juger sur pièces puisqu’il vient cette saison à l’Odéon pour mettre en scène La Dame aux Camélias…
Enfin, le travail scénique à Bayreuth, et les prouesses techniques réalisées par les techniciens du plateau, font partie des modèles du genre, et de ce point de vue, on n’a pas non plus constaté une baisse de niveau. Il faut rappeler que c’est toujours le concept de « Werkstatt Bayreuth » (atelier Bayreuth), inventé par Wolfgang Wagner qui prévaut ici, à savoir proposer au public à Bayreuth un travail sur la mise en scène, où prévalent la recherche et l’expérimentation, où l’on permet éventuellement de revenir sur ce qui été fait, de changer des éléments (ce que fit Chéreau fortement entre 1976 et 1978), un perpétuel  « work in progress » . Autrement dit, si on vient à Bayreuth pour voir ce qui se fait ailleurs, le festival devient inutile.

 Un niveau musical  relativement homogène sans être exceptionnel

Du point de vue des chefs et des distributions, c’est un peu la même chose. Du point de vue des chefs, on a réuni Gatti, Hengelbrock, Nelsons qui sont des chefs assez jeunes internationalement reconnus aujourd’hui. Weigle et Schneider (le vétéran) sont très reconnus en Allemagne (rappelons que Weigle fut aussi directeur musical au Liceo de Barcelone) : ce n’est pas un triste bilan.

il suffit de rappeler que Pierre Boulez fut appelé à Bayreuth en 1966, à 39 ans, pour diriger Parsifal et qu’il commençait à peine à être connu comme chef d’orchestre , que Lorin Maazel débute à 30 ans à Bayreuth en 1960, Schippers à 33ans en 1963  et Sawallisch à 34 ans, en 1957. Rien de nouveau donc sur la colline de ce point de vue là non plus, avec aussi au long des ans des météores: Mark Elder appelé à diriger Meistersinger en 1981 à 34 ans, ne fera qu’une saison (tout comme Schippers en 1963 lui aussi pour Meistersinger), Carl Melles en 1965 (Tannhäuser) ou Alberto Erede en 1968 (Lohengrin),  Sir Georg Solti pour un unique Ring en 1983, Christoph Eschenbach en 2000 (Parsifal) et Eiji Oue (Tristan) en 2005.  Au total, sur les chefs venus sur la colline depuis une trentaine d’années je ne vois pas vraiment de déclin notable (Levine, Barenboim, Solti, Sinopoli, Thielemann pour ne citer que les plus connus).
Quant au chant,  on a certes vu à Bayreuth des chanteurs consacrés (Domingo par exemple, venu dans les années 90), mais ils sont plutôt jeunes en général et ont été lancés par Bayreuth, l’exemple le plus connu du public aujourd’hui est Waltraud Meier, mais pensons aussi à Leonie Rysanek (en 1951), voire Birgit Nillson qui fut appelée pour la neuvième symphonie en 1953, puis en 1954 pour Elsa..et Ortlinde, ou Elisabeth Connell, jeune chanteuse qui commençait à peine à émerger comme Ortrud (magnifique) en 1980-82 ou même  Deborah Polaski.  Beaucoup de chanteurs en effet,  étaient loin du faîte de leur carrière lorsqu’ils ont été engagés à Bayreuth. Même si quelques grands wagnériens manquent à l’appel (Vickers, qui détestait Bayreuth, n’y a chanté que deux fois, en 1958 et en 1964, Bryn Terfel aujourd’hui n’y a pas encore fait son apparition et personnellement j’aimerais qu’on y entende Jennifer Wilson, magnifique Brünnhilde à Valence et Florence), et même s’ils sont fâchés pour certains avec la colline sacrée, ils y sont la plupart tous passés à un moment ou à un autre. Peut-être n’y restent-ils pas aussi longtemps qu’auparavant, peut-être aussi la pression du marché rend elle difficile les conditions (qui sont sans doute en train d’évoluer)  imposées par Bayreuth – moindres cachets, obligation de rester sur place, exclusivité pendant la période du festival (encore que ce soit très élastique) –  .

Et si l’on considère les chanteurs de cette édition 2011, indépendamment  de l’appréciation qu’on peut porter sur leurs prestations, aussi bien Klaus Florian Vogt, Robert Dean Smith, Burkhard Fritz, Simon O’Neill, Camilla Nylund, Annette Dasch, Petra Lang, Irene Theorin, Adrian Eröd, Kwanchoul Youn, Günther Groissböck sont des chanteurs qui conduisent actuellement une grande carrière internationale, même s’ils n’ont pas le format des chanteurs wagnériens d’antan. Ce n’est peut-être pas un critère aux yeux de certains, mais c’est un fait que tout mélomane peut les rencontrer distribués dans de grands rôles dans une des salles d’opéra qu’il fréquente.

Sans doute chacun de nous rêve-t-il pour Bayreuth des fameuses distributions idéales, qui se rencontrent quelquefois, mais rarement systématiques, des soirées miraculeuses, qui se rencontrent quelquefois, mais rarement systématiques, et des chefs de légende (ah…si Abbado avait accepté l’invitation de Wolfgang Wagner en son temps…), mais il reste que le niveau d’exigence du Festival n’a pas vraiment baissé : les temps ont changé (sous Wieland et Wolfgang, dans la mesure où ils se partageaient les mises en scène, c’étaient les chefs qui étaient les références, et Wolfgang, dès que les mises en scènes de Wieland ont cessé d’être programmées (soit au seuil des années 70), s’est tourné vers la jeune génération de metteurs en scène, Götz Friedrich, pour un Tannhäuser qui fit (déjà) scandale, en 1971, puis Le Ring de Chéreau (choisi sur le conseil de Boulez suite à la défection de l’alors jeune  Peter Stein), en 1976, le scandale le plus énorme qu’ait connu Bayreuth, puisque même des artistes de la distribution réunie faisaient campagne alors contre cette mise en scène (René Kollo, Karl Ridderbusch). Les Cassandre prédisaient un éclatement de l’orchestre, une fuite des chanteurs, et horreur des horreurs, de la Begum ! On sait ce qu’il en est advenu…
La seule différence avec cette époque, c’est qu’il y avait alors toujours dans la programmation les propres mise en scène de Wolfgang ou d’autres, à tempérer l’effet produit par les nouvelles productions : August Everding et son Tristan, ou ses propres Parsifal ou Meistersinger, qu’il a presque continûment mis en scène entre 1975 et 2000 (à l’exception de la belle production de Parsifal de Götz Friedrich pour le centenaire en 1982) comme des pierres miliaires auxquelles le public traditionaliste pouvait se référer. Aujourd’hui, ce n’est plus exactement cela, et le Tristan de Marthaler fait presque figure de classique…

…Mais un lieu exceptionnel

Enfin, il reste un fait, évident, aveuglant, et devenu un lieu commun : Bayreuth restera toujours un lieu d’exception à cause de sa salle, de son acoustique, de ce son si particulier et incomparable (je l’ai encore vécu en comparant les deux Tristan, chacun de haut niveau, entendus à Bayreuth et à Munich il y a quelques jours. Entendre à Bayreuth les premières mesures de la musique monter du sol reste un grand moment magique, là est la véritable exclusivité.

Post Scriptum

Plusieurs amis venus à Bayreuth pour les représentations successives confirment qu’il est plus difficile de revendre des places, que l’on trouve assez facilement des Meistersinger (ça je l’avais déjà constaté) des Parsifal, des Tristan et même des Lohengrin, et que beaucoup de gens ont rendu leurs places commandées. Si vous êtes encore disponibles en cette deuxième moitié du mois d’août, vous devriez tenter le coup.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: TANNHÄUSER le 1er août 2011 (Dir.Mus.: Thomas HENGELBROCK, Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)


Photo: Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele

Il y a deux manières de considérer l’opéra et le théâtre. Ou bien ce sont des arts de l’agrément, distractions culturelles certes mais distractions d’abord qui permettent à la fois la rencontre sociale et le contact avec l’art en passant le temps agréablement.  Ce sont aussi des distractions de luxe, qui sont les premières victimes des situations de crise (on le voit en Italie actuellement) car on les considère comme superflues. Et puis, en lien avec ses origines religieuses, il y a une manière de considérer le théâtre comme un art indispensable à toute société selon les formes qu’elle se crée, où la distraction passe au second plan après l’expérience théâtrale. Indispensable, c’est-à-dire aussi nécessaire que d’autres rites sociaux, ou nécessités sociales. En Allemagne, le théâtre fait partie intégrante de l’éducation du citoyen, les affaires de théâtre sont sérieuses, ce qui se passe au théâtre est sérieux et fait débat.

C’est aussi pourquoi l’entreprise de Bayreuth est en perpétuel débat. Depuis ses origines, le débat théâtral y est âpre : il faut se rappeler de la violence des réactions devant les mises en scène de Wieland Wagner, notamment lorsqu’il a touché aux sacro-saints Meistersinger, il faut aussi se rappeler les formes de protestation au moment du Ring de Chéreau (broncas dans la salle, au moins les premières années, distribution de tracts à l’entrée du théâtre avertissant le spectateur de l’horreur à laquelle il allait assister), et évidemment, les Cassandre annonçant la fin de Bayreuth, l’irrémédiable déclin, qu’on annonçait déjà lorsqu’on toucha à la mise en scène originelle de Parsifal, inscrite dans le plâtre pendant une quarantaine d’années après la création. C’est ainsi, Bayreuth est l’un des lieux de débat de la culture allemande, beaucoup plus que ne peut l’être Avignon pour le théâtre en France. En ce sens le passage à Bayreuth de Christoph Schlingensief fut hautement symbolique, lui à qui le pavillon allemand de la Biennale de Venise rend actuellement hommage. C’est la direction qu’a prise Katharina Wagner en faisant désormais systématiquement appel à des metteurs en scène novateurs de la scène germanique, que ce soit Marthaler (suisse), Herheim (norvégien), ou Neuenfels et maintenant pour ce Tannhäuser, Sebastian Baumgarten. Le débat a toujours eu lieu, et il ne s’agit pas d’une question de snobisme : que signifie « respecter la pensée de l’auteur », quand cet auteur a vécu dans un contexte différent du nôtre, et avec des présupposés moraux, politiques, artistiques différents. Si Wagner parle aux metteurs en scènes d’aujourd’hui et au public d’aujourd’hui, c’est que ces œuvres parlent au-delà d’elles-mêmes et de l’époque où elles ont été composées, elles parlent au monde d’aujourd’hui avec des problèmes d’aujourd’hui, elles continuent de poser question et c’est heureux. C’est l’éternelle question de l’interprétation. La représentation théâtrale évolue avec le temps, les techniques, la société. Et de même que nous ne voyons pas un tableau « tel qu’il a été conçu », ou une cathédrale gothique, ou le Parthénon, de même nous ne pouvons voir une œuvre « telle qu’elle a été conçue », c’est un leurre. Je pense que nous ne supporterions pas de voir les œuvres que nous admirons telles qu’elles ont été conçues, y compris au niveau musical et au niveau du chant. Aussi devons-nous, du moins c’est mon avis, rester disponibles et ouverts aux formes d’interprétation possibles, à toutes les formes, et c’est une force de ce Festival de faire encore polémique, à sa 100ème édition. De ce point de vue, Salzbourg est beaucoup plus consensuel et moins intéressant.

Ainsi l’accueil de ce Tannhäuser fait débat, violent débat : des spectateurs partent en cours de représentation, d’autres ressortent avant même la première note, dès qu’il voient le décor, à rideau ouvert 15 minutes avant le spectacle, à l’ouverture des portes. Il fait débat, aussi bien musicalement que scéniquement.

Musicalement, la direction de Thomas Hengelbrock a été fortement contestée : ses choix « philologiques », sa manière d’aborder l’œuvre très attentive à la génétique de la partition, son souci de coller à la mise en scène, sa relative lenteur, son manque d’éclat volontaire,  tout cela a été pêle-mêle reproché, arguant qu’un chef venu du baroque ne pouvait pas aborder Wagner. Hengelbrock qui vient effectivement du baroque, a depuis longtemps élargi son répertoire, et il est connu pour son exigence et sa rigueur.  Je n’ai pas été loin de là scandalisé par son approche, plutôt originale, sortant des sentiers battus, mais approfondie et particulièrement stimulante au début du troisième acte, par exemple. Ensembles et grandes scènes chorales gardent de toute manière leur capacité à fasciner (la fin notamment), même si elles sont moins spectaculaires. Au total, une interprétation certes un peu inhabituelle, peut-être moins somptueuse (si l’on compare à ce que fit Christian Thielemann dans la production précédente de Philippe Arlaud, et qui reste une grande référence), mais très prenante et très en place.

Du point de vue du chant, beaucoup à dire, et la distribution arrêtée cette année n’a pas vraiment donné les résultats escomptés. Il y a du très bon (Günther Groissböck dans le Landgrave, Michael Nagy dans Wolfram), du bon (Camilla Nylund), du moins bon (Lars Cleveman), du très mauvais (Stephanie Friede dans Venus).

Camilla Nylund n’a pas une grande voix, les aigus se resserrent dès que la voix monte, la voix disparaît dans les ensembles (final de l’acte II) mais le timbre est joli, mais l’interprétation modèle, mais le personnage d’une grande tenue. La prière du 3ème acte est vraiment une modèle de tenue de voix, d’attention aux détails, de contrôle. Pour toutes ces raisons, Camilla Nylund, tout en ayant des moyens limités, réussit à passer la rampe avec grand honneur. Lars Cleveman en revanche déçoit. Je l’avais beaucoup apprécié dans Tristan à Londres où il remplaçait Ben Heppner. La voix semble prématurément vieillie, les aigus peinent à sortir, la vaillance ne lui réussit pas et l’ensemble reste pâlot. Rien à avoir avec le Tannhäuser de Stephen Gould dans cette même salle il y a quelques années, ou même celui de Peter Seiffert à Zürich cet hiver. La prestation n’est pas convaincante à 100%, et les difficultés sont visibles, bien que la scène finale soit assez réussie.
Stephanie Friede dans Venus, c’est exactement l’opposé de tout ce qu’il faudrait faire. Certes, la Venus de Baumgarten est volontairement enlaidie, enceinte, c’est un repoussoir qui malgré tout attire les hommes (tous peu ou prou veulent descendre dans le Venusberg …). Est-ce pour être aussi un repoussoir vocal et donc à la limite du supportable pour le spectateur qu’elle a été choisie ? Rarement nous avons entendu plus laid : attaques peu précises, cris, problèmes de stabilité vocale et surtout série de problèmes de justesse très lourds : rien n’est juste, la voie bouge et sa dernière intervention au troisième acte est un modèle du genre insupportable : on ne reconnaît même pas les notes ! A  oublier…à moins qu’elle n’ait justement été engagée pour tous ces défauts, ce qui serait un comble. Si tel n’est pas le cas, c’est une erreur de casting manifeste qui ne peut que susciter des lourdes interrogations sur la pertinence de certains choix vocaux à Bayreuth.

Günther Groissböck reçoit le plus imposant triomphe de la soirée, la voix est grande, le personnage imposant, la technique impeccable. Rien à dire. Mais on ne fait pas un Tannhäuser avec le Landgrave. Ni même avec un excellent Wolfram comme celui de Michael Nagy (que j’avais remarqué dans le héraut de Lohengrin à Budapest). Un peu moins impressionnant que Michael Volle dans ce même rôle à Zürich (la voix est plus légère), mais d’une grande douceur vocale, avec un timbre chaleureux, une très belle couleur. Dans les rôles plus petits, notons le Walther de Lothar Odinius, presque plus en place et plus puissant que Tannhäuser et la voix elle aussi bien en place de la jeune Katja Stuber (ein junger Hirt).

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est  comme toujours incomparable et reçoit une ovation impressionnante et amplement  méritée.

Mais on le constate,  musicalement, le spectateur ne pouvait sortir pleinement satisfait de la salle, et inévitablement, il faudra sans doute revenir sur le métier l’an prochain pour afficher un cast plus homogène.

Mais venons-en au nœud de notre affaire, la mise en scène de Sebastian Baumgarten, qui a violemment heurté une partie du public. On ne peut dire que Baumgarten ne soit pas un enfant du milieu, lui dont l’aïeul dirigeait l’opéra de Berlin. Le propos de départ est assez simple, voire assez commun et déjà traité par d’autres : le monde de la Wartburg est un monde fermé, coupé du monde et d’un idéalisme et intellectualisme totalitaires (un peu comme la République de Platon, le débat autour de l’amour dans le concours de chant n’est-il pas une version particulière du Banquet du même Platon ?) c’est aussi un monde artistiquement apollinien. Par son chant Tannhäuser est un poète en rupture avec ce monde, il affiche des valeurs dionysiaques. Ayant décidé de quitter la Wartburg, il se retrouve là où son chant charme, au Venusberg, amant de Venus. Comment concilier Apollon et Dionysos, éternelle question de l’art et de la vie, dont il nous est proposé une réponse ici .  Avec son décorateur Joep van Lieshout, un plasticien créateur d’objets à la limite de l’art, de l’architecture et du design, il a créé un espace sur trois niveaux, qui envahit toute la scène de Bayreuth, y compris en hauteur, sensé figurer une usine de retraitement de déchets organiques (excréments humains), qui fait vivre la communauté en totale autonomie. Nourriture et alcool (il faut bien aussi se distraire…)  sont produits , et ce qui est rejeté se retrouve sous terre, au Venusberg, qui dans cette architecture se trouve être une cage dans les dessous, dans laquelle on accède par une trappe. L’essentiel se déroule sur le plateau, dans le cercle qui délimite (le toit de) la cage qui pendant la scène du Venusberg monte  sur le plateau, puis disparaît dans les dessous lorsque Tannhäuser fuit (à voir sur youtube). On comprend le symbole : la Wartburg est une société autosuffisante dont l’objet est la purification. Tout ce qui n’est pas pur est envoyé soit au Venusberg (si incurable), soit à Rome chez le pape (si on l’estime curable). D’où les containers (marqués ROM 451) où rentrent les pèlerins, et d’où ils sortiront au troisième acte, purifiés (et obsédés par le nettoyage : ils ne cessent de s’essuyer) . Que ces containers rappellent certains wagons remplis d’humains de la seconde guerre mondiale n’est sans doute pas un hasard. Sur la scène, des cuves d’alcool, d’éthanol , de méthane (Biogas).
Le monde du Venusberg en revanche est une cage remplie de monstres, de créatures spermatozoïdaires, et gouverné par une Venus enlaidie, et enceinte. Rien du Venusberg langoureux et mystérieux de la version de Paris. On est à l’opposé de la purification, on est dans le trash. Mais les deux mondes communiquent, par une trappe : y disparaissent Elisabeth et Tannhäuser au début du 2ème acte, y descend un instant Wolfram, s’y retrouvent un moment tous les protagonistes : tout le monde à un moment ou un autre a envie de Venusberg ou a à faire avec le Venusberg.
Qu’ensuite Elisabeth seule comprenne parfaitement le chant de Tannhäuser qui vante la chair comme enjeu de l’amour puisqu’elle vient d’y goûter et qu’elle s’ouvre les veines en guise d’expiation ensuite (comme des stigmates) est aussi logique dans cette perspective.

Ainsi Tannhäuser pris entre Dionysos et Apollon, entre l’Esprit et Venus, ne peut choisir, et le pape ne peut l’absoudre, ce serait reconnaître que Venus est parmi nous : c’est idéologiquement impossible : il mourra donc, et son corps dans l’image finale gît entre le Venusberg (en bas) régénéré par la naissance d’un enfant de Venus, et la figure hiératique entourée de prêtres de Sainte Elisabeth (en haut). Ce que s’ingénie à montrer la mise en scène, c’est que notre société est prise dans sa globalité dans cet éternel dilemme : d’où la scène ouverte sur la salle avant même le début de l’œuvre, d’où la scène ouverte aux « vrais » spectateurs présents sur le plateau même (une cinquantaine, nos représentants), d’où des figurants en travail permanent avant le lever de rideau, dès la fin de la musique, pour gérer le fonctionnement  de la communauté et de la structure de production, d’où un monde global mécanisé, où même le Venusberg a sa place, un monde tragique qui ne sort jamais de ses contradictions (c’est un peu le propos de Lohengrin, c’est aussi la situation dont on ne se sort pas dans Parsifal à moins de connaître la blessure de la chair pour que naisse la compassion). En bref une situation assez habituelle chez Wagner, où c’est quelque part le proscrit ou l’étranger qui porte la lumière (Parsifal, Lohengrin, Walther même, et bien sûr Tannhäuser, cet autre Richard Wagner), car l’art ne peut naître que de l’opposition, que de Prométhée, que du vol du feu.

Il en résulte sur scène une mise en scène complexe, où le regard sur le monde est sans concession (couleurs criardes, Venus horrible, monstres, refus de l’esthétisme), sans doute trop complexe. Bien des choses ont déjà été dites par d’autres metteurs en scène, et je pense qu’on aurait eu intérêt à épurer, mais cet excès même, insupportable, n’est-il pas en quelque sorte le ressort de ce travail, qui se veut sans réponse, sans issue, que celle de la fuite, du refus, de la mort. Que Venus s’en sorte à la fin (en bel habit doré) avec cet enfant que le chœur se passe de bras en bras, que le monde de la joie, du mouvement  et du futur soit chez Venus, pendant que le monde figé est du côté d’Elisabeth peut se comprendre, c’est la victoire de Dionysos sur Apollon, mais en même temps, toute option de libre arbitre, tout mouvement de l’un vers l’autre est interdit et conduit à l’impasse. On retiendra des moments réussis, le troisième acte, le final du deuxième où la vision d’une Isabelle tout sauf éthérée, femme courageuse et décidée, est une vision intéressante qui sort des schèmes habituels. Mais on peut regretter le désordre scénique, qui distrait de l’action, un décor complexe dont on pouvait faire quelque économie : certes ce travail n’est pas stupide, et demande une grande concentration, mais il ne peut qu’être violemment rejeté par ceux qui voulaient retrouver un Tannhäuser traditionnel qui fasse un peu rêver. C’est raté, dans cette apologie du cauchemar permanent que Baumgarten nous a proposés.

J’ai essayé d’être le plus clair et le plus juste possible. Je n’ai pas été enthousiasmé. Je n’ai pas été non plus ni offusqué, ni choqué. Il m’a manqué un peu (beaucoup) d’émotion. Mais si la distribution avait vraiment convaincu, je pense que les nerfs de certains spectateurs n’auraient pas craqué.

Voir le reportage d’ARTE d’il y a quelques jours

 

 

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: TRISTAN UND ISOLDE le 29 Juillet 2011 (Dir.Mus.: Peter SCHNEIDER, Ms en scène: Christoph MARTHALER)

Cette production de Tristan und Isolde avait vu le début de Nina Stemme dans le rôle à Bayreuth avec Petra Lang en Brangäne lors du festival 2005. En 2008, à la suite du départ de Nina Stemme,  le Festival a affiché une  distribution sensiblement modifiée, avec mla suédoise Irene Theorin en Isolde, Michelle Breedt en Brangäne, Robert Holl succédant à Kwanchoul Youn (affiché dans Gurnemanz) en roi Marke. C’est encore la distribution actuelle.
A la suite du remplacement de Eiji Oue (un échec patent de la production de 2005) par Peter Schneider dès 2006, c’est toujours ce vétéran de la direction wagnérienne qui officie avec bonheur dans la fosse. Il semble avoir à Bayreuth le destin d’un éternel chef” bis” (Il succède à Solti en 1984 pour le Ring, mais aussi reprend plusieurs Vaisseau Fantôme ou Lohengrin   créées par d’autres.) C’est un profil typique de grand Kapellmeister, qui propose toujours un travail très soigné, très précis, très classique aussi. Avec lui , la qualité est garantie,  mais pas forcément  l’inventivité. Il en est ainsi de ce Tristan très en place,  au tempo assez rapide aussi, en tous cas  très lyrique et même assez vibrant.
La mise en scène de Christoph Marthaler, reprise depuis plusieurs années par Anna-Sophie Mahler, dans des décors d’Anna Viebrock, est devenue un classique sur la colline sacrée. Elle se déroule dans trois ambiances différentes, étalées dans le temps. Un premier acte dans un décor de salon de bateau de croisière (ou de grand yacht type Britannia) un peu décati, du début du siècle (tons gris ou marron, papiers peints qui se décollent…), le second acte dans une salle vide (ocre jaune), qui pourrait être un salon d’hôtel ou une antichambre des années 50 (Isolde porte un tailleur jaune très bon chic bon genre, Tristan un blazer de capitaine de la marine) , avec pour tout meuble deux tabourets et au fond une porte vitrée. Communs au premier et deuxième acte, quelques dizaines de néons circulaires (le ciel au premier acte, le plafond au second qui s’éclaire ou non selon les signes qu’Isolde donne à Tristan, d’où un jeu obsessionnel sur l’allumage des interrupteurs, à la fois déchirant et ironique). Le troisième acte  se déroule de nos jours dans le même espace que les deux premiers, mais avec des murs aux papiers arrachés, autour d’un lit d’hôpital articulé (les acteurs effet le montent, le baissent, avec une télécommande), et la plupart des néons gisent au sol, et s’allument péniblement à l’évocation d’Isolde par un Tristan allongé et affaibli. A chaque acte, le décor de l’acte précédent est superposé au décor de l’acte en cours. Ainsi, l’espace du troisième acte est-il assez haut (trois niveaux) et rend les protagonistes de plus en plus petits, alors que celui du premier acte reste assez confiné. Stratification des moments, espace intemporel, variations des costumes (ceux du deuxième acte, années 50, les hommes ressemblant à des agents du KGB et Marke un digne représentant du présidium du Soviet suprême qui agite nerveusement ses lunettes). ce monde d’hommes semble inscrit dans une permanence, une immobilité terrible, tandis que le costume des femmes évolue: Brangäne une robe marron au premier acte, Isolde une robe de laine bleue,

Brangäne un chemisier vert pomme au second acte et Isolde ce fameux tailleur jaune avec des gants blancs, Brangäne une cape qui dissimule ses bras, comme si elle était prisonnière, au troisième acte, et Isolde une tunique et un pantalon.
L’ensemble marque un extrême isolement des personnages: Isolde vit dans son monde et devient progressivement absente, voir démente, au second acte (dénervée, agissant par des gestes mécaniques), et tout le cadre et les costumes soulignent une profonde tristesse et créent, par des gestes minimaux, par une mécanique très bien huilée, une extrême tension. C’est une mise en scène du désespoir, de l’absence de communication (ni par les regards, ni par les gestes: le duo du deuxième acte est très minimaliste, les personnages sont assis et se regardent à peine, regardent devant dans le lointain et

le sommet érotique est atteint lorsque qu’ils jouent à se caresser avec un gant qu’elle s’est enlevée très langoureusement avec les dents. A la fin, Isolde ne trouve Tristan que mort: il est tombé du lit, elle le cherche du mauvais côté et ce n’est que parce qu’elle entend l’appel “Isolde” qu’elle le trouve, allusion à l’entrée de Tristan au deuxième acte, où l’à aussi il appelle Isolde dans l’obscurité, sans voir qu’elle est contre le mur derrière lui.

 

La mort d’Isolde est particulièrement poignante: elle se couche, seule, dans le lit de Tristan et se recouvre du drap devenu linceul, alors que Tristan gît au sol.
Un très beau travail, qu’il faut voir plusieurs fois pour en apprécier la force, toujours renouvelée. Rarement mise en scène fut à la fois plus minimale et plus troublante et tendue. A mettre aux côtés de celle de Sellars (Paris, Los Angeles) ou de Chéreau (Scala) dans les grandes références récentes.

La distribution n’appelle pas vraiment de grosses critiques: Robert Dean Smith, Tristan à la voix plutôt claire et au volume limité, semble avoir plus de difficultés cette année dans le troisième acte avec son redoutable monologue d’environ 45 minutes. Les aigus sont très tendus, à la limite de craquer. Mais au total, il s’en sort honorablement. Il semblait toutefois bien plus à l’aise les années précédentes.
Irene Theorin est devenue en peu de temps une des chanteuses les plus réclamées de la scène wagnérienne. La voix est très grande, coupante, pas très lyrique, certains aigus sont un peu criés (on le lui reproche souvent) mais pas tous, comme certains auditeurs mal intentionnés le disent. Les deux premiers actes sont bien réussis, mais pas la Liebestod, où les cris se font plus gênants, au détriment du legato et de la poésie. “Lust” final (cette note terrible!) raté. Mais personnage bien campé, grande présence scénique, qui passe très bien la rampe.

Le Marke de Robert Holl a un côté vieillard noble qui sied bien au rôle. Et la voix, un peu voilée dans les aigus, a la profondeur voulue, bonne prestation. Jukka Rasilainen est un très bon Kurwenal: la performance du chanteur est très honorable (moins intense que les autres années, me semble-t-il) mais le jeu est prodigieux, notamment au troisième acte, où il affiche un physique vieilli, et marche mécaniquement à petits pas: impressionnant. La Brangäne de Michelle Breedt n’est pas l’une des grandes Brangäne de référence (comme Mihoko Fujimura), elle est plus pâle et la voix manque un peu de puissance, mais dans l’ensemble, sa prestation est satisfaisante sans être exceptionnelle.  Rien à dire sur les autres rôles, tous tenus très honorablement.
Ce Tristan tient encore la route, après 6 ans, grâce à une équipe de chanteurs très aguerrie et rompue à cette mise en scène, grâce à une direction musicale efficace, et surtout je crois grâce à une mise en scène qui ne perd aucune de ses qualités initiales, qui garde sa tension première, et rend honneur et justice à l’œuvre.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: PARSIFAL, le 28 juillet 2011, dir.mus: Daniele GATTI, ms en scène: Stefan HERHEIM

Le compte rendu de ce Parsifal a ouvert ce blog, en août 2009. Je ne l’avais pas revu depuis. C’est donc avec joie que j’ai obtenu au dernier moments des billets pour cette représentation, qui a pleinement confirmé mon opinion sur ce spectacle.
Une fois de plus, la mise en scène de Stefan Herheim, superbe à voir, qui déborde d’idées et qui multiplie les points de vue est passionnante et frappe les esprits: le final, qui implique la salle par un habile jeu de miroir, fait de Parsifal celui qui a réconcilié, le pacificateur, celui qui clôt l’histoire douloureuse de l’Allemagne. Symbole de la Renaissance, le Neues Bayreuth. En effet, la guerre a détruit la villa Wahnfried, toile de fond des deux actes précédents: c’est dans la représentation de ses ruines sur la scène de Bayreuth que se déroule la première partie du troisième, puisque le théâtre est seul demeuré debout à la fin de la guerre. L’Enchantement du vendredi saint devient du même coup un hymne à la renaissance de Bayreuth et  la cérémonie du Graal, un hymne à la renaissance de la démocratie. Débarrassé de ses oripeaux chrétiens, Parsifal devient une sorte de mythe civil de la renaissance de la nation, du monde, et du public. Tous deviennent concernés et non plus spectateurs -comme souvent dans les Parsifal vus dans les théâtres- d’une cérémonie du Graal qui n’a pas grand sens dans notre monde contemporain sinon celle d’une sorte de mysticisme à bon marché qui ne nous dit rien.

On reste toujours stupéfait de la perfection technique, des (multiples) changements de décor qui se déroulent avec une étonnante discrétion et fluidité, sans un bruit, et de la beauté des différents tableaux, ainsi que de l’ironie avec laquelle certaines périodes sont lues, grâce à des citations cinématographiques précises (l’Ange bleu: Kundry apparaît d’abord comme Marlène Dietrich, mais aussi les ballets nautiques d’Esther Williams (les filles fleurs). Tout cela fascine sans distraire: la musique, conduite toujours avec bonheur par Daniele Gatti, qui a beaucoup plus de succès ici que dans son pays. La lenteur calculée, le sens des équilibres sonores et des volumes, la mise en valeur des instruments solistes, tout cela rend ce Parsifal musicalement très intéressant, et aussi très satisfaisant.
Le chœur est dans sa forme habituelle, c’est à dire phénoménale. Et la distribution légèrement différente reste d’un bon niveau.
Depuis Waltraud Meier, Bayreuth n’a jamais su trouver une Kundry qui soit à la hauteur du lieu, sinon de l’enjeu (Evelyn Herlitzius peut être?). Dans la mise en scène précédente, elle était inexistante (Michelle De Young  n’avait pas convaincu) , dans celle-ci, Mihoko Fujimura n’était pas vraiment une Kundry, et elle s’est fourvoyée dans le rôle. . Susan Mclean domine la partition jusqu’à la fin du 2ème acte, où elle ne réussit cependant pas à donner les aigus voulus (terribles) par le rôle. On n’y est donc pas tout à fait, mais la personnification et l’engagement sont bien supérieurs à ceux de la Fujimura.
Simon O’Neill quant à lui est un Parsifal très en place, à la voix claire, sonore, bien posée. Il avait favorablement impressionné dans Siegmund à la Scala, il est ici à la hauteur dans un rôle il faut bien le dire ingrat. Seuls Domingo (et encore, pas au début) et surtout Jon Vickers ont été des Parsifal qui dès le début impressionnaient. Jon Vickers notamment avait quelque chose de tellement déchirant dans la voix! Les autres furent bons (ils s’appelaient Peter Hoffmann, René Kollo, Siegfried Jerusalem) mais pas inoubliables, certains autres complètement oubliés sans déshonorer (Poul Elming, William Pell), d’autres enfin qu’il vaut mieux avoir oublié (Endrik Wottrich, Alfons Eberz). Parsifal n’est pas un rôle où l’on peut vraiment s’envoler, mais c’est un rôle où l’on peut définitivement se noyer.
Les autres chanteurs n’ont pas changé: Detlev Roth avec sa voix claire, très douce, son phrasé impeccable, réussit à masquer ses problèmes de volume et de puissance, et la composition est vraiment impressionnante. Kwanchoul Youn compose un Gurnemanz toujours réussi: le rôle qui sollicite beaucoup les graves lui convient parfaitement. Ses aigus en effet peinent un peu quelquefois, et la voix change de couleur. Dommage, mais il reste un Gurnemanz de très haut niveau.
Au total, sans être la représentation de référence (on avait vécu la veille dans Lohengrin bien autre chose), ce Parsifal garde d’année en année ses qualités, et le niveau musical ne baisse pas, reste très homogène, dans la fosse comme sur scène. Un Parsifal à Bayreuth est toujours une expérience particulière, car l’oeuvre a été composée en fonction de l’acoustique et de l’organisation de la salle. Quant à la mise en scène, on peut ne pas aimer l’approche d’Herheim qui est un metteur en scène de la profusion, de la multiplicité des regards, étourdissant d’idées, mais on doit lui reconnaître sa logique, sa rigueur, et saluer l’expression d’une culture particulièrement profonde et subtile; on doit aussi reconnaître  aussi à son équipe, un sens esthétique aigu car on voit rarement des décors d’une telle beauté. Mises bout à bout ces mises en scène (K.Wagner, H.Neuenfels, S.Herheim, Ch.Marthaler) proposent des visions du monde très différentes, mais stimulent le spectateur qui n’a qu’une envie, prolonger la représentation par des lectures approfondies. Comme disait Wieland Wagner, ici, ce sont les valeurs de l’art qui valent, et les questions posées par les mises en scènes sont des regards artistiques posés sur le monde d’aujourd’hui, souvent pessimistes, subversifs quelquefois, courageux toujours.