GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2010-2011: LES VÊPRES SICILIENNES de Giuseppe VERDI (Dir.mus: Yves ABEL Ms en scène: Christof LOY) le 16 mai 2011

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GTG/Monika Rittershaus

Excellente idée que de monter la version originale française (1855) des Vêpres Siciliennes. A ma connaissance, cette production, coproduite avec l’Opéra d’Amsterdam est la première depuis longtemps. Plus discutable à mon avis le choix de Christof Loy pour la mise en scène. Non pas qu’il signât un travail médiocre, bien au contraire: l’approche est réfléchie, assez cohérente (il s’agit de montrer les violences des conquérants, l’horreur d’une occupation militaire, et les humiliations des peuples soumis). On savait – et ce fut reproché à Verdi-, que pour l’exposition universelle de 1855 à Paris, le sujet n’était pas très francophile et ne présentait pas les français sous leur meilleur jour, mais là, ce sont carrément des bêtes sauvages: viols, humiliations, tortures à la Abou Graïb

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(les femmes rampant dans du verre pilé), jusqu’à Montfort qui égorge une femme récalcitrante avant de s’attendrir sur son fils retrouvé.
Le livret qui reste faible (une première partie qui traîne en longueur, un ballet central passable et souvent coupé, une seconde partie qui concentre les moments les plus lyriques de la partition) est torturé par Loy, qui place l’ouverture après le premier acte (les raisons données dans le programme apparaissent faibles, visant à empêcher de faire de l’ouverture un “pezzo chiuso” symphonique, mais un morceau déjà inséré dans un déroulement dramatique), qui impose de longs silences, et qui rend certains moments confus: Montfort est tué par injection létale, mais réapparaît (fantôme? fantasme?) au cinquième acte, le visage légèrement blanchi. La construction viserait à un premier acte prologue, à trois actes de l’opéra qui se concluent par le mariage de Hélène et Henri et un épilogue vécu ou rêvé/vécu, ou totalement rêvé qui projette les protagonistes dans une vie future  (un enfant, un ménage tranquille) impossible à vivre dans la réalité. Le décor est noir, les lumières ont la crudité des néons, les costumes sont grosso modo des costumes d’aujourd’hui, sauf que la cour de Montfort est en costumes Louis XIV, et que d’ailleurs lui-même troque, lors de la grande scène avec son fils Henri, le smoking contre l’hermine du Roi Soleil. Tout cela répond à un vrai parti pris, on peut tout expliquer et tout justifier de ces choix et Loy a bien décortiqué le livret: le seul problème est de savoir si cela en valait la peine ou si l’oeuvre le justifie.

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A mon avis, cette représentation d’un opéra dans une version rarissime que le public découvre pouvait faire l’objet d’un travail réel sur le Grand Opéra, en en respectant les règles (choix de Klaus Michael Gruber a Bologne il y a 25 ans), soit par une mise en scène plus lisible – ce n’est pas le cas –  soit par une véritable réadaptation (un peu ce qu’a fait Peter Kontwistchny à Vienne et Barcelone sur Don Carlos). Loy torture le livret pour lui faire dire ce qu’il veut, en noircissant à l’excès les caractères; or, chez Verdi, les personnages ne sont jamais tout à fait  noirs (sauf Iago peut-être). Montfort, passant de l’excès de monstruosité à l’excès d’amour paternel le réduisant à un pantin est le seul personnage un tant soit peu fouillé dans cette vision en noir et blanc. Le résultat, de nombreux départs à l’entracte!

Et le ballet ?

photo-vepres-005b.1305668555.jpgLe ballet

GTG/Monika Rittershaus

La version française impose le ballet (ici “les quatre saisons”, que le chorégraphe appelle “les saisons” ), et Kontwitschny pour Don Carlos comme ici Loy et son chorégraphe Thomas Wilhelm utilisent le ballet pour dire tout ce qui n’est pas dit, les rêves des personnages principaux, rêve de vie petite bourgeoise et familiale chez Eboli pour Don Carlos, rêve d’une vie normale et d’une enfance heureuse pour Henri et Hélène dans un décor de maison à la Christoph Marthaler, un peu “cheap”, meubles simples, objets surannés, papier peint horrible . Ce décor se retrouve au cinquième acte et ne se désintègre qu’au moment du massacre: il correspondrait donc à un décor de rêve très petit bourgeois et réducteur (la vision d’Henri avec sa poussette!) de ces protagonistes héroïques et romantiques. Au total, ce travail, bien qu’il soit vraiment approfondi, va à l’opposé de ce qu’il se propose de faire: au lieu de revaloriser un livret faiblard, il l’enfonce complètement et contribue à l’échec de la représentation. Il eût peut-être mieux valu ne proposer qu’une illustration un peu luxueuse, pour cette fois, cela aurait suffi, car les Vêpres Siciliennes, opéra que j’aime, très lié à ma jeunesse parisienne, ne valent peut-être pas un tel déploiement dramaturgique qui tombe à vide et finit par sonner ceux…
Et pour l’accompagner, il eût en tous cas fallu un versant musical fort, qui emportât le public tel un ouragan. On en est loin: si le choeur, très sollicité est comme d’habitude à Genève vraiment magnifique,  la direction musicale d’Yves Abel, très sage, trop sage, propose une lecture au total assez plate, sans pathos, sans élan, appliquée. C’est dommage pour ce chef souvent talentueux. Le résultat est un peu monotone, et l’absence de relief conduit à l’ennui. Quant aux chanteurs ils sont  inégaux: Hélène

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(Malin Byström, à l’orée d’une carrière qui promet) a les aigus, le volume, les agilités (à la limite), mais pas de graves, et pas beaucoup de vaillance, un peu trop “chic” et froide. Là où il faudrait une pasionaria, on a droit une jeune femme élégante et un peu renfermée. Balint Szabo en Procida est très correct, mais la voix est un peu claire pour le rôle, malgré des graves intéressants,  avec un registre central très pâle et des aigus courts. Magnifique en revanche, le meilleur de tous, prodigieux de volume, de style, de phrasé, le seul “en phase” avec le style requis, le Montfort de Tassis Christoyannis, encore un baryton qui s’ajoute à la liste déjà longue des excellents barytons à découvrir aujourd’hui.
Reste Henri. on sait qu’Henri n’est pas à donner à un ténor qui chante l’Arrigo de la version italienne: il faut ici un ténor de style français, un Werther, un Hoffmann ou un Faust, plutôt qu’un Manrico. Alagna ferait merveille car il peut chanter les deux avec le style adapté. Gedda fut extraordinaire et c’était la voix voulue. Il faut du style, du raffinement, une voix très étendue, ductile, passer de la voix de tête à la voix de poitrine,  un phrasé et une diction modèles. Le Henri du brésilien Fernando Portaria  à part quelques “mezze voci”  bien contrôlées a un timbre très banal et surtout une totale absence de style, doublée d’un français très problématique, alors que de ce point de vue, tous les autres sont très au point. Il a donc des défauts délétères pour ce type de rôle. Authentique erreur de casting: on aurait pu choisir un ténor du profil d’Alexei Kudrya, vu sur cette scène dans I Puritani, il eût sans doute complètement changé la couleur musicale du rôle et contribué à une meilleure réussite d’ensemble. Mais rares sans doute sont les ténors qui acceptent d’investir du temps et d’apprendre en français un rôle pareil, difficile et risqué, qu’ils ne chanteront pas ensuite sur toutes les scènes du monde…

Au total une vraie déception: une erreur de point de vue sur la mise en scène, qui brouille la musique et qui la perd, parce qu’elle n’est pas dans ce spectacle suffisamment  haletante, parce qu’elle palpite insuffisamment, parce qu’elle manque de passion et de dynamisme, et qu’elle ne réussit pas à animer un exercice intellectuel qui reste un inutile exercice de style sans âme.
Christof Loy devrait faire le Ring à Genève, c’est un metteur en scène apprécié du directeur du Grand Théâtre Tobias Richter…attendons.

Attendons, mais  constatons: Genève, dans la cartographie de l’opéra en Suisse, est le théâtre de couleur latine, autre système (stagione), autres types d’approches scéniques, plus variées, plus ouvertes: Tobias Richter germanise à l’excès ses  choix scéniques alors que Bâle ou Zürich sont là pour cela. En abandonnant ce qui fait la personnalité de Genève, que Jean-Marie Blanchard ou Hugues Gall ont si bien contribué à maintenir, et à quel niveau, il risque de faire plonger le Grand Théâtre dans une aimable médiocrité que les choix assez discutables de distribution ne réussissent pas toujours à relever.

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GTG/Monika Rittershaus

NABUCCO et MUTI à l’OPERA DE ROME: L’ITALIE QUAND ELLE EST GRANDE

Vous avez sûrement entendu parler de cet événement, retransmis sur ARTE, le bis du “Va pensiero..” Choeur des esclaves hébreux de Nabucco, par Riccardo Muti. Je vous en redonne le lien. Je renvoie aussi  ici aussi au site AGORA VOX (cliquer sur le lien), que j’ai consulté suite à un mail reçu.

Au-delà de l’émotion de ce moment – les dernières images du choeur en larmes sont tellement éloquentes – il faut  souligner que, au contraire de Claudio Abbado ou d’autres comme Maurizio Pollini, Riccardo Muti n’est jamais intervenu dans le débat politique, qu’il a plutôt la réputation d’un modéré, en tous cas pas d’un homme marqué à gauche. Son initiative en est d’autant plus symbolique et montre aussi la situation morale et politique d’un pays qui a construit toute sa grandeur sur l’art et la culture et aussi sur son incroyable faculté à rebondir, même dans les situations les plus désespérées et les plus critiques.  C’est souvent au moment où d’autres se laisseraient aller dans le pessimisme et le desespoir, au bord du goufre, que les italiens savent déployer une énergie vitale et collective incroyable.
La situation des institutions culturelles est très difficile, le gouvernement a plus ou moins fait le choix de conserver des subventions aux trois théâtres symboliques, Teatro alla Scala, Opéra de Rome et Teatro del Maggio Musicale Fiorentino de Florence (dans une moindre mesure), et de frapper plutôt les autres: par exemple la situation de Gênes est désespérée, malgré un magnifique instrument (le Teatro Carlo Felice). Même quand elles doivent arriver, les subventions d’Etat tardent, les réponses sont floues, et mettent les institutions dans des situations d’endettement impossibles. Depuis le loi sur les fondations qui fait des grands théâtres des fondations de droit privé, on s’aperçoit que ce qu’on disait alors ne se vérifie pas, l’argent privé veut bien financer là où l’image est forte (Fenice de Venise, Scala de Milan, Rome), mais pour le reste, ceux qui mettent la main au porte monnaie sont essentiellement des institutionnels (Communes, Régions) ou des organismes financiers semi-publics: les fondations restent donc essentiellement financées sur des fonds publics, quand la loi devait permettre d’ouvrir largement au financement privé.

Depuis longtemps le paysage devient de plus en plus noir: la situation des théâtres est encore pire que celle des opéras (l’opéra est en Italie l’art vivant le mieux doté), et vivre du métier d’acteur est un défi impossible dans la péninsule. Les saisons se réduisent, les postes fixes disparaissent au profit de contrats précaires, beaucoup de compositeurs contemporains travaillent mieux à l’étranger  que dans leur pays, alors que les artistes ont toujours été les plus grands ambassadeurs de l’Italie dans le monde. Souvent d’ailleurs ils se sont dressés pour que vive une certaine idée de l’Italie, comme Verdi bien sûr, mais aussi Arturo Toscanini contre le fascisme, Claudio Abbado ou Maurizio Pollini au moment des années de plomb.

La culture en Italie est souvent un vecteur de lutte, un moyen de dire non. Alors, la soirée de ce Nabucco à l’Opéra de Rome est un indice fort que commencent à se redresser ceux qui se sentent humiliés et meurtris par le spectacle grotesque qui est offert au sommet de l’Etat, mélange d’Ubu et de Shakespeare: malheureusement, depuis “Mani pulite” au début des années 90, un système a été détruit, mais on a reconstruit le même en pire, et la classe politique italienne (de droite et de gauche d’ailleurs) reste, à quelques exceptions individuelles près, d’une très grande médiocrité. Les grands hommes en Italie sont des hommes de culture, et ils sont alors si grands, qu’ils dépassent largement les frontières du pays, normal dans un pays qui a vu naître Dante, le plus grand écrivain de tous les temps, déjà en butte aux politiciens locaux de son époque…

PS: A ce qu’il paraît Silvio Berlusconi n’était pas dans la salle le 11, mais le 17 mars. Qu’importe l’entourloupe médiatique: il reste que la salle a chanté en choeur le “Va pensiero”, que Riccardo Muti a bien dit ce qu’il a dit, et que c’est une réponse symbolique au pouvoir de toute manière.

DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/VERDI: I VESPRI SICILIANI – Appendice: Riccardo MUTI en 1978

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Il  me restait à découvrir l’enregistrement de Riccardo Muti, acheté récemment sur un site allemand fort complet http://www.jpc.de/ (attention les frais de port sont souvent importants, mais la livraison est rapide et le choix bien plus large que tous les sites français habituels). J’ai reçu l’enregistrement (GALA GL 100.611, 3CD) dont le son est correct, et qui permet en tous cas d’établir les comparaisons qui manquaient à mon regard sur cet opéra.

renata_scotto.1295092445.jpgRenata Scotto

Incontestablement, les atouts de l’enregistrement sont d’abord Muti et Scotto, puis Bruson et Raimondi. Veriano Lucchetti est un très bon ténor, mais il semble être bien à la peine dans la deuxième partie et notamment au quatrième acte (exactement comme Chris Merritt dans les représentations de la Scala).

Moins techniquement spectaculaire que dans son enregistrement avec Gavazzeni (une dizaine d’années auparavant il est vrai), Renata Scotto est chez Muti plus vivante, plus engagée, et impeccable, elle est définitivement la grande Elena de ces années-là. Bruson est aux débuts de la carrière que l’ont sait et il est somptueux, Raimondi est bien meilleur que chez Gavazzeni, la voix s’est assombrie (c’est le moment où il va aborder Boris), mais garde cette brillance qui la caractérisait alor. Au total, un quatuor vocal  plus que solide, petites faiblesses de Lucchetti mises à part, accompagné par un orchestre étourdissant.
Riccardo Muti est alors au sommet de son art, dans cette période de sa vie où dominent son engagement, sa manière d’imposer un style brutal, violemment contrasté, incroyablement énergique, mais capable de modulations de rêve, de douceurs, de retenue aussi. Et avec tout le ballet!
Il a dit plus tard que s’il avait continué à diriger comme cela, il aurait brisé sa carrière. Voire. Muti est un intuitif, un sanguin, mais aussi un inquiet. On l’a accusé alors d’être superficiel et de rechercher l’effet. Rien n’est plus faux, car rien n’est gratuit dans sa manière d’aborder les oeuvres. Il collait à ces oeuvres en leur donnant une incroyable vitalité, un bouillonnement qu’on a des difficultés à trouver dans ses productions plus tardives, notamment verdiennes. J’ai plusieurs fois souligné dans ce blog combien ses productions scaligères à partir de 1991 était soucieuses d’être l’expression d’une pensée mûre. A l’époque, je disais “aïe, quand Muti se met à penser, il fait moins de musique”. Nous aimions le Muti qui laissait libre cours à sa créativité, à ses intuitions à ses sensations.

Son dernier Trovatore à la Scala fut à ce titre absolument mortel de fausse profondeur. Beaucoup de vieux spectateurs de la Scala avaient la même impression: que le Muti de Florence reste incomparable, sensible, intuitif, ou du moins le seul à soutenir la comparaison avec l’autre astre verdien, Claudio Abbado, avec des moyens et des points de vue radicalement opposés.

Alors, il est difficile de choisir, je maintiens que l’approche de Levine dans le disque officiel avec Domingo et Arroyo reste la référence pour moi pour entrer dans l’oeuvre. Incontestablement le ténor à entendre est Nicolaï Gedda au MET avec Caballé. Mais si l’on veut une référence “live”, on choisira cette version de Muti.
Et aujourd’hui, qui pourrait s’y coller ?
Dans les chefs, les jeunes, je vois Andris Nelson ou Gustavo Dudamel, qui ont la dynamique voulue pour ce type de répertoire. Dans les moins jeunes, Pappano bien sûr, le grand verdien actuel à mon avis. Mais on peut encore faire confiance à Muti s’il s’appuie sur un quatuor de choc: on a le ténor voulu, c’est Jonas Kaufmann, qui a la voix “technique”  et la maîtrise (il serait idéal techniquement dans la version française), mais le timbre est peut-être trop sombre; Francesco Meli pourrait être une alternative, moins prestigieuse, mais cette voix rompue au répertoire bel cantiste pourrait se frotter à Henri (moins peut-être à Arrigo). Je ne pense pas que Grigolo ait le style voulu malgré son timbre solaire. Alagna jadis aurait pu..mais….
Dans Elena, Anja Harteros aurait l’intensité, le physique, la dramaticité voulue… et aussi la technique. Dans Monforte, pourquoi pas Mariusz Kwiecien. Reste Procida pour lequel je vois bien un René Pape qui chante Philippe II régulièrement, ou Giacomo Prestia, qui a l’avantage d’être italien. Bref, on pourrait monter des Vespri (ou des Vêpres) acceptables aujourd’hui…
Faites-vous plaisir, faites-moi plaisir, écoutez les Vêpres Siciliennes, ou faites le voyage de Genève cette saison, l’oeuvre en vaut la peine.

DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/VERDI: I VESPRI SICILIANI

I vespri siciliani fit les grandes heures verdiennes de l’Opéra de Paris version Liebermann. La première saison (Printemps 1973), l’opéra présenta les fameuses Noces de Figaro de Strehler, Orphée et Eurydice de Gluck avec Nicolaï Gedda en Orphée -aujourd’hui on pousserait des cris d’orfraie-,  Parsifal de Wagner et Il Trovatore, originellement prévu avec le jeune Riccardo Muti et Luchino Visconti. Mais le projet n’aboutit pas et Muti refusa de diriger. Le chef partit mais restèrent les chanteurs: tantôt Gwyneth Jones en Leonora, tantôt Shirley Verrett en Azucena. On eut aussi Cossuta ou Domingo en Manrico, Cappuccilli en Luna, Scotto en Leonora, Cossotto en Azucena. Bref, du rêve en continu. Mais les chefs pour Trovatore se firent attendre et désirer…

La seconde production verdienne (1974) fut l Vespri Siciliani, qui demeura l’une des grandes réussites de l’ère Liebermann. Opéra rarement donné à l’époque, et notamment en France, alors que l’oeuvre a été créée en Français pour Paris à l’occasion de l’exposition de 1855 (Livret de Eugène Scribe). Il est vrai que Verdi n’avait pas vraiment choisi un sujet francophile, puisqu’il s’agissait de rappeler le massacre des occupants français de Sicile par les Siciliens, une occasion de célébrer le sentiment national italien. Un autre opéra de Verdi, Giovanna d’Arco, n’eut jamais en France l’heur de plaire, vu que l’histoire (tirée de Schiller) ne correspond pas exactement, c’est le moins qu’on puisse dire, à l’histoire de Jeanne telle que des millions de petits français l’apprennent dans la Légende Dorée des gloires nationales. D’autres opéras de Verdi en Français  n’ont pas eu non plus de destin fabuleux, Don Carlos, bien sûr, éclipsé par Don Carlo, ce chef d’oeuvre que je préfère dans sa version française, plus longue, plus développée, plus étirée sans doute, mais à la musique sublime, et Le Trouvère, version française élaborée par Verdi avec des éléments spécifiques qu’on ne retrouve pas dans la version italienne. Voilà du grain à moudre pour Nicolas Joel si Verdi revient vraiment à la mode avec des chanteurs adéquats…Mais je m’égare.

Ces Vespri Siciliani étaient présentés dans une production très épurée de John Dexter (1) et dans des décors impressionnants (un escalier monumental) de Josef Svoboda, production partagée avec le MET de New York et dirigée par le suisse Nello Santi, qui eut toujours dans cette oeuvre un énorme succès, alors qu’il fut plus contesté dans les autres opéras qu’il dirigea par ailleurs. Dans mon souvenir, je vis cette production pour la première fois avec Martina Arroyo, Placido Domingo, Roger Soyer, David Ohanesian; on y vit aussi en alternance  Cristina Deutekom, Peter Glossop, Ruggero Raimondi (ah, ce “O tu Palermo”!), Franco Bonisolli. Arroyo était irremplaçable dans Elena, et que dire de Domingo qui chanta peu ce rôle !

Je revis tardivement des Vespri Siciliani, à la Scala, avec Muti, dans une mise en scène ennuyeuse de Pier Luigi Pizzi avec Chris Merritt, Cheryl Studer, Giorgio Zancanaro et Ferruccio Furlanetto, et je me souviens bien de la Première du 7 décembre 1989: le plus gros succès, triomphal et délirant, fut remporté par …Patrick Dupont, soliste du ballet que Muti avait réinséré pour l’occasion. Merritt et Studer se firent huer copieusement. Et la production tomba dans l’oubli.

Cette saison, Amsterdam (en septembre dernier) et Genève (en mai prochain) coproduisent et programment Les Vêpres Siciliennes dans la version française, dans une mise en scène de Christof Loy. C’est une occasion exceptionnelle qu’il ne fait pas rater, quelle que soit la distribution, quelle que soit la mise en scène. Il  existe un enregistrement de la version française chez Arkadia, reprise d’un concert londonien dirigé par Mario Rossi en 1969 avec Jacqueline Brumaire (Hélène) et Jean Bonhomme (Henri). Ce n’est pas inoubliable, mais comme c’est le seul enregistrement existant à ma connaissance…

La version italienne en revanche est bien servie par le disque, notamment “live”. On ne peut dire qu’il y ait une version plus faible que les autres. les deux versions “officielles” sont celle de James Levine avec le New Philharmonia Orchestra et Arroyo, Domingo, Milnes, Raimondi enregistrée suite aux représentations du MET en 1974 et contemporaine des représentations parisiennes, et celle de Riccardo Muti, faite en direct à la Scala en 1989 avec Studer, Merritt, Zancanaro, Furlanetto, plus complète puisqu’elle comprend la musique du ballet. Pour des raisons qui tiennent à l’histoire de ma relation à cette oeuvre, je préfère évidemment la version Levine, avec une bonne partie de la distribution entendue à l’époque à Paris un Domingo (Arrigo) jeune et éclatant,  et une Martina Arroyo (Elena) au timbre solaire et un Raimondi (Procida) un peu en retrait. Même Sherill Milnes est moins froid qu’à l’accoutumée dans Monforte. Levine, qui est très bon chef pour Verdi, emporte l’ensemble avec feu et énergie, tout cela palpite, halète, séduit. C’est un Verdi de chair et de tripes, merveilleusement chanté, comme je l’aime.

J’avais assisté aux représentations de la Scala qui ont donné l’occasion du second enregistrement. C’était le début des problèmes pour les voix verdiennes, c’est aussi le moment où Riccardo Muti a complètement changé sa manière de diriger Verdi. Le sommet de Muti dans Verdi, c’est la Forza del Destino (Freni-Domingo) un sommet inégalé, enregistré trois ans auparavant, et c’est aussi toute sa première manière, énergique, avec des accélérations démentes, des contrastes à la limite du supportable, une dynamique et une vie qui en firent à l’époque une des deux références pour Verdi (l’autre étant évidemment Claudio Abbado), on en a des traces dans son Aida, son Ballo in maschera ou même son Macbeth, éclipsé par celui d’Abbado, mais qui reste un magnifique enregistrement que tout mélomane doit posséder. Mais c’est dans ses “live” faits à Florence qu’il étonna (Ah! son Trovatore, son Otello (avec un époustouflant Bruson et une Scotto de rêve)! A partir des années 90, le Verdi de Muti, tout en restant une merveille d’orchestration, s’aplatit, se banalise, devient presque ennuyeux (au fur et à mesure qu’il dirige à la Scala La Forza del Destino, on entend de plus en plus une routine, et son dernier Trovatore fut vraiment mortel) à force de rechercher des effets sonores preqaue mozartiens, tout cela devient froid, plein d’afféteries et presque indifférent. Ces Vespri Siciliani souffrent d’être trop léchées, trop sages, et pas suffisamment portées par le plateau: voulant se rapprocher de la version française, et du style français qu’elle impose, il demande à Merritt de chanter quelquefois en voix de tête avec de bien vilains sons (IVème acte). Et Studer n’est pas et ne sera jamais un soprano lirico colorature.On est loin de la chair et du sang qu’on trouve chez Levine. C’est que le rôle d’Arrigo est complexe à distribuer: il n’est pas sûr que Domingo, malgré son timbre, malgré son charisme, malgré le souvenir qu’on a de lui dans cette oeuvre, soit vraiment un Arrigo, qui n’est pas vraiment un ténor construit au moule italien. Arrigo (ou Henri), c’est un ténor de couleur plus française (Un Vanzo pouvait faire merveille là dedans, et Gedda fut impérial)

Mes Vespri Siciliani, en version officielle ce sont celles de Levine, sans hésitation !

Sans hésitation, certes pour la version officielle, mais si on commence à considérer les enregistrements “live” on ne peut que bousculer ce classement: j’en possède trois sur les quatre à posséder (il me manque Muti en 1978 à Florence, qui je le sais est une merveille à l’orchestre, avec une Renata Scotto d’exception).
Le premier est connu de tous les amateurs, Maria Callas, Boris Christoff à Florence avec l’immense Erich Kleiber. Le quatrième acte de Callas impose l’admiration silencieuse et Kleiber impose une vision plus mature de Verdi que le son “Grand Opéra” plus adapté à cette oeuvre.

Gavazzeni ouvre la saison 1970-71 de la Scala avec un quatuor de chanteurs de choc : Renata Scotto, Gianni Raimondi, Piero Cappuccilli, Ruggero Raimondi. On peut discuter la direction un peu “Zim boum” de Gavazzeni (l’ouverture!), aux tempi un peu lents, à qui il manque pour mon goût cette palpitation que je trouve chez Levine. Mais cela reste de la très belle ouvrage. Gianni Raimondi n’est pas vraiment une grande personnalité en Arrigo mais il se sort des pièges du rôle. Ruggero Raimondi et Piero Cappuccilli font merveille, mais on s’arrêtera sur Renata Scotto. Voix claire, style un peu maniéré, mais quelle maîtrise technique, quel contrôle du son, et des aigus à faire pâlir: extraordinaire! Dans le même disque, un bonus avec Leyla Gencer (qui alternait avec Scotto) dans quelques extraits aux côtés du pâle Giorgio Casellato Lamberti. Confrontation intéressante entre deux timbres radicalement différents, celui plus sombre de Gencer,  avec une fluidité du chant et une facilité à donner de la couleur qui stupéfie.

Enfin, Levine au MET avec  Montserrat Caballé, Nicolaï Gedda, Sherill Milnes, Justino Diaz, malgré une prise de son, notamment au début qui rend l’écoute très difficile voire pénible (il faut tendre l’oreille pour entendre les voix) dispute la palme avec la version Gavazzeni. C’est à peu près le seul témoignage de Caballé dans Elena, alors qu’elle était à l’époque considérée comme l’une des spécialistes de ce rôle: fluidité, aigus aériens, agilité, mais aussi émotion, mais aussi énergie (plus que d’habitude!) en font une Elena de toute première grandeur. A cette Caballé si lyrique si “naturelle” (plus naturelle que Scotto en tous cas), répond un Arrigo surprenant, Nicolaï Gedda, qu’on entendait à l’époque à Paris, dans Faust, dans Hoffmann, dans Orphée. Gedda, c’est une voix étendue, qui montait jusqu’au si, c’est ensuite une technique redoutable, une élégance inégalée et une diction unique. Et son Arrigo est une merveille, voilà celui qu’il aurait fallu entendre dans la version française ! Il a tout, les aigus, les cadences, le style, le lyrisme, mais aussi  l’allant: certes ce n’est pas une couleur à proprement parler italienne, mais cet opéra est à la fois un Grand Opéra à la française, héritier de Meyerbeer, et aussi un opéra italien (on a bien vu que Domingo même un peu inadapté dominait parfaitement un rôle qu’il estimait pourtant pour lui très difficile). Il faut entendre ses duos avec Caballé, et son “Giorno di pianto” du quatrième acte unique dans les annales (comment il tient la note sur le “disprezzo” final), c’est incontestablement l’Arrigo le meilleur de tous et sans doute le moins attendu.
Si Milnes est comme toujours impeccable, la surprise vient aussi de Justino Diaz, impressionnant Procida aussi bien dans son air d’entrée (Oh! tu Palermo) que dans les ensembles (quatrième acte). Et si c’était là ma version?

On l’a vu, il est très difficile de choisir entre ces version qui toutes ont quelque chose qui attire l’attention, et des atouts qui rendent le choix très difficile. D’autant que l’oeuvre est hybride et ne se laisse pas immédiatement appréhender. Pour découvrir sans nul doute, Levine (BMG ex.RCA), pour jouir des voix, Gavazzeni, et pour le bonheur – malgré un son pénible – Levine Caballé et Gedda.J’ai commandé Muti 1978. La suite à réception!

(1) Dexter fit aussi à Paris La Forza del Destino, mais avec beaucoup moins de bonheur scénique -même si le plateau fut toujours éblouissant: c’étaient les années où l’on distribuait aisément Verdi, mais pas Wagner. Les temps ont bien changé.

IN MEMORIAM : SHIRLEY VERRETT et PETER HOFMANN

SHIRLEY VERRETT

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Ces dernières semaines ont été marquées hélas par de nombreuses disparitions, Joan Sutherland, que je ne vis qu’une fois lors d’un concert à Garnier, Shirley Verrett qui  frappa de stupeur le jeune mélomane que j’étais, dans Azucena, où elle était une hallucinante bête de scène douée d’une voix incroyable, au-delà du réel tant elle était présente, chaude, puissante, sauvage! Mais  Liebermann hélas ne l’appela plus, lui préférant la Cossotto. Il faudra attendre les années 80 pour la revoir si souvent, impériale dans Gluck (une inoubliable Alceste, mais aussi une Iphigénie de rêve), bouleversante dans le Moïse de Rossini où elle chante une éblouissante Sinaïde. Elle fut aussi une grande Lady Macbeth à Paris,

verrett4.1292194164.jpgmais elle fut surtout à jamais inoubliable dans celle de Milan, avec Strehler et Abbado avec cette cape à traîne qui se croisait avec la cape de Macbeth-Cappuccilli au premier acte ou qui traçait son parcours dans la scène de la folie, images gravées pour la vie dans notre mémoire de spectateur. Mezzosoprano aux moyens de soprano, elle osa aussi Desdemona ou même Norma après avoir été une grandissime Adalgisa. Mais elle fut toujours moins convaincante dans certains rôles de soprano (Norma) que dans les rôles de mezzo où elle fut  irremplaçable.

verrett3.1292194156.jpgElle frappait le spectateur, qui ne la quittait pas des yeux, par son port altier et sa stupéfiante beauté. Son Alceste était à ce titre anthologique, tout comme sa Lady Macbeth. Elle revint à Paris pour inaugurer Bastille dans les Troyens de Pizzi où elle fut Didon, à jamais, face à une Bumbry tout aussi mythique.
Ainsi s’éteint un mezzosoprano qui porta le chant verdien à son sommet. Jamais remplacée depuis qu’elle quitta la scène.

PETER HOFMANN 

peterhofmann.1292194769.jpgPeter Hoffmann aussi nous a quittés, à 66 ans seulement, emporté par une maladie de Parkinson qui l’attaqua très tôt. Il restera pour moi à jamais le Siegmund de rêve de la mise en scène de Chéreau: jeune, frais, un enfant perdu au milieu de méchants, image qui frappa tous les spectateurs de ce sommet qu’était le premier acte de la Walkyrie.

ringboulez.1292194631.jpgAvec Gwyneth Jones (Walkyrie, Chéreau, Acte II)

Il fut aussi Siegmund à Paris avec Solti dans la mise en scène de Grüber. A Paris on le vit aussi dans le 3ème acte de Parsifal avec Karajan, tout comme à Bayreuth avec Levine et Rysanek puis la jeune Waltraud Meier dans la mise en scène de Götz Friedrich. Il était la star des ténors wagnériens des années 80, notamment à Bayreuth où il fit aussi

peterhofmann3.1292194580.jpgLohengrin et où il aborda Tristan avec Barenboim dans la belle mise en scène de Ponnelle.

A la fin de la décennie, je l’entendis à Bayreuth dans un Tristan pour la dernière fois, avec une phénoménale Catarina Ligendza, artiste injustement oubliée aujourd’hui, qui fut l’une des grandes Isolde de la fin du XXème siècle. Déjà atteint par la maladie, il marqua plus qu’il ne chanta le dernier acte, ce fut la dernière fois je l’entendis .
Sa stature, son physique de Dieu pangermanique, ses cheveux très blonds, son aspect héroïque, tout le prédestinait à chanter les grands ténors wagnériens. Seule la voix est toujours restée en deçà, dans Siegmund comme dans Tristan. C’était un bon Parsifal, un bon Lohengrin, mais il ne fut jamais un chanteur de légende, bien qu’il eût dans les années 80 une notoriété internationale absolument exceptionnelle. Il fut le ténor wagnérien de Karajan avec qui il fit Pasifal, Lohengrin, mais aussi Erik du Vaisseau Fantôme, il fut le ténor vedette de Bayreuth à un moment où le chant wagnérien peinait à trouver ses stars. Il accompagna lui aussi mon parcours et je le vis souvent sur les scènes, mais assez rarement à Paris.

Il était au départ chanteur de rock, il finit chanteur de musical (Le fantôme de l’Opéra) avant d’être terrassé définitivement par la maladie et de finir dans le besoin. Triste destin d’un chanteur qui fut à un moment de l’histoire de l’Opéra incontournable dans toute distribution wagnérienne.

TEATRO ALLA SCALA 2009-2010: SIMON BOCCANEGRA de Giuseppe VERDI avec Placido DOMINGO et Anja HARTEROS (24 avril 2010)

Une barque et une voile en ombre, une lumière ocre, et un génie de la scène, Giorgio Strehler. Qui n’a pas vu au moins cette photo sur la couverture du CD de Simon Boccanegra dirigé par Claudio Abbado et les forces de la Scala, qui n’a pas vu la magnifique vidéo qui en a été faite par la RAI ? Qui enfin, – de ma génération- n’a pas vu ce spectacle, qui a fait le tour du monde (Londres, Washington, New York, Tokyo, Vienne, Paris) puisqu’au temps où la Scala faisait des tournées, il était montré partout comme la production emblématique de l’époque avec son quintette vocal de choc : Mirella Freni, Piero Cappuccilli, Nicolaï Ghiaurov, Felice Schiavi, Veriano Lucchetti. Abbado lui-même, partant diriger Vienne en 1986, a fait acheter par le Staatsoper la production de Strehler (de 1971 !) qui a été détruite aussitôt Abbado parti à Berlin (signe de l’intelligence des dirigeants viennois de l’époque). C’est aussi la magie de cette production, qui a fait couler des flots de larmes, qui poussa Rolf Liebermann a faire appel à la même équipe pour inaugurer son « règne » pour « Le nozze di Figaro » en 1973, production qui fut aussitôt pour Paris un emblème tel que Nicolas Joel à Bastille va en proposer l’an prochain la version abâtardie, faite pour la Scala en 1981, qu’on a déjà affichée au temps de Hugues Gall (puisque la version originale ne convenait pas aux dimensions de Bastille je crois).
C’est dire que Simon Boccanegra est un titre qui a marqué l’histoire de la Scala, l’histoire de l’opéra aussi car ce titre peu joué jusqu’alors fut redécouvert et se trouve désormais régulièrement dans les saisons d’opéras, il a marqué le règne de Claudio Abbado à Milan, la vie et la carrière même de Claudio Abbado, puisqu’en 2000, il a repris à Salzbourg l’opéra de Verdi dans une production assez terne de Peter Stein, avec une distribution sur le papier somptueuse (Mattila, Alagna), mais en réalité plus pâle à cause d’un Carlo Guelfi inexistant en Simone, mais surtout à cause des souvenirs trop prégnants…Et dans ce cas les souvenirs n’embellissent rien : chaque fois que je regarde la transmission vidéo tant de Paris (j’ai la chance de posséder ce document rarissime !!) que de Milan (celle là, tout mélomane qui se respecte doit la posséder), je suis pris à la gorge par l’émotion et par l’incroyable qualité du chant et de l’interprétation. Le Simon Boccanegra d’Abbado est un miracle, quelle que soit la version, quel que soit le lieu d’exécution (je dois bien en posséder une dizaine de versions).
Stéphane Lissner , l’année même du retour d’Abbado à la Scala les 4 et 6 juin prochains, ose proposer le Simon Boccanegra, avec comme attraction essentielle Placido Domingo dans le rôle titre et Anja Harteros, la diva extraordinaire éclose ces dernières années dans celui d’Amelia. Ce spectacle, que j’ai vu à Berlin, appelle incontestablement des commentaires : rappelons qu’à Berlin ni la mise en scène de Federico Tiezzi, ni les décors de Maurizio Balò, ni la direction de Daniel Barenboim ne m’avaient convaincu. Qu’en est-il ce soir, après six mois ?
D’abord, les décors de Maurizio Balò n’ont pas été repris, un nouveau décorateur, Pier Paolo Bisleri, a été appelé pour en faire d’autres, dans le même esprit (assez dépouillés, géométriques, censés figurer une jetée, un bord de mer, quelques arbres (suspendus pendant le duo Simone-Amelia).
La mise en scène reste indigente, sans grandes idées, sans véritable direction d’acteurs (ils sont livrés à eux-mêmes), un travail traditionnel sans image forte, une fin complètement ratée. Dans le programme de salle, Tiezzi en appelle à Shakespeare. Ah ! si au moins cet appel avait provoqué quelque lumière. Evidemment, les spectateurs ont en tête la mise en scène de Strehler, qui avait en plus l’avantage d’être en phase avec la musique, chaque geste correspondant à une phrase musicale. Tout le mystère nocturne du prologue devient ici une sorte d’assemblée des dockers, sur fond de cordage, le Palais des Fieschi, un escalier sur la gauche, avec des mouvements pas vraiment fluides. De plus, alors que tous nous avons en tête justement une certaine fluidité musicale, avec des intervalles réduits au minimum, ici, les intervalles entre chaque tableau durent au moins 5 minutes. Ce qui finit par ralentir le rythme : on le ressent à la fin du premier acte, entre le court intermède avec Paolo et la scène du conseil. Ce travail à Berlin comme à Milan, est raté. Sans doute affiche-t-il de nobles intentions, mais elles ne se traduisent jamais en effets scéniques.
Autre désastre, la direction de Daniel Barenboim. On se demande pourquoi ce grand chef a été s’aventurer sur un terrain qui n’est pas le sien. Dans cette salle, son interprétation passe encore moins bien qu’à Berlin.  Alors que cette musique est toute en raffinement, toute en subtilité, l’approche de Barenboim est toujours brutale, l’orchestre est toujours trop fort, il couvre toujours les voix, avec des à-coups, avec des secousses, avec des moments qui finissent pas gêner l’expansion des voix. Certaines scènes, dont la poésie amène l’émotion de manière systématique (le duo Simon-Amelia de la reconnaissance), sont presque « interrompues » par l’irruption de l’orchestre qui en est presque – c’est un comble- gênant. Un ami a qualifié Barenboim de criminel : son orchestre, parfaitement au point, techniquement impeccable, est une arme de destruction massive, qui à aucun moment ne semble en phase avec ce qui est chanté, avec ce qui se passe. Oui, c’est une direction désastreuse, où rien n’est senti, où tout est asséné presque assommé. Pour moi c’est là un contresens total. je suis peut-être excessif (parce qu’il a eu un beau succès au contraire de la Première), mais j’estime qu’il est l’artisan d’un demi-succès musical, qui fera de ce Simon Boccanegra un moment certes fort à cause de Domingo, mais qui ne peut en aucun cas rentrer dans la légende scaligère.

240420101963.1272159211.jpgSaluts

On discutera à l’infini de la pertinence pour Placido Domingo de chanter ce rôle de baryton. Certes, les graves ne sont pas toujours au rendez-vous, non plus que le souffle (la scène du conseil est à ce titre la moins favorable au grand chanteur). Il reste qu’en termes de phrasé, d’intensité de l’interprétation, de jeu, de couleur, d’engagement, de technique, c’est exceptionnel. Le duo du premier acte avec Amelia est bouleversant (même si le « figlia » final n’est pas tenu). Placido Domingo peut se permettre cela en immense artiste qu’il est, nous sommes tous émerveillés de l’entendre à 70 ans chanter encore Verdi de cette manière, mais le Simon de référence reste Piero Cappuccilli ! Domingo n’efface rien, ne fait rien oublier ; il est à part, pour notre joie, pour l’affection que nous avons pour lui, et parce qu’encore aujourd’hui il n’a pas de rival.
Anja Harteros confirme et l’impression de Berlin, et tout le bien que nous pensons d’elle. Elle avait fait annoncer qu’elle était indisposée, et de fait certains graves sont éteints, mais quels aigus, quelle technique, quelle sûreté sur toute la tessiture. C’est vraiment elle aussi une artiste exceptionnelle, qui enchante aussi bien dans Wagner que dans Verdi, et qui de plus, sur scène, est une vraie figure tragique, engagée, aux gestes forts. Cette Amelia est une référence d’aujourd’hui, et sans doute, après Mirella Freni, la plus intense qu’on ait entendu (ni Kiri Te Kanawa, ni Katia Ricciarelli , ni Margaret Price ne rivalisaient avec Freni en intensité, seule Karita Mattila a pu soutenir quelque peu la comparaison quand elle a chanté avec Abbado).
Fabio Sartori est un vrai ténor à l’ancienne, de la voix, une technique, du style, un son intense, mais une attitude un peu passive. La prestation est excellente, comme à Berlin, souvent vocalement engagée (plus qu’à Berlin). Le contraste entre l’engagement vocal et l’engagement scénique est hélas, trop criant. Mais dans l’ensemble, cet artiste mériterait grandement d’être entendu plus souvent sur les scènes internationales.
Jolie surprise avec le Paolo Albiani de Massimo Cavaletti. Voix chaude à la présence certaine, presque trop belle pour le rôle, personnage jeune et séduisant, à l’image de certains séides des puissants d’aujourd’hui à l’opposé de Felice Schiavi chez Strehler qui composait à merveille les traitres de grand guignol en roulant des yeux inquiétants et en rendant son corps difforme.
Reste le Fiesco décevant de Ferruccio Furlanetto, la voix est fatiguée (ou bien est-ce sa nature ?), un peu rustre, sans vrai raffinement. On aimerait entendre dans ce rôle un Giacomo Prestia. J’ai plusieurs fois entendu ces dernières années Furlanetto dans ce rôle, et ce soir fut décidément le pire de tous.
Au total, malgré tout et surtout malgré Barenboim, ce soir fut quand même un grand soir. Parce que on a entendu chanter très bien Verdi, ce qui laisse espérer une année Verdi 2013 moins catastrophique qu’attendue, on aimerait bien sûr plutôt entendre dans ce répertoire un Riccardo Chailly, un Antonio Pappano, ou même réentendre, se bercer encore du rythme, de la légèreté, de la fluidité, du génie d’Abbado.
240420101965.1272158846.jpgPlacido Domingo (24 avril 2010)

Ce fut un grand soir parce que Placido Domingo est unique, qu’il peut désormais tout se permettre, et que le public ne peut que suivre, parce que Madame Harteros est aujourd’hui sans doute ce qui se fait de mieux et surtout parce que la Scala était nerveuse comme aux grands moments, que le public du Loggione (le poulailler) agité discutait fiévreusement, que tous étaient revenus pour l’occasion, « même ceux du sud de l’Italie ». Un grand soir à la Scala, c’est quand même toujours et toujours quelque chose de fort. C’est cela, les lieux où souffle l’Esprit.

L’impossible BALLO IN MASCHERA, ou de la difficulté de chanter VERDI aujourd’hui.

Ce matin, en écoutant “Un ballo in maschera” dans un enregistrement pirate du MET de 1962 (Nello Santi dirigeait rien moins que Carlo Bergonzi, Leonie Rysanek, Robert Merrill) où Leonie Rysanek, la grande, l’immense Rysanek qui enchanta mes jeunes années dans Chrysothemis à l’Opéra de Paris (avec Nilsson et Varnay et Böhm…heureux temps), est totalement naufragée, la justesse chavirant avec le reste dans un intenable roulis dans “Ecco l’orrido campo”. On sait que sa voix bougeait et n’était pas toujours juste (Bayreuth 1982 dans Kundry!!), mais là c’est carrément une caricature, tout bouge, tout se noie, les ensembles sont à la limite du supportable tant elle est fausse. Pour compenser, j’ai écouté un autre “live”, Abbado, Pavarotti, Verrett, Obratsova, Cappuccilli en décembre 1977 à la Scala et là tout autre paysage, la lumière, la perfection, un Pavarotti à son sommet, une Verrett totalement engagée, une Obratsova qui poitrine à plaisir, mais quelle personnalité, et un Cappuccilli somptueux, “énaurme” tel qu’en lui même enfin l’éternité le change; sans parler d’Abbado vif, attentif, nerveux, théâtral: une pure merveille (répétée un mois plus tard avec un seul changement, Mara Zampieri, que j’aime moins à cause de son émission tubée), suivie par un public passionné qui écoute avec une attention et une participation exemplaires le déroulement de l’opéra, on entend ses réactions, ses soupirs, sa satisfaction. Un vrai public participatif,qui respire à l’unisson avec la scène, quel moment!!

J’ai alors essayé de rassembler mes souvenirs, et penser aux rares “Ballo in maschera” vus sur une scène dans ma vie de mélomane. A la Scala (Gavazzeni, Pavarotti, Parazzini, Nucci), ce fut en 1986 un total naufrage et se termina dans les hurlements douloureux du public. Pavarotti, oui, bien sûr, mais comment pouvait-il être impeccable avec un soprano impossible, hurlant ou huhulant au choix, et un 2ème acte où Nucci et Parazzini semblaient un duo de chèvres bêlantes dans le trio (difficile à chanter il est vrai) “Odi tu come fremono cupi/Fuggi fuggi..”.

Plus récemment à Paris, dans la production inexistante de Deflo, sous la baguette d’un Semyon Bychkov satisfaisant, Angela Brown en Amelia suivait les traces de Rysanek dans la perdition. A dire vrai, je n’ai jamais vu de Ballo in maschera satisfaisant, tout juste acceptable ou moyen, jamais exceptionnel: je n’ai pu voir Abbado à l’oeuvre, ni même Muti (dans ses bonnes années).
C’est un opéra très difficile à réussir, sans doute l’un des plus difficiles de Verdi, à cause de la diversité des voix qu’il exige (un contralto, un soprano coloratura, un baryton, un ténor, un soprano lirico spinto) à cause des multiples difficultés techniques et notamment du rôle d’Amelia, à cause de la difficulté des ensembles du 3ème acte (des sauts brutaux à l’aigu, proches du cri). Et c’est dommage, car c’est une des plus belles partitions de  Verdi (Deuxième acte et  final sont sublimes).

De cette attente vaine d’un “Ballo” de grand lignage, je me suis mis à réfléchir à la difficulté aujourd’hui de trouver des distributions impeccables de grands Verdi. On peut peut-être trouver de bonnes distributions de Traviata, de Rigoletto, même Macbeth mais Nabucco, Ballo in maschera, Trovatore, Ernani, Forza del Destino, Aida, Otello (depuis que Domingo ne le chante plus) sont aujourd’hui difficiles à distribuer ou bien n’attirent plus les grands théâtres. On a vu récemment des Don Carlo (et Don Carlos) assez satisfaisants, mais pas un Trovatore qui tienne la route. Il y a 20 ans ou 30 ans, on distribuait relativement facilement Verdi, mais il était presque impossible de trouver une distribution wagnérienne digne de ce nom: c’est l’inverse aujourd’hui.

Il y a évidemment des modes et l’opéra n’y échappe pas . On ne chante plus aujourd’hui comme il y a vingt ans, les voix ne sont pas les mêmes, on préfère de beaucoup les voix très dominées aux voix échevelées (Giovanna Casolla, avec son énorme volume a fait une carrière internationale digne, mais pas exceptionnelle) sans doute aussi à cause de l’écroulement du chant italien: on trouve sur le marché plus de chanteurs français de niveau international que de chanteurs italiens: l’Italie ne produit plus de grandes voix et l’école de chant se meurt, conséquence d’une politique imbécile de l’Etat, de la déreglementation du métier de professeur de chant, de la jungle des agents. Les écoles qui marchent sont l’école américaine/anglo saxonne: bonne préparation technique, chanteurs prêts à affronter le répertoire dès la sortie des écoles, et l’école slave, à la formation traditionnelle solide et aux voix volumineuses, tous ces chanteurs ont fondu vers l’Europe, qui a le plus grand nombre de théâtres (l’Allemagne notamment). mais tous vivent Verdi non dans leur chair, mais dans leur tête. Une Nina Stemme (suédoise) chante Aida et Leonora de Forza del Destino: elle en a le volume, mais pas l’âme. Karita Mattila (finlandaise) fut une Amelia Grimaldi appréciable avec Abbado (Simon Boccanegra 2000 à Salzbourg), et Anja Harteros (allemande d’origine grecque) en est une exceptionnelle aujourd’hui: les grands sopranos pour Verdi se nomment Sondra Radvanovsky (américaine) et Anja Harteros ( allemande), cette dernière avec un engagement vocal qu’on croyait disparu.
Du côté des ténors, on croyait être sorti du tunnel avec Rolando Villazon, on sait ce qu’il en est. Il y a Alagna, irrégulier, et Vittorio Grigolo, aussi irrégulier mais quelle voix!! Stefano Secco est un très bon artiste mais dans Carlo il atteint sa limite. Reste enfin Jonas Kaufmann, dont le répertoire italien n’est pas celui où il brille le plus (ses Alfredo et Rodolfo sont bons, mais n’ont rien à voir avec d’autres rôles germaniques de son répertoire), sans doute dans Don Carlo et dans Otello sera-t-il intéressant à écouter, sûrement dans la tradition d’un Vickers. Il y a quelques basses de très bon niveau (Prestia par exemple) et une série de très grands barytons (en grand nombre, à commencer par notre Ludovic Tézier). Mais aucun mezzo soprano de grand caractère pour Verdi. Luciana d’Intino ou Sonia Ganassi font très bien leur métier, mais ne sont tout de même pas les Eboli du siècle. On attend la Cossotto ou l’Obratsova du moment. Violeta Urmana quand elle était mezzo eût pu peut-être briller, elle est soprano aujourd’hui et soprano assez discutée.

On aime aujourd’hui des répertoires (baroque, Rossini, bel canto) où la technique, le contrôle sur la voix sont déterminants, des amis italiens appellent cela des voix sous verre, où la chair est moins importante que l’exposition technique: il faut pour Verdi une technique de fer, une voix large et puissante, et aussi travailler l’expression, l’explosion de l’expression: Mirella Freni, Julia Varady, Leontyne Price, Martina Arroyo, Renata Scotto et bien sûr Callas connaissaient ce secret. Tebaldi moins, mais la voix était tellement sublime. Aujourd’hui la voix la plus large et la plus contrôlée que je connaisse est celle de Sondra Radvanovski, sous employée dans les grands théâtres. Le monde découvre Anja Harteros mais elle ne peut pas chanter tous les répertoires. Néanmoins je ne suis pas sûr que même avec toutes les voix adéquates Verdi soit vraiment à la mode: on parle beaucoup du bicentenaire Wagner en 2013, mais on entend moins parler du bicentenaire Verdi, toujours en 2013, et c’est pour moi un signe, un mauvais signe. Signe peut-être que notre époque est moins en phase avec cette générosité innée, celle du coeur à fleur de peau et de l’émotion immédiate, palpable, de la chair de poule qui  vous prend quand on assiste à un beau Trovatore haletant, violent, bouleversant. On aime moins le théâtre de la chair que celui de la forme.

Enfin, Verdi ne pardonne pas: rappelons ce que disait Martha Mödl vieillissante encore distribuée à Munich: elle disait que chanter Wagner pour une voix vieillie n’était pas (trop) difficile, la voix était protégée par l’orchestre, par la science du “dire” qui savait masquer les failles (dans un répertoire voisin, Franz Mazura, 89 ans est une merveille dans Schigolch de Lulu). Chez Verdi , la voix est découverte et exposée, et toutes les failles sont audibles, on n’entend même plus que cela. J’écrivais il y a quelques jours que Wagner survivait à une interprétation médiocre, pas Verdi.
Verdi ne pardonne pas la médiocrité, c’est pourquoi notre époque l’aime sans doute moins.

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2010: MARISS JANSONS dirige le Requiem de VERDI (avec le Philharmonique de Berlin et entre autres Jonas KAUFMANN) (2 avril 2010)

A priori on ne l’attend pas dans Verdi, et pourtant, ce soir, en ouverture de la seconde série de concerts du Festival de Pâques de Salzbourg, son interprétation de la Messa di Requiem a électrisé la salle: une fois de plus Mariss Jansons montre ce qu’il est, un très grand chef, un immense musicien, un novateur. Une fois de plus se vérifie aussi qu’avec certains chefs, les berlinois se surpassent et jouent sur une autre planète.
Le Festival de Pâques est un rituel presque immuable: deux séries de quatre soirées, un opéra, un  grand concert choral ou deux, un concert orchestral ou deux. Cette année, Götterdämmerung (en coproduction avec Aix en Provence), deux grands concerts choraux (Requiem de Verdi et Passion selon Saint Mathieu de Bach), un concert orchestral (Ligeti, Berlioz). Le Festival, créé par Herbert von Karajan en 1967 pour l’Orchestre Philharmonique de Berlin n’accueille que les Berlinois qui sont en résidence à Salzbourg pendant les deux semaines que durent les deux séries. Du temps d’Abbado il y a eu quelques concerts supplémentaires du Gustav Mahler Jugendorchester. Karajan, Solti, Abbado en ont assuré la direction artistique et maintenant c’est le tour de Sir Simon Rattle, en tant que directeur artistique de Berlin. Et à dire vrai, le Festival sort d’une période très chaude, où il a failli quitter les rives de la Salzach pour s’installer à Baden-Baden: mais la crise est derrière, et on peut penser désormais “avenir”.
Traditionnellement un autre chef est aussi invité c’est cette année Mariss Jansons qui entretient avec le Philharmonique de Berlin une relation très forte .
020420101927.1270248560.jpgL’approche de Mariss Jansons et la manière dont il exerce un contrôle serré sur l’ensemble rappelle la Symphonie n°2 de Mahler entendue à Londres et évoquée sur ce Blog. On peut concevoir le Requiem de Verdi comme une sorte de grand opéra, mettant en valeur les solistes, travaillant sur les effets d’espace, les effets vocaux, la mélodie et l’harmonie plutôt que la structure et l’architecture, on peut  trouver des interprétations explosives, extensives, larges, épiques qui sont en somme des catharsis du spectaculaire.
Rien de tout cela ici.
Mariss Jansons change totalement le point de vue et nous propose  une interprétation non pas “explosive” mais bien plutôt “implosive”. Rarement il nous été donné d’entendre une interprétation aussi concentrée, aussi intériorisée, tout en restant vibrante et même par moments bouleversante. Un Requiem concentré, dans un tel mouvement centripète qu’il semble se construire un trou noir musical, plus qu’une étoile en expansion. Il s’agit de nous montrer un tout musical, complexe, en permanente interaction mais où personne ne surnage, choeur, solistes, orchestre. C’est une démonstration de modestie musicale où tous jouent ensemble, en écoutant l’autre, en se fondant dans la vague  sans chercher aucun effet. Il en résulte une ouverture intense et totale vers la spiritualité, et non plus vers ce qui serait du spectacle, une tension inouïe, un bouleversement intérieur qui prend l’auditeur dès les premières mesures, murmurées. L’entrée de Jonas Kaufmann dans le Kyrie est à ce titre proprement anthologique. Tout le Dies Irae est un moment miraculeux, d’ailleurs il serait difficile de trouver dans l’ensemble un moment de faiblesse.
Mariss Jansons dirige de manière très serrée, on le sent à la manière dont les chanteurs disent le texte, travaillent les inflexions, et à la manière dont Jansons les guide et les suit. Dans une telle construction, il faut d’abord saluer le travail du Choeur de la Radio Bavaroise et de son chef Peter Dijkstra absolument extraordinaire, qui tant du point de vue du volume, que de la diction, que de la justesse et même du raffinement, ne mérite que des éloges. Jamais trop fort, jamais envahissant, toujours impressionnant.
L’orchestre philharmonique de Berlin est à son meilleur, chaque pupitre est clairement entendu, les cordes ont une souplesse, une légèreté, un engagement impressionnants, jamais non plus on n’ avait entendu avec une telle clarté les bois, et notamment les bassons, stupéfiants. Tous participent d’une construction globale à laquelle l’équipe de solistes contribue de manière vraiment rare. Aucune voix ne domine, chacune est à sa place dans ce concept d’hyperconcentration. Stephen Milling est on le sait une basse très demandée en ce moment: jamais le chanteur danois ne donne de volume (il pourrait être très sonore dans le “mors stupebit…”, il est tout intériorité), Marina Prudenskaja est un mezzo irréprochable, à la personnalité cependant plus en retrait. Bien sûr, on pense immédiatement aux merveilles que pourrait nous réserver dans ce contexte une Anja Harteros, mais la soprano Krassimira Stoyanova ne dépare pas loin de là, la voix est très contrôlée, le lyrisme est réel, les aigus (quelquefois un peu limites certes)  se déploient et le “libera me”final, très difficile, est particulièrement précis et dominé. Certes, dans un contexte plus spectaculaire, la voix pourrait avoir quelques difficultés mais elle est impeccable dans le contexte général. Quant à Jonas Kaufmann, s’il n’a pas la couleur solaire des voix plus méditerranéennes, il a ce que seulement de rares ténors possèdent, à savoir un contrôle permanent sur la voix, une technique de fer, qui lui permet à la fois de faire entendre son aigu, mais aussi de chanter piano, et même pianissimo, de murmurer, et d’être entendu. Dans le contexte voulu par Jansons, et même si certains amis italiens l’ont trouvé moins émouvant dans son “ingemisco”, il possède ce contrôle sur soi et cette couleur qui  rendent absolument extraordinaire la prestation, il a été une fois de plus stupéfiant, et tellement, oui tellement juste. Son attaque du Kyrie m’a tiré les larmes.

020420101928.1270248536.jpgOn peut ne pas partager le point de vue adopté par Jansons, et son approche très particulière qui va très loin dans  le resserrement musical mais la tension sur le public à été telle que bien vite, on est passé de l’implosion musicale à la standing ovation explosive. Mariss Jansons appartient à cette race de chefs qui innovent, qui modifient les points de vue, qui peuvent aussi déranger, à cette race de musiciens qui immédiatement ont prise sur l’orchestre et savent donner une couleur, un son personnel à ce qu’ils interprètent, c’était clair ce soir dès des toutes premières mesures.
Voilà un Requiem de Verdi sans un seul italien sur scène (quelques uns dans l’orchestre…) puisque le chef est letton (marqué par la culture musicale russe), les solistes bulgare, russe, danois, allemand, la musique est vraiment notre bien commun qui transcende les identités, et qui en ce Vendredi Saint a vraiment fait communion spirituelle: il y avait du religieux ce soir à Salzbourg.

Le Requiem de Verdi dirigé par Mariss Jansons, peut être regardé en ligne sur le site de l’orchestre philharmonique de Berlin, enregistré le samedi 13 mars (mais sans Jonas Kaufmann) URL: http://dch.berliner-philharmoniker.de/#/en/concertarchiv/archiv/2010/3/

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2009-2010: DON CARLO de Giuseppe Verdi, à l’Opéra Bastille (14 mars 2010)

140320101635.1268605989.jpgDon Carlo, 14 mars 2010, saluts

Don Carlo est un opéra emblématique, lié à l’histoire de l’Opéra de Paris. A ce titre, à Paris, on devrait systématiquement le représenter dans sa version en cinq actes (au moins celle de Modène) et presque systématiquement en français, ou au moins proposer les deux versions en alternance. Je trouve regrettable que l’identité de cette maison ne soit pas tant soit peu soulignée alors que Vienne, Barcelone, et même Bâle ont récemment proposé la version française. Même remarque d’ailleurs pour les Vêpres Siciliennes, qu’on verra l’an prochain…mais à Amsterdam…dans leur version française. Il y a des chanteurs aujourd’hui (Giacomo Prestia qui chantait ce jour, en est un) qui connaissent la version française, à mon avis supérieure à la version italienne, notamment celle de la Scala de 1884 .
De plus, le livret en français de Don Carlo est un texte de qualité (à la différence de celui des Vêpres siciliennes) qui mérite d’être écouté.

Depuis Bogianckino et sa double production en français/en italien mise en scène (mal) par Marco Arturo Marelli (en 1986) et (bien) dirigée par Georges Prêtre, on n’a pas vu de Don Carlo(s) marquant à l’Opéra. C’est le Châtelet de Lissner qui proposa une production restée fameuse de la version française, de Luc Bondy, avec José Van Dam, Roberto Alagna, Thomas Hampson, Waltraud Meier, Karita Mattila, dirigée par l’alors jeune Antonio Pappano. Qu’attend donc Nicolas Joel?

Deuxième remarque, cette production remonte à 1998:  le choix de Nicolas Joel a été de proposer une reprise d’une ancienne production avec une bonne distribution, c’est à dire un choix de répertoire: il est clair qu’il faut puiser dans le répertoire, auquel Hugues Gall avait beaucoup travaillé dans les années 90. D’où cette production assez passe partout, qui est faite pour durer (on en est à la 44ème représentation!), et donc qui ne choque personne. Gérard Mortier avait lui aussi proposé à Paris la reprise d’une production, celle de Salzbourg ( de Herbert Wernicke) qui n’était pas une des plus grandes réussites du metteur en scène aujourd’hui disparu. Il eût d’ailleurs été élégant de le signaler dans le programme de salle, puisqu’en sa page 14 “l’oeuvre à l’opéra de Paris”, cette reprise a été oubliée…
La mise en scène de Graham Vick est traditionnelle pour un Don Carlo, on y voit du gris, du noir, des croix (motif récurrent..qui s’en étonne) dans un vaste espace écrasant et dénudé, géométrique, avec quelques projections et des éclairages qui découpent l’espace. Les personnages paraissent écrasés, minuscules, devant une transcendance qui leur échappe. Rien que de très ordinaire. Mais pourquoi diable faire chanter le “frate” en fond de scène: on n’entend rien de son intervention du début du premier acte.

Les scènes de foule sont assez mal réglées, aussi bien l’autodafé que la scène consécutive à la mort de Posa, elles sont peu claires, quelquefois un peu ridicules: le travail de reprise est là un peu léger, ou bien l’original n’était déjà sans doute pas bien en place.

Musicalement on regrette d’abord l’absence du fameux “lacrimosa” consécutif à la mort de Posa (ainsi appelé parce que Verdi le reprendra dans le “Lacrimosa” de son Requiem) “qui me rendra ce mort?”,l’une des musiques les plus sublimes de la partition abandonnée par Verdi après la générale de 1867 et mise au jour par Abbado en 1977 à la Scala à l’ouverture de la saison 1977-78, dite saison du “bicentenaire”.
Abbado avait alors fait le choix de proposer la version originale de l’opéra avec des musiques jamais jouées jusqu’alors, mais en langue italienne. Sans jouer la version originale, Gatti à la Scala, Maazel à Salzbourg, avaient inséré ce “lacrimosa”, arguant de l’importance et de la beauté du morceau et aussi d’une plus grande clarté du propos . Revoir la version traditionnelle sans lacrimosa révèle une réelle faiblesse de la structure théâtrale à ce moment-là et une singulière confusion pour le public qui se rajoute à la mauvaise mise en place scénique.

Musicalement aussi,on regrette la direction sans imagination de Carlo Rizzi, chef pourtant assez réputé. Aucune sensibilité ni aucun raffinement. Les moments les plus émouvants restent plats, des moments clefs comme le trio du deuxième acte dans les jardins de la Reine, ou le duo du cinquième acte ne sont pas vraiment mis en valeur par la direction musicale, qui accompagne les chanteurs sans vraiment donner une couleur singulière à l’oeuvre. C’est très en place, mais cela reste plat.

La réussite, c’est une distribution de haut, voire très haut niveau. On salue le Don Carlo de Stefano Secco, ténor dont nous avons déjà dit du bien, et qui confirme ses qualités techniques, même si la voix n’a pas tout à fait le format du rôle: c’est souvent tendu, mais ce n’est jamais faux, c’est surtout toujours propre. Il reste que ce n’est pas tout à fait le Don Carlo dont on rêve. Ludovic Tézier en revanche, malgré une annonce de fatigue passagère, offre de Posa une interprétation remarquable. On peut lui préférer (c’est mon cas) Simon Keenlyside, plus habité, plus bouleversant, plus impliqué. Mais il reste que vocalement, stylistiquement et techniquement, ce Posa là est irréprochable. Une très grande prestation. Giacomo Prestia dans Philippe II se montre lui aussi excellent. Le timbre n’a pas la séduction d’un Ghiaurov sans doute, mais la voix a une grande étendue, la technique est sans reproche, le volume remplit la salle de Bastille: sans doute le meilleur Philippe II d’aujourd’hui. L’autre basse en en revanche, le vétéran Victor von Halem, déçoit dans le Grand Inquisiteur: voix chuintante et fatiguée, émission ouatée, manque d’homogénéité, fortissimi proches du cri.
Les dames sont aussi de très haut niveau: on connaît la Eboli  désormais “classique” de Luciana d’Intino, même si quelques sons sont ratés (trio du deuxième acte), la prestation vocale est celle d’une très grande Dame du chant, technique, volume, intensité aussi bien dans la chanson du voile que dans le “Don fatale” . Et enfin, Sondra Radvanovski, soprano américain que l’on voit beaucoup distribuée ces derniers temps, campe une Elisabeth à mon avis exceptionnelle. Un volume qui remplit la salle immense avec une facilité déconcertante, une technique à toute épreuve, qui sait jouer des difficultés du rôle, avec pianissimi, notes filées, modulations, une homogénéité et une rondeur vocale qui impressionnent: enfin, devant nous un vrai lirico spinto pour Verdi,  ce qu’on n’avait pas vu dans ce rôle depuis Mattila avec Pappano au Châtelet dans les années 90. Jolie prestation pour la “voce del cielo” confiée à Olivia Doray.
Avec Anja Harteros et Sondra Radvanovski  peut-être nos soirées verdiennes vont-elles gagner en intérêt. En tous cas ne les manquez pas si vous les voyez dans une distribution.

Ainsi, cette reprise alimentaire a a-t-elle au moins tenu ses promesses vocales, à défaut d’avoir pleinement séduit musicalement à cause d’un chef un peu routinier, et d’une production vieillie et sans intérêt (Graham Vick est pour moi une de ces fausses valeurs modernes qui ne dérangent pas grand monde: son Macbeth à la Scala, géométrique -un cube- et coloré -jaune- est à oublier!). Mais un Don Carlo n’est jamais à négliger, et celui-ci était globalement meilleur que celui de Braunschweig à la Scala, à la distribution terne avec un chef -Daniele Gatti- à mon avis injustement discuté  .

Opéra plein à craquer, énorme succès: voilà pour Nicolas Joel une opération réussie.

METROPOLITAN OPERA (MET) 2009-2010: ATTILA de G.VERDI, dirigé par Riccardo Muti, avec Violeta Urmana et Ildar Abdrazakov (27 février 2010)

ATTILA S’HABILLE EN PRADA

Soirée triomphale au MET pour cet Attila de haute volée, création au MET qui affiche rarement des opéras du jeune Verdi, et débuts de Riccardo Muti qui n’y avait jamais dirigé. Mieux vaut tard que jamais. Peter Gelb a réuni pour l’occasion une distribution de très haut niveau, Violeta Urmana, Carlos Alvarez, Ildar Abdrazakov, Ramon Vargas et une équipe scénique surprenante, mais très chic: Pierre Audi metteur en scène, Miuccia Prada, la styliste italienne,  Herzog et de Meuron, les architectes du stade de Pékin (celui en nid d’oiseau) et de la New Tate Gallery comme équipe de décors et costumes. Sans doute en hommage à Pierre Audi, Madame Prada a mis sur le casque d’Attila et les épaulettes d’Ezio et Attila des diodes qui ressemblent fort à celles qui soulignent les phares des Audi récentes!

Est-ce une mise en scène d’ailleurs?  Le choix est celui non d’un travail sur l’épopée, avec des grandes masses chorales qui bougent et des grands espaces, mais d’un espace très limité, vertical et non  horizontal, où les protagonistes bougent peu et se retrouvent comme écrasés par un mur comme dans la tragédie. Le chœur apparaît le plus souvent à moitié enterré, comme écrasé sous le décor qui se soulève pour l’occasion. De quoi satisfaire Riccardo Muti qui aime à avoir un chœur fixe, face au chef, et des chanteurs qui jouent peu, pour mieux chanter et mieux voir le chef. Deux décors, l’un, une sorte de ruine fait d’un tas de plaques de béton armé, comme une ville après la bataille, est le cadre du premier acte, plus violent; l’autre censé représenté la forêt, est un superbe mur végétal magnifiquement éclairé par Jean Kalman, complice habituel de Pierre Audi dans lequel s’ouvrent des espaces où prennent place les protagonistes. Des couleurs violentes, vert, jaune, rose, bleu profond donnent une véritable ambiance, mais ne disent rien sur l’œuvre. Pourquoi pas d’ailleurs, ce genre d’opéra n’a pas pour caractère la finesse psychologique, mais plutôt des caractères tout d’une pièce: une héroïne par nature, forte, courageuse, qui va jusqu’au bout, sorte de Judith romaine, Odabella, son amant Foresto, sacrifié sur l’autel de la vengeance, Ezio le général romain vaillant mais un peu trouble, qui tirerait bien d’Attila un accord qui lui donnerait l’Italie, et Attila enfin, qui – conformément à la vérité historique d’ailleurs- n’est pas le monstre sanguinaire de la tradition, mais un souverain non dénué d’humanité et de noblesse.
On assiste plus à une succession de tableaux, assez beaux à voir , qu’à un travail théâtral et dramaturgique puissant. La mise en scène de la Scala de Jérôme Savary ne brillait pas non plus par son originalité, mais Savary avait à l’époque laissé entendre qu’il avait été bridé par le chef (un certain Riccardo Muti). Du coup les chanteurs sont le plus souvent livrés à eux-mêmes et ne font pas grand chose (ce qui ne peut que convenir à Violeta Urmana, jamais très concernée par le jeu scénique).

Musicalement, le travail effectué par Riccardo Muti avec l’orchestre du MET est tout à fait remarquable, enfin l’orchestre sonne (alors que lors des deux autres représentations, Bohème et Barbiere ce n’était pas toujours le cas) et la construction musicale (les italiens appellent cela la “concertazione”) est tout à fait remarquable, beaux équilibres sonores,  précision des attaques, mise en relief du son, une approche raffinée et créatrice d’émotion notamment dans les ensembles (magnifique final du premier acte). Un seul problème, qui va s’accentuer dans la seconde partie, c’est la dynamique. On aimerait que ce Verdi bouge un peu plus, on aimerait sentir la nervosité, l’énergie, la sève, bref, on aimerait entendre un peu du Muti des années 70, et là c’est raté. Grandiose, certes, ô combien, mais pas assez soucieux de la vie intense de cette musique du jeune Verdi. Il reste que c’est tout de même un grand moment auquel le public américain, toujours très participatif, fait une triomphe avec standing ovation.

Du point de vue vocal, on apprécie de voir le très grand Attila de la génération précédente, Samuel Ramey, affiché cette fois dans le rôle très épisodique de Leone l’évèque, et si la voix a un peu vieilli, le volume reste intact. Ildar Abdrazakov  ne démérite pas, mais la voix qui est belle et profonde, manque justement de ce volume et de ce relief qui doivent coller au rôle, le timbre est élégant, mais le style reste un peu indifférent, et le personnage manque de consistance, le digne successeur de Ramey n’est pas encore trouvé.  L’Odabella de Violeta Urmana, estplus intéressante que d’ordinaire et surprend même au premier acte: les aigus et les suraigus sont là, même si ces derniers sont un peu criés par une voix qui se resserre et atteint sa limite, les graves en revanche sont somptueux (on sent l’ancien mezzo!), la vaillance est là, mais peu à peu la voix s’opacifie et la deuxième partie de l’opéra est moins intéressante. A la Scala, Cheryl Studer n’avait pas tout à fait la ressource – elle le paya par des huées cruelles et injustes- mais elle avait une beauté vocale que Madame Urmana n’a pas . Giovanni Meoni remplace Carlos Alvarez malade pour toute les réprésentations dirigées par Muti, le timbre est joli, mais le volume manque, ainsi que le souffle car les notes hautes ne sont jamais tenues, une prestation passable. En revanche, rien à dire du Foresto de Ramon Vargas, absolument impeccable de style, de technique, d’engagement. Que cette voix qui à ses débuts semblait destinée à des rôles de ténor léger puisse aborder avec assurance les rôles lourds (Don Carlos!) laisse rêveur: en tous cas aucun doute, c’est lui qui s’en tire le mieux, et de la manière la plus homogène.
Mais laissons là les réserves: ce fut malgré tout un bel Attila, esthétiquement remarquable, musicalement de haut niveau, et la première partie de la soirée fut vibrante, même si la suite a un peu déçu. Ne boudons pas quand même notre plaisir, il n’est pas fréquent que Verdi soit à la fête dans les théâtres aujourd’hui.