SALZBURGER FESTSPIELE 2014: IL TROVATORE (2ème vision) de Giuseppe VERDI le 21 AOÛT 2014 (Dir.mus: Daniele GATTI; Ms en scène Alvis HERMANIS) avec Anna NETREBKO

Anna Netrebko saluant ravie le public le 21 Juin
Anna Netrebko saluant ravie le public le 21 Juin

Quelques mots de cette deuxième vision de Trovatore, dans la mise en scène d’Alvis Hermanis avec la direction musicale de Daniele Gatti.
On se réfèrera au compte rendu de la Première pour plus de détails

Ce 21 août à Salzbourg, cela se bouscule : à 15h, Il Trovatore avec Anna Netrebko, à 19h30, Première de Cenerentola avec Cecilia Bartoli, à 21h, Tristan Acte II (et Liebestod) avec le West Eastern Divan Orchestra dirigé par Daniel Barenboim et…Waltraud Meier…

Dans l’embarras du choix, un choix au luxe insolent…J’ai choisi de revoir Trovatore, pour lequel des dizaines et des dizaines de personnes cherchaient des places. De la mise en scène on ne redira rien, car elle dit tout dès la première vision, même si ce défilé de chefs d’œuvres de la peinture charme le regard, même si on a mieux remarqué que les tableaux accompagnent l’histoire et leur mise en regard cherche à l’illustrer. Ça ne va pas bien loin, mais Leonora en gardienne de Musée, cela ne passait pas derrière moi…les prolétaires n’ont sans doute pas le droit aux amours chevaleresques…
Ce fut donc un Trovatore sans Placido Domingo, frappé par une infection respiratoire sévère. On avait bien senti lors de la première de notables problèmes de souffle. Il a été remplacé par Artur Rucinski, un baryton polonais (un autre… il y a une belle école de barytons et barytons basses en Pologne aujourd’hui) vu à Munich en janvier dans Eugène Onéguine.
D’emblée, on peut affirmer sans crainte qu’il s’agit d’un remplacement plutôt heureux, dans la mesure où le public a fait un triomphe au chanteur.
Au départ, dans la première apparition aux côtés d’Anna Netrebko et Francesco Meli, la voix semblait avoir des difficultés à se mettre en place, avec des problèmes de dynamique, et de rythme. Mais visiblement, le succès de Il balen del suo sorriso avec ses aigus bien tenus, sa diction très correcte et une belle ligne de chant, a libéré l’artiste qui a proposé un Conte di Luna vocalement assez remarquable, et qui a visiblement rendu le public heureux.
Le timbre n’est pas de première qualité, mais la technique est bonne, le volume n’est pas non plus énorme, mais la projection et le phrasé permettent d’entendre cette voix sans problème : ce qui pèche à mon avis n’est pas de l’ordre du chant mais de l’ordre du maintien en scène. L’acteur est assez piètre, mais surtout n’a aucune aura scénique, il ne porte pas haut, il se déplace sans noblesse, il semble ignorer les lois élémentaires de la tenue en scène, de la manière de marcher, du port du visage.  Et cela, après Domingo et son charisme scénique, cela pèse. Après avoir vu Onéguine, j’avais pensé qu’un Onéguine sans élégance arrangeait Warlikowski. Ici, Rucinski passe en gardien de musée, un peu moins en Di Luna/Montefeltro, il a d’ailleurs renoncé à la coiffe que portait Domingo. Il est à supposer qu’après son succès il va être appelé un peu partout, il faudra qu’il y travaille…on le verrait difficilement en Simon Boccanegra ou en Carlo de Forza del Destino. N’importe, c’est un vrai baryton, ce qui change évidemment la couleur des ensembles, et une vraie voix, cela passe donc musicalement.
Que dire des autres qui n’ait pas été dit ? Francesco Meli a toujours ce timbre de voix clair, juvénile qui convient si bien à Manrico, il sait parfaitement contrôler son chant à la ligne exemplaire, son Ah si ben mio est encore magnifique et Di quella pira reste toujours le point faible, à cause des suraigus nécessaires qu’il n’a pas et d’un peu de vaillance qui lui manque. La voix se rétrécit, la gorge se serre, même si cette fois il a tenu le son et mieux terminé,  en baissant sans doute un peu le ton. Mais qu’importe, la prestation reste de très grand niveau, voilà un vrai ténor, voilà une vraie couleur italienne.
Riccardo Zanellato fait bien son travail en Ferrando, mais je suis sûr qu’il s’y ennuie…je ne sais, une attitude scénique, un geste, quelque chose me dit qu’il se trouve à l’étroit dans le rôle, je l’ai trouvé par exemple moins attentif à la diction qu’à la Première.
Marie-Nicole Lemieux quant à elle est vraiment étonnante. Bien sûr elle n’a pas encore la facilité à l’aigu nécessaire qui fait les grands mezzos verdiens, on l’avait déjà noté lors de la Première, mais elle en a déjà l’intensité. Sa bohémienne est vraiment tendue, engagée, intelligente, avec beaucoup de sens de l’humour au départ, puis elle joue vraiment le jeu des grands gestes d’opéra, d’un phrasé impeccable, d’une vraie projection et surtout un medium et des graves notables (ce que beaucoup de mezzos d’aujourd’hui perdent, à force de loucher vers les rôles de soprano…). Si elle veut se lancer dans ce répertoire, il lui faudra vraiment travailler l’aigu, l’élargir, lui assurer une assise. Mais c’était un très beau moment et c’est une très belle Azucena.
Quant à Anna Netrebko, elle a réussi cette fois ce qu’elle avait peut-être moins en bouche à la Première, la première scène avec Tacea la notte placida et le trio avec Luna et Manrico. La voix est immédiatement posée, assise, homogène, et surtout assurée. Et elle le restera jusqu’à la fin : cette voix a de la chair, de la largeur, le timbre est incroyablement pur, et porte en elle de la chaleur et surtout une incroyable sensualité. L’autre star de ce répertoire, Anja Harteros, reste peut-être un peu plus en retrait dans sa manière (miraculeuse) de chanter. Ici c’est immédiatement un chant incarné,  vivant, charnel, épais, et prodigieux de technique et de contrôle. Ce fut un festival de merveilles. Cette voix totalement changée, à l’assise large, aux graves d’une profondeur inconnue jusqu’alors, aux aigus et suraigus aisés et triomphants, c’est la Leonore du moment. C’est la première vraie Leonore depuis des années et des années. Elle a porté la salle au délire.
Enfin, comment ne pas saluer encore le travail de Daniele Gatti à la tête des Wiener Philharmoniker presque impeccables, car les cuivres… : mais qu’ont-ils ces cuivres pour faillir et dans Fierrabras, et dans Rosenkavalier et maintenant dans Trovatore que pourtant ils avaient épargné à la Première ? Oh, ce n’est pas bien grave, ce sont de toutes petites fautes presque imperceptibles, mais rendues perceptibles par la perfection du reste et l’incroyable clarté du son. Pourtant, le cor s’était accordé en jouant les appels de Siegfried…
Çà et là une petite fausse note, une attaque manquant de propreté, ce sont des choses auxquelles les Wiener ne nous ont pas habitués : ils font trop de choses durant le Festival ; Pereira leur a presque tout confié, et ils ont en plus des concerts, ce n’est peut-être pas la bonne solution…
Daniele Gatti ne cesse d’exalter toutes les finesses de la partition, on en découvre encore, en gardant une pulsion rythmique continue, en couvrant savamment les faiblesses (rares) du plateau, en réagissant en vrai chef d’opéra, attentif à chaque inflexion du chant. Une fois de plus je voudrais saluer la manière dont il a accompagné D’amor sull’ali rosee, à la fois dirigé et accompagné, suivant Netrebko avec une attention totale, lui donnant toutes les indications possibles de la main gauche. C’est à la fois une lecture neuve, je l’avais déjà souligné, mais c’est aussi un magnifique exemple d’accompagnement des chanteurs et de vraie direction d’opéra, là où d’autres et pas des moindres jouent plus leur propre partition que celle du plateau. Une merveilleuse ciselure: Verdi a été magnifiquement servi, encore une fois.
Eh oui, malgré ces menues remarques, ce fut palpitant jusqu’au bout, palpitant comme doit l’être un Trovatore, et donc explosif : le public un peu compassé de la Première a laissé la place à un public enthousiaste, frappant des pieds, debout, hurlant.
Viva Verdi ! [wpsr_facebook]

Artur Rucinski, Daniele Gatti
Artur Rucinski, Daniele Gatti

 

SALZBURGER FESTSPIELE 2014: FIERRABRAS de Franz SCHUBERT, le 19 AOÛT 2014 (Dir.mus: Ingo METZMACHER; Ms en sc: Peter STEIN)

Chez les Maures © Monika Rittershaus
Chez les Maures © Monika Rittershaus

Fierrabras est rare sur les scènes.
Pour ma part, je n’en ai pas revu depuis la production de Ruth Berghaus dirigée par Claudio Abbado à la Staatsoper de Vienne en 1989, avec une Karita Mattila toute jeune et en état de grâce, et de plus grandes voix que dans la présente production: Hampson, Gambill, Protschka, Mattila, Studer . C’était une reprise de la production créée en 1988 aux Wiener Festwochen (Theater an der Wien) avec le Chamber Orchestra of Europe dont il nous reste l’enregistrement DG qui jusqu’ici fait encore autorité. Metzmacher a des voix au format plus réduit presque plus mozartien.
L’œuvre, composée en 1823 a été créée sur scène en 1897 au Hoftheater de Karlsruhe, sous la direction de Felix Mottl, c’est dire qu’on ne s’est pas empressé de la proposer dans les théâtres.
C’est une œuvre haletante, alternant airs, ensembles et quelques dialogues en une succession pratiquement ininterrompue. Les airs sont moins nombreux que les ensembles, trios, duos, et surtout moins développés, assez courts, même si certains (premier air de Florinda) sont diablement difficiles. C’est un Schubert explosif, qui raconte une histoire médiévale au livret complexe qui aurait pu être imaginée pour quelqu’opéra baroque : amours contrariées, guerres, amitié éternelle, Chevalerie, Francs, Maures, Roland, Charlemagne. Mais qui renvoie aussi aux plus récentes “pièces à libération”, dont Fidelio est le meilleur exemple, mais dont Cherubini a usé avant Beethoven (notamment dans sa Lodoiska – 1791- que je cite tout le temps, parce que je suis désespéré de ne pas la voir sur les scènes françaises, au moins une fois…). Un Chevalier généreux libère une tendre jeune femme enfermée dans une tour, ou l’inverse, puisque dans Fierrabras, à l’instar de Fidelio jamais bien loin, c’est la femme (Florinda) qui libère son amoureux.
C’est aussi un Schubert prolixe, qui puise son inspiration aux meilleures sources, Weber bien sûr, le grand maître de l’opéra romantique qu’il cite çà et là, et Beethoven, dont le Fidelio inspire toute la dernière partie. Le rythme des ensembles est tel qu’il laisse peu de temps et d’occasion aux voix de s’installer, et de se développer : cela nuit à certains rôles (Charlemagne, Roland). En revanche, Eginhard, Emma, Florinda et Fierrabras sont beaucoup plus sollicités. Il faut quand même une distribution de premier plan pour pratiquement tous les rôles, un aussi petit rôle que Maragond demande une belle présence vocale dans la première scène de Florinda à l’acte II.

Chez les Chrétiens © Monika Rittershaus
Chez les Chrétiens © Monika Rittershaus

Pour faire simple, si c’est possible, l’histoire raconte comment Emma, fille de Charlemagne, est amoureuse d’un Chevalier aux origines modestes, Eginhard, tandis que Fierrabras, prisonnier de Charlemagne et fils du maure Boland vaincu, est depuis longtemps embrasé d’amour pour elle. Pourtant, surprenant Eginhard et Emma dans les jardins, il va promettre à Eginhard de protéger Emma, mais surpris par Charlemagne, il est accusé d’avoir séduit la jeune fille et se fait sans mot dire enfermer pour une faute qu’il n’a pas commise, afin d’éviter de compromettre Emma et Eginhard.
De son côté, Florinda fille de Boland est amoureuse depuis aussi longtemps de Roland qu’elle a rencontré précédemment, et lorsqu’elle apprend que les Maures ont fait prisonnier la troupe des Chrétiens venus pour proposer la paix, elle va tout faire pour les libérer et les faire fuir, mais Roland est surpris dans sa fuite et condamné à mort, seul Eginhard arrive à rejoindre la cour de Charlemagne, raconte l’histoire, rétablit la vérité, fait libérer Fierrabras qui immédiatement prend la tête de l’armée chrétienne pour libérer les prisonniers et sauver Roland. Ce qui est dit est fait, Charlemagne est vainqueur, la paix des braves peut être signée et les couples Eginhard/Emma et Florinda/Roland peuvent enfin s’aimer au grand jour, comme quoi les mariages mixtes et les mésalliances existent depuis Charlemagne…
Pour cette nouvelle production, Alexander Pereira a fait appel à des artistes qu’il a souvent invités à Zürich, c’est le cas d’Ingo Metzmacher, présent il y a deux ans pour Die Soldaten, il y a un an pour Gawain, et cette année pour Fierrabras, dans un répertoire où on l’entend peu.
Pour la mise en scène, il a appelé Peter Stein. Cette année, avec Harry Kupfer (79 ans) pour Rosenkavalier et Peter Stein (77 ans) pour Fierrabras, Pereira a privilégié des stars de la mise en scène des années 70 ou 80, qu’il avait déjà sollicités à Zürich.
Peter Stein , le fondateur de la Schaubühne de Berlin, a été la référence du théâtre allemand pendant de nombreuses années, les parisiens connaissent notamment son Rheingold avec Solti à Garnier, qui a laissé un très grand souvenir. Ceux qui aiment le théâtre se souviennent de manière émue de sa Phèdre, que je considère pour ma part comme la meilleure mise en scène de la tragédie de Racine des 30 dernières années, de son Faust intégral en 2 jours à Hanovre pour EXPO 2000, à Berlin et à Vienne ou, à Salzbourg même, de sa Cerisaie vraiment exceptionnelle. Les spectateurs de Lyon ont pu apprécier ses Tchaïkovski/Pouchkine, et notamment son Mazeppa... Il fut le directeur de la programmation théâtrale à Salzbourg pendant les premières années Mortier. S’il a moins de présent, Peter Stein a un grand passé, et à ce titre, il inspire le respect.
J’ai lu et entendu que sa production de Fierrabras était un peu faisandée dès la première : l’opéra de papa, voire de grand-papa. Il en va ainsi des jugements : à Bayreuth, Castorf fait hurler pour provocation, à Salzbourg, où les mises en scènes (depuis le départ de Mortier) sont quand même du genre rassurant pour un public à 450€ la place d’orchestre (voir Il Trovatore de Alvis Hermanis, merveilleux exemple de transposition rassurante pour public esthétisant), Stein fait sourire et passe pour un traditionnaliste has been… tout cela n’est qu’incohérence et stupidité de jugements à l’emporte pièce .

Fuite d'Eginhard © Monika Rittershaus
Fuite d’Eginhard © Monika Rittershaus

Peter Stein a en effet choisi de proposer une vision apparemment très traditionnelle de Fierrabras, beaucoup plus que ce qu’avait fait Ruth Berghaus aux Wiener Festwochen il y a 26 ans, puis à la Staatsoper. Mais il le fait avec intelligence et finesse, un peu comme ce qu’avait fait son compère Klaus Michael Grüber à Bologne il y a bien longtemps en proposant des Vespri Siciliani inscrits dans les décors de la création certes, mais bien vivants dans l’actualité…
Il acte deux points à mon avis essentiels :

–       d’une part, cette histoire a effectivement la saveur des récits du passé, des contes et légendes qu’on lisait dans des livres jaunis, avec des gravures surannées remplies de personnages aux attitudes convenues bien identifiables dans leurs costumes, le beau Chevalier Blanc face au Prince Noir, les bons chrétiens dans leurs costumes immaculés, les méchants maures tout de noir vêtus  : c’est le choix d’ambiance qu’il propose, en inscrivant l’action dans des décors de gravures du XIXème tels qu’on pouvait les voir par exemple dans les romans de Walter Scott. Ce ne sont pas des décors imités de décors de l’époque, mais bien plutôt de livres illustrés de l’époque…car ce livret est une sorte de roman scénique.

–       d’autre part, cette histoire de Maures et de Chrétiens qui se réconcilient a un étrange parfum, aujourd’hui où de nouvelles guerres de religion se dessinent et où l’obscurantisme montre qu’il a un beau présent et malheureusement encore un grand futur.  Il va donc truffer son travail de petits gestes emblématiques qui prennent de nos jours toute leur signification (notamment le jeu sur le voile des femmes maures et leur libération…).

Femmes franques © Monika Rittershaus
Femmes franques © Monika Rittershaus

Ainsi, les attitudes sont-elles convenues, notamment au départ, où les personnages sont un peu comme saisis dans un moule de plâtre : le premier chœur des fileuses (qui m’a rappelé au passage le Vaisseau fantôme, et bien sûr la Gretchen am Spinnrade de ce même Schubert), avec leurs rouets dont un long silence isole le bruit, la fixité convenue des attitudes, tout cela évidemment inscrit l’intrigue dans un milieu, une ambiance particulières, dans un décor de toiles peintes imitant les gravures d’époque, avec des personnages qui semblent sortis du papier, tant leurs attitudes sont stéréotypées.
Il y a de belles réussites esthétiques, comme le défilé où Eginhard va se retrouver prisonnier. Mais les attitudes convenues, les Chevaliers en rang d’oignon, l’Empereur sur son trône, l’Emma éplorée et un peu gnan gnan de Julia Kleiter (remarquable vocalement au demeurant), tout cela sent son conte de fées ou son histoire-de- Charlemagne-racontée-aux-enfants.

Femmes maures © Monika Rittershaus
Femmes maures (Florinda et Maragond) © Monika Rittershaus

Peu à peu, Peter Stein va déplâtrer ses attitudes, et notamment dès le second acte : la scène Florinda/Maragond est réglée d’une tout autre manière. Visiblement le personnage de Florinda l’intéresse : attitudes plus naturelles (elle se vautre sur le sofa), vivacité, chant moins convenu et plus incarné. On rentre dans le vif du sujet qui est ici la libération de la femme maure (suivez mon regard…) et là Peter Stein nous dit des choses différentes. Dans un premier temps, dans l’intimité des appartements, Florinda et Maragond ne se couvrent pas le visage. Dès que la cour de Boland et les Maures se réunissent, elles se couvrent aussitôt. Mais quand Florinda décide d’aller libérer les chrétiens pour sauver son Roland, elle se dévoile et reste au milieu de ces soldats la seule femme dans leur prison. Au passage il faut signaler la beauté et la justesse des décors de Ferdinand Wögerbauer, notamment les ambiances mauresques très réussies, ou le jeu de lumière sur la tour où les Chrétiens sont prisonniers.

Emma (Julia Kleiter) & Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus
Emma (Julia Kleiter) & Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus

Ce qui intéresse Peter Stein, c’est évidemment de raconter une histoire humaniste de réconciliation entre grandes âmes, que ce soit Fierrabras, Eginhard ou Roland. Toute la fin d’ailleurs, est inspirée de Fidelio : la trompette lointaine sonne les scènes finales comme dans Fidelio, et dès lors, ce ne sont que scènes de réconciliations et chœurs joyeux. C’est bien de réunion des grandes âmes qu’il s’agit et Peter Stein a une belle inspiration finale en faisant que Boland le Maure, qui était éloigné et isolé au milieu de la fête et de la réunion de couples, serre la main de Charlemagne, sous l’impulsion de Fierrabras entre les deux qui tient les deux mains, dans la même position que Bill Clinton entre Rabin et Arafat. L’allusion est tellement aveuglante qu’elle fait du même coup relire l’ensemble du propos. Autre signe de second degré : le cœur rouge qui marque la scène finale, en fond de scène, première incursion d’une couleur dans ce décor en noir et blanc, l’amour triomphe et tout le monde est content…

Chrétiens chez les maures © Monika Rittershaus
Chrétiens chez les maures © Monika Rittershaus

Au-delà des allusions à notre actualité, Peter Stein réussit assez à rendre cette histoire touffue et complexe simplement lisible, par le jeu des couleurs noir/blanc, par la séparation des scènes par de courts baisser de rideau,  faisant de chaque scène comme une gravure différente, et permettant de mieux digérer les éléments de la scène précédente et de mieux appréhender les éléments du récit, en les séparant scène à scène. Lisibilité, discret second degré, précision des gestes et bonne identification des personnages, voilà un travail très respectueux du livret, très fidèle à l’histoire et à l’ambiance : après tout, on applaudissait quand Lavelli faisait un Faust de Gounod non médiéval mais actualisé à l’époque de la création, avec ses références à Baltard et à la morale bourgeoise qui sous tend toute l’histoire, ici Peter Stein renvoie au XIXème siècle dans ses représentations de l’Orient et du Moyen âge, d’une manière proche des représentations que pouvait en avoir Schubert, c’est aussi une actualisation à l’époque de la création, mais avec d’autres outils et d’autres références. Il y a là une finesse de lecture qu’il faut souligner : c’est bien un Fierrabras XIXème qui nous est présenté, et non médiéval
Musicalement, ce que nous avons entendu n’a rien à voir avec l’enregistrement de Claudio Abbado, au point que certains passages sont à peine reconnaissables. Il ne s’agit pas pour moi de préférer l’un à l’autre, car les options musicales sont radicalement différentes. Abbado comme souvent misait sur la fluidité, la ductilité et l’élégance, pour un Schubert qui coulait comme de l’or fondu, dans une proposition à la fois théâtrale et profondément symphonique. Comme dans le trio avec Chœur n°12 à l’acte II, qui débute lorsque Boland ordonne de prendre les chevaliers (Ergreift sie…) dont le mouvement fait tant penser à l’épisode de La Gorge au Loup de Freischütz de Weber, où Abbado choisissait de mettre en valeur des phrases musicales précises dans un discours d’une rapidité marquée, là où Metzmacher au contraire choisit d’autres phrases, donnant à la scène une toute autre couleur avec un tempo différent.

Prisonniers dans la tour © Monika Rittershaus
Prisonniers dans la tour  avec Florinda © Monika Rittershaus

C’est que Metzmacher a choisi une toute autre lecture, plus hachée, plus heurtée, plus marquée, plus sculptée en quelque sorte, privilégiant les contrastes, les oppositions, dans une vision peut-être plus démonstrative, chez l’un on avait un fleuve musical rapide, chez l’autre un torrent interrompu par des rapides, la descente du Danube puissant contre celle plus accidentée du Colorado. Admirables les Wiener Philharmoniker, malgré quelques menues imprécisions aux cuivres (encore…) qui n’entament pas l’impression sonore somptueuse, les cordes incroyables (les violoncelles ! les altos !) et la clarté de la lecture imposée par le chef qui met au jour de manière très différenciée et presque didascalique les éléments divers de la partition. Une approche plus démonstrative et didactique, mais qui m’a permis de découvrir des aspects de la partition qui m’ont échappé à l’audition du CD, et dont j’ai peine à me souvenir l’unique fois où j’entendis l’œuvre en salle. Une version qui accompagne avec vigueur le plateau, et notamment dans des ensembles menés de manière très dynamique, presque rossinienne, et qui met au jour une partition décidément surprenante. Metzmacher met en relief  de manière très analytique les filiations, les ambiances weberiennes et beethoveniennes, le romantisme échevelé et il est parfaitement convaincant, dramatique, théâtral.

 

Charlemagne à la fleur de l'âge
Charlemagne à la fleur de l’âge

Dans un opéra où les ensembles sont essentiels, le chœur est d’importance centrale : la prestation du Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, préparé par Ernst Raffelsberger est impeccable, un modèle de musicalité, de précision, de fraîcheur et de présence.
Je l’ai esquissé, il n’est jamais facile de chanter Schubert, et particulièrement Fierrabras. On est surpris de l’abondance des ensembles et des duos ou trios, de leur dynamisme, de leur tempo rapide qui empêche un peu les voix de s’épanouir.  On a peu l’occasion d’apprécier notamment la belle voix grave et sonore de Georg Zeppenfeld, un Charlemagne qui n’a rien du vieillard à la barbe fleurie, mais plutôt de l’Empereur dans la force de l’âge, comme dans certaines représentations. Les quelques rares moments où il peut chanter de manière continue, les qualités de son grave et de sa manière de projeter, mais aussi de son phrasé apparaissent immédiatement, mais dans les ensembles (nombreux) il disparaît un peu et semble plus en difficulté. Même remarque pour le Roland de Markus Werba, presque un rôle secondaire dans le livret, ou au moins dans la mise en scène où ce héros universel de la littérature courtoise disparaît presque au profit d’Eginhard. La prestation est très correcte, mais sans emphase ni démonstration.
Enfin Peter Kálmán dans Boland montre un peu de fatigue et surtout une voix qui ne projette pas bien, faisant contrepoint à un Charlemagne plus en relief.
L’Emma de Julia Kleiter a les qualités de fraîcheur qu’on lui connaît, avec un chant plein d’émotion retenue dont le volume s’impose dans les ensembles, elle est très émouvante, mais le personnage reste pâle, confiné dans des attitudes convenues. Elle est réfugiée dans la plainte et le lamento, une sorte de victime, mais surtout un personnage sans initiative, dramaturgiquement passif. Cela convient à la plainte élégiaque. Elle se laisse porter par son chant et par les événements.
Tout au contraire la Florinda de Dorothea Röschmann est une hyperactive, très engagée, révoltée : la mise en scène et le livret en font comme le vrai moteur de l’action, celle qui se révolte contre sa condition, qui combat pour son amour et qui n’hésite pas à trahir son père et son pays au nom de ses propres valeurs .  Dorothea Röschmann prête sa voix à ce personnage très dynamique, et son premier air très difficile entre vélocité, aigus, énergie passe avec bonheur, même si la voix m’est apparue un peu moins puissante que par le passé et pour tout dire un peu vieillie (mais ce n’est peut-être qu’une impression): c’est elle qui porte l’action, et qui impose par son chant une vigueur rafraîchissante. J’ai signalé par ailleurs la belle (mais courte) présente vocale de Marie Claude Chappuis.
Michael Schade se tire avec honneur de Fierrabras, rôle redoutable parce que justement très peu sollicité par des airs et beaucoup plus par des ensembles. Il a donc peu l’occasion de mettre en relief ses qualités de phrasé. La voix semblait un peu fatiguée et ne réussissant pas à dominer les ensembles, voire moins projetée et moins puissante qu’habituellement, notamment face à l’Eginhard de Benjamin Bernheim. Une voix très claire, presque en demi-teinte pour ce héros qui perd en amour ( son Emma aimée, qui épouse Eginhard) ce qu’il gagne en noblesse (artisan de la réconciliation chrétiens-maures).

Eginhard (Benjamin Bernheim) prisonnier © Monika Rittershaus
Eginhard (Benjamin Bernheim) prisonnier © Monika Rittershaus

Le plus notable de la soirée, sans aucune hésitation, c’est le ténor Benjamin Berheim, qui dans le rôle d’Eginhard, affirme une personnalité musicale de premier ordre, avec une voix magnifiquement contrôlée, sans aspérités, ouverte et montant à l’aigu sans difficulté, voire avec force. Il s’impose dans les airs et dans les ensembles avec une telle facilité et une telle élégance qu’on peut sans aucun doute envisager pour lui un riche avenir. Je me réjouis parce qu’après l’avoir vu à Lyon dans Edmond de Manon Lescaut de Puccini, j’avais écrit en 2010. : Notons quand même l’excellent Edmond de Benjamin Bernheim: il faudra l’écouter dans d’autres rôles, car il a chanté sa partie de manière particulièrement élégante et stylée, qui tranchait avec le désordre de Didyk. Une confirmation donc. Voilà un ténor avec lequel il faudra compter.
Ainsi donc ce Fierrabras faussement archéologique avec son petit air suranné d’opéra d’antan se montre-t-il une production sensible et intéressante pas si détachée que cela de l’actualité immédiate. L’opération est pour ma part réussie, encore faudrait-il que ce Schubert-là gagne en présence sur les scènes dans l’avenir, pour la musique et pour le message humaniste du livret par ailleurs maladroit de Joseph Kupelwieser.[wpsr_facebook]

Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus
Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus

SALZBURGER FESTSPIELE 2014: IL TROVATORE de Giuseppe VERDI le 9 AOÛT 2014 (Dir.mus: Daniele GATTI; Ms en scène ALVIS HERMANIS) avec Placido DOMINGO et Anna NETREBKO

Trovatore - première scène © Salzburger Festspiele / Forster
Trovatore – première scène © Salzburger Festspiele / Forster

Pour réussir un Trovatore, c’est bien connu, il suffit de mettre les quatre meilleurs chanteurs du monde sur le plateau et tout ira bien, manière de dire que c’est un opéra de chanteurs, un point c’est tout. Et de fait, c’était très souvent les choix faits par les directeurs de salle, lorsqu’il y avait des chanteurs pour Verdi. Dans tout mon parcours de mélomane, j’ai vu deux fois un Trovatore dirigé par un grand chef (Mehta à Florence, avec Pavarotti, mais une Leonora inexistante, Antonella Banaudi et Muti à la Scala, et c’était raté), le reste du temps, c’était au mieux de très bons chefs de répertoire. Pourvu que ténor, soprano, mezzo et baryton soient à la hauteur,  on se satisfait de tzim boum boum avec de grands gestes, de quelques rythmes de tarentelle pour faire italien, et c’est plié. Un Trovatore aux couleurs d’un Capriccio italien rend souvent tout le monde rassasié.
J’avais évoqué dans un texte précédent un roman écrit il y a 25 ans en Italie sur Il Trovatore dont le titre était Deserto sulla terra, premiers mots de Manrico. Le roman en lui-même n’avait pas d’intérêt, sauf celui d‘éclairer sur l’opéra de Verdi et ses exigences ; et l’auteur (Gianfranco Bettetini) d’expliquer que le premier contresens était sur les premiers mots de Manrico, deserto sulla terra, qui ne signifiait pas comme tout le monde le pensait, désert sur la terre, mais abandonné sur la terre, deserto étant un participe passé et non un nom commun. Voilà l’un des petits pièges réservés par l’opéra…
Ceci pour dire que Trovatore est l’un des opéras les plus difficiles à réussir pour moi, car considéré comme un opéra acrobatique de retour au bel canto, mais pas vraiment un opéra de chef. Pourtant, le fait qu’encore aujourd’hui, les Trovatore insurpassables soient ceux enregistrés live par Karajan à Salzbourg en 1962 et 1963 (Price, Simionato, Bastianini, Corelli, puis McCracken). Des chanteurs de légende pour un chef de légende, voilà plutôt la recette pour réussir. Mais bien peu de chefs de légende se sont attaqués à Trovatore avec les moyens voulus.
Riccardo Muti a été de ceux-là, il a laissé un Trovatore phénoménal à l’orchestre lorsqu’il était à Florence : contraste, violence, explosion, dynamisme d’une nouveauté incroyable. Il existe en vidéo complète sur youtube ,  et un quatuor composé de Fiorenza Cossotto, Carlo Cossuta, Matteo Manuguerra et une bien pâle Gilda Cruz-Romo. Mais son enregistrement officiel avec la Scala (Sony, Licitra, Frittoli, Urmana, Nucci) manque de vitalité, s’attarde sur la recherches d’effets sonores inutiles (« Verdi comme Mozart » disait-il) et surtout ne dispose pas des chanteurs ad hoc. Ses représentations scaligères étaient mortelles d’ennui, quand on se souvient de ce qu’il faisait à Florence une vingtaine d’années avant.

Scène d'ensemble © Salzburger Festspiele / Forster
Scène d’ensemble © Salzburger Festspiele / Forster

Pour toutes ces raisons, un Trovatore comme celui affiché à Salzbourg, le premier depuis 1963, avec une distribution très tentante dominée par Anna Netrebko en Leonore et l’inusable Placido Domingo dans il Conte di Luna, dirigé par un chef aussi intéressant que Daniele Gatti et les Wiener Philharmoniker en fosse ne pouvait qu’exciter la curiosité et faire courir les foules…qui sont accourues
Et cette curiosité fut largement satisfaite.
Il y a très longtemps, 30 ans peut-être, que je n’avais entendu un Trovatore pareil (il faut distinguer entre Trovatore et Trouvère, parce que Verdi a écrit une version spécifique pour Paris en 1857, Le Trouvère, avec des variations différentes sur certains airs et un final différent, qu’à Paris on ne représente jamais, comme il se doit…).

Placido Domingo (Luna) et ferrando (Riccardo Zanellato) © Salzburger Festspiele / Forster
Placido Domingo (Luna) et ferrando (Riccardo Zanellato) © Salzburger Festspiele / Forster

Comme tout le monde, j’adore Il Trovatore : c’est l’opéra par excellence de la pulsion verdienne, qui vous prend dès le premier air de Ferrando, ce ne sont ensuite qu’airs, cabalettes, concertati, ensembles, chœurs, sans un seul moment  de répit, de respiration, pour permettre de reprendre son souffle. C’était Muti en 1977 : impossible de reprendre souffle un seul instant.
L’intérêt de la direction de Daniele Gatti, c’est qu’il a sous la main un orchestre, les Wiener Philharmoniker, qui est capable les grands soirs de répondre avec la précision requise aux impulsions voulues par le chef, aux modulations, aux nuances infinies que permet cette partition quand elle est réellement lue et interprétée. Daniele Gatti, très attentif au volume (il est facile dans Trovatore de jouer fort, d’autant que le public aime ça) contrôle chaque moment pour ne pas couvrir les voix, et surtout ne cesse de révéler des constructions, des phrases, des échos : ici on entend Traviata, là Aida, ou Otello, en fait on sent que dans ce Trovatore de 1853 il y a déjà ce qu’on aimera dans le Verdi tardif. L’impression qui prévaut est celle d’un extrême raffinement dans l’accompagnement des chanteurs (d’amor sull’ali rosee !) et notamment de Domingo (il balen del suo sorriso est d’une attention rare au rythme). Toute la deuxième partie réussit à la fois à allier ce raffinement qui frappe dès le départ (et qui m’avait déjà profondément touché dans Traviata à la Scala) et une impulsion qui va croissant jusqu’au trio final Leonora-Manrico-Luna qui est un chef d’œuvre de précision, de rythme, de finesse : un des moments d’opéra les plus extraordinaires qu’on puisse vivre aujourd’hui.
Evidemment, Daniele Gatti profite des Wiener Philharmoniker des grands jours, bien plus attentifs et concentrés que lors du Rosenkavalier d’il y a quelques jours. Un son contenu, des cuivres sans une seule scorie, des cordes à se damner (violoncelles, contrebasses !) et des bois phénoménaux. Et surtout, une clarté, une énergie quand il le faut et une légèreté quand l’exigent la partition et la volonté du chef qui ne cessent de surprendre. Jamais peut-être dans un Trovatore n’est apparue cette dentelle sonore qui rappelle le Falstaff que ce même Gatti dirigeait à Amsterdam en juin dernier (avec le Concertgebouw, autre phalange miraculeuse). Là où on a souvent du « brut de décoffrage » (que les italiens traduisent par suono grezzo), on a ici une dentelle incroyable de sons tissés, de petits points de brillance qui forment scintillement révélant en même temps l’art de Verdi, un art difficile à rendre avec clarté, tant on se concentre sur le chant au lieu de considérer l’ensemble du nuancier musical exprimé par l’orchestre. Gatti va en profondeur révéler les faces cachées de la partition et son épaisseur, voire sa complexité, ce qui nous fait passer de surprise en surprise.

Anna Netrebko © Salzburger Festspiele / Forster
Anna Netrebko © Salzburger Festspiele / Forster

Une telle lecture orchestrale heurte nos habitudes, parce que le tempo plus large qu’habituellement, le son quelquefois plus grêle, nous obligent à une concentration plus forte, plus diversifiée, comme si le chant n’était que la partie émergée d’un iceberg dont les trésors sont tous à découvrir. Daniele Gatti prend à rebrousse poil, prend les habitudes d’écoute à revers, ose ici un rallentando, là une accelération surprenantes, ici une brutalité, où on avait l’habitude d’un son plus lisse, et c’est quelquefois perturbant, mais dieu que c’est bon d’être un peu perturbé et de découvrir les profondeurs…

Il est aussi servi par une distribution un peu surprenante, très diversifiée et qui suit totalement les options du chef, le ténor vient du bel canto, la mezzo du baroque, le baryton était ténor, et le soprano était lyrique colorature et devient spinto…Tous semblent non à contre emploi, mais venir d’une autre planète et se retrouvent sur cette planète là, pour constituer un des plateaux les plus homogènes et des plus musicaux et musiciens qui soient. Aucun ne cherche une aventure solitaire, tous sont attentifs au rendu d’ensemble avec une cohérence qui m’a frappé.

Placido Domingo © Salzburger Festspiele / Forster
Placido Domingo © Salzburger Festspiele / Forster

Placido Domingo est le Conte di Luna, il ose cette saison (il l’a déjà fait à Berlin) l’un des rôles de baryton les plus exposés ; dès l’entrée Tace la notte, on reste frappé par la largeur du son, le timbre d’une couleur intacte, même si c’est celle d’un ténor, mais peu importe…par la tenue du chant : c’est miraculeux et émouvant. Et il balen del suo sorriso, pratiquement le seul authentique chant d’amour de la partition, est dit avec un tel art, avec un tel phrasé qu’on en reste ébahi. Mais l’immense artiste qu’il est, un miracle vivant, éprouve de très sérieuses difficultés dans les ensembles au tempo plus rapide (par exemple, le trio du premier tableau « le duel ») où on le sent contraint de reprendre systématiquement son souffle, et donc faire quelques fautes de mesure malgré l’extrême attention de Daniele Gatti : on le sent souffrir et c’est un peu difficile pour l’auditeur. Mais, il y a 41 ans, en 1973, j’écoutais Il Trovatore pour la première fois avec un certain Placido Domingo dans Manrico, je le retrouve quatre décennies plus tard dans ce même Trovatore, chantant avec la même intelligence, la même concentration, le même engagement. Je ne peux exprimer l’immense émotion qui me traverse, même en écrivant ces lignes, et l’immense respect pour ce monument qu’est notre Placido.

Placido Domingo, Francesco Meli, Anna Netrebko © Salzburger Festspiele / Forster
Placido Domingo, Francesco Meli, Anna Netrebko © Salzburger Festspiele / Forster

À l’autre bout du spectre, le Manrico du jour, Francesco Meli, une voix très claire qui en duo avec Domingo, donne deux couleurs ténorisantes différentes, mais qui est clairement identifiable et totalement lumineux. Francesco Meli a longtemps chanté des parties plus légères et plus bel cantistes, mais la voix s’est étoffée, sans perdre ses qualités de contrôle extrême et son magnifique phrasé. Son Ah si ben mio est un modèle de poésie, de douceur, avec des notes merveilleusement filées, des aigus triomphants, une retenue et une musicalité aux antipodes du ténor démonstratif et histrionique. Et Trovatore oscille entre héroïsme et bel canto.
Évidemment, il a plus de mal dans l’héroïsme et son Di quella pira reste en deçà des habitudes. Mais Manrico n’est pas, heureusement réductible à Di quella pira. Son aigu final est étouffé par l’orchestre, et la note grave qui suit presque plus réussie (Gatti joue toute la partition, avec les da capo, sans aucune coupure)…Meli ne fait pas de cirque, et on ne lui en tiendra pas rigueur, car les ensembles sont extraordinaires de précision et de musicalité. Une fois de plus, je veux dire et répéter que le trio final Leonore-Azucena-Manrico est un pur chef d’œuvre. Et Francesco Meli est vraiment à la hauteur des autres, convaincant et engagé.
J’attendais Marie-Nicole Lemieux, qui aborde les mezzos verdiens (Miss Quickly) et qui apporte toutes les qualités de sa longue fréquentation du répertoire baroque : diction, précision des rythmes, utilisation pleine de l’ensemble du registre  avec des graves incroyables de précision, de profondeur et de justesse. Si les aigus ne sont pas toujours aussi larges qu’on pourrait souhaiter, et même quelquefois un peu criés, elle est un tel personnage, elle est tellement engagée et tellement musicale qu’on ne peut que saluer une prestation qui la projette immédiatement dans les mezzos à suivre dans ce répertoire : il est évident qu’on songe à Amnéris…Elle est incontestable : y compris dans la manière bouffe dont elle chante stride la vampa avec cette liberté de ton un peu ironique et de style qu’on n’attendrait pas dans un air où l’on a droit habituellement à des yeux révulsés et exorbités : il est vrai que la mise en scène en fait un guide de musée…ça aide. Mais quelle intelligence et quelle musicalité.

Anna Netrebko © Salzburger Festspiele / Forster
Anna Netrebko © Salzburger Festspiele / Forster

Enfin Anna Netrebko.
J’avais été un peu déçu dans sa prestation il y a un mois environ en Lady Macbeth, dans une mise en scène qui en faisait un personnage vulgaire et avec un chef qui n’avait pas l’attention et la précision rythmique voulue. La voix, large, ne trouvait pas son assise dans les parties les plus raffinées (scène du somnambulisme) et les filati étaient mal dominés.
Je craignais que dans Leonora, qui alterne des parties spinto et des parties plus contenues, avec des aspects bel cantistes fortement marqués alternant avec des ensembles vifs, rythmés, forts, elle n’ait les mêmes difficultés.
Mais non : de ma vie de mélomane, c’est la plus belle Leonore entendue depuis Renata Scotto. Une voix homogène, large, sûre à l’aigu, et hypercontrôlée, avec des notes filées à se damner, des mezze voci de rêve et surtout dans la seconde partie. D’amor sull’ali rosee est un sommet de lyrisme, de poésie, et aussi un sommet technique, où il y a tout, agilité, douceur, couleur diversifiée. A dire vrai, c’est unique, et tellement vécu, tellement chaud, tellement vibrant. Plus la voix se chauffe et plus c’est convaincant : Tacea la notte placida au premier tableau restait un peu en retrait notamment à l’aigu, avec quelques problèmes pour placer la voix. Mais peu à peu l’assurance aidant, la voix croît  en assurance et cela devient totalement bluffant. Et j’en reviens à ce trio final Manrico-Azucena-Leonora: si vous regardez la retransmission d’Arte le 15 août prochain (et regardez la…), attendez ces dix dernières minutes : le ciel descend sur terre.
Et c’est là qu’on entend un chef : Daniele Gatti accompagne la chanteuse avec une attention et une délicatesse déterminantes.  Netrebko est une chanteuse très attentive aux rythmes, une chanteuse dans le travail à l’opposé de l’image glamour et légère que les medias lui donnent, elle cherche sans cesse à épouser le rythme et la pulsion voulue par  le chef sans vouloir imposer son tempo et ses exigences de diva chantante, et c’est le triomphe de la musique qui nous est donné ici. Merci Gatti, merci Netrebko.

Lever de rideau © Salzburger Festspiele / Forster
Lever de rideau © Salzburger Festspiele / Forster

Dans cet océan de pure musique, Alvis Hermanis a été gêné par une histoire il est vrai assez difficile à rendre sensible aujourd’hui, d’autant que le public dans Trovatore, attend d’abord le chant, puis éventuellement le chef, mais sûrement pas la mise en scène : on a vu les broncas qui ont accueilli les expériences de Regietheater dans Verdi de Hans Neuenfels, qui a fait deux Trovatore pourtant relativement appréciés  à Berlin et à Nuremberg. Hermanis se demande comment relier notre univers et notre monde à cette histoire assez improbable du passé. Il a en plus à disposition le plateau difficile du Grosses Festspielhaus.
Hermanis n’est pas un provocateur ou un conceptuel : il cherche à créer du lien cohérent entre une trame difficile et un spectateur qui ne veut pas dans Trovatore être dérangé par les fantasmes du metteur en scène.
Alors il va travailler presque exclusivement sur la forme, en créant une ambiance d’emblée consensuelle, celle des salles essentiellement italiennes (il y a quand même la seconde école de Fontainebleau) d’un Musée qui sont un concentré de tous les chefs d’œuvres que nous connaissons, des Madones de Raphael aux portraits de Bronzino ou de Piero della Francesca en essayant de créer du lien entre italianità picturale et italianità musicale déjà par une homogénéité de la couleur (quarante nuances de rouge, qui est la couleur dominante : rouge sang, rouge passion, rouge chaleur, rouge feu et flamme) et en partant d’un tableau de Bronzino, très fameux, le portrait d’Éléonore de Tolède.

Portrait d'Éléonore de Tolède de Bronzino
Portrait d’Éléonore de Tolède de Bronzino

Tolède et Éléonore : Espagne et prénom nous renvoient à l’univers du Trovatore. Ainsi la trame part-elle des histoires racontées devant ce tableau par le guide (Ferrando, excellent Riccardo Zanellato, basse chantante bien connue à Lyon qui fut Fiesco dans le dernier Boccanegra) et de fait Leonora apparaîtra dans la même robe qu’Éléonore de Tolède dans le tableau.
Et la mise en scène ne sera que fantasme des personnels du musée, Leonora en est une gardienne, avec sa collègue Ines, tout comme Luna sans doute amoureux de sa collègue, et qui la voit sous les traits du tableau de Bronzino. Seul, il Trovatore reste le fantasme projeté de tous, il n’est que Trovatore, et fixation fantasmatique de Leonora sur le fameux Joueur de Luth de Giovanni Busi (Il Cariani).

Le joueur de Luth de Giovanni Busi dit Il Cariano
Le joueur de Luth de Giovanni Busi dit Il Cariano

Nous sommes à mi-chemin entre le film La nuit au Musée de Shawn Levy (2007) et le Cabinet des Figures de cire (Der Wachsfigurenkabinett) de Paul Leni et Leo Birinsky (1924) sans avoir le comique de l’un ni l’expressionisme inquiétant de l’autre. Ainsi, le personnel du musée se transforme-t-il qui en Leonora, qui en Luna (homme de pouvoir, habillé en Federico di Montefeltro de Piero della Francesca)

Portrait de Federico di Montefeltro  de Piero della Francesca
Portrait de Federico di Montefeltro de Piero della Francesca
, et permet des tableaux très bien éclairés, très bien composés, avec des mouvements de chœur (des Bohémiens) esthétiquement réglés avec élégance, tout en évitant les éléments trop réalistes : pas d’enclumes chez les Gitans qui évoquent les Gitans sans être tout à fait des Gitans, pas trop de combats etc…tout cela semble lointain et brumeux, dans les brumes rougeoyantes des fantasmes. Le résultat en est un travail assez minimaliste, malgré les changements incessants de cloisons et de murs pour faire évoluer l’espace, et il faudrait du temps pour étudier les liens de chaque tableau avec l’histoire, car les choix sont quelquefois chargés de sens : les nombreuses Madones à l’enfant, pour cette histoire de rapports mère-fils si prégnants, en sont la preuve. La dernière scène, où tout se révèle, est par exemple jouée contre un mur où sont projetées trois Madones à l’enfant.

 

Anna Netrebko en gardinne de Musée rêveuse © Salzburger Festspiele / Forster
Anna Netrebko en gardinne de Musée rêveuse © Salzburger Festspiele / Forster

Une mise en scène qui à la Première a recueilli un global assentiment, malgré quelques rares huées, de tradition à une Première, et qui constitue un écrin à l’histoire sans trop intervenir dedans, sans trop transposer et donc au total assez sage et assez juste.
En conclusion, ce Trovatore est une fête, qui permet de constater avec soulagement qu’on peut le jouer magnifiquement aujourd’hui, avec une distribution inattendue et grandiose et un chef qui sait son Verdi ; cette saison, après Traviata et Falstaff, Daniele Gatti est en train d’imposer un Verdi au raffinement surprenant, d’une réelle sensibilité et d’une très grande épaisseur. Il révèle des profondeurs auxquelles ces dernières années on n’était plus habitué dans ce répertoire. J’ai suffisamment déploré dans ce Blog l’absence de grands moments verdiens pour saluer cette manière de Verdi-Renaissance.
Salzbourg a osé Trovatore, Salzbourg a apparemment réussi son coup.
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Scène finale © Salzburger Festspiele / Forster
Scène finale © Salzburger Festspiele / Forster

SALZBURGER FESTSPIELE 2014: THÉÂTRE – DIE LETZTEN TAGE DER MENSCHHEIT/LES DERNIERS JOURS DE L’HUMANITÉ de Karl KRAUS LE 4 AOÛT 2014 (Ms en scène: Georg SCHMIEDLEITNER)

Scène d'ensemble (début partie II) © Georg_Soulek
Scène d’ensemble (début partie II) © Georg_Soulek

Il y a des œuvres qui vous marquent à vie et pour moi, Les derniers jours de l’humanité de Karl Kraus est de celles-là. Non parce que c’est une œuvre impérissable, non parce que c’est un chef d’œuvre de la littérature, mais parce que c’est justement une œuvre impossible à qualifier, un de ces objets théâtraux non identifiés : un texte de 800 pages, avec des dizaines et des dizaines de personnages, de lieux, d’aucuns penseraient à une sorte de logorrhée inextinguible et évidemment impossible à mettre en scène.
La saison théâtrale du festival de Salzbourg dirigée par Sven-Eric Bechtolf est consacrée cette année à la première guerre mondiale, avec outre le Kraus, des projets (The forbidden Zone mis en scène par Katie Mitchell) d’autres textes comme  Don Juan revient de la guerre, d’Ödön von Horváth mis en scène par Andreas Kriegenburg.
J’ai vu en 1990 Les derniers jours de l’humanité au Lingotto de Turin, dans les espaces désaffectés des usines FIAT, un projet fou de Luca Ronconi, dans le sillage de son Orlando Furioso présenté aux Halles (dans les anciens pavillons Baltard) à Paris en 1969. C’est une de mes expériences théâtrales les plus importantes et les plus vibrantes. J’ai vu ce spectacle 6 fois, chaque jour je faisais les 130 km qui séparent Milan, où j’habitais, de Turin.

Au Lingotto de Turin (1990) ms en scène Luca Ronconi
Au Lingotto de Turin (1990) ms en scène Luca Ronconi

Comment expliquer ? Avec une jauge maximum de 500 spectateurs, debout, circulant entre les 8 scènes, avec des dizaines de comédiens, des décors constitués par des authentiques wagons, locomotives, sur des vrais rails, des presses Heidelberg.

Au Lingotto de Turin (1990) ms en scène Luca Ronconi
Au Lingotto de Turin (1990) ms en scène Luca Ronconi

Dans un espace gigantesque, Ronconi proposait ce théâtre éclaté, explosé, qui balayait la 1ère guerre mondiale et se terminait en opérette viennoise, dans une émotion indescriptible. Nous spectateurs, nous circulions, sortions, revenions, avec une vue partielle du spectacle comme on a toujours une vue partielle de la vie, de l’histoire du monde. J’ai eu le privilège de le voir à côté de Ronconi en hauteur, d’où il dirigeait l’ensemble. J’ai ensuite lu la pièce, en italien puisqu’à l’époque, elle n’était pas traduite en français. Il existe des extraits sur youtube, allez-y voir … On peut comprendre qu’après une telle expérience, ce texte ait pour moi imprimé sa marque, indélébile.

Pour des raisons évidentes, il est rarement joué. Je n’ai pas trace (mais je me trompe peut-être) de représentations récentes en France. Et j’ai sauté sur l’occasion de l’entendre en langue originale et en Autriche, car ce texte interroge au premier chef l’histoire de l’Autriche, même s’il vaut évidemment pour tous les peuples et pour toutes les guerres. C’est bien d’humanité qu’il s’agit…et la lecture de Christopher Clark (Les Somnambules) sur les origines de la première guerre mondiale, ainsi que la situation troublée d’aujourd’hui  en Europe, en Ukraine, notamment, avec les situations irrésolues dans les Balkans, la présence d’une Hongrie inquiétante, jette un regard très cru sur un texte qui, hélas, garde son actualité. On s’aperçoit qu’après deux guerres mondiales qui ont violemment touché l’Europe, les nationalismes, peste noire fauteuse de peurs et de tensions, renaissent comme si la Mémoire de ce qui a causé cette barbarie s’estompait.

Scène d'ensemble (partie I) © Georg_Soulek
Scène d’ensemble (partie I) © Georg_Soulek

Le spectacle, coproduit par le Burgtheater de Vienne, devait être confié à Matthias Hartmann, qui en était le directeur au moment du projet. Mais celui-ci a été démissionné, et a renoncé, et donc au dernier moment, la mise en scène de ce monument a été confiée à Georg Schmiedleitner, actuel directeur artistique du Theater Hausruck, une initiative de théâtre populaire en Haute Autriche autour de thèmes politiques et sociaux: il a l’habitude des entreprises de type « théâtre ailleurs » et donc ce texte impossible lui allait bien. Pour mémoire, il est aussi en train de réaliser un Ring à Nuremberg.

On a été d’autant plus étonné de voir ce texte présenté dans l’écrin très traditionnel, et très réduit du petit Landestheater de Salzbourg. Cette fresque qui a priori demanderait des espaces et des solutions techniques acrobatiques, ( voir Johan Kresnik à Brême il y a une quinzaine d’années ou Luca Ronconi) entre ainsi dans le cadre traditionnel du théâtre à l’italienne, et on en a et comprimé le texte, et la respiration.
Car engoncés dans un format trop réduit pour l’œuvre, les acteurs n’arrivent pas à faire vivre le texte (enfin, la partie du texte sauvée) ou du moins le font vivre toujours de la même manière, sur un plateau plus ou moins nu, seule solution pour un texte à espaces multiples, avec quelques éléments de décor et de lumières, une tournette, un escalier, des tables, quelques fumées qui donnent juste des indications.

Partie II  © Georg_Soulek
Partie II © Georg_Soulek

Ainsi du choix des scènes : il est vrai que le texte est bavard, mais chaque scène semble plus ou moins dire la même chose, les discours sont  superposables, et la distance ironique n’est pas toujours claire, les critères de choix n’apparaissent pas, sinon le discours petit bourgeois sur la guerre.
Aussi le résultat est qu’au bout des deux heures de première partie, à l’entracte certains quittent la salle. De fait, la deuxième partie est assez semblable à la première, ce travail n’avance pas et ne suggère rien sur le texte et la situation. Il y a bien des moments plus stimulants que d’autres, mais c’est dû au jeu et à la personnalité des acteurs plus qu’à la mise en scène : Peter Matić, acteur viennois très fameux, est désopilant en François-Joseph en ruine,

Dörte Lyssewski © Georg_Soulek
Dörte Lyssewski © Georg_Soulek

Dörte Lissewski, l’une des plus grandes actrices de la scène allemande, qui fut de la Schaubühne de Peter Stein est vraiment splendide dans son monologue « retour du front », mais plus pâle à d’autres moments, comme si elle n’arrivait pas à rentrer dans le spectacle. Elisabeth Orth, autre actrice viennoise fameuse (née en 1936), est magnifique d’émotion dès qu’elle apparaît. D’autres sont plus gênés et moins convaincants comme Gregor Bloéb (l’optimiste).

Gregor Bloéb & Dietmar König, l'optimiste et le grognon © Georg_Soulek
Gregor Bloéb & Dietmar König, l’optimiste et le grognon © Georg_Soulek

Dietmar König en « Nörgler », le grognon, a des difficultés à trouver le ton : il proteste, il met le doigt avec vigueur sur les questions qui fâchent, mais en même temps il apparaît bien pâle, et c’est surprenant pour un acteur de cette trempe.

Christoph Krutzler  © Georg_Soulek
Christoph Krutzler et la Postmusik© Georg_Soulek

 

Signalons aussi Christoph Krutzler, fabuleux dans son texte en dialecte viennois, ou le jeune Sven Dolinski, très juste et très vif.
J’avais de cette pièce un souvenir éblouissant, avec ses allusions à l’Apocalypse joyeuse (l’expression est de Hermann Broch), son va et vient entre drame et opérette, et cela m’avait stimulé dans de nouvelles lectures, comme les poèmes de Georg Trakl, que Karl Kraus a soutenu. Il est étrange d’ailleurs que toute la Vienne de cette époque ne soit pas mieux valorisée en France, beaucoup moins qu’en Italie, où la culture Mitteleuropa est bien présente ; Trakl par exemple devrait être plus lu, vu son importance dans la littérature du XXème siècle. Je me souviens avoir vu  un magnifique spectacle miniature sur Blaubart (Barbe Bleue), des fragments de Trakl pour une pièce de marionnettes, dans les combles du Burgtheater de Vienne, mis en scène par Cesare Lievi: un pur chef d’œuvre…

Bref, le côté Vienne chante et danse sur  le Titanic n’apparaît jamais ici, sinon par la présence lourde de la fanfare de la « Postmusik Salzbourg » , sensée donner une image grinçante, n’est pas suffisamment utilisée pour vraiment installer une ambiance, et elle apparaît presque gênante. Un travail trop sérieux, sans grande distance, et trop illustratif.
Texte aplati, ambiance monotone et monocorde, manque de respiration, manque de sens aussi font une soirée bien terne. Karl Kraus attend visiblement encore son interprète d’aujourd’hui. [wpsr_facebook]

Die letzten Tage der Menschheit, Salzburg 2014 © Georg_Soulek
Die letzten Tage der Menschheit, Salzburg 2014 © Georg_Soulek

SALZBURGER FESTSPIELE 2014: DER ROSENKAVALIER de Richard STRAUSS le 5 AOÛT 2014 (Dir.mus: Franz WELSER-MÖST; Ms en scène: Harry KUPFER)

Acte I © Monika Rittershaus
Acte I © Monika Rittershaus

Souvenirs…souvenirs..
Aujourd’hui, je vais rarement entendre un Rosenkavalier. Trop de larmes versées au trio final, trop de souvenirs éblouissants, Kleiber bien sûr…et Gwyneth Jones, et Popp (encore et toujours) et Fassbaender…je n’ai jamais eu droit à la médiocrité dans cette œuvre.
Revoir un Rosenkavalier, c’est donc pour moi forcément et peut-être plus que pour d’autres titres, convoquer l’armée des Ombres.
Ma première fois à Salzbourg fut il y a 35 ans, en 1979. Dans les spectacles, un Rosenkavalier (dir.Christoph von Dohnanyi) avec Gundula Janowitz, Lucia Popp, Yvonne Minton et Kurt Moll…ça marque, d’autant qu’à Paris on avait eu les mêmes à deux détails : Christa Ludwig à la place de Gundula Janowitz et Horst Stein à la place de Dohnanyi. C’était l’époque où Paris avait des chanteurs médiocres, heureusement, Nicolas Joel vint…
Mon dernier Rosenkavalier salzbourgeois fut la production Wernicke en 1995 (revue ensuite à Paris et à la Scala) avec Cheryl Studer et Lorin Maazel en fosse, et ce n’était pas si mal, même si le reste de la distribution (sauf l’Octavian d’Ann Murray, bouleversant) restait très en retrait…
Allez, je suis perdu dans mes fantômes et je ne résiste pas à vous évoquer mon premier Salzburg, en 1979, Aida (Karajan – dir et ms- Freni, Raimondi, Ghiaurov, Carreras, Horne), Ariane à Naxos (Böhm, Dieter Dorn, Behrens, King, Berry, Gruberova), Clemenza di Tito (Levine, Ponnelle, Malfitano, Neblett, Hollweg, Troyanos ), Zauberflöte ( Levine, Ponnelle, Talvela, Tappy, Van Dam, Donat, Cotrubas) et ce Rosenkavalier…ce fut une fin d’août éblouissante, continuée par une semaine à Vienne (en places debout, grosso modo 70 Francs pour 7 soirs) avec IXème de Beethoven par Bernstein, concert vocal de gala avec toutes les gloires de l’époque (toutes, Nilsson, Caballé, Rysanek, Carreras, Domingo Cappuccilli  et d’autres), avec une Tosca avec Rysanek, Carreras et Milnes etc… Pour parodier le titre d’un spectacle de Mortier à Salzbourg Ombra Felice que d’ombres heureuses….

J’étais heureux l’autre soir d’écouter Franz Welser-Möst, un chef qui excelle dans Strauss (il choisit Rosenkavalier pour ses adieux à Zurich, avec Nina Stemme en Maréchale),  curieux d’entendre Krassimira Stoyanova dans un rôle où on ne l’attendait pas forcément -mais elle commence à aborder le répertoire allemand (Ariadne, et bientôt Eva à Bayreuth)-, et de voir ce qu’en faisait Harry Kupfer, un de mes metteurs en scène favoris dans les années 80.
Dire que je suis sorti enthousiaste et bouleversé serait mentir.  Bouleversé jamais, très peu d’émotion émerge de ce Rosenkavalier. Non que la direction de Franz Welser-Möst soit froide, non que la mise en scène de Kupfer ne mette pas en condition, mais la chimie émotionnelle ne prend jamais, je pense que c’est dû au choix des voix et aux équilibres sonores.
Musicalement, la direction de Franz Welser-Möst est d’une grande précision, très dynamique, et fait émerger une splendeur sonore presque surprenante à certains moments: j’ai rarement entendu un prélude du troisième acte d’une telle virtuosité, confinant au sublime. Les Wiener y sont pour beaucoup et notamment les cordes et les bois, tout à fait extraordinaires. Cette direction très « carrée » ne se complaît pas dans la Schlagobers (la crème chantilly) viennoise, elle n’est pas décorative, ne se laisse pas aller au sentimentalisme. Le premier acte est joué très fort, trop fort pour mon goût, on entend les chanteurs quelquefois avec peine, d’autant que bonne partie du premier acte est constituée de conversation, de moments de solitude, de moments de méditation (notamment pour la Maréchale), et que le volume de l’orchestre, conjugué à la nature de la voix de Krassimira Stoyanova, fait qu’on entend peu les nuances du chant, les notes modulées, les couleurs. Sophie Koch, qui a un aigu triomphant et sonore, s’en sort mieux, si l’on considère l’aigu primordial dans un acte où la couleur vocale est si importante, où les nuances doivent être perceptibles et pas seulement les notes poussées. Même Günther Groissböck , un chanteur dont la voix ne pose pas de problèmes de volume n’est pas toujours vraiment audible. Ne parlons pas du chanteur italien, Stefan Pop, qui dans la mise en scène imite Pavarotti (long mouchoir blanc à la main), et ne s’impose pas plus vocalement, avec de l’aigu mais une voix petite (même s’il s’essaie au Duc de Rigoletto, son répertoire est plutôt celui d’un ténor lyrique léger) . Il ne rend pas tout à fait justice à ce qui doit être ici un morceau de bravoure très démonstratif.
Cela va bien mieux du point de vue des équilibres sonores dans les deuxième et troisième acte. Il reste que le premier est l’acte de la Maréchale, et que Krassimira Stoyanova n’arrive pas à dominer le flot orchestral trop présent. Bien sûr cela permet d’admirer le son prodigieux, la chair des cordes, la précision de la flûte et du hautbois, les petits détails de la miniature straussienne qui nous enchantent. Mais cela permet aussi de constater que les cuivres sont bien distraits, suffisamment peu concentrés pour infliger à plusieurs reprises (deuxième acte et surtout troisième) des attaques peu nettes, des notes ratées, bref des scories qui devraient être plutôt rares pour un tel orchestre dans un répertoire qu’il connaît par cœur. Peut-être pêchent-t-ils par excès de confiance et défaut de travail…
Il reste malgré tout qu’à bien des moments, cela fonctionne pleinement, comme dans le duo de la rose, ou toute la partie finale du deuxième acte avec un Groissböck exceptionnel et un orchestre vraiment anthologique.

Die alte Dame (Acte I)  © Monika Rittershaus
Die alte Dame (Acte I) © Monika Rittershaus

La Maréchale de Krassimira Stoyanova est toute de délicatesse. Quand l’orchestre nous permet d’entendre, c’est un peu plus le cas à la fin du premier acte, on entend une voix assise, un phrasé très contrôlé, un vrai souci de la nuance, mais cela reste un peu distant pour mon goût, sans doute la maturation du rôle permettra  dans l’avenir d’être plus convaincante, mais elle n’a pas encore pour mon goût  l’aura nécessaire : elle n’a pas encore vraiment pris ses habits de maréchale.
Sophie Koch est tout à fait à l’aise en revanche dans ses habits d’Octavian, voix bien projetée, aigus sûrs, jeu bien dominé, notamment dans les morceaux en dialecte du troisième acte. J’aimerais là-aussi un peu plus de couleur dans le personnage, un peu plus de nuances, c’est quelquefois tout d’une pièce et cela manque un peu d’émotion. Mais cela reste de très haut niveau, et des trois voix féminines, c’est elle qui domine le plateau et remporte le plus gros succès, mérité, auprès du public.
Mojca Erdmann en Sophie avait fait annoncer un début de refroidissement. Est-ce la raison pour laquelle j’ai trouvé cette voix trop petite, sans consistance et, pour tout dire, sans intérêt ? On peut comprendre que si la voix a des problèmes, les aigus du duo de la Rose sortent avec un peu de difficultés, mais le timbre me paraît sans caractère particulier, la diction sans vraie couleur, le phrasé approximatif. Certes, la mise en scène en fait une adolescente en mal de premier amour, plus petite fille que jeune fille amoureuse, mais le personnage qu’elle rend est sans intérêt, même pas attendrissant. On me rétorquera que j’ai des souvenirs trop prégnants (Lucia Popp !!!), mais même si n’est pas Lucia Popp qui veut, j’en ai entendu d’autres (Donath, Blegen, Archibald) qui avaient une autre personnalité et une tout autre assise.

Acte I: Günther Groissböck (Ochs) et Sophie Koch (Octavian) © Monika Rittershaus
Acte I: Günther Groissböck (Ochs) et Sophie Koch (Octavian) © Monika Rittershaus

L’intérêt de la mise ne scène et du choix des chanteurs vient aussi de ce qu’Harry Kupfer, ayant en main Günther Groissböck et Adrian Eröd, rend ces deux personnages bien plus intéressants et moins traditionnels. Günther Groissböck, qui nous a habitués aux rôles de basse noire (Fafner, Fasolt, Hunding, ou Gessler dans Guillaume Tell) est ici dans un rôle plus souriant, sans être vraiment bouffe. Ce n’est pas le gros paysan sorti de son château décati, il porte haut, élégant dans son costume gris (magnifiques costumes de Yan Tax), et c’est essentiellement dans le comportement, un peu sans gêne et soucieux des usages nobles et notamment du droit de cuissage que le personnage est dessiné.

Cuissage...Acte II Faninal, Marianne Leitmetzrerin, Sophie, Ochs © Monika Rittershaus
Cuissage…Acte II Faninal, Marianne Leitmetzrerin, Sophie, Ochs © Monika Rittershaus

Il n’a rien d’un Falstaff, pour tout dire, il est plutôt jeune (ou au moins le paraît – il porte moumoute) et un peu lâche, dans le paraître plus que dans l’être – dans le fameux duel avec Octavian, il ne sait même pas manier une épée (on est vers 1916-1920, et cela peut se comprendre) et se blesse lui-même sans qu’Octavian n’ait eu à le mettre en garde. Un noble qui s’est laissé vivre dans une Vienne de décadence aristocratique, une Vienne de Gattopardo.

Faninal (Adrian Eröd) trainant ochs blessé... © Monika Rittershaus
Faninal (Adrian Eröd) trainant Ochs blessé… © Monika Rittershaus

Quant à Adrian Eröd, il fait de Faninal un personnage plus consistant que d’habitude, plus élégant, moins pataud. Un chanteur aussi intelligent, aussi raffiné, à la diction aussi élaborée, au phrasé exemplaire, viennois qui plus est, sait aussi imposer sa voix, pourtant pas si grande, car l’art de la projection permet d’être toujours présent. Faninal n’est pas un des principaux personnages, mais il gagne en importance ici.
Mais c’est aussi dans les rôles de complément et de caractère que cette distribution prend aussi intérêt : toute la difficulté d’une distribution aussi nombreuse que celle du Rosenkavalier ne vient pas des rôles principaux, mais de tous les rôles secondaires qui doivent être parfaitement tenus : prenons la Marianne Leitmetzerin de Silvana Dussmann, voilà un bel exemple de choix efficace : le personnage existe, bien planté, avec voix très en place. Même remarque pour l’Annina de Wiebke Lehmkuhl remarquable au troisième acte, et dans une moindre mesure pour le Valzacchi de Rudolf Schasching, et tous les autres (Polizeikommissar de Tobias Kehrer par exemple).
Ainsi musicalement, il y a des réussites, mais les voix féminines principales ne « prennent » pas ensemble, et ne se répondent pas de manière homogène, ce qui nuit à tous les grands moments où elles doivent se montrer dans toute leur splendeur.
Et ce n’est pas faute d’une mise en scène.

Attitudes (Acte III) © Monika Rittershaus
Attitudes (Acte III) © Monika Rittershaus

Harry Kupfer a travaillé sur l’ambiance, et sur les personnages : sa mise en scène est d’abord une Personenregie. Il a choisi de travailler non sur le XVIIIème déjà mythique de Richard Strauss (l’œuvre remonte à 1916), mais sur le XVIIIème viennois relu par la Vienne XIXème et début du XXème. Le décor est bien viennois, des diapositives gigantesques (vidéo de Thomas Reimer), essentiellement de bâtiments du XIXème, une Vienne des façades monumentales néo-baroques comme le Kunsthistorischesmuseum dont on voit quelques galeries, quelques salles et même le Grand Escalier, ou du Prater où Kupfer situe l’auberge du dernier acte, au milieu des montagnes russes et de la Grande Roue. Bref une Vienne que Strauss avait sous les yeux, bien plus que la Vienne de 1740 sensée être représentée. Il faut aussi applaudir au décor somptueux de Hans Schavernoch, qui a trouvé une monumentalité légère (si j’ose dire) de meubles à une échelle un peu exagérée (portes, miroirs), glissant latéralement et changeant les espaces de jeu sans changer l’ambiance. On sait qu’au Grosses Festspielhaus, il faut travailler en latéral (30m d’ouverture et peu de profondeur). L’entrée du Chevalier à la Rose au IIème acte se fait donc non traditionnellement par l’utilisation d’un grand escalier d’honneur, ou par une entrée centrale, mais en diagonale, Octavian entrant au fond à jardin et Sophie étant en premier plan à cour. Entrée magnifiquement réglée, où tout est dit en une seconde, la seconde d’arrêt qu’Octavian a en entrant en scène, une seconde fixe et le coup de foudre est accompli.

Acte III, trio © Monika Rittershaus
Acte III, trio © Monika Rittershaus

Ça c’est Kupfer, avec sa précision dans les gestes (comme ces longs regards initiaux de la Maréchale dans son miroir au début du premier acte) où la géniale trouvaille du double banc dos à dos pour le parc du trio final du troisième acte , la Maréchale debout, prête à laisser la place, et les deux jeunes gens réunis sur le banc, ou le ballet des deux tourtereaux autour du banc avant de se réunir : tout cela est vraiment magnifiquement réglé, avec une élégance, une vérité où on lit les grandes mises en scène. Sans parler du duel Octavian/Ochs et de toute la manière dont est réglée cette deuxième partie du second acte, calquée en version souriante sur celle de l’acte II de Tristan (Octavian « amène » Sophie à Ochs, ils se rencontrent, duos (il y en a deux) dont le deuxième interrompu au bon moment par Annina et Valzacchi, puis intervention de Ochs, la basse (comme Marke) avec son Eh ! bien Mam’zelle qui entame un monologue Dans Tristan, c’est Tristan qui se jette sur l’arme, ici, c’est Ochs qui dans la version Kupfer, se blesse. Une dramaturgie inversée, en version bouffe, d’un motif dramaturgique à mon avis bien présent dans les intentions d’Hoffmannsthal.

Acte III, lever de rideau © Monika Rittershaus
Acte III, lever de rideau © Monika Rittershaus

Même très beau réglage de la scène de l’auberge, avec son magnifique décor sur fond de forêt, léger, mais significatif : quelques meubles, un lit, une table, à échelle d’homme cette fois, le tout dans une ambiance à la fois bucolique et heureuse, et festive,  avec des mouvements et des scène de foules réglées avec une précision et un sens des attitudes vraiment remarquables : toutes les attitudes des personnages sont travaillées au cordeau d’ailleurs, les moindres, comme l’importance relative donnée à Leopold, rôle muet (Rupert Grössinger) dont la présence est forte en scène et qui joue le valet (trop) curieux et les plus importants, comme la Maréchale, dont gestes,  pas,  manière de se retourner, sont étudiés:  tout cela est d’un maître qui sait que le vrai théâtre, c’est le produit du travail le plus millimétré et que c’est quand le geste est le plus travaillé qu’il paraît le plus naturel (merci Diderot)…

Ochs fin de l'acte 2, chantant "Mit mir"  © Monika Rittershaus
Ochs fin de l’acte 2, chantant “Mit mir” © Monika Rittershaus

Voilà une mise en scène « classique » si l’on veut dans le sens où le concept général n’est pas extérieur à l’œuvre, et qui travaille sur les personnages, en en faisant des personnages contemporains de Strauss et sur le fil des relations qu’ils entretiennent : il fait un Octavian qui doute jusqu’au bout, Sophie ? la Maréchale ?, avec une Maréchale qui choisit non la vieillesse, mais l’avenir. Kupfer lui met une perruque « Charleston » là où à la générale il lui avait fait sa coiffure très « Alte Dame », vieille dame. Ainsi, il fait une Maréchale qui va choisir l’avenir et qui s’amusera (d’ailleurs, elle a déjà une très belle voiture dans laquelle elle fait monter un Faninal plus jeune que d’habitude, on imaginerait presque)…Quant à Sophie et d’Octavian, comme tout premier amour, il est promis à évolution. Bref, cette fin mélancolique sonne plus comme un à suivre…de tous les personnages, et ça, c’est tout l’art de Kupfer de le faire sentir subtilement sans être démonstratif. C’est là le grand signe de l’intelligence.
Ce Rosenkavalier aurait pu sans doute faire partie des spectacles qui comptent, dans une production éminemment raffinée et intelligente qui mérite de faire date et d’être reprise. Mais l’alchimie n’est pas une science exacte, et il faudra attendre encore pour trouver le chant philosophal.
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Final  © Monika Rittershaus
Final © Monika Rittershaus

 

 

SALZBURGER FESTSPIELE 2014 (PFINGSTEN): LA CENERENTOLA de Gioacchino ROSSINI le 5 JUIN 2014 (Dir.mus:Jean-Christophe SPINOSI; Ms en scène: Damiano MICHIELETTO) avec Cecilia BARTOLI

Cecilia Bartoli, rondo final © Silvia Lelli
Cecilia Bartoli, rondo final © Silvia Lelli

Cecilia Bartoli est à la fois directrice artistique, prolongée jusqu’en 2016 et vedette du Festival de Pentecôte de Salzbourg, traditionnellement dédié au répertoire baroque et construit en ce moment sur mesure pour la star italienne. Depuis deux ans, elle a proposé des pièces du grand répertoire (l’an dernier Norma, cette année Cenerentola) accompagnées par un orchestre d’instruments anciens, un « retour aux sources », dit-elle. C’était l’an dernier la formation baroque de l’Opéra de Zürich, l’Orchestra La Scintilla, c’est cette année l’Ensemble Matheus dirigé par son chef Jean-Christophe Spinosi.
La présence d’orchestres français dans la fosse salzbourgeoise n’est pas si fréquente, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Dispositif d'ensemble © Silvia Lelli
Dispositif d’ensemble © Silvia Lelli

La mise en scène a été confiée à Damiano Michieletto, qui commence à essaimer sur les grandes scènes internationales, et la distribution est évidemment dominée par Cecilia Bartoli en Angelina, un rôle qu’elle a beaucoup chanté et qu’elle a aussi enregistré, par le ténor mexicain Javier Camarena en Ramiro, et par le baryton Nicola Alaimo en Dandini.
Une production annonciatrice de succès, ce qui fut, et un succès même triomphal.
La présence d’un orchestre d’instruments anciens enrichit-il notre vision de l’œuvre? J’avoue avoir mes doutes à ce propos. L’an dernier, je n’ai pas été trop surpris par Norma ni même dérangé, par rapport à la version habituelle avec un orchestre traditionnel. Cette année, j’avoue que mon oreille habituée à d’autres sons et à un autre Rossini a été un peu perturbée : certes, Spinosi mène l’ensemble avec beaucoup d’énergie très démonstrative, mais je trouve que les rythmes (notamment dans l’ouverture) s’en ressentent, que la fluidité s’en ressent, et que le rééquilibrage cordes/vents au profit des vents donne un son très différent et pas forcément plus intéressant que dans la version traditionnelle. Est-ce dû à l’acoustique ? à la place où j’étais ? J’ai par exemple trouvé que la flûte solo avait un petit air d’acouphène très désagréable. Le son d’ailleurs était assez mat dans l’ensemble, et souvent l’orchestre se faisait trop discret au profit du plateau. J’avoue avoir été « formé » ou « formaté » à l’excellente interprétation que Lopez-Cobos en donna jadis à Paris (avec en alternance Teresa Berganza et Frederica von Stade, excusez du peu) puis avec Abbado dans la production Ponnelle, désormais légendaire, mais aussi par l’enregistrement de Chailly (avec Bartoli) dans une version un peu plus rèche que celle d’Abbado, qui reste pour moi dans Rossini la référence. J’ai trop entendu son Rossini léger, clair, rythmé, aux crescendos incroyables (ah, le final du 1er acte…quelle frustration !), pour être séduit par ce son mat, ce manque de clarté ou de lisibilité (pour mon goût), même si certains moments m’ont plu notamment dans le second acte et que j’ai trouvé le continuo magnifiquement réussi, de justesse, de rythme, de présence discrète (Felice Velanzoni au pianoforte, Claire Lise Demettre au violoncelle , Thierry Runarvot à la contrebasse)

Angelina acte I © Silvia Lelli
Angelina acte I © Silvia Lelli

Certes, dans une mise en scène certes très « fun », mais où les aspects dramatiques et sombres notamment au début ne manquent pas (ne pas oublier que Cenerentola est un melodramma giocoso), un son moins clair, moins lumineux pouvait se comprendre. Dans l’ouverture notamment, il y a de la part du chef un parti pris plus saccadé pour accompagner le plateau et correspondre point à point aux gestes et aux mouvements voulus par le metteur en scène, et une manière sympathique de s’engager dans le spectacle (notamment lorsqu’au début du second acte, Alidoro lui envoie une flèche qui le transperce : Spinosi s’en donne à cœur joie pour le plus grand bonheur du public), tout cela contribue évidemment à la bonne humeur générale.
Mais c’est la mise en scène qui soutient l’ensemble et non l’orchestre.
Il est évident aussi que cet orchestre plus sourd ne pouvait que convenir à la voix de Cecilia Bartoli, dans une salle à l’acoustique idéale pour elle. Mon sentiment est donc mitigé ; l’expérience reste seulement pour moi une expérience.
Le plateau était dans l’ensemble plutôt homogène et très équilibré : il faut pour Rossini un engagement vocal et musical exceptionnels, une technique très maîtrisée, notamment dans la diction, et les rythmes, et il faut que les chanteurs s’amusent, sans quoi le soufflé retombe. Le sextet Che sarà du second acte, où toute la distribution est enfermée par Alidoro dans un rouleau de plastique adhésif  est l’un des meilleurs moments où cette homogénéité est mise en valeur.

Dandini (Nicola Alaimo) et les deux soeurs Clorinda (Lynette Tapia) à dte et Tisbe (Hilary Summers) à gche © Silvia Lelli
Dandini (Nicola Alaimo) et les deux soeurs Clorinda (Lynette Tapia) à dte et Tisbe (Hilary Summers) à gche © Silvia Lelli

Le travail de Michieletto est tellement précis, tellement intelligent, tellement juste, que chacun est scéniquement à sa place. Les deux sœurs Clorinda (Lynette Tapia) et Tisbe (Hilary Summers) sont par exemple désopilantes, d’une incroyable justesse, d’un engagement scénique irréprochable, l’une Clorinda avec sa voix un peu nasale et l’autre Tisbé à la voix d’alto tellement profonde qu’on ne serait pas étonné que ce fut un homme déguisé, d’autant que, physiquement à l’opposé l’une de l’autre, elles composent une de ces paires impossibles qui ne peuvent qu’avoir effet sur le public. Mais voilà, quand elles jouent, c’est parfait, mais dès qu’elles chantent, c’est moins précis, moins en rythme, et quelquefois aux limites de la justesse (notamment Hilary Summers trop rauque, même si elle s’en sert avec brio). L’Alidoro de la jeune basse Ugo Guagliardo est très efficace scéniquement lui aussi, d’autant que dans la vision de Michieletto il est le personnage toujours présent en scène qui manipule toute l’action. Même si le timbre est pour mon goût un peu trop jeune pour le rôle, la voix a une belle couleur, et la prestation est très honorable.

Nicola Alaimo (Dandini) et Cecilia Bartoli © Silvia Lelli
Nicola Alaimo (Dandini) et Cecilia Bartoli © Silvia Lelli

Le Dandini de Nicola Alaimo est irrésistible de présence. On connaît ce baryton, neveu de Simone Alaimo, qu’on a vu à Paris dans Dandini et Melitone de La Forza del Destino. Belle technique, belle présence scénique, un vrai baryton de caractère à la voix plutôt puissante, avec un vrai contrôle sur la voix, qui dessine un personnage désopilant de Prince vulgaire et excessif.

Enzo Capuano (Magnifico) et Cecilia Bartoli (Angelina) © Silvia Lelli
Enzo Capuano (Magnifico) et Cecilia Bartoli (Angelina) © Silvia Lelli

Enzo Capuano en revanche est un peu décevant dans Magnifico : certes, lui aussi est scéniquement d’une rare justesse, dans son personnage de père méchant, voire violent, et pas vraiment la basse bouffe et presque inoffensive qu’on a l’habitude de voir. J’ai encore le souvenir de Paolo Montarsolo qui dans son monologue initial Miei ramponi femminini faisait crouler la salle. C’est la mise en scène qui impose un personnage plus négatif que le clown qu’était Montarsolo jadis, mais vocalement il ne réussit pas à s’imposer pour mon goût, même si scéniquement il est remarquable.

Javier Camarena est un Ramiro exceptionnel, dans la tradition des ténors latinos qui depuis Luigi Alva ont toujours été de grands rossiniens. La voix est ductile, puissante, et si le personnage reste un peu pâlichon (mais c’est aussi la couleur voulue par Rossini), la présence vocale est telle dans les airs qu’il remporte un immense triomphe, à l’égal de Bartoli. Un moment merveilleux de suavité musicale et de style, de très grand style même.
Reste Cecilia Bartoli, très familière du rôle, qu’elle reprend après avoir fréquenté d’autres répertoires ou un Rossini plus sérieux (Desdemona d’Otello par exemple). Les agilités de l’air final « Non piu’ mesta » sont étourdissantes, les cadences acrobatiques. On connaît cette Bartoli-là qui est un feu d’artifice irrésistible.

Enzo capuano (Magnifico) et Angelina (Cecilia Bartoli) © Silvia Lelli
Enzo capuano (Magnifico), Angelina (Cecilia Bartoli) et Ramiro (Javier Camarena) © Silvia Lelli

Mais dans la ligne de sa Norma de l’an dernier, c’est son sens dramatique aigu qui m’a frappé et c’est là ce qui m’a peut-être le plus ému : une Angelina quelquefois déchirante, discrète, modeste, d’une étonnante justesse en bref un vrai personnage à la fois émouvant, mais aussi énergique, qui ne s’en laisse pas compter. On reconnaît les très grands à leur capacité à vous étonner et à être là où on ne les attend pas : Cecilia Bartoli est de ceux-là.
Mais le plateau et l’orchestre n’auraient peut-être pas remporté l’immense triomphe qu’ils ont connu à Salzbourg sans le travail de Damiano Michieletto, qui donne sens à l’ensemble et qui porte complètement la soirée. C’est à mon avis lui la clef de voûte et qui va n’en doutez pas, faire courir le public cet été à Salzbourg. On connaît la technique de Michieletto : de la transposition naît la lumière. Il éclaire les livrets par une vision d’aujourd’hui (rappelons Un Ballo in maschera de la Scala vu comme une campagne électorale à l’américaine par exemple).
Ici toute l’action est transposée dans un bar-buffet à l’américaine (ce pourrait d’ailleurs être en Sicile ?) un peu cheap, tenu par un Magnifico qui a tout d’un émigré italien avec ses deux filles oisives et pestes, et Angelina qui fait tout le boulot : laver les sols, nettoyer les tables, servir les clients. La situation est donc respectée.

Au palais apparition d'Angelina © Silvia Lelli
Au palais apparition d’Angelina © Silvia Lelli

On passe ensuite au Palais, vu comme un bar de luxe, divans, lumières tamisées, jardin, fréquenté par l’aristocratie locale, structuré comme le bar de Magnifico mais en version luxe, avec l’apparition d’Angelina en star hollywoodienne qui m’a rappelé Audrey Hepburn. Ainsi les deux moments sont-ils d’une lumineuse clarté dramaturgique, d’une belle lisibilité et d’une grande logique.

Alidoro descend du ciel (image initiale) © Silvia Lelli
Alidoro descend du ciel (image initiale) © Silvia Lelli

Toute l’action est pilotée par Alidoro, sorte de magicien qui gère les lieux, les gens, les lumières, qui crée les situations, génie invisible ou visible selon les moments, et qui arrive dès l’ouverture comme descendu du ciel. C’est lui le deux ex machina, c’est lui le génie, le magicien d’Oz, sorte d’enfant grandi trop vite avec son petit costume blanc et son Bermuda. Une sorte de vision du bon génie qui créé les situations où les méchants se confirment et où la bonté d’Angelina éclate.
Alors, changements à vue, décor à transformations, changements de lumières très efficaces d’Alessandro Carletti et utilisation très réussie de la vidéo, qui contribue à éclairer l’intrigue, tout cela file avec une grande fluidité.  Avec évidemment des moments désopilants, qui provoquent applaudissements à vue, et une vraie joie du public.
Le rythme, la couleur, les contrastes, tout dépend de ce travail scénique d’une incroyable précision, d’une très grande tenue, et en même temps d’une justesse dans la transposition qui éclaire l’intrigue sans jamais casser l’histoire : Michieletto en bon italien a son Rossini dans le sang, mais il a su aussi en tirer des éléments moins souvent valorisés, comme la violence subie par Angelina, et la pointe tragique qu’on lit pendant le premier acte, une pointe de serio dans cette fête du giocoso. Un spectacle complet, une vision à la fois traditionnelle et renouvelée, une ambiance poétique par l’image finale où tous lavent les sols, pendant qu’Angelina, de blanc vêtue, chante son rondo, rythmée par les bulles de savon qui envahissent la scène, à la fois issues du nettoyage général et du rêve de la jeune fille. Monsieur Propre au pays des Fées. [wpsr_facebook]

Effets vidéo © Silvia Lelli
Effets vidéo © Silvia Lelli

 

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2014: ARABELLA de Richard STRAUSS le 21 AVRIL 2014 (Dir.mus: Christian THIELEMANN; Ms en scène: Florentine KLEPPER)

Acte II © Osterfestspiele Salzburg/Forster
Acte II © Osterfestspiele Salzburg/Forster

Le Festival de Pâques de Salzbourg ne vit pas de subventions, mais essentiellement de sponsors et de billetterie. Pour survivre à ce niveau et attirer le public qui paie, nécessité fait loi : il faut les plus grands noms.Du temps de Karajan, pas de problème..au seul bruit de son nom….Du temps d’Abbado, il avait fallu quelques années pour reconquérir les abonnés. L’arrivée de Rattle avait fait chuter les cours, et le départ des Berlinois fut un rude coup pour un festival qui avait bâti sa réputation autour de la présence des Berliner Philharmoniker, qui une fois par an s’installaient dans la prestigieuse et légendaire fosse.Les Berliner essaient d’attirer le même public (qui n’est pas extensible) à Baden-Baden, et donc désormais les deux festivals s’arrachent les vedettes : cette année à Salzbourg Harteros, Fleming, Hampson, Pollini, et Westbroek à Baden-Baden. L’an prochain, Baden-Baden affiche Harteros, et Salzbourg affichera deux fois Jonas Kaufmann, dans le Requiem de Verdi, et dans CAV/PAG : Thielemann dans du vérisme, c’est une curiosité esthétique.

Renée Fleming & Hanna-Elisabeth Müller
Renée Fleming & Hanna-Elisabeth Müller

Arabella, au programme cette année, affichait donc une impeccable distribution sur le papier : Renée Fleming, désormais la référence d’aujourd’hui dans ce rôle, Thomas Hampson prestigieux chanteur qu’on attend cependant pas dans le rustre Mandryka, et Albert Dohmen dans le comte Waldner et Gabriela Beňačková dans la Comtesse Adelaïde. Christian Thielemann est considéré comme l’un des très grand spécialistes de Strauss aujourd’hui et la Staatskapelle de Dresde l’une des trois ou quatre phalanges de référence en Allemagne.
Pourtant, après la représentation et même après trois semaines (je suis horrifié des retards dans mes comptes rendus : ah ! si la vie au quotidien se limitait au blog…), il reste peu de traces sensibles de cette soirée. Les souvenirs ne sont pas amers, ils sont indifférents.

Dispositif (acte I) de Martina Segna © Osterfestspiele Salzburg/Forster
Dispositif (acte I) de Martina Segna © Osterfestspiele Salzburg/Forster

D’abord, la mise en scène de la jeune Florentine Klepper, metteur en scène qui vient de faire un Fliegende Holländer à Dresde avec à son actif de nombreux travaux autour du plus contemporain Musiktheater. mélange un classicisme de bon aloi (au premier plan) dans des décors début de siècle de Martina Segna, et propose en arrière plan des images plus rêvées, moins réelles, plus chorégraphiées et plus mimées qui n’ajoutent pas grand chose à l’œuvre (à moins qu’elles se veuillent poétiques : si c’est le cas, c’est raté). Si l’espace n’est pas mal géré, sur cette scène toute en largeur de Salzbourg, il ne se passe rien, et les chanteurs sont globalement livrés à eux mêmes. Mais c’est un bon travail si on veut garder cette production 15 ans en magasin pour du répertoire, ce qui ne manquera pas d’arriver à Dresde : dans quinze ans, elle n’aura rien gagné ni rien perdu : fade aujourd’hui, fade demain.

Zdenka (Hanna-Elisabeth Müller) © SN/APA/NEUMAYR/MMV
Zdenka (Hanna-Elisabeth Müller) © SN/APA/NEUMAYR/MMV

La distribution excitante sur le papier se révèle réussie là où on ne l’attend pas : cette Arabella révèle une Zdenka magnifique , Hanna-Elisabeth Müller, une voix que j’avais déjà remarquée à Munich dans La Clemenza di Tito, et qui interprète une Zdenka fraîche, à la voix claire, à la diction parfaite, à la projection solide, et à l’aigu triomphant : cette présence et cet engagement ont marqué le public qui lui a offert un authentique triomphe, le plus grand de la soirée.

Zdenka (Hanna-Elisabeth Müller) & Matteo (Daniel Behle) © Osterfestspiele Salzburg/Forster
Zdenka (Hanna-Elisabeth Müller) & Matteo (Daniel Behle) © Osterfestspiele Salzburg/Forster

Et son Matteo, Daniel Behle, lui répond en écho : voix claire, parfaitement scandée, projection impeccable, présence remarquée, et beaucoup de style. Tous deux forment le couple vedette.

Dohmen et Beňačková ont une belle présence et encore un bel organe dans le rôle des parents indignes, mais sympathiques au demeurant, mais celle qui par sa présence, par sa silhouette une fois de plus emporte l’adhésion est Jane Henschel, même dans le rôle très épisodique de la tireuse de cartes.

Fiakermilli (Daniela Fally) © Osterfestspiele Salzburg/Forster
Fiakermilli (Daniela Fally) © Osterfestspiele Salzburg/Forster

Fiakermilli est Daniela Fally, la soprano colorature en troupe à Vienne préposée à tous les rôles qui furent ceux de Dessay quand elle était elle aussi en troupe dans la « Haus  am Ring », et elle obtient un joli succès dans un rôle qui l’a lancée, justement à Vienne, mais avec Franz Welser-Möst au pupitre. Quant aux rôles de complément, et surtout les trois soupirants, ils sont tous trois impeccables il faut dire que ce sont des soupirants de luxe : Elemer est Benjamin Bruns, désormais à l’orée d’une belle carrière, Dominik Derek Welton et Lamoral l’excellent Steven Humes, basse wagnérienne bien connue.

Thomas Hampson & Renée Fleming © SN/APA/NEUMAYR/MMV
Thomas Hampson & Renée Fleming © SN/APA/NEUMAYR/MMV

Reste les deux vedettes : Thomas Hampson, traverse une période difficile, annulations, fatigue, virus. Les premières répliques montrent une voix claire et veloutée, on retrouve l’Hampson élégant qu’on aime. Mais peu à peu la voix disparaît dans le flot symphonique de l’orchestre (très fort, on le verra) de Christian Thielemann, on l’entend de moins en moins et notamment dans la fameuse altercation de l’acte II. La voix ne porte plus, sans éclat, sans écho. C’est triste pour un tel artiste qu’on aime.
Renée Fleming a une voix crémeuse, dit-on dans les salons parisiens qui comptent. Crémeuse comme la Schlagobers qui couvre les gâteaux de Demel à Vienne. Crémeuse, qui atténue toutes les aspérités, qui fond dans l’oreille comme dans la bouche.
Je ne sais si l’adjectif convient à une chanteuse d’opéra : on aime aussi quelques aspérités et quelque amertume dans l’océan de crème. De fait, Renée Fleming, qui a une voix extraordinairement belle et pure, n’a jamais été pour mon goût une chanteuse intéressante. Elle est belle et pure, cette voix, comme une autoroute toute neuve avec de jolies lignes des viaducs et sur laquelle on file en toute sécurité.
J’aime les voix plus accidentées, plus vivantes, plus vibrantes (il est vrai qu’une voix crémeuse n’a pas intérêt à vibrer…), celles qu’on entend respirer, celles qui incarnent et qui ne s’appliquent pas seulement à chanter, même parfaitement.
Mais cette fois-ci, de plus, pardonnez-moi cette méchanceté, la crème avait un peu tourné, elle avait ses acidités dangereuses et aussi bien dans la projection, que dans certains aigus difficiles, on était assez loin de la crème. L’orchestre, très fort, je l’ai déjà dit, la couvrait souvent,  et on entendait nettement les difficultés dans l’homogénéité de cette voix dont c’était naguère l’une des qualités essentielles. Une prestation bien en deçà de l’attendu, de l’espéré, de la réputation de la star. Le succès a été un très bon succès d’estime, mais pas le triomphe qu’on pouvait attendre.

Renée Fleming & Gabriela Beňačková © Osterfestspiele Salzburg/Forster
Renée Fleming & Gabriela Beňačková © Osterfestspiele Salzburg/Forster

L’écrin de tout cela était l’orchestre mené par Christian Thielemann. Un son particulier, très fouillé, très clair, très structuré, un rendez-vous avec l’exactitude et la métrique, mais sans legato, sans laisser aller, sans jouissance du son comme on attend quelquefois chez Strauss, sans cette légère complaisance dans laquelle on se roule et qui fait monter au paradis, comme dans certains Strauss de Böhm, Sawallisch ou évidemment Karajan. Et en plus, un volume étonnamment gonflé, au point que certains inconditionnels ont pensé qu’il voulait couvrir les voix des protagonistes pour ne pas qu’on entende leurs failles.
En somme, j’ai entendu une Arabella sans poésie ni amour, sinon l’amour de la géométrie sans celui la finesse. Thielemann donne à son orchestre beaucoup de rutilance, mais sans souplesse. La qualité de l’orchestre n’est pas en cause, mais ce qui en est fait, dans les équilibres entre les pupitres, dans le refus de se laisser aller aux cordes, même si certains moments restent sublimes. Mais le fameux duo Zdenka/Arabella qui devrait être une fête étourdie du son, avec deux voix de femmes sublimes et un orchestre raffiné et poétique derrière, n’est sublime que par Zdenka dont la voix explose d’émotion. Arabella et l’orchestre suivent derrière, sans pouvoir rattraper.

Et pour moi, une Arabella sans amour, où le sentiment n’est pas là où on l’attend, n’est pas une Arabella. Je suis resté sur ma faim.
Anja Harteros à Munich l’an prochain ? avec Jordan dans la fosse. Espérons, attendons, rêvons…[wpsr_facebook]

Arabella, Saluts: 21 avril 2014
Arabella, Saluts: 21 avril 2014

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2014: STAATSKAPELLE DRESDEN DIRIGÉE PAR CHRISTIAN THIELEMANN LE 18 AVRIL 2014 (RIHM, STRAUSS, MOZART)

Concert du 18 avril 2014
Concert du 18 avril 2014

Il y a des rituels qui dépassent la simple occasion d’entendre de la musique, des moments installés dans des parcours de vie auxquels on peinerait à manquer. Même sans Karajan, même sans Abbado (auquel le programme rend hommage, comme directeur artistique du Festival de 1994 à 2002), et même sans les Berliner, on continue d’aller au Festival de Pâques de Salzbourg, parce que c’est l’occasion de retrouver des amis, du genre « même heure l’année prochaine », c’est l’occasion de se réunir autour de quelque bière ou de quelque Strudel, c’est l’occasion d’être ensemble, dans cette communauté de mélomanes qui furent jeunes et fringants, qui ont vieilli et qui regardent leur parcours de mélomaniaque avec une nostalgie qu’il vaut mieux partager ensemble.

Ainsi à Salzbourg pour Pâques il y a ceux qui fréquentent Pâques, le cycle 2, et ceux des Rameaux, le cycle 1 : le Festival n’a pas changé ses rites avec le départ des berlinois, il y a ceux qui continuent à être Förderer (mécènes) et ceux qui achètent des billets parmi ceux qui restent, il y a ceux qui ne vont qu’à l’opéra proposé, et ceux qui vont à tout le cycle. Mais à un moment ou l’autre, tout le monde est là.
Le public n’a pas laissé Salzbourg pour suivre Berlin à Baden-Baden (la géographie musicale reste quand même à portée d’autoroute ou de train), même si au parterre il y a de longues files de places inoccupées. Les places sont très chères, et le public n’est pas prêt à débourser de telles sommes sans avoir la garantie du plus haut niveau.
J’aime beaucoup la Staatskapelle de Dresde : j’ai expliqué l’an dernier (voir le blog) combien cet orchestre respire la tradition, avec un son bien à lui, un style de jeu et une personnalité singulières, pas aussi internationalisé que les Berliner aujourd’hui. Mais il reste que j’aime les Berliner, j’y suis trop habitué, même si les musiciens amis prennent tour à tour leur retraite et que l’orchestre se transforme et se rajeunit très vite.
Garder un  étiage de public qui permette de maintenir à flots une telle manifestation, qui fut la plus exclusive au temps de Karajan, financée par les sponsors privés et par la billetterie n’est pas entreprise facile. D’autant que la concurrence (Baden-Baden, Lucerne, et maintenant Aix en Provence) devient rude.
Aussi le programme de l’an prochain, promettant un spectacle populaire, CAV/PAG (Cavalleria Rusticana et I Pagliacci) mis en scène par Philipp Stölzl, plutôt aimé du public germanique et le Requiem de Verdi, tous trois avec Jonas Kaufmann et deux concerts Tchaïkovski/Chostakovitch l’un dirigé par Christian Thielemann et l’autre par Daniele Gatti me paraît susceptible de recueillir un large assentiment et de faire mouvoir ceux qui sont restés chez eux.
Cette année, c’est un peu Wolfgang Rihm, présent dans chaque concert mais avant tout Mozart et Richard Strauss (150 ans oblige…) qui sont à l’honneur : deux compositeurs qu’on a fait souvent dialoguer. Côté Strauss, Metamorphosen, pour 23 cordes solistes, ce soir, et demain samedi 19 Ainsi parlait Zarathoustra et Quatre derniers Lieder, en fait cinq puisque le Festival et la Staatskapelle Dresden ont commissionné Wolfgang Rihm pour orchestrer le tout dernier Lied de Strauss, Malven (avec Anja Harteros), lundi 21 Arabella (avec Renée Fleming), pendant que Christoph Eschenbach dirigera Don Quichotte et Don Juan dimanche 20. Du côté de Mozart, c’est ce soir le Requiem Kv.626, demain le Concerto pour piano et orchestre en ut majeur Kv467 (avec Maurizio Pollini), et dimanche 20, l’ouverture de Don Giovanni Kv527 avec le finale de Ferruccio Busoni. En écho deux pièces de Wolfgang Rihm, ce soir Ernster Gesang (Chant sérieux) pour orchestre (datant de 1996) et dimanche Verwandlung 2, Musique pour orchestre.
La tonalité du concert de ce soir, donné comme celui de mardi dernier (le 15 avril) en mémoire d’Herbert von Karajan à 25 ans de sa disparition, a évidemment a priori une tonalité funèbre, et chacune des pièces proposées est marquée par la question de la mort.
Ce sont les quatre chants sérieux de Brahms op.121, qui ont déterminé la genèse de l’œuvre de Wolfgang Rihm. C’est presque la conclusion du parcours brahmsien, qui met en musique des textes de la Bible (d’où le titre) en un cycle immortalisé aussi bien par Fischer Dieskau que Hans Hotter ou Kathleen Ferrier.
Wolfgang Rihm a composé cette pièce en 1996 sur commission de Wolfgang Sawallisch pour le Philadelphia Orchestra, elle a été créée le 25 avril 1997, il y a presque exactement 17 ans, en prenant comme référence l’œuvre de Brahms, dont on fêtait le centenaire de la mort . Aussi Rihm s’est-il intéressé aux œuvres tardives, et notamment aux quatre chants sérieux (1896). Par ailleurs, son père venait de mourir et son travail a été, dit-il,  fortement influencé par cet événement familial : double paternité, une paternité familiale et une paternité artistique marquent cette pièce. Il va s’appuyer sur les voix de l’orchestre, et notamment les bois, fortement mis en avant et au premier rang. Mais des voix qui excluent tout instrument aigu : ni flûtes, ni violons, ni hautbois, ni trompettes. C’est sur clarinettes, bassons, cors, altos violoncelles notamment que la pièce s’articule en un tissu de phrases entremêlées et superposées, dans une couleur sombre, recueillie, grave. En faisant le rapprochement avec les Metamorphosen pour 23 cordes solistes de Strauss, qui suivent, on a l’impression d’une entreprise de même inspiration. Rihm le voit comme une sorte d’intermezzo méditatif que l’interprétation de Christian Thielemann fouille pupitre par pupitre avec une chirugicale attention, sans toujours créer les liens qu’on sent, mais sans véritablement les entendre ou les voir dessinés. Certes, la qualité des musiciens et notamment des bois et des vents est exaltée, mise en valeur et en relief, mais presque comme des pépites qui peinent à se transformer en bijou. Cela reste pour mon goût assez froid, et en tous cas ne réussit pas à me toucher bien que la pièce m’ait vraiment plu.
Même impression dans les Metamorphosen de Richard Strauss où ne se construit aucun arc interprétatif et où la précision avec laquelle chaque son, chaque pupitre est mis en valeur, ne réussit pas à donner un sens général ni faire naître une émotion. Pourtant, l’œuvre, fortement liée à la fin de la deuxième guerre mondiale, dédiée notamment à tous les théâtres, salles de concert et lieux de culture détruits par des bombardements, Linden-Oper de Berlin, Semperoper de Dresde, Nationaltheater de Munich, Staatsoper de Vienne, est profondément ressentie comme œuvre méditative, quelquefois teintée d’ouverture vers l’avenir, mais fortement marquée par la mort et la couleur funèbre : d’ailleurs, la marche funèbre de l’Eroica de Beethoven est presque toujours sous jacente, et proprement citée à la fin de la pièce. Il est vrai que Strauss, qui  au début des années nazies (1933-35) comme Président de la Reichsmusikkammer (Chambre musicale du Reich) avait un peu frayé avec le régime, en voyait la fin proche (l’œuvre fut achevée  le 12 avril 1945 et créée par Paul Sacher à Zurich le 25 janvier 1946), se remettait en question et contemplait avec désolation les destructions de ces lieux qu’il aimait : il faut donc voir dans ce travail une sorte de complainte amère, un adagio contemplatif, avec au centre une partie un peu plus dramatique, et aussi un peu plus ouverte. C’est à la fois la résignation et la distance du vieil homme octogénaire qu’on lit, d’une couleur un peu pathétique et profondément désolée.
Thielemann, après avoir exalté les bois avec la pièce de Rihm, met ici évidemment en valeur les cordes particulièrement remarquables de la Staatskapelle. Mais une fois de plus, si l’exécution n’appelle aucune remarque technique, l’orchestre, une phalange de très haut niveau, devrait être particulièrement interpellé dans une œuvre qui évoque les destructions de la guerre, vu le tribut que Dresde a payé à la folie des hommes. Cette émotion vécue dans la peau, à fleur de peau de cette ville, qu’on aurait pu entendre par des éléments où un peu de pathos n’aurait pas forcément nui, n’est pas vraiment présente. Le travail de Thielemann est clair et net sur la construction de chaque note, sur la couleur donnée à tel ou tel passage, sans jamais relier les choses par un dessein global. L’exécution ne nous parle pas (disons plutôt elle ne me parle pas), elle se laisse écouter avec cette distance chirurgicale dont je parlais plus haut : le chirurgien ne peut se laisser emporter par l’émotion; s’il veut réussir son opération, il doit garder une distance a-sentimentale nécessaire. C’est ici l’impression qu’on éprouve ; dans ce contexte, comme dans le Requiem de Mozart qui suit, est-il nécessaire de conclure par un long silence qui devient dans les concerts un système : quand Abbado l’imposa c’était tout autre chose et il y avait interaction entre le public et l’orchestre : imité comme souvent, cela devient un tic inutile qui va à l’encontre de ce qu’on entend, et c’est le cas ici, c’est comme un truc de spectacle destiné à faire croire qu’on est ému…
Or ce travail remarquable de précision ne porte jamais en lui du ressenti, mais essentiellement une précision horlogère, soignée, techniquement impeccable qui ne laisse pas d’espace pour le cœur ; c’est dommage car Thielemann est quand même l’un des chefs straussiens de référence.
La dernière fois que j’ai entendu le Requiem de Mozart, c’était à Lucerne avec Claudio Abbado et ce fut un immense moment d’émotion, où l’on recevait un message prémonitoire à fleur de peau. Chair de poule à évoquer un moment pourtant commencé dans l’amertume d’une 8ème de Mahler annulée. Mais il ne faut pas en rester à une interprétation, car aucune n’est définitive, ni fixée dans le marbre : l’oreille doit être disponible, ouverte à tous les possibles (possibilista, disent fort justement les italiens). J’attendais donc avec curiosité ce Requiem.
Dès les premières mesures, on est surpris, voire bousculé par une approche un peu brute d’où toute religiosité est absente. On dit que le Requiem de Verdi est un grand opéra de Verdi. Ici, on entend presque le Mozart des opéras, la Flûte enchantée, quelquefois même des échos des Nozze di Figaro, voire une Messe du Couronnement, un Requiem civil au sens de l’expression Baptême civil, un Requiem qui sonnerait comme un Te Deum, ouvert, dansant, tranchant, quelquefois triomphant. Une sorte de requiem post mortem qui n’aurait rien à voir avec le Vendredi Saint, mais bien plutôt avec les Pâques toutes proches…
Dans ce sens, c’est évidemment intéressant, car on n’a jamais entendu un Requiem sonner aussi terrestre, ni aussi peu mystique ou religieux, et même pas maçonnique. Non, on est dans l’architecture assez froide d’une église de béton, sans arceaux, sans élévation, sans âme, mais avec un esprit de géométrie plutôt horizontal que vertical. Est-ce frustrant? Oui si on attendait un moment d’élévation mystique ou même de sainte révolte (Dies irae). Dans un esprit de disponibilité, sans attente particulière, on vit un moment sans aucune émotion sans doute, mais avec la surprise de l’inattendu d’une exécution qui reste évidemment d’un très haut niveau. L’orchestre nous dit plein de choses pointues et diverses sans jamais nous transmettre une vraie parole.

Cette parole, elle vient du chœur exceptionnel du Bayerischer Rundfunk, (direction Michael Gläser et Peter Dijkstra) entendu la semaine dernière dans Parsifal à Lucerne, qu’on retrouve dans Mozart avec cette intensité phénoménale, ce sens de la modulation, de la diction, ce poids donné à la parole qui est Parole : c’est sans conteste le chœur qui ici porte la religiosité, avec ce contraste étrange entre un orchestre plutôt laïc et un chœur pétri de religieux: est-ce un hasard si c’est le chœur qui a eu un triomphe mérité de tout un public enthousiaste, alors que le succès de l’orchestre, du chef et des solistes a été moins spectaculaire ?
Car le Requiem de Mozart, c’est d’abord un dialogue chœur/orchestre ici un peu tendu par les options différentes de l’un et de l’autre, où les solistes restent en retrait. Pour que les solistes s’imposent, il faut un quatuor de légende. Ce n’est pas le cas ici, où à part Georg Zeppenfeld (lui aussi à Lucerne la semaine dernière dans l’acte III de Parsifal) avec sa voix grave, mais claire, sonnante, très humaine aussi, de cette humanité tendre qui vient du cœur et non de l’outre tombe, qui s’impose comme voix dominante, et dans une moindre mesure, l‘élégant ténor Steve Davislim (malgré une attaque initiale quelque peu tonitruante) , les femmes (Chen Reiss soprano hésitante, à la voix en retrait et la mezzo Christa Mayer, sans vrai caractère) n’arrivent pas à s’imposer, voix pâles, sans grande personnalité, et surtout sans présence, ni charnelle, ni spirituelle.
Au total, et malgré là aussi un silence final de recueillement injustifié vu l’interprétation orchestrale résolument vidée d’une grande partie de sa portée spirituelle, une expérience plus qu’un Moment, avec un orchestre expert, mené avec beaucoup de netteté par Christian Thielemann, mais sans engagement dans l’œuvre.
Je ne peux pas dire que ce Requiem manquait d’intérêt, car il est toujours stimulant de parcourir des chemins inconnus ou inattendus, mais je n’arrive pas à être convaincu de la justesse de ce point de vue, ni surtout de la vision qu’il porte.
Beau concert sans doute, grand concert j’en doute.
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IN MEMORIAM GÉRARD MORTIER (1943-2014)

Gérard Mortier (1943-2014)
Gérard Mortier (1943-2014)

Cette année ne vaut rien pour les mélomanes.
Gérard Mortier, qu’on savait affaibli par un cancer, est décédé. C’est une perte pour l’intelligence, c’est une  perte pour l’opéra, c’est une perte pour l’art. Sa carrière exceptionnelle qui va des Flandres à Paris (où il est dans l’équipe de Liebermann, avec Hugues Gall), qui le porte ensuite à La Monnaie, à Salzbourg, à la Ruhrtriennale, à Paris comme Directeur de l’Opéra et à Madrid, est jalonnée de telles réussites que Salzbourg ne n’est pas encore remis de son départ (en 2001!), et que Paris s’est enfoncé dans le conformisme et la douce médiocrité.
La presse va souligner le polémiste et le provocateur, je préfère évoquer le passionné de théâtre, de modernité, l’explorateur de nouveaux horizons, de rénovateur des scènes lyriques, de découvreur de grands talents. c’est lui qui appelle à l’opéra entre autres La Fura dels Baus, Christoph Marthaler, Dmitri Tcherniakov, Krzysztof Warlikowski. Il va oser Saint François d’Assise de Messiaen avec Peter Sellars, il ose aussi à Paris ce Tristan und Isolde magistral (Sellars Viola) qui ne cesse de tourner sur toutes les scènes du monde.
J’ai eu le privilège de travailler un peu avec lui il y a une quinzaine d’années, j’ai découvert un passionné, infatigable chercheur de textes, de références,  assoiffé de culture sous toutes ses formes, de discussions intellectuelles: construire une programmation, confier une mise en scène, c’était en amont, lire, comparer, discuter, interroger les textes et les gens, au besoin heurter mais toujours réfléchir, aller plus loin, approfondir.
Oui c’était un Prince, dévoré par son métier, dévoré par l’opéra et comme tous les gens de sa trempe, un grand solitaire. Il avait accepté Madrid parce qu’il avait compris qu’à New York il n’aurait pas d’espace pour faire du New York City Opera la salle qu’il rêvait, et les faits lui ont donné raison: le NYCO a fermé. Et en quelques années, Madrid est devenue une scène de référence: il n’y a qu’à voir quel retentissement a eu la première récente de Brokeback Mountain de Charles Wuorinen.
Nous irons à Madrid en ce printemps pour voir Les Contes d’Hoffmann, mis en scène par Christophe Marthaler et dirigé par Sylvain Cambreling, ce qu’il disait être sa dernière production, et j’irai d’autant plus qu’il m’avait entraîné avec insistance à la Volksbühne de Berlin voir La Vie parisienne du même Marthaler dont il parlait avec feu et avec conviction, ce sera une manière d’hommage .
Il détestait les médiocres et les ignorants: il avait coutume de le leur dire en face; on en avait eu un exemple en septembre dernier à Madrid quand il avait été remercié dans les conditions que l’on sait (voir le blog).
Il a beaucoup donné au monde de l’opéra, il a beaucoup donné au public, et à moi, il a beaucoup appris.
C’est ce qu’on appelle un Maître.
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SALZBURGER FESTSPIELE 2014: LA PROGRAMMATION

Le logo historique du Festival de Salzbourg

L’édition 2014 du festival de Salzbourg a été publiée hier, étrangement (erreur ?) sur le site des archives (http://www.salzburgerfestspiele.at/archiv/j/2014). N’importe, les internautes mélomanes se sont donnés le mot.
Pour cette dernière année de l’ère Pereira, mon œil est fortement attiré par le théâtre : c’est là que j’ai en priorité trouvé matière à voyager. L’édition 2014 a pour thématique le centenaire de la première guerre mondiale, ce qui pour l’Autriche signifia la fin d’un monde : ainsi sera proposé, dans une mise en scène de Matthias Hartmann Die letzten Tage der Menscheit de l’autrichien Karl Kraus, une fresque gigantesque de 800 pages, qui nécessiterait 6 jours de représentations sur la chute de l’Empire Austro-hongrois, la première guerre mondiale, et sur la presse (Karl Kraus était journaliste).

Une vue du Lingotto de Turin pendant “Les derniers jours de l’humanité” de Karl Kraus dans le projet de Luca Ronconi

J’en ai vu en 1990 une édition en italien mise en scène par Luca Ronconi au Lingotto de Turin, huit scènes différentes, deux jours de représentation, un travail totalement fou et inoubliable (à titre d’exemple: les chemins de fer italiens, coproducteurs, avaient prêtés rails et wagons) et Ronconi devait diriger le spectacle d’un point situé à plusieurs mètres de hauteur pour tout dominer (je l’ai vu trois fois : dont une avec Luca Ronconi qui m’a emmené là-haut pour tout voir) on pouvait circuler, sortir, rentrer, aller boire un pot : la vie quoi, le théâtre dans ce qu’il a de plus grand et de plus fou, Ronconi retrouvant la folie de l’Orlando Furioso vu aux halles de Baltard. Ceux qui sont de ma génération se souviennent de l’Orestie à la Sorbonne, du Barbier de Séville de Rossini à l’Odéon, du Ring à Milan, du Perroquet Vert (Al Papagallo verde) de Schnitzler à Gênes en 1978 dans des costumes de Karl Lagerfeld ou de la pièce de Pirandello Die Riesen vom Berge (Les Géants de la montagne) à Salzbourg (en réalité à la Pernerinsel de Hallein) en 1994– au temps de Mortier – avec une époustouflante Jutta Lampe. Luca Ronconi semble bien oublié dans la liste des immenses metteurs en scène de théâtre qu’on cite habituellement : et pourtant, celui qui dirige encore aujourd’hui le Piccolo Teatro de Milan, dans les quarante dernières années  fut l’un des très grands de la scène européenne.

Vous allez sans doute dire que je m’égare, que le sujet, c’est Salzbourg, mais si je commence par le théâtre, si ce titre de Karl Kraus m’a happé, c’est parce que c’est pour moi l’un des grands souvenirs, l’un des phares de ma vie de théâtre. Alors vous imaginez bien que je vais essayer d’aller voir le travail de Matthias Hartmann d’autant que le texte de Karl Kraus, excessif, terrible, prophétique, nous parle aujourd’hui avec une très grande urgence, dans notre monde en proie à la folie et à la perversion médiatiques.
Deuxième phare de l’édition 2014 (en dehors de la reprise de la production de Jedermann de Julian Crouch et Brian Mertes ) Don Juan revient de guerre (Don Juan kommt aus dem Krieg) de Ödön von Horváth dans une mise en scène de Andreas Kriegenburg (le metteur en scène du Ring de Munich), un grand texte, un auteur de référence de la littérature théâtrale du XXème siècle, et un metteur en scène de ceux qui disent des choses ; on ne peut manquer cela.
Que ceux qui hésiteraient à cause de la langue allemande se rassurent : le grand théâtre est toujours accessible et la langue n’est jamais un obstacle (en tous cas il ne faut jamais considérer la langue comme un obstacle) : et l’allemand au théâtre est le plus beau des cadeaux pour un spectateur amoureux des langues.
Une production anglaise mise en scène par Katie Mitchell (mise en scène de Written on skin de Georges Benjamin) autour de la Grande Guerre, The forbidden Zone, de Duncan Mc Millan. La zone interdite est une production multimedia qui décrit la guerre de 14-18 vue par l’œil d’un groupe de femmes, les unes au front, les autres chez elles, qui souligne comment et combien la guerre a marqué leur vie.
Autre production (que les parisiens verront, c’est une coproduction avec l’Old Vic et le théâtre de la Ville) Golem, de Suzanne Andrade d’après le roman de Gustav Meyrink, Golem, paru en 1915, et qui fut un bestseller. Ce roman se lit sur fond de guerre : l’Ensemble1927 transpose l’histoire dans un monde hypertechnologique dont on ne connaît ni les limites, ni le futur, un monde au bord d’un gouffre dont on ne connaît pas le fond.
Ce programme particulièrement fort (composé par Sven-Eric Belchtolf le directeur de la partie théâtre du Festival) est complété par des lectures de textes ou de chansons de la première guerre mondiale (Werd’ich leben, werd’ich sterben ? – vais-je vivre, vais-je mourir ?-) ou cette lecture du livre de l’historien Peter Englund Schönheit und Schrecken -beauté et horreur-, la première guerre mondiale racontée par 19 destins dont les points de vue sur la guerre se croisent .

Personne en France (ou peu de monde) ne s’intéresse à la programmation théâtrale de Salzbourg qui existe pourtant depuis les origines du Festival et qui a été revivifiée par le passage de Gérard Mortier, sans doute parce que nous en France, nous avons Avignon, ce qui justifie ( ?) qu’on peut taire les concurrents, aussi bien Salzbourg (beaucoup plus réduit) qu’Edimbourg et son Festival Fringe qui est sans doute le plus grand rassemblement mondial de spectacles d’avant garde aujourd’hui.
Salzbourg n’intéresse que pour la musique, et la proposition musicale de 2014 affiche comme d’habitude des moments exceptionnels, d’autres moins dignes d’intérêt, et quelques surprises dans les programmes et les distributions.

La salle du Grosses Festpielhaus

Du côté de l’opéra : d’abord, dans l’ordre,
–       une production de Don Giovanni de Mozart, l’auteur fétiche du Festival qui ne peut manquer, dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf et dirigé par Christoph Eschenbach.
Ni le metteur en scène, sans doute intéressant sans jamais être passionnant, ni le chef, toujours très discuté, ne sont des motifs à investissements exagérés : seule la distribution, qui donne une large part à la génération montante de chanteurs qui commencent à être vus sur les scènes européennes, peut stimuler la curiosité : Genia Kühmeier en Donna Anna, Anett Fritsch en Elvira (la Fiordiligi – « fruitée » selon Libération, comprenne qui pourra…- de Haneke à Bruxelles), l’excellent Andrew Staples (entendu dans Tamino il y a quelques années à Lucerne) en Ottavio, Tomasz Konieczny en Commendatore, Alessio Arduini en Masetto et Eva Liebau en Zerlina, tandis que des chanteurs plus habituels et plus aptes à attirer le public se partagent Don Giovanni (Ildebrando d’Arcangelo) et Leporello (Luca Pisaroni).

– une création de Marc-André Dalbavie dirigée par le compositeur, Charlotte Salomon, à la distribution non encore définie (sauf l’excellente Marianne Crebassa, découverte en 2012 dans Tamerlano, où elle était exceptionnelle),  sur un livret de Barbara Honigmann élaboré à partir du livre de gouaches autobiographiques Leben ? oder Theater ? – Vie ? ou théâtre ?-de Charlotte Salomon, artiste juive victime toute sa vie de l’antisémitisme en Allemagne, et disparue à Auschwitz.
– autre « must » salzbourgeois, Der Rosenkavalier, une production dirigée par Zubin Mehta et mise en scène par Harry Kupfer, ce qui peut promettre quelques moments intéressants, avec une distribution là-aussi composée de chanteurs de nouvelle génération, dont certains inattendus dans ce répertoire, à commencer par la Feldmarschallin de Krassimira Stoyanova et le Ochs de Günther Groissböck, qui abandonne les basses méchantes (Fasolt, Hunding), pour les basses comiques. Moins inattendus l’Oktavian de Sophie Koch, la Sophie de Mojka Erdmann et le Faninal d’Adrian Eröd. Une distribution solide, qui peut réserver de très bonnes surprises.
– on recommence à voir sur les scènes Il Trovatore de Verdi, particulièrement difficile à distribuer ou simple, selon les points de vue : il suffirait d’y distribuer –c’est Toscanini qui le disait- le meilleur ténor, le meilleur soprano, le meilleur mezzo et le meilleur baryton et le tour est joué.  Une fois de plus, Alexander Pereira surprend par son choix de distribution, deux super stars, Anna Netrebko dans Leonora et Placido Domingo dans Luna, un Manrico au timbre juvénile et clair, Francesco Meli, et la surprise : Marie-Nicole Lemieux dans Azucena qui quitte les rives baroques pour un répertoire moins attendu pour elle. Ella a été une Miss Quickly notable dans le Falstaff de Milan, mais Azucena demande d’autres moyens à l’aigu. Ceci dit, Marie-Nicole Lemieux est une chanteuse d’une grande intelligence: si elle chante Azucena, elle sera Azucena. Avec pareille distribution, nul doute que le public courra, non seulement à cause de Netrebko, mais aussi à cause de Domingo, inoubliable Manrico jadis. Le réentendre dans il Conte di Luna est, quelque soit le résultat, un devoir délicieux pour les gens de ma génération.
Mais dans Trovatore, il faut un chef, un chef qui ait la pulsion, la respiration, le rythme. Fidèle à ses amitiés et à ses chefs fétiches, Pereira a appelé Daniele Gatti. Vu qu’on n’a pas entendu un grand chef dans Trovatore depuis des lustres (Muti mis à part, mais ce n’était pas très réussi) on ne va pas bouder son plaisir, d’autant qu’Alvis Hermanis signe la mise en scène d’une œuvre qui devrait bien lui convenir : grandes scènes d’ensemble, grande fresque épique – j’espère que ce sera à la Felsenreitschule qui irait si bien à ce Verdi-là (bien que j’en doute pour des raisons de capacité). En tous cas enfin un Trovatore un peu attirant.

La Felsenreitschule: Manège des rochers

–       Autre source d’aimantation salzbourgeoise, Fierrabras de Schubert. Cet opéra héroïco-romantique fut imposé sur les scènes par Claudio Abbado qui en dirigea une très belle production de Ruth Berghaus à la Staatsoper de Vienne. On y découvrit notamment une étincelante Karita Mattila. Cette fois-ci, le chef sera Ingo Metzmacher, une surprise (agréable) dans ce répertoire, et le metteur en scène sera Peter Stein ce qui me laisse plus dubitatif : vu son manque d’inspiration dans ses dernières productions, l’idée n’est peut-être pas si stimulante. On imagine ce qu’un Herheim ou qu’un Michieletto pourraient faire d’une œuvre aussi échevelée. Une distribution très solide, très équilibrée, et très prometteuse : Georg Zeppenfeld, Dorothea Röschmann, Michael Schade, Benjamin Bernheim, Markus Werba, Marie-Claude Chappuis. À voir bien sûr, malgré les réserves.

–       Comme chaque année désormais, le Festival d’été propose la production phare du festival de Pentecôte : cette année ce sera Cenerentola (et non Otello, l’autre production de Pentecôte). Une Cenerentola baroqueuse avec Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheuz. Belle consécration que de se retrouver à Salzbourg, merci Cecilia Bartoli ! Car la production sera portée par la Angelina désormais légendaire (depuis son enregistrement avec Chailly) de Cecilia Bartoli. Ayant Chailly ou Abbado dans la tête, il est difficile pour moi de me représenter ce que fera Spinosi. Malgré une distribution intéressante : Javier Camerana en Ramiro, Nicola Alaimo en Dandini, Enzo Capuano en Magnifico, et une mise en scène qui fera encore couler de l’encre de Damiano Michieletto, je ne sais si le jeu en vaut la chandelle.

–       Enfin, deux opéras en version de concert, désormais traditionnels depuis que Pereira dirige  le Festival :

  •  Un « Projet Tristan und Isolde », pompeuse manière d’appeler le concert que donnera le West-Eastern Divan Orchestra dirigé par Daniel Barenboim qui sera aussi au festival de Lucerne, avec Waltraud Meier, René Pape, Peter Seiffert, Ekaterina Gubanova et Stefan Rügamer .
  •    La Favorite, de Donizetti, dans sa version originale française, dirigée par l’un des complices de toujours de Alexander Pereira, Nello Santi, que les parisiens de ma génération connaissent bien puisqu’il dirigea à Garnier sous Liebermann la fameuse production de John Dexter de I Vespri Siciliani, mais aussi Otello (celui de Verdi) et la reprise du Simon Boccanegra de Strehler (Abbado ne voulant plus mettre les pieds à l’Opéra de Paris), ainsi qu’une  une version concertante de Don Carlo où l’on découvrit Elisabeth Connell en hallucinante Eboli. Cela promet du rythme, un peu de bruit (Santi ne donnant pas toujours dans la dentelle), mais un orchestre qui sera sans nul doute parfaitement tenu (le Münchner Rundfunkorchester), car de ce point de vue, Nello Santi est un chef très sûr pour des musiciens qui connaissent peu ce type de répertoire. Et dans la distribution, un trio de choc dont les noms suffisent pour se précipiter sur les réservations en ligne quand elles seront ouvertes : Elīna Garanča dans Léonor de Guzman, Juan Diego Flórez dans Fernand, et Ludovic Tézier dans Alphonse XI ; si l’administration de l’Opéra de Paris avait eu de l’idée (rêvons un peu), voilà le répertoire parisien typique qu’elle aurait pu monter à Garnier. Distribution étincelante, œuvre peu connue, mais part de l’histoire de l’Opéra de Paris où elle fut créée en 1840.
La façade du palais des Festivals

Du point de vue des concerts, une fois de plus, diversité des orchestres, diversité des répertoires, moments d ‘exception et moments plus conformes sont à attendre, avec la présence des habituels (Wiener Philharmoniker) et des habitués (Berliner Philharmoniker)  et toutes les autres phalanges somptueuses qui tiennent à s’afficher régulièrement à Salzbourg.
Cette année, un cycle Bruckner domine la programmation des concerts , notamment ceux des Wiener Philharmoniker qui offriront tous une Symphonie de Bruckner (sauf le concert de Dudamel, dédié à Strauss), ainsi entendra-t-on avec les Wiener la n°4 dirigée par Daniel Barenboim (avec le plus rare – et donc plus intéressant – Requiem de Max Reger), la n°8 dirigée par Riccardo Chailly (immanquable), la n°2 et le Te Deum dirigés par Philippe Jordan, la n°6 dirigée par Riccardo Muti (avec la n°4 « tragique » de Schubert),  la
n°3 dirigée par Daniele Gatti et tandis que la n°5 sera programmée dans l’un des deux concerts du Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé par Bernard Haitink, qui dirigera aussi Die Schöpfung (La Création) de Haydn pour le deuxième concert (un must), la n°1 par l’ORF Symphonieorchester dirigé par Cornelius Meister, l’un des chefs allemands de la génération montante, la n°7 par Christoph Eschenbach et le Gustav Mahler Jugendorchester, la n°9 enfin par le Philharmonia Orchestra dirigé par Christoph von Dohnanyi (avec les Vier letzte Lieder de Strauss interprétés par Eva-Maria Westbroek).

C’est Wolfgang Rihm qui sera le compositeur contemporain à l’honneur, le Mozarteumorchester sera dirigé pour les traditionnelles Mozartmatineen  par Ivor Bolton, Manfred Honeck, Marc Minkowski, Adam Fischer, Vladimir Fedosseyev, et  de son côté, Rudolph Buchbinder donnera l’intégrale des sonates pour piano de Beethoven.
On comptera un certain nombre de récitals dont ceux de Elīna Garanča, Anja Harteros, Thomas Hampson ou Christian Gerhaher.
Enfin outre le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé par Bernard Haitink cette année, on pourra entendre le Concentus Musicus dirigé par Nikolaus Harnoncourt dans les trois dernières symphonies de Mozart (39, 40, 41),  le West-Eastern Divan Orchestra et Daniel Barenboim, certes dans l’Acte II de Tristan und Isolde, mais aussi dans Ravel, Roustom, Adler (voir Lucerne), le Philharmonia dirigé par Christoph von Dohnanyi (voir ci-dessus) et ensuite par Esa-Pekka Salonen dans un programme Strauss, Berg, Ravel, le Royal Concertgebouworkest d’Amsterdam et Mariss Jansons dans Brahms, Rihm et Strauss, Murray Perahia et l’Academy of Saint Martin of the Fields et enfin un seul concert des Berliner Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle dans l’un des deux programmes de Lucerne, Rachmaninov (Danses Symphoniques) et Stravinsky (L’oiseau de Feu).

Il y en a pour tous les goûts, dans tous les styles de musique, pas forcément pour toutes les bourses, encore qu’on puisse avoir des places à prix raisonnables pour Salzbourg (autour de 90€) pour les opéras et moindres pour les concerts, et qu’on puisse y loger à des tarifs imbattables (autour de 40€), mais il faut s’y prendre tôt. Salzbourg n’est pas mon lieu de prédilection, mais le mélomane doit y venir un jour ou l’autre : le supermarché des folies mélomaniaques est à vivre au moins une fois.
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Alexander Pereira, qui quitte Salzbourg pour la Scala