FESTIVAL INTERNATIONAL D’ART LYRIQUE D’AIX-EN-PROVENCE 2016: PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude DEBUSSY le 2 JUILLET 2016 (Dir.mus: Esa-Pekka SALONEN; ms en sc: Katie MITCHELL)

Barbara Hannigan (Mélisande) Laurent Naouri (Golaud) ©Patrick Berger / ArtComArt
Barbara Hannigan (Mélisande) Laurent Naouri (Golaud) ©Patrick Berger / ArtComArt

Ce Pelléas était très attendu.
La popularité d’Esa-Pekka Salonen dans le monde musical et chez les critiques faisait que la présence du chef finlandais avait un air d’événement, d’autant que la distribution était attirante, tout autant que la mise en scène de Katie Mitchell, très en faveur à Aix-en-Provence où depuis d’arrivée de Bernard Focroulle, elle a signé plusieurs mises en scène plutôt bien accueillies. Le triomphe est total. Le public et la presse ont accueilli ce travail de manière éminemment positive.
À une quinzaine de jours de la Première à laquelle j’ai eu la chance d’assister, le recul salutaire va permettre sans doute, pour chacune des productions de cette cuvée 2016 du Festival d’Aix, de se faire une idée moins immédiate et plus réfléchie, peut-être aussi plus pondérée.
Il est heureux de constater la fortune actuelle du Pelléas et Mélisande de Debussy, considéré comme un de ces chefs d’œuvres à l’accès difficile. Cette saison, il y a à peine un mois, c’était à Zurich la production de Dmitri Tcherniakov dirigée par Alain Altinoglu, la saison dernière, c’était Daniele Abbado à Florence qui mettait en scène aux côtés de Daniele Gatti ou Constantinos Carydis qui dirigeait la production de Christiane Pohle en ouverture du Festival de Munich 2015.
Pour beaucoup d’amateurs d’opéra, Pelléas est une œuvre qu’on apprécie après avoir vu toutes les autres. Pour certains, on commence par Wagner et on finit par Debussy. Pour d’autres au contraire, on commence par Debussy et on finit par Wagner. Le lien de Debussy à Wagner est en effet très fort, un « je t’aime moi non plus » fait de refus, mais aussi de citations presque textuelles (Parsifal dans Pelléas par exemple). Pelléas et Mélisande appartient à un moment où le monde intellectuel français littéraire ou musical courait à Bayreuth. C’est évidemment une œuvre qui se confronte à Tristan und Isolde, autre histoire de couple, autre version des relations entre Eros et Thanatos. D’ailleurs, le décor monumental de Lizzie Clachan à Aix n’est pas sans rappeler dans son organisation même celui de Boris Kudlička à Baden-Baden, avec deux niveaux, un escalier métallique à Jardin, plongeant vers les ténèbres, et des espaces contigus et changeants. Car c’est bien ce décor imposant qui frappe durablement, au point d’être ce qui reste de la mise en scène après deux semaines, si imposant qu’il nécessite une armée de machinistes pour le transformer pendant les intermèdes (qui viennent tous saluer de manière pleinement justifiée à la fin). Ce décor est celui d’une maison de poupée en coupe, rappelant celui de Written on Skin ou Alcina par sa structure, avec ses chambres et ses espaces, isolant chaque scène, lui donnant un contexte particulier avec comme climax les scènes de la piscine intérieure vidée, hyperréaliste, avec la vision de la nature à l’extérieur, mais laissant les personnages derrière une verrière étouffante pour les scènes qui sont parmi les plus célèbres de l’œuvre (les scènes de fontaine). Le décor d’ailleurs réussit à être hyperréaliste et onirique à la fois, implantant une ambiance surannée, temporellement si marquée qu’elle en devient intemporelle, voire étouffante.

A la fontaine: Stéphane Degout (Pelléas) Barbara Hannigan (Mélisande) ©Patrick Berger / ArtComArt
A la fontaine: Stéphane Degout (Pelléas) Barbara Hannigan (Mélisande) ©Patrick Berger / ArtComArt

Comment rendre le mystère de Pelléas et Mélisande, une histoire en soi banale : un mariage plus ou moins forcé, un amour naissant hors mariage, un jaloux mal aimé. Une histoire qui rappelle beaucoup par son étrangeté La Princesse de Clèves, de Madame de Lafayette, notamment à travers le personnage du Prince de Clèves, bien proche de Golaud. L’atmosphère de mystère et d’étrangeté qui entoure la princesse (voir la scène du tableau et de la canne des indes observée de l’extérieur par un Nemours dévoré par le désir) me rappelle celle qui entoure Mélisande, étrangère au monde, venue de nulle part et dont la présence détruit la grise routine familiale, comme Dmitri Tcherniakov l’a si bien montré à Zürich.
Pour expliquer ce mystère et cette atmosphère et justifier d’une dramaturgie à ellipses, Katie Mitchell et son dramaturge Martin Crimp choisissent de faire du drame un rêve (prémonitoire) de Mélisande, à peine revenue de son mariage avec Golaud (elle est en robe de mariée), un mariage contraint générateur d’angoisse qui explique un rêve pour le moins tendu, mais référencé fortement à l’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, sauf que de merveilles, il y en aura peu dans ce rêve. C’est un choix dramaturgique cependant assez commun, on ne compte plus sur les scènes les rêves de personnages qui expliquent une action dramatique. Sans la référence à Lewis Carroll, on tout aussi bien pu concevoir un rêve de Golaud pris par le désir de possession, ou de Pelléas pris par celui d‘échapper à l’étouffement familial. Étouffement que l’on perçoit par des signes évidents dans la première partie, notamment à travers le personnage de Pelléas, engoncé, fagoté en « petit vieux » avant l’âge, un vieil enfant rempli de tics et de mouvements brusques, magistralement rendus par Stéphane Degout dont c’est hélas le dernier Pelléas.
Atmosphère pesante aussi à table, avec la vision d’un repas familial silencieux et raide. Bien sûr on pense aussi à l’atmosphère familiale de la production de Tcherniakov, mais le cadre de la maison, moderne, « design », ouverte, n’a rien à voir et de produit pas la même impression : les couleurs du décor, vert passé, le style de l’ameublement du premier XXème siècle, les éclairages pâles et timides, tout concourt à donner l’impression d’une maison où le temps s’est arrêté, qui génère un ennui abyssal, et un désir de respirer. Chaque scène est un espace clos vieillot, chambre à coucher, salle à manger, piscine même, et les circulations sont étroites (escalier en colimaçon).C’est aussi un espace envahi par le rêve, avec cet arbre qui prolifère dans la chambre, ou la terre, C’est vraiment le décor qui donne l’ambiance.
Katie Mitchell fait évoluer ses personnages dans cet espace hyperdétaillé. Il y a d’ailleurs plus de travail sur les personnages que sur la dramaturgie proprement dite. Au centre, la Mélisande de Barbara Hannigan, comme si la mise en scène était construite sur mesure pour elle, une femme déjà mûre, qui n’a rien du petit oiseau fragile qu’on a pu voir ailleurs (Tcherniakov par exemple), qui parcourt tout l’espace en regardant toutes les scènes, ou se regardant (elle regarde souvent son double), dedans et dehors comme dans les rêves. Hannigan avec son art suprême du mouvement et sa manière de gymnaste de se relever quand elle est allongée face contre terre, avec sa grâce et avec son corps qui se construit et tout à la fois se déconstruit, rend une Mélisande présente, mais met au centre le drame d’une femme assez manœuvrière et manipulatrice dont l’innocence et la fragilité se discutent fortement. Tout cela est magistral de la part de la chanteuse, mais n’ajoute rien à la lecture ou au sens de l’œuvre. Tcherniakov avec le même présupposé était pour mon goût plus convaincant.

Du même coup, la première partie m’est apparue quelquefois distante et vaguement ennuyeuse, sauf la scène prodigieuse du petit Yniold (Chloé Briot, très fraîche) et de Golaud forçant à regarder par la lucarne.

Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève) Stéphane Degout (Pelléas) Laurent Naouri (Golaud) Barbara Hannigan (Mélisande) Franz-Peter Selig (Ariel) ©Patrick Berger / ArtComArt
Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève) Stéphane Degout (Pelléas) Laurent Naouri (Golaud) Barbara Hannigan (Mélisande) Franz-Peter Selig (Ariel) ©Patrick Berger / ArtComArt

La deuxième partie plus dramatique et plus tendue par nature permet de relever l’intérêt avec des moments particulièrement bien construits entre les personnages : par exemple la scène où Golaud et Arkel saisissent Mélisande sur la table, ou les scènes sur le lit entre Golaud et Pelléas, ainsi que la scène sacrificielle où Golaud égorge Pelléas comme Abraham son fils (laissant supposer par le choix de la mort une préméditation). Scènes très tendues, très fortes, qui laissent une durable impression.
Comme on le voit, Katie Mitchell sait rendre l’atmosphère pesante, et sait conduire un travail d’acteur particulièrement détaillé, mais le propos général reste moins convaincant. Il y a certes du mystère et de la poésie, mais cela s’inscrit dans une atmosphère de drame familial au total assez banal. Quand Mélisande entre dans cette famille, cette dernière est déjà en déliquescence, au bord du gouffre et Mélisande n’est que la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Chez Tcherniakov, c’était la présence même de Mélisande comme révélateur qui déclenchait le processus délétère de destruction familiale de l’intérieur… Aussi le travail de Katie Mitchell, précis, intéressant parce que le rêve permet de développer plusieurs points de vue et de conjuguer vraisemblances et invraisemblances, ne me semble pas rendre compte de toutes les ambiguïtés de l’œuvre. Un travail onirico-réaliste, et en ce sens même acrobatique. Mais on a envie de dire : et après ?

Blessures: Barbara Hannigan (Mélisande) Laurent Naouri (Golaud)Stéphane Degout (Pelléas) ©Patrick Berger / ArtComArt
Blessures: Barbara Hannigan (Mélisande) Laurent Naouri (Golaud)Stéphane Degout (Pelléas) ©Patrick Berger / ArtComArt

Elle est servie, et c’est son immense chance, par une distribution particulièrement engagée et qui semble partager le point de vue qu’elle exprime. Chacun est un chanteur acteur de très grand niveau, la Geneviève à la fois discrète et timide de Sylvie Brunet-Grupposo, dont la lecture de la lettre est un modèle de parlar-cantando contrôlé, naturel et sans prétention ni théâtralité excessive, l’Arkel monumental de Franz-Josef Selig, patriarche lui aussi bousculé par les manipulations de Mélisande, le Golaud de Laurent Naouri, toujours magistral, avec son faux air de Butler, qui réussit à chanter le texte sur le ton de la conversation, avec un naturel confondant, à la fois distancié et impliqué. Ce que réussit Katie Mitchell, grâce aux éminentes qualités de cette distribution, c’est de faire de chaque personnage ou presque un Janus bi-face, avec une face au monde et une face cachée, face externe et interne. Et Naouri est ici un chanteur exceptionnel d’intelligence, intérieur, retenu, mais en même temps ravagé, avec un sens rêvé du texte et de l’expression et une diction modèle.
Stéphane Degout est Pelléas depuis plus de cinquante fois. C’est d’abord un Pelléas musicien avec un sens du texte exceptionnel, dont il réussit à exprimer les moindres nuances, les moindres inflexions, de la douceur à la violence, de la tendresse à la tension, de l’innocence au désir, la diction est éblouissante (une qualité largement partagée par l’ensemble du plateau d’ailleurs), elle atteint le stade de la perfection quand elle s’allie à une telle expressivité, c’est une diction théâtrale presque avant que d’être musicale. Et puis il y a le personnage, merveilleusement conduit dans son évolution, depuis le Pelléas engoncé, plein de tics, étouffé et timide du début, celui soumis au « paterfamilias » Arkel, qui ne va pas voir Marcellus mourant, paralysé par la maladie paternelle et par l’interdiction d’Arkel, au Pelléas plus accompli par l’amour de la deuxième partie, plus ouvert et plus libre.
Justement, l’Arkel de Franz-Josef Selig joue vraiment le « Paterfamilias », aux mouvements calculés, plus souvent assis à la table à « présider » comme un Arkel « commandeur ». La diction est soignée, l’expression bien contrôlée, ainsi que la projection, avec un langage clair, qui exprime l’autorité et qui n’empêche pas le feu intérieur qui s’allume au contact de cette Mélisande volontairement perturbatrice. Un Arkel lui aussi Janus, aux limites de son contrôle sur lui-même. Belle composition de Chloé Briot en Yniold chantant en équilibre instable sur une échelle, même si je préfère les Yniold interprétés par de jeunes garçons (le magnifique enfant du Tölzer Knabenchor à Zürich). Quant à Thomas Dear, il prête un beau timbre, très présent, à la figure fugace du médecin.

Dans ce monde un peu paralysé, vaguement fossilisé, Mélisande a évidemment le statut d’élément perturbateur : elle est la femme, plus mûre mais encore jeune, d’une séduction presque animale. Elle n’a rien de l’oiseau fragile dont le texte parle. En scène elle est affirmée, notamment lorsqu’elle porte cette robe rouge-vermillon, couleur de la passion, qui l’isole par rapport aux teintes pastel presque effacées ambiantes. Aucun des costumes des autres ne possède cette agressivité. La présence scénique d’Hannigan fait le reste, un oiseau (de proie ?) sensuel et mûr vaguement destructeur. Comme toujours son chant peut diviser : sa diction, peut-être d’un souffle moins parfaite que celle de ses partenaires lui donne justement un souffle d’étrangeté et d’absence, mais l’expression est décidée, le ton est affirmé, la voix est merveilleusement placée à tous les degrés du registre et magnifiquement expressive par de multiples modulations. Je la préfère néanmoins dans la Marie manipulée de Die Soldaten à Munich que dans cette Mélisande manipulatrice où elle est néanmoins admirable. Peut-être aussi est-ce d’ailleurs la nouveauté du personnage qui me trouble. En tous cas, et c’est la magie des festivals, je ne vois pas quelle autre chanteuse pourrait incarner Mélisande dans cette production si elle entrait dans le répertoire d’un théâtre. C’est une production construite pour elle et autour d’elle, c’est sa grandeur et aussi sa faiblesse que d’être un Pelléas et Mélisande-Hannigan plutôt qu’un Pelléas et Mélisande.

 

On attendait aussi beaucoup, comme je l’ai écrit au début, de la direction d’Esa-Pekka Salonen particulièrement adapté aux œuvres de la première moitié du XXème siècle, dans une œuvre qui a priori est faite pour lui et qu’il connaît sur le bout des ongles, d’autant qu’il y dirigeait son Philharmonia Orchestra.

J’avoue avoir été moins sensible à son travail qu’en d’autres occasions. On a plusieurs manières d’aborder Pelléas, une manière impressionniste, miroitante, relevant chaque son en faisant une sorte de multiplication de reflets diamantesques : c’était le cas jadis d’Abbado, qui savait cependant, en immense chef de théâtre qu’il était, accompagner le drame et donner de la tension. Ce fut aussi le cas de Gatti à Florence, qui avec une incroyable clarté, révélait l’ensemble des secrets de la partition, dans des conditions acoustiques difficiles, mais rendant chatoyant et riche de tous ses reflets un texte musical imprégné de l’ambiance littéraire de la période et pas seulement de Maeterlinck. Maazel jadis à Paris (avec Jorge Lavelli, Frederica Von Stade, Richard Stillwell et Gabriel Bacquier) avait su conjuguer l’onirique, le poétique et de dramatique. C’est à lui que je dois mon amour pour cette œuvre que je regardais avec distance dans ma prime jeunesse, tout occupé à découvrir Wagner. J’aime les directions musicales qui illuminent et qui éclairent tous les détails de ma mosaïque debussyste, faite de tesselles orientées différemment, tout à la fois ombres et lumières, et qui néanmoins savent créer tension et drame.
Je n’ai pas trouvé tant de tension dans l’accompagnement musical du drame surtout dans un première partie que j’ai trouvée trop linéaire. Certes, on peut dire que Salonen suit en cela la mise en scène, dans sa continuité et sa fluidité dramatique qui passe de scène en scène comme un regard presque extérieur au drame (celui de la Mélisande rêvant). J’ai écrit linéaire, je devrais dire lisse, trop lisse, sans aspérités, et avec une discrétion étonnante qui fait qu’à certains moments on n’entend peu l’orchestre. Un parti pris de discrétion qui me perturbe parce que je n’y entend plus les chatoyances, les différences de couleurs, les ruptures aussi, mais une sorte d’uniformité.
Certes, la deuxième partie plus dramatique donne un peu plus de relief à l’ensemble, mais sans jamais être abrupt, ou brutal. Ce parti-pris me paraît courir le risque de ne pas rendre justice à l’œuvre, de ne pas lui rendre sa profondeur, au profit d’une certaine fadeur, de la couleur un peu passée du décor, un son lointain et quelquefois indifférent.
J’entends bien que le parti-pris scénique, un rêve qu’on regarde, contribue à éloigner, et peut induire le chef à proposer un son sans le son, une sorte de second degré, de vision derrière la vision et donc éloigner le choc direct, j’entends bien – pour le défendre à chaque fois- que le chef et le metteur en scène ne peuvent jouer des partitions différentes, mais j’avoue avoir quelque peu regretté un relief qui me paraît si indispensable ici.

Indiscutablement cette production interroge et ce n’est pas la seule du festival (on le verra bientôt avec Cosi fan tutte). C’est intéressant de proposer un Pelléas et Mélisande d’un « réalisme onirique » qui a incontestablement trouvé un ton. Pourtant, malgré l’excellence de la distribution et sa justesse de ton, je suis resté un peu sur ma faim.
Il y a un mois, j’étais à Zürich pour un autre Pelléas et Mélisande, dirigé par Alain Altinoglu et mis en scène par Dmitri Tcherniakov, qui proposait lui aussi une vision de famille en déliquescence, mais avec une violence inouïe et inédite dans cette œuvre (magistral Golaud de Kyle Ketelsen, imposante Geneviève d’Yvonne Naef et incroyable Arkel de Brindley Sherratt) que relayait dans la fosse un Alain Altinoglu original et poignant, très expressionniste (certains ont dit puccinien), plein de couleurs et de tensions, de contrastes, de dynamique, très surprenant dans sa manière d’emprunter une voie inédite. J’ai préféré ce Pelléas coup de poing, ou le Pelléas suspendu et ailleurs de Christophe Honoré à Lyon, plutôt que ce goût amer et lointain laissé par le travail de Katie Mitchell, au contact d’artistes admirables, nous laissant des images souvent belles, mais ni le cœur lacéré, ni l’âme en capilotade. [wpsr_facebook]

Thanatos : Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève) Laurent Naouri (Golaud) Barbara Hannigan (Mélisande) Stéphane Degout (Pelléas) Franz-Peter Selig (Arkel) Thomas Dear (le médecin) ©Patrick Berger / ArtComArt
Thanatos : Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève) Laurent Naouri (Golaud) Barbara Hannigan (Mélisande) Stéphane Degout (Pelléas) Franz-Peter Selig (Arkel) Thomas Dear (le médecin) ©Patrick Berger / ArtComArt

BAYERISCHE STAATSOPER 2015-2016: LES DIALOGUES DES CARMÉLITES de Francis POULENC le 30 JANVIER 2016 (Dir.mus: Bertrand DE BILLY; Ms en scène Dmitri TCHERNIAKOV)

Entrée de Blanche (Christiane Karg) au Carmel ©Wilfried Hösl
Entrée de Blanche (Christiane Karg) au Carmel ©Wilfried Hösl

La production de Dimitri Tcherniakov de Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc sur le texte de Georges Bernanos remonte à 2010, et elle avait alors été dirigée par Kent Nagano et enregistrée en DVD par Bel Air Music. Les « ayant droit » trouvant la fin de ce spectacle contraire au sens qu’en voulaient donner Bernanos et Poulenc ont intenté un procès, perdu en première instance et gagné en appel. Si le spectacle dont ils avaient aussi demandé l’interdiction n’a pas été l’objet d’une sentence, le DVD quant à lui est bel et bien interdit. C’est donc avec une certaine curiosité que j’ai vu à Munich la reprise de ce spectacle, dirigé par Bertrand de Billy, dans une très belle distribution, Laurent Naouri, Stanislas de Barbeyrac, Sylvie Brunet-Grupposo, Christiane Karg, Anne Schwanewilms, Anna Christy, Susan Resmark.

Et si les tribunaux appliquent la loi ou disent le droit, la position des « ayant droit » apparaît difficilement compréhensible à plusieurs niveaux.
D’abord, la mise en scène de Dmitri Tcherniakov n’est en aucun cas choquante. Comme souvent chez Tcherniakov, elle est un bilan de lecture, qui fait de Blanche le personnage clef de l’œuvre, à travers le nom qu’elle s’est choisi, « Sœur Blanche de l’agonie du Christ », un nom qui place la question de la mort au centre de la problématique posée par l’œuvre, comme le montre d’ailleurs la scène de la mort de la première Prieure, Madame de Croissy, qui malgré une vie au carmel, est saisie d’une angoisse existentielle à l’approche du moment fatal. La question du rôle des religieuses est aussi posée par ce nom, qui évoque le Christ qui offre sa vie pour sauver l’homme et qui est de la part de Blanche une affirmation orgueilleuse, héroïque, qui ne correspond pas forcément à la faiblesse intrinsèque de la jeune fille ou même plus généralement à la faiblesse intrinsèque de l’homme.
Dans le livret et la pièce de Bernanos, Blanche, qui a échappé à l’arrestation finit par grimper volontairement à l’échafaud pour accompagner les sœurs et finit par vaincre l’angoisse de la mort pour périr au milieu de ses compagnes, la dernière .

La vision de Tcherniakov est déterminée par le nom que Blanche a choisi, et par la logique qu’il implique :  cette dernière, pour honorer ce nom, sauve une à une chacune de ses compagnes, et demeure la seule à aller au sacrifice et au don définitif de soi. Cette démarche est pour Tcherniakov l’aboutissement du chemin que Blanche a pris en choisissant son nom, un chemin qu’il estime conduire logiquement à ce sacrifice-là, un chemin auquel la première prieure a renoncé. Il raconte donc l’histoire d’un basculement d’une Blanche d’abord faible et fragile, qui réussit finalement à agir conformément à son nom.

Blanche (Christiane Karg) ©Wilfried Hösl
Blanche (Christiane Karg) ©Wilfried Hösl

Tcherniakov a donc conçu son spectacle (3 actes et 12 tableaux), en 12 stations séparées chacune par un noir total et un long silence, comme une fresque iconique en autant d’icônes, d’icônes « vivantes », qui sont le parcours d’une Passion christique.
Pour ce parcours, il garde le plateau systématiquement vide et la première image est celle d’une foule bigarrée qui est une somme d’individus qui se croisent, se saluent, s’embrassent au milieu de laquelle Blanche est perdue, agressée, et se retrouve seule sur cet espace sans limites.

Puis la musique commence, et apparaissent sur ce plateau nu Le Marquis de la Force (Laurent Naouri) et le Chevalier (Stanislas de Barbeyrac, qui fait ses débuts sur la scène munichoise), tout autant que Blanche, petit être emmitouflé, comme des êtres tous perdus dans un univers sans références et erratique chacun dans son ordre.

Apparition du Carmel devant Blanche (Christiane Karg) ©Wilfried Hösl
Apparition du Carmel devant Blanche (Christiane Karg) ©Wilfried Hösl

Après les scènes de prologue, qui aboutissent à la décision de Blanche de partir au Carmel, du fond de scène, émergeant d’une légère brume apparaît une maison de bois, un espace fermé par des cloisons transparentes, aux dimensions assez réduites, voire presque étouffantes, à l’intérieur duquel les sœurs sont réunies autour de la prieure.

ar07m01Presque tout l’opéra se déroulera à l’intérieur de cet espace, espace protégé, image de la clôture du Carmel mais aussi de son isolement, et de cette coupure du monde, un monde vide qui répond à un espace trop plein, qui étrangement rappelle la manière dont on représente les espaces intérieurs dans les fresques médiévales ou sur les icônes, où se déroulent des scènes de l’Évangile.
Voilà la ligne directrice de ce travail, finalement assez simple et linéaire, où tout est vu du dedans et au dedans, et où le monde extérieur apparaît très peu, par des bruits, des échos de scènes de foules, et par quelques intrusions des personnages  le prêtre d’abord, puis les policiers (le commissaire), mais aussi le Chevalier dans une belle scène qui montre physiquement, par la distance, par l’utilisation de l’espace le fossé qui le sépare désormais de Blanche avec laquelle il entretient une relation si complexe.

La vie au quotidien ©Wilfried Hösl
La vie au quotidien ©Wilfried Hösl

Cette dialectique du « trop plein » intérieur : meubles, chaises, personnages envahissent l’espace et l’obstruent et du vide extérieur rend physiquement un aspect rarement souligné, qui est l’impression de sécurité et de chaleur, le côté « cocon », de cet espace intérieur face à un extérieur presque invisible, sombre et brumeux, vide, et angoissant.

Les deux moments où apparaît la foule, l’image initiale et la scène finale, sont deux moments antithétiques : au départ, une foule anonyme où Blanche se perd et qu’elle vit presque comme une agression, et à la fin une foule de badauds réunis pour assister au supplice et que Blanche transcende. D’ailleurs, même si la guillotine n’est pas montrée et pour cause, la maison d’où l’intérieur nous est cette fois masqué est entourée par la police comme une « scène de crime », et l’on pressent que cette « maison » va être brûlée, comme brûlée du feu purificateur. Il est pour moi probable que Tcherniakov ait pensé au sacrifice des vieux croyants dans Khovantchina et qu’il ait rapproché les deux situations, d’autant que la musique de Poulenc puise souvent dans l’univers de Moussorgski.

Madame Lidoine (Anne Schwanewilms) ©Wilfried Hösl
Madame Lidoine (Anne Schwanewilms) ©Wilfried Hösl

Si les sœurs ne portent jamais l’habit des Carmélites, leurs costumes indiquent le mépris du monde et des conventions (c’est frappant pour Madame de Croissy et Mère Marie de l’Incarnation) Madame Lidoine, la nouvelle prieure, garde un aspect légèrement plus apprêté et plus « féminin » : elle use de la jupe, au contraire du pantalon porté par les deux autres personnages).
Certains éléments ne sont pas mis en valeur par la mise en scène, comme le vote du martyre, instillé par Mère Marie de l’Incarnation, quand chez Christophe Honoré à Lyon par exemple ce moment était fortement ritualisé, comme si ce qui intéressait Tcherniakov, c’est plutôt l’histoire des destins individuels plus que collectifs.

Il a refusé l’approche historique ou contextuelle, pas de signes ni de vêtements religieux, pas de symboles révolutionnaires non plus, et des costumes pour tous plus ou moins anonymes, c’est frappant dans la simplicité dont Chevalier et marquis de la Force sont vêtus (veste un peu élimée pour l’un imperméable pour l’autre) où les fonctions sociales ou hiérarchiques sont effacées, laissant chaque personnage nu dans sa situation simplement humaine. Cette abstraction fondamentale qui concentre sur « le sens » plus que sur « l’histoire » qu’on raconte ou « l’Histoire » qu’on évoque, me paraît peut-être aussi procéder de la culture orthodoxe de Tcherniakov, où dans certaines représentations (notamment de mosaïques, grecques il est vrai, du Xème siècle) sont effacées toutes références sensibles, absence de sol comme si les personnages flottaient, absence de décor ou décor minimal plus évocatoire d’historié, gestes à peine esquissés.
Comme souvent dans son travail, il essaie non de nous perdre dans des détails d’un univers réaliste, mais de nous proposer des lignes épurées, des signes : on pense à Lulu, avec ses parois translucides d’un labyrinthe de verre où tout se voit, dans un vaste dispositif où l’espace de jeu est réduit en autant de « cages de verre », on pense aussi à Lady Macbeth de Mzensk où derrière un apparent réalisme, l’espace de vie (l’espace intérieur) de Katerina est une niche presque close, un espace de clôture là aussi, ou même la maison dans Macbeth, espace clos et isolant..

La révolution passe, et les carmélites quittent la clôture ©Wilfried Hösl
La révolution passe, et les carmélites quittent la clôture ©Wilfried Hösl

Ce qui frappe dans Les Dialogues des Carmélites, c’est que la relation est inversée : là où on lit la clôture qui coupe du monde, c’est le monde qui semble étouffant et l’espace clos qui semble un possible pour la liberté : le vaste plateau nu du Nationaltheater est ici une image étouffante et dangereuse sans direction aucune, quand « la petite maison » reste un espace de sens.
Aussi, et nous y reviendrons, Tcherniakov s’intéresse au mécanisme du don de soi, du don de vie, du don à Dieu, sans rattacher la question à une problématique religieuse voire chrétienne, ou en l’occurrence catholique, ni même historique, mais à la question de l’humanité dans son rapport au mystique, dans son rapport à la transcendance, question fondamentale qu’il semble traiter par antithèse en s’appuyant sur les « pauvres vies » des Carmélites dans une figure oxymorique. Et à ce jeu-là le sacrifice final de Blanche, fidèle au sens de l’agonie du Christ, semble bien proche de ce que les grecs appelaient « ὕϐρις (hybris) », l’orgueil de ceux qui veulent égaler les Dieux : d’où une fin « spectaculaire » là où le spectaculaire a été complètement absent de toute la représentation, avec explosion, flammes et fumées, une fin volontairement « ailleurs » qui effectivement crée un malaise, par rapport à Blanche qui demeure telle qu’elle est rentrée au Carmel, avec sa soif d’héroïsme, et par rapport aux Carmélites, sauvées, mais en contradiction face à leur vœu de Martyre, qui rejoignent Mère Marie de l’Incarnation dans l’anonymat des ordinaires.

A ce travail très tendu, très profond, très juste souvent aussi, mais qui pour moi n’a pas tout à fait la force d’autres spectacles de Tcherniakov, à commencer par cette Lady Macbeth de Mzensk vue à Lyon quelques jours auparavant, correspond une distribution en tous points exemplaire, comme souvent à Munich.

Blanche (Christiane Karg) et le Marquis de la Force (Laurent Naouri) ©Wilfried Hösl
Blanche (Christiane Karg) et le Marquis de la Force (Laurent Naouri) ©Wilfried Hösl

Dans le rôle très réduit du marquis de la Force, Laurent Naouri réussit à donner au personnage à la fois cette relative dureté et cette distance un peu ironique qu’il a souvent, cette distance qui est cause de la fragilité des deux enfants, le Chevalier et Blanche ; diction parfaite, évidemment, et toujours une vraie présence.
Stanislas de Barbeyrac était le Chevalier, et il faisait ses débuts à Munich. Comme toujours, suprême élégance dans la manière de dire le texte, dans le contrôle des notes, dans l’expressivité : il est vraiment émouvant. Est-ce néanmoins un rôle pour lui ? il a eu un peu de mal avec certains aigus et surtout, l’orchestre le couvrait quelque peu et empêchait quelquefois d’entendre sonner le texte. La tessiture est tendue, l’orchestre est important, mais je ne pense pas que le chanteur soit en cause, derrière ce timbre, j’entends décidément toujours un futur Lohengrin (on imagine une future carrière à la Gösta Winbergh), mais la question du volume orchestral s’est posée plusieurs fois.
Christiane Karg était Blanche. J’ai écouté plusieurs fois cette chanteuse, particulièrement valeureuse, sans être toujours convaincu du côté exceptionnel de ses prestations que d’autres amis soulignaient. Ce n’est pas le cas ici : elle est magnifique et totalement convaincante. Elle a la fragilité, elle a le timbre séraphique, et elle a une clarté d’expression (et une diction française !) en tous points exceptionnelle. C’est l’une des plus belles Blanche qui m’ait été donné d’entendre.

Constance (Anne Christy) et Blanche (Christiane Karg) ©Wilfried Hösl
Constance (Anne Christy) et Blanche (Christiane Karg) ©Wilfried Hösl

Anna Christy était Constance, un peu moins convaincante, bien que très fraîche avec un timbre très clair elle n’a pas l’expressivité de Christiane Karg et n’est pas vraiment émouvante, ou du moins la mise en scène ne lui donne pas l’importance qu’un Christophe Honoré lui donnait à Lyon par exemple. Il reste que leur scène initiale est intéressante dans la manière dont elle est réglée, où Blanche est volontairement méchante (elle lui renverse son seau) , mais sa personnalité scénique n’irradie pas à la manière dont irradiait une Sabine Devieilhe.
Le personnage de Mère Marie de l’Incarnation est campé. On pourrait laisser le mot sans autre qualificatif : campé, solide, et sans doute construit dans ce style pour Susanne Resmark au physique bien planté, qui tranche avec l’idée qu’on se fait de ce personnage. Il en fait un personnage tout d’une pièce, sans grande subtilité, qui évidemment tranche avec sa « rivale » Madame Lidoine, au contraire toute élégance et féminité. Toujours ce souci de tracer des lignes de partage symboliques. La voix est solide, sans vrai caractère, avec quelque problème de projection, mais en tout cas colle parfaitement au personnage.

Blanche (Christiane Karg) et la première prieure (Sylvie Brunet-Grupposo)©Wilfried Hösl
Blanche (Christiane Karg) et la première prieure (Sylvie Brunet-Grupposo)©Wilfried Hösl

Sylvie Brunet-Grupposo est comme à Lyon magnifique dans le rôle de Madame de Croissy la première prieure. La table de la « petite maison » devient un lit pour l’occasion, et il n’y a volontairement aucune noblesse dans cette mort, dans ce comportement, dans l’attitude même : c’est très proche de ce que faisait Honoré à Lyon, diamétralement opposé à l’option si théâtrale et si spectaculaire d’Olivier Py au Théâtre des Champs Elysées (avec Rosalind Plowright déchirante et qui savait si bien user d’une voix déchirée). Diction parfaite, violence incroyable, humanité bouleversante, sens du texte et de l’expression, malgré une voix à la projection pourtant limitée. Il est sûr que Sylvie Brunet-Grupposo dont la carrière n’a pas toujours répondu aux espoirs mis en elle a trouvé là son rôle fétiche. Elle remporte d’ailleurs un succès personnel marqué.
J’étais un peu surpris de trouver Anne Schwanewilms dans cette distribution, elle qui est une chanteuse straussienne de très grand niveau.
Dès son monologue conclusif de la première partie, on comprend ce choix. Entre la brutalité de Mère Marie, la déchirure de Madame de Croissy, elle est d’abord d’une humanité et d’une sérénité prodigieuse, qui tranche et qui rassure, elle sait adopter un ton apaisant, mais avec une véritable autorité (notamment avec Mère Marie). Diction impeccable, chant particulièrement intelligent et modulé, suprêmement élégant. Avec cette attitude scénique tellement noble, elle tranche totalement et avec Mère Marie, comme on l’a dit, mais aussi avec Madame de Croissy. La noblesse de naissance de la première ne se sent pas vraiment dans ce travail (au contraire de ce que faisait Py), mais la noblesse d’âme de la seconde, roturière, se lit dans la manière dont elle se meut, dont elle se tient, dont elle domine aussi le groupe des sœurs. Grande interprétation, qu’on voit dans les petits détails et les petits faits vrais que son jeu fait transpirer.
Plus généralement, l’ensemble de la distribution répond aux exigences de l’œuvre  de Bernanos et de la musique de Poulenc, notamment en terme de clarté du texte, de diction et d’expression. Heike Grötzinger(Mère Jeanne), Rachael Wilson (Sœur Mathilde) , Alexander Kaimbacher (L’aumônier), Ulrich Reß (1er commissaire), Tim Kuypers (2ème commissaire), Andrea Borghini (le géôlier), Igor Tsarkov (L’Officier) ou Johannes Kammler (Thierry) montrent tous la qualité consommée de la troupe et de l’opéra-studio du Bayerische Staatsoper.

Après Kent Nagano en 2010, c’est à Bertrand de Billy que Klaus Bachler a fait appel. Le chef français, qui fait essentiellement carrière en Allemagne et qu’on voit très rarement (et inexplicablement) en France m’a un peu déçu dans son approche. Je ne suis pas très amoureux de cette musique, mais elle porte en elle une émotion singulière, et des moments de tension spectaculaires et dramatiquement marqués, ce qui explique son succès depuis sa création à la Scala (et en italien) en 1957. Elle porte aussi des souvenirs aussi bien – on l’a déjà souligné- de Moussorgski, très présent, mais aussi de Ravel et d’autres compositeurs notamment du premier XXème siècle. Bertrand de Billy n’a pas réussi – sans doute aussi faute de répétitions (l’opéra de Bavière a mis toute son énergie sur la création de South Pole qui avait lieu le lendemain de la représentation à laquelle j’ai assisté) – à imposer un style et une interprétation marqués, ne donnant aucun relief particulier à une œuvre qui ne manque pas de moments de théâtre forts. L’excellent orchestre est au point (quelques scories aux cuivres), c’est en place, mais ça n’est qu’en place : rien ne se détache, le rendu est assez plat et assez monotone, cette lecture sans particulière clarté ni options ne rend pas justice à la situation et surtout n’est jamais protagoniste, laissant la scène conduire la représentation.

Au terme de ce compte rendu, je tiens à exprimer encore une fois ma très forte surprise devant l’interdiction des DVD de la version Nagano de 2010. Je crois que les « ayant-droit » avaient demandé l’interdiction des représentations et du DVD. Il faut lire à ce propos l’article assez complet  de Sophie Bourdais dans Télérama  Ils ont obtenu en appel l’interdiction du DVD.
Cette détestable aventure pose une nième fois la question des « ayant droit » qui défendent leur idée de l’œuvre au nom des liens privés qu’ils ont avec les auteurs. Pour ma part, à partir du moment où une œuvre est publiée, elle appartient au public et l’auteur prend la responsabilité de la laisser en pâture au lecteur, au musicien, aux interprètes et bien sûr aux metteurs en scène.  L’attitude des « ayant droit »  supposerait qu’une œuvre a un sens définitif, marqué dans le marbre, alors que les lois de l’herméneutique contredisent évidemment toute idée de « sens » d’une œuvre. Les exemples ne manquent pas d’œuvres lues d’une certaine manière à leur création et lues au fil des ans d’une manière différente, Molière par exemple mais aussi des romans, ou même la poésie (Baudelaire ou Flaubert, eux aussi objets de procès…). De ce point de vue, il me semble que le droit des héritiers à être dépositaires d’une certaine idée de l’œuvre est abusif. Mais c’est un autre débat.

S’attaquer à une mise en scène dont la fin, selon les « ayant droit », « transformait profondément la fin de l’œuvre et la dénaturait » me paraît erroné, sinon abusif à propos d’un travail qui me semble très respectueux de l’esprit de l’œuvre. C’est pour moi une pièce de plus au débat filandreux sur la mise en scène, et sur le rôle de la mise en scène dans le spectacle d’opéra : c’est là où le débat est le plus crispé, car le public d’opéra reste souvent réfractaire à la mise en scène quand elle va plus loin qu’une illustration et quand elle problématise de manière plus acérée une œuvre, dérangeant les opinions toutes faites et la tranquillité de ceux qui vont à l’opéra « pour la musique » (ceux qui vous disent qu’ils préfèrent une version de concert, allant résolument contre 400 ans d’histoire de la scène, et contre la révolution wagnérienne). Dans cette affaire malheureuse, les « ayant droit » ont ajouté une pièce ridicule et scandaleuse à ce procès-là, mais ils ont surtout mis un peu plus de poussière et de cendres sur leur statut. Honte à eux.[wpsr_facebook]

Image finale ©Wilfried Hösl
Image finale ©Wilfried Hösl

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2014-2015: PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude DEBUSSY (Dir.mus: Kazushi ONO; Ms en scène: Christophe HONORÉ)

Une forêt, une Jaguar...la scène I © Jean-Louis Fernandez
Une forêt, une Jaguar…la scène I © Jean-Louis Fernandez

Le mal d’amour.
Pelléas et Mélisande est la nième variation sur l’amour d’un couple irrégulier et d’un mari mal aimé. La Princesse de Clèves, que Christophe Honoré connaît bien, raconte un peu la même histoire. Le Rouge et le Noir aussi, Tristan et Yseult et donc Tristan und Isolde, ainsi que le Roi Arthus de Chausson si récemment redécouvert et bien d’autres. C’est dire combien a priori ce thème n’a rien de neuf quand Maeterlinck s’en empare en 1892, c’est au contraire un topos littéraire.
Maeterlinck en fait sa version « symboliste », moyen âge rêvé, forêt mystérieuse, personnages venus de nulle part dans un royaume au nom déjà évocateur : Allemonde, une alliance de alle- qui pourrait bien venir du ἄλλος grec (autre) et du mundus latin, l’autre monde, le monde autre, qui pourrait être aussi un jeu sur « allemande » à une époque où l’Allemagne est vraiment l’autre et qui rappelle le nom qu’il choisit pour la villa qu’il achètera à Nice, la Villa Orlamonde. Je délire dans la forêt des symboles, qui raconte une histoire somme toute a priori bien commune. Il faut donc que le travail de mise en scène en fouille les spécificités pour en faire une histoire singulière.

Pelléas et Mélisande, dans l’univers fantasmatique culturel français, c’est un moyen âge de contes, salles hautes, tours élevées d’où Mélisande fait tomber sa mythique longue chevelure car c’est bien là aussi ce qu’on retient de Mélisande, une chevelure longue dans laquelle Pelléas se perd (mais non, il n’y pas de métaphore érotique, voyons !), un couple de vieillards, un mari mur (Mélisande observe dès la première rencontre ses cheveux blancs), un enfant Yniold totalement instrumentalisé et un Pelléas post-adolescent, en bref, sur le plateau s’exposent la plupart des âges de la vie.
L’univers de Pelléas et Mélisande est d’abord littéraire, le choix de Debussy de ne pas toucher au texte original de la pièce est aussi un choix esthétique : c’est la musique qui habite un texte préexistant et qui a sa vie propre, et même une vie qui a perturbé nombre d’auditeurs, à commencer par les premiers spectateurs, (les réactions fameuses à « Je ne suis pas heureuse ») essentiellement dues à mon avis au fait que le texte apparaît comme un texte de prose ordinaire alors que c’est un “Poème” de Maurice Maeterlinck et qu’il est en vers libres d’où la tension entre une langue réellement poétique, et une réception qui semble être celle d’un texte prosaïque en tous les sens du terme.

Pelléas et Mélisande par Jorge Lavelli
Pelléas et Mélisande par Jorge Lavelli (décor de Max Bignens)

Jorge Lavelli à qui l’on doit un magnifique travail à Paris en 1977, dirigé par un non moins magnifique Lorin Maazel, pour l’entrée au répertoire de l’Opéra, disait dans une interview que les interprètes devaient s’exprimer en donnant l’impression qu’ils ne chantent pas et « s’expriment à travers le chant comme on pourrait le faire en parlant » (sic) . Un ami qui voyait l’opéra pour la première fois et qui avait lu le texte de Maeterlinck évoquait « Les parapluies de Cherbourg » pour traduire l’impression d’étrangeté voire de contraste entre un texte de prose apparemment ordinaire et une musique qui s’y adapte. Aussi étonnant que puisse être ce rapprochement, il traduit la gêne devant la présence inhabituelle de ce type de texte à l’opéra et surtout la manière qu’il a de s’imposer,  selon la volonté même de Debussy mais il traduit aussi une belle intuition puisque Christophe Honoré revendique l’héritage de Jacques Demy.
En plus on en a souvent fait un texte « poétique » au sens gauchi du mot, éthéré, lointain, mystérieux comme les forêts profondes, alors qu’il y a des moments extraordinairement violents et cruels et que la censure en 1902 s’en est même mêlée…
Il y a dans Pelléas et Mélisande un aspect chair et sang qu’il n’y a pas avec la même prégnance dans Tristan und Isolde, auquel on le compare. Il y a dans Pelléas quelque chose de bien plus dramatique et urgent à cause du personnage de Golaud, qui occupe bien plus d’espace que Marke dans Tristan. Comme je l’ai déjà écrit y compris dans le présent texte, à cause du côté retenu de personnages amoureux qui dans la tradition, ne se touchent pas, et qui subissent la marque du troisième personnage, malgré leur « innocence », la situation me rappelle La Princesse de Clèves. La Princesse et Nemours s’aiment et se désirent comme Madame de La Fayette nous le fait sentir fortement lors de la fameuse scène de la canne des Indes portant les couleurs du duc dans le texte commençant par « les palissades étaient fort hautes » où le duc contemple de loin la princesse rêveuse et rêvant. Dans un autre contexte, Golaud fait regarder des amants par Yniold , et Honoré le fait regarder par dessus un haut mur -. Mais surtout avant de mourir le discours violent, injuste, lacérant, du Prince de Clèves à la princesse possède le ton désespéré et vengeur qu’un Golaud eût pu prononcer. La princesse se refusera ainsi définitivement à Nemours. Une différence de taille cependant : la princesse dit la vérité au prince, lui avoue cet amour, et ainsi fait naître jalousie, doute et destruction, et Mélisande au contraire confie ne mentir qu’à Golaud, avec d’ailleurs le même résultat. Mais il y a sans conteste des motifs littéraires voisins.
A entendre certains commentaires ou à lire certaines critiques de ce spectacle, on a vaguement l’impression qu’un peu de fumigènes, une fontaine mal éclairée et une forêt obscure suffiraient pour caler l’évocation de Pelléas et Mélisande, pour laisser le spectateur dans l’enchantement de la musique. Prima la musica ? prima le parole ? Debussy, travaillant sa musique sur le texte même de Maeterlinck a choisi…de ne pas choisir, et de proposer cette double exigence, imposer un texte et imposer une musique qui s’entrecroisent, au point qu’il n’avait pas prévu à l’origine les intermèdes qui vont avoir un bel avenir dans la musique du XXème siècle, et qui créent et renforcent cette action continue qu’il appelait de ses vœux.
Il y a par ce choix une force de la parole qu’il n’y pas dans les autres opéras français « à livret » : pas de livret forcément au service de la musique ici, mais au contraire une musique qui entend servir les paroles, et donc qui donne au théâtre une valence particulière. Bien entendu, on va penser à Wagner. Mais Wagner écrivait lui même ses textes, Debussy choisit de mettre en musique un texte qui fonctionne déjà comme texte de théâtre, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Pour toutes ces raisons, le texte de Pelléas, plus qu’un autre livret en français, nécessite un travail tout particulier sur la diction et sur la transmission, et sans doute aussi est-ce le motif pour lequel l’œuvre est relativement rare sur les scènes étrangères, alors qu’elle est mondialement connue : il est difficile pour un chanteur étranger dans rentrer dans cet univers si particulier.

« Les tableaux de la nature, les actions des humains, tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester eux-mêmes ; ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec leurs Idées primordiales » : voilà ce qu’affirme Jean Moréas dans son Manifeste du symbolisme. Pourtant, même si les personnages de Maeterlinck apparaissent surgir dans l’action sans histoire, sans passé, il se dit des choses qui sont très concrètes et qui construisent une histoire et retissent un passé. Christophe Honoré choisit donc de suivre scrupuleusement le livret pour en déduire un univers, qui n’est certes pas celui habituel de Pelléas, mais qui s ‘appuie sur des éléments parfaitement vérifiables.
L’univers de Pelléas et Mélisande est un univers de contes de fées qui convient bien au symbolisme : on y trouve un peu tous les éléments du conte : Moyen-âge, Princes, lieux imprégnés de mystère et d’une sorte de vie secrète (forêt, grotte), on y trouve aussi le surgissement de Mélisande venue de nulle part peut-être, mais d’un nulle part suffisamment noir pour qu’elle ait à le fuir, un nulle part qui fait du mal, un nulle part dont elle possède une couronne qu’elle jette pour la voir disparaître.

Un autre image de la mise en scène de Lavelli en 1977
Un autre image de la mise en scène de Lavelli en 1977

Ce surgissement magique pose le premier élément. Jorge Lavelli avait bien montré cet univers avec cette ombre de château vaguement médiéval revu XIXème siècle. C’était une de ses belles mises en scène (Paris 1977)

 

Une image de la mise en scène de Vitez © Lelli & Masotti
Une image de la mise en scène de Vitez dans les décors de Yannis Kokkos

Antoine Vitez, dans la mise en scène la plus poétique et la plus juste de l’œuvre, que j’ai eu la chance de voir quatre fois (Scala, Vienne, Londres), insistait sur un univers d’innocence peu à peu effilochée et détruite. Lavelli et Vitez s’appuyaient sur un univers dessiné, au total abstrait. Mais l’univers du conte est un univers de non-dit partagé. Christophe Honoré va se confronter à l’œuvre en faisant, pour évoquer un célèbre ouvrage, une « psychanalyse du conte de fées » Pelléas et Mélisande, et essayer de sortir du conformisme dans lequel l’œuvre a été souvent scéniquement enfermée.
Il la traite donc de manière théâtrale, c’est à dire comme objet d’analyse et de réflexion sur la nature d ‘un texte dont la nature dite « symboliste » ne se suffit pas à elle-même. Il cherche donc, en s’appuyant sur le livret à chercher les motivations cachées des personnages, leurs désirs, leurs limites, leurs lacérations.
Dans sa lettre aux chanteurs qui illustre le programme de salle, il affirme « rendre au désir sa nature incongrue, ridicule, déplacée, crâne, sale, absolue ». Le désir est souvent présent dans l’espace tragique, mais souvent aussi étouffé par la « bienséance » : il y a derrière tout vers racinien, la brûlure du désir « j’ai fait couler dans mes brûlantes veines » dit Phèdre…Phèdre parle à Hippolyte de manière si rapprochée qu’il sent son souffle et qu’on l’entend « Mais fidèle, mais fier et même un peu farouche » au point qu’il en rougit « cette noble pudeur colorait son visage ». Effacer le désir de la représentation tragique est non seulement une erreur, mais un contresens. De même dans l’opéra: le duo de Tristan est tout de même la métaphore musicale de la montée d’un orgasme (interrompu), et le dernier mot du texte de l’opéra est « Lust » : les mots ont un sens.

Pelléas, Geneviève, Yniold (assis) et Arkel (à gauche), Marcellus mourant sur l'écran © Jean-Louis Fernandez
Pelléas, Geneviève, Yniold (assis) et Arkel (à gauche), Marcellus mourant sur l’écran © Jean-Louis Fernandez

D’un autre côté, Christophe Honoré tire le texte vers la question de l’adolescence qui, on le sait, l’intéresse. Il fait de Pelléas et Mélisande un couple adolescent fragile, « la très grande force des corps et leur très grande vulnérabilité ». La fragilité est l’un des éléments centraux de l’œuvre, physiquement montrée à plusieurs moments chez le personnage de Mélisande, mais il étend cette fragilité à tous les personnages, dont il fait des personnages à fêlure, à ambiguïté: la vision d’un Marcellus mourant du SIDA offert aux regards sur l’ écran lorsqu’il est évoqué par Pelléas jette un regard particulier sur son passé et donne à l’ordre d’Arkel de  différer son départ une valeur singulière qui contraint Pelléas (comme Hippolyte dans Phèdre d’ailleurs, tiens tiens) à ne cesser d’annoncer son prochain départ.

Dans cette construction intellectuelle et intelligente d’un Pelléas et Mélisande vu en version cachée, derrière les yeux, et je rajouterais derrière les corps, l’ambiance construite a évidemment une valence particulière, ainsi que la manière dont la soirée est construite : l’opéra est présenté en deux parties, une première avec toutes les scènes d’exposition, jusqu’à la scène de la grotte, puis la seconde partie qui raconte l’histoire jusqu’à son climax. Le décor d’Alban Ho Van a une présence notable, voire envahissante, voire insupportable dans ce travail, et notamment le contraste avec la scène I (ainsi que la dernière scène) espace vide avec Jaguar (la voiture) dans une nuit brumeuse, et une forêt à peine visible sur l’écran qui projette les images que le texte ne dit pas mais suggère, ou que les personnages sentent ou rêvent ou que le public a peut-être envie de voir. Dès la deuxième scène (la lettre, magnifiquement dite par la Geneviève incarnée de Sylvie Brunet Grupposo) commence un ballet insupportable de structures lourdes de décor qui font beaucoup de bruit par leur déplacement et qui dérangent.
Je suis tombé dans le piège, et à l’entracte je disais ne pas entrer dans le spectacle, être dérangé et être bien peu convaincu de l’approche.

Un monde de murs © Jean-Louis Fernandez
Un monde de murs © Jean-Louis Fernandez

D’ailleurs, d’autres spectateurs n’hésitent pas à sortir dès l’entracte. Ce qu’il ne faut jamais faire en principe, et en particulier ici, car le sens de ces mouvements, de ces hauts murs qui obstruent toute vision, qui ne laissent aucun horizon, apparaît dans toute sa logique dans la deuxième partie. Un monde d’arrière cour, de sorties de service, de garages ou de dépôts, un monde de murs à la fois cru et glauque (au sens d’aujourd’hui), mais qui finit d’ailleurs par dégager par contraste une sorte d’irréalité, voire de poésie : la poésie de l’étouffement. D’ailleurs, Honoré utilise non seulement ces bâtiments énormes qui envahissent la scène (et qui nous rappellent que la scène de Lyon est bien plus grande que ne le laisse montrer l’ouverture sur la salle), mais aussi des murs, avec de petites portes, qui cachent un extérieur ou un intérieur lui aussi obstrué. Pelléas apparaît plusieurs fois perché sur des murs, Golaud fait regarder Yniold par dessus un mur, un univers qui étouffe, fermé, où l’enfermement fait penser inévitablement à une prison, annonciatrice de mort : n’est-ce pas une porte percée dans un mur qui annonce la fin de Pelléas ? N’est-ce pas contre un mur qu’il est poignardé ? Alors, ces déplacements bruyants de la première partie, ces structures monumentales et aveugles, sont apparemment inutiles parce qu’elles n’imposent pas de parcours, mais imposent une réduction des espaces et des mouvements, mais rendent aussi facile de se dissimuler aux autres et voir sans être vu : Néron regardant Junie dans ce palais labyrinthique qu’est la Domus Aurea. Ces mouvements agacent, mettent mal à l’aise, lassent même : et finissent par  installer chez le spectateur le sentiment qu’Honoré veut transmettre : l’envie d’air, l’envie d’espace l’envie de l’extérieur, l’envie, en bref, que ça finisse. Honoré est trop fin pour ne pas l’avoir voulu : ni une erreur, ni une maladresse mais une perturbation volontaire.
De même, volontaires, les interruptions (que Debussy ne voulait pas) le rideau qui se baisse, la mélodie interrompue là où Debussy voulait un flot ininterrompu, l’œuvre découpée en « séquences » pour peser, pour déranger, pour installer chez tous le cathartique malaise. Il y a quelque chose de cinématographique dans tout cela, non pas par la présence de l’écran (quelquefois caché ou partiellement dévoilé) qui dirait ce que la scène ne dit pas , ce serait aujourd’hui trop simple et trop banal,  mais plutôt dans l’ensemble des mouvements, de l’ambiance imposée, de la couleur même, des jeux entre les scènes vues en grand angle (le duo final de Pelléas et Mélisande, magnifique) et les zoom où l’action se concentre dans un petit espace. Il y a quelque chose qui rappelle certains films de Kazan, un cinéaste qui prend racine dans le monde du théâtre (fondateur de l’Actor’s Studio), mais qui s’intéresse aux ambiances étouffantes (les univers à la Tennessee Williams que Kazan connaît bien). Rien de moins réaliste, rien de moins quotidien, rien de moins ordinaire que cet univers presque abstrait, une sorte de cour de récréation (ou de promenade, pour accentuer la métaphore de la prison) qui devient le champ clos des passions ou des désirs, tout comme l’espace tragique des classiques. Des murs, des palissades, sans horizon, les gens se croisent, se heurtent, s’aiment et se tuent.
Il n’est pas dit d’ailleurs que le « réel » soit sur la scène et le « fantasmé » sur l’écran, il n’est pas non plus interdit que des scènes emblèmes de l’œuvre soient vues d’une manière moins évocatoire et plus directe. Il n’est donc pas interdit que la scène de la chevelure si mythique soit directement érotisée, devienne crue et « sale » pour reprendre un adjectif utilisé par Honoré, mais Baudelaire avait déjà avant lui fait de la chevelure un objet poétique et érotique.
D’ailleurs Honoré s’amuse avec la chevelure : il sait bien que pour tous les spectateurs, Mélisande c’est d’abord une chevelure : alors, sa Mélisande va porter des perruques diverses, devenant un avatar de Lulu, un avatar de prostituée, au gré des désirs de Golaud qui l’a épousée, ou qui la possède (en tous les sens du terme), devenant par là-même une sorte d’autre namenlose sans identité que celle qu’on lui met sur la tête. Et la perruque devient « signe » de Mélisande au point qu’Yniold s’en coiffe et qu’Arkel le confonde avec elle et l’embrasse: Mélisande réduite à un accessoire.
A ce propos d’ailleurs, d’aucuns ont vu s’ouvrir un espace pédophile, un concept à la mode aujourd’hui. Je ne vois ni intérêt ni cohérence dans cette interprétation qui tourne court. J’y ai vu plutôt l’idée d’un Yniold qui protège les amants (disparus dans le bâtiment) et qui met la perruque de Mélisande pour donner le change et « détourner  l’ennemi», ce qui met Yniold l’enfant du côté des deux autres enfants, comme les appelle Golaud en les surprenant, ne l’oublions pas, et qui renvoie le couple au monde des enfants, des plus jeunes, d’une certaine innocence, de cette insouciance des « jeux interdits », ce qui me paraît plus riche et plus cohérent avec le sens du travail proposé.
Si l’on disserte sur la chevelure et ses avatars et les perruques successivement portées par Mélisande, il faut remarquer que Mélisande à mesure qu’elle se libère de Golaud quitte ses habits de bourgeoise chic ou de prostituée fantasmée pour être de plus en plus naturelle, ce qu’elle est lorsqu’elle avoue son amour à Pelléas. Dès que l’amour est avoué, dès que la vérité est étalée, dans son naturel et sa netteté, plus de perruque, plus de place pour l’artifice : c’est la fin des jeux de faux semblants et d’une certaine manière, du marivaudage. C’est la fin du « faire comme si ». Il y a une exigence du « dire vrai » ou de « l’être vrai » quand l’amour est avoué. Il en est ainsi entre les deux amoureux, comme chez Marivaux (final des fausses confidences) ou même comme chez Stendhal (dans le Rouge et le Noir, la scène de la visite de Madame de Rénal en prison).
Je ne sais si je sens « vrai », mais je n’ai pas vu les scènes un peu plus crues où les héros se touchent comme des scènes « vraies » au sens où c’est ce que vivent forcément les personnages : c’est possible sans doute parce qu’ils sont dominés par leurs désirs, mais ce peut-être aussi une représentation directe du fantasme et du désir sans que celui-ci forcément s’accomplisse « en vrai ». Comme le rêve de Mélisande projeté à l’écran, dormant entre deux hommes la lutinant immédiatement après une image de Mélisande dormant comme si elle était morte dans une mare de sang (voir photo conclusive du texte) constitue un raccourci d’Eros-Thanatos. Et par la même un signe.

Yniold épie sur le mur...© Jean-Louis Fernandez
Yniold épie sur le mur…© Jean-Louis Fernandez

Mais la scène très théâtrale où les cinq enfants apparaissent lorsque Golaud force Yniold à regarder n’est pas plus « réelle » et eût pu être vue à l’écran. Les limites entre ce que dit la représentation scénique et ce que dit l’écran ne sont pas très nettes ; il serait trop simple de n’y voir que la différence entre réel et fantasme.
Ce qui m’intéresse dans ce travail, c’est son regard vers les possibles du texte, les sous-textes, les non dits. Dans ce texte tout en litotes, c’est à dire en réalité tout en force réprimée, représenter scéniquement la litote n’a pas un intérêt très novateur, c’est une paraphrase réussie si elle est bien réalisée par la mise en scène, terriblement ennuyeuse si elle n’est qu’illustration voire répétition.
L’intérêt du travail de Christophe Honoré, c’est qu’il est intelligemment dérangeant, qu’il ne va jamais contre tous les possibles d’un texte qui n’est pas si éthéré qu’on croit. Quand il montre  Mélisande jeter l’anneau volontairement dans l’eau comme elle a jeté la couronne au départ, il nous oppose à « l’acte manqué » un acte volontaire, qui dit quelque chose de Mélisande qu’on sent mais qu’on préfère ne pas voir.
La magnifique scène où le couple, au IVème acte, s’avoue son amour, et justement traitée à l’opposé : plus d’attouchements, mais deux êtres à l’opposé dans l’espace qui envahissent de paroles cet espace vide; un espace rempli par l’écran au fond qui raconte peut-être l’histoire que nous voudrions voir vivre. L’amour arrive, et tout ce qui faisait le désir non exprimé, le non dit, la vérité cachée, s’éclipse avec une intensité inouïe. Et c’est à ce moment que Golaud , quand le doute n’est plus permis, poignarde contre le mur( !), Pelléas, piégé par l’espace clos et les portes fermées (par Yniold qui est, comme Arkel, un spectateur muet et actif à la fois de l’accomplissement des destins…).

Le mal aimé construit son univers par le fantasme et le jeu des interprétations d’un geste, d’un regard, de mouvements qu’il traduit en douleur, mais aussi en espérance folle de reconquête. Quand la vérité éclate, il faut finir : en tuant Pelléas, Golaud casse le couple mais s’inscrit à jamais dans leur histoire de couple, comme Phèdre condamnant à mort Hippolyte a enfin un rôle dans sa vie, lui qui ne l’a jamais regardée. En tuant Pelléas, Golaud existe enfin pour Mélisande, qui en meurt, et qui meurt de cet enfant de lui qu’elle ne peut plus accepter.
Honoré, je l’ai écrit plus haut, fait vraiment de l’enfant Yniold un vrai rôle, comme un chœur muet le plus souvent qui observe avec une vie propre vue à l’écran, une vie cachée, une vie d’ado, et qui prend part, sinon parti dans la trame qui se noue, et donc je pense qu’il faut l’ajouter aux trois protagonistes. Ainsi, face aux quatre personnages Pelléas, Mélisande, Golaud et Yniold, le couple Geneviève-Arkel a une fonction singulière, vieux couple opposé au « jeune couple », qui vivent cette histoire par procuration, eux dont l’histoire semble arrêtée, et décatie : Geneviève chante au début, mais apparaît plusieurs fois dans plusieurs costumes, du dimanche, de ménagère, en robe de chambre, dans une sorte de quotidien du couple qui en a fini avec les histoires d’amour et qui se confronte au quotidien, pas très drôle, pas très reluisant. Arkel moins extérieur accompagne et commente l’action, il n’est jamais bien loin, comme si lui aussi était amoureux de Mélisande, mais un amoureux qui avec la distance de l’âge, n’attend plus rien, un amoureux qui est quelque part un vague prédateur (voir la scène avec Yniold déguisé, qui le trompe et le fait sortir du bois) son physique à la Nosferatu y fait penser.

Certains – et ce n’est pas faux – ont vu des rapprochement avec Lulu, non dans le caractère de Mélisande, mais dans la manière dont elle est présentée, dont Golaud l’habille de manière artificielle, outrancière, apprêtée, dont elle surgit sans « avant », vêtue comme une prostituée trouvée au bord de la route, et surtout dans la manière dont elle est vue par les hommes, dont elle est « habillée » par les hommes. Il y a dans le regard d’Arkel sur Mélisande quelque chose de ce genre. Et il n’y pas à s’étonner de le voir prendre une part active à sa fin (chloroforme), comme un Jack l’éventreur (ou un Nosferatu) en l’occurrence chloroformeur. Comme on chloroforme les chatons avant de les étouffer ou de les noyer. Arkel qui a compris que les murs sont infranchissables et qu’il vaut mieux le grand saut. On peut aussi penser que si Golaud a tué Pelléas, le père efface Mélisande en une sorte de solidarité intergénérationnelle et amoureuse.

Golaud ramasse Mélisande (sc.I) © Jean-Louis Fernandez
Golaud ramasse Mélisande (sc.I) © Jean-Louis Fernandez

Le spectateur se confronte à la complexité d’une analyse d’un livret qui emmène ailleurs, avec de vagues rapports avec ce que nous avons l’habitude de voir, même si les murs peuvent de manière lointaine rappeler les murs d’un château, mais qui se retrouve détourné et conduit sur une autre voie, sur un autre chemin, tout aussi abstrait malgré un décor envahissant et un faux réalisme caricatural comme la fameuse Jaguar qui ouvre et qui ferme l’œuvre.
Voilà une voiture qui évidemment est là comme première image « choquante » d’un univers que Christophe Honoré veut imposer. On attend une forêt, on l’a retrouve projetée sur un écran, on attend le moyen âge et on a une Jaguar un peu ancienne trônant au milieu d’un espace brumeux.

Voilà une image « hyperréaliste » certes, mais aussi quelque part symboliste, qui renvoie à cause du chauffeur à l’idée de pouvoir et de richesse, d’une richesse sans doute un peu passée : que fait une voiture dans la nuit, attendant le maître parti chasser, au pied de laquelle une jeune femme clairement vêtue en prostituée est lovée. La chasse de Golaud dans les bois ressemble à une chasse moins animalière : on peut même se demander qui il a tué pour revenir avec une lame sanglante et du même coup Mélisande refusant qu’on la touche est presque une prise, une proie trouvée par hasard qui va être possédée et qui sent confusément cette violence. Golaud veuf et seul cherche fortune, et trouve à ses pieds la proie idéale, celle qu’il va posséder et habiller : ce que nous dit Honoré ici, c’est que Golaud est dès le départ un danger.

À la fin, la voiture retrouve une fonction symbolique, comme si ce qui venait d’être vécu se bouclait. Tout s’était ouvert par le surgissement Mélisande, et finit sur Mélisande renvoyée dans le néant d’où elle semble venue. Mais cette fois-ci c’est Arkel qui officie.
Chloroforme, sac poubelle qu’on sort de la malle arrière, c’est pour moi une scène elliptique, suspendue, où sur l’écran Mélisande va se noyer et laisse le monde, et qu’on va noyer, qu’on va effacer, dans un sac poubelle. Où est le réel ? où est le figuré ? La grandeur du suicide ou une mort à la Gilda dans un sac ?
Il n’est pas interdit de penser que la Mélisande du début se laisse mourir au moment où on la trouve et qu’à la fin on l’y aide et on la pousse, comme un petit objet qui a perturbé un moment l ‘étrange Allemonde, et qui va passer hors le monde (comme Orlamonde). Il y a là des motifs auxquels on pense, sans que la scène ne nous donne clairement la solution, comme d’ailleurs la vision traditionnelle de la mort de Mélisande sans raison, sans motif autre qu’un effacement.

Pelés et Mélisande...intimité © Jean-Louis Fernandez
Pelés et Mélisande…intimité © Jean-Louis Fernandez

Christophe Honoré ne donne pas toujours d’explications claires, offrant au spectateur un choix, des chemins, et c’est sa manière à lui de traiter le symbolisme, un symbolisme passant par des images concrètes, des ambiances presque cinématographiques (on parlait plus haut d’Elia Kazan) et donc un symbolisme post-cinématographe.
Aussi ne réduit-il pas l’action à 3 protagonistes et 3 ou 4 spectateurs. Les spectateurs, Geneviève, Arkel, Yniold et le chauffeur qui est aussi le médecin (Jean Vendassi) ont chacun une part du drame, Yniold fait mouvoir consciemment ou non (tantôt l’un tantôt l’autre comme les enfants dangereux) les leviers de l’action, Arkel n’est plus le commentateur, mais à la fin l’acteur. Honoré accorde aux personnages non principaux des rôles, y compris muets

Les servantes "Erinyes" © Jean-Louis Fernandez
Les servantes “Erinyes” dirigées par Yniold © Jean-Louis Fernandez

(servantes qui rampent comme des Erinyes à l’acte IV annonciatrices de mort et qui sortent par une porte dérobée, pourquoi ? pour où ? ), le tout au service d’une ambiance d’une infinie tristesse, sans lueur, sans rien de magique, et étouffante, et mortifère.
Voilà un travail très construit, avec un savant équilibre entre une première partie de mise en place (y compris musicale) volontairement « lourde » et un peu démonstrative ou vécue comme telle et une seconde partie où les « pièges » de la première se referment et où s’éclairent les choix initiaux.
Dans cet univers, les chanteurs – diseurs- acteurs ont un rôle particulier, essentiel, qui fait qu’on ne peut vraiment séparer le chant de la mise en scène. Il y a un lien plus essentiel et plus profond entre les deux aspects.
Le petit Yniold confié à un enfant de la maîtrise (excellente) de l’Opéra de Lyon (Léo Caniard, vraiment émouvant sur scène et la voix fragile et si juste de Cléobule Perrot) est une bonne initiative alors qu’il est confié le plus souvent à un soprano : la voix non encore faite, encore un peu vive comme le vin nouveau, fait pendant à la voix vieillie et presque défaite de Vincent Le Texier, il y a là entre le père et le fils un contraste bienvenu et frappant, qui renvoie d’autant plus Golaud dans le monde des anciens, le monde des non-jeunes. Le monde de la finitude.

La Geneviève de Sylvie Brunet-Grupposo est d’abord une silhouette et un personnage, sa lecture de la lettre qui est tout le rôle, est l’un des moments forts de la partition et de la soirée. Même si elle a un petit vibrato qui m’a un tantinet gêné, elle dessine un univers proche du Lied qui impose un temps suspendu. Vraiment magnifique. Elle remporte un joli succès personnel, tout à fait justifié parce qu’elle est très présente dans la mise en scène, sorte d’écho féminin à Mélisande qu’elle accompagne, sorte d’ombre au milieu de ses servantes, jamais étrangère à l’action, et jamais dans l’action.
Arkel, on l’a vu, participe de manière plus directe au drame, jusqu’à être protagoniste de la fin de Mélisande et non plus commentateur ou spectateur. Jérôme Varnier lui prête une voix au timbre encore frais, un peu clair, moins fatigué que celui de Le Texier dans Golaud, et il en paraît donc presque plus jeune avec une diction parfaite, d’une rare clarté. La prestation musicale est dans l’ensemble de très bon niveau même s’il n’évite pas quelquefois des sons un peu fixes. Son travail d’acteur, avec ses déplacements hésitants, ses gestes esquissés, son allure de Don Quichotte égaré (version soft) ou de Nosferatu (version maléfique) en fait une silhouette forte de l’ambiance voulue par Honoré une silhouette à la fois fantomatique et d’une présence quasi permanente bien que discrète.

Golaud est un chasseur au couteau ensanglanté, voilà comme il nous est présenté. Ce début mystérieux renvoie Golaud dans le monde de ceux qui tuent, dans le monde de ceux qui font gicler le sang. Et la mort de Pelléas est la mort d’une proie.
Vincent Le Texier promène son Golaud depuis longtemps sur les scènes. La voix accuse de la fatigue, le timbre est plus opaque, mais la diction reste bonne et l’interprétation forte. Même si le jeu n’a pas la distance et la noblesse d’autres Golaud, et confine notamment à la fin à l’expressionnisme qui n’est peut-être pas le chemin voulu par l’œuvre, il reste que ce Golaud reste puissant. Christophe Honoré appuie très durement sur la dernière scène avec Mélisande où l’on atteint un paroxysme : non seulement les paroles sont très violentes et rappellent d’autres discours de mal aimés, comme je l’ai souligné plus haut, mais les gestes aussi, puisque Mélisande mourante est prise derrière la voiture, comme une prostituée. Vincent Le Texier n’installe aucune distance dans le personnage aucune distinction, mais seulement une image de lacération et une volonté de destruction . Toutefois, cette voix un peu fatiguée convient à l’idée de vieillesse installée dès le départ par Mélisande. Ce Golaud reste inquiétant et presque plus mystérieux que Mélisande.

Se pose d’ailleurs la question du statut de cette famille installée dans un monde désaffecté, une famille dont certains ont lu une part d’ombre vaguement mafieuse (Jaguar, Chauffeur, couteau ensanglanté) où la mort est donnée sans hésitation, d’Arkel à Golaud voire à Yniold. …Il y a aussi quelque chose d’une perdition mystérieuse dans ces mouvements de servantes, dans la manière d’épier l’autre, qui renforce l’atmosphère irrespirable. Si l’on est proche d’un univers racinien, ce serait Phèdre, Britannicus et Bajazet tout à la fois, si l’on est au cinéma, j’en reviens à Elia Kazan, dont les origines grecques (mâtinées d’Arménie) le rendent évidemment sensible à l’univers tragique. Cette volonté d’Honoré de rendre sensible un univers clos m’a fait penser vaguement à ce que faisait Chéreau de l’univers d’Elektra, notamment par les servantes et par le fait qu’il y ait toujours quelqu’un qui regarde.
Le Pelléas de Bernard Richter est pour moi la confirmation de la qualité de cet artiste. Confier Pelléas à un ténor, c’est du même coup modifier les équilibres vocaux des voix masculines, où l’on a habituellement plutôt une variation sur la couleur barytonale, Pelléas baryton Martin, Golaud baryton, Arkel basse ou baryton basse.
Du même coup, la voix de ténor modifie les harmoniques vocales d’une distribution où l’on a déjà souligné la couleur juvénile de l’Arkel de Jérôme Varnier , mais où cette voix claire et marquée s’oppose à celle plus éteinte de Golaud. Une voix juvénile et un corps adolescent, cela change complètement l’image de Pelléas. Je me souviens de François Le Roux, à la voix homogène, extrêmement ronde et douce (voir l’enregistrement d’Abbado), je me souviens même de Richard Stilwell à Paris avec Lavelli et Maazel, plus mâle et tout aussi tendre. Il y a dans la voix de Richter quelque chose d’un étonnement juvénile, quelque chose de direct et d’incisif qu’on ne trouve pas souvent dans le personnage de Pelléas. Il faut d’abord saluer la diction impeccable et l’engagement dans le rôle, et les aigus, un peu appuyés ou gonflés au départ mais qui deviennent à mesure qu’avance l’action de moins en moins « agressifs », et même si les graves sont quelquefois moins audibles, le discours reste éminemment conforme à ce qu’on veut du personnage, avec ses déchirures, ses fêlures, ses ruptures, ses hoquets. Cette voix pas tout à fait homogène mais parfaitement conduite, rend justice à un personnage lacéré, mais adolescent, bouillonnant de jeunesse, de désir. On croit à ce Pelléas et l’ensemble du rôle est très bien conduit, très bien tenu et très bien maîtrisé. Une vraie réussite.
On croit aussi à Hélène Guilmette, qui comme Bernard Richter, a quelques graves détimbrés, notamment à la fin, mais sa Mélisande est d’un bout à l’autre remarquable de naturel. Elle est naturelle même lorsqu’elle est si “artificielle”, en poupée à la Lulu, naturelle quand à la fin, elle revêt les simples habits de l’amour avec une robe non apprêtée, avec cette fois une vraie chevelure sans perruque platinée. La voix est présente, nette, moins diaphane qu’on a pu le dire, avec une vraie présence et pas cette présence-absence qu’on voit trop souvent chez les Mélisande, elle est à certains moments très émouvante notamment à la fin, mais elle marque aussi bien toute la première partie où elle est une Mélisande protéiforme, qui ne s’appartient pas, perpétuellement autre et pourtant la même avec une fraicheur dans le geste qui l’identifie parfaitement, la voix et la diction assurées, les multiples couleurs miroitantes du rôle parfaitement exprimées, et en même temps une jeunesse hésitante et une sûreté dans le geste et la présence. Cette Mélisande est sans cesse ambiguë ou plutôt presque bifrons, enfant et adulte, jeune fille et jeune femme, alors que le Pelléas de Richter est d’abord adolescent. La Mélisande d’Hélène Guilmette a vécu un avant et cette maturité transpire dans le chant et dans les attitudes. C’est une très belle performance qui réussit à montrer sans les résoudre les mystères du personnage.

Au service de cette distribution et de ce travail Kazushi Ono est lui aussi presque surprenant dans sa manière d’aborder la partition. On l’a connu plus froid et plus distant. Il est notamment au début particulièrement rond, presque lyrique et doux.
Claudio Abbado en faisait une sorte de flot continu de couleurs et de reflets, de sons imbriqués sans jamais de rupture. Ici, nous l’avons vu, la rupture est structurelle dans ce spectacle. Mais la manière dont Ono conduit l’orchestre donne à la fois une unité et une cohérence : c’est un travail éminemment clair, limpide, où tout est entendu ou mis en valeur, mais en même temps en une jolie construction loin des moirures symbolistes,  plus directe, plus incisive à l’image des voix et notamment celle de Richter ; une direction qui à l’instar de l’ambiance scénique, est tendue à l’extrême, mais qui à son opposé n’est jamais étouffante, et toujours aérée, toujours nette, avec une énergie qui rend justice à une partition jouée quelquefois de manière trop alanguie . C’est une des lectures les plus convaincantes du chef japonais, qui donne à l’ensemble une couleur parfaitement cohérente avec ce qu’on voit sur scène. Très grande réussite d’une direction à la fois chirurgicale et attendrie, attentives aux couleurs, variée, et qui rend justice à une partition plus diverse et plus dramatique qu’on ne le pense souvent.

En conclusion, nous nous trouvons devant un spectacle complexe, qui peut rebuter et qui a rebuté. On a l’habitude de voir des Pelléas noyés dans un univers d’une nature mystérieuse et vaguement hostile, mais omniprésente : voilà qui contraste avec un univers de murs où la nature est complètement effacée sauf à l’écran, qui l’évoque (la forêt, la mer), mais seulement comme  la projection rêvées d’âmes étouffées. On a aussi l’habitude de voir des personnages hiératiques qui se touchent peu et qui ici ne cessent de chercher à se toucher voire plus. On a enfin l’habitude de voir des Pelléas plus enfants et plus innocents et ici il n’y a aucune innocence nulle part, même pas celle d’Yniold.
Cet univers nous bouscule, qui joue à la fois sur le réel et le figuré, sur l’image et la scène, sur théâtre et cinéma, mais il reste pour moi tout de même un univers symboliste, même si revisité : il n’y a rien de vraiment concret dans ce travail, malgré un décor envahissant. Le concret quand il est évoqué ne trouve pas de place claire : ce qu’on voit est-il ce qui est ? Ce qui est en image est-il le fantasme du public ou des personnages, ou une suggestion d’une réalité presque « augmentée » ? Ce qui est représenté est-il effectif ou fantasmé ? Représente-on les personnages dans l’action ou les fantasmes de personnages qui se rêvent agir ? Cela reste volontairement ambigu et pour tout dire, c’est sans importance.
Il reste à la fin une tension forte, et des questions sans réponses, comme toujours d’ailleurs lors d’une représentation  de Pelléas et Mélisande. En ce sens, Christophe Honoré n’échappe pas à la règle commune ; ce tissu imbriqué entre prose, poésie et musique n’aura ni imitateur ni continuateur et fonctionne parfaitement y compris dans ce travail qui soulève tant de questions et qui surprend, voire prend à revers.
Aussi faut il accepter et admirer le travail très fin que Christophe Honoré a conduit, un travail d’une grande épaisseur, qui essaie de fouiller le texte jusqu’à l’impossible, avec ses questions sans réponse : était-il si nécessaire d’ajouter des images filmées ? Marcellus mourant du SIDA s’imposait-il ? La scène où à la fin, Golaud viole quasiment Mélisande était-elle si inévitable?

Il y a ainsi un fil et des séquences, des briques qui se construisent dès le départ, avec une construction très fragmentaire où le spectateur est vraiment désarçonné, puis, ces briques s’assemblent dans une démarche constructiviste, avec néanmoins quelques trous, avec quelques éléments en suspens, qui font de ce Pelléas une question avant d’être une réponse et pas vraiment un continuum mais une succession de séquences au sens cinématographique du terme, comme des épisodes qui peu à peu conduisent à la catastrophe.
Christophe Honoré en quelque sorte nous propose la « possibilité d’un Pelléas et Mélisande » où des particules à la fois élémentaires et élaborées croisent des ambiances, des regards, des actions , des possibles convaincants ou non, mais toujours dans un véritable univers, cohérent avec l’œuvre dans sa distance et son étrangeté. Ainsi Honoré nous dérange, nous implique, nous fait réagir, et rejoint Gide : « Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée ! » [wpsr_facebook]

Mélisande (Hélène Guilmette) © Jean-Louis Fernandez
Mélisande (Hélène Guilmette) dormant et bientôt rêvant © Jean-Louis Fernandez

 

 

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014: DIALOGUES DES CARMÉLITES de Francis POULENC le 16 OCTOBRE 2013 (Dir.mus: Kazushi ONO; ms en sc: Christophe HONORÉ)

Lyon 16 octobre

Quand on aime on ne compte pas.

Profitant d’une place laissée libérée qu’un ami m’a proposée, je me suis rapidement décidé à  revoir cette production et d’assister à sa troisième représentation. Il y avait une certaine hardiesse à retourner voir ce spectacle le jour anniversaire de la mort de Marie-Antoinette (16 octobre 1793), mais personne n’y a pensé…
Je n’ai évidemment pas  grand chose à rajouter à ce que j’ai écrit précédemment (voir le compte rendu de la Première), mais tout de même, cette deuxième vision m’a permis de constater d’une part que le spectacle a toujours une grande force, d’autre part que certains détails de mise en scène m’avaient échappé et que, concentré sur tel ou tel aspect du travail, j’en ai encore une idée plus nette, d’autant que musicalement, c’est vraiment une soirée exemplaire. L’orchestre est toujours d’une très grande clarté, d’une rare lisibilité, et conduit de manière très dramatique sans aucune signe de pathos. On ne peut diriger Poulenc comme Puccini. La lecture de Kazushi Ono est, comme toujours chez ce chef, une lecture objectivée qui ne se permet aucun laisser aller à du sentimentalisme ou du sirupeux.

Il en résulte une tension permanente, dès même la désormais fameuse première scène qui a encore choqué certains éléments du public: s’il s’agissait de Lulu, personne ne broncherait, s’agissant de Dialogues des Carmélites, évidemment, la première scène, construite en opposition au reste, prend une valeur très emblématique et surtout inattendue, mais au total cohérente: elle contient en germe la fin de l’oeuvre où la dame aux seins nus qui émerge du lit du marquis de La Force est aussi le centre de l’image finale de l’opéra,  levant le poing dans un style très “Viva la Revolución”.
Si la conduite (et la réponse) de l’orchestre apparaissent exemplaires (et cette fois, presque tous les cuivres ont répondu présent), l’écoute très attentive du chant montre une fois de plus une distribution équilibrée, très solide, avec de très belles qualités, notamment dans le contrôle du souffle et du volume et dans le style: il n’y a aucune faiblesse, il y a simplement des voix plus intenses que d’autres, mieux dominées que d’autres, mais dans un ensemble sans conteste de grande qualité et de bon niveau.
Sylvie Brunet, outre la qualité de l’interprétation scénique et l’intensité du personnage qui obtient un triomphe à la fin, utilise les déchirures de sa voix pour construire vocalement une première Prieure à la fois puissante, imposante,  avec des fêlures vocales qui cadrent parfaitement avec les fêlures humaines, et de fait, il n’y a rien à dire: Sylvie Brunet sait utiliser les rayons et les ombres de sa voix actuelle pour conduire le personnage. Sa mort est l’un des moments très forts et très marquants de ce spectacle.
Anäik Morel, peut-être encore plus que samedi dernier, montre un contrôle vocal exemplaire et une ligne de chant très homogène, avec des aigus pleins, et pas criés,  ce que l’on pourrait reprocher quelquefois à Sophie Marin-Gregor dans la nouvelle Prieure: une tension entre des aigus très larges un peu criés quelquefois et un medium un peu mat mais la présence vocale est telle, avec une telle intelligence de la diction et du phrasé, avec un ton d’une telle justesse, que l’ensemble ne peut que “passer” avec facilité, et ce n’est que justice.
Hélène Guilmette, toujours un peu en retrait scéniquement, un peu pâle par rapport à d’autres personnages, nous a gratifiés de jolis moments vocaux, notamment au premier acte, avec un beau contrôle, une vraie réussite dans la manière d’adoucir, de chanter sur le fil de voix, de produire des mezze voci et, nos amis italiens diraient des “smorzature” (littéralement des atténuations) très bien conduites et maîtrisées.
Sabine Devieilhe reste ce soleil décrit samedi, j’ai été très attentif à son attitude en scène quand elle reste en retrait (et la mise en scène la met souvent en arrière): elle est d’une criante vérité, petits gestes, regards, sourires, tout cela donne au personnage une présence inouïe, avec une voix très bien projetée, très homogène, particulièrement maîtrisée techniquement.
Du côté masculin, rien à dire de Laurent Alvaro, un marquis encore jeune et vigoureux, à la voix puissante, bien projetée, bien posée, ni de Loïk Felix, dont la douceur vocale est presque émouvante. Le discours de l’aumônier reste toujours équilibré (noblesse oblige), toujours maîtrisé, sans jamais entrer dans le pathétique; ainsi Loïk Felix est sans doute dans sa diction le plus naturel et le plus fluide de tous, exprimant une humanité touchante.
Quant au jeune Sébastien Guèze, j’ai encore une fois apprécié à la fois son engagement scénique et la personnalité sensible du Chevalier de la Force qu’il dessine, son timbre juvénile qui en fait de la graine de ténor pour du bel canto français ou du grand opéra, avec peut-être un peu plus de fluidité dans la montée à l’aigu, qu’on sent quelquefois un peu forcée: j’ai cru entendre un futur Henri (Les Vêpres Siciliennes) dont il a incontestablement la couleur, il chante déjà Floreski de Lodoïska et si la voix s’élargit encore il y a peut-être du Raoul (des Huguenots) dans l’air…
En tous cas entre Loïk Felix et Sébastien Guèze, on tient là deux ténors (très différents) de style français: le marché est plein de ténors pour le répertoire italien, on serait heureux d’avoir des héritiers de la tradition des ténors français. Depuis Vanzo, et à part Alagna, les dernières années n’ont pas fait sortir des jeunes vraiment valeureux dans le répertoire du XIXème en France, même si quelqu’un comme Florian Laconi est actuellement à suivre avec attention.
Du point de vue de la mise en scène, quelques points se sont précisés, d’autres restent plus troubles.
Les religieuses à l’acte I, deuxième tableau, fabriquent en fait des hosties dans une distribution rigoureuse du travail, une table pour étendre la pâte, la chauffer et la faire prendre dans des sortes de crêpières, deux tables pour créer les hosties, et côté jardin, quelques religieuses les mettent dans des sachets de tulle (un peu comme des sachets à dragées). C’est historique, les Carmélites deviennent après la révolution  le plus gros fournisseur de France en hosties, succédant aux fabriquant d’oublies qui en avaient le monopole auparavant.
La statue en arrière plan qu’on voit de dos est celle de la République. Ainsi, les Carmélites sont installées derrière: littéralement, elles lui tournent le dos, mais cette République est là, toujours présente, comme une statue du Commandeur, et elle domine Paris et le monde extérieur.
Je n’avais pas remarqué non plus combien la masse silencieuse qui assiste au lever du marquis de la Force  fait singulièrement penser au Lever du Roi à Versailles, le marquis de la Force  n’étant que reproduction d’une sorte de rituel aristocratique (avec droit de cuissage à la clé: on n’est pas loin du Beaumarchais du Mariage de Figaro, l’immense succès théâtral de 1784, annonciateur de futures révolutions ). Mais ce peuple silencieux a ses brassards tricolores, comme les révolutionnaires de la partie finale: ce sont les mêmes, ils sont un présent qui est aussi futur, ce sont les masses silencieuses où couvent le ferment révolutionnaire. D’ailleurs, ils sont sur la scène côté jardin, là où ils seront à la dernière scène du supplice, et comme à la première scène (lorsqu’elle crie) , c’est parmi eux que Blanche “se noie” dans la scène finale.
La plus grande ambiguité reste à mon avis le statut de ces révolutionnaires,  qui apparaissent comme des partisans, comme je l’ai écrit par ailleurs, plus que des révolutionnaires officiels: toute la scène finale sent la justice expéditive quand la Révolution veillait à fortement ritualiser la République toute neuve. Pas de rituel ici, mais au contraire un dispositif à la fois presque expéditif et fortement symbolique aussi: les religieuses tombant dans un trou, et disparaissant semblent être effacées sans laisser de traces. Ces “partisans” pourraient être aussi bien des révolutionnaires latino-américains, mais aussi, et c’est plus inquiétant, des miliciens d’une dictature cherchant à purifier la terre des éléments qui leur font obstacle. C’est ambigu et par la même stimulant: il est bon d’avoir des questions sans réponse, ou des questions dont on a peur des réponses, à la fin d’un spectacle.

En tous cas, ce fut une deuxième vision, aussi stimulante, aussi passionnante que la première, une belle réussite qui tient en haleine pendant trois heures: on peut aimer ou non cette musique, mais on ne peut nier une puissance d’émotion toute particulière à ce travail. Il y a encore des places, allez-y vous ne le regretterez pas.
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Christophe Honoré

 

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014: DIALOGUES DES CARMÉLITES de Francis POULENC le 12 OCTOBRE 2013 (Dir.mus: Kazushi ONO; ms en sc: Christophe HONORÉ)

Les saluts, le 12 octobre 2013

Représentation dédiée à Patrice Chéreau, qui fut sept ans directeur du TNP de Villeurbanne.

“Nous avons cru à l’amour de Dieu pour nous”, cette phrase, inscrite sur le fond du décor unique de Dialogues des Carmélites dont la Première a eu lieu hier 12 octobre à l’Opéra de Lyon, est une variation  sur une expression de la première Lettre de Saint Jean « Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous » (1 Jn 4, 16). Elle est aussi le point de départ central de l’encyclique de Benoît XVI, “Deus est caritas”, dont je vous renvoie au texte et qui dit en substance dans son introduction: Jean nous offre pour ainsi dire une formule synthétique de l’existence chrétienne : «Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous».
La question de l’amour de Dieu est au centre de l’œuvre de Bernanos, il faut d’ailleurs faire justice à la grammaire: le génitif “de Dieu” est à la fois objectif et subjectif, c’est l’amour de Dieu vers nous, et l’Amour que nous portons à Dieu qui va faire l’objet du Dialogue et des débats qui essaiment l’œuvre. C’est d’ailleurs, un relatif obstacle pour rentrer dans la réalité du texte que sa transformation en opéra: la nature des échanges favorise évidemment le renvoi au texte théâtral: un passage aussi fondamental que la dernière rencontre de la vieille prieure et de Blanche “Oh, il y a bien des sortes de pauvreté, jusqu’à la plus misérable, et c’est de celle-là que vous serez rassasiée…” (scène VIII) qui pose des questions fondamentales sur le sens de l’agonie du Christ et du Martyre, mérite audition, lecture et relecture. À l’opéra,  la musique, la performance vocale, le texte sont dilués ensemble et éparpillent l’attention du spectateur, qui doit être très sollicitée intellectuellement.
L’Encyclique de Benoît XVI date de Noël 2005, elle est inscrite dans l’actualité du monde contemporain . C’est une réflexion de cet ordre qui a conduit sans doute Christophe Honoré à placer l’opéra dans un contexte moderne, ces Carmélites sont des femmes d’aujourd’hui, recluses dans une sorte de loft ouvert sur Paris par une grande baie, mais séparées de la ville par une béance, un trou béant (délimité par deux murs de briques partiellement recouverts de chaux, avec des fenêtres dont la construction ont été abandonnées) dont on verra l’usage plus tard. Ce loft recouvert de plaques de bois n’est pas vraiment un loft entretenu, des plaques ont disparu, laissant voir le crépi et la structure:  une installation très frustre, presque un squat, où les femmes vivent en groupe, toujours en groupe, toujours sous l’oeil l’une de l’autre, elles travaillent, elles dorment, elles prient toujours dans le même espace, accédant à l’extérieur par une porte grillagée à gauche.
La réflexion de Christophe Honoré nous ramène donc immédiatement à nous et à cette question sans réponse: que nous disent ces femmes et ces débats sur Dieu, la mort, la liberté aujourd’hui?
Mais aussi sur la jeunesse des révolutions, question tellement forte aujourd’hui dans les pays arabes, qui est traitée ici à la fois par le texte et par l’intrigue – l’irruption de la Révolution et des révolutionnaires dans ces vies recluses-, et par l’insistance de Christophe Honoré qui fait lire en prélude  au spectacle un texte de Bernanos sur la jeunesse par une choriste qui précise au public que la jeunesse renvoie non seulement aux jeunes, mais la jeunesse des pays en révolution.  Tout cela évidemment stimule le spectateur amené, voire contraint de faire des liens divers avec le bruit du monde.
Le monde, il est présent, et tellement violemment, dans la première scène, qui représente dans le même espace, l’hôtel particulier du Marquis de la Force: le Chevalier son fils fait irruption dans sa chambre, suivi d’une foule au statut brumeux, alors que le père s’ébat avec une jeune femme aux seins nus  dans un lit bien défait; voilà qui fait sonner de manière toute particulière la première réplique du père “Pourquoi diable ne le demandez-vous à ses femmes, au lieu d’entrer chez moi, sans crier gare, comme un turc”. Tous les spectateurs ne peuvent qu’être troublés, voire dérangés par la crudité de la scène: on s’attendrait peu à voir une scène d’une telle intimité dans la pièce de Bernanos. C’est incontestablement une violence, d’autant plus que le dispositif scénique donne un statut particulier au “quatrième mur”: le spectateur se retrouve non spectateur mais voyeur, à la fois de l’intimité du Marquis de la Force, mais aussi ensuite de la communauté recluse des carmélites. Et cette position est vraiment dérangeante. Sur scène,au lever de rideau, un groupe silencieux regarde le dialogue entre le jeune Chevalier et le marquis de la Force, pendant qu’il se rhabille ainsi que sa compagne (qui se trouve être sans doute la gouvernante de la maison ou quelque chose d’approchant) et les spectateurs sont dans la même position, voyeurs-spectateurs d’une intimité, ici des corps, et plus avant des âmes.
Le monde, c’est aussi un marquis de la Force libertin, plutôt ouvert, qui évoque les premiers soubresauts de révolte dès le mariage du Dauphin (1770), correspondant exactement à la naissance de Blanche, un monde que Christophe Honoré voit toujours sous les yeux de tous, qu’il soit l’Hôtel particulier des La Force, ou l’espace reclus du Carmel: il n’y a pas plus d’intimité des corps que des âmes, pas de scènes à deux, rien que des moments où tout est mis sous les yeux du public, ce qui ne manque pas non plus d’être dérangeant: que ce soient les carmélites ou le groupe de la première scène, tout se déroule sous les yeux de ce chœur antique silencieux qui visiblement n’en pense pas moins dans cet espace unique qui est surtout espace tragique: “le héros tragique dispute à une fatalité virtuellement écrasante un destin qui n’appartient qu’à lui”, rarement cette affirmation ne m’est apparue plus vraie, plus forte, plus urgente.
Le rideau se lève sur une scène, il faut le dire, qui en a surpris, voire choqué plus d’un, mais une scène rendue sans doute nécessaire pour marquer les contrastes entre le dehors et le dedans, le monde et le carmel,  et souligner en même temps les parallèles: les débats ou les dialogues sous les regards de tous, les intimités violées (à ce titre, la mort de la prieure est à mettre en parallèle avec la première scène), les relations humaines et leurs faiblesses, aussi bien dehors que dedans, tout est impudiquement exposé.
Christophe Honoré a accordé une attention très subtile, très précise, très millimétrée aux gestes, au théâtre, au naturel: c’est l’avantage du cinéaste de poser un regard au microscope sur le réel. Il n’y a pas un personnage qui soit négligé, pas un détail qui ne soit omis, pas un geste qui ne soit juste, ou justifié. Tout fait sens. Dans sa volonté de marquer l’actualité de cette communauté, au sens moderne du terme, il en fait une communauté religieuse qui travaille pour se financer on le voit à l’ordinateur dans un coin de l’espace qui doit servir à la gestion de la machine économique, on le voit aussi jusqu’à la manière dont est représenté l’aumônier, Loïc Félix (remarquable), un prêtre de couleur, allusion à la réalité d’aujourd’hui où de nombreux prêtres en France viennent d’Afrique pour compenser la crise européenne des vocations. Un travail enraciné dans l’aujourd’hui,  avec une attention aux personnages qui stupéfie.
Les costumes de Thibault Vancraenenbroeck, insistent sur la simplicité, ce sont des costumes de “ménagères” de plus ou moins de cinquante ans, les carmélites ont toutes des sandales (les révolutionnaires leur apporteront des chaussures à talons

Les chaussures à talons ©Jean-Louis Fernandez

, symbole de leur retour à la féminité) des robes simples de travailleuses, avec des blouses ou des tabliers, un peu comme dans la mise en scène de Dimitri Tcherniakov à Munich;

En prière ©Jean-Louis Fernandez

elles portent toutes le voile à un moment ou à un autre, mais rarement ensemble, elles revêtent leur vêtement blanc, mais seulement au moment des offices et ce jeu des costumes renforce l’impression de réalisme, voire de crudité et impose une mise en proximité (entendue comme opposée à tout ce qui serait mise à distance) du spectateur, d’autant que l’espace relativement réduit de la salle de Lyon et sa couleur noire renforcent cette intimité collective.
En choisissant d’inscrire dans le présent cette histoire du passé (j’emploie inscrire dans le présent et non actualiser à dessein: le mot actualiser me suggère un simple habillage, le mot inscrire m’invite à me mettre en question, me met en miroir), Christophe Honoré ne fait que continuer ce qu’il a si intelligemment fait avec la Princesse de Clèves dans son film La belle personne.
Mais s’agit-il d’une mise au présent d’une histoire passée? Après tout, Bernanos utilise  la nouvelle La Dernière à l’Échafaud (Die Letzte am Schafott) de Gertrud von Le Fort, publiée en 1931 (elle même inspirée des écrits de soeur Marie de L’Incarnation,  la seule à avoir échappé à la mort) pour écrire un scénario pour le cinéma en 1948, qui est adapté pour le théâtre par Jacques Hébertot en 1952, inscrivant définitivement l’oeuvre dans l’urgence du présent, et dans le débat intérieur de Bernanos lui-même: le passé est un prétexte pour lire notre monde, pour nous lire nous-mêmes.
Dans le travail de Christophe Honoré, on est aussi frappé par l’élargissement du débat, notamment à la fin quand interviennent les révolutionnaires: ces révolutionnaires, qui cassent la citation “Nous avons cru à l’amour de Dieu pour nous” pour ne laisser que les lettres qui composent “Nous avons l’amour de nous” tout en envoyant à la mort ces femmes, pour des raisons idéologiques. Sont-ils des méchants? Discours complexe s’il en est, tant des révolutionnaires ressemblent ou à des partisans,  (il y a quelque chose d’une ambiance “seconde guerre mondiale”) ou à des représentants d’une idéologie totalitaire désemparés face à la simplicité du témoignage de ces femmes, apparemment inoffensives en réalité redoutables dans un contexte où tous les esprits doivent s’uniformiser: éradiquer tout ce qui ne serait pas la nouvelle norme, éradiquer ce qui est autre, éradiquer ce qui est résistance,  voilà qui nous renvoie à bien d’autres contextes anciens, modernes ou contemporains.

On le voit, la prise de position de Christophe Honoré est particulièrement complexe, et fait qu’on ne vit pas ce travail comme un spectacle, mais comme une interrogation qui renvoie aux tréfonds de l’individu et donc qui renvoie à soi: il fait du théâtre un miroir de nos doutes, de nos certitudes, de notre être au monde: ce que le théâtre est, normalement, ce qu’il oublie d’être, quelquefois, pour n’être que spectacle.

Vers le supplice ©Jean-Louis Fernandez

C’est particulièrement sensible dans la scène finale: deux groupes, côté jardin,  les spectateurs de l’exécution, à droite côté cour, les carmélites chantant le Salve Regina, ponctué par les coups de percussion marquant les têtes qui tombent. Christophe Honoré en fait une exécution sans rituel, sans guillotine, comme une justice expéditive qui utilise les moyens du bord: on ouvre les fenêtres (obscurcies par une palissade de bois), les portes sont ouvertes sur le trou béant qu’on avait remarqué dès le départ dans le décor, entre le “loft” et la baie vitrée donnant sur Paris, et une à une on pousse dans le trou les Carmélites, et les corps tombent. Mais chaque corps tombe à sa manière, raide et en arrière pour Madame Lidoine, apeurée ou hésitante pour d’autres, résolue aussi, avec le  moment ultime où Constance et Blanche émergée de la foule se fixent, et par de petits gestes, se font comprendre mutuellement ce qui va être leur destin commun, prévu depuis longtemps par Constance, qui se jette, apaisée, dans le vide pendant que Constance va tomber, en arrière, comme Madame Lidoine, mais dans la foule et non dans le vide. Magnifique fin, images puissantes, ponctuées par un orchestre extraordinairement mené par Kazushi Ono.

Alors, au service de ce point de vue, je l’ai dit,  un travail d’une rare précision sur les personnages,  servi par des chanteurs pleinement engagés dans l’opération.
Ce qui caractérise Lyon, ce sont des distributions équilibrées, souvent très homogènes, et rarement erronées: cela se vérifie une fois de plus. Il n’y a pas de hiatus dans ce plateau, où tous les chanteurs, où tous les artistes (y compris le chœur) ont quelque chose à faire, un rôle à tenir, et pas seulement à être là. De plus, une distribution à dominante française, ce qui montre la vitalité actuelle du chant en France.

Sylvie Brunet-Grupposo et Hélène Guilmette ©Jean-Louis Fernandez

La première prieure de Sylvie Brunet-Grupposo est imposante par une voix qui sonne bien dans l’espace de Lyon, une voix puissante de mezzo, pas toujours homogène cependant, mais émouvante, mais déchirante notamment dans la scène de la mort et de son refus. La lyonnaise Sylvie Brunet (qui fut jadis un soprano) faisait là sa première apparition  sur la scène de l’opéra de Lyon. Le public l’a abondamment remerciée et saluée, avec justice. Une hésitation cependant, qui ne tient pas à la performance de l’artiste, mais à la lecture par Honoré du personnage: madame de Croissy est une aristocrate, la nouvelle prieure, Madame Lidoine, ne l’est pas. En fait Honoré inverse les positionnements des rôles, aussi bien physiquement, que dans la gestuelle, que dans la manière de dire le texte, que dans le costume: Madame de Croissy apparaît bien plus comme une femme simple qu’issue de l’aristocratie, comme si à l’approche de la mort, elle se débarrassait des oripeaux sociaux; au contraire Madame Lidoine, Sophie Marin-Degor, voix très présente, vibrante même, acquiert immédiatement une distance, une grandeur simple qui la mène à l’héroïsme: sa manière de mourir est un vrai chef d’œuvre, c’est une aristocrate du cœur. Anaïk Morel, en Mère Marie de l’Incarnation, est aussi une très belle surprise, un mezzo puissant, charnu, rond, une tenue de scène altière et en même temps simple, donnant une étonnante vérité au personnage . Cette chanteuse qui a fait plusieurs années de troupe à Munich commence à apparaître dans les grands rôles (bientôt Carmen à Stuttgart), ce n’est que justice car dans ce rôle un peu ingrat, celui de la gardienne de la règle, intègre et loyale, et un peu intégriste, elle est d’une grande justesse, dans sa modestie même, lorsqu’on devine qu’elle aimerait devenir Mère Supérieure et que ses compagnes élisent Madame Lidoine.
La Blanche de la canadienne Hélène Guilmette (qui chantait Constance à Munich dans la production de Tcherniakov) est un personnage, très juste, adulte mais pas trop, qui ne cesse d’habiller ses doutes, qui arrive pleine de volonté d’héroïsme quand la soumission, la simple soumission est la règle. Elle est juste, mais rarement émouvante. Le chant est correct, avec des aigus cependant quelquefois un peu criés, sans être toujours exemplaire, mais sans jamais être vraiment pris en défaut. Elle laisse un sentiment mitigé et elle n’arrive pas à convaincre, elle ne marque pas.
Il est vrai qu’elle pâlit devant la vraie triomphatrice de la soirée, une sorte de soleil qui irradie dès son apparition, Sabine Devieilhe, qui va devenir sans doute très vite une coqueluche des scènes d’opéra. Elle m’avait frappé en Reine de la Nuit, mais la Reine de la Nuit n’est pas vraiment un rôle, tant ses apparitions sont limitées à deux airs, elle frappe ici par sa présence incroyable: on n’a d’yeux que pour elle dès qu’elle intervient: elle transmet fraîcheur, optimisme, jeunesse, sourire: non seulement la voix est somptueuse, colorée, menée avec suprême intelligence, mais le personnage est vu avec une telle immédiateté, une telle vérité qu’elle laisse pantois et qu’elle provoque l’enthousiasme: l’opposition Constance/Blanche est criante, aveuglante. Quels moments!

Loïk Felix (l’aumônier) et Anaïk Morel (Mère Marie de l’Incarnation) ©Jean-Louis Fernandez

Dans cet opéra de femmes, les hommes ont des rôles de complément, sauf peut-être l’aumônier de Loïc Félix, très présent dans la dernière partie, dont l’humanité est ici marquée: il apparaît d’abord en Prêtre, avec la distance voulue, puis en habit civil (un prêtre sous la révolution n’est pas fort bienvenu), il est alors d’une banale humanité, fume comme un humain parmi d’autres, presque humain avant d’être prêtre,  avec un discours d’une justesse et d’une douceur particulières. Sa voix de ténor, apaisée, toujours égale, sa manière de colorer, tout cela rend sa prestation vraiment excellente, sans apprêt, sans effet, il séduit. Très joli moment.
Le Marquis de la Force de Laurent Alvaro permet de retrouver sa belle voix de baryton sonore et puissante (que j’avais bien appréciée dans La Muette de Portici à l’Opéra Comique) dans un rôle devenu un peu ingrat vu la situation décrite plus haut, dont il se sort avec beaucoup de naturel.
Le chevalier de Sébastien Guèze est intéressant à plus d’un titre, en premier lieu une jolie voix, un timbre séduisant, une belle technique; c’est un ténor qui commence à chanter dans les opéras internationaux (dont Dresde, futur terrain de Serge Dorny qui, on le sait quitte Lyon en 2015). Au niveau scénique, il a une fraîcheur et un naturel notables, et cet engagement dans le personnage se marque dans des moments très émouvants, dès le départ avec le père, mais surtout dans la scène des retrouvailles avec Blanche, à travers la porte grillagée, très bien réglée par la mise en scène avec cette main qui passe dans l’interstice, avec une Blanche d’abord distante, puis qui se laisse aller complètement à ses sentiments, dans une relation très affective, voire légèrement trouble qu’on lit dans les gestes entre les deux personnages. Guèze a la nervosité de la jeunesse, mais jamais l’excès qu’on voit quelquefois dans le Chevalier de la Force, en bref, un chanteur intelligent et sensible. À suivre avec attention, le bon ténor étant un produit rare.
Notons enfin deux rôles secondaires, le 1er commissaire de Rémy Mathieu, voix intéressante au timbre velouté et donc joli chant (salué à la fin par le public), et Nabil Suliman, habitué de Lyon, à la jolie voix de baryton, peut-être un tantinet plus en difficulté dans le geôlier, mais au timbre toujours séduisant.
Ce qui caractérise tous les protagonistes de cette production, c’est, sans doute aussi grâce à Christophe Honoré, l’extrême naturel des attitudes et de la diction, jamais déclamatoire, jamais artificielle, qui donne beaucoup de fluidité à l’ensemble et une grande puissance théâtrale. Cela vaudrait reprise vidéo, sous la réalisation de Christophe Honoré, bien sûr, car cette vérité-là passerait très bien à l’écran.

On doit enfin souligner le magnifique travail de Kazushi Ono avec l’orchestre de l’Opéra de Lyon. Laissons de côté les quelques scories au niveau des cuivres, pour remarquer d’abord l’extraordinaire lisibilité de cette approche, servie, pour une fois, par l’acoustique sèche de la salle, une lecture tour à tour glaciale ou sensible, toujours attentive à ce qui se déroule en scène, et qui laisse identifier avec une précision remarquable les filiations de cette musique: j’ai été stupéfait, je ne l’avais jamais remarqué à ce point, par la filiation magistrale (c’est à dire “référée à un maître”) de Poulenc à Moussorgski, et du même coup à Debussy (n’oublions pas que Debussy avait sans cesse son Boris sur le piano). D’abord dans la première scène de Constance, puis dans son dialogue amer avec Blanche, où l’accompagnement orchestral me renvoie à l’univers moussorgskien, puis dans l’utilisation des bois notamment à la fin, hautbois, cor anglais, clarinette, qui nous plonge dans un univers à la Khovanchtchina: et de fait, si l’on y prend garde, l’histoire de Khovanchtchina et surtout des Vieux Croyants est à rapprocher de celle de ces Carmélites, surtout à la fin quand ils décident le martyre pour échapper à Pierre le Grand.
La parenté musicale évidente m’a frappé ici, grâce au traitement particulièrement raffiné de la partition par Kazushi Ono.
Dans les versions contemporaines, j’avais jusque là privilégié l’approche de Riccardo Muti dans la belle production très ritualisée de Robert Carsen à la Scala (au Teatro degli Archimboldi) en 2000 et 2004 dont il existe un DVD avec Anja Silja, Dagmar Schellenberger et Laura Aikin.
Je suis décidément très séduit par ce que j’ai entendu hier à Lyon, qui continue la tradition locale puisqu’en 1990, Kent Nagano avait déjà repris l’oeuvre dans une version remarquée qui a fait l’objet d’un enregistrement paru en 1992.

On va voir en décembre prochain une production au théâtre des Champs Elysées, sans doute très différente, mise en scène par Olivier Py (un artiste rare sur nos scènes en cet automne….) avec une distribution très attirante, voire de très grand luxe (Rosalind Plowright, Sophie Koch, Patricia Petibon, Sandrine Piau, Véronique Gens, Topi Lehtipuu), on pourra comparer aussi  l’approche de Jérémie Rhorer avec celle de Kazushi Ono.
Mais ce qui se voit à Lyon vaut d’autant plus le voyage, car c’est une tout autre option sans aucun doute; Christophe Honoré signe là son premier opéra et réussit un beau spectacle, surprenant, profond, qui interroge. Kazushi Ono confirme qu’il excelle dans ce type de répertoire, et Serge Dorny sait construire une distribution engagée, équilibrée, intelligente. À la puissance publique de lui trouver un remplaçant de son niveau.
Je ne puis que très vivement conseiller le voyage de Lyon, pour rentrer dans cette œuvre que certains dédaignent, et que j’ai vraiment redécouverte hier: il n’est jamais trop tard.
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L’arrivée de Blanche ©Jean-Louis Fernandez