OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (3) : SPECTACLES A RETENIR – LEIPZIG – DRESDE – MUNICH

Il y a en Allemagne de grandes scènes historiques, prestigieuses, qui ont fait la gloire du chant et de la musique allemands, des fosses où jouent des orchestres mondialement reconnus, Staatskapelle de Dresde, Gewandhaus de Leipzig, Orchestre d’Etat de Bavière. De ces trois salles historiques, deux ont été des phares de la musique en Allemagne de l’Est: la Staatskapelle a continué à produire des disques avec les plus grands (Carlos Kleiber), le Gewandhaus grâce à Kurt Masur a été l’un de moteurs des manifestations avant la chute du mur, quant au Bayerisches Staatsorchester, il a été la phalange de Wolfgang Sawallisch pendant des dizaines années où ce chef magnifique a produit un travail de fourmi, modestement au pupitre des dizaines de fois dans l’année pour Wagner, Strauss ou Mozart et pour des représentations aussi bien prestigieuses que de répertoire.
Aujourd’hui, les difficultés financières de l’est mettent  surtout Leipzig, un peu moins Dresde en posture  délicate. La Staatskapelle de Dresde s’est donnée à Christian Thielemann, qui après ses échecs à Berlin et Munich a peut-être  trouvé sur les bords de l’Elbe la phalange qui lui convient.
Quant à Munich, c’est sans doute la salle d’opéra la plus rodée, la plus productive, la plus prestigieuse d’Allemagne: il suffit de considérer sa programmation, ses nouvelles productions, ses distributions. Ici Jonas Kaufmann, Anja Harteros et René Pape sont à portée de tram, comme jadis Carlos Kleiber ou Dietrich Fischer-Dieskau et Julia Varady. La salle est l’une des plus belles qui soient, avec ses deux appendices, le délicieux

La salle du Cuvilliestheater
Façade du Prinzregententheater

 

 

 

 

Cuvilliestheater, joyau baroque à portée de corridors de la salle principale (qui sert essentiellement pour le théâtre aujourd’hui), et le wagnérien Prinzregententheater, imitation de la salle de Bayreuth à quelques arrêts de tram (qui sert à tout, et quelquefois à l’opéra).

Vue de la salle du Prinzregententheater

Chaque ville par son charme et caractère mérite une ou plusieurs visites, et donc une soirée à l’opéra est toujours possible à organiser.

La façade de l’Oper Leipzig

Leipzig est la grande ville commerciale de la Saxe, et mérite une visite: c’est une ville aérée, avec ses maisons bourgeoises, son histoire musicale (Bach), bien nettoyée depuis la “Wende”, et puis un concert au Gewandhaus (acoustique exceptionnelle) dirigé par Riccardo Chailly en face de l’Opéra ne peut se refuser, ainsi qu’une virée à Halle la ville de Haendel toute proche  ou à Bad Lauchstädt avec son petit Goethe Theater… un petit week end s’impose!

Le Semperoper de Dresde

Dresde s’est reconstruite peu à peu, et le centre horrible avec ses bâtiments typiques des années soixante socialistes est en train d’être refait. Déjà la fameuse Frauenkirche, l’église luthérienne la plus fameuse d’Allemagne, de l’architecte George Bähr,  qui trônait au XVIIIème sur les peintures de Bellotto, détruite lors du bombardement, est de nouveau debout, et Zwingermuseum et Semperoper trônent sur les bords de l’Elbe, au centre de celle qu’on appelle la Florence du nord, avec son extraordinaire Musée, l’Albertinum, qui est l’un des plus riches d’Europe (Giorgione…Vermeer). Une petite excursion au château de Pillnitz dans la vallée de l’Elbe, et le week end est déjà fini, avec un bel opéra ou un beau concert au milieu.

Le Nationaltheater, façade

Quant à Munich, entre les palais (Nymphenburg), les musées (Neue Pinakothek et Alte Pinakothek), les églises baroques (des frères Asam) le théâtre et les concerts, les brasseries (Hofbräuhaus de grande tradition et Mathäser plus populaire) et un tour chez Dallmayr pour les pâtisseries, offre de quoi remplir un très large week end.
Voilà trois week ends de l’année déjà réservés, il vous reste à choisir les spectacles…

Ces trois théâtres ont en commun un passé et une histoire avec Richard Wagner: Leipzig où il est né, Dresde où il a vécu et où il était le “Königlich-Sächsischer Hofkapellmeister” directeur de l’actuelle Staatskapelle et où il a créé Rienzi, Der fliegende Holländer et Tannhäuser avant d’en être chassé après avoir grimpé sur les barricades de 1848, et Munich qui peut à juste titre entrer en compétition avec Bayreuth puisque bien des opéras y ont été créés, Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold, Die Walküre. D’ailleurs, entre Munich et Bayreuth, une saine émulation règne depuis des  d’années. Je m’en vais donc regarder ces programmes sous le signe de Wagner, puis explorer ce qui peut faire l’objet d’un intérêt particulier dans le reste des programmes.

Vue de la salle de l’Oper Leipzig

S’il y a un moment où aller à Leipzig, c’est en février 2013: en calculant bien vous y verrez Die Feen, de Wagner, opéra dirigé par Ulf Schirmer, GMD et Intendant de l’Opéra de Leipzig, dans la nouvelle production de Renaud Doucet et les décors d’André Barbe, qui va ensuite aller à Bayreuth, et un concert du Gewandhaus dirigé par Riccardo Chailly (Mahler 5ème symphonie). Certes, il peut faire froid à cette période, mais entre Wagner et Mahler, il y a de quoi se réchauffer l’âme.
Entre diverses nouvelles productions, signalons tout de même le 4 mai 2013 (et en mai-juin) le début d’un nouveau Ring, cette saison, Das Rheingold dirigé aussi par Ulf Schirmer dans une mise en scène de la danseuse, chorégraphe et metteur en scène anglaise mais bien enracinée en terre germanique, Rosamund Gilmore, plutôt spécialisée dans les créations de musique contemporaine, qui est appelée par Ulf Schirmer avec qui elle a travaillé à Munich, à réaliser le nouveau Ring de Leipzig.
Dans les reprises retravaillées (Wiederauhnahmen), on remarque Rienzi en mars (Une  soirée le 2) et en mai (Une soirée le 25) dirigé par le “erster ständiger Gastdirigent”, premier chef invité (qui dirige en fait l’essentiel des reprises et pas mal de premières) Matthias Foremny, dans une version plus longue que celle de la Deutsche Oper Berlin, et la mise en scène de Nicolas Joel et les décors de Andreas Reinhardt. Rienzi sera Stefan Vinke, qui est un solide ténor. On voit si peu Rienzi (même si Toulouse vient d’en présenter un, avec Torsten Kerl et Marika Schönberg, prévue dans la distribution de Leipzig) que cela peut valoir le déplacement. On attendra peut-être le Rienzi de Bayreuth (mi juillet)  avec Christian Thielemann au pupitre.

La Salle du Semperoper Photo: Jürgen Männel

Alors que l’Oper Leipzig s’appuie beaucoup sur le travail de la troupe et des chefs maison, la Semperoper de Dresde s’appuie plutôt sur un grand nombre de chanteurs invités (comme “Gast”) et fait appel à des chefs extérieurs qu’on retrouve souvent dans d’autres scènes, et ainsi la programmation y est plus proche des standards internationaux. La présence de Christian Thielemann depuis cette année oblige à un niveau moins “local” qu’à Leipzig. Voyons donc d’abord “Wagner à Dresde“, titre d’un colloque qui a ouvert la saison le 15 septembre dernier. Les manifestations et productions wagnériennes courront toute l’année 2013 sur les deux saisons; ainsi en automne 2013 verra-t-on fin octobre Tannhäuser dans la mise une scène de Peter Konwitschny et mi-novembre une reprise de Tristan und Isolde dans celle de Marco Arturo Marelli.

La salle du Semperoper . Photo Jürgen Männel

En janvier 2013, Christian Thielemann dirigera à partir du 13 janvier trois représentations de Lohengrin dans une mise en scène de Christine Mielitz (qui remonte à 1983…) , très demandée en terre germanique (elle a aussi signé le Parsifal viennois et beaucoup de mises en scène à Dresde). La distribution est de choix: Robert Dean Smith, Kwanchoul Youn, Soile Isokoski, Jane Henschel et Wolfgang Koch, le futur Wotan de Bayreuth. Passons sur le Parsifal qu’on ne verra qu’à Salzbourg (23 mars et 1er avril) cette année, en coproduction avec la Semperoper, mise en scène Michael Schütz avec Johan Botha en Parsifal. A Dresde est prévue en revanche en juin (le 15) une nouvelle production de Der fliegende Holländer dirigée par Constantin Trinks, mise en scène de Florentine Klepper, dans une distribution plutôt locale, si l’on excepte Georg Zeppenfeld dans Daland.
Deux originalités, deux opéras que Wagner admirait tout particulièrement, une nouvelle production de La Juive, de Halévy, en mai 2013, mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito, dirigé par le jeune chef tchèque qui monte, l’excellent Tomáš Netopil avec Marcello Giordani dans Eleazar, et une représentation concertante de La Vestale de Spontini pour trois soirs en juin et juillet, dirigée par le vétéran Gabriele Ferro, avec Maria Agresta, la soprano dont on parle de plus en plus.
Enfin deux concerts donnés à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Wagner (22 mai), le 18 mai avec Das Liebesmahl der Apostel de Wagner (1843) et la Reformations Symphonie de Mendelssohn, et le 21 mai (le 22 Thielemann dirige à Bayreuth) un concert composé des scènes pour ténor des opéras de Wagner créés à Dresde avec… Jonas Kaufmann.
Si vous êtes amateur de surprises, il vous faudra aussi venir à Dresde en mars, avril, mai ou juin, voir Manon Lescaut de Puccini dans une mise en scène de Stefan Herheim avec Norma Fantini dans Manon (disparue des scènes italiennes, mais bien vivante en Allemagne) et le jeune ténor qui monte, Thiago Arancam (entendu à Lyon l’an dernier  dans Il Tabarro) dans Des Grieux, le tout dirigé par…Christian Thielemann qu’on n’attend vraiment pas dans Puccini. Pour Herheim, pour Arancam, pour Thielemann..vaudra le voyage.
Autre curiosité, mais en janvier février mars (et juin pour une représentation), Orlando de Haendel dirigée par Jonathan Darlington dans une mise en scène sans doute inventive d’Andreas Kriegenburg (le Ring de Munich).
Enfin, un opéra pour enfants de 50 minutes en un acte de Ernst Krenek dans la petite salle, Das geheime Königsreich, direction Mihkel Kütson et mise en scène Manfred Weiß.

La salle du Nationaltheater

Et Munich? Incontestablement nous passons à la vitesse supérieure, la Bayerische Staatsoper étant pour mon goût le théâtre de niveau international qui en Europe, est le plus régulier pour la qualité musicale, la qualité des productions et les larges choix de répertoire. A Munich, vous serez rarement déçu car l’offre est de haut niveau et chaque soirée a quelque chose à offrir: c’est à la fois un théâtre de grande et longue tradition, mais qui n’hésite pas, et depuis longtemps, à proposer des spectacles stimulants, modernes tout en conservant dans ses cartons des productions traditionnelles de bon aloi, ou qui ont marqué l’histoire. En terme d’offre, Munich peut largement soutenir la comparaison avec Vienne.
De plus chaque année, en juillet, c’est le moment du Festival (Münchner Opernfestspiele), 130 années d’existence, qui reprend des représentations de répertoire avec des distributions renouvelées et de grand niveau, et qui propose une à deux nouvelles productions. Le Festival 2013 (27 juin-31 juillet)  propose une ligne honorant et Verdi et Wagner, dont c’est le 200ème anniversaire). On y verra donc une nouvelle production de Il Trovatore le 27 juin 2013 et pour quatre représentations dans une mise en scène d’Olivier Py, dirigé par Paolo Carignani, avec Alexey Markov (Luna), Elena Manistina (Azucena) et …Anja Harteros (Leonora) et Jonas Kaufmann (Manrico). Jonas Kaufmann n’a pas la couleur d’un Manrico, mais c’est un tel chanteur…On verra aussi une reprise de Falstaff dans une production d’Eike Gramms (Aïe) dirigée par Paolo Carignani avec Ambrogio Maestri, et Véronique Gens dans le rôle d’Alice Ford, de La Traviata dirigée par Dan Ettinger avec le trio Marina Rebeka, Piotr Beczala, et Simon Keenlyside dans la mise en scène de Günter Krämer (Aïe), de Simon Boccanegra, nouvelle production de la saison (et non du Festival) dont la première aura eu lieu le 3 juin 2013 (suivie de quatre représentations) dans une mise en scène de Dimitri Tcherniakov, dirigée par Bertrand de Billy, avec Zeljko Lucic, Krassimira Stoyanova, Vitalij Kowaljov et Ramon Vargas, d’Otello dans la mise en scène sans grand intérêt de Francesca Zambello dirigée par Paolo Carignani, avec le trio Johan Botha dans le Maure, Claudio Sgura dans Jago, Pavol Breslik dans Cassio et…Anja Harteros comme Desdemona, de Rigoletto, nouvelle production de la saison dont la première est prévue le 15 décembre dirigée par Marco Armiliato , reprise au Festival sous la direction de Fabio Luisi, dans une mise en scène d’Árpád Schilling, ce qui devrait être particulièrement intéressant, avec Joseph Calleja, Franco Vassallo, et Patricia Petibon dans Gilda pour trois représentations, de Macbeth pour une seule représentation avec Zeljko Lucic et Nadja Michael dans la production de Martin Kušej (ce qui est toujours stimulant) et dirigée par Massimo Zanetti. enfin, ce festival Verdi impressionnant permettra de revoir la production de Don Carlo de Verdi de Jürgen Rose pour deux représentations de folie, les 25 et 28 juin, avec, tenez vous bien, Jonas Kaufmann et Anja Harteros, René Pape, Mariusz Kwiecien, Sonia Ganassi et dirigée par Zubin Mehta…qui manquerait  cela?
Et ce n’est pas fini! Parce que après Verdi vient Wagner, dès le début du Festival avec une seule représentation de Der Fliegende Holländer, dirigée par Asher Fisch (bof), dans la mise en scène de Peter Konwitschny, avec Johan Reuter et Hans-Peter König, la Senta de Anja Kampe et l’Erik de Klaus Florian Vogt….immédiatement suivie le lendemain d’une seule représentation de Tannhäuser dirigée par Kent Nagano dans la mise en scène de David Alden avec rien moins que Robert Dean Smith, Christiph Fischesser, Petra Lang dans Venus, et Anne Schwanewilms dans Elisabeth, et le Wolfram de Mathias Goerne. Deux jours après, le 3 juin, une seule reprise de Lohengrin (vous l’aurez compris, tout y passera!) dans la mise en scène de Richard Jones, dirigée par Lothar Koenigs, avec Annette Dasch, Klaus Florian Vogt, Evguenyi Nikitin, Micaela Schüster et Hans Peter König, et le 15 juillet, Tristan und Isolde dans la mise en scène de Peter Konwitschny, dirigé par Kent Nagano, avec Gary Lehmann dans Tristan, Petra-Maria Schnitzler dans Isolde, Ekatera Gubanova dans Brangäne, MArkus Eiche dans Kurwenal et René Pape en Roi Marke.
On n’échappera pas non plus au Ring dans la production discutée et inégale d’Andreas Kriegenburg, qu’on verra déjà en janvier, sous la direction de Kent Nagano (13,14, 15, 18 juillet) avec notamment  dans Wotan Johan Reuter(Rheingold), Bryn Terfel (Walküre), le Wanderer de Juha Uusitalo (Siegfried), Sophie Koch dans Fricka, Tomasz Konieczny dans Alberich, la Brünnhilde de Katarina Dalayman (Walküre), Catherine Naglestad (Siegfried), et Nina Stemme (Götterdämmerung), le Siegmund de Simon O’Neill et la Sieglinde de Petra Lang,  le Siegfried de Stephen Gould, sans compter Iain Paterson (Günther), Hans-Peter König (Hunding et Hagen). Ce déluge wagnérien sera conclu le 31 juillet par Parsifal, dans la mise en scène de Peter Konwitschny, dirigé par Kent Nagano, avec Christopher ventris, Thomas Hampson dans Amfortas, Kwanchoul Youn dans Gurnemanz, le Klingsor d’Evguenyi Nikitin, et la Kundry de Petra Lang.
Seul absent de cette impressionnante série, Die Meistersinger von Nürnberg qui aux temps de Sawallisch clôturait le Festival le 31 juillet mais dont on peut penser qu’ils seront proposés à la fin de l’année Wagner en automne 2013.
Ce n’est pas fini, parce qu’il fallait bien au programme quelques œuvres “autres” que du Verdi ou du Wagner. On pourra ainsi voir au Prinzregententheater Ariadne auf Naxos dans la mise en scène de Robert Carsen, dirigée par Bertrand de Billy, avec Burkhard Fritz dans Bacchus, Sophie Koch dans le Compositeur, Jane Archibald dans Zerbinetta, et Eva-Maria Westborek dans la Primadonna, une reprise pour une seule représentation (le 21 juillet)  de l’événement de ce début de saison, Babylon, le nouvel opéra de Jörg Widmann sur un texte de la star des philosophes Peter Sloterdijk, dirigé par Kent Nagano dans une mise en scène de Carlus Padrissa de la Fura dels Baus avec notamment Anna Prohaska,  Willard White et Gabriele Schnaut, une reprise (le 26 juillet) pour deux représentations d’une des nouvelles productions de la saison, Boris Godunov, de Mussorgski, dirigé par Kent Nagano dans la version de 1869 et dans la mise en scène très attendue de Calixto Bieito avec Alexander Tsymbalyuk dans Boris, Analtoli Kotscherga dans Pimen et Gerhard Siegel dans Schuiski. Enfin, dernière Première prévue, au

La salle du Prinzregententheater

Prinzregententheater, celle de Written on skin, de Georges Benjamin, qui fait le tour du monde, le 23 juillet (et les 25 et 27) dans la mise en scène de Katie Mitchell, dirigée par Kent Nagano, avec Barbara Hannigan.
En considérant la programmation du festival, on a une idée de ce que peut-être la saison 2012-2013 de la Bayerische Staatsoper. Vous pouvez allez voir les spectacles dans l’année à un prix moindre qu’en période de festival, à commencer par Lohengrin en ce mois de novembre, qui affichera Anja Harteros et Klaus Florian Vogt, à partir du 15 décembre, nouvelle production de Rigoletto mise en scène Árpád Schilling, dans la même distribution qu’au festival, mais dirigé par Marco Armiliato,  et un adieu à la vieille production de Herbert List (1965) de Hänsel und Gretel, dirigée par Kazushi Ono  pour préparer Noël, avant la nouvelle production de mars 2013, dirigée par Tomáš Hanus, mise en scène par Richard Jones, en janvier deux Ring complets, à la distribution à peu près semblable à celle de juillet, et pendant tout le mois de février le nouveau Boris Godunov, mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Kent Nagano, dans la version de 1869, sans l’acte polonais, dont il était question pour le festival. Et pour mémoire en juin le Simon Boccanegra mis en scène par Dimitri Tcherniakov et dirigé par Bertrand de Billy dont il était question plus haut.
Dans les reprise, notons une Aida (dirigée par Paolo Carignani, mise en scène Christof Nel) très bien distribuée (Michael Volle Amonasro, Sondra Radvanovski Aida, Anna Smirnova Amneris et Robert Dean Smith inattendu dans Radamès) , en janvier une Lucrezia Borgia de la nostalgie, dirigée par Paolo Arrivabeni, mise en scène (Aïe) de Christof Loy, avec Edita Gruberova, Sonia Ganassi, Charles Castronovo et Franco Vassallo, une distribution qui inspire l’envie. En continuant avec le bel canto, on pourrait voir en février une reprise de I Capuleti e i Montecchi , dans la mise en scène de Vincent Boussard, et dirigée par Yves Abel avec Joyce Di Donato et Ekaterina Siurina, à partir du 3 mars pour trois représentations, la production du Tristan und Isolde, avec Gary Lehmann et Waltraud Meier (direction Kent Nagano), et à Pâques deux représentations de Parsifal (Michael Weinius en Parsifal,  Michael Volle (Amfortas) et Petra Lang, suivies de quelques Otello (voir plus haut) avec Anja Harteros en Desdemona et Johan Botha en Otello; le jeune et talentueux Patrick Lange dirigera en avril aussi un Entführung aus dem Serail avec Peter Rose en Osmin, Rainer Trost en Belmonte et Maria Bengtsson en Konstanze, tandis que en mai Adam Fischer reprendra Don Giovanni (mise en scène Stephan Kimmig) avec Erin Wall et Annette Dasch, Alex Esposito et Gerard Finley. Tout cela entrelardé de Fliegende Holländer, de Hänsel et Gretel, l’Elisir d’amore, de

La salle du Cuvilliestheater

Macbeth, de Traviata et surtout de la nouvelle production de l’Elegie für junge Liebende de Henze, qui vient de disparaître,  au Cuvilliestheater, avec les jeunes de l’opéra-studio dans une mise en scène de Christiane Pohle.

Un aussi vaste choix laisse une grande liberté, il y en a pour tous les goûts, et le festival a une programmation impressionnante. Don Carlo reste le moment à ne pas manquer, mais Boris Godunov, le Ring, et ce nouveau Trovatore attirent aussi…quant aux admirateurs de Madame Harteros, ils ont l’embarras de choix, entre Lohengrin, Otello, Trovatore et Don Carlo.
Il ne vous reste plus qu’à vous précipiter sur vos agendas, sur les sites des compagnies aériennes, et d’organiser vos week-ends germaniques et lyriques, je suis sûr que vous ne le regretterez pas.

OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (2) : SPECTACLES A RETENIR – BERLIN

Hier 4 novembre à Berlin, à la Deutsche Oper, à 16h, dernière représentation de la première série de la nouvelle production de Parsifal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl, dirigée par Donald Runnicles, avec Klaus Florian Vogt (Clemens Bieber le 12 janvier et Stephen Gould les 29 mars et 1er avril) et Evelyn Herlitzius en Kundry (Violeta Urmana les 29 mars et 1er avril).

Hier 4 novembre à Berlin, à 300m de là sur l’autre trottoir, à la Staatsoper am Schiller Theater, à 15h reprise de Don Carlo, de Verdi dans la production de Philipp Himmelmann, dirigé par Massimo Zanetti, avec René Pape, Tamar Iveri, Fabio Sartori, Ekaterina Gubanova, Alfredo Daza.

Hier 4 novembre à Berlin, à 4 km de là,  derrière Unter der Linden, à la Komische Oper, où l’on joue en allemand, la trilogie de Monteverdi en continu:
– À 11h Orpheus(Orfeo) de Monteverdi, dans la mise en scène de Barrie Kosky, nouveau directeur de la Komische Oper, et dirigé par André de Ridder.
– À 14h30, Odysseus (Il ritorno d’Ulisse in patria) (Barrie Kosky/André de Ridder)
– À 19h, Poppea (L’incoronazione di Poppea) (Barrie Kosky/André de Ridder).

Qu’auriez-vous fait si vous aviez été à Berlin en ce 4 novembre, où l’offre dominicale était exceptionnelle? Voilà bien pourquoi Berlin demande à elle seule, un article spécifique car l’offre est telle, que ce type d’hésitation se répète plusieurs fois dans l’année, sans évidemment compter les concerts à la Philharmonie, au Konzerthaus et les représentations théâtrales au Deutsches Theater, à la Volksbühne, au Berliner Ensemble  à la Schaubühne (tiens, le 4 nov: Un ennemi du peuple, Ibsen, Thomas Ostermeier, la production vue à Avignon cet été…).

La salle du Schiller Theater

Commençons donc par la Staatsoper am Schiller Theater, installée dans ce théâtre des années cinquante, pendant plusieurs années encore, en attendant que la salle et la scène de la Staatsoper am Unter den Linden ne soient agrandies, restaurées, et permettent alternance et accueil du public améliorés. La programmation n’accuse pas de baisse, même si l’accueil de spectateurs est réduit (la salle a 1200 places).
Année Wagner oblige, l’événement de l’année c’est le Ring de Wagner enfin complet dans la mise en scène de Guy Cassiers, en coproduction avec la Scala. En raison des prix prohibitifs de la Scala, mieux vaudra choisir Berlin, d’autant que l’orchestre de fosse, la Staatskapelle Berlin, est plus aguerri sur ce répertoire. On aime Barenboim ou non mais son Wagner a fait date, et à la Staatsoper, Wagner c’est lui. Ce Ring est donc annoncé en trois éditions en mars et avril (23, 24, 27, 31 mars/3, 4, 7, 10 avril/13, 14, 18, 21 avril)  avec plusieurs représentations de Götterdämmerung début mars, d’autres de Walküre et de Siegfried viennent d’avoir lieu en octobre. Dans la distribution, René Pape en Wotan pour Rheingold et Walküre, Juha Uusitalo en Wanderer pour Siegfried, Waltraud Meier en Sieglinde, Waltraute, et même en 2ème Norne (alternant pour ces deux rôles avec Marina Prudenskaia), Irene Theorin (l’Isolde de Bayreuth) en Brünnhilde, Mikhail Petrenko en Fafner, Hunding et Hagen, Peter Seiffert en Siegmund (Christopher Ventris le 24 mars), Lance Ryan et Ian Storey en Siegfried, Ekaterina Gubanova en Fricka, Johannes Martin Kränzle en Alberich, Iain Paterson en Fasolt (Matti Salminen le 13 avril) et Gerd Grochowski en Günther, Peter Bronder en Mime, Anna Larsson en Erda, Marina Poplavskaia en Gutrune début mars et Anna Samuil en avril . Une distribution de très haut niveau, à ne pas manquer, à des prix encore raisonnables.
Autre nouvelle production wagnérienne de la Staatsoper, en mai 2013,  Der Fliegende Holländer, dirigé par Daniel Harding, dans une production de Philipp Stölzl (qui fait Parsifal et Rienzi à l’opéra d’en face, la Deutsche Oper) avec Michael Volle dans le Hollandais et Emma Vetter en Senta (84 ou 66 € la place d’orchestre selon les dates, Paris est à 180…).

Le Schiller Theater

Autres nouvelles productions, tout d’abord La Finta Giardiniera, en novembre décembre 2012, dans une nouvelle version du livret et une mise en scène de Hans Neuenfels (ça va encore gronder!) intitulé Die Pforten der Liebe, dirigé par Christopher Moulds, avec Stephan Rügamer, Joel Prieto, et Annette Dasch et une nouvelle production du Vin Herbé de Frank Martin, mise en scène de Katie Mitchell (Written on Skin à Aix) et dirigé par Frank Ollu, en mai et juin 2013, avec Anna Prohaska et Matthias Klink Citons pour finir le Festival Infektion! pour le nouveau théâtre musical, en juin 2013, avec deux spectacles qui devraient susciter l’intérêt, Aschemond oder the Fairy Queen, de Helmut Oehring sur arrangements de la musique de Purcell dirigé par Michael Boder et Benjamin Bayl ( qui dirigera l’Akademie für Alte Musik de Berlin), mise en scène de Claus Guth, avec rien moins que Marlis Petersen, Bejun Mehta, Topi Lehtipuu, et Roman Trekel et Hanjo de Toshio Hosokawa, commission du Festival d’Aix et coproduction avec la Ruhrtriennale, dans une mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Günther Albers.
Cela pour les premières et les nouvelles productions, mais il y a aussi des reprises de répertoire qui peuvent intéresser les amateurs et les autres, par exemple en décembre, un Rosenkavalier dirigé mais oui, par Sir Simon Rattle, avec Madame en Octavian (Magdalena Kožena), Dorothea Röschmann en Marschallin, Anna Prohaska en Sophie et l’excellent Peter Rose en Ochs, dans une mise en scène de Nicolas Brieger, mais aussi, toujours en décembre, une Bohème (mise en scène Lindy Hume) dirigée du 2 au 22 décembre (sauf le 12) par Andris Nelsons, accompagnant Madame (Kristine Opolais) dans Mimi avec Stephen Costello en Rodolfe et Anna Samuil en Musetta, ou même cette Agrippina de Haendel, mise en scène de Vincent Boussard (La Finta Giardiniera à Aix) et dirigée, mais oui, par René Jacobs, avec entre autres Bejun Mehta, Amex Penda, Dominique Visse, Jennifer Rivera pour trois représentations début mai. On reverra aussi avec plaisir La fameuse Traviata de Peter Mussbach présentée à Aix il y a une dizaine d’années, mais plutôt lors des représentations de juin: Massimo Zanetti dirigera et Christine Schäfer sera Violetta aux côtés de Charles Castronovo en Alfredo. Enfin on pourra découvrir l’opéra de Toshio Hosokawa, Matsukaze, pour trois représentations en février, dirigé par David Robert Coleman mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz avec Barbara Hannigan,  Charlotte Hellekant, Frode Olsen et enfin The Rake’s Progress dirigé par David Robert Coleman dans la production de Krzysztof Warlikowski pour trois autres petites représentations de mars 2013.
On le voit, à des prix plus que raisonnables, on n’a que l’embarras du choix devant des productions très travaillées du point de vue scénique, avec des distributions souvent stimulantes, et rien qu’avec la Staatsoper, on peut déjà comparer cette programmation au bord de la Spree, à celle à laquelle nous avons droit au bord de la Seine. La domparaison est déjà douleureuse, d’un côté idées, variété, nouveauté et de l’autre grisaille et conformisme , et l’on n’a pas encore parcouru la programmation de la maison d’en face, la Deutsche Oper dans sa salle moderne et froide (très années 60)  de 1900 spectateurs.

La Deutsche Oper Berlin

L’opéra lui-même s’est retrouvé être celui de Berlin Ouest pendant les années du Mur,

L’ancien Deutsches Opernhaus Berlin en 1912

mais sa création comme “Opernhaus de Chalottenburg” remonte à 1912, appelé par les nazis Deutsche Opernhaus. Le répertoire y est large, et le directeur musical actuel en est Donald Runnicles.

C’est un autre salle historique, qui concurrence la Staatsoper, l’opéra de Cour, à deux pas du palais impérial, qui fut pendant les années du Mur l’Opéra de Berlin Est.
Aujourd’hui par les hasards de la géographie et des théâtres disponibles de Berlin, les deux institutions bordent la Bismarckstrasse, l’une au numéro 35, l’autre au 110.
La Deutsche Oper a été très marquée par la période où l’intendant était le metteur en scène Götz Friedrich, à qui l’on doit le Ring de la maison, depuis plusieurs dizaines d’années, qui reste le pilier de référence du théâtre dans les beaux décors de Peter Sykora. En cette saison 2012-2013, la Deutsche Oper va présenter tous les opéras de Wagner à son répertoire, et en 2013-2014 deux fois le Ring, une série  en septembre, l’autre aura lieu en janvier 2014. C’est Sir Simon Rattle (qui ne fait pas de jaloux, dirigeant soit au Schiller Theater soit au Deustche Oper) qui ouvrira le premier cycle en septembre tandis qu’en janvier 2014 Donald Runnicles dirigera Rheingold (le 8) , Sir Simon Rattle Die Walküre (le 9), et Donald Runnicles Siegfried (10) et Götterdämmerung le 12 janvier. Dans la distribution, on note le Wotan de Marc Delavan (comme au MET) pour Rheingold et Walküre, et Terje Stensvold pour Wanderer, l’Alberich d’Eric Owens (comme au MET) pour Rheingold et Götterdämmerung, la Brünnhilde d’Evelyn Herlitzius (Walküre) et  de Susan Bullock (pour les deux autres jours), le Siegfried de Lance Ryan pour Siegfried et Götterdämmerung, la Sieglinde de Heidi Melton (hélas, c’était en septembre Eva-Maria Westbroeck), le Siegmund de Peter Seiffert, le Hagen de Hans Peter König, le Hunding de Reinhard Hagen, et  la Fricka de Doris Soffel, toujours vaillante. Notons enfin la Waltraute de Anne-Sofie von Otter. Une distribution plus inégale qu’à la Staatsoper, mais qui reste supérieure à celle de Paris par exemple.
Dans l’ensemble des opéras de Wagner présentés cette année (seul Der Fliegende Holländer est en version concertante présenté à la Philharmonie le 27 mai), rappelons le Parsifal dont il était question au début de cet article, dirigé par Donald Runnicles et avec Klaus Florian Vogt jusqu’à aujourd’hui, Clemens Bieber et Evelyn Herlitzius en janvier et Stephen Gould avec Violeta Urmana en mars, ce qui n’est pas si mal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl. Je conseillerais vivement d’aller voir l’une des trois représentations de Rienzi, production du même Philipp Stölzl en janvier prochain (Direction Sebastian Lang-Lessing avec Manuela Uhl dans Irene et Torsten Kerl dans Rienzi. ceux qui sont à Berlin vers le 22 décembre pourront aller entendre Tannhäuser, pour Christian Gerhaher dans Wolfram (seulement en décembre) et les amoureux de Tristan pourront venir en mars écouter Stephen Gould, Violeta Urmana, Hans Peter König (Peter Rose le 23 mars) et Samuel Youn, dans le Tristan und Isolde de Graham Vick dirigé par Donald Runnicles.

Deutsche Oper, la salle

A part cette fête wagnérienne, il faut reconnaître que la Deutsche Oper qui fête ses 100 ans cette année, ne propose pas des nouvelles productions d’un intérêt majeur, sauf peut-être un Peter Grimes, production de David Alden venue de l’ENO de Londres et dirigée par Donald Runnicles en janvier février avec Christopher Ventris et Micaela Kaune. Même la version concertante le 19 juin 2013 de Attila de Verdi (Pinchas Steinberg au pupitre avec Dalibor Jenis, Erwin Schrott et Liudmyla Monastyrska) n’est pas si stimulante, quant à Lucrezia Borgia en version concertante le 27 avril 2013 dirigée par Andriy Yurkevych, c’est une version pour nostalgiques avec Edita Gruberova entourée du très bon Alex Esposito et de Pavol Breslik .
Dans les reprises, il y aurait bien Les Troyens (mise en scène David Pountney) dirigés par Donald Runnicles, avec Ildiko Komlosi en Cassandre et Elina Garanca en Didon, mais la perspective de l’Enée d’ Endrik Wottrich est inquiétante, sinon impensable.
Pour le reste, beaucoup de Verdi de répertoire avec des distributions de répertoire, desquelles je tirerai un Otello avec Peter Seiffert, Lucio Gallo, Adrianne Pieczonka, dans la production d’Andreas Kriegenburg fin février début mars. J’ai noté aussi un Don Giovanni en janvier bien distribué avec Michael Volle dans le rôle titre et Alex Esposito dans son rôle fétiche, Leporello, ainsi que Patrizia Ciofi dans Donna Anna, mise en scène de Roland Schwab et dirigé par Guillermo Garcia Calvo.
Enfin, une Tosca dans la production plus qu’antique de Boreslaw Barlog, dirigée par Donald Runnicles, mais qui fera le plein en février (17,23,28) à cause de la Tosca d’Anja Harteros et du Mario de Massimo Giordano alternant avec Marcelo Alvarez.
Deux vraies raretés pour finir, une reprise de Jeanne d’Arc- Szenen aus dem Leben der Heiligen Johanna, de Walter Braunfels, fin novembre, dans la production de Christoph Schlingensief, dirigée par Matthias Foremny et Le Vaisseau fantôme de Pierre-Louis Dietsch (1808 – 1865) en version concertante dirigée par Enrique Mazzola au Konzerthaus de Berlin avec Laura Aikin.
Une saison contrastée à la Deutsche Oper, qui n’a pas la tenue de celle de la Staatsoper, et dont la force est un répertoire solide, sur lequel s’appuie l’essentiel de la programmation.

La jolie salle de la Komische Oper

Reste la Komische Oper, qui vient de changer de mains: Andreas Homoki a laissé Berlin pour Zürich, et à sa place le metteur en scène échevelé, volontiers provocateur, Barrie Kosky. A la Komische Oper, tout le répertoire présenté est en allemand, et l’on propose aussi bien opéra, opéra comique, opérette, musical:  c’est une salle bien inscrite dans le paysage berlinois, avec un public fidèle et spécifique, notamment originaire de la partie est. C’est aussi le théâtre qui fut de Walter Felsenstein, puis de Harry Kupfer, et qui depuis quelques années a trouvé son chemin au milieu du paysage berlinois en proposant d’autres visions, d’autres voies, plus radicales, plus provocatrices. Sera-ce le prix de la survie, dans une ville endettée, au chômage endémique, où la profusion des opéras est toujours prise comme exemple de gabegie. c’est en tous cas un de mes lieux favoris à Berlin: même si l’on n’y entend que peu de vedettes, c’est presque toujours très respectable musicalement, et souvent particulièrement intéressant scéniquement pour ceux qui aiment les expériences, la nouveauté, et qui n’ont pas trop froid aux yeux.
La programmation (nouvelles productions et reprises) fait une large place à Barrie Kosky (on n’est jamais si bien servi que par soi-même), nouvel intendant et nouveau membre de l’Akademie des Künste (Académie des Arts), mais je commencerai par attirer l’attention sur des reprises qui sont des “must” de la maison, à commencer par Xerxès de Haendel dans la production hallucinante de Stefan Herheim, présentée l’an dernier et qui prend le chemin d’être un des succès énormes de la maison. C’est complet jusqu’à la dernière, le 4 décembre, mais on trouve toujours des places au dernier moment. Comme le système de répertoire réclame beaucoup de soirées à succès (il faut remplir à tous prix), Xerxès sera sans doute repris régulièrement les années prochaines. Le chef, Konrad Junghänel, est un très bon chef pour ce répertoire et les chanteurs sont parmi les meilleurs de la troupe, même s’ils ne sont pas des spécialistes du chant baroque (Stella Doufexis chante aussi bien Haendel que Bizet).

Xerxès de Haendel vu par Stefan Herheim

Stefan Herheim, un de mes metteurs en scènes favoris (on verra ses Meistersinger, production de Salzbourg, à l’Opéra Bastille dans les prochaines années), pose un regard au second degré sur l’opéra baroque à machines avec la complicité de sa décoratrice Heike Scheele: on en a plein les yeux!
Autre reprise qui ne peut que susciter l’intérêt, celle de l’Auberge du Cheval blanc (Im Weißen Rößl) de Ralph Benatzky, dans la version originale pour trois orchestres retrouvée il y a quelques années dont j’ai rendu compte dans ce blog.  Non seulement on y voit une version expurgée de toute influence américaine, mais aussi on y retrouve presque une musique bien proche de Kurt Weill: une opérette berlinoise qui attire tous les publics. A voir dans la mise en scène (réussie) de Sebastian Baumgarten et dirigée par Koen Shoots (4 représentations en décembre janvier).
En novembre, décembre et janvier on trouve également une reprise du très violent Freischütz de Weber, dirigé par Igor Budinstein,  mis en scène par Calixto Bieito qui met Max (Vincent Wolfsteiner) à nu pendant la moitié de la représentation.
L’année comprend aussi des cycles, un cycle Kurt Weill en janvier,  et un cycle Mozart en mai, ainsi qu’un festival fin juin début juillet qui reprend toutes les nouvelles productions de l’année. Dans le cycle Kurt Weill du 18 au 24 janvier, des versions semi-concertantes (Der Kuhhandel, arrangement de Barrie Kosky, dirigé par Antony Hermus), ou des reprises (Sieben Songs/Die sieben Todsünden, mise en scène Barrie Kosky, dirigé par Kristiina Poska avec Dagmar Manzel, vedette de la chanson et de l’opérette berlinoises en janvier février). Enfin, en février mars, l’un des gros succès de la maison, Kiss me Kate de Cole Porter, mise en scène Barrie Kosky et dirigé par Koen Shoots, spécialiste du musical.
Dans le cycle Mozart de mai, notons une reprise du Don Giovanni mis en scène de Peter Konwitschny avec Günter Pappendell, un bon chanteur, en Don Giovanni, la nouvelle production de l’année, Die Zauberflöte, mise en scène…Barrie Kosky (et Susanne Andrade) pour 20 représentations dans l’année depuis novembre dont 5 en mai, dirigée par Henrik Nánási, nouveau GMD de la maison qui succède à l’excellent Patrick Lange, avec le très bon Peter Sonn en Tamino. Barrie Kosky propose aussi une reprise de ses Nozze di Figaro (Die Hochzeit von Figaro), en mai juin, dirigé par Henrik Nánási et de Die Entführung aus dem Serail, déconseillé aux moins de 18 ans, si si, dans la mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Kristiina Poska pour 4 représentations en mai.

Orfeo vu par Barrie Kosky

Dans les nouvelles productions, il faut retenir d’abord la Trilogie Monteverdi, mise en scène par Barrie Kosky (il n’arrête pas!), dans la version de Elena Kats-Chernin,  tantôt jouée en une journée, voir ci-dessus la journée du 4 novembre, tantôt en soirées séparées (direction André de Ridder) qui a été le spectacle d’ouverture de la saison, joué jusqu’ne novembre. Orpheus sera repris en mai, juin, juillet, Ulysse et Poppea seulement pour une soirée début juillet.
Encore en novembre puis fin juin, une version de Lulu de Berg revue et réorchestrée par Olga Neuwirth, American Lulu, en coproduction avec le London Opera Group, dirigée par Johannes Kalitzke et mise en scène par Kirill Serebrennikov.
Fin février et tout mars, (une représentation en avril et une début juillet ) une nouvelle production de Mazeppa de Tchaïkovsky dirigée par Henrik Nánási et mise en scène par Ivo van Hove (Macbeth à Lyon) qui devrait comme toujours à la fois faire polémique et proposer une vision nouvelle de l’œuvre assez rarement jouée et pourtant magnifique.
Enfin, Reinhard von der Thannen, le décorateur habituel de Hans Neuenfels, se lance dans la mise en scène et propose en mars Hänsel und Gretel, dirigé par Kristiina Poska, avec de nombreuses représentations en avril, une en mai, une en juin.
En juin justement, dernière production de l’année, une opérette-jazz spectaculaire créée en 1932 au Metropol Theater (ancêtre de la Komische Oper) à la fin de la république de Weimar renaît après 80 ans, Ball im Savoy du compositeur juif hongrois Paul Abraham, dirigé par Adam Benzwi et avec Dagmar Manzel.
Enfin, je signale aux amoureux de la musique grecque d’aujourd’hui la soirée du 8 avril où l’immense Maria Farantouri, chanteuse fétiche de Mikis Theodorakis, chantera Mikis Theodorakis et le compositeur turc-kurde Taner Akyol, auteur de l’opéra pour enfants Ali Baba et les quarante voleurs (Ali Baba und die 40 Räuber) créée en nouvelle production (en allemand et en turc)  à voir cette année jusqu’à décembre, dirigé par Kristiina Poska , et mis en scène par Matthias Davids.

Bien des choses à voir à Berlin entre novembre et juillet, un peu à la Deutsche Oper, beaucoup à la Staatsoper, et beaucoup aussi à la Komische Oper: il faut essayer de combiner tout cela ou bien prendre un appartement à Berlin en résidence secondaire!

Il reste que la curiosité est bien stimulée, notamment de février à juin. J’avoue, outre le Ring de la Staatsoper, être fortement tenté par l’opérette Ball im Savoy et par Mazeppa, sans compter la Traviata de Mussbach -combinable avec Ball im Savoy en juin). En bref, plusieurs voyages à Berlin s’imposent: par chance Berlin est une ville abordable et les prix de ses théâtres également. Sans doute à choisir parmi toutes les villes européennes, Berlin s’impose comme premier choix pour la qualité, la variété, l’originalité de l’offre et aussi par l’agrément de la ville, l’une des plus ouvertes et agréables en Europe aujourd’hui. Que de choses nous apprennent les scènes berlinoises!
[wpsr_facebook]

OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (1) : SPECTACLES A RETENIR – LONDRES, NEW YORK

“Wandern”, randonner à travers les opéras ici et ailleurs est l’activité typique du Wanderer. Même si les saisons sont déjà entamées, il reste suffisamment d’occasions de voyager jusqu’en juin-juillet 2013 pour pouvoir profiter des offres des différentes salles d’opéra en Europe ou ailleurs. J’ai essayé dans mes indications de classer à la fois par aire géographique, mais aussi par “style” de production dans les différents théâtres. Il est clair que les lecteurs curieux de “Regietheater” iront plutôt du côté d’Amsterdam, Madrid, Bruxelles ou Berlin, ceux qui au contraire y sont plutôt réfractaires iront plutôt vers Rome, Valencia, Florence. Ceux qui aiment les grandes distributions avec un spectacle moderne, mais encore sage, iront vers New York ou Londres, et ceux curieux d’œuvres inconnues très liées à un répertoire national chercheront du côté de Budapest, Moscou ou Saint Petersbourg. A chacun ses préférences, mais si l’on va quelque part dans le but de voir un opéra, autant aller vers ce que l’on n’a pas chez soi.

Londres et New York ont en commun de proposer une large palette de productions soignées, modernes mais encore sages, comme je l’ai dit, avec des distributions souvent de très haut niveau. New York cependant est moins regardant sur les chefs, plutôt de solides chefs de répertoire, comme Maurizio Benini ou Marco Armiliato, que des grands chefs de renom international comme Daniele Gatti (qui dirigera tout de même Parsifal). Au contraire, le Royal Opera House (Covent Garden) de Londres propose des chefs au plus grand relief, au premier rang desquels le directeur musical Antonio Pappano, qui dirige presque tous les Verdi, le jeune et très talentueux Robin Ticciati, ou George Benjamin.

La scène du MET

Qui va à New York traverse rarement l’Atlantique seulement pour voir une production d’opéra, mais la programmation du MET est riche (28 productions, voir le site), et affiche toujours son lot de grands chanteurs, dans des productions soignées, notamment au Printemps 2013, très riche: on pourra cette année revoir le Ring de Wagner (Avril-Mai), dirigé par Fabio Luisi, dans une distribution moins attirante que l’an dernier parce que sans Bryn Terfel (remplacé par Marc Delavan), sans Eva-Maria Westbroek (remplacée par Martina Serafin que je n’aime pas beaucoup), sans Jonas Kaufmann (remplacé par Simon O’Neill), en mars -avril,  il y aura aussi une Traviata, dirigée par Yannick Nézet-Séguin dans la célèbre production salzbourgeoise  de Willi Decker, avec Diana Damrau (qui ouvrira dans ce rôle la saison 2013-2014 de la Scala), Saimir Pirgu dans Alfredo et surtout Placido Domingo dans Germont . Si Eva-Maria Westbroek ne sera pas dans le Ring, elle sera en mars à l’affiche d’une reprise de la vieille production de Piero Faggioni de Francesca da Rimini de Zandonai, dirigée par Marco Armiliato avec Marcello Giordani , tandis que Natalie Dessay sera la vedette d’une nouvelle production de David McVicar de Giulio Cesare de Haendel, dirigée par Harry Bicket.

La façade du MET

D’ici la fin de l’année, on pourra voir aussi Les Troyens (en décembre 2012), dirigés par Fabio Luisi avec certes la Didon de Susan Graham et la Cassandre de Deborah Voigt mais avec Marcello Giordani (encore lui!)- pas vraiment le type de ténor souhaité pour Énée- et dans une production moyenne de Francesca Zambello, il est encore temps de découvrir la création de Thomas Adès, dirigée par le compositeur, The Tempest, avec le grand Simon Keenlyside, dans une mise en scène spectaculaire de Robert Lepage, qui, on l’oublie souvent, a beaucoup travaillé Shakespeare (jusqu’au 17 novembre).
Mais l’événement de l’année, la production qui vaudra à elle seule la traversée de l’Océan, est Parsifal, dirigé par Daniele Gatti dans la production vue à Lyon l’an dernier de François Girard, en février -mars 2013 avec Jonas Kaufmann dans le rôle du chaste fol, Katarina Dalayman dans Kundry (bon, quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a), et l’Amfortas de Peter Mattei, le Klingsor d’Evguenyi Nikitin, et le Gurnemanz de René Pape: une distribution presque inégalable aujourd’hui.

 

La scène du Royal Opera House Covent Garden

Londres est incontestablement plus facile à rejoindre, même s’il n’est pas forcément plus facile d’obtenir des billets à prix raisonnables. Mais la présence d’Antonio Pappano comme directeur musical, un chef qui dirige (bien) tant Verdi que Wagner, et qui dirige beaucoup au pupitre du Royal Opera House est une garantie pour le spectateur.

Dans les prochains mois, on peut noter tout d’abord en décembre Robert le Diable, de Giacomo Meyerbeer, dans une mise en scène de Laurent Pelly, dirigée par Daniel Oren (hum…je n’ose dire hélas), un chef qui connaît ce type de répertoire, et parfait technicien, mais au son souvent fracassant (enfin…pour Meyerbeer!), avec Bryan Himel et Marina Poplavskaya, Nicolas Courjal et John Releya, c’est à dire une jolie distribution. En janvier pour les curieux une reprise du dernier opéra(2008) de Harrison Birtwistle The Minotaur dirigée par Antonio Pappano dans une mise en scène de Stephen Landgridge, en février un  Eugène Oneguine très prometteur, dirigé par Robin Ticciati dans une nouvelle mise en scène de l’actuel directeur du Royal Opera House Kasper Holten (très critiqué à Berlin pour son Lohengrin) avec une très solide distribution, Krassimira Stoyanova,  Pavol Breslik et surtout Simon Keenlyside, qui vaut sans doute à lui seul le voyage. En mars, George Benjamin dirigera son opéra Written on skin dans la production de Katie Mitchell vue à Aix, avec comme à Aix  la magnifique Barbara Hannigan et Bejun Mehta. Notons en mars avril une nouvelle production de Nabucco, de Verdi, en coproduction avec la Scala, dirigée par Nicola Luisotti, mise en scène par Daniele Abbado (fils de…) avec l’inusable Leo Nucci, Liudmyla Monastyrska, Vitalij Kowaljov, et le jeune ténor Andrea Caré, remarqué à Genève dans Macbeth, mais voilà, Nabucco fin avril, c’est Placido Domingo, et là c’est plein, mais tentez la liste d’attente.

Façade de Covent Garden

En mai, un must: Don Carlo de Verdi dirigé par Antonio Pappano dans une reprise de la mise en scène indifférente de Nicholas Hytner, mais avec un cast d’exception: Jonas Kaufmann, Anja Harteros, Christine Rice, Ferruccio Furlanetto, et Mariusz Kwiecien, en mai-juin autre must, connu des parisiens, La Donna del Lago avec le trio habituel Juan Diego Florez, Joyce di Donato, Daniela Barcellona dans une production de John Fulljames et dirigé par Michele Mariotti et en juin, un opéra moins connu de Benjamin Britten pour son centenaire, Gloriana, qui retrace les amours d’Elisabeth 1ère et de Robert Devereux dans une mise en scène de Richard Jones, et dirigée par Paul Daniel, avec Susan Bullock dans Elisabeth, Toby Spence dans Devereux et Kate Royal dans Penelope, cela vaudra le voyage, et une reprise de Simon Boccanegra dans la vieille production de Elijah Moshinsky, dirigée par Antonio Pappano avec Thomas Hampson dans le doge.En juillet (au milieu de représentations de Tosca et Rondine de grande série) deux Capriccio de Strauss en version de concert dirigés par Andrew Davis avec Renée Fleming naturellement, et surtout Christian Gerhaher en Olivier, Joseph Kaiser en Flamand, Peter Rose en La Roche et Bo Skovhus en Comte. Pour une virée d’été à Londres, cela doit valoir le coup.

La salle de l’ENO

Mais à Londres, il y a aussi l’ENO (English National Opera) qui est à Londres ce que la Komische Oper est à Berlin, l’opéra plus accessible en langue anglaise, qui se permet, comme la Komische Oper en moins radical cependant, des mises en scènes plus ouvertes qu’à Covent Garden (comme le Don Giovanni en reprise cette année en octobre-novembre dans la production de Rufus Norris qui fit beaucoup parler d’elle en 2010 dirigée par Edward Gardner avec l’excellent Iain Paterson dans Don Giovanni). Les réalisations de l’ENO sont toujours d’un niveau très respectable musicalement, et donnent l’occasion d’entendre des voix intéressantes issues du monde anglo-saxon, soit des jeunes à découvrir, qui feront les distributions des grandes scènes de demain, soit des chanteurs connus, qui reviennent à l’ENO pour une production ou l’autre (comme justement Iain Paterson). Même chose pour les chefs, qu’on voit souvent dans les scènes européennes, comme Edward Gardner le directeur musical .
C’est aussi un lieu où l’on peut découvrir le répertoire anglais moins connu, comme pendant tout ce mois de novembre The Pilgrim’s Progress de Vaughan Williams, dans une mise en scène de Yoshi Oida et la direction de Martyn Brabbins, qui a dirigé l’an dernier à Lyon L’Enfant et les sortilèges de Ravel et Der Zwerg d’Alexander von Zemlinsky.
En novembre et décembre une nouvelle(?) production de Carmen de Calixto Bieito qui promène cette Carmen de Barcelone à Venise en passant par Bâle et maintenant Londres, bel exemple de commerce international, dirigée par Ryan Wigglesworth avec Ruxandra Donose  en Carmen et Adam Diegel en Don José.
Autre nouvelle production plutôt aux couleurs du Regietheater, en février et mars, La Traviata, de Verdi dans une mise en scène de Peter Kontwitschny et dirigée par Michael Hofstetter avec notamment Anthony Michaels-Moore en Germont. A la même période, la Médée de Charpentier (Medea en version anglaise) mise en scène de David McVicar et dirigée par Christian Curnyn, avec Sarah Connolly en Médée est loin d’être négligeable. En avril, une création, The sunken Garden, du hollandais Michel van der Aa, élève de Louis Andriessen, dirigée par André de Ridder et mise en scène par Michel van der Aa avec Roderick Williams en coproduction avec le Toronto Luminato Festival, l’Opéra de Lyon, le Holland Festival et le London’s Barbican Centre; en mai un nouveau Wozzeck dirigé par Edward Gardner et mis en scène par Carrie Cracknell ainsi en juin qu’une coproduction avec le Teatro Real de Madrid (qui fera la création mondiale le 22 janvier 2013 dirigée par Dennis Russell Davies) de l’opéra de Philip Glass The perfect American, sur la dernière année de Walt Disney, avec Christopher Purves en Walt Disney dans une production de Phelim Mc Dermott et dirigée à londres par Gareth Jones.  Enfin en juin également  une reprise du magnifique Death in Venice de Britten dans la mise en scène de Deborah Warner, dirigé par Edward Gardner avec John Graham-Hall.

Facade du London Coliseum, siège de l’ENO

En lisant ce programme, et en le comparant avec celui du ROH, on voit immédiatement où l’on défend le futur du genre lyrique et la modernité.

Voilà tout de même quelques belles occasions de passer le channel, en mer ou en tunnel (et même dans la journée quand il y a des matinées) . Pour mon choix ce serait  Eugène Onéguine pour la jouissance de cette merveilleuse musique, et pour Keenlyside, Medea de Charpentier à l’ENO pour Sarah Connolly et David McVicar, Don Carlo au ROH pour le cast, et pour Britten Gloriana  au ROH et Death in Venice  à l’ENO qu’on peut voir à la même période ,  et enfin, last but not least The Pilgrim Progress, The sunken Garden, A perfect American à l’ENO pour la curiosité.

[wpsr_facebook]

 

 

 

 

 

 

 

TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: ABBADO LE RETOUR!!! CLAUDIO ABBADO DIRIGE L’ORCHESTRA FILARMONICA DELLA SCALA ET L’ORCHESTRA MOZART avec Daniel BARENBOIM, piano (CHOPIN Concerto n°1, MAHLER Symphonie 6)

Photo Alberto Falletti

Enfin. Enfin l’affiche de la Scala portait le nom de Claudio Abbado: depuis 19 ans, ce n’était plus arrivé.
Cette fois-ci le concert a eu lieu, Claudio était en chair, certes, mais encore plus en os et en inspiration totale, absolue. Il était tellement attendu que plus de mille personnes avaient fait la queue pour avoir les places de “loggione” de dernière minute, les places debout, alors qu’on en donne 140…enfin, le “loggione” était bien plein, de ce remplissage qui fait soupçonner la présence de bien des clandestins.
Les Abbadiani itineranti (abbadiens itinérants) avaient pour itinérer affrété un tram avec des affiches “Bentornato Claudio”, distribuaient des sacs souvenir et des petits drapeaux de papier à l’entrée. Voir à ce propos le reportage photo en cliquant sur le lien de “La Repubblica” .
Dans la salle, du haut en bas, tous ceux qui de près ou de loin ont partagé quelque chose avec Claudio, par exemple Cesare Mazzonis, ex-directeur artistique de la Scala au temps d’Abbado, les chefs Gustavo Dudamel, Diego Matheuz,  Riccardo Chailly, qui habite la banlieue milanaise, tous les vieux journalistes d’alors encore vivants, et tout ce public de fans dont certains ne se voient plus à la Scala depuis des années sont revenus…”ils sont venus ils sont tous là même ceux du sud de l’Italie…”. Seule, sa soeur Luciana, infatigable soutien à la musique d’aujourd’hui à Milan, n’a pu attendre jusqu’au jour de son retour à la Scala, car elle nous a quittés quatre jours auparavant. C’est une vraie perte, un très cruel deuil.
Un rêve tout éveillé, on avait l’impression d’être trente ans en arrière avec à la fois ce public vieilli mais enthousiaste (il y avait à la fin du concert au moins 400 personnes à la sortie des artistes), souriant, arborant drapeaux et sacs distribués à l’entrée, et aussi plein de jeunes, qui ne l’avaient jamais entendu en concert puisque son dernier concert à la Scala remontait au 15 février 1993 avec les Berliner Philharmoniker. Un public fou de bonheur , tant le triomphe fut grand, sans doute le plus grand depuis Carlos Kleiber pour Otello en 1987 et un concert de Jessie Norman à la fin des années 80. On sentait le frisson parcourir les gens à l’entrée, les petits groupes qui se retrouvaient, les saluts, les embrassades, cette fois on y était, Abbado était là! et nous aussi!!

Quelques vues du public (1)

Puis-je décrire sans émotion une soirée qu’on attendait depuis dix-neuf ans, depuis ce dernier concert, et surtout depuis ce moment où un conflit avec la Scala d’alors avait éloigné Claudio Abbado de Milan au point qu’il refusait d’en parler, ou qu’il faisait le signe qui signifiait qu’il avait fait une croix sur Milan, au point d’en chercher tous les défauts, au point de déclarer de ci- de là que Milan était une ville polluée, sans espaces verts, au point d’exiger encore récemment comme condition à son retour qu’on plante des dizaines de milliers d’arbres. Colère, refus, mais aussi souffrance de rester éloigné de sa ville, cet excès même en était la preuve, et il nous l’avait bien fait sentir au détour de conversations.
Rappelons les faits: il semblait acquis que Claudio viendrait diriger un Barbiere di Siviglia et un Fidelio à la Scala, mais qu’il viendrait aussi  en 1996 avec le Philharmonique de Berlin faire l’Elektra de Strauss mise en scène par Lev Dodine présentée à Salzbourg en 1995. Riccardo Muti refusa assez tard qu’un autre orchestre que celui de la Scala soit dans la fosse, un peu comme pour l’affaire Carmen à l’Opéra Comique à Paris en 1980, où Abbado ne voulait plus diriger l’orchestre de l’Opéra de Paris après le Simon Boccanegra de 1978: il  avait dit clairement  à France Musique le mal qu’il pensait de l’Orchestre de l’Opéra et a demandé de venir avec le LSO: Liebermann refusa. On peut comprendre que ne pas utiliser l’Orchestre de l’Opéra pour Carmen à Paris aurait été un véritable camouflet pour les musiciens. Mais dans le cas de la Scala, il y avait en jeu la fameuse rivalité à distance que Riccardo Muti avait installée à Milan.
A Milan on a dit alors qu’Abbado demandait des sommes pharamineuses, que Berlin était inaccessible etc…etc…Le résultat, ce que Milan la riche ne pouvait soi-disant pas payer, Florence le paya, et Elektra fut présentée aux dates prévues, mais au Comunale de Florence (dont le directeur artistique d’alors était Cesare Mazzonis-voir plus haut-) et ce fut un incroyable triomphe. Mazzonis en échange de ce service (qui évita une perte financière sèche) obtint d’Abbado qu’il fasse le Simon Boccanegra de Salzbourg (Mise en scène Peter Stein) au Comunale de Florence.
Quand Lissner arriva à Milan, l’un de ses premiers soucis fut de convaincre Claudio de revenir. Ce fut long, et difficile, mais il y est arrivé, sans doute aussi grâce à la grande amitié qui lie Claudio Abbado et Daniel Barenboim, pourtant si différents (y compris musicalement, on l’a bien encore constaté ce soir)  . D’ailleurs, à la fin du concerto de Chopin, le public réclamait le bis à Barenboim, et celui-ci a pris la parole en disant “je pourrais vous donner un, deux, trois bis, je pourrais jouer tant que vous voulez, mais ce soir, c’est une soirée spéciale, c’est la soirée de Claudio Abbado, et alors considérez que le bis c’est la sixième de Mahler!”(tonnerre d’applaudissements).

Quelques vues du public(2)

Puis-je oser dire que ce soir, la musique passait  au second plan, au moins avant le concert, tant voir Claudio revenir dans ce théâtre qu’il a tant marqué, revenir devant son public, était un moment d’une émotion intense, qui m’a étreint fortement, tant je me souvenais de son dernier Pelléas et Mélisande, à la dernière représentation dans la merveilleuse production d’Antoine Vitez (qu’on vit aussi à Vienne, puis à Londres dans les années 90), où pleuvaient fleurs et petits papiers “O Vienna quante pene ci costa!” (Ô Vienna, que de peines tu nous coûtes, parodie d’une réplique des Nozze di Figaro), où les larmes coulaient et où a fermenté l’idée d’itinérance des fans d’Abbado qui se retrouvaient là où Claudio était. Que de nuits passées à conduire entre Milan et Vienne pour aller l’entendre et continuer à tisser le lien qui nous attache encore à lui. Oui, je suis arrivé à Milan dans les deux dernières années de son mandat, et j’ai toujours été au loggione, en deuxième galerie pour voir les opéras qu’il dirigeait (Carmen, Macbeth, il Barbiere di Siviglia, Il Viaggio a Reims, Pelléas et Mélisande), j’ai donc acheté pour ce soir une deuxième galerie: à la Scala, n’allez en Platea (orchestre) qu’à reculons, le son est moyen alors qu’en haut, le son est chatoyant, varié, puissant;  et surtout, surtout, ce soir, je revoyais mes années 80 milanaises, dans ce théâtre qui est mon théâtre (peut-être encore plus que le Palais Garnier), avec ce merveilleux public de la Scala qui peut-être farouche, insupportable, mais qui plus qu’aucun autre sait accueillir et saluer la grandeur et l’art. Ce soir fut pour moi un moment très fort, inoubliable, où les larmes coulèrent.

Quelques vues du public (3)

Faut-il en oublier de rendre compte de ce que nous avons entendu?
Une première partie avec Daniel Barenboim dans le concerto n°1 de Chopin. Certes, on sait bien que Maurizio Pollini ou Martha Argerich eussent été des choix plus conformes au style d’Abbado, mais le prétexte du concert est un cycle Chopin par Daniel Barenboim (directeur musical de la Scala) , fait avec Gustavo Dudamel la semaine dernière et Daniel Harding (remplaçant Andris Nelsons) la semaine prochaine. Insérer le concert Abbado dans ce cycle, c’était du coup banaliser ce retour (si c’était possible) et lui donner un statut “ordinaire”, de fait le prix était ordinaire (de 10 à 66€).

L’entrée d’Abbado et Barenboim, photo Alberto Falletti

Entrée d’Abbado et Barenboim, explosion du public. Abbado toujours timide va pour monter sur le podium, mais Barenboim l’attire par la main sur le devant de la scène et alors c’est la standing ovation avant même le début du concert. C’était l’ambiance hier.
Rien n’est plus différent que le style haché, contrasté, violent, mais aussi énergique et presque juvénile de Daniel Barenboim et la fluidité, la sensibilité avec laquelle Abbado aborde ce concerto qu’il n’avait pas dirigé depuis plus de trente ans.  Bien sûr  Barenboim cherche à entraîner l’orchestre derrière lui, mais Abbado tient bon, et on sent une sorte de “jeu de pouvoir” entre les deux amis. Abbado réussit à obtenir de l’orchestre un son rond et chaleureux qu’on ne lui avait pas entendu depuis longtemps (il faut reconnaître que la qualité du son de l’orchestre n’est plus celle du temps d’Abbado ni même de Muti: un peu de problèmes techniques, quelques sons  approximatifs, une couleur qui s’est banalisée), il réussit tout de même de magnifiques pianissimi dans le deuxième mouvement (le plus accompli  à mon avis, avec  le premier mouvement), ces pianissimi dont Abbado a le secret. Une suprême élégance du geste, communicatif, qui n’est pas la manière de jouer ou de diriger de Daniel Barenboim. Chopin est-il d’ailleurs encore son univers? Le troisième mouvement m’est apparu à la fois acrobatique et approximatif, où les deux partis pris se confrontaient sans toujours dialoguer. Il reste que Daniel Barenboim reste un étonnant artiste, d’une intelligence redoutable (voir la manière dont il a calmé le seul imbécile qui le huait – c’était bien le moment! en rappelant que cette soirée était celle d’Abbado et relativisant du même coup sa présence et sa prestation).
L’orchestre est souvent considéré comme la partie faible chez Chopin, on dit souvent qu’il préfère les petites formes aux grandes machines orchestrales à la Beethoven, ici évidemment, Abbado oblige,  on entend les couleurs et les modulations orchestrales, la manière dont l’orchestre cherche à mettre en valeur le soliste, mais dont il s’éloigne en même temps par le style. Il reste que globalement, on demeure assez satisfait (ou indulgent), un hueur, mais un gros succès du public et de nombreux rappels.

L’énorme dispositif

Bien sûr on attendait la Sixième de Mahler car chaque concert mahlérien d’Abbado est désormais un événement . Il a épuisé le genre à Lucerne en refusant de faire la huitième, et donc il y a fort à parier que ces moments seront de plus en plus rares. Cette Sixième (après une huitième supprimée et une seconde avortée) devenait donc un moment d’urgence, et pour la mettre en place, Abbado a demandé de mélanger son orchestre Mozart (et surtout ses chefs de pupitre, rompus au travail avec lui) et l’Orchestre Philharmonique de la Scala, qu’il a fondés tous deux: voilà deux orchestres fils d’Abbado! On reconnaissait donc Raphaël Christ (Lucerne et Mozart), mais aussi Lucas Macias Navarro le génial hautboïste (Lucerne, Mozart et Concertgebouw) qui ce soir encore  a donné des exemples époustouflants de poésie et de simplicité, Chiara Tonelli la flûtiste (Mahler Chamber Orchestra, Orchestra Mozart), Aloïs Posch le contrebassiste (ex Wiener Philharmoniker) et d’autres sans doute difficiles à reconnaître de si loin. On avait réuni une masse orchestrale inédite, environ 170 exécutants, dans une vraie mise en scène avec le fameux marteau au centre, surélevé, comme un billot, il y avait par exemple 14 contrebasses, 18 violoncelles, 20 altos, 4 harpes dont le son montait avec une clarté confondante (voir notamment le début du quatrième mouvement); comme toujours avec Abbado, l’adagio était joué avant le scherzo.
Et ce fut magnifique. Ce ne sera pas sa plus grande interprétation de la Sixième, mais ce sera quand même une pierre miliaire bouleversante: rappelons-nous l’extraordinaire Sixième faite avec les Berlinois, à bondir pour l’éternité, ou celle de Lucerne. Et comme je l’ai rappelé, l’orchestre n’est pas techniquement au niveau des phalanges citées, notamment les cuivres, (mais qui atteint le niveau de Reinhold Friedrich?) et on entend quelquefois des stridences pas toujours bienvenues  mais on sentait les répétitions, l’engagement, l’application, la prise que le chef avait (à voir les sons produits quelquefois) et surtout l’incroyable énergie.

Claudio salue

Après avoir entendu le Gewandhaus (une autre de ces phalanges exemplaires) à Lucerne en septembre dernier avec un Riccardo Chailly déchainé dans la même œuvre, avec une sorte d’urgence et d’énergie du désespoir, on reste toujours frappé de redécouvrir Abbado (c’est comme à chaque fois une surprise, la découverte toujours renouvelée des perfections avec les yeux stendhaliens de Fabrice pour Clelia) par la manière dont Abbado fait parler l’orchestre, qui sourit, qui pleure, qui grince. Et par la variété “psychologique” de cette interprétation. Un des amis que j’ai croisé hier me disait qu’il trouve toujours Mahler “cérébral”. Rien n’est plus discutable: il est au contraire à fleur de peau, sans cesse en tension, sans cesse passant d’un moment d’extase à l’angoisse, à la noirceur, au sarcasme. Je ne le sens pas comme cérébral, mais au contraire comme un vagabond d’un univers sensible à l’ extrême. Oui Mahler est un “sensible de l’extrême”, en telle osmose avec les éléments naturels, qu’il crée sans cesse des “montées d’images” comme en psychanalyse et Abbado nous fait sentir le moindre souffle de cette sensibilité exacerbée, c’est pourquoi hier c’était l’extrême tension, notamment au départ, avec ce pas vif initial, en même temps léger, car on passe sans cesse d’une variation d’humeur à l’autre avec une extrême fluidité. Pour moi, c’est encore l’adagio qui m’emporte et me bouleverse, qui me tire les larmes, un moment suspendu de pure poésie, et hier c’est sans doute encore la partie qui m’a le plus touché. Mais il faut reconnaître qu’une fois de plus Abbado fait lire le texte, propose une vision d’une telle clarté, que toujours l’architecture se fait jour. Et il construit une telle tension qu’on en sort écarlate de l’énergie qu’on accumule. A part quelques imbéciles des fauteuils  d’orchestre qui pianotaient sur leur portable (d’en haut, ils n’échappent pas à nos regards) sans doute à la recherche du restaurant d’après spectacle, il fallait voir les visages tendus du public des galeries, silencieux, debout, arque-bouté aux barres de la galerie, suivre avec une urgence inouïe ce concert qui est sans doute le plus beau donné à la Scala depuis des lustres. Lecture d’une clarté stellaire, émotion indicible en soi par la musique, et aussi par les circonstances, tension prodigieuse. Oui  ce fut à la fin une explosion, où toute la salle est restée, 30 minutes d’applaudissements, les dix dernières minutes avec des cris scandés “Clau-dio”, un Claudio qui, visiblement fatigué et ému, n’est pas revenu seul saluer, comme il le fait à Lucerne. Oui, comme disait l’affiche du tram, Claudio est “bentornato” dans sa cité, et ce soir, le public de la Scala a redécouvert ce qu’immense voulait dire.

[wpsr_facebook]

OPÉRA NATIONAL DU RHIN 2012-2013: DER FERNE KLANG /LE SON LOINTAIN de Franz SCHREKER le 19 octobre 2012 (Dir.Mus : Marko LETONJA, Ms en scène : Stéphane BRAUNSCHWEIG)

Acte II © ONR Alain Kaiser

A écouter cette musique, sa luxuriance, son inventivité, sa diversité, sa manière s’associer d’autres styles, d’autres sons, on se demande comment Schreker a pu tomber dans l’oubli après avoir été l’un des compositeurs à succès des années de guerre (la première)  et des années folles. La manière dont le monde de la musique traitait les juifs (son père s’était pourtant converti au luthéranisme), la manière dont les nazis ont traité les auteurs dits “dégénérés” expliquent-elles tout? Peut-être aussi des rivalités entre auteurs à succès ont-elles profité à Richard Strauss plutôt qu’à Franz Schreker, qui pourtant lui disputait la première place. Car on se demande bien comment Strauss a pu dominer le monde de l’Opéra et Schreker disparaître totalement du paysage lyrique, après son décès, après la guerre (la seconde) pour ne réapparaître que de manière épisodique dans les programmes, et encore plus dans les enregistrement, alors que mes deux expériences de ce début de saison, Amsterdam il y a un mois (Der Schatzgräber, voir le compte rendu) et Strasbourg ce dernier week-end ( Der ferne Klang/le Son lointain), sans compter  Die Gezeichneten (les Stigmatisés) il y a quelques années, toujours à Amsterdam sont à chaque fois des chocs musicaux: il y a de quoi ravir des générations de spectateurs dans cette musique souvent enivrante et dans ces histoires d’une violence, d’une urgence et d’une tristesse infinie.

Der ferne Klang, créé à Francfort le 18 août 1912, est le résultat d’une longue gestation, puisque le livret fut terminé en 1903, et que Schreker abandonna la composition de l’œuvre pour la reprendre après 1905 et la terminer en1910. Le livret en trois actes raconte la relation entre Fritz, un compositeur à la recherche d’un “son lointain”, qui serait la clef de son œuvre, et la jeune Grete, d’une famille ruinée par le père ivrogne. Trois actes, trois moments d’une relation entre l’artiste à la recherche d’un absolu du son, et la jeune fille qui après avoir abandonné sa famille, se retrouve “cocotte” à succès dans un établissement vénitien, puis prostituée au troisième acte.

Acte I Livia Budai, Helena Juntunen © ONR Alain Kaiser

Au premier acte, Fritz abandonne Grete au nom de sa recherche d’absolu sonore, pensant que son amour troublera cette recherche. Au second acte, il n’a toujours rien trouvé, mais retrouve Grete, et la repousse, horrifié de connaître sa vie dissolue, lui dont les conceptions restent d’un conformisme étroitement petit bourgeois. Au troisième acte, il vient de subir un échec de son opéra “La Harpe”, deux actes à succès, troisième acte raté, justement incapable de cette innovation sonore que serait le “son lointain”. Retrouvant Grete, il comprend qu’il y a un indissoluble lien entre ce son et l’amour, et que toute sa vie a été ratée pour l’avoir ignoré, Grete retourne à lui en lui pardonnant . Il meurt dans les bras de son aimée, ayant retrouvé et l’aimée et le son, mais sans réussir à modifier son opéra et à le terminer par sa trouvaille sonore.
Terrible histoire d’égoïsme et d’aveuglement d’un côté, de déchéance de l’autre. La jeune Grete n’a cependant rien d’une oie blanche, c’est une jeune fille autonome, décidée, qui sait parfaitement ce qu’elle veut. Sa vie bascule dès le premier acte quand elle rencontre une vieille dame, sorte de mère maquerelle qui va la prendre en charge, mais elle va assumer les méandres de son destin, son goût de la sensualité, sa vie perdue et ses regrets par rapport à Fritz. Une Lulu avant l’heure, face à un Fritz un peu en retrait, sans conscience de la valeur des choses, et en perpétuel aveuglement égoïste, pensant trouver l’art en soi, alors que c’est dans la relation à l’aimée qu’il avait à se construire.

Acte I © ONR Alain Kaiser

De cette histoire complexe, avec une foule de personnages (les chanteurs tiennent des doubles ou triples  rôles ), notamment au deuxième acte, Schreker a tiré une musique riche, charnue, ouverte aux styles divers, de la musique tzigane aux prémisses du jazz, rappelant Strauss bien sûr, mais aussi quelquefois Mahler, ressemblant à du Puccini (mais moins, beaucoup moins que Der Schatzgräber) une musique complexe, très construite, avec de vraies trouvailles, sur plusieurs plans – l’opéra dans l’opéra, au loin, au IIIème acte- ne tombant jamais dans la facilité, où évidemment la direction d’orchestre est déterminante, tant l’instrumentation et la couleur jouent un rôle essentiel. Vocalement, les deux rôles principaux doivent être tenus par un ténor qui ait dans la voix Belmonte de Entführung aus dem Serail, Walther des Meistersinger, et Lohengrin, et un soprano lyrico-spinto qui pourrait une belle Arabella pour la suavité, et une Rusalka par la largeur mais aussi la poésie. Beaucoup de voix de basse et de baryton dans le reste de la distribution, et un joli ténor lyrique pour le rôle du Chevalier.
Stéphane Braunschweig a opté pour une lecture plutôt sage, qui privilégie une vision épurée, souvent suggestive, sans véritablement entrer dans le drame, restant aux frontières de l’onirique, choisissant d’illustrer plutôt que d’analyser. L’intrigue complexe est plutôt clairement dessinée, les ambiances et les décors (de Braunschweig aussi) sont peut-être plus frappants que l’entreprise de mise en scène, et jolis costumes de Thibault Vancraenenbroeck.

Acte I © ONR Alain Kaiser

Au premier acte, la forêt de quilles vertes dans laquelle Grete se perd (qui rappelle que son père l’a jouée aux quilles pour la livrer à l’un de ses acolytes) sur fond d’une dune de gazon rouge non seulement est une vision magnifique, mais donne à l’œuvre une couleur onirique qui sied à ce conte triste. Au second acte, la dune rouge devient protagoniste, et Venise n’est évoquée qu’à travers les plots noirs et blancs et peut-être, les masques de poisson portés par les hommes.

Acte II © ONR Alain Kaiser

Une atmosphère un peu rêvée, qui pourrait être celle de l’acte de Giulietta des Contes d’Hoffmann, où d’une fête chez Lulu. Jolie gestion des mouvements, des groupes, des attitudes, et en même temps  absence singulière de ressorts dramatiques, comme si le drame passait en effleurant les protagonistes, et en premier lieu Grete.

Le troisième acte, qui rappelle le premier (mur noir avec une entrée des artistes de l’opéra) est un défilé de  de clients présents ou passés de la prostituée Tini (Grete), de fantômes du passé (Vigelius), puis la scène finale représente Fritz chez lui, assis dans son fauteuil, méditant sur le destin de sa musique et son propre destin, pendant que la prostituée Tini/Grete se présente à lui vêtue comme la jeune fille du premier acte, enfin prête à poursuivre la relation entamée tant d’années auparavant, pendant qu’en même temps Fritz comprend enfin que l’amour est ce qui lui a toujours manqué, et qu’il a abandonné dès le début de l’œuvre.

Acte III © ONR Alain Kaiser

Ce troisième acte est sans doute le plus émouvant musicalement, et l’économie de gestes de la mise en scène sert ici l’émotion. Il reste que cette musique complexe méritait aussi plus grande complexité dans la lecture, qui reste une élégante illustration, mais en aucun cas une lecture dont la complexité et l’épaisseur puisse se construire en écho à la musique. Spectacle élégant, esthétiquement soigné, mais qui ne dit pas grand chose sur l’œuvre.
La distribution est très homogène,  et tous les rôles sont tenus de manière très honorable. Citons notamment le Graumann de Martin Snell, le très bon Dr Vigelius de Stephen Owen, la mère de Teresa Erbe, l’excellent Stanislas de Barbeyrac qui donne une très belle preuve de talent dans l’air des fleuristes de Sorrente et le Comte émouvant et très juste de Geert Smits.  Seule Livia Budai dans la vieille a une voix qui fut mais qui n’est plus (que de problèmes de justesse).
Helena Juntunen, chante avec engagement et présente un personnage à la fois juvénile et mur, très émouvante, intense, investie. La voix n’est sans doute pas suffisamment large pour remplir toutes les exigences du rôle et elle a quelquefois du mal à monter à l’aigu (quelques notes pas très propres, quelques moments tendus), mais dans l’ensemble, elle tient la scène, même quand l’orchestre la couvre . Tout comme Will Hartmann, annoncé souffrant, qui ménage sa voix pour tenir la distance (il est cependant moins présent sur scène que sa partenaire). Timbre  agréable, voix bien posée, bien projetée (la salle n’est pas si grande), et diction impeccable, d’une clarté cristalline. On sentait que la voix n’était pas au mieux, sans pourtant que la prestation n’en souffrît trop.
Dans une salle aux dimensions moyennes comme celle de Strasbourg, l’orchestre, important, prend immédiatement un volume énorme, quelquefois les voix sont couvertes, mais pas souvent, et Marco Letonja, nouveau directeur du Philharmonique de Strasbourg a réussi à rendre à cette partition sa présence, son intensité, sa brillance. L’orchestre est remarquable de précision, tous les pupitres s’entendent (bravo aux harpes très sollicitées), chatoyance, couleur, contrastes, énergie, font de l’orchestre ce soir le véritable protagoniste, et s’il fallait découvrir cette musique, le spectateur est particulièrement chanceux d’avoir eu ce chef et cet orchestre pour l’y aider. Enfin, le chœur de l’Opéra du Rhin, dirigé par Michel Capperon est de très bon niveau, avec une note particulière pour les femmes, dont le second acte est tout à fait extraordinaire: car Schreker ne cesse de multiplier les plans musicaux, comme des images de cinéma, très dynamiques, faisant alternativement passer des phrases de premier au second plan, faisant surgir des moments surprenants (les tziganes) ou passant du chanté au parlé sans rupture.
Au total, il faut évidemment aller voir ce spectacle, création en France après 100 ans! Je ne sais même pas d’ailleurs si ce n’est pas aussi la première représentation scénique d’un opéra de Schreker. On manquerait quelque chose à ne pas découvrir cette musique, dont on ne peut qu’espérer une renaissance, telle un Phénix, tant elle recèle de surprises, de hardiesses, tant elle se laisse écouter, tant elle appelle le succès. A quand l’entrée de Schreker au répertoire de l’Opéra de Paris? Allez, deux heures vingt de TGV et tout parisien est à portée de train de Strasbourg: ce son lointain ne l’est pas tant.

Acte I © ONR Alain Kaiser

OPÉRA DE LYON 2012-2013 : MACBETH de Giuseppe VERDI le 13 octobre 2012 (Dir.mus : Kazushi ONO, Ms en scène Ivo VAN HOVE)

Scène finale / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

J’ai trouvé l’une des clefs de la représentation, en écoutant la radio hier, rentrant après cette première de Macbeth de Giuseppe Verdi: la barbarie, disait la voix, c’est par exemple aujourd’hui Goldman Sachs. C’est bien ce que nous dit la mise en scène de Ivo van Hove qui considère le monde de la finance comme le vrai pouvoir du jour. Ainsi s’opère la transposition du monde gris, brumeux et sauvage du Moyen âge écossais au monde gris et tout aussi sauvage du Vatican de la finance, Wall Street. La sauvagerie en costume-cravate, la barbarie du pouvoir au sein de La Banque, les constructions mafieuses, les complots, la soif éternelle du pouvoir utilisant les leviers du jour. Voilà la réponse à la question : que nous dit Macbeth aujourd’hui ?

La radio (décidément !) ce matin m’a donné la seconde clef du spectacle, une clef encore plus universelle que tous les lecteurs de littérature connaissent ;  elle était exprimée par Michel Bouquet (invité de Rebecca Manzoni sur France Inter): la grande pièce de théâtre (on pourrait dire la grande littérature) s’en sort toujours quel que soit le contexte historique, elle a toujours quelque chose à dire, on la retourne, et elle donne sa réponse. Ainsi parlait Michel Bouquet au sujet du « Roi se meurt », ainsi pourrait-on parler du Macbeth de Shakespeare, et du Macbeth de Verdi. Plaquez la pièce à la réalité du jour, pressez-la, et elle donne son jus, toujours recommencé et toujours frais.
Ainsi le décor de Jan Versweyveld est-il unique, un espace tragique délimité par de vastes espaces gris sur lesquels se projettent des images  de Tal Yarden (comme à Amsterdam dans Der Schatzgräber), toujours en négatif et noir et blanc, donnant l’impression du rêve, de l’irréel, de la représentation mentale, et derrière des bureaux qui courent tout autour, des écrans qui projettent tantôt des graphiques, des chiffres comme dans les salles de marchés, tantôt les images mentales des personnages non sans humour (chat noir, crapaud, selon les recettes des sorcières ou des extraits de dessins animés –dont « Ma sorcière bien aimée »- mettant en scène les sorcières).

Les sorcières/ ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

Le rideau se lève sur une salle de marché où les sorcières sont des traders ou des conseillères (en communication bien sûr). Image frappante, traversée par une femme de ménage qui va être le témoin muet et permanent du drame, dont le rôle va s’éclairer à la fin surprenante. Dans cette première scène, elle nettoie les déchets laissés par les traders-sorcières, qui pendant leur sabbat, puisent dans les ordures (essentiellement du papier hygiénique) et les jettent au sol. Dans ce monde dont l’enfer est figuré en projection par l’Empire State Building, tous nos tics high teck sont sarcastiquement montrés: le roi Duncan est mort et tous les employés pianotent sur leurs mobiles pour tweeter la nouvelle, la lettre de Macbeth  est lue par la Lady sur son Ipad, déjà utilisé dans « le Misanthrope » de la Schaubühne (cf compte rendu), du même Ivo van Hove, vu aux ateliers Berthier ce printemps (cf autre compte rendu).
La grande différence entre Shakespeare et Verdi, c’est que Verdi isole le couple en éliminant de nombreux personnages, et surtout, le montre bousculé, apeuré, féroce parce qu’effrayé devant le crime initial commis. Ainsi l’espace conçu très vaste (tout le plateau) montre-t-il très souvent le couple seul , traversé par ses doutes, se jetant à corps perdu dans le meurtre , et en même temps quelque part émouvant :

Acte IV / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

le merveilleux quatrième acte où pendant la scène du somnambulisme lady Macbeth en combinaison noire, pieds nus, tour à tour évite puis cherche Macbeth (qui a abandonné le costume cravate, signe de la caste, de la bande pourrait-on dire) en chemise défaite.
Dans le monologue de Macbeth qui suit,

Monologue de Macbeth(Acte IV) / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

c’est Macbeth qui tue « tendrement » la Lady, scène magnifique, d’une terrible justesse.
De même la scène du banquet et du brindisi, devenue une réception du personnel de la banque, où le spectre apparaît en projection sur les écrans, en autant d’images mentales de Macbeth démultipliées, et où à la fin, certains membres du personnel, déstabilisés, dont Macduff, rangent leurs affaires (dont les ordinateurs, ou les sacro-saints mugs) dans des = cartons et quittent le navire comme les rats. Images réelles ou images mentales, c’est bien le doute qui se glisse lorsque les crimes commis sont montrés comme en filigrane sur les cloisons géantes, meurtre de Duncan, initial, geste originel, isolé, meurtre de Banco, plus mafieux, exécuté dans un parking par des tueurs à gage (casque de moto etc…).
A ce monde de la barbarie en cravate, se construit et s’oppose le monde de ceux qui disent non, en habits « casual », qui sont en fait ces indignés de Wall Street (le mouvement OWS : Occupy Wall Street) qui ont tant interrogé les chroniqueurs, et qui vont porter la fin optimiste de la pièce. Car ne l’oublions pas, Macbeth se termine par une note d’espoir extraordinaire  et un hymne de victoire et d’espoir « L’aurora che spuntò / Vi darà pace e gloria ! » (l’aurore qui vient de pointer vous donnera paix et gloire).
À la barbarie du monde de la finance répond l’espoir venu de la rue, du « peuple », symbolisé par cette femme de ménage que j’évoquais, qui assiste à tout le drame, et qui court ouvrir les portes au peuple de la rue qui va envahir la salle des marchés, témoin muet, inexistant pour tous les protagonistes (ils évoquent leurs crimes devant elle, tant elle est invisible, tant elle ne compte pour rien) et elle écoute, enregistre, intériorise, pour finalement courir vers ce peuple qui assiège le lieu du pouvoir, vers les siens : elle envahit au milieu de siens, le saint des saints bancaire.

"Figli, o fgli miei" Dmytro Popov/ ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

Ce peuple, il doit émouvoir et c’est la vidéo qui donne l’émotion comme dans un storytelling : la scène du chœur « patria oppressa » et le magnifique monologue de Macduff prennent leur sens dans la vidéo réalisée « en direct », avec des gros plans sur les visages tendus (un peu comme au début de la Flûte enchantée de Bergman, toutes proportions gardées), sur le chanteur, magnifique , dont le chant prend une valeur sensible extraordinaire quand il est démultiplié par la vidéo. Et c’est ce peuple opprimé qui se libère et envahit « la banque » au total pacifiquement.  Ainsi tout se termine-t-il par une image d’espoir, une sorte d’arbre de Birnam joyeux  qui s’élève comme un ballon, pendant que Macbeth, qui n’est pas mort, semble écrasé par ce qui arrive, hagard, couvert d’une couverture, à qui Macduff vient porter à boire : alors ce qu’on vient de voir pendant 2h50 n’était-il qu’un rêve ? Les traders écrasés sont-ils laissés là sans plus aucun instrument de pouvoir ? Comment se reconstruira l’avenir ? Autant de questions sans réponses.  Cette fin optimiste, voire naïve n’est-elle pas qu’un faux semblant ? Voilà les questions qui restent sans réponses à la fin de ce travail étonnant, qui a laissé perplexe bon nombre de spectateurs : quand l’équipe de Ivo van Hove vient saluer, pas d’explosion, applaudissements intenses, mais seulement polis, et quelques buhs.

A cette réalisation étonnante et si juste, si fluide, si bien conduite (mouvements du chœur, direction d’acteurs d’une incroyable précision), correspond une réalisation musicale de haut niveau, homogène, emmenée par l’orchestre si bien préparé de Kazushi Ono. Une interprétation sans vraie touche de lyrisme, avec moins de raffinement que d’autres sans doute mais à la précision chirurgicale (au sens où l’on qualifie de « chirurgicales » les frappes des bombardements) et froide, rendue encore plus sensible par l’acoustique si sèche de l’Opéra de Lyon. Kazushi Ono propose un Verdi peu « italien », qui ne se laisse pas entraîner par les rythmes, les palpitations, les intermittences du cœur, une lecture plus « objective » (si ce mot a un sens en matière de direction musicale) que sensible (dans la même œuvre, à la Scala, il avait été mal accueilli), une lecture, si je peux me permettre, passée au moule de Chostakovitch, où Ono excelle. Cela va évidemment très bien et sonne très juste au regard de la vision du metteur en scène:  on est là en pleine cohérence. Le chœur est magnifiquement emmené par son chef Alan Woodbridge.
La distribution provient de manière étrange presque exclusivement de l’est et des anciens territoires soviétiques, réservoirs presque inépuisables de voix, et de grandes voix : Evez Abdulla (Azerbaïdjan), Iano Tamar (Georgie), Dmytro Popov (Ukraine), Victor Antipenko (Russie), Ruslan Rosyev (Turkmenistan);  seul Riccardo Zanellato qui prête sa belle voix de basse puissante à Banco (mais sans le timbre envoûtant et si émouvant de Christian Van Horn à Genève) marque la présence italienne dans les rôles principaux de la distribution.
Iano Tamar est Lady Macbeth, elle est scéniquement superbe dans sa robe verte, tache de couleur au milieu de ce monde gris, de ce vert qui est aussi celui des chiffres projetés par millions sur les écrans;  actrice remarquable, sensible, aux gestes tour à tour brutaux et tendres, sachant exprimer envie et amour, certitudes et doutes, sa présence est stupéfiante : il est d’autant plus regrettable que la voix, puissante néanmoins, ne suive pas. Lady Macbeth n’a pas besoin d’une « belle » voix charnue, mais d’une voix pleine qui soit expressive, mobile (mezzo-soprano qui soit aussi colorature), agile, qui sache avec aisance monter au suraigu, mais aussi tomber dans les graves, qui sache donner de la couleur. La voix de Iano Tamar est grande, il y a incontestablement des moments magnifiques, sentis, mais dans les moments clés, qui réclament de l’agilité et de la souplesse, il y a problème : sons fixes, suraigus tirés, montée à l’aigu difficile, même si le chant est contrôlé, peu ou pas d’agilité, et le fameux contre ré-bémol final de la scène de somnambulisme bien loin du “fil di voce” demandé par Verdi. La voix ne convient pas vraiment au rôle, et c’est regrettable car le personnage est stupéfiant, d’un bout à l’autre.
A cette Lady Macbeth, grande, sculpturale, correspond un Macbeth plus petit, au physique d’un Ceaucescu jeune, qui marque déjà les rapports au sein du couple. La voix de Evez Abdulla est vraiment bien posée, bien contrôlée, avec un savant travail sur les mezze-voci, sur la « morbidezza », sur la diction d’une grande clarté, également : elle démontre souplesse et douceur, avec un très beau timbre clair, et une belle projection malgré un volume relativement limité. La personnalité scénique est moins affirmée que celle de sa partenaire, au moins dans la première partie mais on doit reconnaître que ses troisième et quatrième actes sont vraiment magnifiques. Une belle voix de baryton qui mérite une belle carrière internationale, on sent un Posa possible derrière ce Macbeth, car il en a l’incommensurable douceur. Un Macbeth qui n’a pas la force sauvage d’un Cappuccilli, mais qui a une puissance d’émotion qui amènerait le public à lui pardonner. Remarquable.
On l’a dit, Riccardo Zanellato a une belle voix de basse, puissante, profonde, émouvante, et une belle personnalité scénique : son air « Come dal ciel precipita » est un des grands moments de la soirée. Mais le plus beau moment de chant, il est donné par le Macduff de Dmytro Popov, jeune ténor inconnu d’une trentaine d’années, qui dans « O figli, o figli miei » montre à la fois une voix large, puissante, très contrôlée, à l’aigu sûr, au timbre magnifique, à la diction parfaite. On entend derrière à l’évidence un Hermann de la Dame de Pique, mais aussi Don José (qu’il va faire à Sydney) ou le Prince de Rusalka. Retenez ce nom : si le marché ne ruine pas cette voix extraordinaire, il pourrait faire une très grande carrière et être un des ténors qu’on s’arrache.
Belle (et brève) prestation du Malcolm de Viktor Antipenko, à la voix forte, bien contrôlée, jeune chanteur qui a à peine terminé sa formation aux USA (Philadelphie, New York) et des deux rôles secondaires,  la Dame (Kathleen Wilkinson, dont la voix dans les ensembles surnage sans difficultés) et le médecin (le jeune Ruslan Rozyev, frais émoulu de l’Opéra Centre Galina Vichnevskaia, fabrique très efficace de chanteurs).
Au total, une fois de plus un spectacle passionnant, musicalement de niveau très homogène et d’une grande intensité,  scéniquement original, qui montre que lorsque la transposition fait sens et se trouve réalisée avec justesse et intelligence, elle contribue à éclairer la lecture des grands chefs d’œuvre de notre patrimoine. Une fois de plus l’Opéra de Lyon contribue au renouvellement du genre, en maintenant une pleine exigence artistique, sans concession, et une fois de plus,  Ivo van Hove se montre un des grands d’aujourd’hui dans une mise en scène d’une acuité exemplaire, encore plus ciblée que dans Der Schatzgräber, d’Amsterdam il y a quelques semaines. Il ne vous reste plus qu’à aller voir ce spectacle qui ouvre avec honneur la saison 2012-2013 de Lyon.

Duo final / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

ANNEXE:
Extrait du dossier de presse que tout spectateur reçoit avec le programme de salle et que vous pouvez trouver sur le site de l’Opéra de Lyon: http://www.opera-lyon.com

Macbeth, notre contemporain

Macbeth, selon Ivo van Hove, est une réflexion sur le pouvoir. Macbeth veut être roi, et lady Macbeth veut être reine. « J’ai pensé, dit-il, à ce qu’était le pouvoir aujourd’hui. Il est clair qu’il n’est plus entre les mains des politiques. En Europe, le monde de la finance et des affaires domine le politique. Si Verdi avait écrit l’opéra aujourd’hui, je suis sûr qu’il l’aurait situé dans le monde de la finance, un monde dont le seul objectif est d’accroître ses bénéfices. » Sur cette base, les sorcières – qui seront, aussi bien des sorciers – deviennent des conseillers en communication, forts en storytelling, dispensateurs d’« éléments de langage », si influents que Macbeth se soumet à leurs prophéties auto-réalisatrices. « Macbeth pourrait dire non ! Mais il accepte parce qu’il veut ce qu’ils disent. Les conseils ne deviennent vérité que parce que Macbeth veut les reconnaitre comme tels. »

Un film américain récent, Margin Call, de J .C. Chandor, qui décrit la lutte pour le pouvoir de tradersnew-yorkais durant la crise de 2008 a inspiré Ivo van Hove et son scénographe, Jan Versweyveld. Dans ce contexte, le château royal n’est plus une demeure gothique perdue dans les brumes d’Ecosse, mais un gratte-ciel de cinquante étages au cœur d’une cité financière. De si haut, le reste du monde paraît absent. On baigne dans les nuages, dans le tonnerre et les éclairs. Seule, la silhouette d’un aigle vient frôler les vitres et rappeler la place que la pièce et l’opéra accordent aux éléments : « Dans les monologues, comme dans les arias, il y a des comparaisons avec les animaux et la nature. C’est le monde subjectif de Macbeth, une nature à l’état brut, qui apparaitra sous forme de vidéos, comme si on était dans la tête de Macbeth. » Et il y aura aussi des vidéos tournées en direct, notamment pendant le banquet du couronnement, filmé comme un événement mondain. La nature, la dimension fantastique, certes. Mais que reste-t-il des rebelles anglo-écossais de Malcolm et Macduff et de l’avancée de la forêt de Birnam ? Avec une logique imparable, Ivo van Hove les fait revivre à travers le mouvement Occupy Wall Street (OWS) – homologue des « indignés » européens. « C’est le mouvement le plus intéressant de ces dernières années. Ils ne manifestent pas pour demander plus de travail, ils disent : il faut s’arrêter et réfléchir. Avant leur éviction par la police, ils sont restés sous leurs tentes à New York, en débats, en chansons, comme une nouvelle communauté. Ce mouvement est comme la forêt de Birnam pour moi. Je veux le voir investir le gratte-ciel, portant ses tentes comme les branches des arbres. Les OWS militent pour la recherche d’un nouveau futur. Ils sont porteurs d’une espérance. C’est exactement ce qu’il y a dans le Macbeth de Verdi, la naissance d’un espoir. »

/Jean-Louis Perrier

[wpsr_facebook]

 

STÉPHANE LISSNER NOMMÉ DIRECTEUR GÉNÉRAL de L’OPÉRA DE PARIS À PARTIR DE SEPTEMBRE 2015

Quelle surprise! Une de celles que le Ministère de la Culture a su nous ménager avec un sens du suspense carrément hitchcockien : Stéphane Lissner est appelé à diriger notre Opéra national!  Après les Bouffes du Nord,  le Châtelet, (un peu) Madrid, Aix-en-Provence, les Wiener Festwochen et la Scala, le voilà à Paris, en prolongement de carrière plutôt qu’en couronnement, Paris n’étant pas la Mecque des opéras. On ne parlait que de lui, après un tour de chauffe où l’on entendit parler de Dominique Meyer (on se demande bien ce qui  pousserait à revenir à Paris quand on dirige Vienne) et de Serge Dorny qui est à Lyon depuis 10 ans, et même de Nicolas Joel, qui avait fait savoir en son temps son intention de demander à être prolongé, pour se rétracter brutalement au nom des resserrements budgétaires (raison officielle), et sans doute (raison officieuse) après avoir su que pour lui c’était cuit.  Notre Ministère de la Culture, dont la seule joie aujourd’hui est de procéder à des nominations, c’est tout ce qui lui reste depuis qu’il n’a plus ni politique ni pétrole ni idées, s’est donc creusé ses pauvres méninges pour appeler Stéphane Lissner.
On s’y attendait, et la nouvelle, il faut bien le dire n’est pas mauvaise.
Après le gris uniforme de la programmation lyrique actuelle de notre Opéra national (que retiendra-t-on du passage de Nicolas Joel? peut-être les deux saisons futures qu’il reste à présenter? sûrement pas les dernières, sans grand intérêt il faut bien le dire), mais le prochain départ à la retraite de Brigitte Lefèvre, inamovible directrice de la danse qui fait engranger bien des spectateurs à notre Opéra, histoire de gonfler les statistiques, fait aussi souci: Lissner aura sans doute son mot à dire sur la nomination du (de la?) successeur.
Personnellement, – on peut rêver- je préfèrerais toujours être Sovrintendente del Teatro alla Scala, à cause de la tradition, de l’histoire du lieu, des passions qui le traversent, un vrai lieu d’opéra aux murs chargés de mémoire et d’artistes sublimes, que Directeur d’un Opéra National de Paris, certes immense maison aux possibilités énormes, mais sans vraie épaisseur historique (les événements musicaux, il faut les chercher surtout ailleurs, à l’Opéra Comique par exemple), dont les directeurs successifs furent incapables de souligner l’identité culturelle (Massimo Bogianckino mis à part) et qui en font un grand entrepôt  de répertoire sans âme véritable .  Et si encore c’était un entrepôt de luxe…
Stéphane Lissner a su redonner assez rapidement à la Scala un certain lustre, réussissant à monter de très beaux spectacles, à élargir le répertoire, mais réussissant plus Lulu, Wozzeck ou Die Frau ohne Schatten que Don Carlo ou Aida:  son passage n’a pas réussi à révéler des talents nouveaux (la jeune Anita Rachvelishvili exceptée, jolie Carmen qui fait désormais une belle carrière internationale), ni à rétablir une véritable école du chant italien, honneur de cette maison, ni à vraiment produire des spectacles de répertoire italien mémorables. Il aura réussi au moins à redonner à la mise en scène droit de cité (pensons au Tristan de Chéreau -un peu décevant, mais quand même-, au magnifique Peter Grimes de Richard Jones, au Ring en cours de Guy Cassiers) dans un théâtre où sous l’ère Muti régnait une grande médiocrité scénique, et  à redonner à l’orchestre le goût de la diversité, la curiosité de nouveaux chefs (l’ère Muti a été aussi délétère de ce point de vue), en appelant beaucoup de jeunes: Daniel Harding, Gustavo Dudamel, Omer Meir Wellber, Robin Ticciati, mais aussi les jeunes italiens, Daniele Rustioni ou Andrea Battistoni, et ceux moins jeunes qui n’avaient pas été accueillis jusque là, comme Fabio Luisi ou Gianandrea Noseda.
Le bilan est donc plus qu’ honorable, et le successeur (on se bat déjà aux portes) trouvera une maison en ordre de marche.
Il faut dire aussi que Stéphane Lissner trouvera un Opéra de Paris sans doute en ordre de marche: venu à la Scala quand le théâtre était à la dérive et ayant réussi à redonner espoir et enthousiasme aux personnels, et ayant aussi à peu de chose près réussi à maintenir la paix sociale, et ayant appris à naviguer dans le monde milanais et italien, toujours un peu florentin avec son sens des clans et du complot bien ancré, il n’a à peu près rien à craindre en revanche à Paris, où l’Etat le soutiendra comme il soutient toujours les grandes institutions. Nicolas Joel n’est pas un très grand directeur de l’Opéra par les idées, mais la maison est solide et sous sa direction a maintenu son niveau, a gagné des spectateurs et a été bien gérée. Lissner n’aura rien à sauver, tout au plus à mieux “lustrer” ( au sens propre “donner du lustre”) à une maison qui en a besoin. Elle a besoin de rêver un peu et  Lissner qui sait ce qui attire les foules et qui sait composer des affiches alléchantes, saura sans doute y faire.
Lui qui dans un mois, si le Maître Abbado ne renonce pas au dernier moment, sera celui qui aura réussi à faire revenir Abbado à la Scala, sera (qui en douterait) celui qui fera arriver au pupitre de Bastille Daniel Barenboimn, après vingt cinq ans: Barenboim a fait au Châtelet ou à la Scala grâce à Lissner ce qu’il n’avait pu faire à Bastille à cause de son éviction. Les deux hommes sont très liés: ce sera une belle revanche pour Barenboim que de diriger au moins une fois à l’Opéra Bastille, et il y a fort à parier qu’il quittera la Scala en même temps que Lissner.
Stéphane Lissner, comme les grands managers, sent le vent, sent les modes, sent le goût du public: il est the right man on the right place.
Je pense cependant qu’un choix comme celui de Serge Dorny aurait sans doute donné un souffle nouveau, autre, à l’opéra et surtout un accès à la génération suivante de grands managers. Nous connaissons les recettes de Lissner, elles sont bonnes, elles sont toujours adaptées, et l’homme est disponible et sympathique. Il lui reste à nous étonner.

MC2 GRENOBLE 2012-2013: IVÁN FISCHER dirige le BUDAPEST FESTIVAL ORCHESTRA le 1er octobre 2012 avec JÓZSEF LENDVAY (BARTOK, MAHLER)

Ces trois derniers jours auront donc été hongrois. A Budapest samedi pour Hunyadi László, à Grenoble lundi pour le passage exceptionnel du Budapest Festival Orchestra sous la direction de son chef (et fondateur)  Iván Fischer (le frère d’Adam Fischer) pour un programme non moins exceptionnel, le concerto n°1 pour violon (soliste József Lendvay) de Bartók, et la Symphonie n°5 de Gustav Mahler. Il faut reconnaître que les grenoblois sont chanceux, puisque la programmation musicale de la MC2, en dehors de l’orchestre des Musiciens de Louvre Grenoble en résidence (enfin, une résidence pour ainsi dire…), comprend cette année encore une fois des concerts d’Alexandre Tharaud, de Radu Lupu, d’Isabelle Faust, mais aussi des Arts Florissants, de l’Orchestre Philharmonique de Saint Petersbourg dirigé par Temirkanov et d’autres concerts diablement stimulants: Michel Orier , directeur de la MC2 jusqu’à ces dernières semaines ( aujourd’hui directeur général de la Création artistique au Ministère dela Culture) savait programmer.
Et ce fut un magnifique concert, un de ceux dont on sort heureux. Le concerto pour violon n°1 Sz 36 de Bartók,  a été écrit en 1907-1908 en hommage à une violoniste, Stefi Geyer, dont Bartók était amoureux. Les choses ne sont pas allées pour le mieux, et Stefi Geyer qui avait reçu la partition ne la révèlera  qu’après la mort du compositeur. Le concerto sera créé par Paul Sacher en 1958 à Bâle. Il s’agit d’une sorte de portrait de la jeune fille, d’abord plutôt langoureux en première partie, et très joyeux en seconde partie (le concerto ne possède que deux parties au lieu des trois traditionnelles). Au violon ce soir un artiste exceptionnel József Lendvay, fils d’un très fameux violoniste tzigane, qui affiche une technique insolente, avec des sons époustouflants  sortis de son Stradivarius Ex Ries 1693 mis à sa disposition par la Fondation Reinhold Würth. Quelle différence avec Leonidas Kavakos il y a quelques semaines à Lucerne avec le Concertgebouw et Mariss Jansons (dans le concerto n°2 il est vrai). Là où Kavakos n’est que virtuose mais ne fait rien ressentir, on a avec Lendvay une technique incroyable, mais sentie, mais sensible, mais intériorisée. L’orchestre l’entoure avec gourmandise ( le crescendo des cordes au début est stupéfiant). Le soliste commence comme une méditation, puis peu à peu se fond avec l’orchestre, sans jamais surjouer, sans jamais prendre la pose de soliste, primus inter pares d’un orchestre qui le suit avec une délicatesse et une justesse notables.
Le deuxième mouvement, en contraste plus vif, plus acrobatique, plus gai, dessine une autre facette, plus enjouée, de la jeune Stefi. Et c’est étourdissant  de finesse et d’énergie tout ensemble. József Lendvay ressent pleinement cette musique qui puise dans la tradition tzigane, dans les racines populaires, mais il la ressent avec une étonnante sensibilité, avec un véritable engagement, et en même temps une grande modestie.
Car en réalité quel artiste! il va donner en bis un morceau tiré de la musique tzigane,

appelant un altiste, un autre violoniste, un violoncelliste et un contrebassiste, et c’est déjà époustouflant de technique, puis une étude (Kreisler? Paganini?) faite de coups d’archers à vous étourdir et de pizzicati impossibles. Oui, il a dans le sang cette tradition tzigane (vous savez, ceux qu’on appelle roms en France, et qu’on chasse de toutes parts) qui en fait un violoniste magique, parce qu’à la fois ébouriffant technicien et véritable artiste, sensitif, épidermique, qui vous tourneboule.
En seconde partie, l’orchestre attaque la trop fameuse symphonie n°5 de Mahler, composée entre 1901 et 1903, après que Mahler a failli mourir d’une hémorragie intestinale. Cinq mouvements, une marche funèbre qui essaie désormais de conjurer une mort vue de près, un second mouvement “Stürmisch bewegt” (orageux et animé) où la véhémence laisse bientôt place à un nouvel optimiste et une nouvelle énergie, un scherzo en forme de danse accompagnée par le cor joué habituellement debout, et ici à côté du chef, en soliste, le fameux adagietto, dont on dit qu’il est une déclaration d’amour à Alma, et un rondo-finale qui constitue des retrouvailles avec le bonheur.
D’abord, il faut souligner l’engagement de l’orchestre et sa qualité éminente, qui le hisse au niveau des plus grands, tous les pupitres sont remarquables, mais citons le magnifique cor de Zoltán Szöke, qui enchante tout le troisième mouvement, ou le hautbois de Victor Aviat, et surtout les cordes, époustouflantes dans leur ensemble (des pizzicati au troisième mouvement à se damner), un engagement, une énergie extraordinaires (le premier violon, Giovanni Guzzo, emmène les troupes à un train d’enfer). Iván Fischer propose une vision très énergique, très charnue, ne glissant jamais vers la sensiblerie ou la complaisance: dès le départ, on a l’impression d’un arrachement, d’un rythme qui se force à se tirer de cette mort qui sonne: c’est le premier mouvement sans doute le moins passionnant, à cause de la trompette solo, très découverte et qui n’a pas toujours convaincu (on a toujours en tête Reinhold Friedrich à Lucerne, et c’est évidemment dangereux pour les autres), mais tout le reste est extraordinaire d’énergie et d’allant, de force plus que de violence, une force qui va, déjà dans le deuxième mouvement, prenant, entraînant, bouleversant, et aussi dans le troisième à la fois dansant, presque comme une valse, et en même temps doué d’une indicible poésie.
L’adagietto est l’un des plus beaux qu’il m’ait été donné d’entendre, sans effet, sinon un usage très appuyé du rubato, qui donne au début l’idée d’une sorte de mouvement perpétuel, et dans l’ensemble d’une simplicité étonnante, un moment suspendu avec des cordes à se pâmer qui s’enchaîne avec ce dernier mouvement que j’adore, tant on entend l’influence sur Mahler des Maîtres Chanteurs de Wagner ,notamment au début. Ici les thèmes se succèdent avec bonheur, dont les variations sur celui de l’adagietto et on se prend à sourire, à rêver, à se laisser aller à une joie de vivre retrouvée et communicative. Chaque pupitre est mis en valeur, les contrebasses sont somptueuses, les violoncelles ivres, et tout cela crée un langoureux vertige, baudelairien. Au milieu, Iván Fischer dirige sans être démonstratif, mais toujours précis, avec une économie de gestes notables (sauf à la fin) et montre qu’il est un des grands chefs de ce temps, capable de déchainer des forces inouïes de cet orchestre magnifique, un orchestre d’exception qui gagne à être plus connu et qui désormais a sa place dans la Panthéon des Grands. Bartók lui appartient, de droit. Et Mahler qui dirigea l’Opéra de Budapest de 1888 à 1890, est aussi un peu dans les gênes de ces musiciens d’exception, dépositaires d’une très grande tradition, que nous évoquions hier à propos de l’opéra de Erkel. Le public ne s’est pas trompé, il a fallu que Fischer lui-même interrompe le public enthousiaste et survolté, qui ne cessait d’applaudir et de le rappeler en scène. Nous avons eu ce soir un Bartók d’une grande sensibilité, et un Mahler plus fulgurant que mélancolique, plus énergique que sensible deux vraies interprétations, deux immenses moments de musique.

MAGYAR ÁLLAMI OPERAHÁZ (OPÉRA D’ÉTAT) BUDAPEST 2012-2013: HUNYADI LÁSZLÓ de Ferenc ERKEL le 29 septembre 2012 (Dir.mus: Domonkos HÉJA, Ms en scène: Gábor SZÜCS)

La notion d’opéra national est élastique. Quel est l’opéra national français ? Carmen ? une espagnolade. Faust ? une légende allemande. Et nos grands héros nationaux n’ont pas fait l’objet d’œuvres lyriques françaises, sauf Jeanne d’Arc (Jeanne au bûcher, opéra oratorio) dont un opéra italien (Giovanna d’Arco) lui évite même la mort sur le bûcher. Mais la France vise à l’universel. La question est différente en Italie, où l’opéra verdien a clairement véhiculé des revendications nationales, et encore plus en Hongrie, dont l’identité nationale est revendiquée depuis des siècles, et qui a vécu ballotée entre les empires. L’opéra national hongrois sera forcément en hongrois, une langue aux sources venues d’ailleurs, non indo-européennes, et parlera forcément au peuple hongrois de héros hongrois. Ferenc Erkel, dont la vie a pris sens lorsqu’il a obstinément voulu créer un opéra national,  vivait à la période des grandes revendications nationales  du milieu du XIXème, dans l’empire des Habsbourg qui est une mosaïque de peuples et  dont la Hongrie est le fleuron le plus remuant. Aujourd’hui, dans les circonstances politiques que l’on connaît en Hongrie, le retour aux valeurs nationales passera forcément par l’opéra et par Erkel. L’ouverture de la saison 2012-2013 à l’Opéra de Budapest fait la part belle aux sentiments nationalistes : on peut lire plusieurs allusions dans le programme aux Hunyadi, qui furent des héros de valence « européenne » puisqu’ils empêchèrent les ottomans de progresser (les ottomans étant les non-européens, ce qui se discute encore aujourd’hui). Erkel, musicalement, puise à la fois dans les sources de la musique hongroise (rhapsodie, musique d’origine tsigane « Verbunkos », Csardas) mais surtout dans les formes européennes à la mode, notamment le grand opéra qui exalte les valeurs patriotiques, inspiré de Auber (La muette de Portici), de Rossini (Guillaume Tell), de Meyerbeer (Les Huguenots) : en ce sens, il est aussi la résultante d’une circulation d’idées et de formes qui dépassent largement les frontières et qui devraient plaider pour l’idée d’une culture européenne, aux déclinaisons locales, plutôt que l’idée d’une culture strictement nationale. On sait les ravages idéologiques que l’idée floue d’identité nationale produit, et les ravages historiques de toutes les revendications nationalistes exprimées par le passé. Toute culture et toute identité sont une résultante de diversités, et Erkel n’y fait pas exception : les formes du chant sont italiennes (air et cabalette), et même directement puisées dans des œuvres précises : comment ne pas rapprocher l’air du mariage de Maria de l’air de la folie de Lucia, l’un en version noire-Donizetti-, l’autre en version rose-Erkel- ?

La ville de Budapest est créée en 1873 par la réunion de Buda (côté Palais Royal et Saint Mathias) et Pest (côté parlement) et dès 1875, François-Joseph confie à Myklós Ybl la construction de l’opéra, qui est de fait alors la seconde salle de l’Empire. Inauguré en 1884, l’opéra va servir de tremplin à des artistes mythiques, des directeurs musicaux en devenir qui ont nom Gustav Mahler (1888-1891), Arthur Nikisch (1893-1895), Issaï Dobrowen (1936-1939), Otto Klemperer (1947-1950) ou Istvan Kertész. Mais comme tous les opéras du monde, la vie en est agitée, par exemple ces dernières années, les démêlés réguliers d’Adam Fischer, qui en a été directeur jusqu’à 2010, se sont terminés par un départ fracassant, suite à une lettre qu’il a signée avec d’autres artistes protestant contre le tour dangereux pris par le gouvernement Orban (nationalisme exacerbé, racisme et antisémitisme, homophobie etc…). Le directeur musical actuel est le jeune chef Domonkos Héja, au pupitre ce soir.
Maison de grande tradition, c’est un opéra de troupe comparable à tous les théâtres de répertoire de l’aire germanique, dont elle est la directe héritière, même si traditionnellement – et justement- elle est aussi le conservatoire de la musique hongroise, Erkel bien sûr, mais aussi Kodaly ou Bartok ; l’opéra dispose aussi d’une seconde salle, plus grande, construite au début des années 50, le Théâtre Erkel.

L’Opéra de Budapest a fait les choses en grand pour cette ouverture de saison : projection de l’opéra à l’extérieur, dans la rue Andrassy (autre héros national), fermée à la circulation, présence des autorités politiques,

Les laquais n'empêchent pas la sécurité...

laquais en livrée XVIIIème gardant l’entrée, on reconnaissait des gloires du chant hongrois dans le public (Eva Marton), et l’hymne national (de Erkel) fut chanté à gorge déployée par tout le public lorsqu’il fut entamé par l’orchestre. Une sorte d’ouverture de la Scala (sauf que l’hymne national est supporté avec désolation par les italiens, tant il est considéré comme ridicule : l’hymne national italien en creux n’est pas celui, officiel,  de Mameli (Fratelli d’Italia), mais le Va pensiero, fameux chœur des esclaves hébreux de Nabucco), dans un Opéra de grande tradition, dont l’architecture rappelle, en plus réduit, celle de l’opéra de Vienne, mais qui n’a pas été détruit par la guerre et qui arbore une belle décoration XIXème dorée à souhait. C’est en fait l’une des très belles salles d’opéra d’Europe et aussi une des meilleures acoustiques
En ouvrant sa saison par Hunyadi László, une œuvre considérée comme la seconde œuvre symbole d’Erkel après le très fameux Bánk bán (1861), qui lui est de dix-sept ans  postérieur. Hunyadi László remonte en effet à 1844 et c’est le premier très grand succès d’Erkel. Il raconte l’histoire d’un héros, László Hunyadi (en hongrois on met le prénom après le nom, d’où le titre de l’opéra), fils d’un guerrier valeureux qui repoussa les ottomans devant Nándorfehérvár (un des noms de Belgrade) victime des intrigues ourdies autour du roi László V, jeune et faible (un Habsbourg) au milieu du XVème siècle et qui finit sur l’échafaud sans raison claire.
Au premier acte, László Hunyadi est accusé par le régent Ulrik Cilley d’avoir comploté contre le roi pour prendre sa couronne, mais Cilley est tué par les partisans de Hunyadi. Le roi László V pardonne, plus par méfiance que par clémence, pour éviter de mécontenter les partisans de Hunyadi. Au deuxième acte, László Hunyadi se montre amoureux de Maria Gara, mais d’une part  le roi László V tombe aussi amoureux d’elle, et d’autre part le père de Maria voit tout le profit qu’il peut tirer de cet amour royal: il ourdit donc un complot contre László Hunyadi.
Au troisième acte, pendant le mariage même de László Hunyadi et de Maria, le père (le Paladin Gara) l’arrête  pour d’avoir comploté contre le roi en vue de prendre sa couronne (voir premier acte !), il est condamné à mort, mais le bourreau rate sa cible trois fois, il devrait donc être acquitté, las, Gara ordonne un quatrième coup, fatal sans que le roi n’intervienne, malgré la plainte intense de Erszébet Szilágyi, la mère de László Hunyadi .
A l’origine, l’opéra comptait quatre actes, mais il a été révisé, par Erkel lui-même et par d’autres,  de manière moins chirurgicale et infidèle que Bánk bán. Cette version en trois actes garde les ballets, quelques récitatifs, et les principaux airs et ensembles de l’original.
Musicalement, le style tient indiscutablement du Grand Opéra, scènes d’ensemble grandioses, chœurs impressionnants, grands moments orchestraux, ballets, les grands airs se concentrant dans les deux derniers actes. Le premier est un acte guerrier, d’ensemble et d’action, qui se termine par un chœur fameux dont la mélodie reste dans l’oreille. Les voix des protagonistes sont des ténors (un ténor léger pour le roi László V, normal, vu sa faiblesse, un ténor lyrique pour László Hunyadi) et des sopranos (une soprano lyrique pour Erszébet Szilágyi, une soprano colorature d’agilité pour Maria Gara) enfin un baryton pour le Paladin Gara (le méchant) et un baryton-basse pour Ulrik Cilley (l’autre méchant).

Le spectacle, mis en scène par Gabor Szücs, se veut moderne, ou modernisant : dans l’espace de la scène quelques éléments de décor métalliques descendent des cintres (pont, escalier) assez bien conçus par la décoratrice Katalin Libor, quelques projections, des costumes de Enikö Kárpáti contemporains se mêlent à des costumes médiévaux ou du XIXème comme si  le héros, était une métaphore de l’histoire de la Hongrie ballotée entre les envahisseurs, les traîtres, qui empêchent la vraie Hongrie d’éclore. De fait, László Hunyadi n’a pas grand-chose à faire dans cette œuvre, il n’agit pas, ne cesse de protester de son honnêteté et de sa pureté, pendant que tout ce qui l’entoure en est jaloux  et veut sa fin. En bref, il meurt sans rien avoir fait dans l’opéra, puisque même Cilley a été tué par ses partisans et non par lui.  Seul soleil de cette vie, Maria, qui va être victime de son père, comme les  grandes héroïnes du bel canto romantique.
L’ouverture est illustrée par des personnages en habit moderne, qui portent des valises contenant les symboles qui vont être ceux de l’opéra, la couronne de Hongrie, la hache du bourreau, l’épée de la guerre.

Photo: Végh Dániel

Ils sont bientôt survolés par un avion qui se transforme en aigle, symbole de l’affiche qu’on voit dans tout Budapest sur les colonnes Morris (voir ci-dessous). A chaque moment fort, on reverra une de ces valises. Autre élément, le jeune Matyas, frère de László Hunyadi qui devrait être chanté par un soprano, est un jeune garçon d’une dizaine d’années accompagné par sa nounou qui chante à sa place. Pour le reste, c’est assez linéaire et traditionnel, avec des mouvements de foule stéréotypés voire quelquefois ridicules, et une position du chœur toujours bien face à l’orchestre, au cas où…Le jeu des acteurs est assez frustre, les méchants ont l’air méchant, les bons ne feraient pas de mal à une mouche.

Photo: Végh Dániel

Le roi László V arbore le beau costume blanc des Habsbourg avec une écharpe aux couleurs autrichiennes (on dirait l’Aiglon…) pour bien montrer d’où vient le mal.
Pourtant, ce roi Habsbourg n’est pas le moins intéressant des personnages, faible, voguant au gré des influences, avec cette voix légère de ténor rossinien qui réussit à s’imposer grâce à la très bonne prestation de P.Daniel Pataky, membre de la troupe de l’opéra, comme tous les chanteurs.
Je l’ai dit et souvent écrit, Budapest ne sera pas le premier des opéras européens, mais il est un opéra de tradition forte, avec une équipe artistique solide, et homogène.  La distribution, sans être exceptionnelle, est très honorable : tous ces gens savent ce que chanter veut dire. L’autre ténor, Attila Fekete, qui chante László Hunyadi  a une voix plus large, plus étendue, une belle voix de ténor lyrique, bien posée, bien timbrée, à la juste projection et qui passe très bien la rampe. Certes, ce n’est pas un acteur et il ne fait pas grand-chose de son corps sur scène, mais comme le rôle est celui d’une éternelle victime des autres, pourquoi pas. La colorature Erika Miklosa est plus connue au niveau international, on l’a vu chanter la Reine de la Nuit par exemple dans toutes les grandes scènes d’Europe, dont Paris. Si les aigus et les suraigus sont présents, bien dominés, si les agilités sont réussies notamment dans l’air du troisième acte qui ressemble tant à l’air de la folie de Lucia, son deuxième acte en revanche n’est pas convaincant, trop lyrique pour une voix qui dans le registre central semble prématurément vieillie et qui gratifie d’un aigu final bien mal négocié . En revanche, Beatrix Fodor, qui chante Erszébet Szilágyi, n’a pas une voix de soprano très puissante, elle est même assez petite, mais elle est bien posée, projette bien, le timbre est joli, elle sait colorer, et au total c’est elle qui me paraît la plus « juste »  par l’intensité et l’engagement : sa scène finale est vraiment très émouvante. Des deux barytons ou barytons basse (différence bien subtile), j’ai trouvé László Svéték pas très convaincant dans Ulrik Cilley, il chante en force, sans aucune subtilité, comme les caricatures de méchant, en revanche, Mihály Kálmándi est plus convaincant, et la voix est plus belle, sans conteste. Les autres rôles sont tenus honorablement et donnent à l’ensemble une couleur très homogène.
Le chœur dirigé par Szabó Sipos Maté est puissant, bien préparé (quelques scories au tout début), et ses interventions sont marquantes et généreuses, un très beau chœur d’opéra.
L’orchestre de l’opéra est sans nul doute une phalange de qualité : des cordes de haut niveau, normal, c’est le pays qui veut ça ! mais tous les pupitres sont bien préparés, techniquement au point. Et cela sonne juste et vigoureux. Rien à dire de ce point de vue. Le chef Domonkos Héja, jeune chef qui commence aussi une carrière en Allemagne est précis et attentif. Mais cela reste quelquefois un peu frustre, un peu « Zim boum boum », on aimerait plus de subtilité, plus de raffinement , notamment dans les passages plus lyriques, plus retenus du second acte, et surtout, on aurait aimé que le chef puisse travailler sur la couleur, sur la variation. On a quand même une interprétation un peu trop « d’une seule pièce » en rendant justice à l’énergie, de manière trop linéaire et monolithique . Tout comme Meyerbeer, Erkel n’est pas Debussy, et l’orchestre ne miroite pas, mais il pourrait être vu  de manière plus rossinienne, là où dans Guillaume Tell, même les ensembles sont colorés, et où les moments de légèreté aérienne atténuent la grosse machine de l’opéra. Je suis sûr que l’orchestre pourrait être plus léger, plus varié, plus subtil, et je suis sûr que la partition (dont j’ai fait la connaissance hier) y gagnerait. Mais je ne connais pas suffisamment cette musique pour être totalement affirmatif : là où elle m’a frappé, c’est dans ses formes très italiennes quelquefois, et justement, je pense que cette partition gagnerait à s’italianiser plus. Après tout, Trieste n’était-elle pas partie de l’Empire…à quelques centaines de kilomètres…
Après Der Schatzgräber la semaine précédente, Hunyadi László cette semaine : il est bon de redécouvrir que le répertoire d’opéra ne se limite pas aux 30 standards qu’on voit partout, qu’il y a de l’espace pour des programmateurs intelligents, et pour des programmations non dictées par le marketing. Alors, je ne puis que vous encourager à voler vers Budapest pour découvrir cette ville somptueuse et son opéra magnifique, qui est le résultat de tant de cultures mélangées ( hongroise, germanique, turque, tsigane etc…) et dont ce mélange fait le prix et la singularité. Comme on aimerait que la Hongrie file politiquement un coton moins rêche.
[wpsr_facebook]

Affiche du spectacle

THÉÂTRE DE LA VILLE : LA RÉSISTIBLE ASCENSION d’ARTURO UI, de BERTOLT BRECHT par le BERLINER ENSEMBLE le 25 septembre 2012 (ms en sc : Heiner MÜLLER , avec Martin WUTTKE)

Scène finale

Si mes comptes sont bons, nous avons assisté hier soir à la 389ème représentation de “La Résistible Ascension d’Arturo Ui”, dans la mise en scène légendaire de Heiner Müller, qui depuis 1995, 17 ans déjà, se joue à guichets fermés à Berlin comme ailleurs: combien de personnes hier cherchaient des places devant le théâtre de la Ville archicomble! Je vous renvoie à mon compte rendu de la 378ème représentation, en janvier 2011, au Berliner Ensemble: il n’y a pas un mot à changer. Cliquez donc sur: Arturo Ui 2011.

©-Barbara-Braun

Juste quelques notes: le triomphe obtenu par l’ensemble de la troupe montre l’effet du grand théâtre sur le public et souligne la pauvreté de la production française actuelle. La présence fréquente en France de la Schaubühne d’Ostermeier, ou du Theater Basel (Meine faire Dame),  ou du Berliner Ensemble permet de faire les comparaisons qui s’imposent. De plus le système du répertoire, je l’ai déjà écrit, permet de revoir à 17 ans de distance, un spectacle dont la fraîcheur est intacte, dont la prise sur le public est intacte, et balaie d’un coup les réflexions doctes sur l’éphémère au théâtre. Le théâtre peut être aussi un conservatoire des mises en scènes, sous certaines conditions bien sûr: permanence de l’acteur principal, suivi de la production par le metteur en scène ou son assistant (ici Stephan Suschke), et présence d’une vraie troupe, c’est à dire d’une histoire, d’une ambiance, de relations interpersonnelles, d’habitudes au sens fort du terme et non de la routine.
On est encore stupéfait par la performance de Martin Wuttke, un Chaplin d’aujourd’hui: je reste toujours bouche bée devant les premiers moments, où il mime le chien, avec la justesse de la respiration saccadée (fermez les yeux, c’est à s’y méprendre!), des gestes, et bien sûr devant la scène du vieux comédien, le climax de la représentation, avec un Jürgen Holtz (80 ans) bouleversant dans sa manière de dire le texte (y compris dans la scène finale, où le silence de la salle lorsqu’il parle est assourdissant). La manière de dire l’allemand (la langue dans cette pièce est déterminante), les variations de rythme, de respiration, de tempo, d’intensité sont extraordinaires chez tous les comédiens. La mise en scène qui mêle la musique (de tous genres), le chant, presque à la manière d’un cabaret berlinois,  et qui insiste sur l’alliance entre politique et crime en y jetant un œil sarcastique, et divertissant garde sa force et son rythme. Et puis Martin Wuttke, qui est à Arturo Ui au Berliner Ensemble ce que Ferruccio Soleri est à Arlecchino de Goldoni au Piccolo Teatro de Milan. Il EST l’Arturo Ui d’aujourd’hui, comme Ekkehard Schall fut celui des années 50. Mémorable, grandiose, pour l’éternité.
[wpsr_facebook]

Martin Wuttke