LUCERNE FESTIVAL 2014: ANDRIS NELSONS DIRIGE LE CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA le 31 AOÛT 2014 (WAGNER, BEETHOVEN) avec KLAUS FLORIAN VOGT (Ténor)

Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Dimanche 31 août à l’heure de la messe, Klaus Florian Vogt dans des extraits de Parsifal. Les cloches sonnent à toute volée, ils sont venus ils sont tous là, la voix de miel va s’élever dans le temple construit par Jean Nouvel…
Et ce fut un peu décevant. Non pas tant par l’orchestre ni par le soliste, qui à 11h du matin, n’était quand même pas dans l’un de ses meilleurs soirs (comme on dit) mais plus à cause du programme choisi, de la manière de le présenter : Wagner n’est pas facile en récital…

Il y a peu de moments dans les grands opéras wagnériens qui puissent être coupés du contexte et présentés comme des airs ; si c’est encore possible dans Der Fliegende Holländer ou dans Tannhäuser, ça l’est un peu moins dans Lohengrin, et pas du tout dans Parsifal. Il n’y a pas d’airs à proprement parler, pas de moments isolés que l’on puisse extraire . Or le concert a commencé par trois extraits de Parsifal, l’Enchantement du Vendredi Saint à l’orchestre (ça passe et déjà Toscanini en avait laissé un enregistrement), Amfortas ! die Wunde ! du 2ème acte, et le monologue final de Parsifal (Nur eine Waffe taugt) au 3ème acte, mais sans le développement d’un final qui exigerait des chœurs et donc pour ces deux extraits vocaux, c’est plus une frustration qu’un plaisir. Ensuite, à chaque air, une sortie de scène, puis une rentrée avec applaudissements afférents: tout est fait pour couper l’émotion et la « mise en scène » du concert m’apparaît bien poussive…
Néanmoins, on peut comprendre le choix de Andris Nelsons, dans un programme où, à Birmingham par exemple, Wagner a été couplé avec Elgar. Ici, couplé avec la 7ème de Beethoven, les choses sont moins nettes. On peut comprendre aussi que devant faire Parsifal à Bayreuth en 2016, les deux artistes essaient de se retrouver le plus souvent possible. Même si Klaus Florian Vogt a déjà chanté Parsifal à la scène.

Klaus Florian Vogt dans l'effort © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt dans l’effort © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Amfortas ! die Wunde ! est l’air le plus héroïque de la partition, et le plus tendu pour Parsifal. Commencer à froid à lancer l’aigu d’ « Amfortas ! » n’est pas commode pour un chanteur, même si  Vogt, d’une manière ici à la fois surprenante, et intelligente, lance un « Amfortas ! » non pas étonné, non pas un cri de la découverte de l’évidence, mais un cri déjà de douloureuse surprise. Sans jamais pousser la voix, sans être tonitruant, mais au contraire dissimulant l’effort et la poussée sonore sous une apparente facilité, son « Amfortas ! Die Wunde ! » est surprenant en soi, tant le son est homogène, tant la voix est projetée d’une manière  naturelle, mais où néanmoins, par le seul art de l’interprétation, la tension est présente. Vogt a dans la voix la tendresse et la jeunesse du personnage, sa naïveté aussi : et nous sommes au moment où l’on passe de la naïveté au savoir, de l’ignorance à la lumière. Le ton dont il use est à la fois décidé et d’une incroyable douceur.

Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Même impression dans son monologue du 3ème acte, au moment où il chante
Nur eine Waffe taugt: –
die Wunde schließt der Speer nur,
der sie schlug et où il va prononcer son Sei heil, entsündigt und entsühnt . À la fois décidé et plein de cette Mitleid (durch Mitleid wissend…), il n’est en rien autoritaire mais possède une incroyable autorité dans ces paroles, ce qui le différencie de bien des Parsifal vus ces dernières années. Là où Kaufmann (phénoménal) est seulement dans la Mit-Leid, dans la souffrance avec, (littéralement la com-passion), Vogt est déjà dans l’autorité consentie, mais une autorité installée par la douceur. La voix de Vogt, qui semble toujours ailleurs tant elle est particulière, fait ici merveille, grâce aussi à l’habile accompagnement de l’orchestre qui suit les inflexions du texte avec un volume adapté, qui ne couvre pas l’artiste, dans une salle où c’est souvent le cas.

On se souvient du magnifique 3ème acte de Parsifal dirigé par Andris Nelsons dans cette salle à Pâques dernier (le 12 avril dernier, avec Simon O’Neill, Thomas Konieczny, Georg Zeppenfeld) dont ce blog a rendu compte  Son Karfreitagzauber, Enchantement du vendredi Saint, exécuté en « ouverture » du concert » déploie une palette sonore similaire avec Birmingham, brûlante de passion retenue, avec un souffle et une sensibilité étonnantes, et un sens du phrasé remarquable sans jamais avoir un son écrasant : en cela, l’orchestre est en parfait écho avec le soliste.
Au total des extraits de Parsifal qui ne laissent pas le temps ni au public ni à la voix de se déployer vraiment, et malgré les qualités de chaque moment singulier, c’est quand même une impression de frustration et d’incomplétude qui domine.

Klaus Florian Vogt © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Quelques jours avant, Nelsons et Vogt faisaient leurs adieux 2014 dans le Lohengrin de Bayreuth pour sa cinquième saison et cette complicité vieille de plusieurs années (La production de Lohengrin remonte à 2010) se lit dans les trois extraits de Lohengrin donnés en complément. En passant du père au fils, nous lisons la même retenue et la même poésie. Le prélude du 3ème acte, fait briller l’orchestre d’une manière vraiment éclatante, même si l’extrait suivant, pris dans la scène avec Elsa, produit la  même frustration que pour Parsifal, à savoir un sentiment d’attente, de privation, et même si Höchtes Vertrau’n hast du mir schon zu danken était plein de passion retenue et de délicatesse, il manquait Elsa, il manquait le théâtre, et pour tout dire il manquait de la tension. Mais dans le récit du Graal, tronqué, (on aurait pu penser qu’en concert on eût pu enfin avoir la version complète…), sans doute la pièce la plus adaptée à un récital, Vogt a montré son incomparable maîtrise, à la fois douceur, mélancolie, tristesse, regrets, mille couleurs donnaient à ce récit final de la première partie le parfum de l’exception. On retrouvait là le Vogt tant applaudi à Bayreuth on retrouvait l’intelligence du phrasé, l’impression d’une totale absence d’effort et la fluidité du discours, on retrouvait le personnage, accompagné par un orchestre d’une clarté lumineuse et profondément engagé . Evidemment miraculeux.

En seconde partie, le 7ème de Beethoven, qui a été part de la première intégrale Beethoven de Nelsons, la saison dernière à Birmingham, et est redonnée ces jours-ci à Bonn (lieu évidemment idoine puisque Beethoven y est né) .
La septième est pour moi liée à une exécution de Claudio Abbado le 15 avril 2002 au Festival de Pâques de Salzbourg avec les berlinois: personne, même Pollini – il nous l’a confié après le concert – n’en est revenu, et tant de spectateurs en avaient les larmes aux yeux. Jamais plus, même avec Berlin, je n’ai retrouvé cela : une danse dionysiaque étourdissante et d’une incroyable dynamique. Il ne me viendrait pas à l’idée de comparer quoi que ce soit, mais c’est simplement pour signaler que dans la septième j’ai deux références évidentes en soi : Carlos Kleiber et Claudio Abbado.

Andris Nelsons le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Sans atteindre ces sommets, j’ai vraiment beaucoup aimé le travail de Nelsons et de l’orchestre dans cette symphonie, que Nelsons interprète à mi-chemin entre l’option solennelle et visionnaire de Furtwängler (Berlin 1943, une interprétation prophétique et terrible de l’allegretto, presque une marche funèbre) et cette course dionysiaque dont je parlais plus haut chez Abbado. Il travaille sur les contrastes, sur le contrepoint, sur une vision romantique jamais tonitruante, jamais dans la démonstration (alors que c’est si facile dans la 7ème). Certes, le rythme est rapide, mais, notamment dans le premier mouvement, très contrasté, avec des moments très allégés aux cordes, mais des interventions vigoureuses des cuivres et des bois. Un rythme rapide, mais des ralentissements et surtout une grande respiration musicale, sans vraiment la tension qui raidirait le mouvement général:  il y a là une souplesse, une rondeur assez nouvelles dans la manière de Nelsons.
L’allegretto (2ème  mouvement) est peut être le moment le plus intense, c’est aussi mon préféré. Il n’est pas sombre comme Furtwängler, il est, disons, tendu avec une très grande participation des pupitres et notamment des chefs de pupitres (la flûte est magnifique). Il y a certes de la souplesse, mais une très grande attention à l’alternance rythmique, notamment au début, presque métronomique, qui crée la tension par sa répétition obsessionnelle. La fin du 2ème mouvement, plus alerte, est éblouissante par l’engagement des musiciens et la qualité de toutes leurs interventions.
Plus d’exubérance dans le scherzo, mais qui reste contrôlée : c’est bien là la nouveauté chez Nelsons, ce contrôle fort sur les rythmes et les volumes, que je n’avais pas noté dans d’autres exécutions : le trio est pris de manière un peu plus lente, mais presque plus héroïque en même temps, avec des cordes stupéfiantes.
Enfin, c’est au quatrième mouvement que Nelsons entraîne l’orchestre de manière vertigineuse, il est suivi par les cordes, très concentrées, qui n’ont jamais failli. On n’atteindra pas la folie abbadienne, mais néanmoins l’orchestre est poussé de plus en plus vers une sorte de course à l’abîme et tout tient merveilleusement notamment à la coda finale. Le public explose à la fin, et c’est amplement mérité.
Ce cycle Beethoven devrait sortir chez Orfeo, il sera intéressant de confronter la vision de Nelsons à d’autres déjà consacrées : il y a là une prise de risque, une vraie personnalité qui mérite qu’on s’y arrête. Au total, et de manière inattendue, c’est Beethoven qui m’a saisi et Wagner qui m’a (un peu) lâché. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons et le CBSO le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons et le CBSO le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2014: ANDRIS NELSONS DIRIGE LE CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA le 30 AOÛT 2014 (BEETHOVEN, ELGAR) avec RUDOLF BUCHBINDER (Piano)

Rudolf Buchbinder, Andris Nelsons, CBSO le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival
Rudolf Buchbinder, Andris Nelsons, CBSO le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival

Il y a des pianistes flamboyants, qui attirent les foules et jettent poudre de perlimpinpin et paillettes. Rudolf Buchbinder est tout le contraire. Une carrière solide, mais sans éclats, une considération et un respect unanimes de la critique, une approche classique et sans reproche: nous en avons eu la confirmation ce soir dans le concerto n°5 en mi bémol majeur op.73 de Beethoven, le très fameux Empereur.

Deux programmes pour ce passage éclair du City of Birmingham Symphony Orchestra à Lucerne, une soirée Beethoven/Elgar avec Buchbinder et une matinée Wagner/Beethoven avec Klaus Florian Vogt. Nul doute que dans les deux cas, la présence du soliste a contribué à attirer le public.
Dans une œuvre aussi fameuse, voir aussi rebattue que le concerto “L’Empereur”, il peut être difficile de proposer une vision neuve ou révolutionnaire, Buchbinder propose une vision très carrée, à la géométrie précise, au son très net, à la transparence exemplaire, avec des moments d’ineffable poésie. L’artiste joue avec une sorte de naturel, sans jamais d’excès, mais mettant toujours en avant certains détails, avec une grande virtuosité certes, mais jamais démonstrative, la salle était pleine à craquer, et a explosé dans l’interprétation étourdissante du final de la Sonate n°8 op 13 « Pathétique » de Beethoven. A une semaine de distance, on pouvait constater que Andris Nelsons, avec deux orchestres aussi différentes que le LFO (avec Pollini) et le CBSO, a le même souci de mettre en valeur le soliste, en atténuant le son au maximum, en ne quittant pas des yeux le piano, en accompagnant chaque mouvement avec grande délicatesse. L’orchestre en devient très retenu, à peine entend-on un fil sonore : pour un chef qu’on qualifiait de flamboyant, cela constitue un vrai tournant, et un signe d’évolution ( maturation?) évident. À ce titre signalons le début de l’adagio (adagio un poco mosso) qui fut non seulement l’un des moments exceptionnels de la soirée, mais peut-être de tous les concertos n°5 entendus dans ma vie mélomaniaque.  Un moment suspendu, un son d’une pureté diaphane, une immense émotion, un orchestre éblouissant : pourtant il n’était pas en ce début de soirée au mieux de sa forme, erreurs, attaques peu nettes, bois un peu ternes, il a fallu attendre le second mouvement pour retrouver un son vraiment satisfaisant, et surtout au troisième mouvement où, il est vrai, Buchbinder était lui-aussi exceptionnel.

En deuxième partie, l’orchestre avait choisi de présenter une pièce moins jouée, mais profondément liée et au répertoire britannique et à l’histoire même de l’orchestre de Birmingham , la Symphonie n°2 de Elgar, jouée pour le premier concert de l’orchestre à sa fondation en 1920, et dirigée, pour la première fois je crois, par le compositeur. C’est le type d’œuvre qu’un tel orchestre doit avoir dans ses gênes.

Car si le CBSO est un bon orchestre, de bon niveau international, c’est un orchestre comparable à d’autres, comme l’Orchestre de Paris, le National de France ou Santa Cecilia, il ne fait pas partie des Rolls des orchestres.
C’est Sir Simon Rattle qui l’a porté à un niveau international, puisqu’il en a été pendant 18 ans le chef, et qu’il a bâti sa propre carrière à partir de son travail à Birmingham. Andris Nelsons entame sa dernière saison en tant que directeur musical, une charge qu’il assume depuis 2008.

Andris Nelsons & le CBSO dans Elgar © Peter Fischli /Lucerne Festival
Andris Nelsons & le CBSO dans Elgar © Peter Fischli /Lucerne Festival

La composition  de la seconde (et donc dernière) symphonie de Edward Elgar s’étend de 1903 (premiers moments) à 1911. L’essentiel de la composition datant des années 1909 à 1911.
C’est une pièce longue (55 minutes), avec un orchestre très important, et notamment une grande distribution de bois et de cuivres.
La pièce est dédiée au roi Edward VII, décédé en mai 1910 , sans que l’ensemble de la musique puisse être considéré comme un éloge funèbre, et elle porte en préface les premiers vers du poème Invocation de Shelley

Rarely, rarely comest thou,
Spirit of delight!

Elle entre parfaitement dans le thème proposé par le Festival « Psyché » puisqu’Elgar lui même parle à son propos de pèlerinage passionné d’une âme.
Par rapport aux quelques approximations entendues dans le Beethoven qui précédait, l’orchestre semble beaucoup plus concentré, notamment les bois splendides. On sent dans la manière de diriger d’Andris Nelsons l’évolution perçue lors des concerts avec le LFO : un travail approfondi sur les volumes et les contrastes, un soin tout particulier pour alléger le son, notamment dans le larghetto (2ème mouvement), plus recueilli, plus sombre et dans le rondo du troisième mouvement. Elgar disait avoir travaillé l’ombre et la lumière, inspiré par un voyage à Venise et notamment par la visite de la Basilique Saint Marc. Il y a en effet dans cette composition quelque chose d’un mosaïste qui travaille chaque tesselle et donc chaque caillou au service d’un ensemble monumental. Dans les détails, il y a en effet des pépites, mais l’ensemble reste pour moi un peu longuet, et la musique, sur le moment très enveloppante, voire captivante, ne laisse pas de traces notables quelques jours après (je parle évidemment de mon propre ressenti et de ma propre expérience).
C’est une musique où on lit l’influence de Wagner (et Nelsons sort de Lohengrin et prépare Parsifal), on rapproche d’ailleurs The dream of Gerontius (qui lui aussi raconte le voyage de l’âme au seuil de la mort) du même Elgar de Parsifal. On sait par ailleurs combien le légendaire Hans Richter était lié à Elgar . Le premier mouvement (allegro vivace e nobilmente) est particulièrement emblématique de ce que j’écrivais plus haut : des pépites, mais quelque difficulté à construire une vision d’ensemble, malgré l’incontestable énergie  du départ, les moments plus retenus manquent peut-être un peu de tension ; mais la mosaïque pour moi se contemple dès le second mouvement (larghetto), plus mélancolique ou élégiaque que tragique mais gardant une grande intensité et retrouvant une vraie tension, un peu absente au premier mouvement. Pour le chef qui quelques jours avant dirigeait Lohengrin,  il y a quelque chose de cette couleur-là, une intériorisation sans pathos qui peut surprendre de la part d’un chef qui sait manier habituellement le pathos. C’est dans les deux derniers mouvement, joués sublimement par l’orchestre (les cordes au troisième mouvement sont stupéfiantes), avec brio et virtuosité que l’on est totalement convaincu par l’approche. Les pianissimis des cordes dans le dernier mouvement, qui m’a fait penser fortement à la Symphonie n°3 de Brahms jouée la semaine précédente, la retenue de l’ensemble de l’orchestre et du son, la relative lenteur du tempo, tout cela crée une magie ponctuée par le long silence final imposé par le chef (à la Abbado…) qui fait de cette exécution un grand moment musical .
L’orchestre très convaincant dans Elgar, son répertoire génétique,et la manière assez personnelle avec laquelle Nelsons conduit cette musique qu’il aborde, m’a fait passer au total une très soirée passionnante, qui confirme les éminentes qualités du chef et qui marquent chez lui une évolution assez notable, et qui permet aussi d’admirer l’orchestre de Birmingham dans son répertoire d’excellence. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival
Andris Nelsons le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2014: DANIELE GATTI DIRIGE LE MAHLER CHAMBER ORCHESTRA le 25 AOÛT 2014 (MENDELSSOHN); soliste, MIDORI (violon)

Daniele Gatti à la tête du MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival
Daniele Gatti à la tête du MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival

J’ai entendu Daniele Gatti diriger pour la première fois en 1991, à Bologne, le Moïse de Rossini, avec une toute jeune Antonacci, à peine sortie des concours de chant. Rossini a été une pierre miliaire dans ma relation à ce chef, je l’ai entendu de nouveau, mais à Pesaro, et toujours avec les musiciens de Bologne, dans La Donna del Lago avec un jeune Florez, Mariella Devia et une toute jeune Barcellona. Puis à Aix, dans l’écrin enchanteur du Grand Saint Jean, avec le Mahler Chamber Orchestra, dans Il Barbiere di Siviglia. J’aimais ce Rossini, vif, alerte, un peu plus symphonique que chez d’autres chefs et déjà si attentif au chant et au plateau. Entre temps bien entendu je l’avais entendu en concert, mais Daniele Gatti  sera toujours pour moi lié à ces expériences rossiniennes, très personnelles, très rigoureuses aussi, ce Rossini rythmé, assez carré au total, mais aussi pétillant,  pas forcément comme du champagne, peut-être le frémissement de l’eau sur la roche des torrents qui s’écoulent, un Rossini vivace, et vivant, légèrement bouillonnant comme l’acqua pazza chère à la cuisine de mer en Italie.

Ce soir, dans un tout autre programme, j’ai entendu cette vivacité, mais en même temps une vivacité qui jamais ne reste à la surface, cela ne mousse pas comme le champagne justement, on est au contact direct de la matière musicale et surtout d’un discours. Cela ne mousse pas, et c’est peut-être ce qui crée la réserve de mélomanes qui ne réussissent pas à comprendre l’univers de Gatti.
Un exemple, le concerto pour violon de Mendelssohn, joué par Midori l’autre soir et accompagné par l’excellent Mahler Chamber Orchestra . Une connaissance en sortant du concert a trouvé l’orchestre trop fort, empêchant la violoniste de laisser libre cours à l’inspiration et à la respiration musicale et a donc attribué au chef la responsabilité de l’ambiance musicale installée.

Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival
Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival

Or, je n’ai rien vu de tout cela, et pour moi la question n’était pas celle de fort/pas fort ou de l’ambiance musicale, mais celle de la soliste, prodigieuse techniquement, mais complètement abstraite dans son univers, jouant du violon, mais ne faisant pas vraiment  de musique, lancée à corps et à archet perdu dans une performance solitaire, et ne semblant pas écouter l’orchestre, ni jeter un œil au chef. Vite separate, des vies séparées, comme disent les italiens. Je n’ai pas ressenti vraiment la musicienne derrière ce jeu, et j’ai entendu des notes de Mendelssohn mais non sa musique, une sorte de Mendelssohn revu et corrigé par Paganini. Il suffisait de voir les gestes de Gatti, les regards, pour comprendre qu’il n’arrivait pas à entrer en contact avec la soliste dans son scaphandre. Or, Gatti est musicien, et le but d’un concert, c’est bien faire de la musique et non pas être seulement dans la performance : il ne pouvait pas faire de musique avec Midori, il a donc renoncé en se refusant d’entrer dans cette course-là. Au rythme effréné de la soliste, toute à sa course contre la montre, toute à ses notes, sans expression, sans discours, sans aucun intérêt, il a opposé une sorte de neutralité bienveillante, mais n’entrant visiblement pas en synergie. Lucerne a invité Midori comme artiste étoile, il était légitime qu’elle soit la soliste ce soir, même si la musique y a perdu.
Le bis (Bach) solitaire et glacé, était quand même un peu plus animé oh, une simple goutte d’âme dans cet océan gelé.
Ce concerto de separati in casa (séparés à la maison) m’a rappelé dans ce même lieu le dernier concert Perahia/Abbado où le soliste essayait de diriger et d’imposer ses rythmes…les répétitions avaient été croquignolesques, mais le concert défendable car c’étaient deux très grands artistes, ou bien certains soirs où Radu Lupu n’écoute plus que lui même perdu dans son univers. Mais Perahia et Lupu sont des musiciens, Midori est une violoniste. Du moins est-ce ainsi que je la perçois, plus soucieuse du rendu de son bel instrument que de la musique, plus technicienne que visionnaire. On peut comprendre que l’orchestre soit attentif au soliste, ce qui était le cas, mais c’était une attention obligée et non concertée justement. Où est l’intérêt du concerto si le concert n’est plus le concours de deux personnalités artistiques et un dialogue d’univers ?
Bien évidemment, la Symphonie n°4 de Mendelssohn « italienne » a été d’une autre couleur. Le Mahler Chamber Orchestra, on le sait constitue le tronc du Lucerne Festival Orchestra, et joue un à deux concerts pendant les premières semaines du Festival, en parallèle avec les programmes du LFO. C’est un orchestre accompagné par Abbado depuis sa fondation. Même si le groupe a évolué, il reste suffisamment de musiciens présents depuis les origines pour créer un esprit qui reste «  faire de la musique ensemble », avec des pupitres de très haut niveau, notamment dans les bois (Emma Schied et Mizuho Yoshii Smith au hautbois par exemple, ou Chiara Tonelli à la flûte, Olivier Patey à la clarinette),  un son d’une clarté toujours exceptionnelle et surtout un enthousiasme à jouer qui ne faiblit pas : un orchestre à la qualité d’une exemplaire régularité.
En début de concert l’ouverture du Songe d’une nuit d’été, a un peu posé le Mendelssohn de Gatti, avec les premières mesures que Wagner va réutiliser pour Tannhäuser (pour une autre nuit, celle de la romance à l’étoile…), un Mendelssohn contrasté avec une très grande légèreté alternant avec le côté spectaculaire que doit nécessairement avoir une ouverture, et une très belle dynamique, mais qui reste maîtrisée par le soin apporté aux transitions, et à la fluidité, avec un son plein, presque quelquefois terrien, en tous cas très théâtral car on revient aussi malgré les explosions sonores, à la légèreté et à la rapidité des cordes, tout en conservant une très grande clarté (les flûtes en écho des violons) et des interventions des cuivres qui feraient presque penser à du Weber: après tout, il a aussi composé un Oberon et Mendelssohn s’en souvient…
La symphonie « italienne » est interprétée dans le même esprit : même les toutes premières mesures font irrésistiblement penser à Abbado, ainsi que la première partie de l’allegro vivace, justement vivace, sans être allégée au maximum comme chez Abbado qui joue le jeu du presque rien totalement inégalable, Gatti prend au autre chemin. Il essaie de montrer dans cette Italie de Mendelssohn non pas la traduction musicale d’une Italie qui serait décrite, mais l’interprétation musicale d’une Italie rêvée, de l’Italie telle que la culture allemande la rêve dans le cadre d’un Drang nach Süden goethéen (Goethe est vivant au moment du voyage en Italie de Mendelssohn et sans doute est-il encore vivant quand Mendelssohn commence à composer sa symphonie). Il s’agit, plus que d’une évocation, d’une lecture au sens intellectuel du terme d’une Italie rêvée par l’Allemagne. On y entend une très grande fluidité, une belle dynamique, un rythme dansant, mais pas de danse italienne, une manière de danse, et– et peut-être me trompé-je, j’entends surtout des échos schubertiens: j’entends vraiment le romantisme allemand, c’est à dire une joie ensoleillée mâtinée de mélancolie, une Italie légèrement assombrie (on entend merveilleusement les contrebasses scander certains moments et leur donner cette touche un peu grave, pour le sens et pour le son). Plus j’écoute le travail de Gatti et plus je trouve qu’il y a une approche jamais complaisante, où l’intellect compte autant que le sensible : il ne nous laisse pas envoûter par l’Italie, mais il essaie de traduire musicalement une représentation italienne telle que la culture allemande la peint, et Mendelssohn est à la fois un homme de culture, un voyageur, qui sait construire une sorte de synthèse entre sensible et intellect, entre ce qu’on attend de l’Italie (en début de mouvement) et quelque chose de plus profond, de plus épais qu’on attend moins et qui va se développer dans le deuxième mouvement, soutenu par les très beaux bois du MCO, dont les échos sont clairement plus mélancoliques (inspiré de chants de pèlerins), presque picturaux, j’ai pensé aux voyages en Italie bien sûr, et curieusement à celui du Marquis de Sade, qui s’était fait accompagner d’un peintre, Jean Baptiste Tierce, qui livrait sur l’heure ses visions. Je sais que je ne fais pas œuvre critique ici, mais j’essaie de traduire et de raconter ma promenade intime dans cette Italie de l’intellectuel sensible et artistique que Gatti voit dans Mendelssohn, où l’art n’est jamais loin, et d’évoquer la construction d’un paysage intérieur qui m’est propre. Échos sonores et échos picturaux se mélangent, dans ce moment où Gatti a su exalter les sons plus graves, a su donner une épaisseur qui est tout sauf de la lourdeur, car son orchestre est consistant, même au troisième mouvement plus dansant, comme s’il voulait éviter une sorte de légèreté de tarentelle qui ferait croire à un travail seulement joyeux.
Il y a de la joie, il y a du sourire, il y a du soleil, il y a de la nature dans ce rythme dansé et quelque chose d’agreste, avec l’évocation de la chasse (magnifique cor de José Vicente Castellò), nous sommes dans l’élégie dans ce qu’elle a de double, à la fois légère et grave, dans ces visions que je lie aux Bucoliques de Virgile, qui raconte ici la même Italie : toute description agreste de l’Italie prend quelque chose à Virgile.

L’explosion finale avec sa rapidité, avec sa domination de la flûte au départ, son rythme, devrait être joyeuse, du moins c’est ce qu’on lit partout. Je ne lis pas de joie explosive, j’y sens toujours quelque chose d’un peu tourmenté : d’une certaine manière Gatti nous en dit plus sur le romantisme que sur sa riante Italie. Il y a dans sa manière de diriger tout sauf les absurdités qu’on lit quelquefois (« ou trop doux, ou trop fort… »), il y a au contraire une science des dosages et des volumes qui m’a frappé dans ce dernier mouvement, tout en maintenant une vraie dynamique et une vraie fluidité sonore, et la dernière partie est vraiment presque tendue car dans les dernières mesures on est au seuil de Beethoven : oui, c’est bien sur une ambiance beethovénienne que se termine cette étrange « Italienne » qui m’a fait rêver littérature et penser Allemagne, comme si Gatti voulait nous faire toucher quelque chose de l’âme allemande, et refusait une Italie de complaisance et superficielle, pour nous plonger dans le rêve d’Italie tel que l’ont vécu tous les grands artistes des temps modernes.
En ravivant mes souvenirs de lectures et de peinture, ce fut pour moi un beau moment, sensible, profond, émouvant. Un moment où prend sens le mot culture. [wpsr_facebook]

Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival
Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2014: CONCERTS du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA les 22 et 24 AOÛT 2014 dirigés par ANDRIS NELSONS (CHOPIN-BRAHMS) avec Maurizio POLLINI, piano

Andris Nelsons et Maurizio Pollini le 24 août © Peter Fischli
Andris Nelsons et Maurizio Pollini le 24 août © Peter Fischli/Lucerne Festival

Je l’ai déjà écrit à l’occasion du premier programme, un orchestre est un organisme vivant. Le Lucerne Festival Orchestra, est un groupe formé par Claudio Abbado, par des musiciens qui adhéraient à Abbado désormais habitués à se retrouver l’été sur les rives du lac des Quatre Cantons pour faire de la musique ensemble. Un groupe dont l’homogénéité et le génie collectif est apparu dès le premier concert, et un groupe qui a créé sous l’égide et par le génie de Claudio Abbado un son unique.
La semaine dernière était un choc pour tous, public et artistes, car pour la première fois, le chef charismatique n’était plus là et il fallait faire avec cette réalité,  faire son deuil de 10 ans de musique intense et amoureuse, faire son deuil d’un son, faire son deuil d’une manière d’être .
On imagine que ce fut aussi un moment fort pour Andris Nelsons, 36 ans, totalement étranger à ce rituel, à l’atmosphère particulière de la semaine du LFO et surtout à l’orchestre et à sa manière de fonctionner, même s’il a dû rencontrer un certain nombre de musiciens à l’occasion d’autres concerts avec d’autres orchestres.
Mais Andris Nelsons est un artiste, et il avait à s’emparer, en artiste, de l’orchestre. Il y a eu l’observation, quelque chose de la relation artistique à tisser la semaine dernière. Et ce deuxième concert a confirmé, a approfondi la relation de manière visible et ressentie par tous.

Concert du 22 août @Priska Ketterer /Lucerne Festival
Concert du 22 août @Priska Ketterer /Lucerne Festival

Nul doute que pour Maurizio Pollini c’était aussi une épreuve, lui dont l’amitié fraternelle avec Abbado a accompagné toute la carrière et lui qui avait prévu de chanter Brahms avec son ami de si longue date.
Cette semaine donc  il y a eu de la musique, et même de la musique comme on aime. Il fallait faire de la musique ensemble, comme on l’a toujours fait ici, pour briser les glaces et aller de l’avant. On a donc écouté de la musique, parlé musique, et surtout on a tous pensé à Claudio non pas en soupirant sur l’Eden perdu, mais en se disant, oui décidément, c’est bien son orchestre, et ça continue. Tout le monde souriait ces deux  soirs, de ce vrai sourire de satisfaction et de confiance, même si évidemment Abbado n’était plus là. Parce que l’orchestre a bien sonné, qu’Andris Nelsons est un grand chef, même s’il n’a pas des dizaines d’années de fréquentation des symphonies de Brahms derrière lui . S’il nous a révélé quelque chose de Brahms, il n’a pas fait de ce Brahms une révélation définitive.
Mais avant Brahms il y avait Chopin.
Il devait y avoir Brahms, mais Maurizio Pollini, qui a joué d’innombrables fois Brahms avec Abbado, a demandé à jouer le concerto n°1 de Chopin au lieu du programme initialement prévu.
Les pianistologues, ceux dont la connaissance technique du piano permet de saisir au vol la moindre hésitation ou la moindre faiblesse guettaient quelque faux pas, d’autant que le maître a été quelquefois irrégulier ou fatigué ces derniers temps. Il y a eu sans doute çà et là des moments d’équilibriste, où main droite et main gauche étaient au bord la rupture, où la légendaire capacité technique de Pollini pouvait au moins faire peur. Des moments où l’on fut peut-être au bord du gouffre, mais au bord seulement. Car au-delà des questions techniques et de la capacité pianistique de l’artiste de 72 ans, au-delà du comme-ci ou comme-ça, il y a justement l’artiste, celui qui dessine un univers, dont l’incomparable toucher vous projette immédiatement dans autre chose, dans un autre espace, dans une sphère où l’on dialogue avec les Dieux, comme au deuxième mouvement, merveilleusement accompagné par l’orchestre. Qui peut, aujourd’hui faire vivre Chopin comme cela, qui peut aujourd’hui, révéler ainsi un monde, qui peut aujourd’hui envoûter par une telle magie ? Il y a quelques dizaines d’années, on reprochait à Pollini froideur et distance, lui-même n’aimait pas les envolées romantiques démonstratives, ou même une modernité mal venue car jouait volontiers du contemporain (qui peut jouer comme lui la sonate n°2 de Boulez, qui n’est plus d’ailleurs contemporaine, mais un classique irremplaçable du XXème siècle ?). Voilà un Chopin intemporel, suspendu, bouleversant par la tension même qu’il crée. L’orchestre de Nelsons n’est que partiellement lui-même, tant il sert, il accompagne, il suit le soliste. Dès que le son du piano s’élève, celui de l’orchestre s’efface jusqu’à disparaître même de manière un peu excessive … Rarement j’ai vu Nelsons aussi tendu vers le soliste, aussi attentif à laisser l’instrument se développer, il a suivi Pollini avec un allègement des volumes qui permettaient à peine de noter la magnificence de certains bois ou l’impressionnante légèreté des cordes sussurantes. Pareil Chopin est-il seulement comparable à quelqu’autre soliste ? Je ne pense pas, il faut se laisser aller au paradis sans faire cas des aspérités du chemin…

Et d’autant mieux lorsqu’à renforts d’applaudissements que le grand maître tenait avec bonne humeur et gentillesse à partager systématiquement avec Andris Nelsons et l’orchestre, tant il paraissait content du travail accompli ensemble, lors de la deuxième soirée, le 24 août, il  a consenti un long bis proprement ahurissant, la Ballade n°1 en sol mineur op.23. Alors que je disais toujours qu’Abbado a volé avec la musique, nous avons tous volé …volare con la musica…un moment pareil, où ce n’était pas la virtuosité, mais l’au-delà de la virtuosité, quand elle s’efface, quand on n’en veut plus et où le spectaculaire se noie dans la profondeur et l’émotion. Et je fus ému…voir le compagnon de route de Claudio nous donner ce soir ce moment sublime où l’esprit de Claudio redescendait dans la salle, où tout prenait sens, où nous étions là tous non plus pour simplement écouter, mais pour communier de l’intérieur. Des amis qui avaient entendu Lang Lang l’après midi dans la même pièce et qui l’avaient appréciée n’en revenaient pas : ils m’ont dit avoir été cloués sur place tant l’abîme s’était creusé entre les deux moments.

Concert du 22 août @Priska Ketterer /Lucerne Festival
Concert du 22 août @Priska Ketterer /Lucerne Festival

Ce fut pour tous la stupéfaction et une longue longue standing ovation, reconnaissante.
Après cette magie, une troisième symphonie de Brahms sans doute de mieux en mieux réussie entre le 22 et le 24 août, plus personnelle, et qui a surtout laissé entrevoir un autre Nelsons. Souvent, parce qu’il est jeune, parce que son geste est large, parce que sa gestique confine quelquefois à la gesticulation, parce qu’il a proposé souvent des moments remplis d’énergie, Andris Nelsons passe pour une force de feu, extériorisant la musique de manière trop démonstrative. Combien d’amis m’ont comparé l’Abbado élégant et grèle qui d’un regard, d’un mouvement de sourcils, ou d’un minuscule geste de la main gauche déchaînait les larmes et serrait les cœurs, au Nelsons immense au physique de bûcheron qui prenait la musique à pleine main ou à bras le corps. Il y a eu des moments à la Nelsons, mais surtout des moments d’étrange recueillement, d’allègement extrême du son, une attention extrême à offrir à la fois une version plus lente, mais non compassée, plus analytique, mais non froide, et où les moments où le son prenait de l’ampleur devenaient quand même plus retenus et très contrôlés.

Concert du 24 août © Peter Fischli/Lucerne Festival
Concert du 24 août © Peter Fischli/Lucerne Festival

Le premier mouvement a été toujours légèrement touffu au départ le 22, bien plus clair le 24, avec un son très large, très ample, mais jamais compact, même si notamment dans le premier mouvement où les vents et les bois merveilleux du LFO, le basson phénoménal de raffinement de Matthias RAcz (Tonhalle Zürich), le cor d’une rare sûreté d’Ivo Gass (Tonhalle Zürich), sans parler de la flûte (Jacques Zoon) et du hautbois (Lucas Macias Navarro) démontrent une fois de plus que l’orchestre est exceptionnel, il eût fallu soigner encore plus les équilibres internes à la petite harmonie et les différents niveaux sonores pour faire tout entendre, au début notamment car plus l’orchestre s’échauffait et plus le son prenait sûreté et rondeur, avec notamment des violoncelles impressionnants . Dès le second mouvement et surtout dès le troisième, il y a de vrais moments d’ivresse sonore, de délicatesse indicible, d’émotion contenue : les violons ont été d’une légèreté souvent aérienne et cela c’était presque nouveau dans la manière de Nelsons: on ne l’avait pas entendu aérien de manière aussi nette dans le premier programme une semaine avant. Un son large, des tempi assez lents, avec des moments magnifiques, mais pas encore pas la science et l’épaisseur de celui à qui par force il succédait ni cet art magique de la clarté et du discours qu’ici il ne maîtrisait pas encore. Comment pourrait-il en être autrement, et comment ne pas reconnaître de sa part du cran d’affronter un orchestre d’une telle réputation, d’une telle cohésion, riche d’une dizaine d’années triomphales, voire inouïes, voire irremplaçables, et d’affronter l’ombre tutélaire présente dans toutes les mémoires et les cœurs. Chapeau au jeune chef : il a montré à la fois ce courage, il a montré aussi qu’il avait révélé le défi, mais personne ne s’attendait évidemment – et heureusement – à revivre des moments abbadiens. Il nous a suffi de vivre de très beaux moments. Il nous suffit de penser que l’orchestre a désormais un nouvel avenir à tisser avec un chef, de nouvelles modalités à élaborer, un autre son, tout aussi exceptionnel, à  construire. Ou même un autre concept, une autre manière de se présenter: tout dépendra évidemment du chef choisi qui devra inventer une nouvelle politique artistique et non se mettre dans les pas d’Abbado, car répéter une politique sans son inspirateur conduirait à l’échec. Un autre Eden à retrouver qui prendra, et c’est bien, le temps qu’il faut.

Concert du 24 août © Peter Fischli/Lucerne Festival
Concert du 24 août © Peter Fischli/Lucerne Festival

Car ces processus sont longs, ne peuvent que se profiler avec le temps. Ceux qui aiment la musique le savent. Ceux qui la consomment et qui les années antérieures consommaient du paradis pensant qu’il suffisait de quelques dizaines ou centaines de Francs suisses pour le toucher, qu’ils restent chez eux…Le Lucerne Festival Orchestra n’est pas pour eux.

J’aimerais tellement que perdure la communauté formée autour de cet orchestre, par l’administration du festival, attentive, toujours présente, par le public fidèle et disponible, ouvert, accueillant, et par l’orchestre lui-même, conscient de la totale exception qu’il constitue et qui restera celui d’Abbado : l’œuvre des maîtres leur survit et les maîtres vivent toujours en elle. Oui, il faut aller à Lucerne. [wpsr_facebook]

Concert du 22 août © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Concert du 22 août © Priska Ketterer/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2014: CONCERT DU WEST-EASTERN DIVAN ORCHESTRA dirigé par DANIEL BARENBOIM (ADLER, ROUSTOM, WAGNER) avec WALTRAUD MEIER

Daniel Barenboim & le West-Eastern Divan Orchestra © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL
Daniel Barenboim & le West-Eastern Divan Orchestra © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL

Le passage du West-Eastern Divan Orchestra est toujours un moment fort pour le public, et d’ailleurs, l’applaudissement long et fourni avec lequel il est accueilli en est un signe tangible. Les dernières positions publiques de Daniel Barenboim sur la question de Gaza et par ailleurs ses opinions bien connues et courageuses font évidemment de ces concerts des moments très sentis.
Comme souvent, je conseille la lecture de Parallèles et paradoxes : explorations musicales et politiques (Le Serpent à plumes), un dialogue de Daniel Barenboim avec Edward Said avec qui il a fondé cet orchestre. C’est une lecture riche et une réponse humaniste à la situation désastreuse qui persiste au Proche Orient.

C’était aussi un concert au programme symbolique, deux créations, celle d’un compositeur israélien, Ayal Adler, et celle d’un compositeur syrien, Kareem Roustom, puis l’acte II de Tristan und Isolde de Richard Wagner, qui, comme chacun le sait, fait problème en Israël où on ne le joue pas.
Les deux créations européennes (elles ont été créées à Buenos Aires au début du mois d’août) sont des petites pièces, l’une d’une dizaine de minutes, l’autre d’une quinzaine de minutes.

Ayal Adler
Ayal Adler

Celle de Ayal Adler, Resonating sounds,  alterne des moments violents et éruptifs et d’autres, plus retenus et sollicitant l’orchestre de manière assez virtuose. Dédiée au West-Eastern Divan Orchestra et à Daniel Barenboim, elle met effectivement en valeur certains pupitres (percussions, cordes) mais j’ai trouvé les motifs un peu répétitifs, c’est sans doute voulu et la durée (10 min environ) en atténue l’effet.

Kareem Roustom © John K. Robson
Kareem Roustom © John K. Robson

L’œuvre de Kareem Roustom, un compositeur né en Syrie qui travaille essentiellement aux USA, notamment dans le domaine de la musique de films, et très différente. Il a composé de nombreuses musiques et a été nominé aux Emmy Awards. Sa pièce, Ramal, pour orchestre, plus colorée que la précédente, avec d’évidentes influences orientales, semble effectivement proche d’une musique de cinéma, pleine de relief, très agréable à entendre mais aussi un peu superficielle. Mais le contraste entre les deux approches, l’une un peu plus radicale et l’autre plus « ouverte » était intéressant.
On attendait évidemment l’acte II de Tristan. Certains soirs de cette tournée, l’acte II est couplé avec la Liebestod en un seul programme (comme à Salzbourg le 21 Août), sollicitant donc fortement Waltraud Meier.

Peter Seiffert & Waltraud Meier © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL
Peter Seiffert & Waltraud Meier © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL

À Lucerne, la seconde partie du concert est exclusivement l’acte II, entendu dans cette même salle en 2004 (et non en 2003 – écrit par erreur-  comme me l’a fait remarquer un lecteur attentif)  avec Claudio Abbado (Treleaven, Urmana, Pape, Fujimura), et en 2010 avec Salonen dans le cadre d’un Tristan complet dans la mise en scène de Sellars et Bill Viola (Gary Lehman, Violeta Urmana, Anne Sofie von Otter, Jukka Rasilainen, Matthew Best).

Daniel Barenboim avec le West-Eastern Divan Orchestra © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL
Daniel Barenboim avec le West-Eastern Divan Orchestra © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL

On attendait évidemment l’Isolde de Waltraud Meier, mais c’est d’abord l’orchestre qui a frappé : Barenboim attaque l’introduction avec une énergie folle et une flamme qui ne s’éteindra pas jusqu’à la fin. C’est à ce titre l’un des deuxièmes actes les plus urgents et les plus passionnés jamais entendus. L’orchestre est aussi particulièrement engagé, on sent vraiment que les musiciens sont pris par cette musique qu’ils défendent avec feu, mais aussi avec une précision et une technicité remarquables. Certes, les cors en coulisses qui concluent l’introduction ne sont pas toujours impeccables, mais rien de comparable avec certaines catastrophes entendues ailleurs et par exemple à Bayreuth, avec Daniel Barenboim d’ailleurs.

Le tempo est vif, le son incroyable de relief : voilà ce qui frappe en ce début de deuxième acte.

La première scène met surtout en valeur la voix veloutée, bien projetée, puissante d’Ekaterina Gubanova, dont j’aime la Brangäne. Les aigus sûrs et d’une magnifique rondeur passent l’orchestre très fort, et placé devant les solistes, installés sur une estrade en arrière.
Waltraud Meier en revanche a plus de difficulté. On connaît son Isolde particulièrement subtile, au phrasé sculpté, jamais dans le forte pour le forte, une Isolde pour l’intelligence et non pour les décibels. Mais la voix a des difficultés à passer le flot orchestral, sauf dans les aigus. Les aigus restent clairs, bien contrôlés, puissants, mais les passages apparaissent difficiles. N’importe, la tension est là et l’on rentre dans l’œuvre et dans l’ivresse de cette musique.

Waltraud Meier & Ekaterina Gubanova © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL
Waltraud Meier & Ekaterina Gubanova © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL

Après la fulgurante introduction au duo avec une tension et une pulsion rythmique renversantes d’un Barenboim très engagé,  capitaine sûr et enthousiaste d’un navire flottant sur un océan sonore en furie, commence le duo : on comprend vite que le duo ce soir, sera celui de Peter Seiffert, dans une soirée exceptionnelle où il a été stupéfiant. D’abord, la voix a une douceur et une suavité enchanteresse, et puis il lance des aigus triomphants, sûrs, tenus, larges. On sait que Seiffert est quelquefois irrégulier, mais que lorsqu’il est touché par la grâce, il est incomparable. Et ce soir, il est en état de grâce.

Waltraud Meier épouse cette grâce, la voix est moins âpre qu’à la première scène, plus assurée, plus réchauffée aussi, et les moments les plus doux passent avec bonheur, même si certains suraigus sont ratés. Mais lorsque les deux entament « O sink hernieder Nacht der Liebe », ce n’est plus l’enchantement, ce n’est plus l’ivresse, c’est le temps suspendu, c’est l’insurpassable moment de l’extase, c’est le mythe vivant. Le tout est mené par Peter Seiffert, décidément ce soir au seuil de l’incroyable, et Waltraud Meier lui emboîte le pas  avec son phrasé, avec sa manière de dire ou de sussurer le texte, avec sa manière aussi de colorer, elle est suivie et soutenue par Daniel Barenboim qui cette fois laisse les voix se développer et s’imposer, et qui veille à mettre en valeur ce qui est dit, ce qui est chanté, car il entend lui-aussi que nous sommes dans un moment rare.
Gubanova lance alors ses Habet Acht, son avertissement mystérieux, du cœur de l’orchestre (elle est habituellement dissimulée en coulisse, Abbado l’avait placée au deuxième balcon), et la magie de cette musique qui vous enlève, qui vous élève, qui vous enivre, est totale. Ekaterina Gubanova a offert ici elle aussi une prestation exceptionnelle. Comme si ces avertissements stimulaient encore plus l’engagement des uns et des autres, le crescendo final du duo est presque insupportable.

Peter Seiffert © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL
Peter Seiffert © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL

Waltraud Meier totalement emportée, engagée, d’une extrême tension, Seiffert au paradis des ténors, et l’orchestre fulgurant, inouï d’engagement et d’allant, mené par un Barenboim survolté tout cela est presque unique : je n’ai pas vécu un tel moment depuis bien bien longtemps.

Pas de Kurwenal pour dire Rette dich Tristan, ce qui est dommage, mais l’orchestre seul, mais en revanche un Seiffert bouleversant pour prononcer Der öde Tag zum letztenmal! de manière résignée et absente, inégalable.

On connaît le König Marke de René Pape, c’est toujours une surprise dans cette salle à la réverbération forte d’entendre sonner ses graves profonds, ses aigus puissants, avec cette voix prodigieuse de couleur. Il avait cloué sur place l’assistance en 2003 avec Abbado, un moment miraculeux accentué par la relative déception procurée par les deux protagonistes, il avait même étonné  Claudio Abbado qui m’avait dit son émerveillement. Ce fut en absolu le plus beau monologue de Marke jamais entendu et ça le reste. René Pape il y a onze ans avait cette voix encore jeune, claire et profonde, stupéfiante. Elle garde aujourd’hui cette fascination et cette puissance, cet écho profondément humain qui la caractérise, elle a un peu perdu en couleur, notamment dans la seconde partie du monologue, un tout petit peu plus en retrait, quand la première partie restait suffocante de beauté. Mais n’importe, lui aussi est encore unique et irremplaçable dans ce rôle. Signalons aussi le très bon Melot, très présent, de Stephan Rügamer. Un très bon Melot c’est suffisamment rare pour le noter. Stephan Rügamer fait partie des excellents chanteurs de la troupe de la Staatsoper de Berlin, c’est aussi, rappelons-le, un remarquable Mime .

Vous avez compris qu’on a vécu à Lucerne un moment d’exception, un moment de pure émotion, doublé par la satisfaction visible de ces jeunes musiciens de jouer cette musique, plaisir, ivresse, émotion, engagement, militantisme wagnérien aussi : tout cela était au rendez-vous, mené par un Barenboim des très grands jours, complètement emporté, au geste précis, rendant l’orchestre d’une grande clarté mais aussi cherchant visiblement à en tirer toutes les tripes, et je dirai toute leur force d’amour.
Ce soir, tout le monde faisait de la musique avec son âme.[wpsr_facebook]

Le triomphe du chant © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL
Le triomphe du chant © Stefan Deuber, LUCERNE FESTIVAL

LUCERNE FESTIVAL 2014: CONCERT du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA le 16 AOÛT 2014 dirigé par ANDRIS NELSONS (BRAHMS)

Le LFO pendant le concert d'ouverture © Peter Fischli/Lucerne Festival
Le LFO pendant le concert d’ouverture © Peter Fischli/Lucerne Festival

Difficile, cette année de revenir à Lucerne l’été. Depuis 2003, un rituel était né, avec les 10 jours du LFO, les programmes composés par Claudio Abbado, cette chaleur incroyable du public qu’il avait su séduire, cet engagement des musiciens auxquels il était lié par une très longue collaboration : certains l’avaient connus lorsqu’ils étaient tout jeunes, lorsqu’ils étaient au Gustav Mahler Jugendorchester (GMJO) et ils l’avaient suivi ou croisé tout au long de leur vie professionnelle. Mais surtout ne pouvaient à cette occasion que défiler dans la mémoire du cœur et de l’esprit les moments incroyables de bonheur que nous avons pu vivre, et notamment les symphonies de Mahler.
De plus, Claudio Abbado, mais aussi Pierre Boulez et l’intendant Michael Haefliger ont su créer une ambiance particulière, chaleureuse, presque familiale à Lucerne qui fait qu’on y arrivait avec le goût de ces rencontres d’amis qui se retrouvent à intervalle régulier pour faire la fête ensemble. Il y avait de ça à Lucerne.
Cet heureux temps n’est plus.
Mais il n’est pas question pour moi de me retirer et de ne pas accompagner le destin de cet orchestre qui, quel que soit son avenir, restera celui de Claudio Abbado. Un orchestre d’amis…lorsqu’un ami disparaît, les autres continuent. Michael Haefliger a déjà annoncé que cet automne le successeur serait nommé. Il y a une vie qui commence, après Claudio, et sans doute comme Claudio l’aurait souhaité. Une vie pour faire de la musique ensemble, public et musiciens. Et il faut remercier Andris Nelsons d’avoir cette année relevé le gant. Ce doit être difficile, et pour son agenda (il dirige le 16 à Lucerne et le 17 à Bayreuth) et par le défi que cela représente : beaucoup de fans ont réagi en ne venant pas, parmi eux bien des abbadiani. Pour moi c’était vraiment l’année où il fallait être là, pour l’orchestre, pour Lucerne, pour Claudio. D’autant que tout le Festival cette année est dédié à sa mémoire.
Et beaucoup d’abbadiani présents m’ont envoyé sms et mails pour me dire leur immense déception après avoir écouté le premier concert…
Mais en arrivant le 17, j’étais triste, certes, d’un rite vidé de son sens sans le maître mythique des lieux mais très disponible pour entendre de la musique, même si on m’avait annoncé du gris.
Bien heureusement, effet du second concert ? détente des musiciens ? ou défaut d’écoute des abbadiani trop habitués au son Abbado de cet orchestre ? Je n’ai pas trouvé ce concert Brahms si décevant, loin de là. Bien sûr, le son d’Andris Nelsons est plus touffu, plus massif, avec des contrastes très accentués, c’est le cas dans la Sérénade que Claudio a si souvent proposée avec ce raffinement qu’on lui connaissait et cette indicible poésie, et que les habitués devaient trouver ici insupportable. Ce type d’œuvre ne fait pas partie du répertoire habituel de Nelsons, mais l’orchestre n’a pas du tout démérité. C’était loin d’être ennuyeux, avec des moments de très belle facture, mais une ambiance tellement autre, tellement moins élégante, moins fine, moins cristalline, en dépit des réussites çà et là, que pour un abbadien cela commençait très mal.
Toute autre ambiance dans la Rhapsodie pour alto. Une ambiance recueillie, très émue parce que la pièce attire les larmes, notamment à partir de la troisième strophe Ist aus deinem Psalter, avec son passage en ut majeur, bien que composée comme cadeau de mariage. C’est le type même de moment où Abbado excellait…E’ suo, comme disent les italiens. L’émotion est passée, avec un son plus contrôlé, et surtout avec Sara Mingardo, voix merveilleuse de contralto, qui avait l’habitude de chanter avec Claudio, et qui sait communiquer avec la voix et avec le cœur. Le magnifique chœur d’hommes du Bayerische Rundfunk a fait le reste.  L’orchestre répondait totalement aux attentes, ce fut là certes un moment pour abbadiani, mais avant tout un vrai beau moment musical où l’auditeur se sentait totalement impliqué.
Le lecteur comprendra les difficultés des auditeurs habitués à Abbado : ce concert fut pour beaucoup le moment où ils ont réalisé que Claudio n’était plus là et que, quel que soit le successeur, il faudrait s’habituer à d’autres approches, d’autres sons, d’autres gestes. Et que chercher à coller une ombre tutélaire sur une autre silhouette de chef ne pouvait que conduire à des déceptions cruelles, et à des jugements injustes, à l’emporte pièce, dictés par le vide ressenti et non par l’écoute.

Andris Nelsons dirigeant le LFO © Peter Fischli/Lucerne Festival
Andris Nelsons dirigeant le LFO © Peter Fischli/Lucerne Festival

On le sent parfaitement à l’audition de la Symphonie n°2 de Brahms: l’univers construit par Andris Nelsons est tout autre. Un chef de 36 ans peut difficilement jouer Brahms avec l’expérience et le parcours d’un chef de 80 ans, dont la formation même a été faite de ce répertoire (Abbado a été formé à Vienne chez Hans Swarowsky). Andris Nelsons vient d’une autre école. Première différence, là où Abbado évoque sa première expérience musicale forte avec un Nocturne de Debussy, Nelsons parle d’une représentation de Tannhäuser. Il a par ailleurs été formé à l’école de Saint Petersburg, directement et à travers Mariss Jansons qui rappelons-le fut l’assistant de Mrawinski. Jansons dont le Brahms a toujours fait discuter (je me souviens d’une exécution du Deutsches Requiem à Lucerne qui avait beaucoup désarçonné certains abbadiens).
Le son de Nelsons manque peut-être de raffinement diront certains, un son moins policé, et plus direct, plus brut, qui donne une couleur un peu rude à la symphonie. Mais le sens du contraste, le soin apporté aux moments plus contenus (magnifique deuxième mouvement) pour faire exploser l’orchestre dans les forte, une énergie particulièrement marquée, et vitale sans être démonstrative, vécue comme de l’intérieur, tout cela fait partie du style de Andris Nelsons. Nelsons n’est pas un chef très médiatique, il fait partie de ces chefs que j’apprécie parce qu’ils ne dirigent pas pour la galerie, pour montrer comme ils sont bons, c’est un chef du ressenti.
Le son de l’orchestre de Nelsons est ce son plein et chaleureux très caractéristique des écoles du nord, et notamment de l’école russe et tous les italiens présents sont plutôt habitués à Abbado, certes, mais aussi au Brahms de Giulini, ou même de Chailly, aux antipodes.  On parle de la formation des chefs, mais on devrait aussi parler de la formation ou du formatage des spectateurs …

Sara Mingardo et Andris Nelsons © Peter Fischli/Lucerne Festival
Sara Mingardo et Andris Nelsons © Peter Fischli/Lucerne Festival

Et, signe que les choses ne sont pas allées si mal, l’orchestre suit le chef avec sa conscience et son engagement habituels (premiers violons, Gregory Ahss Konzertmeister du Mozarteum et Sebastian Breuninger Konzertmeister du Gewandhaus de Leipzig), toutes les stars du Lucerne Festival Orchestra sont présentes, sauf Alois Posch (contrebasse), on entend le cor superbe de Alessio Allegrini, la trompette de Reinhold Friedrich, les timbales magiques de Raymond Curfs, et comme de juste les deux phénomènes Jacques Zoon (flûte) et Lucas Macias Navarro (hautbois) :  l’excellence de l’orchestre n’est plus à démontrer, son engagement non plus, d’autant plus cette année, mais un orchestre est un corps vivant, qui doit lui aussi faire son deuil et s’adapter à d’autres visions.

En conclusion, ce fut un beau concert, très ressenti, évidemment très différent de ce à quoi Claudio nous avait formatés : il fallait redescendre sur terre, et je le dis sans aucune acrimonie, ni déception,  nous sommes redescendus dans une sorte d’excellence musicale de l’ordre des esprits, et non de l’ordre des âmes . Il faudra sûrement un peu de temps pour recaler tout cela. Ce fut un moment difficile, mais nécessaire. Le Lucerne Festival Orchestra et Andris Nelsons ont mérité la standing ovation qui les a salués. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons le 15 août 2014 © Peter Fischli/Lucerne Festival
Andris Nelsons le 15 août 2014 © Peter Fischli/Lucerne Festival

ENREGISTREMENTS ET CD: LE DERNIER DISQUE DE CLAUDIO ABBADO – BRUCKNER SYMPHONIE N°9

Le dernier disque
Le dernier disque

Quelle erreur !
Quelle erreur de n’avoir pas repris en vidéo ce concert où Claudio Abbado à bout de forces, mais pas d’inspiration, a offert au public un testament en forme d’inachèvement, en programmant dans la même soirée et l’Inachevée de Schubert, et la Symphonie n°9 de Bruckner qui est aussi son inachevée. On a préféré retransmettre et enregistrer l’Eroica et les extraits de Gurrelieder de Schönberg, qui constituaient en 2013 le premier programme du Lucerne Festival Orchestra.
La symphonie n°9 de Bruckner vient de sortir fin juin en CD chez DG/Accentus, et tout mélomane un peu amoureux d’Abbado se doit de la posséder dans sa discothèque. C’est d’ailleurs un disque qui se vend bien, au moins à en croire certaines listes comme http://www.classical-music.com/chart/official-classical-chart
La manière dont Abbado avait abordé ces deux symphonies inachevées (Schubert-Bruckner) et notamment la symphonie de Bruckner avait suscité chez les mélomanes présents des discussions passionnées, tant la manière d’Abbado, très intériorisée, d’une tristesse indicible, a frappé.

Je ne suis pas sûr que ne présenter dans un enregistrement que la symphonie de Bruckner sans celle de Schubert soit une si bonne idée. Certes, elle permet à l’éditeur de projeter deux enregistrements séparés, mais l’arc interprétatif et le discours d’Abbado sont si cohérents entre les deux œuvres, que je peux difficilement écouter l’une sans l’autre. Car c’est bien l’inachèvement et la fin qui sont sussurés ici. Et le compte rendu que j’en ai fait sur le moment sonne étrangement, au regard des événements qui ont suivi. Je renvoie le lecteur à ces analyses, mais j’en donne ci-dessous les conclusions : « Une soirée et une édition 2013 qui laissent un goût amer en bouche: comme d’habitude, des exécutions d’une qualité inouïe, avec un orchestre phénoménal, comme d’habitude des émotions et des moments très forts, mais cette année, quelque chose d’autre, où était absent cet élan vital, cette éternelle jeunesse qu’Abbado communique dans sa vision de la musique. Etait-ce parce qu’il était plus fatigué (c’était visible dans ses gestes, et il a dû pendant la série de concerts annuler son intervention pour la fête des 75 ans du Festival) est-ce un tournant interprétatif ? L’avenir nous le dira, mais en tout cas, bien des amis qui le suivent encore plus que moi étaient frappés par cette vision sans espoir qui transpirait de ces soirées et du fond de leur âme, ne voulaient pas l’envisager. »
Abbado était discret, parlait peu, et en tous cas presque jamais en répétition, et presque jamais de ses concerts ou de ses interprétations. Mais faire de la musique pour lui c’était aussi dire quelque chose de lui même. Ce qu’il ne disait pas, il l’exprimait par la musique, par les concerts, qui étaient pour lui tranche de vie. Il y a donc quelque chose de prémonitoire dans ce Bruckner, comme une annonce, comme un présage qu’il semblait sentir.
À réécouter l’enregistrement (qui est un montage des trois soirées de concert) on retrouve les mêmes impressions, mêlées au souvenir, car évidemment l’écoute d’aujourd’hui est traversée par le fait qu’il s’agit du dernier programme qu’Abbado a dirigé et tous les commentaires qu’on peut faire ou avoir fait en sont gauchis. On est quand même toujours  frappé d’une part par la ductilité extrême de l’orchestre et la qualité de l’exécution, des pizzicati à se damner, des cordes d’une douceur et d’une suavité inconnues (c’est incroyable cette douceur triste qui émerge du premier mouvement), une lenteur certes, mais d’une fluidité étonnante dans les enchaînements, sans heurts,  interventions des cuivres presque timides au départ, avec l’élégance inouïe à laquelle Abbado nous avait habitués. Il est servi par des solistes d’une virtuosité unique (flûtes, clarinette, hautbois, trompettes mais aussi contrebasses incroyables), saisis sans doute aussi par la nature du moment, qu’ils devaient sentir encore plus que le spectateur : c’est cet unisson (uni-sono), cette unicité du son qui frappe et qui emporte. On ne sait sur quoi fixer son attention, tant il est difficile d’isoler un moment ou un autre, mais on reste confondu par l’art du crescendo, le contrôle des volumes, et la clarté du rendu. Une douce, très douce marche vers l’abîme, sereine et résignée.
Le second mouvement est « un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler »(Racine, Phèdre, scène finale), une énergie rageuse, rendue par un jeu étourdissant des pizzicati, un crescendo d’une extrême tension pour aboutir à une explosion des tutti qui reste néanmoins presque contenue, tant elle semble naturelle, aller de soi, avec un refus des ruptures, dans un sens aigu des liens musicaux qui se sont construits : des contrastes entre la douceur des bois et la brutalité des forte, qu’on a souvent comparé à du Prokofiev ou du Stravinski, il reste un ballet certes inquiétant, mais sans cette angoisse mystique qui pourrait saisir, c’est une rage qui passe, comme le reste passera et finira.
Au contraire, le début du dernier mouvement, l’adagio, s’affirme avec à la fois les grandes orgues de la solennité brucknerienne, pour être immédiatement compensée par la douceur des confidences abbadiennes,  indicible (ah les bois…), qui étreint jusqu’au plus profond du cœur en des murmures à peine perceptibles des cors et des cordes : il s’agit d’un chant, l’avenir nous a dit que c’était un chant du cygne, un cygne encore vivant, encore créatif, encore avide de confidences, encore désireux d’avenir et de confiance, mais déjà pris par la nostalgie et les regrets : tout nous parle, le moindre son, la moindre inflexion, dans cet adagio à la lenteur non solennelle, mais résignée, qui n’appellerait que des larmes. Mais ce sont les trois dernières minutes, suspendues, qui resteront gravées pour toujours dans le souvenir des auditeurs, et qui dans ce disque, demeurent bouleversantes. Ces trois dernières minutes-là valent tous les messages, tous les concerts, toute une expérience d’auditeur. Elles sont définitives…
On l’aura compris, ceux qui n’ont pas encore ce disque doivent courir en faire l’acquisition. En faire l’impasse est inconcevable : un testament qui est une porte ouverte sur le Paradis.  [wpsr_facebook]

 

 

 

LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014 EN MÉMOIRE DE CLAUDIO ABBADO: le 6 AVRIL 2014, LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA (SCHUBERT) dirigé par Andris NELSONS (BERG-MAHLER) avec Isabelle FAUST et Bruno GANZ

La salle, debout, applaudit l''orchestre
La salle, debout, applaudit l”orchestre

Franz Schubert (1797-1828)
«Allegro moderato» de la Symphonie n° 7 en si mineur D 759Inachevée
Friedrich Hölderlin (1770-1843)
Elegie Brot und Wein (Pain et Vin)
Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre A la mémoire d’un ange
Gustav Mahler (1860-1911)
Finale de la Symphonie n° 3 en ré mineur

Dans les saluts que nous échangions, entre amis et connaissances, il y avait de tristes sourires de ceux qui se retrouvent pour témoigner du bonheur que Claudio nous a donné dans cette salle. Nous venions tous pour lui, mais sans lui.
L’initiative du Lucerne Festival Orchestra, qui n’a jamais joué à Pâques a  longtemps été tenue secrète, la présence d’Andris Nelsons, qui la semaine prochaine va diriger le troisième acte de Parsifal (programmé avec lui en 2016 à Bayreuth), la présence d’Isabelle Faust qui reste pour toujours l’interprète magique du concerto de Berg (une exécution à Berlin au minimum mémorable en 2012), tout nous prépare évidemment à un moment d’une intense émotion, d’autant que la nature du programme est en elle-même une épreuve pour l’auditeur fidèle des concerts de Claudio.
D’abord, l’ «Allegro moderato» de la Symphonie n° 7 en si mineur D 759 Inachevée, qui fait partie du dernier programme dirigé par Claudio à Lucerne pour ses trois derniers concerts, exécutée sans chef, c’est à dire sans doute avec les partitions annotées par les musiciens lors des répétitions de Claudio ; quand on se souvient de ce moment d’une intense tristesse en août dernier, de ce Schubert déjà vécu comme un adieu, on a déjà le cœur serré.
Ensuite, le concerto pour violon de Berg, à la mémoire d’un ange, par Isabelle Faust, comme à Berlin avec les Berliner Philharmoniker: quand on se souvient de ce moment suspendu, d’une poésie ineffable : « Isabelle Faust est incomparable de légèreté, de discrétion, de maîtrise du volume sonore, son approche lyrique est à elle seule un discours, l’approche du chef épouse avec une telle osmose celle de  la soliste, qu’on a l’impression qu’elle est le prolongement de l’orchestre: il n’y a pas de dialogue soliste/orchestre, il y a unité “ténébreuse et profonde”, les sons ne se répondent pas, ils se prolongent les uns les autres, ils composent comme un chœur inouï. Oui, ce Berg est phénoménal et le deuxième mouvement, dont les dernières mesures sont à pleurer d’émotion, est un chef d’œuvre à lui seul. Quel moment! » (Concert du 11 mai 2012)

« Le concerto pour violon fut, comme vendredi, phénoménal par moments, avec un second mouvement d’une tendresse à vous serrer le cœur. C’est bien d’ailleurs ce qui m’a pris, tout au long du concert, avec des moments où mon cœur battait très fort, même en attendant les moments d’émotion éprouvés le vendredi, tout a recommencé…et Abbado, à la sortie, disponible pour la trentaine de personnes qui l’attendaient à sa voiture, a signé de nombreux autographes, en souriant, disponible, détendu comme on ne l’avait pas vu depuis longtemps. » (Concert du 13 mai 2012).
J’ai tenu à citer les comptes rendus écrits à l’époque dans le blog auxquels les lecteurs peuvent se reporter, pour faire remonter le souvenir quasi inénarrable de ces moments. La présence dans le programme de ce concerto montre à la fois l’importance qu’il put avoir pour Isabelle Faust (qui l’a enregistré avec l’Orchestra Mozart sous la direction de Claudio),et illustre aussi le drame de l’absence, de cette absence partagée qui fait que nous sommes là aujourd’hui:  on ne peut évidemment pas échapper à l’expression « à la mémoire d’un ange » qui à cette occasion pointe Claudio…

Dans le programme aussi, un texte d’Hölderlin, un poète que Claudio adorait, à qui il a dédié un projet à Berlin, et qui sera dit par Bruno Ganz, le complice des projets berlinois, qu’on vit aussi à Lucerne : l’immense acteur était très lié à l’immense chef, et Claudio cita ce texte lors d’un échange avec Ganz dans ses dernières semaines,
Enfin, le dernier mouvement de la Symphonie n°3 de Mahler, « ce que me conte l’amour », comme Mahler avait écrit au départ à son propos, immense monument d’apaisement, comme si l’âme trouvait l’amour dans une sorte de mouvement inscrit déjà dans l’éternité, mais qui laisse aussi percer comme toujours chez Mahler, la mélancolie et une indicible nostalgie. Cette symphonie exécutée à Lucerne l’été 2007 fut un des sommets du cycle Mahler avec le LFO. Mais Claudio dut renoncer à cause de sa santé à la tournée newyorkaise et en octobre 2007, ce fut Pierre Boulez qui monta sur le podium du LFO pour une soirée inoubliable qui restera aussi dans les mémoires de Carnegie Hall.
Tous ces souvenirs mêlés étreignent déjà et ce concert en mémoire de Claudio souligne la béance de ce manque, qu’enfin nous réalisons : ne dirigeant jamais l’hiver, Claudio reprenait ses activités en mars ou avril. Cette année, il ne sera pas là…et, il y a un an, à Lucerne, il était parmi nous, en forme, dans un concert mémorable où avec Martha Argerich il avait enivré la salle.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de faire un compte rendu, il s’agit peut-être une dernière fois, de communier pleinement dans ce souvenir, tous ensemble, tout ce public venu essentiellement parce que dans cette salle il  a vécu d’indescriptibles moments sous la magie de Claudio et qu’il veut avec le LFO revivre quelque chose de cette magie là.
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Voilà les quelques lignes que j’avais déjà écrites quelques heures avant le concert.
Il est 22h40, en ce 6 avril 2014, il y a déjà 4h que ce moment incroyable s’est terminé, et je ne peux le rappeler sans que les larmes ne me viennent encore, comme pendant ces quasi deux heures où, comme dans un de ces miracles que seuls l’art et la musique peuvent susciter, Claudio Abbado était parmi nous, n’a pas cessé d’être au milieu de nous, invisible, absent et pourtant tellement là : il fallait voir les musiciens, qui presque tous étaient là, de Wolfram Christ à Diemut Poppen, de Lucas Macias Navarro à Jacques Zoon, d’Alois Posch à Raphael Christ,  jouer pour lui, présent dans les cœurs, pour être avec lui encore une fois, pour son sourire. Comme le dit dans le programme Reinhold Friedrich le trompettiste jovial (qui le matin même avait donné un beau concert avec l’organiste Martin Lücker), « le plus beau cadeau, c’était pouvoir rencontrer son regard joyeux ». Ce regard joyeux, comme il a dû l’avoir en cette fin d’après midi, tant orchestre et salle étaient en communion totale, tous là projetés par l’esprit et par la musique dans ce regard là, auquel nous ne cessions de penser, tant ce que nous entendions était lui. Le Lucerne Festival avait fait les choses justes, sans ostentation, ni photos géantes, ni projection d’un portrait dans la salle: seulement l’ordinaire (si l’on peut dire…), seulement la musique, comme  Claudio sans doute l’aurait voulu.
Dès l’Inachevée, et ce premier mouvement, allegro moderato exécuté sans chef, avec le podium vide nous avons été replongés en août dernier.
Il était là, indiscutablement : il suffisait d’entendre la douceur ineffable des premières mesures, un son à peine audible surgi du néant que seul Claudio pouvait obtenir d’un orchestre. Il fallait voir Sebastian Breuninger, le premier violon (il appartient au Gewandhaus de Leipzig), jouer et regarder l’orchestre, d’un petit geste du corps souligner quelque attaque, pour comprendre de quelle concentration tous ont fait preuve pour lui offrir une telle exécution, qui nous disait quelque chose, qui avait une ligne ferme, des nuances, des modulations, des couleurs dictées par un esprit absent auquel tous nous pensions. Et déjà en fixant ce podium désespérément vide, marquant l’irrémédiable absence, et en écoutant dans la musique sa présence, son incroyable présence, les larmes coulaient, d’émotion, de tristesse mais aussi de cette joie profonde que seule la musique me donne lorsqu’elle me semble venir d’ailleurs…
Par bonheur, aucun applaudissement n’est venu interrompre cette magie aussitôt suivie par la voix éraillée de Bruno Ganz surgi du fond de l’orchestre lisant Elegie Brot und Wein de Hölderlin

Rings um ruhet die Stadt; still wird die erleuchtete Gasse,
Und, mit Fackeln geschmückt, rauschen die Wagen hinweg…

Ce fut un moment de pure parole, dans la musique du vers de Hölderlin célébrant les noces du paganisme et du christianisme,  des mystères de Dionysos et de Demeter et de l’Eucharistie, se résolvant dans la paix de la nuit qui ouvre et qui ferme le poème.
Il y a quelque chose de profondément païen dans la certitude que dans cette salle ce soir, vibre partout un esprit qui circule, anime et bouleverse en même temps musiciens et auditeurs. Car les musiciens jouent à l’évidence pour lui, comme s’il était là, parce qu’il est là, parce que nous sommes tous autour de lui.
Nous étions tous pris dans un enthousiasme commun, enthousiasme au sens premier de possession par Apollon ou Dionysos, et cette possession, on ne peut la prendre pour de l’excès, elle était authentique, générale, partagée, bouleversante.
Apollonienne aussi l’exécution qui suivit du concerto de Berg « à la mémoire d’un ange » dans une interprétation ineffable, indicible, d’Isabelle Faust, qui a créé d’incroyables sons, tour à tour à peine perceptibles (le début !), jamais brutaux, jamais autre chose que pure délicatesse ou pure poésie, dialoguant avec un orchestre en état de grâce mené avec une attention millimétrée par Andris Nelsons. Des sons nés au violon se prolongeant dans tel ou tel pupitre, des sons nés de l’orchestre se prolongeant au violon : le début à lui seul est un enchantement. Il y a là une retenue, un sens des équilibres, une installation totale de la poésie à l’orchestre et chez la soliste, avec par moments une légèreté presque aérienne, qui nous fait voler et par moment une tension qui serre le cœur, celle née de l’irrémédiable. Isabelle Faust est vraiment pour moi la seule aujourd’hui qui réussisse à proposer une vision de cette œuvre dans ses contrastes, à la fois éthérée, aérienne et pleine du malheur terrestre, avec ses moments de refus, d’amertume, presque sarcastiques. On se souviendra longtemps de ce son infini du violon qui clôt le concerto, jamais peut-être aussi légèrement et fermement exécuté, au point qu’un long silence a ponctué cette fin.
Pour couronner ce moment, un finale de la 3ème de Mahler totalement bouleversant. Dès les premières mesures, les larmes viennent, dès les premières mesures, le cœur bat, et dès les premières mesures aussi, on sent dans l’orchestre un incroyable engagement, et une volonté du chef de laisser l’orchestre respirer, parler, raconter. Andris Nelsons dans les deux moments extraordinaires qu’il a dirigés (Berg et Mahler) n’a jamais imité ou chercher à faire comme Abbado, c’est un son qui par sa plénitude, par son intensité, par sa grandeur, et par sa singularité, lui appartient totalement, mais en même temps, c’est une approche en phase avec ce que nous attendons, sans emphase, sans pathos, avec un souci d’accompagner l’orchestre comme si c’était l’orchestre qui avait à nous dire des choses et que Nelsons n’en était que l’exégète.
Il en résulte une vision, d’une inimaginable puissance émotive, des dizaines de personnes ont en main leur mouchoir, d’autres ont la tête dans les mains, je ne voyais moi-même plus qu’à travers des larmes qui coulaient sans cesse. Non pas les larmes de l’absence, mais celles de l’émotion partagée, de cette communion profonde qui a saisi la salle dans ce silence des moments saisissants, celui où personne ne tousse plus, ne bouge plus, celui où chacun est à la fois en soi et livré à ce moment fabuleux qui étreint totalement.
Immense moment, conclu par un très long silence, interrompu par quelques applaudissements vite réprimés, silence imposé par le chef, et par l’immobilité suspendue de l’orchestre, silence où tous nous pensions à Claudio, suivi enfin par de très longs applaudissements, nourris, avec la salle spontanément debout qui applaudissait de manière soutenue, mais jamais tonitruante, de ces applaudissements d’où s’est modestement effacé Andris Nelsons, 36 ans, qui a démontré ce soir non seulement qu’il était un grand chef- nous le savions- mais qu’il était aussi un être d’une rare élégance. Aucun souci de protagonisme, c’est l’orchestre qu’il a mis sans cesse en avant, et derrière lequel il s’est noyé pour saluer.
Mais voilà, lorsque Sebastian Breuninger, le premier violon, entendant ce long applaudissement continu, intense, profond, et comprenant qu’il s’adressait aux musiciens mais aussi à l’absent, a éclaté en sanglots, comme bien d’autres membres de l’orchestre, en larmes eux aussi, (il a accompagné certains pendant toute leur carrière) alors, doucement, Andris Nelsons l’a pris, et a décidé de faire sortir l’orchestre. L’applaudissement a accompagné cette sortie et a continué longuement à scène vide : nous applaudissions tous Claudio, nous applaudissions à sa présence d’une si grande intensité ce soir, et nous applaudissions à ce moment sublime de communion vécu, nous applaudissions les artistes, nous applaudissions nos souvenirs et nous applaudissions cette musique qui ce soir n’était que don presque mystique. C’était le dernier concert de Claudio Abbado…
Je n’ai jamais vécu cela, jamais. Et donc encore une fois, grazie Claudio !
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PS: Le concert a été retransmis dès ce soir par la TV suisse, il le sera aussi par ARTE un peu plus tard et le 10 avril, par la radio suisse.

Claudio-Abbado

ANDRIS NELSONS DIRIGERA LES CONCERTS DU LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA À LA PLACE DE CLAUDIO ABBADO AU FESTIVAL DE LUCERNE CET ÉTÉ

Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival

Voici le communiqué de presse du Festival de Lucerne.

Lucerne, le 14 février 2014. Au festival d’été 2014, c’est Andris Nelsons qui dirigera le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA dans deux programmes Brahms qui avaient été conçus par Claudio Abbado en personne. « Nous sommes extrêmement ravis qu’Andris Nelsons, l’un des grands chefs d’aujourd’hui, ait accepté de diriger les concerts du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA », a déclaré Michael Haefliger, le directeur du festival. « Nous nous réjouissons en outre de pouvoir présenter les programmes Brahms projetés par Claudio Abbado. Ainsi le souvenir du fondateur du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA sera-t-il vivant dans la programmation du festival. » On entendra au concert d’ouverture, le 15 août, ainsi que le 16, la Deuxième Sérénade en la majeur, la Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre, avec Sara Mingardo en soliste, et la Deuxième Symphonie en ré majeur. Les 22 et 24 août figureront au programme le Premier Concerto en ré mineur, avec Maurizio Pollini, et la Troisième Symphonie en fa majeur.

Né en 1978 à Riga, Andris Nelsons a été « artiste étoile » du Festival de Lucerne en 2012. Il prendra la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Boston au début de la saison 2014/2015. Depuis la saison 2008/2009, il est à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, avec lequel il a fait ses débuts au Festival de Lucerne à l’été 2009. On pourra l’entendre au LUCERNE FESTIVAL à Pâques, le 12 avril, avec l’Orchestre de la Radio bavaroise, dans le Troisième Acte de Parsifal de Wagner. Cet été, il dirigera au Festival, outre le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA, le City of Birmingham Symphony Orchestra, les 30 et 31 août.

Le Blog du Wanderer précise en outre qu’Andris Nelsons avait été indiqué par Claudio Abbado dans une interview comme celui qui était à son avis le plus apte à succéder à Sir Simon Rattle au Berliner Philharmoniker.

Programme:

15 et 16 août | 18h30 | Concert d’ouverture et Concert symphonique 1 |
Salle de concert du KKL de Lucerne
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Chœur de la Radio bavaroise (Gerald Häussler direction) | Andris Nelsons direction | Sara Mingardo contralto
Johannes Brahms: Sérénade no 2 en la majeur op. 16 | Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre op. 53 | Symphonie no 2 en ré majeur op. 73

16 août | 22h00 | Late Night 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Barbara Hannigan soprano et direction musicale
Œuvres de Gioachino Rossini, Wolfgang Amadeus Mozart, György Ligeti et Gabriel Fauré

19 août | 19h30 | Concert symphonique 4 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniel Harding direction | Stefan Dohr cor
Antonín Dvořák : La Colombe op. 110 | Wolfgang Rihm : Concerto pour cor (création mondiale, commande du LUCERNE FESTIVAL, de la Philharmonie du Luxembourg et de l’Orchestre Philhar- monique du Luxembourg, de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise et de la Stichting Omroep ZaterdagMatinee) | Antonín Dvořák : Symphonie no 9 en mi mineur op. 95 « du Nouveau Monde »

20 août | 19h30 | Musique de chambre 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Ensemble de cuivres du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Steven Verhaert direction | Eriko Takezawa piano
Œuvres de Jean-Baptiste Lully, Carlo Gesualdo, Leoš Janáček et Zoltán Kodály

21 août | 19h30 | Musique de chambre 2 | Salle de concert du KKL de Lucerne Oliver Schnyder piano | Solistes du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA Œuvres de Robert Schumann, Gabriel Fauré et Johannes Brahms

23 août | 11h00 | Musique de chambre 3 | Lukaskirche

Mahler Chamber Soloists

Œuvres de Leoš Janáček, Wolfgang Rihm et Sergueï Prokofiev

22 et 24 août | 19h30 | Concerts symphoniques 5 et 7 | Salle de concert du KKL de Lucerne LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Andris Nelsons direction
Maurizio Pollini piano
Johannes Brahms : Concerto pour piano no 1 en ré mineur op. 15 |

Symphonie no 3 en fa majeur op. 90

25 août | 19h30 | Concert symphonique 8 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniele Gatti direction | Midori violon
Felix Mendelssohn : Ouverture du Songe d’une nuit d’été op. 21 |
Concerto pour violon en mi mineur op. 64 | Symphonie no 4 en la majeur op. 90 « italienne »

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LUCERNE FESTIVAL 2014: LE FESTIVAL D’ÉTÉ (15 AOÛT-14 SEPTEMBRE 2014) et le FESTIVAL PIANO (22-30 NOVEMBRE 2014)

La salle du KKL

Abbado et Brahms, Haitink et Schumann, Rattle et Bach, Chailly et Mahler, Midori, Hannigan, Bartoli… et tant d’autres !

 

Cette année, le programme du Lucerne Festival (Sommer), le festival d‘été paraît avec un mois d’avance sur les dates habituelles : il y a évidemment derrière une stratégie visant à devancer d’autres festivals concurrents, Salzbourg entre autres, qui programme souvent les mêmes concerts puisque les orchestres font leur tournée d’été obligée, passant par les deux plus grands festivals d’orchestres en Europe, et dans  les mêmes programmes quelquefois.
Lucerne est un lieu enchanteur, mais dans un contexte économique tendu, les prix pratiqués restent très sélectifs, notamment pour un public non helvétique. Il reste qu’il faut s’y prendre vite pour acheter des billets à des tarifs raisonnables  (à partir de 30 ou 40 CHF). Réservations en ligne à partir du 10 mars 12h et par écrit à partir du 17 mars.
Par rapport à la programmation exceptionnelle de 2013, due au 75ème anniversaire de la création du festival, l’édition 2014 est redimensionnée ; par ailleurs, la crise est passée, en Suisse aussi, pour un Festival très largement autofinancé ou aidé par des sponsors privés (Crédit Suisse, Nestlé, Zürich Versicherung et Roche) : Nestlé est par exemple le sponsor régulier du Lucerne Festival Orchestra.
Les deux éléments symboles du « règne » de Michael Haefliger à la tête du Festival sont d’une part le Lucerne Festival Orchestra lié à Claudio Abbado et la Lucerne Festival Academy liée à Pierre Boulez qui ne dirigera pas, mais qui est toujours présent comme pédagogue.

C’est un cycle Brahms qui ouvrira le Festival d’été avec Claudio Abbado dans  deux programmes intégralement dédiés à Brahms, dont on peut supposer qu’il se poursuivra en 2015, puisque deux symphonies sur les quatre sont programmées cette année (les symphonies n°2 & 3).
Le thème de l’année est « Psyché », en lien avec les effets psychiques de la musique, commençant par le mythe d’Orphée et la soirée d’ouverture aura lieu le vendredi 15 août 2014 avec le concert inaugural du Lucerne Festival Orchestra dirigé par Claudio Abbado . Au programme la Sérénade n°2 en la majeur op.16, la Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre op.53 (soliste : Sara Mingardo) et la Symphonie n°2 en ré majeur op.73. Ce programme sera répété le samedi 16 août.
Immédiatement après, le dimanche 17 août, un concert du West-Eastern Diwan Orchestra dirigé par Daniel Barenboim qui fera courir les foules : après la création européenne de deux œuvres de Ayal Adler (compositeur israélien) et Kareem Roustom (compositeur syrien) – Barenboim continue son travail salutaire de promotion parallèle d’artistes israéliens et arabes et de rencontres autour de la musique -, est programmé le deuxième acte de Tristan und Isolde de Wagner dans une étincelante distribution, Peter Seiffert, Waltraud Meier, Ekaterina Gubanova et René Pape. Le 18 août, un second concert avec un programme Webern, Mozart, Ravel et en soliste le pianiste israélo-palestinien Saleem Abboud Ashkar.
Pendant ce premier week-end, deux concerts à ne pas manquer dont le premier concert de l’artiste étoile de cette édition, la soprano Barbara Hannigan dans la série « Late night music » le 16 août à 22h, avec le Mahler Chamber Orchestra dans du Rossini et du Mozart, mais surtout deux œuvres de Ligeti, l’étourdissant Concert românesc et les Mysteries of the Macabre. Le dimanche 17 août à 11h, un concert de l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Matthias Pintscher avec Bruno Ganz en récitant, au programme deux œuvres des compositeurs en résidence Unsuk Chin et Johannes Maria Staud et Bereshit für Ensemble de Matthias Pintscher.
Le Mahler Chamber Orchestra, qui constitue l’ossature du Lucerne Festival Orchestra se produira le mardi 19 août sous la direction de Daniel Harding dans un programme Dvořák/Rihm : Die Waldtaube op.110 et Symphonie n°9 op.95 « du nouveau monde » d’un côté et une création de Wolfgang Rihm, le concerto pour cor – et en soliste le grand Stephan Dohr, cor soliste du Philharmonique de Berlin, ex-soliste du Lucerne Festival Orchestra.
Le Lucerne Festival Orchestra sous la direction de Claudio Abbado donnera son deuxième programme Brahms les vendredi 22, dimanche 24 et lundi 25 août, en affichant Maurizio Pollini dans le concerto pour piano n°1 en ré mineur op.15 et la symphonie n°3 en fa majeur op.90.
Parallèlement, le Lucerne Festival Academy Orchestra sera pour la première fois dirigé par Sir Simon Rattle le samedi 23 août dans un programme Berio (Coro per 40 voci et strumenti) et Chin (création de Le silence des Sirènes pour soprano et orchestre, avec pour soliste Barbara Hannigan) pendant que la seconde artiste étoile du festival, la violoniste Midori, donnera deux concerts Bach (intégrale des sonates et partitas pour violon seul) dans la Franziskanerkirche les 22 & 23 août.
Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe continuent leur cycle Schumann commencé à Pâques dans deux concerts aux programmes différents, le 26 août avec Isabelle Faust en soliste (Manfred Ouvertüre op.115, Concerto pour violon en ré mineur et la Symphonie n°3  en mi bémol majeur op.97 « Rhénane ») et le 28 août avec Murray Perahia (Ouvertüre, scherzo und finale en mi majeur op.52, Concerto pour piano en la mineur op.54 et symphonie n°2 en ut majeur op.61).

Hormis le concert dirigé par Sir Simon Rattle le 23 août, le Lucerne Festival Academy Orchestra formé de jeunes instrumentistes en formation donnera plusieurs concerts d’un grand intérêt :

–          Le 30 août, concert dirigé par Heinz Holliger avec la participation du chœur de la radio lettone dans un programme Heinz Holliger (Scardanelli Zyklus).

–          Le 1er Septembre, Concert du Lucerne Festival Academy Ensemble dirigé par Matthias Pintscher avec le baryton Leigh Melrose (Berio, Pintscher, Lachenmann)

–          Le 6 septembre, concert dirigé par Matthias Pintscher (pour la création de la version intégrale de Zimt, ein diptychon für Bruno Schulz) avec la Symphonie n°4 de Gustav Mahler (chef non encore connu). Soliste, Barbara Hannigan

Les solistes attendus cette année sont, outre Midori, artiste étoile,
– Lang Lang le 24 août (programme non déterminé)
– Anne-Sophie Mutter et Lambert Orkis (au piano) le 9 septembre (Previn, Mozart, Penderecki – une création pour violon seul, Beethoven)
Le 11 septembre,  Cecilia Bartoli viendra avec I Barocchisti dirigés par l’excellent Diego Fasolis pour un « service après vente » de son CD « Mission » car son programme est justement intitulé « Mission » autour d’œuvres d’Agostino Steffani dont elle assuré une large publicité des derniers mois.

Bien entendu, le festival se doit d’être à la hauteur de sa réputation dans l’invitation d‘orchestres prestigieux pour une série de concerts, ainsi entendra-t-on deux orchestres de fosse dans des programmes symphoniques :

–          Le vendredi 29 août, l’Orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par Philippe Jordan avec pour soliste Anja Harteros (invitée à Lucerne avec l’orchestre de l’Opéra et jamais invitée à l’Opéra de Paris) dans un programme Fauré (Pelléas et Mélisande op.80), Strauss (scène finale de Capriccio), Mussorgski/Ravel, Tableaux d’une exposition.

–          Le dimanche 31 août, le Mariinsky Theatre Symphony Orchestra dirigé par Valery Gergiev dans un programme Wagner (Prélude de Lohengrin), Chopin (concerto pour piano n°1 en mi mineur op.11, soliste Daniil Trifonov, et la Symphonie n°6 en la mineur op.74 « Pathétique » de Tchaïkovski)

Entre les deux concerts, et pour remplir votre week-end, Andris Nelsons et le City of Birmingham Symphony Orchestra (CBSO) proposeront :

–          Le samedi 30 août un programme Beethoven (Concerto pour piano n°5 en mi bémol majeur “L’Empereur”, avec pour soliste Rudolf Buchbinder) et Elgar (Symphonie n°2 en mi bémol majeur op.63, une grande rareté)

–          Le dimanche 31 août à 11h un programme Wagner (Extraits de Parsifal et Lohengrin avec Klaus Florian Vogt).

Un week-end chargé avec des moments qui devraient intéresser les mélomanes et les lyricomanes.

Les autres  soirées symphoniques promettent de grands moments :

Berliner Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle
– le mardi 2 septembre
dans un programme Rachmaninov (Danses symphoniques op.45) et Stravinsky (L’Oiseau de Feu)
le mercredi 3 septembre où sera reproposée la magnifique version scénique de Peter Sellars de la Passion selon Saint Mathieu de Bach, avec le Rundfunkchor de Berlin et une distribution de rêve, Camilla Tilling, Magdalena Kožená, Mark Padmore, Topi Lehtipuu, Christian Gerhaher, Eric Owens.
Si l’on peut aisément se passer du premier concert, Rattle n’étant pas vraiment un chef pour Stravinsky, il ne faut rater sous aucun prétexte ce dernier programme ;: demandez déjà à votre patron une journée de congé !

Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam dirigé par Mariss Jansons dans deux programmes très variés :
le 4 septembre, Brahms (Variations sur un thème de Haydn, op.56a), Chostakovitch (Symphonie n°1 en fa mineur op.10), Ravel (Concerto en sol avec Jean-Yves Thibaudet) et Daphnis et Chloé, Suite n°2.
le 5 septembre, Brahms (Concerto pour violon en ré majeur op.77, avec Leonidas Kavakos) et Strauss (Tod und Verklärung op.24 et Till Eulenspiegel lustige Streiche op.28

N’étant pas vraiment un grand fan de Kavakos, j’aurais tendance à choisir le premier programme, mais la perspective d’entendre cet orchestre enivrant dans Strauss est terriblement tentante quand même.

En revanche, le week-end suivant (dimanche et lundi), il faudrait sans doute faire le voyage tant le programme du Gewandhausorchester Leipzig dirigé par Riccardo Chailly est attirant :
Dimanche 7 septembre, Cehra (paraphrase sur le début de la 9ème Symphonie de Beethoven) et Beethoven ( 9ème symphonie en ré mineur op.125 avec le chœur du Gewandhaus et les solistes Christina Landshamer, Gerhild Romberger, Steve Davislim et Peter Mattei)
Lundi 8 septembre, Mahler (Symphonie n°3 en ré mineur) avec Gerhild Romberger et le chœur de l’opéra de Leipzig, ainsi que le chœur et le chœur d’enfants du Gewandhaus de Leipzig.
Vous aurez compris qu’il sera très difficile de résister à ces sirènes-là.

Le Cleveland Orchestra et Franz Welser-Möst sont traditionnellement présents à Lucerne, cette année le mercredi 10 septembre pour un programme Brahms (Akademische Festouvertüre op.80), Widmann (Flûte en suite) et Brahms (Symphonie n°1 en ut mineur op.68).

Et non moins traditionnellement le Festival se clôt sur la résidence annuelle des Wiener Philharmoniker, pour trois concerts et trois programmes dirigés par Gustavo Dudamel
le vendredi 12 septembre, Mozart (Symphonie concertante en mi bémol majeur Kv364 avec Reiner Küchl et Heinrich Koll, et Sibelius (Le cygne de Tuonela op.22 n°2 et la symphonie n°2 en ré majeur op.43)
le samedi 13 septembre, Strauss (Also sprach Zarathustra), le concert du vainqueur du prix jeune artiste Crédit Suisse, et Dvořák (Symphonie n°8 en sol majeur op.88)
le dimanche  14 septembre, un programme russe un peu racoleur de Rimsky-Korsakov (La Grande Pâque russe op.36 et Shéhérazade op.35) et Moussorgski (Une nuit sur le Mont Chauve).
Pour ma part je choisis le premier programme à cause de Sibelius.

Bien d’autres concerts, (le cycle débutant, le cycle musique ancienne, le cycle moderne) des concerts des phalanges de Lucerne, et du théâtre musical dans tout ce mois  rempli de propositions d’une grande richesse. Il y a quelques week-end à retenir. Et si vous venez en voiture, sachez que l’hébergement est quelquefois moins cher dans les environs, dans un rayon d’une dizaine de km autour de Lucerne.
Allez ! Lucerne vaut bien une messe et la salle de Nouvel une tirelire cassée.

LUCERNE FESTIVAL PIANO (22-30 novembre 2014)

Et si votre tirelire est grosse, une visite au Festival Piano, traditionnellement fin novembre, est assez stimulante, notamment en 2014 où l’on entendra Maurizio Pollini le 22 novembre en ouverture (programme non encore publié) , Pierre-Laurent Aimard le 23 Novembre dans une partie du Clavier bien tempéré de Bach (Livre I BWW 846-869), mais c’est Beethoven qui domine la programmation avec Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra dans l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven les 24 novembre (concertos n°2, 1 & 3) et 26 novembre (concertos 4 & 5), Paul Lewis le 28 novembre (Op.109, 110, 111 de Beethoven), Martin Helmchen le 29 novembre (Beethoven Variations Diabelli – 33 variations en ut majeur sur une valse de Anton Diabelli op.120) et Marc-André Hamelin le 30 novembre (programme non encore connu).  Quelques concerts “débuts” à 12h15 les 26 (vestard Shimkus) 27 (Sophie Pacini) 28 (Benjamin Grosvenor) et un récital Evguenyi Kissin (au programme non encore publié) le 27 novembre complètent une très riche semaine.
À vos tirelires, Lucerne à la folie…!!
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Le KKL de Jean Nouvel