FESTIVAL DE BAYREUTH: PERSPECTIVES 2012

Le Festival de Bayreuth 2011 est mort, vive le Festival 2012.

Comme le dit le communiqué de presse, pour une vente de 57750 billets, il y a eu 320000 demandes de 80 pays…Le Festival n’est donc pas tout à fait moribond.
Bayreuth 2012 ouvrira le 25 Juillet 2012 avec une nouvelle production de Der Fliegende Holländer, mise en scène de Jan Philipp Gloger, décors de Christof Henzer, costumes de Karin Jud, lumières de Urs Schönebaum, dramaturgie de Sophie Becker. Jan Philipp Gloger , qui a 30 ans,  a fait sa première mise en scène d’opéra en 2010 à Augsburg (Le Nozze di Figaro). Il est metteur en scène résident au Staatstheater de Mayence et a  déjà reçu des prix pour ses travaux de théâtre. L’orchestre sera dirigé par Christian Thielemann, et la distribution comprend Adrienne Pieczonka (Senta), Evgeny Nikitin (Der Holländer), Franz Josef Selig (Daland), Michael König (Erik) et Benjamin Bruns (Der Steuermann). Evgeny Nikitin en Hollandais est un très bon choix et la distribution de ce Fliegende Holländer semble sur le papier intéressante.
Cette année était la dernière année des Meistersinger, restent donc en programmation, Parsifal (Mise en scène Stefan Herheim), dirigé par Philippe Jordan qui fait ainsi son entrée au Festival et qui succède à Daniele Gatti. Ce Parsifal fera l’objet d’un enregistrement le 5 août. En outre on pourra voir Tristan und Isolde ( Peter Schneider, Christof Marthaler), gageons qu’on trouvera plus facilement des billets pour ce Tristan désormais bien connu.
Enfin, on pourra voir ou revoir Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels, pour faire plaisir aux téléspectateurs en colère, direction musicale Andris Nelsons) et la production 2011 de Tannhäuser dirigée par Thomas Hengelbrock et mise en scène par Sebastian Baumgarten qui fera encore l’unanimité…
Grande nouveauté,  pour la première fois, on pourra commander ses billets par internet (à partir du 15 septembre sur le site http://ticket.btfs.de)  mais la commande papier est encore valide. On introduit donc internet, mais à dose limitée…

Voilà bien des batailles encore en perspective, mais la possibilité d’avoir ce Parsifal retransmis est excitante, vu la qualité du travail de Stefan Herheim.

A l’an prochain…

TEATRO ALLA SCALA 2011-2012: quelques notes sur la saison.

Le contexte culturel  italien actuel est sans doute bien plus critique que le contexte français. Dans tous les domaines, le resserrement budgétaire se fait sentir. Dans le spectacle vivant, c’est l’Opéra qui est l’art de référence dans la péninsule et bien des théâtres lyriques ont dû réduire leurs saisons. Seuls, Florence, Rome et Milan s’en tirent à peu près. Florence va ouvrir (du moins dans l’idéal) son nouveau complexe musical en décembre prochain, qui tirera un trait sur l’actuel Teatro Comunale, une salle immense et laide qu’on ne regrettera pas trop, avec une nouvelle salle aux dimensions plus réduites, correspondant mieux au bassin florentin. Au moment où toutes les subventions sont taillées en pièces, comment la ville de Florence fera-t-elle vivre son nouveau théâtre ? Rome étant la capitale, son “Teatro dell’Opera”  conserve un rôle pilote, mais l’histoire de ce théâtre est jalonnée de hauts et de bas. La présence de Muti est une garantie d’image, mais les problèmes d’organisation demeurent, qui n’ont jamais été résolus.
Et la Scala, symbole de l’Opéra italien, de l’excellence culturelle italienne, de la capitale économique de l’Italie, va devoir elle-aussi vivre dans une ville frappée d’un très lourd déficit, où même la future exposition universelle de 2015 est menacée.
Stéphane Lissner est dans son dernier mandat, il est intéressant de regarder la saison prochaine, pour comparer avec d’autres lieux, pour voir où en est le répertoire italien, pour voir si la Scala a encore un rôle de chef de file, musical, ou scénique, comme il y a trente ou quarante ans, aux temps de Claudio Abbado, de Paolo Grassi, mais même de Carlo Maria Badini et Cesare Mazzonis.
La Scala est à la fois un grand théâtre européen, et le théâtre italien de référence pour le répertoire italien, une saison à la Scala doit par force afficher les grands maîtres italiens, Verdi, Rossini, Puccini, les véristes et saupoudrer le reste de la saison par des productions d’œuvres d’autres répertoires.  Au contraire de Paris, qui n’a jamais vraiment assumé depuis Liebermann son rôle moteur dans la défense et l’illustration du répertoire français (même si Nicolas Joel a affirmé vouloir le défendre, on ne peut dire que le répertoire français soit si présent dans programmation actuelle), on ne peut concevoir la Scala sans un ou plusieurs Verdi ou Puccini dans la saison. Et c’est ce qu’attend le public scaligère, mais aussi le public étranger : la Traviata à la Scala reste pour un touriste de passage un moment presque obligé. Il y a aussi à la Scala un public de connaisseurs, peut-être moins nombreux que par le passé, ou moins bruyant (!) à qui on ne la compte pas. C’est un public qui n’a pas de préventions ou d’idées préconçues, même s’il a ses têtes : Freni et Domingo étaient adorés. Ricciarelli, Pavarotti beaucoup beaucoup moins ! C’est qu’afficher une nouvelle voix à la Scala attire les connaisseurs qui veulent juger, et qui peuvent en une soirée lancer un chanteur. C’est à la Scala qu’Alagna, en une soirée a fait sa carrière : je me souviens des réflexions lors de la première de Traviata : « abbiamo trovato un tenore ! ». Mais il a aussi payé le tribut des siffleurs lors d’une malheureuse Aïda. C’est à la Scala que Cecilia Gasdia a rencontré la gloire, remplaçant la Caballé au pied levé dans Anna Bolena.  Théâtre de tradition, la Scala a gardé encore une claque officielle pendant longtemps, et elle a aussi ses siffleurs patentés. Tant mieux : le théâtre doit vivre, et doit vivre aussi de contradictions, de batailles, de discussions. C’est bien là aussi l’identité de ce théâtre, et les manifestations de réprobation sont souvent, il faut bien le dire justifiées. Mais une Scala vivante, vibrante, batailleuse, une Scala qui explose en applaudissements, à se jeter du balcon, c’est le plus beau théâtre du monde.
Je sais bien que les directeurs actuels d’opéras n’aiment pas ces manifestations excessives, on préfère le consensus télévisuel mou et sans goût, mais dans un pays qui a un sang aussi lyrique que l’Italie, une Scala endormie sur des pseudos lauriers, c’est inquiétant, et pour l’opéra, et pour la programmation du théâtre.

Aussi observons la saison 2011-2012 :

On le sait, la saison de la Scala s’ouvre en décembre, pour se terminer en novembre de l’année suivante. Pendant longtemps, la saison d’automne était exclusivement symphonique, depuis quelques années, une partie de la saison d’opéra, et pas la moindre est programmée de septembre à novembre. La programmation automnale (saison 2010-2011) a de quoi attirer, mais ne surprendra pas un mélomane parisien :

–          Il ritorno d’Ulisse in patria (Dir.mus: Rinaldo Alessandrini, ms en scène: Robert Wilson) avec notamment Sara Mingardo

–          Der Rosenkavalier (Dir.mus: Philippe Jordan, ms en scène Herbert Wernicke, avec Anne Schwanewilms, Joyce Di Donato, Jane Archibald. Joli trio avec la suprême Joyce Di Donato dans la production de Paris avec Philippe Jordan au pupitre.

–          La Donna del lago (Dir.mus : Roberto Abbado, ms en scène : Luis Pasqual) avec Joyce Di Donato, Daniela Barcellona et Juan-Diego Flores. Vaut le voyage pour ceux qui l’auraient raté à Paris, puisqu’il s’agit de la production parisienne, avec la même distribution dans les principaux rôles.

On le voit, même si les distributions sont belles, il n’y a rien de particulièrement spécifique au théâtre, puisque les parisiens connaissent deux productions sur trois.

La saison 2011-2012 s’ouvre sur une nouvelle production de Don Giovanni ( Dir.mus : Daniel Barenboim, ms en scène : Robert Carsen) avec Anna Netrebko (Donna Anna) Barbara Frittoli (Donna Elvira), Peter Mattei (Don Giovanni), Bryn Terfel (Leporello) Kwanchoul Youn (Commendatore) etc…

Si l’on considère la distribution, la Scala, prudemment, affiche Anna Netrebko (pour la première fois) dans Donna Anna plutôt que dans un grand rôle du répertoire italien du XIXème. Effet d’affiche, car Anna Netrebko n’est pas forcément la plus grande des Donna Anna du marché. Pour les hommes, rien à dire, Mattei et Terfel (puis d’Arcangelo) sont actuellement parmi les tout meilleurs mais si vous voulez entendre Terfel, il vous faut réserver les premières représentations. Et puis Barbara Frittoli en Elvire est une valeur sûre, à défaut d’être une Elvire de rêve.

Si l’on considère la production, on ne s’est pas trop fatigué : Robert Carsen plaît à la Scala, comme partout, parce que son modernisme ne fait pas frémir :  à la Scala il a fait des productions qui ont été bien accueillies Katia Kabanova de Janacek, A Midsummer Night’s Dream de Britten. Mais je pense qu’un autre titre était prévu (Norma ?) sur lequel on est revenu (si effectivement c’est Norma, sans Norma convaincante, inutile de le programmer à la Scala…attendons Harteros…). Carsen-Barenboim, un duo qui devrait faire de cette première une soirée de 7 décembre lisse et sans histoires, à moins que les siffleurs ne veuillent se payer madame Netrebko, ce qui est toujours possible…Rappelons tout de même qu’il n’y a que 5 ans, la Scala avait affiché une nouvelle production du Don Giovanni dirigée par Gustavo Dudamel et mise en scène par Peter Mussbach. Il est rarissime de remettre sur le métier une production aussi récente, même si elle n’avait pas toujours convaincu (la précédente, de Strehler a duré de 1987 aux années 2000) ; c’est donc bien qu’il y a anguille sous roche dans ce nouveau Don Giovanni, comme si on avait dû faire quelque chose en urgence…

On affiche ensuite Les contes d’Hoffmann, dans la production de…allez, devinez…Robert Carsen, oui, celle de l’opéra de Paris et avec une direction musicale de Marco Letonja avec Ramon Vargas en Hoffmann alternant avec le clone de Villazon, un bon ténor (le Werther de Lyon), Antonio Chacon Cruz. Et Ildar Abdrazakov alternant avec le très bon Laurent Naouri dans Coppelius, Dappertutto, Lindorf, Miracle. Production de remplissage. Sans intérêt.

Enfin un grand Verdi, Aida, dans la mise en scène de Zeffirelli, non pas la dernière, de l’année 2006, qui en matière de kitsch valait son pesant de hiéroglyphes, mais celle de 1963, dans les décors de Lila de Nobili, qui fut l’une des grandes productions de cette époque. C’était alors le jeune Zeffirelli. L’idée est très séduisante, car cette production a vraiment marqué les mémoires.
Cette belle idée (qui ne coûte pas grand-chose, sinon une réfection des décors car je pense que depuis une cinquanttaine d’années, ils ont eu le temps de prendre la poussière) sera-t-elle accompagné d’une distribution musicale digne ? Le chef, le jeune Omar Meir Wellber, est vraiment un bon musicien (j’ai vu une Carmen qu’il a dirigée à Berlin) et des amis à moi l’ont entendu dans Aida, me disant que c’était un très bon travail. La distribution promet de belles batailles : le ténor Jorge De Leon est un jeune artiste assez valeureux, mais Oksana Dyka a déjà essuyé les huées du public cette année, méritées à mon avis. La reprogrammer en Aida tient du suicide. Pour les autres, à part D’Intino, Amnéris solide, une distribution sans rien d’intéressant. Ce n’est pas là qu’on trouvera la distribution idéale (quand je pense que les puristes en 1986 critiquaient le duo Luciano Pavarotti/Maria Chiara dans la belle production de Luca Ronconi). Ce sera en février mars…

Continuons sur le répertoire italien avec, en avril et mai, Tosca de nouveau dans la production de Luc Bondy déjà programmée l’an dernier avec Jonas Kaufmann. C’est Marcelo Alvarez (en alternance avec Alexandr Antonenko) qui lui succède, ce qui est intéressant. Cela se gâte avec Tosca, où l’on retrouve Oksana Dyka (qui se fera sortir…) en alternance avec Martina Serafin. Le chef sera Nicola Luisotti : un bon chef italien, qui a dirigé à Paris (notamment Otello) et qui la saison dernière a dirigé Attila à la Scala. Mais là aussi production de remplissage sur un titre qui attire les foules, les membres des congrès et les visiteurs des foires, mais dont on n’a pas soigné plus que cela le casting.

En juin, une nouvelle production de Luisa Miller, avec Gianandrea Noseda au pupitre et Mario Martone à la mise en scène, une équipe de vrais professionnels. Une distribution composée notamment de Marcelo Alvarez, encore lui, la duchesse confiée à Daniela Barcellona,  Wurm à Kwanchoul Youn, et une Luisa confiée à Elena Mosuc en alternance à Tamar Iveri, et là, je ne suis pas sûr que Madame Mosuc soit si bien accueillie par le poulailler. Il est vrai aussi que pire que l’accueil réservé en son temps à la Luisa Miller de Katia Ricciarelli dans cette salle, c’est difficile à trouver : elle en avait maudit le public, ce qui avait déclenché une de ces broncas dont la Scala a le secret. On reste quand même frappé de l’absence (ou presque) de chanteurs italiens sur la première scène d’Italie…

Passons sur le Don Pasquale de Donizetti réservé pour les solistes de l’Académie de la Scala, en juillet en fin de saison d’été pour nous réjouir en automne de la seule production de répertoire italien (en novembre 2012) qui semble promettre un peu plus d’intérêt : Rigoletto, direction Gustavo Dudamel, rare à l’opéra, et ce sera son premier Verdi dans une mise en scène de Luc Bondy, avec Vittorio Grigolo, Zeljko Lucic (le Macbeth de Muti à Salzbourg cette année) et Nino Machaidze, voix tout de même petite pour Gilda.

J’oubliais, avec Tosca, la Scala affiche enfin sa production de remplissage historique, il est vrai un grand symbole du théâtre, la Bohème, dans la production de Zeffirelli, où un effort net de distribution a été fait par une alternance Piotr Beczala/Vittorio Grigolo et Anna Netrebko/Angela Gheorghiu avec une direction musicale de Daniele Rustioni (quand on a quatre stars de ce calibre, le chef est-il si important… ?). J’ai eu la chance d’entendre le duo Beczala/Netrebko au MET il y a un an et demi, j’irai donc peut-être écouter Gheorghiu et Grigolo.  Mais attention, il y a une entourloupe. Netrebko en chante deux, Gheorghiu en fait quatre, et les cinq restantes sont confiées à Anita Hartig, une jeune chanteuse roumaine qui chante en troupe à Vienne (Pamina, Mimi, Zerlina, Frasquita) qu’on peut écouter dans le final de bohème sur you tube.
Comme on peut le constater, le répertoire italien n’est pas si bien servi : deux productions de remplissage (Tosca/Bohème), une reprise historique (Aida) sans vrai travail sur la dsitribution, un Don Pasquale pour des jeunes, et deux nouvelles productions dont l’intérêt peut se discuter, Luisa Miller et Rigoletto, toutes deux avec des équipes de production solides, et des distributions, comme d’habitude, un tantinet bancales (à cause des rôles féminins).

Restent les autres productions, répertoire français (Manon), allemand (Die Frau ohne Schatten, Siegfried, Le nozze di Figaro), anglais (Peter Grimes).
Dans la même saison donc, un nouveau Don Giovanni et les Noces éternelles de Strehler, désormais, c’est celles de la Scala qu’on voit à Paris, aucune surprise de ce côté : du côté musical, une distribution honnête (Fabio Capitanucci/Pietro Spagnoli, il conte/Dorothea Röschmann, la contessa/Aleksandra Kurzak, Susanna/ Ildebrando d’Arcangelo, Figaro/Katija Dragojevic, Cherubino et l’ex délicieuse Marie Mac Laughlin en Marcellina) mais la production permet sans doute de tester au pupitre Andrea Battistoni, le jeune et talentueux chef de 25 ans et c’est sans doute l’unique raison de monter ces Noces.

Du côté français, pour faire pendant aux Contes d’Hoffmann inutiles que nous signalions, une Manon (en juin/juillet) confiée à Laurent Pelly, qui permet le retour de Natalie Dessay à la Scala après le faux bond de la Fille du régiment, avec un Des Grieux mieux adapté à mon avis que celui de Paris, Matthew Polenzani, chanteur remarquable et  un chef italien qui fait enfin  ses débuts à la Scala après avoir dirigé dans le monde entier, Fabio Luisi. Je pense que la Manon de la Scala est plus intéressante que celle de Paris.
Du côté anglais, un Peter Grimes (mai/juin) qui permet d’entendre le jeune chef Robin Ticciati dans ce répertoire, mise en scène de Richard Jones, un bon metteur en scène anglais, dont on a vu à Lille Macbeth de Verdi et qui a mis en scène le fameux Lohengrin de Munich (Kaufmann/Harteros). Ce Peter Grimes sera chanté notamment par  John Mark Ainsley et Felicity Palmer (si, si)…A voir, certainement.
Il faut reconnaître que la Scala à la différence de Paris, n’hésite pas à afficher des chefs jeunes, et leur confier des productions importantes (Dudamel, Ticciati, Battistoni, Meir Wellber), je pense que Barenboim et Lissner tiennent à cet aspect important de la politique musicale.

Enfin last but not least, deux grands chefs d’œuvres du répertoire allemand, Die Frau ohne Schatten, dirigée par Semyon Bychkov, en mars 2012, mise en scène de Claus Guth (qui ne plaira sûrement pas à Milan, car trop « Regietheater ») avec une curieuse distribution faite de chanteurs à leur place et d’autres moins : Johann Botha en Kaiser, oui, cent fois oui. Emily Magee en Kaiserin, non, pas vraiment. Cette chanteuse n’a jamais été intéressante. Nourrice de Michaela Schuster, cela m’indiffère, Barak de Falk Struckmann, oui s’il est en voix, et la Färberin d’Elena Pankratova, très à la mode dans ce rôle mais qui ne m’a jamais convaincu. Intéressant néanmoins pour chef et metteur en scène .

Enfin, en octobre et novembre 2012, nous avancerons d’un pas dans le Ring puisque la Scala présente Siegfried, sous la direction de Daniel Barenboim et dans la mise en scène de Guy Cassiers. Inutile de revenir sur Daniel Barenboim dont on connaît la conception, et la qualité. C’est de toute manière un chef de référence pour Wagner, même si on peut aimer une approche plus originale (celle de Jordan par exemple). On ne sait ce que Cassiers va proposer pour Siegfried, tant la différence est grande entre Rheingold (très original, et passionnant), et Walküre, plus classique, mais assez belle esthétiquement. Quel choix pour Siegfried, le plus « théâtral » des quatre ? Cassiers sera aidé par une distribution de très haut niveau, Nina Stemme, Juha Uusitalo, Lance Ryan, Anna Larsson, un nouveau Mime (Peter Bronder). A voir évidemment…

Si vous avez un voyage à Milan à faire, choisissez Octobre/Novembre 2012, retour d’Abbado dans un concert Chopin/Mahler, Rigoletto avec Dudamel, Siegfried avec Barenboim…Bonne période.

J’ai essayé de regarder par le détail ces 13 productions, j’y ai constaté qu’en réalité, ce n’est pas le répertoire italien qui peut attirer (six productions souvent passe partout avec des distributions sans grand intérêt, ou alors avec des stars, pour les stars et pas forcément pour les rôles), mais les autres productions, qui sont plus dignes d’intérêt (Contes d’Hoffmann exceptés) pour le chef (Nozze) pour la mise en scène (Frau ohne Schatten, Peter Grimes) pour l’ensemble (Manon, Siegfried) et des deux nouvelles productions de répertoire italien (Verdi), l’une laisse un peu sur sa faim (Luisa Miller), et l’autre peut exciter la curiosité (Rigoletto).

Mais trois constats :

–          La Scala abuse actuellement un peu trop des chanteurs slaves, certes très en vogue aujourd’hui, mais est-ce ainsi qu’on va relancer la formation au chant en Italie et les vocations ? Et si ces chanteurs étaient tous remarquables, passe encore, mais abuser à ce point d’artistes comme Madame Dyka est vraiment problématique. Comme si l’idée était qu’on avait besoin de grandes voix et qu’il fallait à toute force nous les fournir. On a surtout besoin de bons chanteurs, et là nous n’y sommes pas toujours…

–          Sans doute pour des raisons financières, la saison table sur des valeurs d’encaissement sûres, sans doute à moindre prix (Bohème/Tosca, Contes d’Hoffmann, voire Aida) sans trop regarder à composer des distributions exemplaires. Les reprises n’ont de sens que si elles proposent d’autres équipes, qui puissent exciter la curiosité, notamment dans un théâtre aussi symbolique que la Scala. Il n’y a pas de proposition vraiment raffinée, on ne sent pas de recherche dans la composition des distributions, que devrait supposer le système de la stagione. Certaines soirées de répertoire de Vienne ou de Berlin sont plus intéressantes dans les distributions que ce que nous allons entendre dans le théâtre le plus sensible aux voix du monde. Il y a là quelque chose que je ne m’explique pas.

–          A part une politique de chefs assez positive, où est la Scala fer de lance d’une certaine vision culturelle? Où sont les propositions scéniques stimulantes (Guth et Cassiers exceptés) ? où sont les nouveautés réelles ? Où est l’imagination pour composer une distribution, notamment dans le répertoire maison ? Où est la ligne de la programmation ? Ouvrir sur un tel Don Giovanni, certes très honorable musicalement, mais tellement « déjà vu » au niveau scénique montre qu’à la Scala aussi, on cherche quelquefois à nous faire prendre des vessies pour des lanternes…

 

OPERA DE PARIS 2011-2012: quelques notes sur la saison.

J’ai longtemps hésité avant d’écrire sur la saison 2011-2012 de l’Opéra de Paris. En effet, à première lecture, rien de particulièrement stimulant ne m’apparaissait, à part une reprise de la Veuve Joyeuse avec la grande Susan Graham, un chef intéressant, Asher Fisch, et la mise en scène de Jorge Lavelli (1997), qui y a laissé quelques grands souvenirs (au moins un Faust historique, et un Pelléas magnifique). Pour le reste, parmi les nouvelles productions, un Faust justement, qui succède à celui de Lavelli qui trente ans durant a rempli les salles de Garnier puis de la Bastille, après avoir provoqué un fameux scandale (« bien fait pour Gounod », avait hurlé un spectateur !). Je pense d’ailleurs que la production pouvait encore durer, mais des problèmes de rangement de décor et d’état général avaient contraint à l’abandonner. On a ainsi vu longtemps le fameux palais de verre et de métal, tout construit (il était soudé et impossible à démonter les dernières années) trônant dans l’arrière scène de Bastille. C’est Jean-Louis Martinoty qui va mettre en scène cette nouvelle production, ce qui devrait garantir un travail sérieux et solide, Alain Lombard, autre revenant, la dirigera, c’est une référence pour Faust, qu’il a enregistré jadis, et Roberto Alagna, Paul Gay, Inva Mula et Tassis Christoyannis en composeront la distribution. Succès assuré sur le papier. Une production faite pour durer, tant Faust est un pilier de l’Opéra de Paris, et sans doute faite pour  attirer un aimable consensus.
Avec Violeta Urmana en Leonore de la Force du Destin, j’ai malheureusement plus de doutes. Philippe Jordan dirigera ainsi ce Verdi (un directeur musical se doit de tout diriger, et Philippe Jordan est plus connu pour ses Strauss, et maintenant ses Wagner, que pour ses Verdi : on découvrira donc), Jean-Claude Auvray assurera la mise en scène (là aussi rien que de très habituel dans le genre production de grande série) et Marcelo Alvarez assurera les premières. Notons Kwanchoul Youn en Padre Guardiano et le jeune Nicola Alaimo en Fra Melitone (ah..Bacquier!). J’avoue ne pas être convaincu de certains choix, mais faire Verdi est si difficile aujourd’hui. Tout de même, il y a quelques autres Leonore possibles que Violeta Urmana (elle le chantera aussi à Vienne, et Nadia Krasteva fera Preziosilla dans les deux théâtres) même si en ce moment les vraies Leonore sont rares (et Madame Urmana n’en est pas une).
Manon, production construite pour Natalie Dessay (avec son chef favori Evelino Pido’), et dans une mise en scène de Coline Serreau. Là aussi rien que de très habituel, et pas de quoi fouetter un chat, même si notre Natalie nationale devrait briller. Plus intéressante la création de La Cerisaie de Philippe Fenelon, pour la mise en scène de Georges Lavaudant. Jolie distribution pour l’Hippolyte et Aricie de Rameau (Topi Lehtipuu, Sarah Connolly), pour le reste, à voir (Mise en scène Ivan Alexandre, direction musicale d’Emmanuelle Haim, assez contestée l’an dernier). Une nouvelle (?) production de Cavalleria Rusticana et Pagliacci, avec le tandem Daniel Oren (Direction musicale) et Giancarlo del Monaco (Mise en scène), ce qui nous promet originalité et raffinement…(hum) et enfin une Arabella avec Renée Fleming et Michael Volle, avec l’équipe du beau Capriccio de Vienne (Marco Arturo Marelli pour la mise en scène, Philippe Jordan pour la direction musicale) : cela au moins vaudra sans doute le voyage.
Dans l’ensemble pas de quoi frémir ni pâmer d’aise. Une saison non pas d’artisanat raffiné, mais de grande industrie, visant à remplir la salle, avec son lot de nouveautés, de créations, de grand répertoire standardisé. Il est sûr que les saisons de Mortier, toutes discutables qu’elles soient sur certains choix, proposaient des parcours plus originaux et avaient de quoi intéresser un peu plus. La volonté de recentrer sur certains opéras français (et encore, les plus courus…) ou sur le vérisme est louable, mais alors, demanderait un travail plus approfondi sur mise en scène et direction musicale, pour mettre en valeur ce répertoire. Je continue de penser que confier Francesca da Rimini l’an dernier à Daniel Oren et Gianfranco del Monaco (après un André Chénier ridicule) fut une erreur qui fait ranger l’œuvre dans le vérisme, ce qu’elle n’est pas. L’équipe d’ailleurs semble avoir signé pour toutes les nouvelles productions véristes. Tant pis pour le vérisme hélas.

Les reprises sont toutes honnêtement distribuées, avec leur lot de vrais grands noms, de fausses gloires du jour, et un usage exagéré des faux metteurs en scène modernes (Carsen, Decker), mais on verra avec plaisir Sophie Koch en Venus, Klaus Florian Vogt en Titus (et Stephanie d’Oustrac en Sesto !) Angela Denoke en Salomé, Evgueni Nikitin en Tomski et Galouzine en Hermann. Pour le reste, rien de notable.
On comprend que deux salles à programmer exige un jeu subtil de nouvelles productions, de raretés, de reprises un peu attrape tout. Mais il faut bien reconnaître que la saison 2011-2012 n’a pas grand chose pour stimuler l’intérêt des mélomanes. Ce n’est pas d’ailleurs le seul théâtre d’importance à gérer en bon père de famille le patrimoine maison. Mais vu l’argent englouti par notre Opéra National, on pourrait espérer un travail de programmation un peu plus élaboré. A titre de comparaison, la saison de l’Opéra National de Lyon avec des moyens moins gigantesques, est autrement plus intéressante, plus recherchée, tout en restant populaire et très ouverte : le projet Puccini Plus alliant des opéras en un acte de Puccini et d’autres compositeurs réputés plus « modernes » (Zemlinski, Schönberg, Hindemith) est vraiment une belle proposition !
Certes , on rétorquera que la mission de l’Opéra de Paris est à la fois d’être un conservatoire mais aussi une vitrine aussi diverse que possible composée d’un savant mélange de spectacles devant attirer un public nombreux sans prendre trop de risques. Cette mission-là est sans nul doute remplie. Mais en ce moment, la vitrine est un peu éteinte, et les idées ne sont pas légion. Il est aussi vrai qu’actuellement, mieux vaut « assurer » que se risquer pour des idées…mais alors gare à la routine, même la routine de luxe, la pire de toutes, car elle fait prendre des vessies pour des lanternes.

LUCERNE FESTIVAL 2011: Claudio ABBADO dirige MOZART (avec Christine SCHÄFER) et BRUCKNER le 20 août 2011

2) 20 Août

Wolfgang Amadé Mozart (1756-1791)
“Misera, dove son!” – “Ah, non son io che parlo,” K. 369
“Ah, lo previdi” – “Ah, t’invola,” K. 272
“Vorrei spiegarvi, oh Dio!,” K. 418
Christine Schäfer, soprano
Anton Bruckner
(1824-1896)
Symphony No. 5 in B flat major, WAB 105

 

Par rapport à la veille, la première partie du concert, toujours mozartienne, était cependant radicalement différente, puisque le programme proposait trois airs de Mozart chantés par Christine Schäfer. Des airs assez mélancoliques qui parlent d’amours perdues, d’abandon, de départ. Plusieurs remarques s’imposent : cette première partie a été un exemple de ce qu’est un accompagnement orchestral, de ce qu’est un dialogue entre orchestre et soliste, et de ce qu’est chanter.
L’accompagnement tout à fait extraordinaire, avec un orchestre qui savait s’effacer devant la voix soliste quand il le fallait, sans jamais la couvrir dans une salle que je trouve assez difficile pour les voix (les expériences de concerts n’ont pas toujours été concluantes, et Elina Garanca ou Magdalena Kozena, qui ont chanté avec le Lucerne Festival Orchestra, n’en sont pas vraiment sorties indemnes), des cordes discrètes et soyeuses, des bois à se damner, la voix soliste est vraiment portée. Le dialogue a atteint son sommet dans le troisième air où le hautbois (Lucas Macias Navarro, toujours lui) et la soprano se renvoient les notes en un duo de rêve. C’est que Madame Schäfer est une vraie chanteuse et pas un produit : une voix d’une qualité moyenne, sans particularités, un volume assez réduit ne sont pas des atouts pour Mozart, mais voilà, Christine Schäfer sait respirer, sait prendre ses appuis sur le diaphragme, sait aussi projeter la voix qu’on entend en toutes circonstances, elle exerce un contrôle sur le souffle remarquable, et en plus, elle prononce les paroles à la perfection et sait articuler, enfin, elle maîtrise le suraigu (ce fut une Lulu mémorable). Pour qui se souvient de ses prestations parisiennes dans Le Nozze du Figaro (étourdissant Cherubino) ou dans Traviata sait quelle artiste elle est. C’est donc à une vraie leçon de chant que nous avons assisté et ce moment du concert a été d’une très grande qualité.

 

Quant à Bruckner…Dangereux Abbado ! Il est capable de me le faire aimer…Ce second soir a été encore supérieur à la veille, de l’avis de nombreux spectateurs. j’en suis sorti en pensant: fabuleux, fabuleux!  Une qualité technique et une précision encore supérieures si c’est possible, des murmures, des sons à peine audibles, des échos lointains, une clarté cristalline qui met à nu toute l’architecture de l’œuvre et nous indique les principes de composition. On ne se laisse jamais aller à l’ivresse de la mélodie : dès qu’une phrase musicale a trouvé un rythme, une mélodie qui finit par accrocher l’oreille ou la charmer, Bruckner interrompt brutalement la magie sonore, par des ruptures, par des violents contrastes entre des sons à peine perçus et une explosion de l’ensemble de l’orchestre. Les répétitions des thèmes ne sont jamais des répétitions, mais des reconstructions, des déconstructions, des miroitements sonores faits à partir de pupitres différents, ou du moins avec des ajouts, ou des modifications des pupitres sollicités : c’est un jeu permanent d’agencements divers, multiples comme des tuyaux d’orgue (l’orgue fermé en première partie, majestueusement ouvert pour la symphonie, comme une métaphore présente et obsessionnelle.). On remarque encore plus le jeu de la clarinette, en lien et en écho permanent avec la flûte et le hautbois, dans le premier mouvement, mais aussi l’adagio, phénoménal ce soir (ah, la trompette de Reinhold Friedrich). Les rythmes sont encore accentués dans le scherzo où l’on passe d’une couleur qui rappelle l’adagio à une sorte de Ländler, jamais grotesque (alors que chez Mahler…). La reprise de l’adagio du 1er mouvement initie le quatrième mouvement, avec une distribution légèrement différente des contrebasses (10 !) des violoncelles et des altos, qui ensemble produisent un son à se damner que Bruckner évidemment interrompt brutalement:  pas de plaisir du son gratuit ! C’est ainsi des crescendo qui précèdent le final, et qui semblent clore sans jamais clore, le crescendo final étant encore beaucoup plus large et varié, qui paraît s’ouvrir sur l’infini, comme un final d’orgue. Magie.
Magie d’une construction mise en évidence par Abbado qui nous prend par la main, une main pourtant rétive quand il s’agit de Bruckner, pour cette extraordinaire visite sonore, encore plus évidente qu’hier, qui nous force tranquillement à rentrer dans un système qui semble une construction en abîme, dont on découvre à chaque fois des lumières nouvelles. Je ne suis pas encore tout à fait brucknérien, mais…oui, j’en écouterai bien encore un peu. Vivement le 6 et le 8 octobre…

Évidemment succès énorme, standing ovation, pluie de fleurs du dernier soir des abbadiani itineranti, comme il est de tradition, bref, du très ordinaire quand il s’agit d’Abbado et du Lucerne Festival Orchestra

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: Quelques mots sur le LOHENGRIN retransmis par ARTE en ce 14 août

Incontestablement c’est un beau cadeau que cette retransmission (presque) en direct. C’est un signe de changement que la nouvelle direction veut donner, après avoir inauguré les projections sur grand écran en plein air à Bayreuth même, les projections en streaming, et tout en continuant à publier des CD et DVD des productions en cours. Et c’est en même temps un joli coup pour Arte dont on peut saluer l’action en matière de retransmissions d’opéras et de concerts.
Sur la production elle-même, rien de spécial à ajouter à ce que j’ai écrit suite à la représentation du 27 juillet , publié le 30 juillet sur ce blog. Je confirme ce que j’y écrivais: en dépit des craintes,  Annette Dasch réussit à imposer son personnage, grâce à sa présence, grâce aussi à l’élégance de son chant, malgré une voix peu adaptée au rôle, Petra Lang est toujours aussi impressionnante, Klaus Florian Vogt montre une fois de plus douceur, élégance,  phrasé exceptionnel, clarté du discours. Oui, la voix n’est pas immense, mais elle remplit la salle du Festspielhaus sans problème et la prestation est remarquable. Ceux qui disent que Vogt est “un peu juste” ou qu’il est un “ténorino” sont de très mauvaise foi. Même dans d’autres salles que Bayreuth, Vogt est un artiste qui passe très largement la rampe.  Donc le spectateur n’est pas frustré, il a devant lui  un authentique Lohengrin, de la grande lignée des Lohengrin glorieux.
Je suis toujours aussi frappé par Georg Zeppenfeld et sa composition en Henri l’Oiseleur à la mode Ionesco. Les gros plans permettent de voir combien l’artiste (je devrais dire les artistes tant c’est le cas de tous) est concerné par l’action scénique. Samuel Youn est égal à lui même; seul Jukka Rasilainen déçoit un peu: la voix semble fatiguée, et convient plus à l’excellent Kurwenal qu’il chante au Festival qu’à Telramund (rappelons qu’il remplaçait Tomas Tomasson, souffrant, et que j’avais fort apprécié).
Avec la télévision, on a une vision assez précise du travail de mise en scène, du traitement des foules, du jeu des chanteurs. On pourra discuter à l’infini des mérites de Neuenfels, on peut aussi le vouer aux gémonies, mais on ne peut discuter et le sérieux de l’entreprise, et la précision du travail théâtral qui frappe immédiatement. Hans Neuenfels est évidemment un vrai et un grand metteur en scène. Certes, son point de vue est radical, sa vision est d’une rare crudité, et ce type de travail continue d’alimenter les discussions sur les approches scéniques, sur le “Regietheater” sur théâtre et opéra . Mais c’est heureux ! Heureusement, le théâtre est vivant, il est vie, il est débat. Que la TV ce soir nous donne cette image de Bayreuth est aussi un bien pour ceux qui penseraient que le temple wagnérien est un temple fossile. Bayreuth est un lieu permanent de discussions, et la presse allemande en  guette les moindres soubresauts. Dernier bruit en date: le choix éventuel de Frank Castorf comme metteur en scène du Ring 2013 amènerait de facto le retrait de Kyrill Petrenko, le chef prévu…
Revenons à ce Lohengrin. J’étais un peu intrigué par les conditions de retransmission. Connaissant la salle, il n’y a aucune possibilité d’y installer des caméras sans provoquer des réactions violentes d’un public qui attend 10 ans une place et qui verrait éventuellement le gel de plusieurs dizaines de places d’un très mauvais œil. Les caméras n’étaient donc pas au Parkett, où le spectateur peut à peine se mouvoir, alors imaginons la TV…
Les caméras étaient souvent en hauteur, deuxième galerie de face (probablement dans les espaces de travail, tour de lumière etc…), dans les cintres au dessus de la scène (belles images, inhabituelles), et sur les côtés des coulisses pour les gros plans. Elles étaient donc situées là où le spectateur n’est jamais. Et ce sont des plans tout nouveaux qu’on a pu ainsi voir. Encore une bonne surprise.
Je me suis demandé aussi pourquoi le choix de Lohengrin dont la mise en scène pouvait indisposer certains spectateurs (la commentatrice d’Arte l’a d’ailleurs souligné, mais Madame Gerlach devrait varier un peu son vocabulaire et ses appréciations). J’ai donc procédé par élimination. Comme toutes les mises en scènes sont âprement discutées, elles auraient toutes provoqué des réactions violentes de toute manière!
Les maîtres chanteurs et Tristan sont déjà en DVD et sont des productions déjà anciennes. Par ailleurs, Les Maîtres Chanteurs sont très longs (trop long sans doute pour le temps télévisuel: rien que l’acte III dure 2 heures) et Tristan n’est pas non plus un des opéras les plus courts. Parsifal aurait pu convenir, car le côté spectaculaire de la mise en scène de Stefan Herheim, les changements à vue auraient pu convenir à la TV, mais vu les angles de prise de vue, certains effets étaient très difficiles à rendre à l’écran, notamment les effets du troisième acte avec les miroirs et la salle en reflet. Par ailleurs, Parsifal est un opéra lui aussi assez long. Restent Tannhäuser et Lohengrin, qui durent chacun à peu près autant et qui sont deux oeuvres réputées “plus faciles”. Proposer pour la première retransmission en direct une nouvelle production et une production si critiquée (dont la distribution est pour le moins contrastée)  était peut-être risqué pour le spectacle et la suite de son exploitation. Reste donc Lohengrin qui a plein d’avantages: la production est récente (un an) et elle a pu être déjà rodée musicalement (notamment la direction d’orchestre, aux dires de tous bien meilleure cette année que l’an dernier), elle est déjà connue scéniquement et au total n’a pas été si mal accueillie par la presse et le public, et Hans Neuenfels est une gloire du théâtre allemand. La musique est plus accessible à un large public que celle de Parsifal ou de Tristan et la distribution est solide (sans compter la présence d’Annette Dasch, qui en Allemagne est une figure exploitée par les magazines people). En somme on comprend ce choix, et au total, c’est un choix cohérent.
Voilà donc une soirée de plus à Bayreuth pour moi, inattendue, mais très satisfaisante: le téléspectateur a pu réellement se rendre compte de ce qu’est ce Festival aujourd’hui. Merci encore Arte.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011 : Quelques échos de l’accueil de TANNHÄUSER

N’ayant pas assisté à la première je me garderai bien d’en faire un compte rendu en bonne et due forme. J’ai écouté la retransmission radio, qui ne m’est pas apparue musicalement à dédaigner. La direction de Thomas Hengelbrock, très critiquée pour sa lenteur (il a été fortement hué) m’est apparue à la radio effectivement lente, mais plutôt très analytique, très architecturée, avec un final somptueux. (Sans doute aussi la mise en scène qui a excédé certains spectateurs a-t-elle contribué à gauchir l’audition…). Camilla Nylund a les qualités habituelles : la chanteuse est appliquée, très professionnelle, mais a des problèmes dès qu’elle monte trop à l’aigu, qu’elle a court et qui serre la voix. Les centres sont beaux, les aigus moins. Lars Cleveman m’est apparu plutôt satisfaisant à l’audition, beaucoup ont critiqué sa manière de chanter et ont noté des difficultés. Unanimité en revanche pour Günther Groissbrock (Landgrave), magnifique et surtout pour Michael Nagy, magnifique Wolfram qui a triomphé auprès du public (cela ne me surprend pas, vu son Héraut de Lohengrin le mois dernier à Budapest). Unanimité aussi, mais contre Stephanie Friede dans Venus, ce que j’en ai entendu en radio confirme : attaques ratées, aigus courts, voix vieillie, désagréable à entendre.
La mise en scène de Sebastian Baumgarten dénonce le cloisonnement culturel de notre société aseptisée, marquée par le catholicisme, qui ne permet pas aux âmes libres de passer d’un mode de vie et de pensée à l’autre, pas de place pour des Tannhäuser qui ne trouvent leur identité que dans le changement : c’est Wagner lui-même qui fait dire à Wotan dans Rheingold : « Qui vit aime le changement et la variété: ce jeu je ne peux m’en passer ». Le spectacle a été très mal accueilli à la Première, avec une bordée impressionnante de huées (le final, particulièrement provoquant, montre une Venus enceinte, qui triomphe.et qui met au monde un enfant…) Ce que j’en ai su par des amis spectateurs confirme cette impression négative. Ce que j’en ai lu et les déclarations d’intentions du metteur en scène stimulent en revanche ma curiosité. J’espère pouvoir m’y confronter dès cette année.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, le 26 juillet 2011 (dir.mus: Sebastian WEIGLE, ms en scène: Katharina WAGNER)

Comme Eva est un rôle ingrat!  Le rôle est scéniquement et vocalement assez plat pendant deux actes, et la chanteuse surtout sollicitée au dernier acte où les aigus du fameux quintette sont ravageurs, ainsi que la scène avec Sachs qui précède. Pour ma part, je me souviens de deux Eva très différentes, Lucia Popp, avec Wolfgang Sawallisch à Munich, et Anja Harteros, à Genève il y a quelques années, deux magnifiques personnalités, deux Eva très présentes. Cette année, comme l’an dernier c’est Michaela Kaune qui chante Eva à Bayreuth. L’an dernier c’était passable, cette année c’est un peu plus difficile : les aigus que cette voix n’a pas vraiment naturellement sont tirés et mobilisent toute l’énergie, d’où des sons métalliques et des difficultés dans les passages. On l’oubliera assez vite dans ce rôle qui ne lui convient pas : pas de poésie, interprétation plate, difficultés techniques. A ses côtés, la Magdalena de Carola Guber est carrément inexistante : on ne l’entend simplement pas. On n’entend pas beaucoup non plus (à Bayreuth c’est un comble) Burkhard Fritz, le nouveau Walther qui succède à Klaus Florian Vogt. Autant Vogt avait une voix sonore, autant Fritz, qui s’applique et qui sait chanter, a une voix trop petite pour le rôle (il disparaît dans les ensembles) et des aigus lui aussi difficiles (c’est très perceptible dans l’air final). L’interprétation scénique est tout à fait satisfaisante dans ce rôle d’artiste insupportable et mauvais garçon, mais on est assez déçu de la prestation vocale, en dépit, je le répète, d’évidente qualités. Je doute que Walther apporte quelque chose d’intéressant pour sa carrière.
James Rutherford en Hans Sachs manque de personnalité vocale. Le timbre est voilé, la puissance limitée, même si cette année certains moments sont vraiment musicalement très réussis (les plus retenus, les plus lyriques : début du second acte, magnifique, et première moitié du troisième acte). Il est aidé par l’orchestre qui l’a vraiment accompagné de manière exceptionnelle.
Encore une fois, j’ai aimé le David de Norbert Ernst, ténor de caractère techniquement parfait, à la voix claire, bien posée, très bien contrôlée, et bien sûr le magnifique Beckmesser d’Adrian Eröd, qui sans moyens exceptionnels, mais avec un phrasé modèle, un texte dit à la perfection, et des qualités d’acteur exceptionnelles, très sollicitées dans cette mise en scène propose un personnage complexe, polymorphe, d’une présence ahurissante. Une interprétation de très grand niveau. On signalera aussi le Pogner de Georg Zeppenfeld, basse de très grande qualité, l’une des meilleures basses en Allemagne aujourd’hui (il fut le Sarastro d’Abbado) et dans l’ensemble le reste de la distribution n’appelle pas de réserves (un bon point pour Friedemann Röhlig, Nachtwächter toujours efficace).
Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est comme toujours exceptionnel, et notamment dans les parties moins spectaculaires (le tout début par exemple), et la direction de Sebastian Weigle m’est apparue un peu plus intéressante que l’an dernier, notamment dans les parties plus lyriques, mais elle manque tout de même de relief (c’est frappant dans l’ouverture) : le final du second acte semble toujours aussi brouillon on ne sent toujours pas le crescendo qui doit gouverner toute la fin de l’acte. C’est dommage.
Quant à la mise en scène de Katharina Wagner, last but not least, elle garde tout son intérêt et son intelligence. C’est une mise en scène sur le conformisme et l’originalité : sur le conformisme en art (y compris dans la fausse marginalité artistique représentée par Walther – puisque les rôles sont inversés à la fin, Sachs et Walther étant les conformistes et Beckmesser celui qui dit non et qui fuit le totalitarisme- et sur le conformisme du public qui siffle l’artiste qui sort du rang, et qui applaudit aux valeurs télévisuelles et consensuelles. Un conformisme qui mène tout droit au totalitarisme (Hans Sachs en métaphore d’Hitler, est à la fois inquiétant et tellement juste). Un regard à rebours sur une œuvre qui a symbolisé largement l’âme et la culture allemandes (et qui fut la préférée des nazis, jamais interdite à Bayreuth, au contraire de Parsifal): voilà où la culture allemande nous a menés, semble dire Katharina Wagner, notamment dans ce terrible bal des gloires germaniques ou quand Sachs brûle tous ces oripeaux culturels et reste seul, illuminé par une flamme qui rappelle étrangement, par ses jeux d’ombre et de lumière, les films de propagande des grands rassemblements de Nuremberg, réunis autour du bûcher de la pensée..

Ce spectacle fourmille d’idées, les chanteurs sont magnifiquement dirigés, les mouvements sont d’une redoutable précision. Katharina Wagner est un authentique metteur en scène, qui affronte bravement les huées du public (de ce même public qui hue les travaux originaux à la fin de sa mise en scène des Maîtres), et dont le travail mérite tout notre intérêt. J’ai écrit précédemment combien ce spectacle gagnait à être revu. Avec une distribution vraiment à la hauteur, et un chef moins banal, c’eût été un très grand soir. Notons tout de même que – fait rarissime – il y avait des gens qui vendaient des billets « biete Karte » alors qu’on voit habituellement des « Suche Karte » (je cherche un billet). Alors, si vous avez des velléités de Bayreuth cette année, n’hésitez pas, vous trouverez des places pour ces Maîtres Chanteurs et vous le ne regretterez sans doute pas.

CHOREGIES d’ORANGE A LA TV: petite note sur l’AIDA 2011 avec Indra THOMAS et Carlo VENTRE

Juste une petite note sur quelques impressions fugitives de cette Aida.
La mise en scène de Charles Roubaud (qui transpose l’action au Caire en 1875 peu après la création, à l’occasion d’une guerre Egypte/Ethiopie) semble vue de l’écran intéressante et au moins originale. Pas d’Egyptomania galopante et c’est heureux. Impression positive, autant qu’on puisse en juger.
Du côté de la direction musicale de Tugan Sokhiev, une véritable approche marquée par une alternance de symphonisme et d’intimisme (rappelons qu’Aida a été créée dans un petit théâtre, et que sa réputation d’opéra “Zim boum boum” est totalement usurpée: rappelons aussi la mise en scène de Zeffirelli pour le minuscule théâtre de Bussetto: Aida est plutôt un opéra intimiste, où la scène du triomphe est la seule qui implique vraiment des masses, et encore: c’est Vérone qui fausse notre vision de l’œuvre). Une vraie direction musicale en tous cas, un vrai parti pris (autant que j’aie pu en juger à la TV). S’il y avait eu un cast à la hauteur…
Car du côté des chanteurs, c’est plutôt décevant, voire plus…Une Aida (Indra Thomas) totalement insuffisante, aussi belle (superbe) à voir que  pénible à entendre: manque de volume, aigus toujours courts, incapacité à les tenir, notes filées quelquefois très hésitantes, à la limite de la rupture, et beaucoup de problèmes de justesse et de respiration. Une erreur de casting.
Un Carlo Ventre en Radamès  qui s’en sort un peu mieux mais au style sans raffinement, au timbre affadi, à la tenue en scène particulièrement ridicule. Un Amonasro (Andrezj Dobber)  qui semble fatigué, à la voix prématurément vieillie, en tous cas sans l’éclat habituel dans ce rôle. Seule Ekaterina Gubanova en Amneris est magnifique, à la hauteur du défi et du lieu, couleur sombre, timbre riche et voix charnue, implication: elle est la seule à s’en sortir vraiment sur le plateau (avec un Ramfis de luxe, Giacomo Prestia comme toujours bien à sa place).
Une fois de plus, c’est la preuve que distribuer Verdi devient une gageure. Et Aida est un ouvrage dangereux: pas de grande Aida depuis trente ans (sûrement pas la Urmana), seules Freni (avec Karajan à Salzbourg, totalement bouleversante, et pourtant que n’a-t-on pas dit à l’époque sur ce choix qui apparaissait hasardeux: j’ai encore dans l’oreille Carreras et Freni dans le troisième acte…) ou la grande Leontyne Price, ou Martina Arroyo: de vraies voix et de vraies interprètes. Maria Chiara, chanteuse injustement ignorée des maisons de disques,  fut aussi une Aida très digne (voir la vidéo de la Scala avec Pavarotti).

Le rôle est difficile, il exige à la fois volume puissance et retenue, un grand contrôle vocal notamment dans la deuxième partie: en somme il faut un vrai lirico spinto (Radvanovsky?) avec une vraie couleur lyrique, qui sait ensuite donner du volume. Quant au ténor…beaucoup s’y sont frottés..et noyés…C’est un ouvrage qui n’a pas de chance,  car il est malheureusement souvent galvaudé (donné dans les Zenith et autres Stade de France) où l’on exalte seulement le spectaculaire et le tape à l’oeil alors que c’est plutôt un ouvrage d’une grande finesse (la deuxième partie est une succession de moments d’une délicatesse marquée). Dommage pour cette soirée, Orange nous avait habitués à être plus soigneux sur les distributions.

 

26 JUIN 2011: BON ANNIVERSAIRE, CLAUDIO ABBADO!

Aujourd’hui, Claudio Abbado a 78 ans et entame sa 79ème année plein de projets. Les concerts prévus de la prochaine saison sont déjà nombreux et Claudio est en grande forme. Pour ceux qui s’inquiètent de sa santé, l’abondance des projets est une réponse irréfutable. Rendez-vous sur le site http://www.abbadiani.it sur les pages en français ou les pages en italien pour vous en rendre compte.
Alors, Heureux anniversaire à Claudio, et plein de voeux pour que la musique nous le conserve en pleine forme!

Claudio Abbado et Hans Joachim Westphal, ex Berliner, doyen du Lucerne Festival Orchestra à Madrid (Photo Lucerne Festival)

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2010-2011 : GÖTTERDÄMMERUNG / Le Crépuscule des Dieux (Dir: Philippe JORDAN, Ms en scène: Günter KRÄMER) le 3 juin 2011

 

Scène finale

 

Depuis hier soir 3 juin, l’Opéra de Paris a un Ring complet dans son répertoire. Le dernier Crépuscule des Dieux remonte à 1962.  Rolf Liebermann avait essayé d’en monter un, avec Solti, qui s’annonçait somptueux musicalement, mais le demi-échec de la production Stein-Grüber, les coûts induits à un moment où sa gestion était très critiquée, et où la présidence de la République avait pris ses distances, tout cela avait amené à l’interruption de l’entreprise.

On reste sur des souvenirs forts d’un Or du Rhin hors normes de Peter Stein, un très grand chef d’œuvre de la mise en scène d’opéra, d’une Walkyrie étonnante dans des décors de Edoardo Arroyo, où déjà Grüber voulait  raconter l’histoire,

avec des vrais chevaux (un peu trop affectueux, pour qui se souvient de l’annonce de la mort où Gwyneth Jones avait à lutter contre des coups de langue d’une monture trop amoureuse…) et du vrai feu. Mais à l’époque, un an après le choc Chéreau, Grüber était apparu un peu en retrait.
35 ans après, Nicolas Joel a réussi à boucler la commande. nous avons enfin un Ring complet à Paris. En soi, c’est un signe fort de la bonne santé de notre première scène nationale.
Et ce Ring est dominé par l’extraordinaire prestation musicale de l’Orchestre de l’Opéra, magnifiquement dirigé, façonné, sculpté, coloré, par son directeur musical Philippe Jordan. On aime ses Mozart, ses Strauss, et on adore ses Wagner, très symphoniques, charnus, pleins, et en même temps fouillés jusqu’au moindre détail, qui font apparaître tous les niveaux, toute la construction architectonique de l’œuvre. Ainsi le Crépuscule des Dieux emporte définitivement l’adhésion. S’appuyant sur un tempo très (trop?) lent, notamment au premier acte (2h10), Philippe Jordan en fait une sorte d’immense marche funèbre, immense cérémonie d’un monde qui coule, où peu à peu tout se délite et s’engloutit dans une sorte de suicide collectif. Le premier duo Siegfried/Brünnhilde devient une sorte de chant forcé, où la joie de l’amour est tempérée par un je ne sais quoi d’inquiétant qui fait qu’on n’y croit pas une seconde.


Elisa Haberer/ONP                                            Récit de Waltraute

On retiendra aussi le magnifique récit de Waltraute, avec une Sophie Koch exceptionnelle, d’une intensité qui donne le frisson, donnant sens à chaque syllabe d’un texte merveilleusement dit, et aussi tout le trio du deuxième acte, dans sa partie finale, où l’accompagnement orchestral est suffoquant , et enfin tout le troisième acte, de la légèreté triste de l’apparition des filles du Rhin, à la glaçante marche funèbre, et au final très amer voulu par le metteur en scène.

A cette entreprise somptueuse et tout à fait exceptionnelle correspond une mise en scène assez décevante, non pas par son propos et ses idées, qui prises séparément, peuvent paraître pleines de sens et souvent intéressantes, mais sont mal servies par  un visuel confus et des choix discutables.
Plusieurs postulats de départ à ce travail:
– Premier postulat: ce n’est pas Hagen qui mène l’histoire, mais Alberich qui manie Hagen de bout en bout: c’est lui qui a recueilli l’héritage de Wotan.
Déguisé en nounou fantomatique, il fouille au lever de rideau dans les oripeaux des journées précédentes (Nothung, lance brisée de Wotan, armure de Brünnhilde) pour chercher à prendre ce qui va lui être utile. Hagen quant à lui est un enfant paralysé en fauteuil roulant, qui tient un planisphère dans la main. On voit l’enjeu: dominer le monde, lui imposer ses règles: Alberich ramasse la lance brisée de Wotan et la répare, puis la donne à Hagen. D’où le symbole: Siegfried sera tué par la lance même de Wotan. Alberich poussera Hagen au propre et au figuré à gérer la vengeance, il est présent à la mort de Siegfried et c’est lui qui pousse la lance, Hagen, en fauteuil roulant, ayant de facto une mobilité réduite. C’est enfin lui et non Hagen qui au final se jette dans le Rhin pour récupérer l’anneau, mais les filles du Rhin en un dernier combat lui prennent sa lance, le tuent, et récupèrent l’anneau.
Dernière image au baisser de rideau, d’un côté Brünnhilde et Siegfried morts, de l’autre, le corps d’Alberich, percé de la lance de Wotan, au pied de ce qui reste de l’Or qui brille timidement. Autrement plus fort était le final de Kupfer où, devant le monde écroulé, Alberich seul restait vivant en scène, et fermait le rideau.

Second postulat: Brünnhilde et Siegfried sont au départ de jeunes mariés encore en habit de noces, mais Siegfried au lieu de partir en barque avec son épousée, très désireuse de le suivre, s’en va pour un voyage de noces solitaire sur le Rhin. Ils sont tous deux abrutis par le désir d’embourgeoisement (du déjà vu, là aussi chez Kupfer) – Brünnhilde aménage l’appartement et range la vaisselle pendant que Waltraute essaie de la convaincre, Siegfried est un jeune sans cervelle, en habit de jeune marié, en proie à tous les désirs (les femmes, l’alcool) et incapable de distinguer le bien du mal. Ce sont deux humains, deux mortels qui ont abandonné tout ce qui restait de leur héroisme. Le texte a beau sans cesse revenir sur l’héroisme de Siegfried, celui-ci a abdiqué son statut de héros, pour endosser celui d’humain médiocre: plus de Nothung, un seul habit de marié qui perd tout son sens à mesure que l’intrigue avance, et un imperméable chiffonné à la Colombo. A cet embourgeoisement forcément médiocre correspond la fascination de Siegfried pour le monde minable des Gibichungen.

-Troisième postulat, justement, un monde des Gibichungen petit, médiocre, auquel Siegfried s’adapte, dans lequel il se vautre, philtre ou non. Pour identifier ce monde, pendant le voyage de Siegfried sur le Rhin, des serveuses (en fait des hommes) en Dirndltracht orange et vert, installent des tables façon Biergarten bavarois. Le choeur rameuté par Hagen est vêtu en orange vif, installé sur les marches du Walhalla, sorte d’allusion aux Maîtres chanteurs (les femmes arrivant un peu plus tard comme dans le défilé des Corporations…) en somme, une fête de mariage qui ressemblerait à une Festwiese (scène finale des Meistersinger) qui tournerait mal. Là aussi un monde engoncé, recroquevillé sur ses traditions (Maibaum comme dans les villages bavarois). Günther vêtu d’un costume assez vulgaire d’un vert triste, est d’une insigne lâcheté, d’une faiblesse coupable et raillée par Brünnhilde qui le repousse violemment et le domine lorsqu’il se présente à elle avec Siegfried pour lui arracher l’anneau (il faut l’intervention de Siegfried, évidemment, pour qu’il arrive à ses fins), Gutrune vêtue d’un tailleur rouge ridicule, qui répond assez passivement à un Siegfried qui se jette littéralement sur elle avec une insigne vulgarité. Ainsi ce monde des hommes est-il assez repoussant, tout conduit à détruire le mythe. Quant à Brünnhilde, elle rêve d’un intérieur petit bourgeois rabougri.
Les traces du mythe, dans le Crépuscule, ce sont les Nornes et les filles du Rhin, chantées ici par les mêmes chanteuses (au moins deux sur trois), et vêtues sensiblement de la la même manière, robe noire, sac à main et talons pour les Nornes, et elles se transforment en Filles du Rhin qui apparaissent dès le début du Voyage de Siegfried en fond de scène (ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise idée). Ces Nornes ne tissent pas, mais regardent un fond de scène trouble (le monde?), écoutent un sol muet: rien du futur n’apparaît, sauf quand se tenant les unes aux autres, elles rompent la chaîne en une rupture annonciatrice de catastrophe.

Pris isolément, ces postulats acceptables, mais pas si nouveaux, proposent des pistes intéressantes. Mais Gunter Krämer est beaucoup trop démonstratif, beaucoup trop didascalique, beaucoup trop didactique: sans cesse les choses sont soulignées, grassement, sans cesse des idées se rajoutent au livret qui pourtant est assez parlant et clair, au besoin pour le contredire: deux exemples,

– d’abord, dans la dernière scène de l’acte I, le livret dit que Günther attendra Siegfried au bas du rocher de Brünnhilde, en réalité ils arrivent tous deux devant Brünnhilde et Siegfried devient une sorte de marionnettiste qui “gère” Günther en le poussant, dissimulé derrière lui en brandissant son Tarnhelm comme un torchon qui cacherait son visage.

– ensuite pourquoi faire de Hagen un handicapé en fauteuil roulant manipulé par son père, alors que le livret indique clairement qu’il a épousé les haines ancestrales – dans la sc.I du deuxième acte par exemple- à quoi sert de rajouter l’image d’un Alberich angoissé de rater son coup et de se laisser voler la victoire éventuelle (jeu sur le planisphère entre Hagen et son père) au point que dans la scène finale, c’est non pas Hagen (sorti de scène poussé dans sa chaise roulante par Gutrune…) comme dans le livret qui intervient en se jetant sur l’anneau mais Alberich: Alberich luttant avec les filles du Rhin et mourant par sa propre lance (ou celle de Wotan) est à mon avis un contresens, Alberich étant le seul héros resté vivant à la fin de l’œuvre, comme l’avait bien souligné Kupfer à Bayreuth.
La vision finale est d’ailleurs assez pauvre, et l’apocalypse se réduit à une sorte de jeu de massacre


Elisa Haberer/ONP                                                                           Fin du Walhalla

sur un écran géant tel un jeu vidéo (c’est très clairement indiqué) inventé par une Brünnhilde collée contre l’écran de feu. Une fin “virtuelle” qui enlève jusqu’au bout la magie de la scène finale à laquelle nous sommes habitués, et qui frustre tellement les spectateurs qu’un cri (“honteux!”) fuse dans le public dès que le silence se fait.

Du point de vue du décor, l’élément central est une sorte de grille (voir ci-dessus) sur laquelle sont projetés des vidéos, porte monumentale vers les espaces virtuels,  si le gigantesque escalier qui conduit au Walhalla est encore présent, la scène est plutôt moins encombrée que précédemment. On notera que la vidéo accompagnant la Marche funèbre (le corps de Siegfried dématérialisé montant au Walhalla) rappelle dans son principe celle de Bill Viola pour la mort de Tristan.
Alors au total, ce Crépuscule, moins échevelé que les autres journées (la Walkyrie notamment),- certaines scènes sont même étonnamment “sobres”- est dominé par l’envie de Gunter Krämer de noircir encore plus un livret qui pourtant ne manque pas en soi de noirceur ni de pssimisme, dans une volonté affirmée d’empêcher de laisser à l’histoire et au public un quelconque espoir, une quelconque lumière qui permettrait d’espérer (comme chez Braunschweig ou même chez Chéreau) dans le futur.

Au service de ce spectacle, au parti pris très discutable, mais d’une plus grande cohérence que les autres journées,et à la musique enivrante dans la fosse, une distribution contrastée, qui n’a pas la belle homogénéité que dans Siegfried en mars dernier.

 
Torsten Kerl

 

(Photo Elisa Haberer)

Torsten Kerl avait séduit dans sa vision d’un Siegfried adolescent attardé, avec une voix solidement plantée. Sans doute fatigué, son Siegfried du Crépuscule, qui nécessite de chanter moins en force, avec un legato plus affirmé, un peu plus de lyrisme, est nettement insuffisant en volume (c’est frappant dans ses duos avec Brünnhilde) et accuse des difficultés dès qu’il faut monter brutalement à l’aigu (deuxième acte!!) et cale au troisième acte. Il remporte un succès d’estime.
La Brünnhilde de Katarina Dalayman est littéralement incroyable de volume dès qu’elle monte à l’aigu, elle domine complètement l’immense vaisseau de la Bastille, et remporte un triomphe total. Pour ma part, je trouve que lorsque les aigus ne sont pas sollicités, la voix perd de la couleur, de l’expression et on a peine à l’entendre (graves et registre central), on a souvent l’impression d’une sorte de monotonie, d’un chant uniforme, rythmé par d’impressionnantes montées à l’aigu, mais pas vraiment habité.
Le Hagen de Hans-Peter König vu à New York il y a un mois dans Hunding a une voix impressionnante, et il remporte un juste triomphe, mais dans Hunding, il prêtait cette voix énorme à un personnage plus subtil, du moins chez Lepage, et plus humain. Il semble très gêné de devoir chanter assis dans son fauteuil roulant, et l’interprétation en souffre, une immense voix, pas vraiment habitée là non plus. Mikhail Petrenko à Aix avec un volume bien moindre et une voix plus claire, pas vraiment adaptée au rôle, était tellement plus convaincant rien que par un style et une diction incomparables.
L’Alberich de Peter Sidhom n’a rien des grands Alberich d’aujourd’hui ou d’hier, voix voilée, volume limité, interprétation pâle. Sans intérêt.
Sophie Koch en revanche est éblouissante de bout en bout dans Waltraute, une Waltraute elle aussi débarrassée des oripeaux de Walkyrie, en longue robe et capuchon noirs, comme une religieuse sans coiffe ou sans cornette, bouleversante, nous l’avons dit.
Si Iain Paterson est un remarquable Günther, rôle très difficile à habiter, avec sa diction parfaite, sa puissance, son énergie désespérée et vide, Christine Libor, qui avait ébloui au Châtelet dans “Les Fées” il y a quelques années, est décevante, souvent proche du cri, avec une voix mal adaptée au rôle et trop stridente. Les Nornes(Nicole Piccolomini, Daniela Sindham, Christine Libor)/Filles du Rhin (Nicole Piccolomini, Daniela Sindham, Caroline Stein) sont assez correctes , à mon avis  les premières meilleures que les secondes.

Que dire en conclusion sinon répéter qu’avec ses hauts et ses bas nous avons un Ring à Paris et que c’est la bonne nouvelle de la saison. Un Ring dominé par l’extraordinaire prestation de l’orchestre,

et du chef, qui confirme que nous tenons là un très grand chef, de haut lignage (il a de qui tenir!!), doué d’un sens théâtral de tout premier ordre. Un Ring dans l’ensemble assez bien chanté, mais pas  exceptionnel à cause de prestations beaucoup trop contrastées. Et un Ring chaotique au niveau scénique, avec un peu de bon et beaucoup de pire, discutable – cela alimentera la chronique- de bout en bout, qu’on devra quand même voir et revoir (supporter?) tout au long des saisons prochaines, et qui peut-être se transformera ou s’améliorera. Pour l’instant, on est entre la colère et l’indifférence,mais jamais  l’admiration, avec cette lassitude du déjà vu, ou de fréquentes grimaces devant les tortures subies par le livret et les excès inutiles.
Les rêves de Gunter Krämer sont des cauchemars méandreux.