BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: LOHENGRIN, le 27 juillet 2011, dir.mus: Andris NELSONS, ms en scène: Hans NEUENFELS

« Quand 80 rats chantent, c’est autre chose que quand 80 hommes casqués chantent. Cette optique surpasse toute bizarrerie. » Voilà ce que répond Hans Neuenfels, metteur en scène de Lohengrin au Festival de Bayreuth (production de 2010), dans le programme de salle, à ceux qui s’étonneraient de voir un Lohengrin où le chœur est costumé en rats, des rats, noirs, blancs, roses. Il ajoute « je fais remarquer, à ce propos, que le rat est un animal extrêmement intelligent, un rongeur dangereux, vorace, qui se reproduit vulgairement, et aussi drôle que dégoûtant. Les rats dévorent tout, ce sont de véritables acrobates de la survie. Et ils existent en masse. » Enfin , une définition de Lohengrin : «Jamais tu ne devras m’interroger, voilà le point chaud. Les personnages rôdent autour de la question interdite comme des souris ou des rats entourant un morceau de lard ». Ces rats omniprésents dans ce Lohengrin ont souvent masqué dans les comptes rendus critiques ce qui est à mon avis l’une des grandes mises en scène de ces dernières années, d’un pessimisme noir et d’une désespérance existentielle.

Car le Lohengrin vu à Bayreuth ce 27 juillet est exceptionnel, l’accueil triomphal littéralement indescriptible du public qui a hurlé, battu des pieds, applaudi debout pendant plus vingt minutes en dit long sur un succès qui est le plus gros succès, le plus grand triomphe depuis une dizaine d’années. Grande mise en scène, distribution parfaite, direction musicale grandiose, la recette est simple, au fond pour faire naître un triomphe historique, dont tous les spectateurs parlaient encore le lendemain.

Il n’y a pas grand-chose à dire sur les chanteurs, tant chacun s’est engagé pour défendre le travail collectif de manière exemplaire. J’avais bien des doutes sur Annette Dasch, et le premier acte laissait craindre des difficultés : la voix est petite, sans grande étendue, mais cohérente avec la vision de la mise en scène, elle n’est que fragilité et doute dès le début, où elle entre en scène transpercée de flèches (comme Saint Sébastien) qu’on lui arrache une à une, et où elle n’est plus que douleur. Face à un ouragan comme l’Ortrud de Petra Lang, cette fragilité vocale devient un atout de mise en scène et produit du sens. D’ailleurs, elle est totalement extraordinaire de vérité dans les deux autres actes. Actrice prodigieuse, voix qui distille une immense émotion, Annette Dasch fait ici mentir ceux qui prédisaient une catastrophe… Face à elle,  l’Ortrud immense, véritable phénomène de la nature, de Petra Lang, dont j’ai déjà dit beaucoup de bien dans le compte rendu du Lohengrin de Budapest. L’étendue, la puissance de la voix sont phénoménales, sans compter l’homogénéité, la sûreté des aigus et la présence scénique.Depuis Waltraud Meier, on n’a pas entendu mieux, et c’est peut être encore plus suffocant que Waltraud Meier. A cette Ortrud répond un nouveau Telramund, Tomas Tomasson (remplacé à la représentation TV par Jukka Rasilainen, meilleur Kurwenal que Telramund), un baryton islandais qui n’a pas forcément le volume habituel, mais qui possède un art du phrasé, une qualité de chant, une élégance qui laissent rêveurs. Un chanteur magnifique, qui sait jouer de qualités éminentes et qui propose un personnage tout en tension. Saluons aussi le Roi Henri halluciné de Georg Zeppenfeld qui lui aussi remporte un énorme succès : la voix est somptueuse et de plus quel personnage que ce roi sans pouvoir, qui tient à peine sur ses jambes, un roi de carton-pâte avec sa couronne que Ionesco ne démentirait pas ! quant au héraut du coréen Samuel Youn, c’est une très grande prestation : lui aussi est un technicien hors pair, lui aussi est particulièrement attentif à la technique vocale, à la respiration, au volume, si nécessaires dans ce rôle.  Enfin le Lohengrin de Klaus Florian Vogt, bien connu à Bayreuth pour ses magnifiques Walther, qui a la lourde tâche de succéder à Jonas Kaufmann,  est dans ce rôle totalement prodigieux : une voix claire et sonore qui domine sans difficulté l’orchestre, un phrasé modèle, un art des « diminuendo », des notes filées, grâce à un contrôle supérieur de la respiration, une douceur inouïe, tout cela produit un des plus beaux Lohengrin que j’ai entendus dans cette salle. Miraculeux en salle. Miraculeux dans cette salle si amicale aux voix, et notamment aux voix de volume moyen.  Vogt produit moins d’effet à la TV. Miraculeux aussi (et comme toujours)i le chœur dirigé par Eberhard Friedrich, qui chante dans des conditions pas toujours faciles (derrière des masques de têtes de rats le plus souvent) qui joue tout en chantant l’agitation d’un troupeau de rats, d’une présence à couper le souffle. Grandiose, lui aussi. Bien sûr on attend tout cela du chœur de Bayreuth, mais c’est toujours une source d’étonnement que cette extraordinaire phalange, qui semble pouvoir accomplir tous les rêves des metteurs en scène (qui sont aussi quelquefois les cauchemars de certains spectateurs) tout en chantant merveilleusement.

Cette distribution est magnifiquement soutenue par Andris Nelsons , un jeune chef d’envergure, 32 ans, élève de Mariss Jansons le plus jeune chef engagé par Bayreuth l’an dernier (31 ans). Son Lohengrin est d’abord en adéquation totale avec la mise en scène, jamais pompeux, jamais tonitruant, mais lyrique, mais dramatique, mais plein de douceur mélancolique, voire d’ironie, avec des cordes extraordinaires, un sens du rythme, une précision, une clarté vraiment étonnantes. Le tempo peut sembler quelquefois un peu lent, mais colle tellement au déroulement de l’action. Un magnifique travail. Un très grand chef.

A cet engagement musical, correspond un travail scénique à la fois exemplaire et d’une grande intelligence. L’idée de départ est une sorte d’expérience scientifique (qui échoue à la fin), d’où les rats qui sont des rats de laboratoire (noirs les mâles, blanches les femelles), créatures mi hommes mi rats, qui sont à la fois désopilants (manière de marcher, de remuer les mains) et terribles (par exemple au début du deuxième acte, lorsqu’ils s’attaquent au fiacre accidenté de Telramund et Ortrud qui ont cherché à fuir en emportant des valises de billets. Vision spectrale que ce cheval mort, que ce fiacre noir accidenté, que ces valises ouvertes, et que les rats s’empressent de réduire à néant. Dans le monde de Neuenfels, mais aussi de Wagner qui a écrit cette histoire, l’utopie n’existe pas,  et l’amour n’en est pas une.  L’échec final est terrible : les rats, les hommes meurent, l’humanité disparaît …Restent en scène Lohengrin, seul au milieu d’une marée de cadavres, lui qui n’est vraiment un humain, et le jeune frère d’Elsa, sorte d’enfant monstrueux né d’un œuf de cygne, qui déchire lui-même son cordon ombilical en le jetant en pâture aux rats.  Dans un monde où les héros sont incapables de s’unir, il ne pouvait naître qu’un monstre. Terribles images aussi que celle d’Elsa, dans une sorte de cage de verre adorant un cygne de porcelaine et au bord de la consommation…une sorte de double de Leda, et Ortrud, qui n’hésite pas elle, par bravache, par dérision, à chevaucher ce cygne de manière fortement suggestive. Le tout dans une ambiance aseptisée, blanche, à la lumière crue, où dans la fameuse scène du mariage au deuxième acte Ortrud et Elsa sont cygne noir et cygne blanc, comme deux faces d’une même réalité vouée à l’échec et au néant. L’ultime apparition des deux femmes, au troisième acte, s’inverse : Elsa est vêtue de noir, en deuil de son amour et Ortrud apparaît en reine blanche vêtue d’une couronne de pacotille, porteuse d’une victoire à la Pyrrhus : toutes ces images sont marquantes, impressionnantes, souvent même bouleversantes.

Certes, ainsi racontée par bribes, cette mise en scène peut paraître étrange, et de lecture difficile : elle exige en fait attention et tension (on sort vidé),  mais elle est d’une grande clarté et d’une grande efficacité : elle nous montre un monde sans concessions, sans espoir, où toute croyance (la croix du 2ème acte est brisée) est bannie, où les hommes sont inhumains, comme des rats de laboratoire conduits par des envies animales, où ne se meuvent que les intérêts et les noirs desseins : dans cette vision, les bons comme les mauvais les blancs et les noirs, les rois et le peuple, tout le monde est dans le même bateau, une sorte de nef qui coule : plus de pouvoir, plus que le ridicule des insignes du pouvoir dont on va se contenter. Lohengrin devient le formidable échec de toute utopie, et de la plus grande, celle de l’amour. Le duo du troisième acte, où Elsa évite systématiquement le contact avec Lohengrin et où le lit nuptial est entouré de barrières qui en limitent l’accès est frappant : plus frappant encore le ballet érotique entre Elsa et Lohengrin qui dans les dernières minutes avant le rideau final, se jettent l’un sur l’autre comme si le ballet nuptial ne naissait que de la certitude de son impossibilité, comme si de cette impossibilité naissait le désir.

Reinhard von der Thannen pour les costumes et le décor, Hans Neuenfels pour la mise en scène ont effectué un travail d’une exceptionnelle qualité, avec une lecture lucide et désespérée de notre monde. Hans Neuenfels passe pour un provocateur permanent : il lit le monde, il le métaphorise. Il nous dit là que nous sommes tous des rats, que l’humanité sombre : c’est le privilège du théâtre, de l’artiste, de transfigurer notre réel, et même de le noircir et la présence en salle de la chancelière Angela Merkel est une ironie suprême, pouvoir réel et pouvoir fantoche étaient ce soir mélangés, voire confondus à Bayreuth. Soirée inoubliable.

PS: Vous pourrez voir ce Lohengrin en direct sur ARTE le 14 août à 17h15. c’est la première fois qu’un opéra est ainsi retransmis en direct à Bayreuth.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011 : Quelques échos de l’accueil de TANNHÄUSER

N’ayant pas assisté à la première je me garderai bien d’en faire un compte rendu en bonne et due forme. J’ai écouté la retransmission radio, qui ne m’est pas apparue musicalement à dédaigner. La direction de Thomas Hengelbrock, très critiquée pour sa lenteur (il a été fortement hué) m’est apparue à la radio effectivement lente, mais plutôt très analytique, très architecturée, avec un final somptueux. (Sans doute aussi la mise en scène qui a excédé certains spectateurs a-t-elle contribué à gauchir l’audition…). Camilla Nylund a les qualités habituelles : la chanteuse est appliquée, très professionnelle, mais a des problèmes dès qu’elle monte trop à l’aigu, qu’elle a court et qui serre la voix. Les centres sont beaux, les aigus moins. Lars Cleveman m’est apparu plutôt satisfaisant à l’audition, beaucoup ont critiqué sa manière de chanter et ont noté des difficultés. Unanimité en revanche pour Günther Groissbrock (Landgrave), magnifique et surtout pour Michael Nagy, magnifique Wolfram qui a triomphé auprès du public (cela ne me surprend pas, vu son Héraut de Lohengrin le mois dernier à Budapest). Unanimité aussi, mais contre Stephanie Friede dans Venus, ce que j’en ai entendu en radio confirme : attaques ratées, aigus courts, voix vieillie, désagréable à entendre.
La mise en scène de Sebastian Baumgarten dénonce le cloisonnement culturel de notre société aseptisée, marquée par le catholicisme, qui ne permet pas aux âmes libres de passer d’un mode de vie et de pensée à l’autre, pas de place pour des Tannhäuser qui ne trouvent leur identité que dans le changement : c’est Wagner lui-même qui fait dire à Wotan dans Rheingold : « Qui vit aime le changement et la variété: ce jeu je ne peux m’en passer ». Le spectacle a été très mal accueilli à la Première, avec une bordée impressionnante de huées (le final, particulièrement provoquant, montre une Venus enceinte, qui triomphe.et qui met au monde un enfant…) Ce que j’en ai su par des amis spectateurs confirme cette impression négative. Ce que j’en ai lu et les déclarations d’intentions du metteur en scène stimulent en revanche ma curiosité. J’espère pouvoir m’y confronter dès cette année.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, le 26 juillet 2011 (dir.mus: Sebastian WEIGLE, ms en scène: Katharina WAGNER)

Comme Eva est un rôle ingrat!  Le rôle est scéniquement et vocalement assez plat pendant deux actes, et la chanteuse surtout sollicitée au dernier acte où les aigus du fameux quintette sont ravageurs, ainsi que la scène avec Sachs qui précède. Pour ma part, je me souviens de deux Eva très différentes, Lucia Popp, avec Wolfgang Sawallisch à Munich, et Anja Harteros, à Genève il y a quelques années, deux magnifiques personnalités, deux Eva très présentes. Cette année, comme l’an dernier c’est Michaela Kaune qui chante Eva à Bayreuth. L’an dernier c’était passable, cette année c’est un peu plus difficile : les aigus que cette voix n’a pas vraiment naturellement sont tirés et mobilisent toute l’énergie, d’où des sons métalliques et des difficultés dans les passages. On l’oubliera assez vite dans ce rôle qui ne lui convient pas : pas de poésie, interprétation plate, difficultés techniques. A ses côtés, la Magdalena de Carola Guber est carrément inexistante : on ne l’entend simplement pas. On n’entend pas beaucoup non plus (à Bayreuth c’est un comble) Burkhard Fritz, le nouveau Walther qui succède à Klaus Florian Vogt. Autant Vogt avait une voix sonore, autant Fritz, qui s’applique et qui sait chanter, a une voix trop petite pour le rôle (il disparaît dans les ensembles) et des aigus lui aussi difficiles (c’est très perceptible dans l’air final). L’interprétation scénique est tout à fait satisfaisante dans ce rôle d’artiste insupportable et mauvais garçon, mais on est assez déçu de la prestation vocale, en dépit, je le répète, d’évidente qualités. Je doute que Walther apporte quelque chose d’intéressant pour sa carrière.
James Rutherford en Hans Sachs manque de personnalité vocale. Le timbre est voilé, la puissance limitée, même si cette année certains moments sont vraiment musicalement très réussis (les plus retenus, les plus lyriques : début du second acte, magnifique, et première moitié du troisième acte). Il est aidé par l’orchestre qui l’a vraiment accompagné de manière exceptionnelle.
Encore une fois, j’ai aimé le David de Norbert Ernst, ténor de caractère techniquement parfait, à la voix claire, bien posée, très bien contrôlée, et bien sûr le magnifique Beckmesser d’Adrian Eröd, qui sans moyens exceptionnels, mais avec un phrasé modèle, un texte dit à la perfection, et des qualités d’acteur exceptionnelles, très sollicitées dans cette mise en scène propose un personnage complexe, polymorphe, d’une présence ahurissante. Une interprétation de très grand niveau. On signalera aussi le Pogner de Georg Zeppenfeld, basse de très grande qualité, l’une des meilleures basses en Allemagne aujourd’hui (il fut le Sarastro d’Abbado) et dans l’ensemble le reste de la distribution n’appelle pas de réserves (un bon point pour Friedemann Röhlig, Nachtwächter toujours efficace).
Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est comme toujours exceptionnel, et notamment dans les parties moins spectaculaires (le tout début par exemple), et la direction de Sebastian Weigle m’est apparue un peu plus intéressante que l’an dernier, notamment dans les parties plus lyriques, mais elle manque tout de même de relief (c’est frappant dans l’ouverture) : le final du second acte semble toujours aussi brouillon on ne sent toujours pas le crescendo qui doit gouverner toute la fin de l’acte. C’est dommage.
Quant à la mise en scène de Katharina Wagner, last but not least, elle garde tout son intérêt et son intelligence. C’est une mise en scène sur le conformisme et l’originalité : sur le conformisme en art (y compris dans la fausse marginalité artistique représentée par Walther – puisque les rôles sont inversés à la fin, Sachs et Walther étant les conformistes et Beckmesser celui qui dit non et qui fuit le totalitarisme- et sur le conformisme du public qui siffle l’artiste qui sort du rang, et qui applaudit aux valeurs télévisuelles et consensuelles. Un conformisme qui mène tout droit au totalitarisme (Hans Sachs en métaphore d’Hitler, est à la fois inquiétant et tellement juste). Un regard à rebours sur une œuvre qui a symbolisé largement l’âme et la culture allemandes (et qui fut la préférée des nazis, jamais interdite à Bayreuth, au contraire de Parsifal): voilà où la culture allemande nous a menés, semble dire Katharina Wagner, notamment dans ce terrible bal des gloires germaniques ou quand Sachs brûle tous ces oripeaux culturels et reste seul, illuminé par une flamme qui rappelle étrangement, par ses jeux d’ombre et de lumière, les films de propagande des grands rassemblements de Nuremberg, réunis autour du bûcher de la pensée..

Ce spectacle fourmille d’idées, les chanteurs sont magnifiquement dirigés, les mouvements sont d’une redoutable précision. Katharina Wagner est un authentique metteur en scène, qui affronte bravement les huées du public (de ce même public qui hue les travaux originaux à la fin de sa mise en scène des Maîtres), et dont le travail mérite tout notre intérêt. J’ai écrit précédemment combien ce spectacle gagnait à être revu. Avec une distribution vraiment à la hauteur, et un chef moins banal, c’eût été un très grand soir. Notons tout de même que – fait rarissime – il y avait des gens qui vendaient des billets « biete Karte » alors qu’on voit habituellement des « Suche Karte » (je cherche un billet). Alors, si vous avez des velléités de Bayreuth cette année, n’hésitez pas, vous trouverez des places pour ces Maîtres Chanteurs et vous le ne regretterez sans doute pas.

FESTIVAL DE BAYREUTH 2011: NOTE SUR LES DISTRIBUTIONS

Le Festival de Bayreuth (dont 2011 sera la 100ème édition) a publié dernièrement les distributions des opéras au programme: Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal, Trsitan und Isolde, Meistersinger von Nürnberg. C’est une tradition à Bayreuth d’afficher peu de vedettes du chant. Le mode de rémunération, lié au rôle et pas à la notoriété, y est sans doute dans les dernières années pour quelque chose.
La tradition voulait que le prestige de chanter à Bayreuth puisse valoir bien des cachets. Les seules star “importées” ces dernières années  furent Jonas Kaufmann, pour une seule édition (2010) et une quinzaine d’années auparavant Placido Domingo, qui remporta il est vrai d’indescriptibles triomphes (dans Parsifal et dans la Walkyrie). Mais bien des stars d’aujourd’hui (Nina Stemme, Waltraud Meier, Deborah Polaski) furent des jeunes inconnu(e)s révélées par le Festival et bien des chanteurs déjà un peu connus furent révélés à Bayreuth et passèrent au rang de star, comme Simon Estes ou plus récemment Stephen Gould dont le Tannhäuser et le Siegfried  firent sensation.
Depuis plus d’une dizaine d’années, le Festival de Bayreuth peine à garder ses stars, ou à en trouver d’autres. Même Lance Ryan, le Siegfried actuel des scènes internationales, fut révélé par Valence ou même Karsruhe avant de le chanter par raccroc à Bayreuth.

Les distributions de Bayreuth sont souvent correctes, mais n’appellent pas de superlatifs, et sont malheureusement aussi souvent insuffisantes. Le temps des Hotter, des Nilsson ou des Windgassen semble révolu. Il est sûr que les choix vocaux du Festival sont souvent discutables et surprenants (Amanda Mace, vraiment hors de propos pour Eva des Meistersinger il y a quelques années en est un excellent exemple). Il y a là une vraie difficulté qui tient à la fois à l’image et au statut de ce festival, et à une tradition qui s’estompe. Cela tient aussi tout simplement à des choix vocaux erronés essentiellement fondés sur ce qu’on entend sur les scènes allemandes aujourd’hui sans vraiment mettre en couveuse de futures voix wagnériennes, comme pourrait être le “Werkstatt Bayreuth” (“atelier Bayreuth”) qui devrait plus qu’un autre faire émerger  voix, chefs et metteurs en scènes que les autres scènes s’arracheront ensuite…

Le paradoxe est qu’aujourd’hui, je l’ai écrit souvent, on peut distribuer assez correctement Wagner partout et qu’on entend des représentations vocalement exceptionnelles, sauf, excusez du peu, à Bayreuth où le niveau est une honnête moyenne, qui ne dépasse pas toujours ce que produit la moyenne des scènes allemandes, mais pas forcément la moyenne des  meilleures scènes allemandes. De plus, le Festival est incapable de retenir les vedettes qu’il a suscitées ou invitées: Jonas Kaufmann y fut la star le temps d’un été, Nina Stemme ne veut plus chanter à Bayreuth dans les conditions actuelles (trop de temps à attendre, obligation de séjourner, cachets insuffisants), Waltraud Meier claqua la porte en 2000.   Problèmes d’organisation? problèmes financiers? L’avenir le dira.  Mais ce n’est pas en tous cas ce qui retient le public car les salles sont toujours pleines, ce qui n’est pas un encouragement à changer de méthode de gestion…
L’autre paradoxe est qu’au pays de la “Gesamtkunstwerk”(l’oeuvre d’art totale), c’est exclusivement la mise en scène qui retient l’attention et non le chant ni même le chef. Que Kirill Petrenko soit le chef choisi pour le prochain Ring du bicentenaire en 2013 n’a pas agité les médias culturels. Ne parlons pas non plus des interrogations sur la distribution . Non, ce qui a agité le petit monde médiatique, c’est le choix du metteur en scène puis l’arrivée de Wim Wenders. Et Katharina Wagner est naturellement plus intéressée aux choix scéniques: on la dit à l’origine de l’appel à Christoph Schlingensief pour Parsifal ou à Christoph Marthaler pour Tristan. Eva Wagner Pasquier est plus intéressée à l’aspect musical des choses et elle a été à Aix, au Châtelet, et même à l’Opéra de Paris conseiller artistique. Elle est encore “Senior Artistic Advisor” au Metropolitan Opera de New York et elle est dit-on à l’origine de la distribution du Ring du MET. Le premier test important marquant son influence sera évidemment à Bayreuth le futur Ring.

L’expérience de Bayreuth est un passage obligé qui a beaucoup perdu en “symbolique” dans les vingt dernières années. On peut triompher dans le chant wagnérien sans jamais avoir chanté à Bayreuth (Bryn Terfel, Juha Uusitalo). Et l’expérience de Bayreuth peut être aussi trompeuse pour le spectateur car bien des chanteurs semblent ici exceptionnels dans une salle très favorable aux voix, et paraissent décevants ailleurs (je me souviens par exemple des Ortrud phénoménales d’Elisabeth Connell et de ses prestations moins impressionnantes dans des salles ordinaires).

Il en va ainsi des distributions de ce Festival 2011: nihil novi sub sole. Sauf accident, on reconduit les distributions d”une année sur l’autre, pour des problèmes techniques évidents. Les productions nouvelles bénéficient de temps de répétitions plus longs, mais les reprises sont très peu répétées (c’est le système du répertoire à l’allemande qui règne ici), ce dont se plaignent certains chefs d’ailleurs et depuis longtemps (Carlos Kleiber…). On a donc intérêt à garder les mêmes distributions parce qu’elles ont longuement répété lors de la première saison, même si on procède çà et là à des ajustements (ainsi du Sachs de la production actuelle des Meistersinger: James Rutherford est le troisième Sachs-bien pâle- après Alan Titus et Franz Hawlata). On reverra donc à peu près la même distribution des Meistersinger, sans grand éclat, à l’exception de Klaus Florian Vogt, qui succédera à Jonas Kaufmann dans Lohengrin, remplacé dans ces Meistersinger par Burckhard Fritz, mais toujours avec Adrian Eröd dans Beckmesser, chanteur d’une grande finesse et d’une réelle intelligence, même s’il ne fait pas oublier le Beckmesser de l’immense Michael Volle . Comment Bayreuth a-t-il laissé échapper ce chanteur? Mystère… Enfin, l’excellent Georg Zeppenfeld y reprend Veit Pogner et c’est une bonne nouvelle.

Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels)toujours dirigé par Andris Nelsons sera donc chanté cette année par une distribution assez renouvelée: à commencer par Klaus Florian Vogt; son Lohengrin est déjà largement rôdé ailleurs (notamment à la Staatsoper de Berlin avec Barenboim et dans la mise en scène de Stefan Herheim) et l’on connaît la qualité de ce chanteur. Petra Lang remplace Evelyn Herlitzius dans Ortrud ( j’aime l’engagement de Herlitzius malgré ses quelques problèmes de justesse), mais petra Lang, vu son ortrud de Budapest, devrait faire crouler le théâtre. Lucio Gallo prévu l’an dernier dans Telramund et ayant abandonné le rôle en répétition, a été remplacé alors par Hans-Joachim Ketelsen, auquel succède cette année Tómas Tómasson, un baryton islandais(?) dont on commence à beaucoup parler et qui pourrait même être un Sachs. Pour le reste, même distribution que l’an dernier. Mais ce Lohengrin promet donc de sonner différemment.

Pour Tristan und Isolde (Mise en scène Christoph Marthaler), pas de changement: Robert Dean Smith reste le très bon Tristan des années passées, et Irène Theorin l’Isolde de référence, voix sonore, aigus triomphants, graves problématiques, mais un bel engagement scénique: la Suède fournit des Isolde et des Brünnhilde à foison et celle-là n’est pas la pire, mais elle ne fait pas oublier Nina Stemme  . Pour le reste, une bonne distribution avec notamment l’excellent Jukka Rasilainen en Kurwenal et Robert Holl en Marke.

Parsifal (Mise en scène: Stefan Herheim) change de Parsifal cette année puisque Simon O’Neill, qui avait remplacé l’an dernier Jonas Kaufmann souffrant dans Lohengrin, reprend le rôle donné jusque là à Christopher Ventris. Ce ténor m’a fait une excellente impression dans Siegmund à la Scala en décembre dernier. il devrait donc être un très bon Parsifal .Le reste de la distribution de change pas, et Susan Mclean chante  Kundry pour la seconde fois dans cette production, avec des résultats discutés l’an dernier: elle y succéda à Mihoko Fujimura dont ce n’était pas le meilleur rôle. J’aime beaucoup la direction de Daniele Gatti très discutée elle aussi, mais je crois qu’il a su travailler en osmose avec Stefan Herheim qui signe là une magnifique mise en scène (on garde en soi longtemps l’image finale bouleversante).

Enfin, le nouveau Tannhäuser dans la mise en scène de Sebastian Baumgarten devrait lancer la carrière internationale de ce metteur en scène né à Berlin Est quadragénaire, fils d’une famille liée au spectacle (mère chanteuse, grand-père directeur d’opéra), ex-assistant de Bob Wilson et de Ruth Berghaus qui a beaucoup travaillé au Stadttheatrer Kassel, à la Komische Oper, à la Volksbühne de Berlin et qui a produit de nombreux spectacles inspirés librement d’opéras ou de pièces musicales (Tosca, Oreste, Banditen, Mozart Requiem) qui a aussi travaillé autour de l’oeuvre de Lars von Trier et dont on a vu à Bobigny “Les mains sales”. Ce Tannhäuser est confié à  Thomas Hengelbrock, longtemps cantonné au répertoire baroque et XVIIIème siècle; ce chef intelligent, rigoureux devrait proposer une lecture intéressante.
La distribution a priori semble être prometteuse sans vraiment provoquer une formidable attente: Günther Groissböck est une basse de très haut niveau, qu’on a entendu à Paris dans Rheingold et Walkyrie et on se réjouit de l’entendre en Landgrave pour ses débuts à Bayreuth. Bien des chanteurs de cette distribution font leurs débuts à commencer par Lars Cleveman dans Tannhäuser que j’entendis à Londres dans Tristan avec Nina Stemme où il remplaçait (de manière plus que correcte) Ben Heppner souffrant: voir compte rendu dans ce blog en octobre 2009. Pur produit du chant scandinave, Lars Cleveman est un très solide chanteur, à l’émission élégante et à la voix claire et bien posée. Elisabeth sera Camilla Nylund. J’ai plus de doutes sur cette artiste qui ne m’a jamais vraiment impressionnée (je la vis dans Rusalka à Salzbourg, et dans Salomé à Paris-voir compte rendu dans ce blog en novembre 2009-, et ce fut à chaque fois décevant). Venus sera l’américaine Stephanie Friede (voir son site www.stephaniefriede.com ), un soprano dramatique qui chante tous les grands sopranos du répertoire avec un certain succès. Après avoir entendu Michael Volle dans Wolfram à Zürich, on se prend à rêver de l’entendre à Bayreuth. Wolfram sera l’élégant Michael Nagy, un jeune baryton spécialiste d’oratorio à l’émission claire, à la voix très contrôlée et à la technique remarquable et sa prestation devrait être intéressante. Au total, une distribution qui pourrait réserver de bonnes surprises.

Cette centième édition du festival, ne devrait pas provoquer de grosses polémiques, non plus que l’édition de l’an prochain avec un Vaisseau fantôme dirigé par Christian Thielemann (avec l’arrivée d’internet dans le système de réservation, révolution qui fait glousser tous les habitués du Festival): en fait tous les yeux sont tournés aujourd’hui vers 2013, qui sera le véritable départ de la nouvelle équipe.
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BAYREUTH 2013: WIM WENDERS EN ROUTE VERS LE RING

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Wim Wenders et le team de “Pina”
son dernier documentaire, sur Pina Bausch, au Festival de Berlin 2011

Wim Wenders, le réalisateur de l’Ami américain, de Paris Texas, des Ailes du désir, est en discussion avec la direction du festival de Bayreuth pour mettre en scène le Ring du bicentenaire du Festival de Bayreuth en 2013, dirigé par Kirill Petrenko. La direction du Festival médite depuis longtemps de confier à un cinéaste la mise en scène de la Tétralogie. En effet, le Ring précédent, finalement mis en scène par Tankred Dorst, avait été initialement confié à Lars von Trier. On avait aussi parlé de Quentin Tarantino pour le Ring 2013. C’est Wim Wenders qui tient la corde, réalisateur allemand (né à Düsseldorf en 1945), il a connu d’immenses succès dans les années 1980-1990.
Lire de plus amples informations sur le site de Deutsche Welle (en anglais) ou celui du festival de Bayreuth.

C’est incontestablement une bonne idée que d’avoir pensé à Wim Wenders, qui a déjà une expérience de théâtre (au festival de Salzbourg en 1982 avec une pièce de Peter Handke). Son activité de cinéaste à succès s’est un peu ralentie et nul doute que ce défi wagnérien pourrait relancer une carrière en demi-teinte. Il enseigne actuellement à la Hochschule für Bildende Künste de Hambourg (Ecole des Beaux Arts).

IN MEMORIAM : SHIRLEY VERRETT et PETER HOFMANN

SHIRLEY VERRETT

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Ces dernières semaines ont été marquées hélas par de nombreuses disparitions, Joan Sutherland, que je ne vis qu’une fois lors d’un concert à Garnier, Shirley Verrett qui  frappa de stupeur le jeune mélomane que j’étais, dans Azucena, où elle était une hallucinante bête de scène douée d’une voix incroyable, au-delà du réel tant elle était présente, chaude, puissante, sauvage! Mais  Liebermann hélas ne l’appela plus, lui préférant la Cossotto. Il faudra attendre les années 80 pour la revoir si souvent, impériale dans Gluck (une inoubliable Alceste, mais aussi une Iphigénie de rêve), bouleversante dans le Moïse de Rossini où elle chante une éblouissante Sinaïde. Elle fut aussi une grande Lady Macbeth à Paris,

verrett4.1292194164.jpgmais elle fut surtout à jamais inoubliable dans celle de Milan, avec Strehler et Abbado avec cette cape à traîne qui se croisait avec la cape de Macbeth-Cappuccilli au premier acte ou qui traçait son parcours dans la scène de la folie, images gravées pour la vie dans notre mémoire de spectateur. Mezzosoprano aux moyens de soprano, elle osa aussi Desdemona ou même Norma après avoir été une grandissime Adalgisa. Mais elle fut toujours moins convaincante dans certains rôles de soprano (Norma) que dans les rôles de mezzo où elle fut  irremplaçable.

verrett3.1292194156.jpgElle frappait le spectateur, qui ne la quittait pas des yeux, par son port altier et sa stupéfiante beauté. Son Alceste était à ce titre anthologique, tout comme sa Lady Macbeth. Elle revint à Paris pour inaugurer Bastille dans les Troyens de Pizzi où elle fut Didon, à jamais, face à une Bumbry tout aussi mythique.
Ainsi s’éteint un mezzosoprano qui porta le chant verdien à son sommet. Jamais remplacée depuis qu’elle quitta la scène.

PETER HOFMANN 

peterhofmann.1292194769.jpgPeter Hoffmann aussi nous a quittés, à 66 ans seulement, emporté par une maladie de Parkinson qui l’attaqua très tôt. Il restera pour moi à jamais le Siegmund de rêve de la mise en scène de Chéreau: jeune, frais, un enfant perdu au milieu de méchants, image qui frappa tous les spectateurs de ce sommet qu’était le premier acte de la Walkyrie.

ringboulez.1292194631.jpgAvec Gwyneth Jones (Walkyrie, Chéreau, Acte II)

Il fut aussi Siegmund à Paris avec Solti dans la mise en scène de Grüber. A Paris on le vit aussi dans le 3ème acte de Parsifal avec Karajan, tout comme à Bayreuth avec Levine et Rysanek puis la jeune Waltraud Meier dans la mise en scène de Götz Friedrich. Il était la star des ténors wagnériens des années 80, notamment à Bayreuth où il fit aussi

peterhofmann3.1292194580.jpgLohengrin et où il aborda Tristan avec Barenboim dans la belle mise en scène de Ponnelle.

A la fin de la décennie, je l’entendis à Bayreuth dans un Tristan pour la dernière fois, avec une phénoménale Catarina Ligendza, artiste injustement oubliée aujourd’hui, qui fut l’une des grandes Isolde de la fin du XXème siècle. Déjà atteint par la maladie, il marqua plus qu’il ne chanta le dernier acte, ce fut la dernière fois je l’entendis .
Sa stature, son physique de Dieu pangermanique, ses cheveux très blonds, son aspect héroïque, tout le prédestinait à chanter les grands ténors wagnériens. Seule la voix est toujours restée en deçà, dans Siegmund comme dans Tristan. C’était un bon Parsifal, un bon Lohengrin, mais il ne fut jamais un chanteur de légende, bien qu’il eût dans les années 80 une notoriété internationale absolument exceptionnelle. Il fut le ténor wagnérien de Karajan avec qui il fit Pasifal, Lohengrin, mais aussi Erik du Vaisseau Fantôme, il fut le ténor vedette de Bayreuth à un moment où le chant wagnérien peinait à trouver ses stars. Il accompagna lui aussi mon parcours et je le vis souvent sur les scènes, mais assez rarement à Paris.

Il était au départ chanteur de rock, il finit chanteur de musical (Le fantôme de l’Opéra) avant d’être terrassé définitivement par la maladie et de finir dans le besoin. Triste destin d’un chanteur qui fut à un moment de l’histoire de l’Opéra incontournable dans toute distribution wagnérienne.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: Quelques échos de LOHENGRIN (Andris NELSONS – Hans NEUENFELS)

 

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Je n’ai pas vu ce Lohengrin, mais j’en ai beaucoup entendu parler et  j’en ai suivi la retransmission radio. Aussi, sans avoir l’intention de commenter, je voudrais transmettre quelques informations sur ce spectacle qui remporte un gros succès au Festival, parce qu’il y a Neuenfels, et parce que c’est la nouvelle production de l’année. 

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Photo Site  Komische Oper

Hans Neuenfels est peu connu du public français, beaucoup moins que Peter Stein, Thomas Ostermeier ou Christoph Marthaler. Il est pourtant l’un des metteurs en scène les plus connus en Allemagne, pour ses approches très radicales, c’est même un de ceux qui font peur. Il arrive à Bayreuth à la fin d’une carrière très riche de metteur en scène et d’auteur. J’ai vu de lui Cosi fan Tutte à Salzbourg en 2000, mais pas la Chauve Souris en 2001 qui a déchaîné les passions. Cosi fan tutte était vu comme une expérience d’entomologiste de Don Alfonso et se déroulait sur une sorte de boite à insectes naturalisés, comme si Don Alfonso allait observer les réactions des amants comme autant d’observations des insectes. Les amants étaient tous vêtus de la même tenue blanche et en principe impossible à distinguer. Cela m’avait paru une vision intelligente et neuve, sans être un travail qui avait marqué ma vie, bien que je m’en souvienne encore car c’était Abbado qui devait diriger, et celui-ci avait renoncé, puis la même année avait été frappé par la maladie, la direction musicale avait été assurée par Lothar Zagrosek.

Approche aussi expérimentale dans ce Lohengrin : la question posée (ainsi le dit-il dans une interview pour le mensuel Opernglas) est celle de la confiance demandée sans conditions dans un monde toujours plus informé, qui analyse, qui pose des questions, mais qui est de plus en plus indifférent et reste le même. « Dans un monde où rien ne se passe, où rien de neuf n’arrive, aucune utopie, que quelqu’un doive donner sa confiance sans conditions, sans questions à poser, voilà une thèse magnifique ! ». La mise en scène propose donc Lohengrin comme expérience à vivre dans un monde sans identité : le chœur est vu comme un ensemble de rats de laboratoire, qui assistent à l’expérience des seuls personnages qui vivent vraiment, les quatre protagonistes et le roi, personnage presque shakespearien (l’excellent Georg Zeppenfeld, sorte de Roi Lear dérisoire).

loh3.1281089115.jpg Photo Reuters (Site du Spiegel)

L’expérience échoue, car Elsa n’aime pas, et sans amour pas de question sans réponse, pas de confiance sans condition.
Voilà grosso modo le concept de ce travail qui je l’avoue excite ma curiosité, tant il a partagé la presse, comme toujours dans les mises en scène de Neuenfels qui ne laissent personne indifférent.

Du point de vue musical, ce que j’ai entendu à la radio m’est apparu de grande qualité.
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Photo DPA (Site du Spiegel)

Andris Nelsons jeune chef letton de 32 ans, directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra, l’un des meilleurs représentants de la jeune génération, élève de Mariss Jansons, a assumé la direction musicale de ce Lohengrin. Son approche, surprenante par sa lenteur, séduit (au moins à la radio) par un vrai travail sur la pâte orchestrale, par un son plein, charnu, et un très grand sens du phrasé. Un Lohengrin inhabituel, mais très séduisant, voilà ce que je me suis dit en l’écoutant.

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Des chanteurs, je peux seulement dire que Lucio Gallo (premier chanteur italien invité dans un grand rôle à Bayreuth depuis des années)  ayant renoncé début Juillet, il est remplacé dans Telramund par Hans-Joachim Ketelsen, un baryton de qualité, sans être exceptionnel.  Evelyne Herlitzius est une Ortrud comme toujours très engagée, mais le chant n’est pas toujours contrôlé, les sons, notamment les plus gutturaux, sont quelquefois assez vilains.

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Annette Dasch semblait être tendue lors de la retransmission de la première, elle l’a dit d’ailleurs et le vibrato au premier acte était fort accentué. Gageons que cela ira mieux dans les représentations suivantes.

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Reste Jonas Kaufmann (qui ne sera pas dans la distribution l’an prochain, hélas) avec son chant à la technique de fer, aux mezze voci de rêve, aux aigus triomphants, qui semble dessiner un Lohengrin un peu plus sombre, mélancolique, moins lumineux que d’habitude, mais tout aussi passionnant.

Voilà des considérations initiales, qui sont marquées par la frustration de ne pas avoir pu assister au moins à la seconde représentation (deux billets rendus pour une cinquantaine de demandes), mais ce sont des frustrations hélas habituelles à Bayreuth.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG le 2 août 2010 (Sebastian WEIGLE – Katharina WAGNER)

 

020820102257.1281000874.jpgLe sort m’a attribué cette année non pas des billets pour le nouveau Lohengrin, dirigé par Andris Nelsons, mis en scène par Hans Neuenfels, avec Jonas Kaufmann, Annette Dasch, Evelyn Herlitzius et Hans Joachim Ketelsen remplaçant Lucio Gallo, mais pour les Meistersinger, avec un Hans Sachs nouveau, le jeune britannique James Rutherford. J’ai déjà écrit l’an dernier sur cette production : à la revoir, on l’apprécie de plus en plus. Elle pose directement la problématique de l’artiste et du social, et s’affiche comme ouvertement idéologique, refusant de s’intéresser à la relation Eva-Stolzing (s’intéressant d’ailleurs un peu plus à la relation Sachs-Eva) c’est-à-dire évitant de traiter les relations entre individus, mais traitant bien plutôt la situation artistique et idéologique.

Du point de vue théâtral, les scènes d’ensemble sont assez bien traitées, la « Festwiese » finale manquant peut-être de mouvement, mais la partie finale est une telle explosion d’idées diverses que l’on n’y prête pas trop attention.
On peut rappeler le concept : au départ Hans Sachs et Walther von Stolzing sont les non conformistes, Beckmesser étant un personnage totalement coincé, engoncé dans la tradition et le conformisme bourgeois. Sachs refuse les rituels des maîtres, marche pieds nus, lui le cordonnier, et Walther est une véritable « tête à claques » pendant presque les deux premiers actes dans leur ensemble. Tout bascule au final du second acte, sorte de happening général (avec allusion à la Campbell Soup de Warhol) qui confine à l’anarchie, Sachs et Walther réalisent qu’ils ne veulent pas voir l’art mener à ça : Walther commence à nettoyer les peintures qu’il a gribouillées. Beckmesser au contraire se décoince ! Et c’est tout l’enjeu du troisième acte que de voir comment Sachs et Walther se « normalisent » au point de devenir l’un une sorte d’Hitler (Sachs), l’autre (Walther) un médiocre promoteur de l’art officiel., pendant que Beckmesser se lance dans la
performance échevelée, et fuit devant cette normalisation artistique encadrée par Sachs.

kthrina.1281001402.jpgBeaucoup de huées pour la mise en scène à la fin. La nouveauté venait donc de ce jeune anglais, James Rutherford, succédant à Franz Hawlata (génial acteur, mais sans voix), puis à Alan Titus (voix vieillie et acteur peu à l’aise dans le personnage voulu par la mise en scène ). La performance n’est pas concluante. Il est visiblement lui aussi mal à l’aise avec ce que la mise en scène lui demande (notamment à la fin), et ne bouge pas vraiment avec bonheur. Le chant n’est pas vraiment tout à fait au rendez-vous. Non qu’il chantât mal, mais la voix est engorgée, opaque, sans vraie projection, ce qui gêne beaucoup notamment au premier acte et dans les longs monologues. L’absence de personnalité scénique et aussi sans doute de maturité rendent son chant complètement inexpressif. Le reste de la distribution est honorable, avec trois magnifiques prestations, 

– d’abord le Beckmesser d’ Adrian Eröd, en tous points remarquable: c’est lui qui, avec Klaus Florian Vogt, emporte tous les suffrages : expressivité, intelligence du jeu et du chant, voix claire, bien projetée, une vraie performance, alors qu’il m’avait moins impressionné l’an dernier. En tous cas, voilà un chanteur à ne pas manquer. eroed.1281001429.jpg

– ensuite, Klaus Florian Vogt est vraiment l’un des plus beaux Walther qui soient, la voix est saine, lumineuse, solaire, puissante et il compose un personnage délirant !

– enfin, David (Norbert Ernst) est excellent à tous égards, et remporte un triomphe mérité (décidément, nous sommes dans une années à ténors).

On reste plus réservé sur les prestations de chanteuses : Michaela Kaune est une Eva correcte, mais sans vraie poésie, Magdalene (Carola Guber) semble cette année avoir plus de difficulté, sons désagréables, voix inégale et peu homogène.

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est éblouissant comme toujours, et l’orchestre dirigé par Sebastian Weigle, directeur musical à Francfort, reste comme l’an dernier un peu plat, sans mettre en exergue certains pupitres (les bois notamment). Même si tout cela sonne fort bien dans la salle, on reste avec l’ impression mitigée d’un travail très professionnel sans touche vraiment personnelle.

Il reste que la soirée a été bonne, et comme d’habitude, malgré les plaintes, les remarques acerbes, les critiques des productions, on n’a qu’une seule envie, c’est de revenir…

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BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: GÖTTERDÄMMERUNG le 1er août 2010 (Christian THIELEMANN – Tankred DORST)

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Ce Ring se termine donc. Il ne laissera pas trop de regrets ni même de souvenirs. Rares sont les images marquantes, rares les moments de théâtre. Néanmoins, par rapport à mon souvenir de 2006, j’ai beaucoup plus apprécié la direction de Christian Thielemann. Maîtrise incontestable des équilibres, clarté des pupitres (il est vrai que l’acoustique de Bayreuth est exceptionnelle), rondeur des sons, beaux effets symphoniques. Il reste que pour mon goût elle manque tout de même de dramatisme, notamment dans l’Or du Rhin. Thielemann s’inscrit dans la tradition du classicisme allemand, des grands Kapellmeister. Ce type de figure manquait sans doute à Bayreuth depuis Horst Stein, ou même Wolfgang Sawallisch, et manquait aussi au marché des chefs d’orchestre : peu de grandes phalanges allemandes de référence (Munich, Berlin) sont dirigées aujourd’hui par des chefs germaniques: on trouve Rattle, Barenboim, Nagano, Jansons. Thielemann est une figure nécessaire dans le paysage, même si d’autres chefs allemands me semblent plus intéressants et originaux, Ingo Metzmacher par exemple, voilà un chef pour Wagner, et porteur d’une vraie vision. Espérons.

Il reste que Christian Thielemann propose un Ring de haute tenue, et de grande qualité musicale: c’est heureux. Rappelons que le dernier (mise en scène Jurgen Schlimm) confié à Giuseppe Sinopoli en 2000, décédé après la première édition, avait été confié ensuite à Adam Fischer, excellent chef pour Wagner, mais qui n’avait pas l’aura d’un Thielemann. Après ce Ring, Thielemann dirigera Der Fliegende Holländer en 2012 et Tristan en 2015 (mise en scène Katharina Wagner), il aura alors dirigé tous les opéras à Bayreuth. L’arrivée d´Andris Nelsons, puis en 2013 pour le Ring du très attendu Kirill Petrenko, devrait imposer le passage de relais à la nouvelle génération, bien que pour 2013, les grands anciens (Barenboim, Levine essentiellement) aient marqué leur disponibilité à la nouvelle direction.
Tout le monde ici se demande qui mettra en scène le Ring de l’année Wagner (2013), les deux directrices n’ont pas exclu de faire appel à quatre metteurs en scène différents, ce qui serait une curiosité esthétique plus que discutable, mais certainement très efficace pour faire s´agiter la presse et les aficionados. En tous cas, pas de discussions passionnées ici pour le travail de mise en scène : le Crépuscule des dieux confirme ce qui a précédé. Le concept pourrait être intéressant s´il était bien réalisé, mais c´est vraiment raté.

On vient écouter Wagner à Bayreuth pour se remplir d’émotions, or aucune image, aucune scène ne répond à ce besoin. Le seul moment d’émotion authentique, c’est la marche funèbre qui suit la mort de Siegfried, à rideau fermé… Aucun effort pour proposer une image tant soit peu poétique, sinon cette vision finale du couple d’amoureux ou de l’enfant qui joue, c’est maigre après une scène d’embrasement du Walhalla où tout le monde circule en tous sens, comme lors d’un incendie « humain », empêchant de se concentrer sur l’image apocalyptique que toute la salle attend. Eh, oui, une fois de plus, on pense à Chéreau, mais aussi à Kupfer : on pense à l’émotion qui étreignait, à mesure que les notes s’égrenaient et que le spectacle allait se clore. Émotion de la fin du Ring, émotion de la fin d’un spectacle magique.

Rien de tout cela ici.

Et pourtant, le Crépuscule est toujours à Bayreuth un moment particulier : après à peu près une semaine où l’on a eu la même place, les mêmes voisins avec qui on a lié conversation, où la vie s’est organisée autour du Ring, voilà que tout prend fin. Déjà la fanfare d’appel des spectateurs au troisième acte est lacérante, notamment la troisième fanfare, que tout le monde attend dans le silence, dans l’ambiance crépusculaire d’un doux soir d’été, avant de se précipiter dans la salle et c’est en voyant le Crépuscule des Dieux qu’on prend mieux la mesure de la monumentalité de l’œuvre, et du parcours que Wagner fait faire au spectateur. Pour toutes ces raisons, le spectateur est disponible pour se laisser aller à l’émotion.

regie.1280740565.jpgInutile de gloser sur une mise en scène indigente, sans direction d’acteurs, sans ligne directrice ferme: pourquoi cet homme déguisé en coq au deuxième acte ? Pourquoi un pique-nique clairement inspiré du Déjeuner sur l’herbe de Manet au moment de la mort de Siegfried ? Pourquoi une trentaine de paires de chaussures devant le décor du palais des Gibichungen ? Pourquoi une jeune dame déguisée en Fricka dorée ? On n’en finirait pas de poser des questions qui semblent sans réponse. Et malgré ces pointes surréalistes, une désespérante convention dans les gestes, les mouvements, et une totale absence d’interaction entre les personnages.
Du point de vue musical, Thielemann fait merveille ainsi que le choeur

choeur3.1280740841.jpgcomme toujours exemplaire, et Siegfried-Lance Ryan lance sa voix jeune et radieuse qui triomphe sans mélange au rideau final. La voix de Erik Halfvarson dans Hagen est en revanche fatiguée. c´est une voix grosse, qui crie trop fort, lancée dans une sorte de gueuloir, complètement détimbrée le plus souvent, et le personnage à peu près inexistant qui n’a ni l’aspect inquiétant, ni la force négative des grands Hagen.

alberich.1280740739.jpgAndrew Shore dans Alberich en revanche a l’élégance qui manque à son fils Hagen, une fois encore, son chant frappe par son style et les accents de la voix : un bel Alberich, même s´il n´est pas l´un des plus puissants. Ralf Lukas dans Günther éprouve des difficultés notamment dans les passages, mal négociés.

hagengunthgutrune.1280740532.jpgEdith Haller (Gutrune) ne s’en tire pas trop mal, mais a tendance à crier elle aussi. Les filles du Rhin et les Nornes sont toutes très bonnes (la scène des filles du Rhin au début du troisième acte est magnifiquement chantée). Quant à Christa Mayer (Waltraute), elle est plus à l´aise que dans Erda, mais ne laisse pas d´impression marquante. Reste Linda Watson, une Brünnhilde de plâtre qui lance ses aigus comme des flèches, mais dont on entend mal tout le monologue final, la voix noyée dans le flot orchestral. Les notes sont faites, sans musique, sans poésie, sans interprétation et sans aucun jeu, sinon un bras lancé par ci par là, pour tout dire, sans aucun, mais aucun intérêt.

Au total donc, un Rheingold passable, une Walkyrie décevante, un très grand Siegfried, et un Götterdämmerung sans âme, mais tout de même un orchestre de plus en plus somptueux et un chef de grande classe accompagnant une distribution faite de quelques diamants (les ténors) sans écrins. Cela reste insuffisant pour un tel lieu. Mais on oubliera vite ces années d’un Ring gris, en attendant le prochain, dans 3 ans.

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FESTIVAL DE BAYREUTH : QUELQUES CONSIDERATIONS GÉNÉRALES

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Bayreuth est vraiment un festival particulier. En ce moment, il semble qu’il soit fait bien des efforts pour le « moderniser », avec un bonheur assez contrasté. En 2011, un nouveau système de réservation sera introduit, qui remplacera le traditionnel bulletin de commande envoyé par poste pour le 16 octobre. Le design des programmes a changé, on est passé d’élégants « Programmhefte » à un livre unique, puis on est revenu aux livrets individuels, par opéra, les ouvreuses vendant 1 Euro la distribution du soir. Le design des programmes est pour le moins banal et manque et d’originalité comme d’élégance. Nul doute que les cahiers programmes qui faisaient l’image du festival que j’ai connus des années 70 aux années 90 correspondaient plus à l’esprit du lieu: ils contenaient un article de fond traduit en trois langues qui souvent faisait ensuite référence (Chéreau, Boulez y ont écrit des textes importants). Aujourd’hui ils contiennent des extraits de grands textes de Wagner, ou de ceux dont il s’est inspiré, ou même des grands textes esthétiques qu’il a lui-même inspirés. Parallèlement, la nouvelle direction promeut des colloques scientifiques, (pourquoi pas ?) mais aussi des versions des opéras pour enfants, avec un très grand succès, voilà de bonnes initiatives qui amènent un peu de nouveauté.

Car l’un des caractères spécifiques du lieu est son côté immuable, si bien que tout changement se remarque et se commente : cela fait partie des gènes de ce Festival, puisque Cosima a longtemps veillé jalousement à ce que RIEN ne change. Le rituel est ainsi fait : on arrive généralement une heure avant le début, pour se promener, humer l’air du lieu et… trouver une place de parking pas trop éloignée. Le spectacle est annoncé par trois fanfares à 15min, 10min, 5 min du début, l’une des plus fameuses est la troisième fanfare annonçant le troisième acte du Crépuscule, très émouvante. Les entractes qui durent une heure permettent de se dégourdir les jambes (s’il ne pleut pas…) autour du théâtre (fermé pendant les entractes) et dans le parc, ou de se restaurer, ou simplement manger les traditionnelles saucisses (4,20€ tout de même cette année…), la charcuterie locale qui les produit a même fait une affiche assez terrible (Bayreuther Bratwürste !) qui semble être celle de l’étal d’un boucher.Chaque année un stand supplémentaire: Champagne, glaces, eaux minérales, café pour occuper les festivaliers, dont certain se restaurent soit au self, soit au restaurant qui prend réservation et commandes avant le début de l’opéra, pour permettre de servir dans les meilleures conditions en une heure d’entracte. Cette année, nouveau stand de vente des chocolats locaux, mais aussi bijoux, fichus, porcelaines et même statuettes.

vuegen1.1281006421.jpgLe théâtre est à mi hauteur d’une colline, à quelques encablures de la gare, entouré d’un parc, les parkings à flanc de colline sont à l’arrière (gratuits et gardés), et au sommet, à trois cents mètres, une institution, le « Bürgerreuth », jadis une “Gasthof ” traditionnelle et populaire à la terrasse de laquelle il faisait bon passer un moment, depuis le années 80 c’est un restaurant italien, chic et cher. Mon restaurant de référence à Bayreuth, c’est goldloewe.1281007071.jpgactuellement le « Goldener Löwe », très bonne table aux prix fort raisonnables et à l’accueil sympathique et discret. 

intfest4.1281006309.jpgLe public est comme il se doit, d’un âge certain, avec une élégance discutable et très diversifiée  mais qui  n’a rien à voir avec le tape à l’œil de Salzbourg. Bayreuth n’est pas un rendez-vous de la Jetset…6 heures d’opéra en restant coincé sur des sièges inconfortables en bois, dans une salle non climatisée (à déconseiller aux claustrophobes tant s’en échapper est difficile) ne sont pas favorables à la mondanité.

face1.1281006366.jpgComme chaque année, la chancelière Angela Merkel est dans la salle, mais pas dans la loge d’honneur, d’où un contrôle des billets légèrement renforcé et une présence sécuritaire discrète, mais rien de plus, même pas une voiture de police (quand on pense à ce que mobilise notre président à chacun de ses déplacements, cela laisse rêveur…). Et on la voit discuter volontiers avec les autres spectateurs qui l’abordent sans chichis.

face2.1281006383.jpgOn reconnaît les habitués, ceux que l’on a vus jeunes et fringants il y a trente ans, aujourd’hui un peu vieillis et installés. Même l’industriel du marché noir, qui eut en son temps l’honneur de sa photo devant la billetterie (WANTED !) s’est assagi même s’il continue de rôder avec paraît-il des offres à des prix astronomiques…

queue.1281007765.jpgphoto DPA (site du Spiegel qui a une belle galerie de photos de Bayreuth)

Il y a toujours la petite queue des gens cherchant des billets, ce qui est ici un sport pittoresque, beaucoup rivalisant d’originalité pour afficher leur recherche (dessins, objets, symboles). Le spectacle joue à guichet fermé : une dizaine de places à peine peuvent être disponibles à l’occasion de billets retournés aux caisses. J’ai vu une seule fois lors de mes 33 séjours à Bayreuth, une des caissières sortir sur le trottoir et proposer un billet (pour la dernière année du Vaisseau fantôme mis en scène par Harry Kupfer, magnifique spectacle à la durée de vie exceptionnelle à Bayreuth).

La ville elle-même est une cité du XVIIIème siècle avec quelques curiosités touristiques,d’abord

whnfrd3.1281006479.jpgla villa Wahnfried reconstruite en 1976 pour devenir un Musée Richard Wagner, whnfrd1.1281006456.jpgdans le jardin de laquelle sont enterrés Richard et Cosima (et leur chien), le Nouveau Château, construit au temps de Frédéric de Prusse pour sa sœur, la Markgräfin Wilhelmine, à qui l’on doit aussi le ravissant Eremitage, sorte de palais d’été.  Le plus beau monument de la ville est sans nul doute l’Opéra, construit au XVIIIème par Giuseppe Galli Bibiena, un des théâtres baroques les plus beaux et les mieux conservés au monde, qui vient de rater l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, ce qui est une grosse bêtise. Il reste que le temps pour le tourisme est limité, car les représentations commencent à 16h, pour finir aux alentours de 22h : toute la journée est donc dirigée vers la représentation du soir. On passe même le matin au festival, pour regarder les disques wagnériens sortis cette année, les offres spéciales, les livres en vente.

Au contraire de Salzbourg, la ville vit sa vie et le Festival vit la sienne, les deux mondes restent assez séparés, ce qui fait le désespoir des édiles locaux, qui aimeraient bien que Bayreuth profite plus de la manne festivalière. Mais l’un des avantages du lieu est justement cette séparation et cette relative discrétion du tourisme de masse: Wagner n’est pas Mozart, et en faire un produit marketing est beaucoup plus difficile (on envisage difficilement un chocolat Richard Wagner). D’autant que la ville n’est pas accessible facilement sauf en voiture; en train, il faut changer à Pegnitz, Nuremberg ou Würzburg et la ligne n’est même pas électrifiée. Et il y a bien un aérodrome, mais petit et réservé à l’aviation privée, à peine aux turbopropulseurs… Rien à voir donc avec Salzbourg là non plus. Cependant, la région est agréable (notamment la Suisse franconienne), les prix sont raisonnables, (on trouve de nombreuses pensions aux alentours, dans des cadres bucoliques et charmeurs, à 35 ou 40 € la nuit même en temps de Festival). En fait, il y a environ 2000 festivaliers, et quelques touristes, et changer la donne ne pourrait être que dommageable. On se demande d’ailleurs comment Bayreuth, cité charmante au demeurant, pourrait devenir une Mecque du tourisme de masse.

Une autre particularité de ce festival est aussi que, quelle que soit la qualité du spectacle, ce qui compte c’est d’être dedans (« drin sein »). La demande est 7 à 8 fois plus forte que l’offre. Bayreuth n’a pas besoin de marketing ou de publicité, et ne souffre même pas de la qualité discutable de certains spectacles, comme le Ring actuel. C’est quelquefois très mauvais, mais c’est quand même complet. Pendant longtemps, les prix ont été les plus raisonnables du marché festivalier. Cette année, ils ont fait un bon de 40%, déficit et pression sociale oblige : les personnels techniques, qui sacrifient leurs vacances pour venir à Bayreuth, menaçaient de faire grève le jour de la première, ce qui aurait été un scandale épouvantable. Ils ont attendu pour réagir que le vieux Wolfgang Wagner laisse la place à ses deux filles, Katharina (32 ans), fille d’un second lit, et Eva (environ 30 de plus), fille d’un premier. La succession fut le théâtre de conflits internes à la famille, puisque toute la famille de Wieland a été depuis longtemps écartée de toute responsabilité.

foyer2.1281006351.jpgBayreuth « joue » pendant un peu plus d’un mois, du 25 juillet au 28 août. Si les répétitions théâtrales commencent en juin, les répétitions musicales ont lieu globalement pendant les trois premières semaines de juillet, sachant que la dernière semaine est prise par les répétitions générales presque toutes publiques. Seule, la nouvelle production de l’année a droit à plus de temps de préparation. Mais c’est un an à l’avance que les choses sont fixées le plus souvent, notamment pour un nouveau Ring, ce qui signifie la charge immense de quatre nouvelles productions en même temps. Les musiciens et techniciens venus de tous les orchestres et de tous les théâtres allemands ont l’habitude de l’alternance serrée du système dit « de répertoire », ainsi les reprises des productions, longuement répétées au départ, ne donnent pas habituellement lieu à des répétitions approfondies, sauf si d’une année sur l’autre, une production doit être modifiée profondément (comme ce fut le cas pour le Ring de Chéreau entre 1976 et 1977). Certains chefs d’ailleurs s’en sont plaints (Kleiber lorsqu’il fit Tristan ou même Boulez) ou refusent de diriger à Bayreuth à cause du temps de répétitions trop contraint (cinq à sept productions à remonter en trois semaines de travail global): cela veut dire qu’il faut multiplier les scènes de répétitions, et actuellement un débat fait rage pour ajouter une scène supplémentaire qui coûterait 22 millions d’Euros. C’est qu’on répète à Bayreuth partout, y compris dans les espaces du self ou du restaurant et que le théâtre occupe à peine 20% des espaces de travail du Festival. Il faut évidemment repenser la philosophie et l’organisation, je l’ai déjà écrit, les conditions du marché de l’art lyrique sont différentes. On demandait aux artistes il y a trente ou cinquante ans de rester sur place et de se consacrer exclusivement au Festival, comme une troupe permanente, c’est devenu impossible aujourd’hui: Jonas Kaufmann, Lohengrin cette année, partage son temps entre Lucerne – pour le Fidelio dirigé par Abbado- et Bayreuth et le chef Andris Nelsons en profite pour une petite tournée avec son orchestre, le City of Birmingham Symphony Orchestra. Pas de Lohengrin donc entre le 6 et le 17 août, mais Kaufmann à Lucerne le 12 et le 15 août, Nelsons à Lucerne le 16 août, et tout ce petit monde se retrouvera à Bayreuth le 17 août… Voilà les agendas des artistes aujourd’hui, il faut en tenir compte pour « moderniser ». Or, moderniser sans perdre son âme, c’est le défi et du Festival et de la ville de Bayreuth.

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