OPÉRA DE PARIS 2011-2012 : DIE LUSTIGE WITWE/LA VEUVE JOYEUSE de Franz LEHAR le 14 mars 2012 (Dir.mus : Asher FISCH, Ms en scène : Jorge LAVELLI)

Une scène d'ensemble ©Ch.Leiber

Lors de ma première lecture de la saison 2011-2012, La Veuve Joyeuse avec Susan Graham et Bo Skhovus dans la production de Jorge Lavelli était le seul titre qui avait fait tilt dans ma tête, à cause de Lavelli, et à cause de Graham. Susan Graham a été remplacée dans des représentations précédentes, mais elle est là ce soir, avec Bo Skhovus et toute la distribution.
Je ne peux m’empêcher d’être un peu déçu, malgré un beau plateau, qui comprend outre Graham et Skhovus,  deux pures légendes: Harald Serafin, 81 ans,  le  Danilo des années 70, qu’il a chanté 1700 fois, le chanteur d’opérette le plus connu d’Autriche, une immense vedette qui ce soir chante Mirko Zeta, et Franz Mazura, 88 ans, dans le rôle parlé du Majordome Njegus qui est toujours incroyable de mobilité et de bonne humeur en scène.
Je vais essayer d’analyser le sentiment qui m’a pris à la sortie du Palais Garnier d’être resté sur ma faim.
Il y a deux manières possibles d’aborder aujourd’hui l’opérette:
– on joue le jeu du 1er degré, couleurs, décors somptueux, foule en scène et surtout pas trop de questions sur le livret
– on aborde l’œuvre selon un point de vue décalé et on la questionne, c’est ce qu’a fait Christoph Marthaler avec La Grande Duchesse de Gerolstein, et surtout avec La Vie Parisienne, qui est un inoubliable chef d’œuvre  (Vollsbühne Berlin, 1997) changeant radicalement le regard: un de ces spectacles pour lesquels il y a un avant et un après.
En 1997 aussi, Lavelli met en scène cette Veuve Joyeuse , très bien accueillie à l’époque, déjà avec Bo Skhovus (avec 15 ans de moins…), mais aussi avec Karita Mattila et surtout Armin Jordan dans la fosse, un vrai grand chef, c’est Jordan qui fit le succès.
Lavelli est attiré par le monde de l’opérette, surtout par ce que ce monde nous indique du Monde,  autour de ce genre ou de son exploitation,  j’ai vu au théâtre “Opérette” de Gombrowicz, à la Colline, et Orphée aux Enfers à l’Espace Cardin (un bon spectacle et donc un bon souvenir), deux production qui l’une travaille sur une vision de l’opérette, et l’autre sur un regard très ironique sur le Monde.
Sa Veuve Joyeuse s’achève par un Cancan échevelé (et prodigieux!) et l’apparition surprenante d’Anges noirs qui envahissent l’espace horizontal et vertical, sans doute annonciateurs des malheurs qui éclatent sur ce monde Austro-hongrois du début du siècle, mais pas seulement: on sait que Lehàr lui-même fut inquiété pendant la seconde guerre mondiale (sa femme était juive), mais par chance, Hitler adorait sa musique…La trame de l’opérette elle-même part de la faillite d’un Etat (le Pontévédro, sans doute allusion à la faillite du Montenegro) à la recherche des millions de la veuve pour se renflouer (chaque allusion à la dette d’un Etat est dans la salle suivie de ricanements, allez savoir pourquoi…!). Le politique n’est donc pas absent et Lavelli produit un spectacle où, final mis à part, on a l’impression que la fête n’est jamais tout à fait gaie, jamais tout à fait échevelée, et qu’il bride les choses en les mettant à distance: la scène des grisettes chantée par des dames mûres au physique abondant pour la plupart en est aussi un indice.
Le décor de Antonio Lagarto, une construction de type vaguement Bauhaus, en tous cas d’une architecture moderne des années 20, délimite un espace unique quelquefois scandé par des rideaux de théâtre de velours rouge, principe que Lavelli avait déjà utilisé dans son Faust: la structure circulaire y fait irrésistiblement penser, on a simplement changé d’époque et d’architecture, pas de scansion de l’espace.
Sans doute aussi le fait de diviser le spectacle en deux parties très inégales, 1h30/25min accentue l’impression que les choses sont un peu longuettes. De fait le public ne semble pas enthousiaste. On pouvait jouer la folie débridée, suicidaire, on joue tantôt cette folie, tantôt le romantisme, tantôt le vaudeville, tantôt l’ironie: bref, on a l’impression qu’on ne choisit pas de ligne.
Je pense que l’impression de longueur ou de platitude vient aussi en grande partie d’une direction musicale d’Asher Fisch (le chef du fameux Don Carlo munichois de janvier dernier) en place mais sans plus, sans relief, et surtout sans finesse, qui a tendance à  couvrir souvent les voix et qui oblige Skhovus à s’égosiller. Pour que ce type de répertoire produise à l’opéra ses effets, il faut un grand chef qui sache à la fois avoir l’énergie, l’élegance, le rythme et surtout l’envie, pour entraîner le public et le plateau derrière lui. Asher Fisch met les choses en place, mais ne propose aucune piste d’interprétation, et surtout ne soigne pas vraiment l’équilibre fosse/plateau.

Susan Graham/Bo Skhovus

Et le plateau souffre, il faut bien attendre 1/4 d’heure pour que Susan Graham trouve ses marques, ajuste le volume, et donc qu’on l’entende. Bo Skhovus dont la voix n’est plus ce qu’elle était, doit souvent pousser le volume au point qu’il finit par se fatiguer. Même constatation pour le couple Valencienne (Ana Maria Labin) Camille de Rosillon (Daniel Behle). Il reste qu’on a un plateau de bon niveau: Ana Maria Labin et Daniel Behle forment un couple particulièrement séduisant vocalement, notamment pour Daniel Behle, très belle voix de ténor, mais aussi pour Ana Maria Labin, très vive en scène, à l’aigu facile. Signalons parmi les nombreux  rôles secondaires le bon Cascada de Edwin Crossley-Mercer.
Bo Skhovus a désormais cette voix voilée, et une émission forcée, quelquefois poussive, dont on a toujours l’impression qu’elle ne sortira pas (alors que les aigus finissent par sortir et faire émerger un timbre chaleureux) mais en même temps des qualités de diction et d’interprétation phénoménales. Mais ce qui frappe surtout, c’est la composition du personnage, très rodée, un de ses personnages d’homme un peu désabusé qui noie son ennui dans l’alcool (comme il l’était dans Don Giovanni à Aix, ou en Onéguine à Amsterdam) dont il est familier, mais là, il est proprement extraordinaire, il chante, il danse, il saute, mais aussi il joue, et de manière très fine, bien plus fine que l’orchestre.
Susan Graham est mezzo, ce qui peut surprendre pour Hanna Glawari, et elle a du mal au début à se faire entendre, la voix est trop grave, couverte par l’orchestre, mais après quelques minutes, les choses se mettent en place notamment dans les ensemble, puis dans les parties solistes: on peut alors admirer la pureté du timbre, la technique d’appui qui fait qu’elle domine en volume, impressionnant, en contrôle du son (elle sait faire des notes filées, chanter piano, passer de manière homogène du piano au fortissimo) et en abattage, au fur et à mesure qu’on avance dans l’intrigue. Nous savions qu’elle était une chanteuse magnifique (Sa Charlotte à Bastille m’avait beaucoup impressionné), nous en avons la confirmation.
Ballet et chœur épousent parfaitement les intentions du metteur en scène, et il faut saluer la belle performance du ballet et de la chorégraphie de Laurence Fanon, notamment le Cancan final, qui emporte la salle.

Sans ce troisième acte ramassé et vif, il faut reconnaître un certain défaut de vitalité.
Au total l’impression qui domine dans cette déception légère est celle d’une responsabilité nette du chef, qui n’a pas su cueillir cette touche de raffinement sans laquelle l’opérette viennoise est un produit banal et un peu gnan gnan. Il faut écouter les enregistrement de Lovro’ von Matacic ou Otto Ackermann avec Schwarzkopf et Gedda ou celui de Karajan (avec une Elisabeth Harwood pâlotte) pour comprendre ce qu’un chef peut faire de cette musique. Une fois de plus les choix de chef à l’Opéra de Paris posent problème.
Mais on sort en fredonnant Weib!Weib!Weib! c’est donc que malgré tout un courant est passé, même si beaucoup exprimaient en sortant leur relative déception. Suivons donc ce courant, mais il est l’heure(exquise) d’aller dormir.

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TEATRO ALLA SCALA 2011-2012: DIE FRAU OHNE SCHATTEN de Richard STRAUSS le 11 mars 2012 (Mise en scène: Claus GUTH, dir.mus: Marc ALBRECHT)

À la Scala, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Après une dernière d’Aida au mieux discutable du 10 mars, le 11 mars une Première de Die Frau ohne Schatten qui a triomphé, dans une production intelligente de Claus Guth, avec une distribution de bon niveau, et surtout une direction musicale de très grande qualité.
Voilà qui confirme ce que j’écris dans ce blog depuis longtemps sur la Scala: son problème, c’est le répertoire italien car sinon, que de productions intéressantes. Depuis septembre, deux Strauss, un très beau Rosenkavalier et une très stimulante Frau ohne Schatten.
La dernière production de Frau ohne Schatten remonte à 1986, dans une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle, d’une grande poésie, dirigée par le grand Wolfgang Sawallisch et reprise en 1999 avec au pupitre Giuseppe Sinopoli. A l’époque je vivais à Milan et Sawallisch s’était plaint des difficultés de l’orchestre à aborder une partition à peu près inconnue de lui. Et pourtant il en était résulté un moment orchestral fulgurant, j’ai encore dans l’oreille ce scintillement sonore qui était magique.
Le public avait pourtant déserté pendant les deux premières représentations, la Platea était clairsemée, des loges vides et peu à peu la voix avait circulé que cette musique valait le détour et les dernières furent jouées à guichets fermés.
Même phénomène 26 ans après, bien des loges vides, bien des trous dans la Platea: le public milanais ne change pas, il lui faut des titres sûrs (comme l’Aida de la veille!!). La Scala reste le plus grand théâtre de province du monde (75% du public dans un rayon de 2km…)… Quel dommage ! Quelle musique en effet, sublime et tellement difficile à jouer et à chanter qu’on l’entend relativement rarement; j’ai pour ma part vu en 1980 sous l’ère Lefort II (en septembre 1980 pour sa prise de fonction) la fameuse production parisienne reprise de 1972 (de Nikolaus Lehnhoff) sous l’ère Lefort I (lorsqu’il avait assuré l’interim avant l’ère Liebermann). En 1980, Christoph von Dohnanyi, Hildegard Behrens, Gwyneth Jones, Walter Berry, René Kollo, Mignon Dunn… le rêve,  celle de Solti à Salzbourg-Pâques  en 1992 avec Cheryl Studer, et celle de Sawallisch dont il était question plus haut en 1986.
La mise en scène de Claus Guth inscrit cette œuvre à peu près à l’époque de sa composition, dans une grande maison bourgeoise (à moins que ce soit dans une clinique chic) où, dans le silence initial, devant un médecin, son mari et une sorte d’infirmière ou de gouvernante (la nourrice), une femme se tord dans un lit de clinique sous leur regard un peu interdit. Puis la musique explose comme un coup de tonnerre, et le fond de scène installé sur une tournette change, et sera le lieu des rêves ou des fantasmes de cette femme, qui va vivre l’opéra en rêve (qui raconte l’histoire d’une femme issue du monde des esprits, qui a épousé l’Empereur, chasseur invétéré, et qui n’est pas humaine car elle ne possède pas d’ombre, et ne peut avoir d’enfants. Elle achète avec la complicité de sa nourrice l’ombre d’une femme du peuple, la femme du teinturier Barak. Mais cette dernière s’aperçoit bientôt de son erreur, qui la mène au bord de la ruine de son couple et du malheur absolu. Quant à l’Impératrice, elle finit par refuser le marché, et alors tout rentre dans l’ordre, l’amour triomphe et les deux couples auront des futurs enfants qu’on entend chanter au final).
Claus Guth, qui aime les décors d’intérieurs très bourgeois (dans son Vaisseau fantôme de Bayreuth, dans son Tristan de Zürich, ou même ses Nozze di Figaro de Salzbourg), nous fait vivre en réalité la souffrance d’une femme inaboutie, d’une grande bourgeoise délaissée par son mari, qui rêve d’une belle histoire de reconquête et des enfants et du mari. A la fin, tout finit comme au début, et la femme se réveille et va voir à la fenêtre en souriant: Rideau. Guth a beaucoup travaillé sur les personnages, non plus épiques comme souvent, mais plutôt issus d’un Drame bourgeois, dans l’atmosphère onirique de cette nuit de femme endormie. Ainsi il joue sur les doubles (l’Impératrice face à la Femme du teinturier), sur les variations incessantes du décor du fond de scène, qui tourne et laisse apparaître tous les moments de l’opéra et les aventures de l’Impératrice, il joue aussi sur la psyché féminine, sur sa douleur fondamentale, notamment au troisième acte où la mise en scène est impressionnante de précision, et dégage une vraie tension  où Emily Magee, l’Impératrice,  est prodigieuse. Un travail d’une clarté  étonnante, jamais provocateur, mais toujours rigoureux et justifié, un travail où la poésie absente au départ revient au troisième acte, un travail chirurgical plus que lyrique, redoutable de justesse. Guth a été naturellement hué par les deux ignorants de la salle, car tout le public sinon a crié son enthousiasme.

A ce travail scénique chirurgical répond une direction au scalpel de Marc Albrecht, qui a fort intelligemment épousé l’option glaciale du metteur en scène. Une direction là aussi d’une clarté et d’une lisibilité frappantes, qui montre un travail d’orchestre particulièrement précis et sous entend un travail de répétitions exemplaire. L’orchestre est absolument en forme ce soir, presque méconnaissable, et Marc Albrecht montre un prodigieux sens théâtral . Vraiment magnifique
Le plateau est plus homogène du côté masculin que féminin: un Empereur exceptionnel de solidité, Johan Botha, qui a la force, la clarté, la puissance, l’éclat, la brillance. Grande prestation, tout comme celle de Falk Struckmann, Barak d’une humanité bouleversante, et qui semble avoir retrouvé les qualités de puissance et d’émotion d’antan, mais notons aussi le splendide Samuel Youn en “Geisterbote” et même le jeune homme de Peter Sonn (Le David des Meistersinger de Zürich le mois dernier) . Tous remportent un considérable succès.
Du côté féminin, un joli Faucon de Talia Or, et surtout une Nourrice magnifiquement défendue par Michaela Schuster, qui sait jouer des couleurs  de sa voix pour camper son personnage, par ailleurs génialement dessiné par la mise en scène, et interprété d’une manière impressionnante.
Une grosse déception devant la femme du teinturier d’Elena Pankratova, plus soucieuse de préparer ses aigus que d’interpréter un rôle à l’éminente valence théâtrale. La voix est à mon avis trop petite pour ce rôle, les aigus y sont, mais tendus, le timbre est banal, et l’ensemble manque de caractère et pour tout dire d’intelligence.
Il en va tout autrement pour Emily Magee. La chanteuse n’a pas tout à fait la voix du rôle (il faudrait qu’elle soit un peu plus large), et son réveil au tout début du premier acte est très hésitant. Il est vrai que la page est redoutable et exige force, contrôle et agilité. Les aigus sont souvent proches du cri, mais l’artiste est intelligente, bonne technicienne, suit le chef et le metteur en scène et réussit à imposer un style qui explose littéralement au troisième acte, où elle est tellement prodigieuse en scène qu’on en oublie aigus ou diaphragme et qu’elle réussit à jouer de ses faiblesses même. Magistrale interprétation d’une intensité qui laisse pantois et épuise les nerfs et les émotions des spectateurs.

Au total, la Scala a réussi là un vrai pari, d’imposer une vision moderne, glaciale, sans concession de cet opéra spectaculaire, et une distribution dans l’ensemble très solide, Pankratova excepté, qui montre encore une fois que dans le temple de Verdi mieux faut jouer du Strauss que de servir le Dieu de la maison en ce moment.
N’importe, c’était une magnifique soirée qui m’a donné l’énergie de rentrer dans la nuit dans mes pénates françaises!

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TEATRO ALLA SCALA 2011-2012: AIDA, de Giuseppe VERDI le 10 mars 2012 (Ms en scène:Franco ZEFFIRELLI, dir.mus: Omer MEIR WELLBER)

Aida est un opéra populaire entre tous essentiellement à cause de la scène de triomphe du deuxième acte, qui à elle seule motive l’exceptionnelle carrière aux arènes de Vérone, ou aux termes de Caracalla, mais aussi à Bercy et dans les grands stades du monde. Ainsi, on rassemble des centaines de figurants, de la couleur, des beaux costumes et l’affaire est pliée. Or Aida est pour le reste un opéra intimiste, comprenant de nombreuses scènes où évoluent deux ou trois personnages. Cela explique que le même Zeffirelli il y a quelques années ait pu mettre en scène Aida au (très) petit théâtre de Bussetto, d’une capacité de 300 places environ et que la création eut lieu au Caire, à l’Opéra dont la capacité est aujourd’hui de 1200 places (reconstruite après un incendie), mais la salle originelle était de capacité inférieure. Rien ne pouvait laissé supposer le destin hollywoodien de cette œuvre.
Un opéra difficile à monter car il faut des chanteurs très solides. Radamès est un rôle lourd pour un ténor, qui exige vaillance et lyrisme, et qui à peine en scène doit chanter son grand air (“celeste Aida”) “à froid” dans les cinq premières minutes de l’opéra. Aida exige à la fois une grande voix lyrique (un lirico spinto) et un très grand contrôle vocal, notamment à la fin où tout doit être chanté piano, voir pianissimo: tout le rôle est d’ailleurs presque concentré aux troisième et quatrième acte. Amneris est un grand mezzo verdien dans la tradition des Azucena, ou des Eboli qui doit tenir face à l’orchestre de manière soutenue au quatrième acte. Amonasro est un rôle bref (quelques répliques au deuxième acte, et tout le reste au troisième, mais qui exige une très grande voix de baryton, très vaillante. Musicalement, le plus beau moment est sans doute la scène du Nil (troisième acte) et tout le quatrième acte, notamment la grande scène d’Amneris au premier tableau, et aussi bien sûr le duo final. Autant dire que si votre Aida ne sait pas chanter piano ni émettre des notes filées, ce n’est pas une Aida.C’est bien là la contradiction d’une œuvre qu’on représente devant des milliers de personnes, et qui exige de l’héroïne un chant souvent murmuré. Les grandes Aida sont celles qui ont su conjuguer vaillance et poésie, dramatisme et lyrisme, volume et contrôle: elles ont nom Leontyne Price ouMartina Arroyo, mais aussi Maria Chiara, qui fut vraiment très grande aux côtés de Pavarotti à la Scala en 1985, ou, chère à mon coeur, Mirella Freni, dont on a dit qu’elle s’était fourvoyée, mais qui fut, aux côtés de José Carreras et de Marilyn Horne en 1979 à Salzbourg la plus poétique, la plus intense, la plus émouvante des Aida. Il est vrai qu’un chef était derrière ces choix qui apparurent discutables à l’époque, il s’appelait Herbert von Karajan. J’étais dans la salle pour mon premier spectacle à Salzbourg, et ce fut miraculeux.

A la Scala, quatre productions d’Aida depuis 1963, dont deux de Zeffirelli, celle de 1963, dirigée par Gianandrea Gavazzeni avec les magnifiques décors et costumes de Lila de Nobili inspirés d’estampes du XIXème siècle, celle de 2006, dirigée par Riccardo Chailly, où Zeffirelli a fait aussi les décors. Entre temps, en 1972, une nouvelle production dirigée par Claudio Abbado de Giorgio de Lullo, dans des décors de Pier Luigi Pizzi, et celle de 1985, dirigée par Lorin Maazel, mise en scène de Luca Ronconi dans des décors monumentaux de Mauro Pagano. La Scala reprend cette année, en hommage à Zeffirelli (89 ans) sa production de 1963, qui nous renvoie à une Egypte mythique, à une esthétique très XIXème siècle égyptomaniaque, et qui est d’une incontestable beauté. La production de Zeffirelli 2006 fut un grand ratage, avec ses kilos de dorures, ses foules impossibles à bouger, sa surcharge propre à écœurer sans impressionner. L’esthétique Zeffirelli a bien marqué le monde de l’Opéra, puisque Bohème et Aida ont inscrit son nom aux frontispices des opéras: sa Bohème est encore bien vivante depuis près de 50 ans dans plusieurs théâtres (MET, Vienne, Scala).

Acte 1 Scène 1, les esquisses

La production présente est à mon avis d’une grande beauté, certes, dans une mise en scène à qui aujourd’hui sans doute on donnerait une distance ironique ou sarcastique qu’on ne trouve pas ici, mais les toiles peintes, les perspectives, la monumentalité frappe encore. C’est une bonne idée que de la reproposer, et l’opération est réussie, on est à la Scala pour voir une production muséale, un témoin d’une certaine manière de faire et voir l’opéra. Pourquoi pas ? Ce n’est pas par là où le bât blesse, loin de là, et moi qui suis plutôt amateur de mises en scènes un peu moins sages, ait beaucoup apprécié ce grand moment de “mémoire” lyrique.

Quand on voit les distributions affichées par la Scala depuis 1963 dans Aida (1963, Cossotto-Amnéris, Leontyne Price/Leyla Gencer-Aida, Carlo Bergonzi-Radamès, Nicolai Ghiaurov-Ramfis et Aldo Protti-Amonasro, et les noms qui se sont succédés sur cette scène dans cette œuvre en 49 ans, Martina Arroyo, Jessie Norman, Maria Chiara, Gilda Cruz-Romo, Montserrat Caballé, Ghena Dimitrova, Violeta Urmana, Fiorenza Cossotto (Amneris pendant au moins 20 ans), Grace Bumbry, Viorica Cortez, Gabriella Tucci, Placido Domingo, Luciano Pavarotti, Gianfranco Cecchele, Carlo Cossutta, Piero Cappuccilli, Giampiero Mastromei et j’en oublie, on est étourdi, et on se demande quelle mouche a pu piquer le spécialiste des voix de la Scala de réunir cette année un cast aussi discutable, au moins pour les deux protagonistes. Il était possible de sauver l’entreprise, même en prenant des chanteurs de niveau moyen, mais au moins qui sachent articuler l’italien ou chanter piano.
Beaucoup de spectateurs ont hué le chef, le jeune israélien Omer Meir Wellber, et je pense qu’ils ont été très injustes: sa direction est contrastée, précise, fait bien sonner l’orchestre et notamment des phrases musicales moins connues (très  beau prélude), douée d’un vrai sens dramatique et d’un vrai sens du spectaculaire. Mais il faut être deux pour faire fonctionner l’affaire: quand le chef tire à hue et qu’obstinément, parce qu’ils sont simplement incapables de suivre ce que veut le chef, les chanteurs tirent à dia, on dit que le chef n’accompagne pas les chanteurs. Quand le duo final qui doit être en permanence chanté piano, est chanté forte par le ténor et miaulé forte par la soprano, cela ne peut aller. La meilleure preuve: quand Luciana d’Intino (Amnéris), une authentique chanteuse verdienne, attaque sa grande scène, au 4ème acte, non seulement elle chante, mais elle sait articuler, respirer, et suivre le chef avec grande attention, il en résulte le seul vrai  moment de théâtre de la représentation, en dépit d’une voix un peu abîmée, dédoublée (une voix pour le registre grave, une voix pour le centre et les aigus) mais une voix d’une présence malgré tout impressionnante.
Ainsi, merci à Luciana d’Intino d’avoir en l’occurrence montré ce qu’est le chant italien, et ce qu’est chanter Verdi.
Merci aussi à Giacomo Prestia, un Ramfis de qualité, avec une belle voix de basse. J’avais entendu ce chanteur dans Philippe II à Barcelone, et il m’avait alors beaucoup plu; l’impression est ici confirmée, mais on ne fait pas Aida avec le seul Ramfis, ni le seul Amonasro, fût-il interprété avec vaillance et avec une voix forte et imposante par Ambrogio Maestri, l’un de nos meilleurs Falstaff (il en a le physique). Son Amonasro est impressionnant, même si on dénote çà et là quelques problèmes de justesse; mais quelle présence, quel engagement!
Alors que le jeune Jorge de Leon était affiché pour toutes les représentations, il a souvent été substitué par Stuart Neill, le Don Carlo d’il y a quelques années dans cette même salle (Gatti, Braunschweig) qu’il vaut mieux oublier. Stuart Neill ne fait pas de faute de chant particulière, mais la voix est toujours ouatée, jamais claire, ouverte, et les aigus en rétrécissent le volume et sont toujours chantés en arrière. Incapacité à chanter piano, aucune lumière solaire, mais aucune ombre non plus, parce qu’il n’y que linéarité et monotonie dans cette manière de chanter, avec des moments inaudibles dès qu’on descend dans le grave ou le murmure. Aucune séduction, un jeu fruste, une présence inexistante sur le plateau. C’est un de ces chanteurs qui conduit une représentation sans trop d’encombres jusqu’à la fin mais sans jamais rien d’intéressant. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un chanteur à la Scala.
Venons en enfin au plus problématique, l’Aida d’Oksana Dyka. L’ayant vue plusieurs fois affichée (l’an dernier dans Cavalleria Rusticana, cette année, outre Aida, elle sera Tosca),  je me suis dit qu’elle devait avoir quelque intérêt, d’autant qu’elle chante dans des grands théâtres internationaux (Hambourg, Los Angeles…). Las, je ne peux comprendre ce qui pousse les programmateurs à afficher une telle chanteuse dans ce répertoire. D’abord, on ne comprend strictement rien à ce qu’elle chante: c’est une bouillie, sans articulation, sans veiller aux paroles, sans scander le texte. Il en résulte une absence totale d’implication, gestes convenus, texte passé au robot Moulinex. On pourrait alors se rattraper sur la qualité vocale. Aucune homogénéité, une voix quelquefois stridente, qui crie plus qu’elle ne chante et qui miaule dans les parties les plus lyriques. Une incapacité structurelle à chanter piano. Son entrée au dernier acte, du fond de la tombe, se fait à pleine voix, à voix si pleine qu’on sursaute, un contresens total pendant que l’orchestre veille à diminuer les volumes pour rendre cette atmosphère si particulière, qui mime la vie qui s’éteint, du final d’Aida. J’avoue ne pouvoir comprendre un tel choix…errare humanum est, perseverare diabolicum. J’ai en 2006 critiqué l’Aida de Violeta Urmana, et ceux qui me lisent savent que je ne suis pas vraiment un laudateur de cette voix, mais au moins, madame Urmana sait chanter,  sait moduler, et la voix est de qualité. Alors Mille Urmana contre une Dyka. Madame Dyka a su ruiner les “concertati”, les ensembles où elle est incapable de s’adapter aux autres, où l’on entend de vilains sons, des cris inadéquats.
Quelques “buh!” ont accueilli son salut final. Je n’aime pas huer, mais je comprends ces réactions:  avec le ténor, les deux ont réussi à rendre cette représentation pénible, alors qu’un simple chant moyen aurait pu satisfaire.
J’ai plusieurs fois écrit la misère actuelle du chant italien, et l’absence de vraie politique de la Scala sur le répertoire italien et notamment verdien. Dans le cas qui nous occupe, c’est vraiment la Scala qui est responsable: on aurait pu trouver une Aida italienne qui aurait sauvé le niveau de la représentation, une Raffaella Angeletti par exemple,  chanteuse intelligente, bonne technicienne, plutôt faite pour Puccini, mais qui a chanté Aida avec Mehta à Tel Aviv et qui au moins, sans une voix d’exceptionnelle qualité, sait vraiment chanter et sait s’imposer en scène avec efficacité.
Ainsi l’hommage à Zeffirelli justifié vu son rôle éminent durant les cinquante dernières années en Italie (il a aujourd’hui 89 ans), dans le bel écrin de cette production mémorielle, a tourné court, par la faute d’une distribution sans marque vraiment stimulante où seul triomphe une Amnéris de grande tradition, qui sait  chanter, simplement, et le ballet chorégraphié par Vladimir Vassiliev, légende de la danse.

J’aime passionnément la Scala, j’aime passionnément le chant verdien, j’en suis d’autant plus colère, j’en suis d’autant plus déçu. Ce théâtre devrait peaufiner ses distributions verdiennes, car c’est son fonds de commerce:  il a fait simplement le calcul qu’une Aida spectaculaire allait attirer les foules, bons chanteurs ou non, et que cela suffirait bien puisque la salle serait pleine. Choix touristique et non artistique. Détestable.

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OPERA DE LYON 2012-2013: LA PROCHAINE SAISON

La prochaine saison de l’Opéra de Lyon a été présentée vendredi 9 mars, avant la première de Parsifal, par Serge Dorny.
Après la très lourde saison 2011-2012, (Puccini Plus, Parsifal, Carmen, Le Rossignol et le Nez, notamment) la saison suivante marque toujours une grande ambition, avec des œuvres passionnantes et souvent rarement jouées. .
La ligne très clairement affichée par Lyon de choix de mises en scène et d’approches modernes est confirmée notamment par l’ouverture de saison, un MACBETH de Verdi dirigé par Kazushi Ono (il l’ a déjà dirigé à la Scala) et une mise en scène de Ivo van Hove qui fera de Macbeth notre contemporain. L’appel à Ivo Van Hove, l’un des metteurs en scène européens les plus radicaux sera sans doute très discuté. (Voir mon compte rendu de son Misanthrope, de Molière, qui va être représenté fin mars aux ateliers Berthier à Paris (Odéon)). Il sera chanté notamment par le baryton Evez Abdullah et  la soprano Iano Tamar. Ce Macbeth répond à la thématique générale de l’année, dédiée au pouvoir, aux tensions de la société et du monde.(Octobre 2012)
Tensions religieuses, avec le MESSIE de Haendel, dirigé par Laurence Cummings et mise en scène par la grande Deborah Warner avec notamment Andrew Kennedy et Catherine Wyn-Rogers.(Décembre 2012)
Tensions entre l’homme et l’animal avec LA PETITE RENARDE RUSEE, de Janaček dans la mise en scène de André Engel et Nicky Rieti, qu’on a aussi vu à l’Opéra Bastille, qui est un spectacle produit par l’Opéra de Lyon, dirigé par l’excellent Tomáš Hanus, avec Jeannette Fischer (Janvier Février 2013).
Un des moments importants de la saison sera la présentation de L’EMPEREUR D’ATLANTIS de Ullman au théâtre de la Croix Rousse, dirigé par Jean-Michaël Lavoie et mise en scène par Richard Brunel. Cette œuvre composée au camp de Theresienstadt et jamais jouée jusqu’en 1975 est une des grandes oubliées du XXème siècle, dans une musique qui prolonge bien les opéras présentés dans le festival Puccini PLUS cette année avec ses échos de Weill, Hindemith ou le jazz. (Février 2013)

CAPRICCIO, de Richard Strauss, dans une belle distribution (Emily Magee) et dirigée par Bernard Kontarsky sera présentée en mai 2013 dans une mise en scène de David Marton. Voilà une oeuvre très peu présentée en France, qui est centrée sur les tensions entre parole et musique dans l’opéra. Cette œuvre écrite pendant la deuxième guerre mondiale, souligne les grands principes de la culture allemande, en contrepoint de la barbarie nazie.

LA FLÛTE ENCHANTÉE de Mozart conclura la saison avec la participation des jeunes du studio de l’opéra de Lyon. Elle sera dirigée par Stefano Montanari, connu du public lyonnais puisqu’il a dirigé le Festival Mozart, et mise en scène par Pierrick Sorin (juin et juillet 2013).

La saison prochaine, en mars et avril 2013, le FESTIVAL portera sur les tensions entre justice et injustice, quatre œuvres sont affichées, avec tout d’abord
Une création , à partir de Claude Gueux de Victor Hugo, CLAUDE, de Thierry ESCAICH, dirigée par Jérémie RHORER, sur un livret de Robert BADINTER et dans une mise en scène d’Olivier PY
– FIDELIO
, de Beethoven, avec Nikolai Schukoff dans Florestan (Leonore n’est pas encore connue) dans une mise en scène du vidéaste Gary Hill (l’un des grands de l’art vidéo avec Bill Viola) et dirigé par Kazushi Ono.
Et en une soirée, dirigée également par Kazushi Ono et mise en scène d’Alex OLLÉ (La Fura dels Baus)
IL PRIGIONIERO de Luigi Dallapiccola, avec Magdalena Maria Hofmann et martin Winkler (qu’on a vus dans le Festival Puccini PLUS cette année)
ERWARTUNG de Schönberg, avec Magdalena Maria Hofmann

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OPERA DE LYON 2011-2012: PARSIFAL de Richard WAGNER (dir.mus: Kazushi ONO, ms en scène: François GIRARD) le 9 mars 2012

Acte II ©Opéra de Lyon

Pour une structure comme Lyon avec ses espaces assez réduits, monter Parsifal est une lourde entreprise et des problèmes techniques ont dû contraindre à annuler la Première , le 6 mars. On doit d’autant plus  remercier Serge Dorny d’avoir osé l’entreprise, lui qui propose, en coproduction avec le MET et la Canadian Opera Company de Toronto, un spectacle de très haut niveau musicalement et scéniquement.
On a vu bien des rêves interprétatifs sur Parsifal:  Rolf Liebermann à Genève en avait fait l’œuvre du “Day after”, après une explosion atomique, un Tchernobyl universel, Schlingensief à Bayreuth en avait fait une sorte de “Urwerk”(oeuvre originelle), plongeant dans nos rites les plus primitifs, mais posant aussi la question de l’art et de sa fin (aux deux sens du terme), Herheim toujours à Bayreuth en fait une métaphore du parcours historique de l’Allemagne depuis le XIXème siècle et un symbole universel de paix (on se souvient que les nazis accusaient l’œuvre de pacifisme et l’avaient interdite ). Et puis il y a toutes les visions messianiques, faisant de l’œuvre une sorte de substitut de”mystère”, l’expression Festival scénique sacré étant alors prise au pied de la lettre.
François Girard se range plutôt dans ce dernier cas, en orientant  la question vers l’idée de la connaissance mystique par la connaissance charnelle, et celle de fécondation, au centre du propos.
Cet artiste québecois  compte à son actif aussi des travaux cinématographiques (c’est son premier métier), mais aussi des mises en scène de spectacles divers, il a notamment mis en scène l’un des derniers spectacles du Cirque du Soleil à New York, mais on lui doit aussi en 2007 le film”Soie”, d’après un roman d’Alessandro Baricco. C’est un artiste éclectique, soucieux des effets visuels de ses spectacles qui utilisent bien sûr les éclairages ou la vidéo, ce qui correspond bien à la tendance actuelle des derniers spectacles du MET. Son Parsifal est plutôt hiératique, avec des actes I et III en noir et blanc, et un acte II marqué par le rouge. Il est difficile au départ de repérer une ligne de mise en scène: la clef (c’est du moins ce que j’en ai senti) arrive au second acte, pour moi le plus réussi des trois. Pour essayer de comprendre le propos, je vais donc partir du second acte, qui se passe dans un étroit défilé très haut, avec un arrière plan une fente vers le jour, qui va bientôt être couverte d’une projection vidéo d’une sorte de fleur rouge, aux formes qui se tordent et qui font irrésistiblement penser au conduit vaginal, et en même temps à une plaie, la plaie qui ne se cicatrise pas d’Amfortas. Les personnages évoluent sur un plateau recouvert d’une immense mare de sang, les filles fleurs tiennent toutes une lance, capturée sans doute à l’occasion des pièges tendus aux chevaliers du Graal par Klingsor.
La scène entre Kundry et Parsifal va se dérouler dans ce même espace, et une sorte de procession apporte le lit fatal, comme un dais, qu’on dépose au centre et qui lui aussi va se maculer de sang. Parsifal fait donc une sorte de voyage initiatique à l’intérieur de la femme, du sang menstruel, de la connaissance de ce monde qui lui est interdit, et qui du même coup éclaire les deux autres actes. On comprend alors pourquoi au premier acte il nous est projeté des images identifiables au départ comme des dunes désertiques, mais dans un second moment comme une peau féminine, vue de très près, un corps aux ondulations régulières qu’on reverra au troisième acte: c’est un monde, qu’on voit de l’extérieur  sans le pénétrer. On comprend aussi du même coup pourquoi la dernière image du spectacle est celle d’une femme qui se dresse dans le chœur agenouillé et s’approche de Parsifal, qui se détourne du Graal pour la regarder: cette femme, c’est la colombe finale dont parle le livret. Ainsi, de la femme interdite au nom de la chasteté qui finit par dessécher le monde et le rendre stérile (voir le Graal au début du troisième acte, rempli de fosses où l’on enterre les corps, un royaume qui meurt, mais voir aussi l’acte II, où le sang menstruel est un sang qu’on rejette, qui marque une fin de cycle) Parsifal libère le Graal de cette chasteté extérieure et stérile, en associant la femme à une “pureté” accueillie en Dieu, gage de la pérennité d’un royaume du Graal (d’où évidemment la future conception rendue possible d’un futur Lohengrin, fils de Parsifal…): Parsifal serait celui qui inclut la femme et la dédiabolise, rendant ainsi la mort de Kundry, victime expiatoire, logique, elle qui a été la figure permanente de la femme diabolique.
Car se pose clairement la signification de l’adoration du sang du Christ conservé dans le Graal, et François Girard montre au 3ème acte un rituel de fertilité, la lance étant trempée dans la coupe du Graal. Voilà une symbolique qui a le mérite de la clarté, mais qui éclaire au moins pour Girard le rite du Graal qui est un rite de régénérescence,  et Girard tire le fil jusqu’au bout faisant du monde de Klingsor un monde de stérilité; voilà qui éclaire aussi les relations du sang à la terre, et le ruisseau de sang du premier et du troisième acte qui partage le sol aride, et qui illustre le propos de l’affiche du spectacle par ailleurs.

L'image de l'affiche du spectacle ©Opéra de Lyon

Dans ce ruisseau, Kundry comme Parsifal vont puiser. Sang et terre, cela rappelle les rites des sacrifices où le sang devait pénétrer à même la terre pour la féconder. Parsifal comme mythe de la fécondation, voilà l’idée apportée par François Girard.
La réalisation du spectacle en efface tout ce qu’on pourrait tirer de choquant. Même l’érotisme fort du second acte n’est en rien traité de manière provocatrice. Et l’intérêt du travail de François Girard est qu’il peut aussi se laisser voir (les images sont souvent puissantes, et superbes) sans rentrer dans les arcanes de la signification ou de la sursignification.
De cette ligne directrice alors s’expliquent le premier acte, très ritualisé, où sont nettement séparés les femmes (voilées de noir comme des veuves) présentes sur scène et regroupées à gauche, mais en quelque sorte inutiles, et les hommes, groupés à droite (séparés des femmes par le ruisseau de sang) et assis en un cercle compact d’où émergent les personnages (Amfortas), ainsi aussi en montrant  Klingsor mimer  les gestes d’Amfortas du 1er acte, il lie les deux personnages de manière plus profonde. Klingsor étant le soleil noir d’Amfortas. Ainsi enfin, le personnage même de Klingsor est “humanisé”, Alejandro Marco-Buhrmeister par son timbre et sa diction l’éloigne d’une figure caricaturale de “méchant” de bande dessinée, comme on le voit trop souvent. Quand à Parsifal, son humanité est soulignée, au point même d’en faire discrètement un objet de désir “visible” (il est souvent torse nu). Au troisième acte il troque son costume contre une chemise blanche, comme les autres hommes du Graal, universalisant ainsi sa démarche et son rôle non de Roi mais de “primus inter pares”.
Au troisième acte, domine, comme souvent l’image de la mort et de la désolation, la même terre du premier acte est percée de trous, de tombes préparées qui montrent que peu à peu le monde du Graal expire, les chaises sur lesquelles les hommes étaient assis au premier acte sont abandonnées, gisant en tas et dispersées. Femmes et hommes sont mêlés, il ne reste rien du rite et de son organisation géométrique du premier acte: en cela d’ailleurs, Girard est conforme à la tradition.
On le voit, les détracteurs pourront parler de psychanalyse de pacotille, d’autres pourront reprocher l’excès de sang, et son côté morbide, d’autres enfin pourront même dire qu’en réalité, rien de neuf sous le soleil. Mais il reste que cette approche forme un tout cohérent, très construit, logique et très bien réalisé.
Car il faut aussi saluer la qualité technique du spectacle, qui a mis à rude épreuve les équipes de l’opéra de Lyon: si l’on a bien compris, Lyon a essuyé les plâtres à cause de l’indisponibilité du plateau du MET pour de longues répétitions. La beauté de certaines scènes, la précision des mouvements: tout cela en fait un très beau spectacle.
Du côté musical, la démarche de Kazushi Ono, dans une salle à l’acoustique aussi sèche que la salle de Jean Nouvel est une démarche analytique, d’une grande clarté, révélant chaque pupitre, sans exagérer l’aspect symphonique, mais adaptant sa direction au cadre relativement intimiste de la salle, il en résulte une lecture très serrée, et l’orchestre lui répond avec une grande maîtrise: on sent les répétitions derrières, et on se dit que l’Opéra de Lyon a de la chance d’avoir un vrai directeur musical.
Serge Dorny a aussi réuni pour ce rendez-vous exceptionnel une très belle distribution. Le groupe des filles fleurs fait honneur à l’opéra de Lyon, malgré la difficulté à chanter dans cette mare immense qui inonde le premier acte. On sait qu’il est difficile en effet de réunir des voix homogènes qui puissent ensemble, avoir la rondeur et la suavité, voir l’érotisme requis pour ces rôles. Il faut une parfaite intégration des timbres et je dirais qu’on y est presque arrivé, malgré quelques singularités vocales trop “audibles”.
Le Klingsor d’Alejandro Marco-Burmeister n’a pas le timbre ni la diction démoniaque des Klingsor habituels, ce n’est ni un Kelemen, ni un Mazura. Mais il a en scène une sorte de flegme, de distance, qui en fait un personnage d’autant plus dangereux qu’il a dans la voix une sorte de douceur qui le rapproche de l’Amfortas de Gerd Grochowski , qui lui est magnifique d’humanité, et d’intensité. Son timbre chaud, sa diction remarquable en font l’un des meilleurs Amfortas de ces dernières années, d’une très forte intensité et même d’une certaine poésie. Georg Zeppenfeld n’a pas le timbre de basse profonde des Gurnemanz habituels mais on sait désormais qu’il compte parmi les grandes basses wagnériennes de ce temps, rappelons pour mémoire son Henri l’Oiseleur du dernier Lohengrin de Bayreuth. Il est moins âgé, moins distancié, plus engagé, et le récit du premier acte est particulièrement vivant, par les inflexions, par l’interprétation, par les variations de couleur de la voix. Magnifique.

Kundry, Acte II ©Opéra de Lyon

La Kundry d’Elena Zhidkova sans être une Kundry exceptionnelle a une intensité et un engagement forts; la voix est là, sans cette touche de sauvagerie animale qui fait les grandes Kundry et qui fait que Waltraud Meier a marqué le rôle à tout jamais. Cela reste très honorable et son deuxième acte (qui est tout le rôle) reste passionnant.

Final Acte II ©Opéra de Lyon

Le rôle de Parsifal n’est pas l’un des plus passionnants du répertoire, du “jeune fou” blond comme les blés de Peter Hoffmann à un Jon Vickers au-delà du monde et des hommes, et à la diction suffocante d’émotion contenue qui en fait pour moi le plus grand Parsifal que j’ai pu entendre, on a tout vu et entendu. Ce n’est pas non plus l’un des plus difficiles à chanter: c’est justement ce qui en fait une sorte de défi: il faut rendre le personnage “intéressant”. Nicolai Schukoff y réussit, grâce à un bel engagement, à une voix bien posée, puissante ( même si on dénote quelque menu problème dans les passages à l’aigu) et surtout grâce un timbre qui lui donne une couleur à la fois dramatique et lyrique : on connaît la qualité de cet artiste, de plus en plus réclamé pour les rôles de ténor dramatique, mais il a lui aussi une chaleur et une douceur de timbre particulières. Ce qui frappe d’ailleurs dans l’ensemble de cette distribution masculine est qu’on y a trouvé des chanteurs adaptés à cette salle, qui n’ont pas besoin de s’égosiller, où la richesse et la suavité, voire la sensualité des timbres peut s’épanouir et donne une qualité d’ensemble très homogène.
Au total la conclusion s’impose: allez voir ce spectacle qui se donne tout le mois de mars jusqu’au 25, c’est un très beau moment de musique, c’est un très beau moment visuel, qui honore une fois de plus notre deuxième scène nationale, mais première par l’intérêt de sa programmation.

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Salut final

BAYREUTH 2013, LE RING : INTERVIEW DE FRANK CASTORF DANS “WELT ON LINE” le 17 février 2012.

Frank Castorf - Photo Amin Akhtar

TRADUCTION de l’interview:

Je ne résiste pas: l’interview de Frank Castorf dont j’ai parlé dans mon avis sur Bayreuth 2013 nous en dit un peu sur le futur “Ring”, j’ai essayé de la traduire au mieux, pour que nous puissions nous préparer, et peut-être mieux connaître le metteur en scène qui a enflammé (et écœuré) une partie du public de l’Odéon en janvier dans « La Dame aux Camélias » et qui va sans doute faire couler beaucoup d’encre et de salive avant, pendant et après le Ring du bicentenaire au Festival de Bayreuth. C’est une belle interview, qui j’espère va vous intéresser et vous indiquer comment le “Ring” sera lu, entre globalisation, est-ouest, histoire de l’Allemagne et du Monde.

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Auteurs: Volker Blech, Stefan Kirschner | lien vers l’article en langue originale: WELT ON LINE : 17/02/2012

“Bayreuth est pour moi une transgression”

Frank Castorf met en scène le « Ring » du  Jubilé comme une parabole sur le bruit du pétrole et la mondialisation.
Une discussion sur les plateaux tournants et les clauses du contrat en petits caractères.

Le metteur en scène Frank Castorf, intendant de la Volksbühne de Berlin a été récemment à Belgrade, où il a rencontré Aleksandar Denic. Le Serbe réalise les décors pour du Ring de Castorf à Bayreuth en 2013, Le Festival fête le 200ème Anniversaire de la naissance et le 130ème anniversaire de la mort du compositeur Richard Wagner.
Ce vendredi, cependant, c’est une première à Berlin: il a mis en scène la nouvelle de Kleist “La Marquise d’O …”.
  Mais Castorf est déjà bien occupé par le “Ring”.

Welt on Line: Monsieur Castorf, vos spectacles sont rarement courts, combien de temps va durer la soirée?

Frank Castorf: Je l’ai dans mon contrat: On ne peut pas descendre en dessous de 17 heures.

Welt on Line: Mais…pour la Marquise d’O de Kleist?

Frank Castorf: Non évidemment, je parle du Ring de Bayreuth! Il a d’abord été question de réflexions, de modification dans le livret ou la partition, mais le chef Kirill Petrenko veut diriger l’original, ainsi que les soeurs Wagner. Alors j’ai dit “Ok!”, c’est bien que personne ne me demande de pratiquer des coupures. Et le Kleist à la Volksbühne dure trois heures!

Welt on Line: Vous mettez en scène le texte de Kleist pour la première fois?

Frank Castorf: Oui, j’ai découvert Kleist par hasard, sur mon parcours  dans le XIXème et  la fin du XVIIIème. Kleist a pour moi une modernité extraordinaire.

Welt on Line: Les drames de Kleist ne vous irritent pas?

Frank Castorf: En préparant la mise en scène de la “Marquise d’O”, j’ai découvert des anecdotes sur Kleist qui sont un trésor unique. Cet art de pointer des choses est grandiose: de courtes notes de journal sur la Charité (*NdT:  l’hôpital “historique” de Berlin) et en quatre lignes il en vient au fait. Kleist est un humoriste qui découvre toujours la purulence qui va faire percer le bubon. Un homme qui cherche toujours l’opposition.

Welt on Line: Et cet humour aigu et provocateur, la société berlinoise l’a perdu?

Frank Castorf: On doit l’avoir soi-même!  Nous vivons dans un grand consensus (NdT: nous dirions sans doute en France, “la pensée unique”) et vivons très bien avec. Qui dit aujourd’hui, vraiment ce qu’il pense?

 

Frank Castorf: Ils le peuvent, oui, parce qu’on ne peut les congédier. Ce sont les seuls qui soient libres parce qu’ils sont indépendants des indices d’écoute.

Welt on Line: Mais vous en êtes le meilleur contre-exemple, vous qui êtes au mieux avec le Maire de Berlin Klaus Wowereit, et son secrétaire d’Etat André Schmitz.

Frank Castorf: Mais je suis un dinosaure…et vous connaissez bien leur destin.

Welt on Line: Monsieur Schmitz est aussi enthousiaste à l’idée que vous allez mettre en scène le “Ring” de l’année du Jubilé à Bayreuth. D’autres considèrent votre style de travail comme de la pure provocation. Pourquoi prendre le risque de Bayreuth?

Frank Castorf: Bayreuth pour moi est une transgression. Le conservatisme y est beaucoup plus prononcé. Vous pensez, de l’opéra! et à Bayreuth! et le “Ring”, cette “œuvre d’art totale”! Si l’offre était venue de Vienne ou d’ailleurs, je ne l’aurais pas acceptée. Ou alors seulement si j’avais pu toucher à la partition ou au livret. Mais à Bayreuth, c’était impossible pour des raisons évidentes.

Welt on Line: On à peine à croire que vous ayez accepté les règles…

Frank Castorf: J’ai beaucoup hésité. Mais maintenant c’est dans le contrat, hélas! C’est un risque parce que je n’ai plus la possibilité de combiner le matériel de Wagner avec quelque chose d’autre. mais j’ai obtenu des choses dans les négociations. Il y aura une scène tournante, je pourrai travailler avec le film. Les gens d’opéra sont toujours un peu sceptiques. Les amateurs d’opéra conservateurs aussi. Il y a à Bayreuth un public qui n’est pas seulement sur le tapis rouge pour des raisons artistiques. Comme la chancelière, ou Thomas Gottschalk, le Grand-chancelier de “l’entertainment”. Je trouve ça bien ainsi! Ici à Berlin on est toujours entre soi, et ça finit par être ennuyeux!

Welt on Line: Le “Ring” célèbre en 17h la chute d’une race de Dieux. Quelle histoire racontez-vous?

Frank Castorf: Pour moi c’est un voyage vers l’Or de notre temps, vers le Pétrole. Et Siegfried est l’histoire de quelqu’un qui s’est mis en tête d’ apprendre la peur. On peut simplement raconter cela comme dans les contes de fées.  Cela rappelle aussi le grand classique d’Orson Welles, Citizen Kane. Dans Apocalypse Now, les Hélicoptères volent au  son de la “Chevauchée des Walkyries”. Cette manière d’interpréter a hanté nos têtes. Foin de l’illustration. Entrons au cœur de l’opposition logique!

Welt on Line: Votre “Ring” se déroule dans le présent?

Frank Castorf: Avec l’ère du pétrole commence l’industrialisation du monde. En 1890 il y a eu un boom en Azerbaïdjan. Les vieilles tours de forage de Bakou ressemblaient à des cathédrales de bois.Il y a deux extrêmes, aux antipodes, la Russie et le Texas, où le boom pétrolier a suivi dans les années 50. Mais dans la mise en scène on va s’éloigner du concept historiciste. Amérique et Russie  sont pour moi le XXème siècle. Au milieu, il y a quelque chose, et c’est nous. Mon décorateur Aleksandar Denic a construit quelque chose de magnifique: L’Alexanderplatz de Berlin comme socialisme postmoderne. Sur un plateau tournant seront réunis Est et Ouest, c’est notre voyage. Il commence n’importe quand après la deuxième guerre mondiale.

Welt on Line: Vous avez une attention politique plus aiguë à une Première à Bayreuth qu’à la Volskbühne. Comment voulez-vous en user?

Frank Castorf: Ça, on va voir. J’aime le plaisir des détours et je ne sais pas vraiment aujourd’hui où va me conduire la musique. Il y a l’Alexanderplatz, mais quand la scène tourne, on se retrouve à Wall Street. Je veux cette ambivalence sans conclusions univoques. Les conclusions univoques sont rarement exactes. Mais c’est vrai:  tous les systèmes que nous avions  se sont donnés comme Walhalla, et dans le même temps se sont dissoutes toutes les valeurs morales.
Welt on Line: Alors vous faites un “Ring” sur la globalisation?

Frank Castorf: Je ne peux dire si la globalisation est bonne ou mauvaise. Mais je remarque qu’avec l’effondrement du système de valeurs (NdT: le socialisme est-allemand) auquel je me suis frotté auparavant, beaucoup de choses ont empiré. Le mur Est/Ouest a aussi empêché beaucoup de choses, les grandes guerres. L’arrivée de l’Islamisme militant n’aurait pas été pensable. Mais on ne peut penser l’histoire comme souhait. Elle se passe et c’est tout.

Welt on Line: Kleist  comme Wagner, est-ce votre retour sur le fait allemand?

Frank Castorf: Je suis bien sûr aussi un vieux maître-éducateur teutonique. Je trouve que nous avons derrière nous une longue tradition qui explique pourquoi nous sommes devenus ainsi. C’est parfois terrible, c’est parfois aussi – comme dans le cas Wagner-quelque chose de tout à fait particulier. Ce qui m’intéresse, c’est le matériel qui nous est resté du XIXème, Grabbe, Hölderlin, Lenz. Chez Kleist, ce qui me fait plaisir, c’est de provoquer le rire par les contestations. Mon style n’est peut-être pas à la mode, mais cela va changer. En ce moment, à Berlin, je suis tombé dans une faille de la machine du temps.

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FESTIVAL DE BAYREUTH 2012: TANNHÄUSER SERA DIRIGÉ PAR CHRISTIAN THIELEMANN

Christian Thielemann arrive...

Le Festival de Bayreuth a annoncé le 3 mars que Thomas Hengelbrock ne dirigera pas “Tannhäuser” lors du festival 2012 et qu’il est remplacé au pupitre par Christian Thielemann.
Il est dommage que Thomas Hengelbrock n’ait pas continué à diriger ce Tannhäuser car sa manière d’aborder la partition était originale, et cohérente, même si critiquée. Cependant il faut bien reconnaître que le souvenir de Christian Thielemann au pupitre du dernier Tannhäuser de Bayreuth (Mise en scène Philippe Arlaud) est si fort (c’est pour moi l’un des plus beaux Tannhäuser jamais entendus) me fait accueillir ce changement avec joie.
Une autre remarque: avant que la solution “Eva-Katharina” à la tête du Festival ne soit décidée, le projet de Katharina Wagner impliquait fortement la présence de Christian Thielemann à Bayreuth et l’arrivée d’Eva (liée à d’autres clans artistiques) avait laissé penser à un éloignement. Le rôle de ce chef lors des commémorations du bicentenaire 2013, et sa présence renforcée en 2012 laisse penser que son influence artistique n’a pas baissé sur la colline verte ou du moins qu’il est revenu en cour. Il est vrai que sa présence à Dresde, ville importante pour Wagner et les succès qu’il a remportés à Salzbourg (La Femme sans Ombre), à Vienne (Le Ring l’automne dernier) et sa prochaine arrivée (à Pâques 2013: Parsifal) au Festival de Pâques de Salzbourg avec la Staatskapelle de Dresde (puisque les Berliner Philharmoniker s’en vont à Baden-Baden, cruelle erreur à mon avis!) en font actuellement un incontournable: depuis les départs de Daniel Barenboim et de James Levine de Bayreuth, aucun chef n’a vraiment “incarné” le Festival depuis une dizaine d’années, sinon justement Thielemann, mais pour un Ring très discutable.
Les mouvements du monde musical sont dignes des stratégies politiques: la pointe émergée d’un iceberg qui cache bien d’autres enjeux. Christian Thielemann, très apprécié en Autriche, n’a pas réussi à s’implanter à  Berlin, sa ville, et n’a pas réussi à s’implanter non plus à Munich, la seconde capitale musicale d’Allemagne; il a besoin de points d’ancrage allemands qui en fassent un incontournable dans le paysage musical allemand. En imposant la Staatskapelle de Dresde à Salzbourg, en s’imposant à Bayreuth et dans les festivités du bicentenaire, il redevient un pôle fort du paysage germanique. D’autant que Munich est actuellement en période de transition et que la situation à Berlin est verrouillée par Sir Simon Rattle au Philharmonique et Daniel Barenboim à la Staatsoper.

N’importe, le Festival de Bayreuth n’y perd pas à ce remplacement, qui va réveiller la curiosité pour ce Tannhäuser bien mal accueilli en 2011, et relancer la chasse au billet!!

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Et Thomas Hengelbrock s'en va

LA “PAGE DU WANDERER” sur FACEBOOK

J’ai sauté le pas et je vais vérifier si c’est utile pour prolonger les discussions et les éventuels commentaires: ce blog a désormais une page Facebook, “La page du Wanderer” (http://facebook.com/BlogduWanderer). Si cela vous dit, je vous y donne rendez-vous. je ne suis pas un intime de Facebook, mais qui sait, cela m’aidera peut-être à rompre la glace!  Autre info: Le compte twitter du blog est simplement BlogWanderer. A bientôt.

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BAYREUTH 2013: LE VOILE EST LEVÉ: LA DISTRIBUTION DU RING EST COMPLÈTE

L’organisation du Festival de Bayreuth 2013, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. est désormais connue.

Les cérémonies anniversaires le 22 mai 2013 seront marquées par un concert de l’orchestre du Festival de Bayreuth au Festspielhaus, dirigé par Christian Thielemann (extraits de Walküre -Acte I- de Götterdämmerung, de Meistersinger et même de Rienzi, dont les notes sonneront pour la première fois sous le toit du Festspielhaus.) concert suivi d’une fête dans la ville.
Note: Ce programme originel a été modifié: Walküre -Acte I-, Tristan und Isolde, prélude et Mort d’Isolde, Götterdämmerung, marche funèbre, Meistersinger ouverture. Exit Rienzi, la seule originalité. Dommage.

L’un des enjeux étant les représentations des œuvres de jeunesse de Richard Wagner dans une saison qui devrait en afficher l’intégrale, ces œuvres seront présentées en coproduction avec l’Oper Leipzig (lieu de naissance de Wagner) qui les affichera en 2012-2013 (Die Feen) ou en 2013-2014 (Das Liebesverbot)
Si l’on ne touche pas au Festival et si les œuvres de jeunesse n’y seront pas jouées, et surtout pas dans la salle du Festspielhaus, elles seront donc présentées pendant la première quinzaine de juillet (du 7 au 14 juillet)  dans la “Oberfrankenhalle” à Bayreuth, en version concertante (Die Feen, le 9 juillet 2013, direction musicale: Ulf Schirmer) ou en version scénique:
– Das Liebesverbot les 8, 11, 14 juillet 2013, direction musicale: Constantin Trinks mise en scène: Aron Stiehl
– Rienzi les 7, 10 et 13 juillet, direction musicale: Christian Thielemann mise en scène: Mathias von Stegmann

Attention, réservation en ligne à partir du 27 juillet 2012, 18h00, premier arrivé, premier servi.
Diverses manifestations, concours (y compris un concours de rap à partir de textes de Richard Wagner) , colloques, films, émaillent la saison du Festival. Le Festival affichera une nouvelle production du Ring des Nibelungen dans une mise en scène de Frank Castorf, et une direction musicale de Kirill Petrenko,et voici quelques éléments de distribution: Brünnhilde devait être Angela Denoke, elle a renoncé et l’administration du Festival a trouvé une remplaçante, ce sera pour tout le cycle Catherine Foster.  Wolfgang Koch sera Wotan et le Wanderer, Lance Ryan et Johan Botha seront Siegfried et Siegmund (ils ont déjà tenu ces rôles lors de la dernière année du Ring précédent), Anja Kampe Sieglinde et Martin Winkler Alberich. Notons aussi l’excellent Iain Paterson comme Gunther et Attila Yun comme Hagen et Franz-Josef Selig comme Hunding.

Frank Castorf dans une interview au journal Die Welt en dit quelques mots: pour Castorf, l’or d’aujourd’hui est l’Or noir, dont chacun cherche à s’approprier, et son Ring “mondialisé”  ira de Berlin Alexanderplatz à Wall Street.
Vous en saurez plus en lisant l’intégrale de l’interview (en allemand) sur le lien Interview Castorf dans Die Welt
Août 2012: sur le Site du festival de Bayreuth, les distributions complètes et les dates du Festival 2013 sont en ligne.

Site des festivités Richard Wagner: Année Wagner 2013 Leipzig/Bayreuth

Site du Jubilé Wagner de la ville de Leipzig: Jubilé Wagner-Leipzig

IN MEMORIAM ELIZABETH CONNELL

Elisabeth Connell, soprano dramatique sud-africaine,  nous a quittés à 65 ans il y a peu, elle allait chanter prochainement à Toulon. Elle faisait partie de ces chanteuses qui, sans avoir fait une carrière de star, vous garantissait une qualité toujours égale, et un beau moment d’opéra. Un coup d’œil sur son répertoire qui allait de Brünnhilde à Turandot, mais aussi Fiordiligi et Norma montrera sa versatilité et l’adaptation de cette voix à toutes les situations, et toujours de manière honorable.
Pour moi, elle restera attachée à deux souvenirs du temps lointain où elle était mezzo-soprano. D’abord, un Don Carlo concertant à l’Opéra de Paris dirigé par Nello Santi en 1978 je crois où elle fut une Eboli impériale, qui fit crouler la salle sous l’ovation (et la surprise! elle était alors très peu connue), puis à Bayreuth où elle fut une époustouflante Ortrud dans la mise en scène de Götz Friedrich avec Peter Hoffmann. Elle fut une Ortrud qui savait chanter, qui ne criait pas, et qui avait dans la voix un sens inné du drame. Pour moi, elle reste la plus grande Ortrud entendue sur une scène. Après 1980, elle devint soprano dramatique, elle chanta donc Brünnhilde, Isolde, et tous les grands rôles du répertoire. mais elle chanta aussi du répertoire italien, Norma comme précisé plus haut, mais aussi Odabella, Lady Macbeth ou Abigaille, et des rôles straussiens ou la Leonore de Fidelio. Elle fut moins impressionnante qu’en mezzo à mon avis, mais elle était une artiste sérieuse, modeste, sympathique toujours capable de donner de grandes émotions. Elle m’a procuré des moments d’opéras immédiatement gravés dans les grands souvenirs. Merci pour ce qu’elle nous donnés.