FESTIVAL D’AIX-EN PROVENCE 2014: ARIODANTE de Georg Friedrich HAENDEL le 18 JUILLET 2014 (Dir.mus:Andrea MARCON; Ms en scène: Richard JONES)

Scène finale © Pascal Victor ArtcomArt
Scène finale © Pascal Victor ArtcomArt

Une œuvre récemment redécouverte

Ariodante est resté dans les oubliettes de l’histoire pendant deux siècles. Créé pour le théâtre de Covent Garden (l’ancêtre du ROH actuel) en 1735, il a bénéficié d’une reprise puis est tombé dans l’oubli.L’œuvre  est réapparue dans les années 1970, à l’occasion de la Baroque Renaissance mais c’est par une production de Pier Luigi Pizzi à la Piccola Scala de Milan en 1982 dirigée par Alan Curtis que l’œuvre a pris son envol moderne, cette production a beaucoup tourné : on l’a vue notamment au Théâtre des Champs Elysées (accueillie par l’Opéra de Paris) en 1984-85.  Ariodante a fait aussi l’objet d’une nouvelle production de Jorge Lavelli au Palais Garnier en  avril-mai 2001  sous le direction de Marc Minkowski (avec les Musiciens du Louvre-Grenoble) et déjà Patricia Petibon, mais dans le rôle de Dalinda.

Inspirée d’un épisode de l’Orlando Furioso de l’Arioste repris par Antonio Salvi pour le livret d’un opéra de Giacomo Antonio Perti (1708), le livret en est anonyme. Un livret assez simple, en trois actes, Acte I le bonheur, Acte II, la crise, Acte III, la résolution. C’est de drame intime et familial qu’il s’agit, et non pas d’héroïsme démonstratif : un amour de deux êtres Ginevra, fille du roi d’Écosse, et Ariodante, promis au trône, (un preux chevalier, certes, mais il y en a tant dans les forêts, les îles et les royaumes de l’Orlando Furioso !) contrarié par un amoureux éconduit, jaloux  et donc méchant, Polinesso, Duc d’Albany, qui imagine un stratagème simple, mais toujours efficace dans les opéras : il montre à Ariodante dissimulé sa fiancée (en fait, la dame de compagnie amoureuse de Polinesso déguisée en Ginevra) convolant en injustes ébats avec lui, Polinesso. Ariodante naïf et désespéré (dans le monde baroque, les apparences sont toujours trompeuses et réussissent toujours à tromper) fuit et cherche à mourir par noyade, mais les Dieux ne le lui permettent pas, il vivra donc mais dans la douleur et la désespérance. Quant à Ginevra, elle est accusée par Lurcanio, frère d’Ariodante, d’être une femme perdue, le roi son père la renie aussitôt (comme tous ces gens sont faciles à convaincre par la première affirmation venue !) et elle se meurt de chagrin et de honte. Mais au troisième acte, Ariodante sauvé des eaux revient, la dame de compagnie avoue le forfait, Polinesso est démasqué puis tué, et Ginevra rétablie dans sa virginité première. Tout est bien qui finit bien.
Une chaine d’amour : Lurcanio aime Dalinda qui ne l’aime pas mais aime Polinesso qui ne l’aime pas mais aime Ginevra qui ne l’aime pas mais aime Ariodante qui l’aime aussi, une chaîne où un seul méchant suffit à être le chien dans le jeu de quilles.

Comment mettre en scène ?

C’est bien là la question centrale :  comment faire du théâtre avec un livret certes plu simple que d’ordinaire, mais qui qui ressemble à tant et tant de livrets de l’époque, fondé sur des histoires connues le plus souvent du public alors assez cultivé, qui trouvent leurs origines dans la mythologie, ou au moins celle rapportée par les Métamorphoses d’Ovide, ou dans la Jerusalem délivrée du Tasse ou dans l’Orlando Furioso de l’Arioste : chevaliers, héros, dieux et demi-dieux, magiciens et magiciennes, îles enchantées et forêts profondes peuplent les opéras que le public devait regarder comme un grand livre d’images, sans autre souci que les images et ce pourquoi on allait à l’opéra, le chant. L’extraordinaire notoriété de chanteurs comme Farinelli, ou Carestini le créateur d’Ariodante en est la preuve : ce qui attire le public, ce sont les acrobaties vocales, ce sont les voix les plus extraordinaires, c’est d’abord la performance ; d’ailleurs, les opéras durent des heures, mais le public va et vient, et ne se fixe qu’au moment des morceaux de bravoure, modifiés à plaisir selon les désirs de telle ou telle vedette. C’est le spectacle qui prime, et ce spectacle doit en mettre plein la vue, d’où des orages, des tempêtes, des vaisseaux perdus, des incendies et des artifices de machinerie qui font que dans certains cas on a construit des salles adaptées à la machinerie prévue et non l’inverse. Le théâtre est un art éphémère, mais le lieu théâtral l’est aussi. Les lieux même de la représentation tout en bois (et donc construits assez rapidement) brûlent fréquemment, on reconstruit sur les cendres fumantes e la nave va.

Il en va tout autrement de nos jours. Aujourd’hui le spectateur est assis, ce qui au XVIIème et XVIIIème n’est pas toujours le cas : on pouvait entrer à cheval dans la salle, les loges (c’est le cas à la Scala) étaient accompagnées de leur dépendance, salon ou réduit servant à cuisiner : les chaises des loges ne sont même pas dirigées vers la scène, mais placées vis à vis, pour la conversation. Aujourd’hui, il y a un orchestre et un chef. Il y avait bien des orchestres, et d’excellentes formations (Mannheim par exemple), mais pas de chef au sens moderne. Et pas de mise en scène, mais une mise en effets scéniques : décors, machineries, costumes. Mise en scène et metteur en scène, invention du XXème siècle, apparaissent pour le théâtre d’abord, puis pour l’opéra. Même si Wagner, eh oui, toujours lui, avait eu l’intuition de la mise en scène et de sa nécessité, ce n’est guère que plusieurs décennies après sa mort qu’on commencera, à Bayreuth à parler de mise en scène ou en espace, à travers une nouvelle conception du décor (Alfred Roller) ou surtout de l’espace scénique (Meyerhold mais surtout pour Wagner Adolphe Appia). C’est dans les années 50 qu’on commence à voir se multiplier de vrais metteurs en scène, et dans les années 70 que la mise en scène explose à la tête des spectateurs d’opéra.
C’est donc tout récent.
Lorsque le répertoire baroque est arrivé sur les scènes, à peu près à la même période, lorsque les travaux d’Harnoncourt ou de Gustav Leonhardt ont proposé une autre approche des œuvres des XVIIème et XVIIIème siècles et surtout imposé une autre écoute, la mise en scène de ces opéras s’est fondée sur l’image, sur l’esthétique de l’apparence, ce fut la trilogie Monteverdi de Ponnelle, à Zürich, puis l’aventure baroque de Pier Luigi Pizzi, qui est d’abord un décorateur (génial), et qui a imposé ce répertoire casques, plumes et capes colorées en version marionnettes siciliennes (des Pupi grandeur nature, dont il s’inspire puisque ces opéras racontent les histoires que racontent les marionnettes siciliennes), des mises en scène photographiques sur fond de statues baroques torturées ou de colonnes corinthiennes et temples  : qui ne se souvient de Marilyn Horne en Orlando,  toute plume,  armure et longue cape écarlate ?
Je rappelle schématiquement ces données pour replacer cet Ariodante dans le débat désormais quadragénaire sur le style et les œuvres baroques, et sur les prises de position stylistiques qui ont déterminé les prises de position scéniques. Pizzi, c’était la représentation baroque telle qu’on la rêvait, dans les ors des théâtres, reproduisant un monde luxuriant d’amusement une sorte de carnaval de Venise permanent. Et le résultat aujourd’hui, c’est un travail tout particulier que le baroque impose sur la précision technique et le contrôle vocal, sans parler des agilités, c’est un marché qui abonde en contreténors à défaut de castrats (le dernier castrat officiel, Alessandro Moreschi, est mort au début du siècle et nous en avons quelques enregistrements), c’est une série de voix modernes spécialisées, classées selon nos modes, qui chantent les rôles d’antan destinées à des voix moins classifiées (notamment la frontière entre soprano et mezzo, ou la voix de baryton) adaptées à un diapason plus bas, et donc avec des aigus plus faciles qu’aujourd’hui. Il faut s’y faire, le son change et la réception du chant change avec le temps, le public et les habitudes, tout comme d’autres éléments de la perception sensorielle, comme les couleurs. On sait bien que les anciens ne distinguaient pas les couleurs comme nous les distinguons.
J’ai moi même maintes fois affirmé dans ce blog que mon plus beau Couronnement de Poppée reste, et je pense restera, celui de Paris en 1978 dans la version Leppard avec une distribution pour la Walkyrie : Jon Vickers (Nerone), Gwyneth Jones (Poppea), Christa Ludwig (Ottavia), Nicolai Ghiaurov (Seneca) Valerie Masterson  (Drusilla). Il y en a des traces sur You Tube (https://www.youtube.com/watch?v=YUxSe2DNmdc) .
Le duo final Pur ti miro était à tomber en pâmoison.
Certains lecteurs doivent frémir…parce que je pose en fait la question non de l’offre ou de la production mais de la réception. C’est l’émotion diffusée qui électrisait ce final, et si l’émotion était au rendez-vous, si le public en était pétri, si la chimie fusionnelle scène salle fonctionnait, l’auditeur faisait foin du style et de l’exactitude formelle : il était atteint à un autre niveau, à un moment aussi où l’écoute du répertoire baroque n’était pas stabilisée par des années de travail de recherche relayée par la scène. Ce rapport forme/émotion se posait d’ailleurs dans d’autres répertoires, par exemple pour la chanteuse Tiziana Fabbricini qui chantait sans doute d’une manière peu orthodoxe, osant avec sa voix des choses bien étranges, mais qui pouvaient bouleverser. C’est aussi ce qui séparait à coup de tomates et de radis en salle les Callassiani et les Tebaldiani à la Scala. Evidemment, quand le style s’allie avec l’émotion (Marilyn Horne), c’est  alors le nirvana. Mais ils sont très rares, les artistes qui savent par la toute puissance du style et de la sûreté interprétative, distiller l’émotion. J’avoue que si un chant m’émeut, même hors style (ou soi-disant tel) alors, comme tout le monde,  je fonds.

Ariodante à Aix : un débat non clos

C’est tout ce débat, non résolu que prend sens la lecture et l’audition d’un spectacle tel qu’Ariodante qui en arrière plan a suscité des débats passionnés sur la toile tout au long des représentations aixoises, dont la Première a été fortement huée ; la mise en scène par ci, et Patricia Petibon par là, et Andrea Marcon ennuyeux, l’œuvre jugée trop longue (Purcell aurait plié ça en une heure –sic- ) et Richard Jones hors de propos, et une telle chantant faux, et l’autre trop peu concernée etc…etc…

Je suis moi-même plutôt distancié par rapport à ce répertoire, et pourtant, cette année, l’Alcina éblouissante de Zürich avec une Bartoli au sommet, et cet Ariodante m’ont séduit, et pour des raisons à la fois semblables et très différentes. Semblables parce que dans les deux cas, la mise en scène se détourne du spectaculaire pour travailler sur la psychologie et l’épaisseur des personnages, différente parce que chacun a résolu la question du chant très différemment. C’est Bartoli qui est au centre de la représentation dans Alcina et qui en dicte les lois, avec ses possibilités et sa couleur toutes particulières. Tout tourne autour d’elle, même si l’excellence de la distribution est telle que au final, c’est bien d’un ensemble et d’une troupe qu’il s’agit, et que Bartoli « rentre dans le rang », quant à la mise en scène, elle pose comme élément central le monde du théâtre comme monde de l’illusion et de la désillusion.
Dans Ariodante, d’une part, la distribution vocale est plus équilibrée, autour de quatre chanteuses (deux sopranos, deux mezzos), mais de style et d’école différentes, et d’appréhension très différente du monde haendélien, et d’autre part la mise en scène détermine fortement, presque violemment le style. Certaines des chanteuses entrent de plain pied dans la logique scénique, elles y entrent vocalement, d’autres restent au seuil. Et la logique scénique détermine ici la logique musicale.

Des choix de mise en scène prégnants

Acte III © pascal Vicotr/ArtcomArt
Acte III © pascal Vicotr/ArtcomArt

Je pense que cet Ariodante procède d’abord de la réflexion menée par Richard Jones et son décorateur Ultz et ce qu’on y voit détermine notre réception de ce qu’on y entend.
Richard Jones l’explique dans le programme de salle : au XVIIIème, il n’y a pas de mise en scène et l’interrogation sur la mise en scène d’œuvres aussi précontraintes que certaines œuvres du XVIIIème, pose la question de l’introduction de la psychologie, du personnage et donc la question du style et notamment celui du « pezzo chiuso » qui interrompt l‘action, la question du récitatif, air et da capo, même si dans Ariodante, les airs sont plus intégrés dans une action, avec moins de récitatifs, où la présence du ballet intègre  la tradition française , pour rajouter encore du spectacle. Dans la mesure où aujourd’hui les chanteurs ne sont plus en représentation mais dans la représentation (du moins on espère), cela détermine des choix qui peuvent effectivement gauchir les options stylistiques, voire les mettre en question. En bref, Richard Jones crée un choc violent en faisant d’Ariodante une œuvre inscrite dans l’espace écossais quand l’Écosse de Haendel est mâtinée de l’Orlando Furioso et de l’Arioste, qui vivait à Ferrare, plein de la plaine et des marécages proches du Pô, un paysage qui a peu de choses à voir avec l’île de Skye.

Jones place l’intrigue dans un monde du Nord, une ambiance située entre le Festin de Babette (Babettes Gæstebud , 1987, de Gabriel Axel) et une pièce de Strindberg. Nous sommes loin des mondes de cour, des ornementations, des plumes et même du baroque. Rien n’est moins baroque que ce monde rude et protestant du nord de l’Europe. Évidemment la vision détermine notre écoute, évidemment, elle détermine un regard et une interprétation vocale. En choisissant une clef psychologique, Richard Jones détermine une clef interprétative.
Richard Jones identifie dans cette œuvre la mélancolie comme une des clefs de lecture, une mélancolie présente dès le début, qui va aller en s’accentuant, et qui va déterminer la lecture plutôt grise de la fin. Cela veut dire aussi une direction d’orchestre très marquée par cette grisaille, et cette rudesse, cela veut dire aussi un chant coloré par la mélancolie, y compris lorsque les feux d’artifice vocaux sont lancés.
Mais cela détermine aussi un rythme scénique qui n’est plus scandé par les numéros vocaux, mais par une sorte de déroulement fluide d’une histoire que le metteur en scène veut étouffante : un monde étroit, concentré, enfermé en lui même, un espace clos, l’espace clos d’une île écossaise perdue.

Maquette du dispositif © Festival d'Aix
Maquette du dispositif © Festival d’Aix

Pour étouffer, il faut un décor étouffant et de préférence unique, il faut un espace réduit, c’est ce qu’il construit avec son décorateur Ultz : un espace unique, fait de quatre espaces contigus, le hors décor, lieu de la fuite et de l’ailleurs derrière le décor et sur le proscenium, et l’espace central, une vaste pièce séparée en trois par des lignes au sol et des portes figurées par deux serrures (une à droite et une à gauche) accrochées à des portillons qu’on ouvre et qu’on ferme, pour bien marquer le rite du passage : à jardin un foyer, l’espace culinaire qui est celui de Dalinda, au centre une grande table de réunion, espace social du Roi, du monde et des autres,  et à cour l’espace intime de Ginevra, un espace très réduit, avec du papier peint étouffant, un petit lit,  une armoire et une cuvette pour les ablutions : le tout comprimé dans un coin. Des costumes de marin des années 50, marquant une sorte d’étirement du temps et seuls élément autochtones, le kilt du roi, en Tartan de Harris ( lié à l’île de Skye) et une série de couteaux accrochés au mur qu’on suppose être des couteaux de pèche ou de chasse. En situant avec cette précision géographique le lieu de l’histoire, Jones lui enlève tout aspect légendaire, se détache de l’Orlando furioso et en fait un drame psychologique de l’isolement, de la solitude dans un espace claustrophobique marqué par le religieux, d’où un Polinesso en pasteur (pasteur le jour pour le monde, mauvais garçon la nuit : sous la soutane, le désir animal). Tout cela est parfaitement lisible, il s’agit de faire d’un opéra baroque une action dramatique fluide, où les chanteurs vont être sollicités dans une continuité dramatique plus que pour restituer un style. Ariodante, version Benjamin Britten.

 Des conséquences sur les chanteurs

Il est clair que les chanteurs les plus soucieux de style et de vérité musicale, et moins à l’aise avec le travail de l’acteur comme Sarah Connolly se trouvent en décalage, un Ariodante pécheur d’Écosse, ce n’est pas tout à fait son style, et on la sent un peu prisonnière d’un jeu qu’elle n’épouse pas. D’où un chant qui techniquement me paraît sans problème majeur, sauf quelquefois un léger manque de projection, avec de très beaux moments comme à l’acte II le magnifique scherza infida ou à l’acte III Dopo notte atra e funesta, que j’ai beaucoup aimé mais un engagement scénique limité, presque absent quelquefois. Beaucoup de justesse musicale dans un univers où elle semble un peu perdue. D’autres chanteuses qui ont marqué le rôle (je pense à Anne Sofie Von Otter) auraient sûrement été plus disponibles pour ce travail scénique particulièrement attentif.

Folies d'amour © Pascal Victor ArtcomARt
Folies d’amour © Pascal Victor ArtcomARt

Tout autre manière d’aborder l’œuvre pour Patricia Petibon. Comme Sarah Connolly, elle est habituée à ce répertoire, qu’elle chante depuis ses débuts, mais au contraire de Sarah Connolly, elle intègre immédiatement les exigences théâtrales dans le jeu et dans la voix,. Je ne suis pas toujours un fan de Petibon, mais force est de constater ici non seulement l’engagement complet de l’artiste au service du théâtre, mais aussi une manière de plier cette voix à ces exigences, avec des jeux inédits sur la montée à l’aigu, avec des variations non pas spectaculaires, mais volontairement inscrites dans une dramaturgie et une caractérisation psychologique. Cela donne quelques surprises et peut donner l’impression d’un abord problématique de la musique, mais pas, comme je l’ai lu de mal canto. Un canto plié à l’exigence prosaïque du théâtre, et non à l’exigence éthérée de la musique, un canto qui a une vraie couleur, terriblement émouvante (l’air final de l’acte II il mio crudel martoro tire des larmes).

Patrica Petibon © Bertrand Langlois. AFP
Patrica Petibon © Bertrand Langlois. AFP

Petibon confirme ici son intelligence, sa manière de prendre des risques, de jouer avec ses défauts, pour rendre une vérité du personnage. On sent qu’elle a chanté Lulu, parce qu’elle aborde Ginevra comme Lulu, entière, dédiée, dans les replis psychiques voulus par la mise en scène au risque de paraître hors de propos là où elle est en plein dans le propos. Exceptionnel.
Sandrine Piau en Dalinda me paraît un peu en deçà de cette intelligence créative, formellement, c’est sans doute la meilleure du plateau, avec un timbre moelleux, un  chant bien contrôlé, des agilités en place, qui montrent que cette Da   linda pourrait être une Ginevra, mais cela m’apparaît plus attendu, moins imaginatif, moins expressif que chez Petibon. Le jeu scénique est satisfaisant, l’actrice est à l’aise, mais il manque un peu de légèreté, un peu du côté écervelé de cette imprudente et lointaine annonciatrice de Dorabella. On est dans un chant plus conforme, et si le timbre reste magnifique par sa rondeur, quelques aigus restent mal maîtrisés.

David Portillo, Sandrine Piau, Sonia Prina © Pascal Victor/ArtcomArt
David Portillo, Sandrine Piau, Sonia Prina © Pascal Victor/ArtcomArt

Quant à Sonia Prina, elle incarne Polinesso, avec une jolie finesse : même lorsqu’elle est pasteur, elle a quelques gestes, quelques mouvements, quelques sons aussi du mauvais garçon qu’elle est sous sa soutane ; la mise en scène exige, pendant qu’Ariodante se lamente à l’acte II, une scène d’amour / pantomime en parallèle, assez avancée et elle y est très vraie. J’ai moins aimé le timbre, quelques approximations et acidités, mais comme Giannattasio dans Elisabeth de Maria Stuarda, le rôle de Polinesso étant celui du très grand méchant sans rachat possible, il n’est pas absurde que la voix corresponde par ses défauts et sa couleur à cette noirceur-là. Et donc j’ai aimé le personnage joué, et les petites fissures vocales ne m’ont pas gêné, car au-delà des fissures légères, il y a une forte personnification, de jolies agilités, et une bonne maîtrise technique.

Au total, j’ai trouvé que globalement , dans un rapport que chacun entretient différemment à la mise en scène très présente, demandant une précision très exigeante dans le jeu imposé par Richard Jones, qui a travaillé avec un soin millimétré au moindre geste et au moindre mouvement, les quatre femmes tentaient de répondre au mieux, mais c’est Patricia Petibon, dont Jones fait le personnage central et la clef de la scène finale, qui stupéfie par la manière dont elle a intériorisé et scéniquement et vocalement  le personnage voulu par la mise en scène qui transforme la fin de manière logique, sinon attendue. Après ce que Ginevra a vécu, après avoir été accusée par l’ensemble de la communauté, vivre dans ce coin de bout du monde clos est insupportable et pendant qu’on fête la normalité retrouvée, elle s’habille dans ses habits du début, fait sa valise et quitte la scène en la traversant sur le proscenium, pendant qu’Ariodante, assis à la table, reste prostré, le regard fixe au milieu des vivats…une fin amère qui contredit le happy end obligé de ce type d’œuvre.

Patricia Petitbon (Ginevra) et Luca Tittoto (il Re di Scozia) © pascal victor/ArtcomArt
Patricia Petitbon (Ginevra) et Luca Tittoto (il Re di Scozia) © pascal victor/ArtcomArt

Enfin, saluons la performance des seuls mâles du plateau, Luca Tittoto, le magnifique Re di Scozia originaire, comme Andrea Marcon de la Marca Trevigiana (Asolo). Une voix claire, puissante sans être tonitruante, très homogène, au style et à la technique parfaitement maîtrisés, à la couleur très humaine qui donne au personnage une forte présence (par la vertu de la mise en scène, il est presque toujours en scène), les scènes de l’acte III avec Ginevra sont bouleversantes.
Mêmes remarques pour le Lurcanio de l’américain David Portillo, ténor texan qui a suivi le Merola Opera Program l’une des académies pour jeunes chanteurs les plus prestigieuses des USA, liée à l’Opéra de San Francisco. Élegance, pureté de timbre, diction, présence scénique et engagement caractérisent ce jeune chanteur valeureux. Élégant aussi, Christopher Diffey dans le rôle épisodique d’Edoardo.
Mais le travail de Jones ne s’arrête pas aux individus. Jones a géré les groupes, le chœur  (English voices magnifiques, intenses, engagées sous la direction conjointe de Tim Brown et Richard Wilberforce) et les figurants de manière presque chorégraphiée (à chaque lever de rideau, de manière rituelle): j’ai été très surpris par leur entrée dans la chambre de Ginevra, recroquevillée sur son lit au troisième acte, prenant et posant leur chaise en des mouvements successifs homogènes et presque comme un ballet, pour se retrouver tous serrés au fond, derrière le lit, donnant et renforçant l’impression d’étouffement.
Ce travail théâtral est parachevé par le choix de traduire les ballets par des marionnettes. Est-ce une allusion lointaine aux marionnettes siciliennes dont il était plus haut question. C’est possible, dans la mesure où elles ont porté ces histoires de chevaliers pendant tout le XIXème siècle et une partie du XXème, succédant ainsi à la tradition baroque. C’est en tous cas une très belle idée, qui tisse des rapports sous-jacents auxquels on ne pensait pas forcément, et constitue un spectacle dans le spectacle, une mise en abîme bien dans l’esprit de l’œuvre, un spectacle révélateur de nos rêves et de nos cauchemars, qui est un jeu entre vérité et représentation. La mise en scène en fait le point d’orgue de chaque acte, avec le même rituel : on apporte sur la table des caisses en carton, et on en extrait les marionnettes qu’on va mouvoir. Ce rituel semble inscrit comme dans une tradition locale, où la population prendrait l’histoire en charge et se créerait une sorte d’espace imaginaire. Le sommet en est le deuxième acte, où l’avenir de Ginevra est vu en prostituée livrée à la rue et aux hommes de manière à la fois réaliste et déchirante.

Un orchestre de très haut niveau

fbo_logoComme pour La Flûte enchantée, Bernard Foccroulle a fait appel aux Freiburger Barockorchester pour accompagner Ariodante. Freiburg, ville moyenne au sud du Baden-Württemberg , à 70 km de Bâle, est bien heureuse d’abriter en son sein et un conservatoire de musique très prestigieux, où enseignent notamment Eric Le Sage (piano), Wolfram Christ (ex.Berliner, Alto solo du LFO) et Rainer Kussmaul (Ex-violon solo des Berliner) et deux formations de très haut niveau, puisque le Balthasar Neumann Ensemble de Thomas Hengelbrock en est aussi originaire, mais ceci explique sans doute cela.

On ne peut que saluer la rondeur du son, et notamment des cordes, la précision des attaques, l’énergie et la dynamique quand il le faut (premier acte). À sa tête, Andrea Marcon impose une certaine retenue, là où Pablo Heras-Casado imposait énergie et jeunesse. Andrea Marcon est l’un des protagonistes de l’introduction du répertoire baroque en Italie, et notamment en Veneto, d’où il est originaire (Trévise). Il y a là une vraie histoire (Venise, Vivaldi, I Solisti Veneti) , mais aussi des formations plus récentes qui ont vraiment renouvelé l’écoute de ce répertoire en Italie et ont contribué à populariser les approches les plus récentes, par exemple I Sonatori della Gioiosa Marca et des solistes comme Giuliano Carmignola.
Appliquant à la lettre l’idée de Richard Jones sur la mélancolie inhérente à l’œuvre, Andrea Marcon impose une lecture que d’aucuns ont trouvée lancinante et un peu ennuyeuse. Très attentif au chant, et à la cohérence plateau et fosse, il donne son meilleur à l’acte II, le plus sombre, en mode mineur, dont les premières mesures sont d’une intensité et d’une tristesse impressionnantes. Il réussit à contribuer fortement à l’émotion très marquée de l’ensemble de l’acte. Au total une grande performance orchestrale, convaincante et engagée, un parti pris du chef tout en finesse sans volonté démonstrative.
Voilà une représentation aux ressentis contrastés, très discutés, et c’est heureux : cela montre que le spectacle fonctionne dans sa proposition radicale. Car c’est un parti pris radical que de lire Haendel à l’éclairage de Britten ou de Strindberg. C’est un choix assumé et cohérent, que le public apprécie diversement, mais c’est le rôle d’un Festival que de faire des propositions de très haut niveau mais non consensuelles, discutables, qui heurtent et qui font gamberger. En ce sens, Foccroulle a tapé juste, comme souvent depuis qu’il est à Aix.
[wpsr_facebook]

A guache Sarah Connolly et David Portillo, au fond à droite Sandrine Piau et Sonia Prina © Pascal Victor /ArtcomArt
A guache Sarah Connolly et David Portillo, au fond à droite Sandrine Piau et Sonia Prina © Pascal Victor /ArtcomArt

FESTIVAL D’AIX-EN PROVENCE 2014: DIE ZAUBERFLÖTE de W.A.MOZART le 11 JUILLET 2014 (Dir.mus:Pablo HERAS-CASADO; Ms en scène: Simon MC BURNEY)

L'une des belles images de cette soirée ©  De Nederlandse Opera  Clärchen & Matthias Baus
L’une des belles images de cette soirée © De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus

NB: incertitudes sur les crédits photos, certaines provenant d’Amsterdam (2012) et d’autres d’Aix.

En programmant La Flûte Enchantée, Bernard Foccroulle est au cœur de la tradition d’Aix, née autour de Mozart. En la confiant à Simon Mc Burney, il la place résolument du côté de l’enchantement et du visuel. En appelant un orchestre composé d’instruments anciens (comme pour les trois productions du Festival), il veut imprimer une couleur à la mode et en même temps une approche particulière du son, correspondant mieux à une recherche d’authenticité qu’on poursuit sans jamais évidemment l’atteindre : nous sommes des oreilles du XXIème siècle et non du XVIIIème, et nous écoutons comme on le fait au XXIème siècle. En confiant pour l’essentiel l’œuvre à des chanteurs jeunes, il répond à une des fonctions du Festival qui est de révéler.
Du point de vue de la programmation, c’est sans conteste cohérent, et globalement réussi, vu le succès auprès du public.
Le Grand Théâtre de Provence, au style architectural post-mussolinien cher à Vittorio Gregotti n’a pas une acoustique facile, et dans cette production, le plateau vide dessert le retour du son :  quand les chanteurs sont en fond de scène, on ne les entend pas. En revanche, au proscenium, on les entendrait presque trop.
Ce plateau mettant à nu les grilles, avec des dispositifs comme cette double scène suspendue qui monte ou descend selon les moments, et avec les techniciens sur les côtés qui écrivent les nombreux textes  ou font des bruitages , tout rappelle évidemment l’univers de Peter Brook : la référence est explicite , mais ce qui fait le caractère des spectacles de Simon Mc Burney, c’est l’utilisation avec une étonnante fluidité de dispositifs vidéo non illustratifs, mais intégrés à l’action, mais créateurs d’action, et qui donnent d’étourdissants résultats, comme dans Cœur de Chien de Raskatov, vu à Lyon en janvier dernier.

Scène finale ©
Scène finale © Pascal Victor/ArtcomArt

Il y a dans Zauberflöte quelque chose qui annonce Parsifal : deux royaumes antagonistes, celui de la nuit et du jour, comme dans Parsifal celui du Mal et du Bien et qui chacun proviennent du même monde originel, un héros voyageur qui vient de l’un pour aller vers l’autre, une résolution harmonieuse où le royaume de la Nuit/du Mal est vaincu. Les chœurs cérémoniels, un Sprecher qui annonce Gurnemanz (dans son rôle de « portier » du temple), des épreuves (pour Parsifal, les filles-fleurs et Kundry sont aussi des épreuves), et Simon Mac Burney installe cette idée de royaume clos, gouverné par une sorte de Conseil – au début du second acte- qui va statuer sur Tamino et Pamina. C’est d’ailleurs l’un des meilleurs moments de ce spectacle, où le plateau suspendu sert de table de conseil autour de laquelle sont assis les dignitaires en costume gris et cravate, comme nos politiques sans couleur d’aujourd’hui.

Papageno & Papagena © De Nederlandse Opera  Clärchen & Matthias Baus
Papageno & Papagena © De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus

S’il faut chercher la couleur, c’est ni sur les costumes des compagnons de Sarastro, ni sur le plateau nu, l’espace vide si cher à Peter Brook à qui encore une fois cette mise en scène doit beaucoup, mais chez Papageno et Papagena, en rose fuchsia, un Papageno qui tient un peu du vagabond, comme chez Carsen (à l’Opéra de Paris cette année), accompagné d’un groupe agitant des feuilles de papier figurant les oiseaux (un peu répétitif).
Mc Burney investit l’espace intégral de la scène, de l’orchestre et de la salle, comme espace unique, et donc évidemment, tous les discours bien-pensants de Sarastro s’adressent en priorité au public, Sarastro étant vu comme un homme très politique.

Reine de la Nuit (Amsterdam)  © De Nederlandse Opera  Clärchen & Matthias Baus
Reine de la Nuit (Amsterdam) © De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus

Grande surprise qui a provoqué bien des commentaires, la Reine de la nuit porte canne et circule en fauteuil roulant, manière de montrer à la fois la perte de son pouvoir, et sa volonté de vengeance, née de la frustration y compris physique. Du même coup, le pardon final accordé par Sarastro dans cette mise en scène apparaît évidemment comme un geste de clémence à la Titus (rappelons que les deux œuvres sont de la même année) et donc éminemment politique, mais en même temps un geste de simple humanité envers un être diminué et donc humilié. Carsen allait beaucoup plus loin dans cette alliance Sarastro/Reine de la Nuit, en en faisant des alliés qui montaient toute l’aventure de Tamino – Pamina.
Mais ce qui frappe dans le travail de Simon Mc Burney, c’est à la fois des choses dites, d’autres suggérées, d’autres évoquées, mais pas de propos clair qui donnerait une clef à l’œuvre ou sinon au moins une direction. Les idées pullulent, diverses, ironiques, souriantes, dramatiques, les images sont quelquefois frappantes (comme Le couple Tamino-Pamina évoluant comme dans les airs), mais pour moi moins évidentes que dans Cœur de chien. On reste dans une vision syncrétique, attendue, assez banale de la Flûte enchantée, séduisante sur le moment et procurant d’excellents souvenirs, mais au bout de quelques jours, il n’en reste pas vraiment de trace profonde, une sorte de superficialité signifiante, dirait Barthes.

Epreuves..©.De Nederlandse Opera  Clärchen & Matthias Baus
Epreuves..©.De Nederlandse Opera Clärchen & Matthias Baus

Visiblement l’équipe musicale a adhéré au propos, et la mise en scène porte ce travail d’équipe, qui donne à l’ensemble une fraîcheur sinon inédite, du moins évidente. À commencer par l’orchestre, mené avec vigueur, avec précision, avec dynamisme mais aussi avec profondeur par le jeune Pablo Heras-Casado, aussi à l’aise dans ce répertoire que dans le contemporain où il excelle, Profondeur, parce qu’il fouille la partition, il en isole des phrases inédites, donne une vraie couleur à l’ensemble, avec beaucoup de finesse. Et les Freiburger Barockorchester, pour moi l’une des grandes références en matière d’orchestre d’instruments anciens, le suivent avec un son d’un relief et d’une justesse inhabituels dans ce type de formation ; à part de menues scories aux bois, c’est vraiment un son net, plein, et quelquefois subtil qui est produit, et qui donne une couleur d’incroyable jeunesse à l’opéra de Mozart. Dans un répertoire aussi attendu et aussi connu, c’est exceptionnel.
Du côté de la distribution, Bernard Foccroulle a misé sur une équipe jeune, une sorte de concentré du chant de l’avenir. J’ai déjà évoqué les problèmes acoustiques qui naissent souvent de la position sur scène; certains cependant n’ont pas cependant la belle homogénéité que réclame le chant mozartien.

Ce n’est pas le cas du Tamino de Stanislas de Barbeyrac. J’ai déjà plusieurs fois évoqué dans des rôles moins importants les qualités de ce chanteur.

Tamino © Pascal Victor/ArtcomArt
Tamino © Pascal Victor/ArtcomArt

Il compose ici un vrai Tamino, avec une voix bien assise, et justement très homogène sur l’ensemble du registre, sans jamais forcer, avec une sûreté technique à noter. La voix est large, sonore, l’allemand est vraiment excellent, parlé ou chanté. Il a ce que certains Tamino n’ont pas, à savoir une couleur mâle, ce qui m’a vraiment fait penser qu’il aborderait un jour, avec cette voix si bien calibrée et si solide, des rôles comme Lohengrin (pensons à des carrières à la Gösta Winbergh, qui fut un splendide Tamino et qui finit par aborder Lohengrin). Une seule petite réserve, dans la première partie notamment, le chant est un peu monotone et manque d’incarnation, la capacité à colorer les mots peu exploitée encore. Il reste que pour moi, un ténor est né, et un ténor d’un type dont nous n’avons pas d’exemple actuellement dans les artistes français. S’il est prudent, j’y crois vraiment ; attendons son Belmonte qui devrait particulièrement lui convenir.

Tamino et Pamina © Pascal Victor/ArtcomArt
Tamino et Pamina © Pascal Victor/ArtcomArt

La Pamina de Mari Eriksmoen est aussi particulièrement intéressante. Quelques problèmes dans le medium au départ, peut-être un Ach ich fühl’s insuffisamment allégé, et non moins émouvant, mais une vraie présence vocale, des aigus sûrs, dominés, un timbre clair, une voix bien projetée, peut-être une des meilleures Pamina entendues ces dernières années, qui devrait néanmoins, pour faire aussi bien que Julia Kleiter, alléger et travailler un peu l’interprétation et l’expression de la fragilité. Et sa voix s’alliait avec bonheur à celle de Stanislas de Barbeyrac. L’un et l’autre appellent peu de réserves.
Même si l’ensemble de la distribution fonctionne bien, les autres protagonistes n’ont pas montré des qualités vocales totalement maîtrisées, à commencer, et c’est une déception, par Christoph Fischesser, que j’ai aimé à chaque fois que je l’ai entendu, dans Mozart, dans Beethoven, dans Wagner, mais qui manque ici d’assise vocale. Un Sarastro, c’est d’abord un grave sonore, qu’il n’a pas, ou du moins qu’il n’avait pas ce soir là. Belle diction en revanche, et impressionnant dans le parlato : on lui demandait plus.
La Reine de la Nuit d’Olga Pudova a en revanche les aigus, dont le fameux contre fa qui sort avec franchise et netteté, et qui est même tenu. Elle a aussi les piqués de Der Hölle Rache et les agilités subséquentes: elle triomphe donc par le feu d’artifice. En revanche il lui manque le medium et un peu de grave : il est vrai qu’elle chante souvent en fond de scène et que cela ne la sert pas, pas plus que chanter en fauteuil roulant ou avec une canne. Pourtant, la voix est large, elle n’est pas une voix de rossignol, et c’est heureux pour ce rôle.

En suivant Papageno...© Pascal Victor/ArtcomArt
En suivant Papageno…© Pascal Victor/ArtcomArt

Le Papageno de Thomas Oliemans est vraiment magnifique d’humanité et de tendresse en scène, il est le personnage, sans excès, sans simagrées, dans sa simplicité première, et dans son naturel. Il chante avec le même naturel, sans jamais faire de manières. Mais malheureusement son émission est trop engorgée, il chante tout en arrière et l’ensemble manque de projection et de présence vocale. La voix a des difficultés à sortir. C’est pour moi une question de pure technique, car du point de vue de l’intelligence du personnage, c’est rafraichissant et juste.
Le Monostatos d’Andreas Conrad m’a fait penser au Mime excellent qu’il est. J’apprécie son émission naturelle, son refus des artifices des ténors de caractère, sa diction impeccable, sa clarté dans l’expression et son art de la modulation. Voilà un interprète. Maarten Koningsberger est un bon Sprecher, bien sonore, avec une voix solide et très musicale pour un rôle confié souvent à des gloires du passé (j’ai entendu Hans Hotter là dedans…).
Les trois enfants venus de la Chorkademie de Dortmund étaient vraiment magnifiques, et même stupéfiants par la diction, même s’ils étaient grimés en morts vivants, comme des enfants de cette Reine de la Nuit diminuée, comme des émissaires d’un monde de trolls . Les trois Dames en revanche ne m’ont pas laissé une impression indélébile (Ana-Maria Labin, Silvia de la Muela, Claudia Hückle) avec des problèmes d’ensemble et quelques fautes de mesure.
Et juste un petit mot pour Regula Mühlemann, une Papagena très fraîche, et qui me ravit à chaque fois que je l’entends, la prochaine fois dans un rôle moins épisodique j’espère.
Le public était heureux et a fait un triomphe. Un beau moment d’opéra, parfait pour un festival, car c’était la fête pour les spectateurs. Mais ce n’était pas un miracle : les  réussites absolues de la Flûte enchantée sont très rares. Pour que l’enchantement devienne miracle, il faut une touche de divin. Cela demande d’ attendre un peu. [wpsr_facebook]

Mari Eriksmoen © Pascal Victor/Artcomart
Mari Eriksmoen © Pascal Victor/Artcomart

MC2 GRENOBLE 2013-2014: ORFEO ED EURIDICE de C.W.GLUCK le 20 MARS 2014 (Dir.mus: Marc MINKOWSKI Ms en scène: Ivan ALEXANDRE)

Acte I © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Acte I © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

La MC2 de Grenoble est une vaste usine à spectacles: une grande salle, un auditorium, une petite salle, une vaste salle de création et des studios de danse. Si toutes les salles sont occupées, c’est environ 3000 spectateurs qui sont présents.

Ce soir-là, le 20 mars, la grande salle était aménagée pour l’opéra : elle a une fosse, rarement utilisée.
Si on était en Allemagne, avec une troupe de chanteurs, un orchestre, un ballet et une troupe d’acteurs, on aurait sûrement une saison d’opéra, une saison de danse, une saison de théâtre et une saison symphonique, le tout sous la direction d’un intendant unique et d’un Betriebsbüro. Vu la qualité de l’outil, ce serait probablement un magnifique instrument de culture et d’irrigation profonde du territoire.
On est en France, au pays de l’intermittence et non des troupes, et donc la MC2 est un grand garage où logent une compagnie de danse (le CCNG de Jean-Claude Gallotta), de théâtre (le CDNA dirigé par Jacques Osinski, qui va fermer sans que personne ne proteste ou pire, ne s’en aperçoive), et Les musiciens du Louvre-Grenoble de Marc Minkowski. Pour couronner le tout, la MC2 dirigée par Jean-Paul Angot a une saison en propre de chorégraphie, de théâtre et de musique, et l’agenda se tricote en naviguant entre les offres et les dates des uns et des autres.
Une organisation simple et de bon goût (pourquoi faire simple quand on a l’immense chance de pouvoir faire compliqué ?) qui a pour résultat de proposer une programmation certes de haut niveau, mais sans cohérences, – sinon quatre cohérences, sans vraie ligne, sinon quatre lignes, sans autre prétention que celle d’être un garage de grand luxe car c’est la maison la plus subventionnée de France. La fermeture du CDNA même si elle simplifie le paysage n’est pas une bonne décision, car il n’est jamais de bon augure de fermer un Centre Dramatique.

Acte II © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Acte II © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

 

Donc, cette année, Les musiciens du Louvre Grenoble et la MC2 produisent un spectacle d’opéra : Orfeo ed Euridice de Gluck, livret de Ranieri de’ Calzabigi, qui remonte à 1762 (version originale de Vienne).
Peu importe si de son côté l’Orchestre des pays de Savoie a déjà proposé l’œuvre de Gluck deux fois en quelques années (la dernière fois l’été 2013 dans la version Berlioz pendant le Festival du même nom). Comme il y a peu d’opéra à Grenoble,  il y a un public qui afflue : le public de Grenoble a été historiquement formé par la longue tradition culturelle de la décentralisation. Merci Lavaudant : cela s’appelait une politique.
On chercherait en vain une politique au Ministère de la Culture aujourd’hui.
Il y a peu d’opéras dans le Dauphiné, mais visiblement Gluck, ou du moins Orphée a fait florès. Reconnaissons néanmoins que ces dernières années, un certain nombre d’opéras en version de concert ont été présentés (l’an dernier La Vaisseau Fantôme de Dietsch et Der Fliegende Holländer de Wagner) mais cela faisait longtemps qu’une production importante n’avait pas été programmée scéniquement.
J’ironise un peu mais évidemment, je connais les obstacles et les limites de la programmation d’opéra de qualité. À Paris l’opéra coûte au plus entre 150 et 200€ et il trouve son public, à Lyon au plus 96€ et il trouve son public, à Grenoble, la musique classique et ici l’opéra ont des prix plus élevés pour les habitudes du public local (autour de 50€) et il faut en tenir compte.
Avec la distribution réunie (Bejun Mehta, Ana Quintans, Camilla Tilling), et vu la présence du Chœur de chambre du Palau de la Música Catalana dirigé par Josep Vila y Casanas venu de Barcelone, le tarif reste honnête. Et cet Orfeo ed Euridice va tourner un peu (avec une autre distribution je crois).
Le spectacle est coproduit par la Mozartwoche de Salzbourg, où il a été proposé en janvier, puisque Marc Minkowski en est le directeur artistique.
Les déplorations précédentes sur la complexité des organisations culturelles, écho de la complexité des financements (Etat, Région, Ville) n’empêchent évidemment pas d’applaudir à la programmation à Grenoble d’un opéra de haute qualité, et c’est avec plaisir qu’on a pris le chemin du grand navire de béton d’André Wogenscky.
La présentation d’un opéra dans des lieux moins habitués, sinon moins habituels, impose évidemment une réflexion sur le type de production à présenter. Le public de théâtre de la MC2 a vu défiler Bondy, Warlikowski, Françon, Marthaler, Macaigne, Ostermeier etc…est-ce néanmoins le même public que celui de l’opéra ? Cela reste à prouver.
Je me rends bien compte que les publics sont assez cloisonnés, surtout celui de la musique classique et du théâtre (c’est moins vrai pour la danse), et  on peut donc comprendre la grande sagesse de cette production d’Orfeo ed Euridice d’Ivan Alexandre (à qui l’on doit Hippolyte et Aricie de Rameau à Toulouse et à l’Opéra Garnier il y a quelques années) dans des décors monumentaux, assez lourds et envahissants de Pierre-André Weitz, le décorateur attitré d’Olivier Py. Il a construit une scène de théâtre en abîme, et des niches figurant des loges sur les côtés, permettant ainsi de jouer sur les deux espaces, la scène de théâtre et le proscenium, un peu comme ce qu’il avait conçu pour la Carmen mise en scène par Olivier Py à Lyon.

Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

Le chœur qui commente l’action est disposé soit sur le proscenium soit dans les niches. Orfeo sur la scène, Euridice cadavre sur le proscenium, protégée par un danseur qui danse une chorégraphie de la mort (Uli Kirsch) , et qui dispute amoureusement Euridice à Orfeo, un danseur qui fait penser au Septième Sceau de Bergman…sans Bergman. C’est l’idée centrale.

Bejun Mehta (Orfeo), Uli Kirsch (La Mort) Camilla Tilling (Euridice) © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Bejun Mehta (Orfeo), Uli Kirsch (La Mort) Camilla Tilling (Euridice) © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

La deuxième idée, c’est d’enfermer au lever de rideau Orfeo et Euridice dans une sorte de construction baroque, une immense robe à paniers où les deux se serrent, déjà divinisés comme une sorte de statue d’autel, Euridice de dos, Orfeo de face, et de faire qu’au moment où Euridice s’écroule, une blessure sanguinolente qui se ravive de temps à autre…atteigne le flanc d’Orfeo. Orfeo inconsolable, marqué à vie par le sang de la blessure de cette mort (Amfortas ? On comprendrait alors qu’Orfeo soit un castrat – ici un contreténor).
La troisième idée, c’est un délicieux Amour du genre mauvais garçon gentil, un peu Bohème, très androgyne (décidément) interprété avec une jolie fraîcheur par Ana Quintans.

Euridice est arrachée aux Enfers © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Euridice est arrachée aux Enfers © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

Enfin la dernière, non la moindre, c’est représenter l’enlèvement d’Euridice projeté en ombres sur un vélin. C’est une très belle image, sans doute l’une des plus belles du spectacle qui tranche par sa simplicité et donc est pleinement convaincante.
Pour le reste, une vision traditionnelle, des mouvements convenus, des gestes rebattus : un grand rien très élégant, magnifié par de très bons chanteurs.

Le décor lourd et envahissant ne se justifie pas vraiment: il souligne le théâtre dans le théâtre…et dans le théâtre, pour laisser apparaître à la fin l’histoire d’Orphée/Orfeo dans un univers cosmique, avec comme image finale la mort qui porte la terre comme Atlas. La mort pèse sur nous comme nous pesons sur la mort. Le rideau final tombe sur la harpe, centrale, solitaire, orphique, prima la musica…

Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

Un travail sans épaisseur, qui  ne dérange pas, mais très élégant, avec de jolis éclairages de Bertrand Killy, pour être vu sans y penser, et qui n’a pas d’ailleurs la prétention de faire penser, mais seulement de faire semblant : on est baroque ou on n’est pas.

Musicalement, trois chanteurs remarquables, avec en premier lieu Bejun Mehta, qui montre une telle sûreté, une telle pureté dans l’approche musicale, un tel sens dramatique, qu’il impressionne vraiment. Un visage hiératique, presque taillé dans le marbre, une voix étrange, avec de sublimes sons quelquefois. Il m’avait frappé dans Tamerlano à Salzbourg et surtout dans Written on Skin à Aix, où il était exceptionnel. Il est ici magnifique de tension et d’émotion ; son che faro’ senza Euridice est anthologique, surprenant de simplicité, sans affèterie, et profondément émouvant.
Camilla Tilling est une chanteuse elle aussi très sûre qui partage avec Bejun Mehta le refus de l’effet gratuit, et qui est immédiatement émouvante : c’est une artiste qui communique, avec la voix et avec le corps dessiné comme celui d’une danseuse. Elle reste en scène pratiquement la totalité du spectacle, cadavre répondant aux douceurs érotiques de la Mort, ou femme éplorée et dépitée devant l’apparente indifférence d’Orfeo. Une vraie intensité, un beau moment dramatique.

Orfeo, Euridice, L'Amour, La Mort © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
La Mort, Euridice, L’Amour, Orfeo © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

L’amour d’Ana Quintans a une fraicheur communicative, une sympathie immédiate, la salle sourit, partage, s’émeut. Et la voix est bien posée, avec une jolie diction, très compréhensible. Un vrai rayon se soleil.
Le Chœur de chambre du Palau de la Música Catalana est aussi très au point et sonne bien dans l’acoustique un peu sèche de la salle de Grenoble, et il est doué un joli volume et d’une belle présence.
La direction de Marc Minkowski ne surprend pas : énergie et dynamisme (ouverture), mais absence globale de subtilité, même si Gluck fait partie de son répertoire familier. Ce n’est pas dans les nuances qu’il faut attendre Minkowski, ni même dans la couleur, mais dans cette palpitation permanente, un peu gratuite, qui fait que même dans les moments les plus recueillis, les plus lyriques, l’orchestre semble rester insensible. Contrairement à Alceste à Garnier, on ne note aucun décalage et l’ensemble est assez précis, mais n’est pas passionnant pour mon goût parce qu’un peu superficiel. J’aime un Gluck plus charnu, plus différencié, plus coloré et pour tout dire avec une grandeur tragique que je ne trouve pas ici.
Ce fut malgré tout une soirée agréable, mais à la distribution de très haut niveau ne correspond ni une mise en scène intéressante (qui néanmoins se laisse voir), ni une direction musicale exceptionnelle (qui néanmoins se laisse entendre). Sans la poésie, sans le lyrisme, un Orfeo ed Euridice reste frustrant : frustration certes légère, car la soirée est tout de même de qualité, mais frustration réelle.
[wpsr_facebook]

Le dispositif général © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Le dispositif général © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2013-2014: THE ENCHANTED ISLAND (Pasticcio baroque de Jeremy Sams) le 8 MARS 2014 à 12h (Dir.mus: Patrick SUMMERS Ms en scène: Phelim MC DERMOTT) avec Placido DOMINGO

Le monde de Neptune (Placido Domingo) © The Metropolitan Opera.
Le monde de Neptune (Placido Domingo) © The Metropolitan Opera.

Il n’y a guère qu’au MET où l’on puisse voir des spectacles presque impossibles à imaginer en Europe. Le MET programme peu ou pas d’opéra baroque qui en revanche fait partie de la normalité en Europe, même si Peter Gelb soutient qu’on peut en représenter dans cette salle immense de 4000 spectateurs. Et pour introduire ce répertoire inconnu ici, il a eu l’idée d’un pasticcio à la manière de ce qui se faisait au XVIIIème, c’est à dire d’un spectacle inventé pour mettre en valeur des grands airs (43 morceaux) du répertoire baroque (Haendel, Vivaldi, Campra, Rameau etc…) autour une trame qui pourrait être la quintessence de ce dont le spectateur rêve quand on lui parle de baroque : une histoire de magie (une île enchantée comme celle d’Alcina), un opéra à transformations, des plumes, des ors, une tempête, des vocalises étourdissantes et deux contre-ténors : voilà 3h20 d’un spectacle funnyssime.

Saluts, le 8 mars
Saluts, le 8 mars

Mais le clou est évidemment une distribution grandiose qui garantit la venue du public : Luca Pisaroni, Susan Graham, Danielle de Niese…et Placido Domingo. En même pas 24h, le ténor du jour, Jonas Kaufmann et la légende d’hier et d’aujourd’hui, Placido Domingo. C’est cela le MET, c’est aussi cela d’avoir le plus gros budget du monde…
Le résultat, un triomphe pour un spectacle qu’il faut accepter tel que, sans se poser de questions, sans vraiment s’interroger sur le sens de l’œuvre et surtout en se laissant aller au pur plaisir du kitsch, des effets, des sourires et surtout d’un chant qui est exceptionnel…

C’est le britannique Jeremy Sams qui a conçu le livret (en anglais) inspiré de Shakespeare, appuyé à la fois sur  La Tempête et sur Le Songe d’une nuit d’été : le duc de Milan Prospero (David Daniels, contreténor), s’est retrouvé après une tempête sur une île qu’il a prise à la magicienne Sycorax après avoir été son amant (Susan Graham).

Susan Graham (Sycorax) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Susan Graham (Sycorax) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.

Vieillissant, il veut garantir l’avenir à sa fille Miranda (Andriana Chuchman) et en même temps retourner dans sa patrie, et donc veut la marier au Prince Ferdinand (magnifique Anthony Roth Costanzo, contreténor), qui voyage avec le Roi de Naples sur un vaisseau, et demande à l’esprit Ariel (Danielle de Niese) de créer une tempête pour que le bateau s’échoue sur l’île et que Ferdinand par la vertu de philtres magiques tombe amoureux de Miranda.
Mais voilà : Ariel est maladroit et se trompe de bateau, lançant la tempête contre un esquif transportant deux couples en lune de miel, Helena et Demetrius (Janai Brugger et Andrew Stenson), Hermia et Lysander (Elisabeth DeShong et Nicholas Pallesen). De son côté la magicienne Sycorax envoie son fils Caliban (Luca Pisaroni) mettre un peu de confusion dans tout ce qui se trame et changer les formules des philtres (échangeant du sang de dragon contre du sang de lézard). Le résultat : un joyeux désordre, on ne sait plus qui est amoureux de qui, et en tous cas jamais de la bonne personne ; il faudra l’intervention de Neptune (Placido Domingo) pour que tout rentre dans l’ordre et que Prospero rende l’île à Sycorax, Ariel à sa liberté et retourne à Milan : tout est bien qui finit bien.
Cette baroque fantasy qui dure quand même 3h20, est donc composée d’un tissu d’airs (voir la liste ci-dessous) dont les paroles ont été changées par Jeremy Sams et dont les auteurs ont pour nom Haendel, qui se taille la part du lion, mais aussi Rameau, Vivaldi, Campra, Leclair, Purcell, Rebel et Ferrandini.

Le dispositif © The Metropolitan Opera.
Le dispositif © The Metropolitan Opera.

Le spectacle a été confié à Phelim McDermott et Julian Crouch (qui signe aussi les décors) fondateurs de l’Improbable Theatre, un théâtre de fantaisie où se rencontrent marionnettes, improvisation, comédie et récit. On leur doit aussi le musical The Addams Family, créé à Chicago en 2009 et repris à Broadway en 2010. Ils ont réussi à alterner des visions très traditionnelles de la machine théâtrale (toiles peintes et effets mécaniques pour les bateaux, les tempêtes, l’apparition kitchissime de Neptune) et une utilisation d’une précision incroyable de la vidéo. Ils allient donc ce que l’illusion théâtrale d’hier et celle d’aujourd’hui font de mieux, en un mélange très fluide où l’on passe du trompe d’œil à l’illusion vidéo sans s’en rendre compte ou presque.

©The Metropolitan Opera.
©The Metropolitan Opera.

Ils réussissent aussi à garder une certaine distance, sans jamais verser dans la paillette, et produisant finalement un travail juste, divertissant, et servant le livret de Jeremy Sams et la musique. Du bon spectaculaire en somme.
Jeremy Sams, professionnel de l’écriture, de la musique, de l’orchestration du spectacle vivant a réussi à retravailler et les airs, et les rares récitatifs avec une telle habileté et une telle fluidité qu’on ne remarque pas la diversité de styles (Haendel, Vivaldi et Rameau, ce n’est pas tout à fait pareil) pour privilégier une sorte de vision unitaire, cohérente qui est une fête pour l’oreille et l’œil fait pour attirer vers le baroque un public a priori non encore acquis .
Lors de la première série en 2011-2012, c’était William Christie qui officiait dans la fosse ; c’est cette fois Patrick Summers qui reprend la production. Patrick Summers, directeur artistique du Houston Grand Opera et Principal Guest Conductor du San Francisco Opera est un bon routier, l’un des chefs qui a le plus riche répertoire aux USA. Il dirige cette « partition » avec un orchestre moderne, le menant avec une belle énergie, mais sans génie particulier sinon celui d’accompagner les chanteurs : ne pas chercher là une quelconque fidélité stylistique ou une couleur baroqueuse. Patrick Summers assure la soirée avec suffisamment de professionnalisme pour obtenir un beau succès au rideau final.
Pour cette reprise et selon la tradition, quelques airs ont été changés par rapport à la création, pour s’adapter mieux aux chanteurs, (Jeremy Sams disait qu’il fallait que les airs soient taillés sur mesure à la main pour les voix) ainsi l’air de Rameau que chantait Joyce Di Donato est remplacé par l’air  Sta nell’ircana  d’Alcina pour Susan Graham. Pour Neptune (Placido Domingo) : on est passé de Rameau à Haendel (Tamerlano) pour son air du second acte, tandis que la fameuse scène de Neptune au fond des eaux représentée sur toutes les photos conclut désormais le premier acte, tel un « showstopper » comme on dit sur Broadway …

Tempête...© Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Tempête…© Ken Howard/The Metropolitan Opera.

Car l’avantage du pasticcio est une extrême élasticité du propos, une adaptation des airs aux voix (ou à l’état des voix) présentes sur le plateau. Ainsi donc voilà un spectacle qui fera peut-être fuir les puristes ou les ayatollahs, car il va contre les productions historiquement fidèles, les éditions complètes et archéologiques, les instruments anciens, mais qui devrait attirer un public plus bigarré, disponible, et aimant de belles voix et le pur divertissement.

La première série avait été un triomphe de public, cette reprise l’est un peu moins malgré l’énorme succès et bien que la salle soit plus remplie que pour Wozzeck
Pour qu’un tel spectacle fonctionne, au-delà de la mise en scène, il faut évidemment des voix qui puissent répondre aux exigences de cette permanente mise en exposition. Cela se veut une vitrine de ce que peut-être le baroque, il faut évidemment une vitrine scénique et une vraie vitrine vocale.
Hors Placido Domingo-Neptune, qui intervient plus comme Deus ex machina que protagoniste de l’action,

Prospero (David Daniels) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Prospero (David Daniels) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.

c’est Prospero (David Daniels) et Sycorax (Susan Graham) qui se partagent les principaux rôles. David Daniels, l’un des contreténors de référence aujourd’hui impose sa voix très affirmée, une voix qu’il arrive à voiler, à qui il donne une couleur vieillie (le personnage de Prospero monte toute cette affaire parce qu’il arrive à la vieillesse) réussie, mais il domine formidablement l’ensemble du plateau, avec un magnifique second acte, où on lui demande (ainsi qu’à Susan Graham) une plus grande intériorité et une expression plus profonde de la souffrance. Son air I try to shape my destiny – Chaos, confusion qui est en réalité Pena tiranna d’Amadigi di Gaula de Haendel est un des magnifiques moments de la soirée.

De même pour la Sycorax de Susan Graham, à la voix pleine et ronde, peut-être moins sûre aujourd’hui dans les agilités : son deuxième acte et notamment toute la partie finale où l’alternative est se venger (de Prospero) ou pardonner est cependant souverain, avec une belle  science du chant au service de la passion: j’ai beaucoup aimé The time has come. The time is now (en réalité : Morirò, ma vendicata de Teseo de Haendel).

 

Danielle de Niese (Ariel) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Danielle de Niese (Ariel) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.

Danielle de Niese compose un Ariel frais, plein de fantaisie, avec des agilités vocales étourdissantes : la mise en scène la sert, son arrivée au fond de l’eau chez Neptune, dans un scaphandre, est désopilante.

Luca Pisaroni (Caliban) © The Metropolitan Opera.
Luca Pisaroni (Caliban) © The Metropolitan Opera.

Quant à Luca Pisaroni, dans le rôle de Caliban, sous un masque, il est vraiment remarquable de sûreté vocale, de puissance et de présence : il est souvent plus émouvant que comique, dans un rôle qui est totalement caricatural, une très belle prestation qui dépasse celles dans lesquelles il excellait déjà (Leporello, dans la mise en scène de Haneke à Paris).

Il serait injuste d’oublier notamment la très fraîche Miranda de Andriana Chuchman, et dans les deux couples de jeunes mariés, surtout la magnifique Hermia d’Elisabeth DeShong, qui finira sans doute, si d’autres reprises de ce spectacle sont programmées, par s’emparer et triompher du rôle de Sycorax. Chez les hommes, le ténor délicat Andrew Stenson se fait remarquer dans Demetrius (agréable air d’entrée Oh, Helena, my Helen – You would have loved this island venu de Resurrezione de Haendel) mais une notation particulière pour le Ferdinand très fin, à la voix claire et pure, très contrôlée du jeune contreténor Anthony Roth Costanzo.

Placido Domingo (Neptune) © The Metropolitan Opera.
Placido Domingo (Neptune) © The Metropolitan Opera.

Reste Placido Domingo. Impossible à juger à l’aune des autres: il a derrière lui une telle carrière qu’il la porte toujours avec lui et que les spectateurs qui comme moi l’ont suivi depuis 40 ans (je le vis pour la première fois en 1974) ne peuvent le juger avec l’objectivité voulue. Il fait de Neptune un Dieu un peu farfelu, avec des attitudes qui provoquent les rires. Et il apparaît dans cette hallucinante scène au fond de l’eau, très attendue, avec sirènes, chœurs et conques, à la fois sommet d’un kitsch à la Disney, très bien fait sur la scène du MET qui en a vu d’autres en matière de divinités aquatiques (voir le début époustouflant du Rheingold de Lepage) . C’est la scène emblématique de la production et qu’on la voit partout représentée, elle est d’ailleurs quelque peu flashée par les spectateurs.
Un Domingo en majesté, entouré de chœurs et comme sorti d’une comédie musicale des années quarante.
Un Domingo qui chante deux airs toujours avec un peu de problèmes dans les graves, mais qui réussit à maintenir des agilités et surtout des aigus tenus, sûrs, qui mettent en valeur ce timbre encore chaleureux et qui garde sa pureté : la voix est là, la couleur est là, les jeunes qui l’entendent peuvent encore avoir une idée de qui il fut, par ce qu’il est encore. D’après ce que je sais, il a été quelque peu irrégulier lors de ces reprises, et la presse l’a un peu étrillé, mais le jour (il était midi) où je l’ai entendu, c’était vraiment encore étonnant.

J’ai passé un moment délicieux, je me suis laissé faire, totalement aspiré par cette production qu’un critique a comparé méchamment à un Mamma Mia baroque, pourquoi pas, si musicalement on ne se moque pas du monde et si on passe un bon moment ? On n’oserait pas penser un tel spectacle à Bastille (que ne dirait-on pas !), mais il ne déparerait pas, au contraire, au Châtelet d’aujourd’hui.
C’était mon plaisir de l’île enchantée.
[wpsr_facebook]

Placido Domingo, Susan graham, David Daniels le 8 mars 2014
Placido Domingo, Susan graham, David Daniels le 8 mars 2014

Les airs, tels qu’ils apparaissent dans le site du MET : http://www.metoperafamily.org/metopera/news/enchanted-island-music.aspx

Overture
George Frideric Handel: Alcina, HWV 34

Act I

1. “My Ariel” (Prospero, Ariel) – “Ah, if you would earn your freedom” (Prospero)
Antonio Vivaldi: Cessate, omai cessate, cantata, RV 684, “Ah, ch’infelice sempre”

2. “My master, generous master – I can conjure you fire” (Ariel)
Handel: Il trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio, HWV 46a, Part I, “Un pensiero nemico di pace”

3. “Then what I desire” (Prospero, Ariel)

4. “There are times when the dark side – Maybe soon, maybe now” (Sycorax, Caliban)
Handel: Teseo, HWV 9, Act V, Scene 1, “Morirò, ma vendicata”

5. “The blood of a dragon – Stolen by treachery” (Caliban)
Handel: La Resurrezione, oratorio, HWV 47, Part I, Scene 1, “O voi, dell’Erebo”

6. “Miranda! My Miranda!” (Prospero, Miranda) – “I have no words for this feeling” (Miranda)
Handel: Notte placida e cheta, cantata, HWV 142, “Che non si dà”

7. “My master’s books – Take salt and stones” (Ariel)
Based on Jean-Philippe Rameau: Les Fêtes d’Hébé, Deuxième entrée: La Musique, Scene 7, “Aimez, aimez d’une ardeur mutuelle”

8. Quartet: “Days of pleasure, nights of love” (Helena, Hermia, Demetrius, Lysander)
Handel: Semele, HWV 58, Act I, Scene 4, “Endless pleasure, endless love”

9. The Storm (chorus)
André Campra: Idoménée, Act II, Scene 1, “O Dieux! O justes Dieux!”

10. “I’ve done as you commanded” (Ariel, Prospero)
Handel: La Resurrezione, oratorio, HWV 47, “Di rabbia indarno freme”

11. “Oh, Helena, my Helen – You would have loved this island” (Demetrius)
Handel: La Resurrezione, oratorio, HWV 47, Part I, Scene 2, “Così la tortorella”

12. “Would that it could last forever – Wonderful, wonderful” (Miranda, Demetrius)
Handel: Ariodante, HWV 33, Act I, Scene 5, “Prendi, prendi”

13. “Why am I living?” (Helena)
Handel: Teseo, HWV 9, Act II, Scene 1, “Dolce riposo”
“With this, now I can start again – Once, once at my command” (Sycorax)
Jean-Marie Leclair: Scylla et Glaucus, Act IV, Scene 4, “Et toi, dont les embrasements… Noires divinités”

14. “Mother, why not? – Mother, my blood is freezing” (Caliban)
Vivaldi: Il Farnace, RV 711, Act II, Scene 5 & 6, “Gelido in ogni vena”

15. “Help me out of this nightmare” – Quintet: “Beautiful, wonderful” (Helena, Sycorax, Caliban, Miranda, Demetrius)
Handel: Ariodante, HWV 33, Act I, Scene 5, recitative preceding “Prendi, prendi”

16. “Welcome Ferdinand – All I’ve done is try to help you” (Prospero)
Vivaldi: Longe mala, umbrae, terrores, motet, RV 629, “Longe mala, umbrae, terrores”

17. “Curse you, Neptune” (Lysander)
Vivaldi: Griselda, RV 718, Act III, Scene 6, “Dopo un’orrida procella”

18. “Your bride, sir?” (Ariel, Lysander, Demetrius, Miranda) – Trio: “Away, away! You loathsome wretch, away!” (Miranda, Demetrius, Lysander)
Handel: Susanna, oratorio, HWV 66, Part II, “Away, ye tempt me both in vain”

19. “Two castaways – Arise! Arise, great Neptune” (Ariel)
Attr. Henry Purcell: The Tempest, or, The Enchanted Island, Z. 631, Act II, no. 3, “Arise, ye subterranean winds”

20. “This is convolvulus” (Helena, Caliban) – “If the air should hum with noises” (Caliban)
Handel: Deidamia, HWV 42, Act II, Scene 4, “Nel riposo e nel contento”

21. “Neptune the Great” (Chorus)
Handel: Four Coronation Anthems, HWV 258, “Zadok the Priest”

22. “Who dares to call me? – Gone forever” (Neptune, Ariel)
Based on Handel: Tamerlano, HWV 18, “Oh, per me lieto”
“I’d forgotten that I was Lord” (Neptune, Chorus)
Rameau: Hippolyte et Aricie, Act II, Scene 3, “Qu’a server mon courroux”

Act II

23. “My God, what’s this? – Where are you now?” (Hermia)
Handel: Hercules, oratorio, HWV 60, Act III, Scene 3, “Where shall I fly?”

24. “So sweet, talking together” –
Vivaldi: Argippo, RV 697, Act I, Scene 1, “Se lento ancora il fulmine”
“Now it’s returning” (Sycorax)
Handel: Alcina, HWV 34, Act III, Scene 1 – “Stà nell’Ircana”

25. “Have you seen a young lady?” (Demetrius, Helena, Caliban) – “A voice, a face, a figure half-remembered” (Helena)
Handel: Amadigi di Gaula, HWV 11, Act III, Scene 4, “Hanno penetrato i detti tuoi l’inferno”

26. “His name, she spoke his name – The rage” (Caliban)
Handel: Hercules, oratorio, HWV 60, Act III, Scene 2 “O Jove, what land is this? – I rage”

27. “I try to shape my destiny – Chaos, confusion” (Prospero)
Handel: Amadigi di Gaula, HWV 11, Act II, Scene 5, “Pena tiranna”

28. “Oh, my darling, my sister – Men are fickle” (Helena, Hermia)
Handel: Atalanta, HWV 35, Act II, Scene 3 – “Amarilli? – O dei!”

29. “I knew the spell” (Sycorax, Caliban) – “Hearts that love can all be broken” (Sycorax)
Giovanni Battista Ferrandini (attr. Handel): Il pianto di Maria, cantata, HWV 234, “Giunta l’ora fatal – Sventurati i miei sospiri”

30. “Such meager consolation – No, I’ll have no consolation” (Caliban)
Vivaldi: Bajazet, RV 703, Act III, Scene 7, “Verrò, crudel spietato”

31. Masque of the Wealth of all the World
a. Quartet: Caliban goes into his dream, “Wealth and love can be thine”
Rameau: Les Indes galantes, Act III, Scene 7, “Tendre amour”
b. Parade
Rameau: Les fêtes d’Hébé, Troisième entrée: Les Dances, Scene 7, Tambourin en rondeau
c. The Women and the Unicorn
Rameau: Les fêtes d’Hébé, Troisième entrée: Les Dances, Scene 7, Musette
d. The Animals
Jean-Féry Rebel: Les Éléments, Act I, Tambourins I & II
e. Chaos
Rameau: Platée, Act I, Scene 6, Orage
f. The Calm
Campra: Idoménée, Act II, Scene 1

32. “With no sail and no rudder – Gliding onwards” (Ferdinand)
Handel: Amadigi di Gaula, HWV 11, Act II, Scene 1, “Io ramingo – Sussurrate, onde vezzose”

33. Sextet: “Follow hither, thither, follow me” (Ariel, Miranda, Helena, Hermia, Demetrius, Lysander)
Handel: Il trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio, HWV 46a, Part II, Quartet: “Voglio tempo”

34. “Sleep now” (Ariel)
Vivaldi: Tito Manlio, RV 78, Act III, Scene 1, “Sonno, se pur sei sonno”

35. “Darling, it’s you at last” (Hermia, Lysander, Demetrius, Helena)
Vivaldi: La verità in cimento, RV 739, Act II, scene 9, “Anima mia, mio ben”

36. “The wat’ry God has heard the island’s pleas” (Chorus)
Handel: Susanna, oratorio, HWV 66, Part III, “Impartial Heav’n!”

37. “Sir, honored sir – I have dreamed you” (Ferdinand, Miranda)
Handel: Tanti strali al sen mi scocchi, cantata, HWV 197, “Ma se l’alma sempre geme”

38. “The time has come. The time is now” (“Maybe soon, maybe now,” reprise) (Sycorax)
Handel: Teseo, HWV 9, Act V, Scene 1, “Morirò, ma vendicata”

39. “Enough! How dare you?” (Prospero, Neptune) – “Tyrant! Merely a petty tyrant.” (Neptune)
Handel: Tamerlano, HWV 18, Act III, Scene 1, “Empio, per farti guerra”

40. “To stray is mortal” (Prospero, Caliban) – “Forgive me, please forgive me” (Prospero)
Handel: Partenope, HWV 27, Act III, Scene 4, “Ch’io parta?”

41. “We gods who watch the ways of man” (Neptune, Sycorax, Chorus)
Handel: L’allegro, il Penseroso, ed il Moderato, HWV 55, Part I, “Come, but keep thy wonted state – Join with thee”

42. “This my hope for the future” (Prospero) – “Can you feel the heavens are reeling” (Ariel)
Vivaldi: Griselda, RV 718, Act II, scene 2, “Agitata da due venti”

43. “Now a bright new day is dawning” (Ensemble)
Handel: Judas Maccabaeus, oratorio, HWV 63, Part III, “Hallelujah”

 

 

OPERNHAUS ZÜRICH 2013-2014: ALCINA, de Georg Friedrich HAENDEL le 7 FÉVRIER 2014 (Dir.mus: Giovanni ANTONINI, ms en scène: Christof LOY) avec Cecilia BARTOLI

Alcina Acte I ©Monika Rittershaus
Alcina Acte I ©Monika Rittershaus

La salle de l’opéra de Zürich est spéciale. Elle est petite, le volume et la jauge sont réduits (1100 places). On peut s’en étonner pour la salle la plus importante de Suisse. Mais le plateau, l’ouverture de scène et la fosse sont assez larges (même si les dégagements empêchent le dépôt des décors, toujours sous des bâches à l’extérieur), pour permettre aussi bien d’accueillir des Wagner ou des grands Verdi que des opéras baroques aux effectifs plus réduits. Voilà une salle où épique et lyrique, intime et lointain peuvent se conjuguer parfaitement.

Le rapport scène-salle est idéal pour avoir une impression de proximité et pour des voix qui sans forcer, se font entendre.
Cecilia Bartoli a depuis très longtemps compris que c’était le lieu pour sa voix: c’est à Zürich qu’elle chante le plus à l’opéra et Alcina est une prise de rôle, d’un rôle chanté par les plus grandes: c’est par exemple celui choisi par Anja Harteros pour sa première apparition à la Scala en 2009, belle prestation, mais qui n’égale pas ce que nous avons entendu ce soir…
C’est aussi une prise de rôle pour Julie Fuchs (Morgane), Varduhi Abrahamyan (Bradamante) et Malena Ernman (Ruggiero) qui le 7 février a fait annoncer qu’elle était souffrante. Il n’en est rien paru. C’est enfin une prise de rôle pour le ténor Fabio Trümpy (Oronte), et la basse Erik Anstine (Melisso). C’est donc pour toute la distribution une prise de rôle, et c’est un coup de maître.
En effet, malgré la musique, on peut très rapidement tomber dans l’ennui ou la langueur, à cause de la dramaturgie particulière de ce type d’œuvre, de la succession des airs, d’une apparente légèreté du propos : une île gouvernée par une magicienne, des hommes qu’elle a séduits, pétrifiés ou animalisés, une île enchantée,  ses plaisirs et ses jours, et l’amour, toujours.
Christof Loy a fait là un travail remarquable, approfondi, plein de sens, avec une tension maintenue jusqu’à la fin. L’histoire qu’il raconte est à la fois celle d’Alcina la cruelle, vaincue par l’amour, celle des aimant et celle des mal aimés, mais en même temps celle du théâtre comme métaphore de cet enchantement. Vie et mort du théâtre des intermittences du cœur.

Cecilia Bartoli Acte I ©Monika Rittershaus
Cecilia Bartoli Acte I ©Monika Rittershaus

L’île enchantée d’Alcina, c’est un théâtre du XVIIIème siècle, dont on voit scène et dessous au premier acte,  loges des artistes au deuxième, et plateau et décors abandonnés au troisième. Trois lieux pour trois moments : l’enchantement au premier acte, bas les masques au deuxième pour des personnages qui retournent à eux-mêmes dans l’intimité de leurs loges, et au troisième, un anti-théâtre, un théâtre qui déchante pour des personnages revenus à leur réalité, le tout traversé par une Alcina qui n’est rien d’autre qu’une Maréchale désespérée avant l’heure.
Dans ce théâtre où circulent illusions et désillusions, Christof Loy sème à la fois la fantaisie et la mélancolie, l’humour et la tristesse. Il affirme dans une interview  dans le programme de salle combien dans ses opéras londoniens (Alcina a été créé en 1735 à Londres) Haendel est redevable à Shakespeare, et notamment à ces comédies telles que « Comme il vous plaira » où l’on passe de la comédie au drame, de la gaieté à la mélancolie, dans une atmosphère de magie impalpable.
Car si l’illusion baroque est évoquée comme référence, elle est totalement absente de la soirée : Alcina a usé de sa magie par le passé, menace d’user de sa magie dans le futur, mais en fait n’en use pas durant l’ensemble de l’opéra. En revanche c’est bien de l’illusion du théâtre dont use Loy, une illusion comique au sens où Corneille l’entendait, qui révèle les âmes et leurs entrelacs. Quelle est la part du réel ? Qui aime qui ? Où suis-je ? Que dit ce visage ? Que dit ce corps ? Voilà tout ce qu’en résumé le théâtre ici nous dit.
Et dès le premier acte, où les personnages en costume d’opéra (baroque), au milieu des danseurs, jouent toutes les apparences de l’amour, nous voyons intervenir en costumes de businessmen tels des intrus du réel dans ce monde enchanté, Bradamante et Melisso. Bradamante est elle-même habillée en homme, Ricciardo, pour mieux vérifier l’amour de Ruggiero et surtout voir sans être vue, dans un monde qui n’est pas le sien.
Mais voilà, le fil d’amour du théâtre et de la vie fait des nœuds: Bradamante aime Ruggiero, mais Ruggiero aime Alcina par magie (ou dans l’illusion du théâtre).

Bradamante (Ricciardo) Acte II ©Monika Rittershaus
Bradamante (Ricciardo) et Ruggiero Acte II ©Monika Rittershaus

Bradamante déguisée en Ricciardo fait naître l’amour de la sœur d’Alcina, Morgane, qui délaisse ainsi Oronte, premier des mal aimés. Tous les protagonistes sont chantés par des voix féminines, dans des rôles de femmes (Alcina, Morgane), ou d’hommes (Ruggiero, Ricciardo), mais Ricciardo est en réalité, Bradamante, déguisée en homme, et non pas un travesti…Il y a de quoi donner le tournis à la théorie du genre,  aux lois de l’amour…et interdire Haendel à tout jamais dans nos écoles…Seules voix masculines, Melisso (basse), et Oronte (ténor) ne sont pas des comparses dans ce réseau de relations complexes où l’apparence et l’être se confondent et se superposent: la mise en scène les traite en vrais personnages.

Malena Ernmann (Ruggiero) ©Monika Rittershaus
Malena Ernmann (Ruggiero) ©Monika Rittershaus

C’est que l’amour n’est pas chose simple : lorsqu’au deuxième acte les personnages semblent retourner à leurs sentiments premiers et reformer les anciens couples Ruggiero-Bradamante et Morgane-Oronte, les choses ne sont pas si claires, et il n’est pas facile de laisser choir un cœur : dans des images à la Così fan tutte avant la lettre, Christof Loy explore l’ambiguïté des situations et des relations, et l’amertume qui s’en dégage par des jeux de regards intenses, voire chavirants.
Le bonheur n’est pas encore une idée neuve.
Alcina va suivre exactement le parcours de la Maréchale chez Strauss. Elle s’amuse au premier acte, comprend au second acte qu’elle est elle-même prise à son propre piège. Mais elle aime en femme mature, qui vieillit : magnifique scène au miroir où elle se voit face à face avec la vieille dame qu’elle sera, et qui a les traits de cet amour vieilli qui accompagne pratiquement chaque scène, comme une projection à la fois souriante et terrible(Sylvia Fenz, véritable figure à la fois tendre et ironique qui accompagne tous les personnages).

Cecilia Bartoli Acte II ©Monika Rittershaus
Cecilia Bartoli Acte II ©Monika Rittershaus

Mais Alcina qui à la fin du deuxième acte en perd sa baguette magique (en fait un gratte dos…) comme Wotan sa lance, reste dangereuse, comme la bête blessée.
Ainsi le troisième acte semble par son côté échevelé une réponse à un second acte très intérieur, dans l’écriture scénique de Christof Loy . Dans ce théâtre presque à l’abandon, l’envers du décor marque l’impuissance d’Alcina (quand le décor  à l’endroit du premier acte marquait son triomphe) et l’énergie de son désespoir : à dessein l’épisode d’Oberto a été coupé. Plus de magie dans cette approche où l’héroïne cruelle et puissante semble au contraire devenue une femme malheureuse qui cherche à en finir. Sortant l’intrigue de l’illusion baroque et du récit magique, il finit par en faire l’histoire de cœurs qui se lacèrent et cherchent à se détruire.

Cecilia Bartoli (Acte III) ©Monika Rittershaus
Cecilia Bartoli et Cupido septuagénaire (Acte III) ©Monika Rittershaus

Mais comme chez Shakespeare, l’humour ne perd pas ses droits : l’appel de Ruggiero à son héroïsme passé et à sa force est traduit par une époustouflante scène de comédie musicale, où Ruggiero vocalise en faisant des pompes – oui vous avez bien lu – où Melisso et Bradamante se mêlent aux danseurs en un ballet endiablé, là où au premier acte ils traversaient le ballet baroque sans le voir. Un des moments les plus joyeux et des plus marquants de la soirée, qui déchaîne l’enthousiasme mérité du public.

Dans ce théâtre ruiné, aux décors abandonnés (un incendie au début du troisième acte ?), l’image finale inscrit encore pourtant quelque chose de l’illusion. Si l’ordre humain est rétabli, si les couples sont reformés, Alcina, seule, apparaît au loin, émergeant d’une trappe, en robe à paniers, en fée baroque du premier acte, auprès du lustre (réplique de celui de l’Opéra de Zürich). L’illusion persiste (et d’ailleurs Ruggiero tombe à genoux), le théâtre continue, the show must go on.
Dans une mise en scène aussi précise, aussi construite, aussi riche et argumentée, aussi convaincante, Christof Loy a réussi à impliquer dans le jeu l’ensemble de la distribution exceptionnelle à tous égards. Nous sommes face à une troupe d’acteurs-chanteurs bluffants où chaque air semble s’insérer à point dans le déroulement de l’intrigue, jamais pezzo chiuso, et toujours aperto, et s’accompagne d’un travail théâtral stupéfiant de précision.

Ruggiero& Alcina Acte II ©Monika Rittershaus
Ruggiero& Alcina Acte II ©Monika Rittershaus

Je suis resté abasourdi par le jeu des gestes et des mouvements de Cecilia Bartoli dans ses deux airs Ah! Mio cor immense moment de chant intériorisé et d’amour désespéré et ombre pallide, plus énergique, mais toujours teinté de désespérance. Cecilia Bartoli réussit sur l’ensemble de l’œuvre à incarner grandeur et décadence d’une femme atteinte, qui n’a rien de la méchante magicienne de théâtre, mais dont l’humanité blessée éclate au contraire à chacune de ses apparitions : vive au premier acte, parce qu’habillée en fée baroque, elle rentre au deuxième acte, vêtue de noir jusqu’à la fin, en deuil de sa vie et de son amour. On ne peut que saluer la performance technique, l’art de la nuance, l’art de l’expression et du phrasé, de la couleur, dans un chant qui n’est jamais démonstratif, mais monologue intérieur toujours incarné tout en réussissant à se fondre dans l’ensemble car les autres ne pâlissent pas devant cette magnifique performance.
Cecilia Bartoli fait de sa maturité (relativement à ses partenaires) un atout extraordinaire pour construire un personnage à distance, qui n’a plus de prise sur les choses, sur les gens, sur elle-même ; elle le fait avec une attention et une modestie, elle l’immense star, qui ne peut que provoquer une grande admiration. Brava l’artiste.

Ruggiero est Malena Ernman, mezzo-soprano suédoise qui a fait annoncer qu’elle était souffrante. Il faut vraiment faire preuve d’un pointillisme maniaque pour s’en apercevoir. D’abord, elle est tellement naturelle dans le personnage de travesti que sa nature féminine est bientôt oubliée, elle fait croire  de manière convaincante à ce rôle redoutable. D’abord emperruquée dans le premier acte où les personnages prisonniers de l’île enchantée sont tous éléments de l’opéra baroque mis en scène par Alcina, elle devient une sorte d’Oktavian au deuxième et troisième acte.

Sa prestation au troisième acte, notamment dans l’air Sta nell’Ircana pietrosa tana  est proprement étourdissante (voir youtube) : les agilités s’y conjuguent avec une ballet endiablé où elle accompagne des danseurs (Chorégraphie: Thomas Wilhelm) comme dans un Musical de Broadway. Chacun de ses airs correspond à un état psychologique différent, l’amour exclusif et inconscient pour Alcina au premier acte (sieguo Cupido), l’hésitation amoureuse très mozartienne de Mi lusinga il dolce affetto, et le magnifique il mio tesoro accompagné à la flûte par le chef lui-même, chef d’œuvre d’intériorité  dominé par une voix chaude, ronde, avec des agilités complètement maîtrisées et des passages de registre impressionnants. Malena Ernman propose un authentique personnage, d’une incroyable présence, mais surtout un feu d’artifice vocal d’une incroyable densité.

Ruggiero "Comédie Musicale" Acte III ©Monika Rittershaus
Ruggiero “Comédie Musicale” Acte III ©Monika Rittershaus

Varduhi  Abrahamyan est elle aussi une illustration dangereuse de la théorie du genre, tant sa personnification de Bradamante, déguisé en Ricciardo, supposé être l’ami de Bradamante est confondante de vérité, mais aussi de versatilité. Elle passe de l’un à l’autre à l’occasion des rencontres, tantôt plus féminine avec Ruggiero, tantôt de nouveau masculine et même mâle avec Morgane : elle est étonnante à tous les moments, dans toutes les situations. De plus sa voix sombre, très ductile, avec une diction exemplaire et un suprême sens de la couleur est douée de magnifiques agilités qui laissent espérer une grande réussite dans les rôles rossiniens (elle va chanter Isabella de L’Italiana in Algeri et elle a déjà été Arsace de Semiramide à Montpellier). Elle obtient donc un triomphe mérité, entre autres pour sa participation active au ballet de Musical du 3ème acte dont il a été question précédemment. Je l’avais déjà remarquée pour sa belle présence dans la Néris de Médée de Cherubini au TCE la saison dernière. Elle confirme l’impression première ; c’est un nom à suivre avec grande attention.

Julie Fuchs (Morgana) & Varduhi Abrahamyan (Bradamante) ©Monika Rittershaus
Julie Fuchs (Morgana) & Varduhi Abrahamyan (Bradamante) ©Monika Rittershaus

Dernière des quatre dames exceptionnelles de la soirée, Julie Fuchs à peine auréolée d’une Victoire de la musique classique 2014 remporte un éclatant succès dans Morgane. Elle chante beaucoup à Zürich (Marzelline, Morgane, Melanto du Ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi) car elle fait partie de la troupe depuis cette année. Cela signifie pour elle élargissement  du répertoire et appartenance à un des ensembles les plus solides d’Europe. Cela veut dire aussi qu’il faudra guetter les prises de rôle.
Je m’attendais à une voix très aiguë (elle chante Zerbinetta, mais pourquoi se fourvoyer dans Ciboulette ?). Elle a incontestablement les aigus et les suraigus. Mais ce qui frappe d’abord, c’est l’homogénéité vocale, c’est la tenue de souffle, c’est la manière d’ouvrir la voix après l’avoir retenue, c’est le sens de la nuance, mais c’est l’assise large de cette voix, dont le volume embrasse la salle. Je sens plus un soprano lyrique qu’un colorature, et un lyrique dont les qualités prédisposent à un très large répertoire pour lequel manquent de vraies voix. Le contrôle, les filati hallucinants, la présence scénique, magnifique, avec chez elle aussi une très grande versatilité scénique, de la fée baroque (elle est sœur d’Alcina), rousse splendide, en grand équipage,  à sa transformation méconnaissable en femme ordinaire et amoureuse au troisième acte lors de son duo avec Oronte.
Elle maîtrise les pièges du rôle, se plie de manière scrupuleuse aux demandes de la mise en scène et chacune de ses apparitions est un enchantement vocal : une telle sûreté, un tel contrôle paraissent stupéfiants chez une chanteuse en début de carrière. Comme on dit, elle a tout d’une grande.

Il y a quand même deux hommes (des vrais…car on s’y perd) dans cette distribution qui avec des moyens et une personnalité très différents réussissent eux aussi à tenir la scène : Fabio Trümpy, Oronte, surprend au départ. Son attitude scénique nerveuse, ses gestes brusques, à la limite un peu vulgaires, voulus par la mise en scène car c’est la figure du  jaloux, nuisent au départ à l’impression positive dégagée par un chant bien contrôlé, avec un timbre clair et une diction sans reproche, notamment dans les belles premières scènes du troisième acte . Quant à la basse américaine Erik Anstine, qui chante Melisso, la voix est peut-être moins intéressante, mais le personnage est très fouillé, notamment grâce au regard ironique de Loy sur ce serviteur plutôt zélé, sans doute amoureux de sa maîtresse Bradamante, et qui ne devrait pas lever la jambe trop haut au troisième acte. Il est une figure un peu humoristique , un peu décalée, comme un Sganarelle de Wall Street dans un ensemble particulièrement détaillé dans la sculpture des personnages.

La direction musicale de Giovanni Antonini accompagne cette explosion par un soutien sans faille au plateau. Il obtient de l’Orchestra La Scintilla, la formation baroque de l’orchestre de l’Opéra de Zürich, des sons clairs, nets, mais aussi raffinés, avec un dynamisme et une énergie marqués mais sans aucune sécheresse. Le continuo très présent (Violoncelle, harpe, clavecin) donne une couleur particulièrement poétique aux récitatifs. Une direction de vrai chef de théâtre,  qui colle parfaitement aux intentions de la mise en scène: les deux se répondent, en écho et donnent à la représentation un rythme, une intensité et surtout une cohérence et une homogénéité exceptionnelles…
On l’aura compris : nous tenons l’Alcina de référence, certains ont dit historique, et pourquoi pas ?
[wpsr_facebook]

 

Morgana (Julie Fuchs) & Oronte (Fabio Trümpy) Acte III ©Monika Rittershaus
Morgana (Julie Fuchs) & Oronte (Fabio Trümpy) Acte III ©Monika Rittershaus

 

LICEU BARCELONA et TEATRO REAL MADRID 2013-2014: LES NOUVELLES SAISONS

Voici deux théâtres qui cherchent, chacun conformément à sa tradition, à affronter la crise économique qui sévit en Espagne et qui atteint évidemment de plein fouet les institutions culturelles, bouches dites inutiles qui sont partout les premières à souffrir des contractions budgétaires.

Gran teatre del Liceu

Le Liceu de Barcelone est le grand théâtre de tradition en Catalogne, où l’incendie de 1994 a provoqué une réaction émotionnelle aussi forte sinon plus que celui de la Fenice. On peut même affirmer qu’il a été le théâtre de référence de toute l’Espagne pendant très longtemps: aujourd’hui, cela se relativise puisque  que  le paysage lyrique s’est enrichi ces quinze ou vingt dernières années par l’apparition de nouveaux lieux pour le lyrique, le Palau de les Arts de Valence, la Maestranza à Séville et bien sûr le Teatro Real de Madrid, enfin restauré (les saisons avaient lieu auparavant au théâtre de la Zarzuela). Il y a en Espagne une vraie tradition lyrique et les pays de langue espagnole (européens ou sud américains) et catalane ont fourni à l’art lyrique de très nombreux chanteurs ( des ténors, des sopranos, des mezzos) qui comptent tous parmi les plus grands de l’histoire du chant, Jaime Aragall, José Carreras, Alfredo Kraus, Teresa Berganza, Montserrat Caballé, Placido Domingo, et aujourd’hui Marcelo Alvarez, Juan Diego Florez, à un moindre degré Vivica Genaux. Cette tradition vivace, on la lit dans une programmation du Liceu, qui donne traditionnellement beaucoup d’importance aux voix et aux chanteurs, même si ces dernières années, le répertoire s’est largement diversifié et ouvert, grâce à des directeurs musicaux liés à l’aire germanique comme Bertrand de Billy, Sebastian Weigle ou Michael Boder, plus autochtone maintenant avec l’excellent Josep Pons.
La saison d’opéra va commencer par quatre séries de deux concerts retraçant le parcours de Verdi, et présentant des extraits d’une large palette de ses œuvres, l’orchestre étant dirigé par Karel Mark Chichon. L’ensemble des chanteurs invités n’annonce pas de soirées échevelées, on reste dans la grande série (Nucci, Mosuc et Rancatore mis à part dans les deux premiers programmes), une grande série sans grand intérêt (Rachele Stanisci et Carlos Ventre par exemple ne font pas frémir les foules). Une manière de remplir les premiers mois du dernier trimestre 2013 sans productions (sans doute pour raisons financières), puisque le premier spectacle,  Agrippina de Haendel est affiché en Novembre, dans une production de David Mc Vicar et dirigé par Harry Bicket. La distribution en est très intéressante puisqu’on y lit les noms de Sarah Connolly, Danielle de Niese, Franz Josef Selig et Dominique Visse.
Plus généralement, la saison du Liceu même réduite, essaie d’être variée, un opéra baroque en novembre (Agrippina), un opéra français en décembre (Cendrillon), un opéra pour le jeunesse (Cosi’ FUN Tutte) en février, un opéra de bel canto en janvier-février(La Sonnambula), un opéra de Puccini en mars (Tosca), une rareté du répertoire russe en avril (La légende de la cité invisible de Kitège) un opéra de Wagner en mai-juin (Die Walküre),  , et en juin-juillet  un appariement entre Suor Angelica de Puccini et Il prigioniero de Dallapicola qu’on commence à voir sur de nombreuses scènes et une version de concert (pour deux soirées) de l’Atlàntida de Manuel de Falla en novembre 2013.
Ainsi, une saison qui part de novembre, avec un opéra par mois, et des représentations en nombre impliquant deux voire trois (Tosca) distributions. Des choix assez sages, mais loin d’être dépourvus d’intérêt.
Les productions sont soignées, et les distributions 1 ou 2 sont assez équilibrées: la nouvelle production de Cendrillon est signée Laurent Pelly (en coproduction avec Covent Garden, La Monnaie et Lille) et dirigée par Andrew Davis, les distributions affichent pour l’une Joyce Di Donato, Ewa Podles, Laurent Naouri, Annick Massis et pour l’autre Karine Deshayes, Eglise Gutierrez, Doris Lamprecht, Marc Barrard. Pour les amateurs de Massenet, c’est plutôt un beau cadeau. Celle de La Sonnambula affiche Diana Damrau et Juan Diego Florez, une distribution 1 difficile à égaler, même avec Patrizia Ciofi en distribution 2. La production est celle de Marco Arturo Marelli, vue à Paris avec Dessay, et l’orchestre est dirigé par Daniel Oren. Même avec Florez et Damrau, cette production ne vaut peut-être pas le passage des Pyrénées. En mars trois Tosca, Sondra Radvanovsky, Martina Serafin et Fiorenza Cedolins alterneront avec des Scarpia (dont Ambrogio Maestri) et Mario divers  (dont Jorge De Leon): des trois Tosca, seule Radvanovsky me paraît digne d’intérêt, la direction d’orchestre est confiée  à Paolo Carignani, la mise en scène à un décorateur assez intéressant, le catalan Paco Azorin. 15 représentations d’un spectacle fait pour remplir les caisses, Tosca attirant de toute manière les foules.
La fin de la saison, d’avril à juillet me paraît beaucoup plus digne d’intérêt avec d’abord La Légende de la Cité invisible de Kitège de Rimsky Korsakov (quand j’étais jeune, on parlait de Parsifal russe…) dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, en coproduction avec De Nederlandse Opera d’Amsterdam  et la Scala de Milan, dirigée par Josep Pons, avec une distribution respectable (Vladimir Ognovenko, Margarita Nekrasova etc…) qui vaudra à l’évidence un voyage (5 représentations en avril) . Peut-être aussi la Walkyrie qui suivra, venue de Cologne (Mise en scène Robert Carsen: le public du Liceu voit cette saison Das Rheingold) avec deux distributions solides, Irene Theorin, Anja Kampe, Klaus Florian Vogt, Albert Dohmen, Mihoko Fujimura pour la première et Katherine Forster, Eva Maria Westbroeck, Franck van Aken (“Monsieur Westbroek” à la ville)  Greer Grimsley, et Katarina Karneus. Les deux dames de la seconde, venues directement du cast de Bayreuth 2013 m’attirent presque plus que la première malgré Vogt en Siegmund. La direction musicale est assurée par Josep Pons, chef de qualité peu connu à l’extérieur de l’Espagne. Enfin en juin/juillet, un de ces couples d’opéra inattendus, Il Prigioniero de Dallapicola (une création pour le Liceu) et Suor Angelica de Puccini, en coproduction avec le Teatro Real de Madrid, dans une production de Lluis Pasqual et des décors de Paco Azorin, avec des chanteurs plus que respectables, Dolora Zajick, Jeanne-Michèle Charbonnet, Barbara Frittoli, Evguenyi Nikitin, Robert Brubaker. Un spectacle qui vaudrait un petit week end à Barcelone. On l’aura compris, le printemps 2014 pourrait être catalan, les trois derniers spectacles de la saison  présentent un intérêt non négligeable. Mais s’il n’en fallait qu’un, pour moi, ce serait La Légende de la Cité invisible de Kitège.

Teatro Real, Madrid

À Madrid, c’est encore Gérard Mortier qui règne (il a annoncé que si les subventions baissaient encore, il s’en irait) et qui cette année a dû renoncer pour raisons financières à Zauberflöte avec les Berliner et Simon Rattle (en coproduction avec Baden-Baden).
Et sa saison 2013-2014 est reconnaissable entre mille, par la présence au moins une fois de Cambreling au pupitre, et celle (entre autres) de Marthaler, Warlikowski, Sellars, Van Hove dans les metteurs en scène annoncés .
Il est incontestable que la saison est d’une grande tenue, d’une vraie intelligence, malgré les difficultés: c’est une vraie saison construite et composée, qui a du sens. Distributions de qualité, chefs reconnus et divers, metteurs en scène variés alliant classicisme et modernité: un joli équilibre qui donne envie d’aller à Madrid.
La saison s’ouvre en septembre sur un Barbiere di Siviglia  de répertoire, sans doute alimentaire, mis en scène par Emilio Sagi, dirigé par Tomas Hanus avec une double distribution honnête sans être transcendante (Korchak/Rocha, De Simone/Fardilha, Malfi/Durlovski, Cassi/Vassalo, Ulyanov/Lepore). En octobre, un opéra de Wolfgang Rihm, créé en 1992 à Hambourg, Die Eroberung von Mexico, dirigé par Alejo Perez et mis en scène par Pierre Audi, avec Nadja Michael, suivi en novembre par The Indian Queen de Purcell, coproduit avec l’opéra de Perm et donc dirigé par Teodor Currentzis, qui en est le directeur musical et qui pour l’occasion dirigera l’orchestre et le chœur de Perm. La mise en scène est de Peter Sellars, les décors sont de Gronk avec une distribution où l’on note la présence de Christophe Dumaux: il y a là tous les ingrédients d’un spectacle à voir; en outre une soirée de concert (18 novembre) sera dédiée à Dido and Aeneas, toujours de Purcell. Un mois Purcell fort digne d’intérêt tout comme le mois de décembre, qui verra une nouvelle production de L’Elisir d’amore de Donizetti dirigé par Marc Piollet, et mis en scène par Damiano Michieletto, coqueluche des scènes aujourd’hui, avec trois distributions d’ intérêt à peu près équivalent (Nino Machaize/Camilla Tilling/Eleonora Buratto, Celso Albelo/Ismael Jordi/Antonio Poli, Fabio Capitanucci/Gabriele Viviani et Erwin Schrott/Paolo Bordogna.
Belle distribution pour le spectacle suivant, désormais légendaire, Tristan und Isolde de Wagner dans la mise en scène de Peter Sellars et les vidéos de Bill Viola, dirigé par Teodor Currentzis (un choix surprenant mais pourquoi pas), avec  Robert Dean Smith, Violeta Urmana, Ekaterina Gubanova, Franz Josef Selig et Jukka Rasilainen. On le verra certes à Paris avec le même couple protagoniste, mais quand on aime on ne compte pas.
Suivra une création de Charles Wuorinen à partir d’un film qui a connu un certain succès, Brokeback Mountain, dans une mise en scène d’Ivo van Hove, dirigé par Titus Engel avec dans la distribution Tom Randle et Daniel Okulitch, mais aussi Jane Henschel. Pour Ivo van Hove, pour Jane Henschel, pour cette belle histoire triste d’avant le mariage pour tous, on pourra y aller.
Et le spectacle continue avec Alceste de Gluck, dans une production de Krzysztof Warlikowski (à qui l’on doit la fascinante Iphigénie en Tauride du Palais Garnier il y a quelques années) dirigée par l’excellent Ivor Bolton avec une distribution magnifique dominée par Anna-Caterina Antonacci (alternant avec Sofia Soloviy), Paul Groves alternant avec Tom Randle, et Willard White. À choisir entre Olivier Py à Paris et Warlikowski à Madrid, je choisirais Warlikowski.
Un autre Wagner dans la saison, Lohengrin, dirigé par Hartmut Haenchen et mis en scène par Lukas Hemleb dans une belle distribution double, mais également digne d’intérêt (Franz Hawlata/Goran Juric, Catherine Naglestad/Anne Schwanewilms, Christopher Ventris/Michael König, Deborah Polaski/Dolora Zajick, Thomas Johannes Mayer/Tomas Tomasson). Cela vaudrait le coup de le voir deux fois de suite (13 représentations en avril!).
En mai/juin, il ne faut manquer à aucun prix, Les Contes d’Hoffmann mis en scène par Christoph Marthaler. À chaque fois que Marthaler touche à Offenbach, c’est une bombe d’intelligence et de fantaisie (ou d’horreur, c’est selon): on se souvient de La Grande Duchesse de Gerolstein avec Anne Sofie von Otter à Bâle, on se souvient aussi de son extraordinaire Vie parisienne à la Volksbühne de Berlin. La distribution double là aussi affiche Anne Sofie von Otter en alternance avec Hannah Esther Minutillo, Eric Cutler alternant avec Jean-Noël Briend dans Hoffmann et l’excellent Vito Priante dans Lindorf/Coppelius/Dappertutto/Miracle.  Il faut y aller pour sûr! Et en mai et juin Madrid est si douce…
Si douce qu’on pourrait y rester pour écouter en version de concert I Vespri Siciliani, de Verdi avec Yonghoon Lee, Ferruccio Furlanetto, Julianna di Giacomo, mais surtout le chef James Conlon, qui devrait faire exploser l’orchestre dans cette œuvre que j’adore.
La dernière  des productions, Orphée et Eurydice de Gluck dans la mise en scène de Pina Bausch est connue des parisiens, est-ce une raison de ne pas aller réécouter Thomas Hengelbrock,  le chœur et l’ensemble Balthazar Neumann en juillet et les chanteurs Maria Riccarda Wesseling, Yun Jung Choi et Zoe Nicolaidou?
10 productions en version scénique, deux en version de concert, qui ont presque toutes un intérêt, qu’il soit musical ou scénique: une jolie composition de titres divers, qui peuvent attirer tous les publics. On reconnaît là la patte de Mortier, l’ouverture, l’intelligence, la curiosité, l’audace: sans nul doute on ira un moment ou l’autre à Madrid, cela le vaut bien!
[wpsr_facebook]

SALZBURGER FESTSPIELE 2012: GIULIO CESARE IN EGITTO de G.F.HAENDEL le 25 août 2012 avec Cecilia BARTOLI (Dir.mus: Giuseppe ANTONINI, Ms en scène: Patrice CAURIER et Moshe LEISER)

© Hans Jörg Michel-Salzburger Festspiele

J’ai découvert Cecilia Bartoli lors d’une émission de RAI1, “Fantastico”, une émission culte du samedi soir  présentée par le Michel Drucker/Guy Lux italien, Pippo Baudo, alors époux de Katia Ricciarelli: résidant alors à Milan, j’écoutais la TV italienne avec avidité.
Pour mieux apprendre une langue, et surtout, plus vite, vive la TV!
J’avais été frappé par sa technique et surtout sa personnalité et son aisance, si jeune.
Je trouve que Cecilia Bartoli est injustement frappée d’ostracisme en Italie; comme Antonacci, l’essentiel de sa carrière se déroule aujourd’hui à l’étranger. Ceux qui détestent Bartoli considèrent que la voix est petite, et que sa fameuse technique de vocalises la rapproche d’une volaille en rut (sic) comme on m’a dit un jour. Bartoli qui connaît évidemment ses limites, a conduit sa carrière en choisissant de travailler au disque et de choisir des salles aux dimensions très raisonnables qui permettent à sa voix de passer, comme Zürich. Elle a été régulièrement présente aussi à Salzbourg, et le mandat actuel d’Alessandro Pereira qui l’accueillait à Zürich a favorisé son intronisation comme directrice artistique du Festival de Salzbourg-Pentecôte,  succédant à Riccardo Muti qui l’avait dédié à l’opéra napolitain du XVIIIème.
Sa carrière, elle la doit donc aussi à la fortune des disques “thématiques” ( qui explorent le répertoire baroque) avec son complice Giovanni Antonini à la tête du Giardino Armonico, ou les Musiciens du Louvre de Marc Minkowski, ou l’Orchestra La Scintilla dirigée par Adam Fischer ou Alessandro De Marchi: Opera proibita (L’opéra interdit), Sacrificium, Sospiri, sont des programmes construits autour de ses enregistrements, ou des enregistrements originaux d’arias du répertoire baroque le plus acrobatique. Au disque, point de problème de volume, réglé par les ingénieurs du son (de DECCA, en l’occurrence)
L’an prochain, elle prendre un risque calculé à Salzbourg à la Pentecôte 2013, dont le thème est “OPFER” (victime), en proposant Norma, dans une nouvelle édition critico-philologique de Riccardo Minasi et Maurizio Biondi, avec un orchestre d’instruments anciens attaché à l’opéra de Zürich, l’orchestra la Scintilla, et le chef Giovanni Antonini, les metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser dans l’espace raisonnable pour Bartoli de la Haus für Mozart. Dans une oeuvre que peu de chanteuses et peu de théâtres osent aujourd’hui aborder, nul doute que les juges de paix vont s’en donner à coeur joie: attention, chers amis de la Grisi, vous allez avoir du travail.
Dans le même espace cette année, elle a proposé pour sa première saison Giulio Cesare in Egitto de Haendel (1723), avec la même équipe (Giovanni Antonini, Patrice Caurier et Moshe Leiser) mais avec le Giardino Armonico, puisque son Festival de Pentecôte avait pour thème Cléopâtre. Ce fut un grand succès de presse et de public. Il est vrai que la distribution est impressionnante (Andreas Scholl, Philippe Jaroussky, Jochen Kowalsky, Cecilia Bartoli). C’est ce spectacle qui est repris comme dernière production  du Festival d’été dans une durée très wagnérienne de 5h.
On est bluffé, carrément bluffé à la fin de ces cinq heures par l’incroyable, l’inaccessible qualité musicale de l’ensemble de la représentation. Orchestre comme plateau clouent le public (enfin celui qui n’est pas bruyamment parti) sur place, tant les émotions et les surprises abondent, et tant les qualités techniques inouïes se déploient. On est un peu moins sensible au parti-pris de la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser, dans des décors de Christian Fenouillat, qui hésite entre ironie à la Astérix et réalités violentes d’une guerre moyen-orientale dirigée par les stratèges de l’UE et qui n’arrivent pas à tenir la distance. Commençons donc par la mise en scène, en soulignant combien il est difficile de choisir un angle d’attaque pour des œuvres où les ressorts dramaturgiques ne sont pas toujours au rendez-vous. On a constaté aussi l’échec de Pelly aussi à l’Opéra Garnier. Les metteurs en scène s’en sortent par l’ironie, comme celle, bien réussie de Nicolas Hytner à l’Opéra de Paris en 1997, et par la mise à distance. Le choix de Patrice Caurier et Moshe Leiser est de placer l’œuvre dans une sorte d’imagerie. La présence des crocodiles par exemple est une référence à Asterix et Cléopâtre (vous vous souvenez sans doute que la menace essentielle de Cléopâtre consiste à jeter les ennemis aux crocodiles) et l’atmosphère voulue est clairement celle de la bande dessinée (et non de jouets d’enfants  comme je l’ai lu dans la presse allemande), mais une bande dessinée qui s’en tirerait mal avec les émotions réelles distillées par le livret:

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

le traitement du personnage de Cornelia en souffre, qui doit à la fin de son merveilleux air “priva son d’ogni conforto” mettre sa tête dans la gueule en mousse du crocodile qui orne l’avant scène, provoquant les rires du public. Un public d’ailleurs insupportable. Cela commence par l’arrivée au dernier moment d’un groupe (un car?) de spectateurs enstuqués qui s’installent bruyamment aux premiers rangs, puis dont des membres, au bout de 20 minutes, découvrant sans doute avec horreur l’œuvre pour laquelle ils avaient déboursé des centaines d’Euros, sortent en dérangeant tout un rang puis remontent toute la salle avec des talons hypersurélevés et bruyants, d’autres sortent à intervalles réguliers, sans doute assommés. Les cinq heures de musique fatiguent nos mélomanes amateurs d’un jour (d’une heure?). L’ironie n’est peut-être pas sur scène, elle est dans la salle avec ces gens qui n’ont rien à y faire.
Revenons donc au travail de Patrice Caurier et Moshe Leiser. Cette hésitation entre franche ironie et réelle émotion se lit dans le déroulement même du spectacle:

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

le premier acte est le plus achevé des trois, qui place l’action dans un Moyen Orient en guerre: puits de pétrole, soldats en treillis qui dansent la guerre (chorégraphie bien fade de Beate Pollack), Giulio Cesare en hiérarque de l’Union Européenne(!) qui arrive en limousine, qui fait signer un contrat pétrolier au roi Tolomeo, pose en une seconde pour la photo et s’engouffre à nouveau dans sa limo. L’Union Européenne renvoie à l’image de l’ami américain en Irak, et Tolomeo a des faux airs de Khadafi. En bref, le cadre est posé, pas très sympathique pour les Européens venus sauver le monde (le livret le dit pour Giulio Cesare) et pas plus sympathique pour les égyptiens qui représentent un univers de trahisons, de viols, de turpitudes variées, mais sauvé par la bande dessinée qui peut parce qu’elle est bande dessinée, véhiculer les clichés les plus éculés possibles. Comme je l’ai écrit, la plus grande difficulté est d’insérer dans ce contexte les deux personnages les plus “nobles” de l’opéra, Cornelia (impériale Anne Sofie von Otter) en veuve éplorée de Pompée lâchement assassiné et son fils Sextus (ahurissant Philippe Jaroussky), en culotte courte et quasiment asexué, qui se proposera au sacrifice au nom de la vengeance, un sacrifice que sa mère préparera en le ceignant d’une ceinture de bombes, comme les bombes humaines d’aujourd’hui. On va passer de la caricature (premier acte) au drame, où tous les personnages frôlent la mort (deuxième moitié du deuxième acte/première moitié du troisième). Quelques moments réussis comme le spectacle préparé par Cléopâtre pour César, au début du deuxième acte,

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

que César regarde avec des lunettes 3D, où Cecilia Bartoli en meneuse de revue avec son truc en plumes, finit par enfourcher une fusée bien phallique qui l’emmène au (septième?) ciel. D’autres moins comme ce final doux amer où tous les membres de la distribution (y compris les morts, revenus pour l’occasion) chantent l’ensemble final, avec cotillons et champagne, puis disparaissent dans les dessous, pendant que la scène est envahie par des soldats, et que l’arrière scène s’ouvre sur la rue, laissant voir le véhicule militaire d’un envahisseur: le dernier mot pour la guerre et la soldatesque.
On peut estimer juste la tentative d’actualisation et le choix de Cecilia Bartoli, directrice artistique du Festival de Pentecôte, de rompre avec les spectacles proposés par Muti les années précédentes (reconstitutions pseudo historiques sans grand intérêt) et de proposer quelque chose de plus contemporain, mais il reste que le livret pose des questions diverses, voire contradictoires, qu’il est difficile de résoudre. Patrice Caurier et Moshe Leiser n’ont pas réussi à le faire: leur spectacle n’est pas vraiment mauvais, il n’est pas vraiment satisfaisant, il ne va pas jusqu’au bout d’une logique, il ne va jusqu’au bout d’aucune logique.
Il en va tout autrement du point de vue musical: la mise en scène en souffre d’ailleurs: devant une telle performance, une telle perfection, du même coup, il y a un décalage béant entre musique et représentation scénique. Nul doute qu’avec une distribution moins éclatante, la mise en scène serait peut-être passée avec discrétion.
L’Orchestre de Giovanni Antonini, Il Giardino Armonico ne joue d’ailleurs pas avec l’ironie montrée par les metteurs en scène, il a toujours une touche de mélancolie, des sons alanguis, très raffinés, très subtils; l’énergie (qu’on trouve à foison chez les Musiciens du Louvre-Grenoble) laisse place à la recherche de légèreté, à une sonorité à la fois discrète et présente (l’acoustique de la salle refaite depuis quelques années, moins favorable aux chanteurs, l’est en revanche pour l’orchestre) et accompagne à merveille les moments de recueillement, les méditations tragiques qui abondent dans la seconde partie de l’opéra.
Mais c’est par le duo conclusif du premier acte entre Anne Sofie von Otter et Philippe Jaroussky “Son nata/o a lagrimar/sospirar” que je voudrais commencer, car c’est un sommet qui n’a pas été surpassé dans toute la soirée. Anne Sophie von Otter pendant toute la représentation est vraiment extraordinaire dans son personnage de veuve éplorée, puis d’esclave de Ptolémée (Tolomeo), et montre une intelligence et des qualités de diction, de couleur, de tenue de ligne de chant, de souffle qui permettent d’émettre les sons les plus ténus, et qui laissent pantois. Beaucoup de mélomanes ont quelquefois des doutes sur cette voix qui n’est pas immense, et qui ne distille pas toujours l’émotion, disent-ils. C’est ici la perfection, on en a quelquefois des battements de cœur violents, tellement l’émotion est violente.

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

Quant à Jaroussky, on ne sait que privilégier, la projection, les agilités, l’art de retenir le son jusqu’à l’indicible, les aigus et suraigus qui font qu’entre le mezzo von Otter et le contre ténor Jaroussky, la voix féminine,

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

c’est la sienne, et une voix d’une pureté inouïe: pareille maîtrise de l’art du chant et de l’ornementation en fait justement le grand triomphateur de la soirée . Ainsi, lorsque ces deux voix entament ce duo final de l’acte I, c’est une flaque de paradis, d’éternité qui se dessine: un des plus grands moments de chant qu’il m’ait été donné d’entendre de toute ma vie de mélomane.

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

Andreas Scholl est un Giulio Cesare qui joue le personnage un peu vulgaire du conquérant “à l’américaine”, avec une dégaine et un style assez désopilants au début. Le personnage prend de l’épaisseur au fur et à mesure des développements de l’intrigue, et notamment dès qu’il tombe amoureux.  On ne sait là aussi que louer, les agilités impeccables et acrobatiques, la diction confondante, le jeu sur le volume de la voix, avec des aigus impressionnants par leur force, la manière de colorer, de jouer sur la voix naturelle (“Tu sei” au premier acte), la suavité du timbre. Peut-être demanderait-on un peu plus de volume quelquefois à cause du rôle? Mais c’est vraiment vouloir être bien exigeant devant pareille performance.

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

Avec un timbre plus nasal, plus délicat aussi, Christophe Dumaux (Tolomeo) est le troisième contre-ténor de la distribution, et lui aussi exceptionnel,  d’abord, par son personnage, vulgaire, cruel, assoiffé de désir, violent, une manière de Khadafi auquel son bonnet de Léopard et ses Ray Ban peuvent faire penser, en tous cas, il est la figure des potentats/dictateurs de la région, et son personnage s’impose immédiatement en scène. Il s’impose aussi vocalement, tant les agilités, les inflexions, la diction sont soignées: avec un jeu mouvementé, il arrive à conserver une perfection technique dans le chant qui laisse rêveur. C’est à la fois une magnifique composition et une immense performance.
Jochen Kowalski, l’autre génération des contre-ténors, incarne Nireno, devenu Nirena pour la circonstance, une de ces figures de fidèle servante, d’extraction populaire, qui permet aux héros d’accomplir leurs hauts faits: elle aide le jeune Sextus contre Tolomeo . Le timbre est un peu vieilli (il a 58 ans), mais convient très bien au personnage, dont il fait une composition digne de tous les éloges.

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

Ainsi Cecilia Bartoli a réussi à réunir sur un plateau deux générations de contre-ténors et quatre artistes de très grand niveau, voir pour certains de niveau insurpassable, Jaroussky prenant (avantageusement) la place d’un rôle tenu à la création par la soprano travestie.
Margherita Durastanti.

© Hans Jörg Michel /Salzburger Festspiele

Et Cecilia Bartoli? Elle est un personnage à la fois passionné, pétillant, très sympathique en scène (elle est irrésistible dans ses dessous affriolants). Son jeu est confondant de naturel, elle ne surjoue jamais, elle est pleine de vie et ne laisse aucune impression d’artifice. Le volume de la salle convient à sa voix. Elle est une Cléopâtre pleine d’auto-ironie, mais aussi d’une grande sensibilité par exemple dans l’ air “Se pietà di me non senti”  au deuxième acte et en général dans tous les airs du troisième acte, les plus fameux. Certes, on peut trouver un peu à redire sur la diction, un peu sur le vibrato, mais ce serait injuste, profondément injuste face à l’intensité, la fluidité, la douceur et la suavité de cette voix vraiment souveraine.
N’oublions pas non plus le bon baryton Peter Kalman, qui a passé lui aussi des années à Zürich, Curion le tribun qui est ici l’homme de main de César et surtout la belle voix de Ruben Drole, lui aussi membre de l’ensemble de l’opéra de Zürich, baryton basse qui, disent certains, fait penser à Bryn Terfel, voix chaude, belle ductilité, belle intensité notamment à la fin, et qui compose avec brio le personnage contrasté d’Achillas, général âme damnée de Ptolémée, qui concocte le meurtre de Pompée pour s’amouracher ensuite de sa veuve, et donc entrer en rivalité avec Ptolémée puis mourir au combat: le traître amoureux meurt ainsi grandi.
On peut dire sans crainte que ce Giulio Cesare in Egitto constitue un Festival vocal insurpassable, qui montre que la “mode” baroque a su faire émerger des artistes d’un niveau éblouissant. Il y a assurément sur le marché plus de contre-ténors de haut niveau pour le baroque que de ténors ou de sopranos lirico-spinto pour Verdi . Le marché répond et fournit à la demande. On fait émerger les voix dont on a besoin. Gageons que sur ce modèle le bicentenaire Verdi fera naître quelques vocations.
Quant à moi, j’ai en cet été entendu deux opéras de Haendel à Salzbourg dont je garderai souvenir: pour les amoureux du chant, la Haus für Mozart était hier la Haus für Haendel et
j’emporte en mon cœur qui en a tremblé le duo Cornelia-Von Otter/Sesto-Jaroussky comme trace indélébile d’une des plus belles soirées musicales de ces dernières années.[wpsr_facebook]

SALZBURGER FESTSPIELE 2012: TAMERLANO DE G.F. HAENDEL LE 9 AOÛT 2012 (Version de concert) (Dir.Mus: Marc MINKOWSKI avec Placido DOMINGO)

Placido Domingo le 09/08/2012 ©Silvia Lelli

Je vais assez rarement au Festival de Salzbourg l’été, je vais plus régulièrement à Pâques. L’été, Salzbourg est livrée pieds et poings liés aux marchands du temple, Mozart en chocolat, en tee shirts, en cristal, en bonbons, Mozart en tout, et même en musique. En dehors des Mozart du Festival (cette année Zauberflöte avec Harnoncourt au Manège des rochers et Re Pastore en version de concert), des concerts apparaissent comme génération spontanée, de ci de là, avec des musiciens en costumes XVIIIème, sans compter les Mozart de rue, les acteurs statufiés devant sa maison natale etc…etc…
Contrairement à Bayreuth, où le Festival vit sa vie un peu en dehors de la vie citadine (et de plus, le Musée de Wahnfried est fermé, et encore pour quelques années, et l’Opéra des Markgraves va fermer pour au moins 4 ans), le Festival de Salzbourg est étroitement lié à la ville, et la puissante association des commerçants veille au grain.
Même si ce qu’on entend à Salzbourg est souvent exceptionnel, et impossible à entendre ailleurs (les Wiener Philharmoniker dans la fosse, les meilleurs orchestres, les plus grands chefs et chanteurs), cela reste pour moi un “produit” de luxe où il manque un peu d’âme.
Mon premier souvenir lorsque j’y vins en 1979  fut de voir les gens cherchant des billets pour l’Aida de Karajan, au lieu de produire un carton avec “Suche Karten” comme à Bayreuth, agiter en éventail des liasses de billets de 1000 Schillings devant les dizaines de Rolls qui déposaient les spectateurs au festival…
Aujourd’hui Audi sponsor du festival a remplacé les Rolls, j’ai compris depuis que Rolls ou Audi faisaient le tour du pâté de maisons à vide, pour faire croire à une abondance de véhicules qui n’est en réalité que mise en scène pour impressionner le bon peuple.
Salzbourg est une immense entreprise de spectacle, parfaitement organisée, huilée, avec aujourd’hui à sa tête Alexander Pereira, celui qui sait le mieux aligner artistes et sponsors, communiquer et aussi qui a su à Zurich s’attacher durant des années les meilleurs sponsors et les meilleurs artistes.
L’argent à Salzbourg n’est pas un problème, mais les années post-Mortier ont montré que gérer cette machine n’est pas si simple, vu la succession rapide des intendants (Peter Ruzicka, Jurgen Flimm…) qui n’ont pas réussi à tracer un sillon. Pereira, c’est le manager qu’il faut à Salzbourg, et on le voit dès cette première saison, où il affiche pour la première fois Puccini (La Bohème) dans un Festival où aucun opéra de Puccini n’a jamais été joué, avec Anna Netrebko et Piotr Beczala, dirigé par Daniele Gatti, mise en scène par la nouvelle star des scène italiennes, Damiano Michieletto. Le couple Netrebko/Beczala écume depuis plusieurs années les Bohèmes dans les bons théâtres, rien d’inattendu donc, mais tout le monde y court, impossible d’avoir une place, et tous ceux qui l’ont vue disent “remarquable”, un “spectacle qui comptera”,” grandiose”.
Pour ma part, j’ai voulu aller entendre encore et toujours Placido Domingo, affiché dans un opéra baroque en version de concert, Tamerlano, où il chante le sultan Bajazet. Je sais qu’il a abordé récemment ce répertoire, dans cette post-carrière tardive où il chante un peu ce qu’il veut, en fonction de ce qu’il peut et j’étais à la fois curieux et ravi d’entendre encore ce chanteur qui a accompagné toute ma vie de mélomane.
Bien m’en a pris, la soirée, Domingo ou non d’ailleurs, fut grande.

Je ne suis ni un amateur d’opéra baroque, ni un amateur de Minkowski. Mais il faut quelquefois ravaler ses opinions, pour admettre une performance exceptionnelle. Certes, je ne change pas vraiment mon goût pour l’opéra baroque, que je trouve être souvent plus une performance acrobatique, une succession d’airs assez répétitifs , même si souvent étourdissants. Il faut néanmoins reconnaître que Tamerlano présente aussi des moments dramatiques intéressants, surtout au troisième acte, où la succession d’airs et de récitatifs s’interrompt pour privilégier le récitatif accompagnato (presque un mélodrame) ou le récitatif pur, comme si le théâtre prenait la main sur la performance vocale: la longue scène finale, où Bajazet meurt dans un long murmure vocal accompagné par un long murmure orchestral, avec un Domingo encore bouleversant de présence, est une scène d’anthologie, ainsi que le surprenant ensemble final où quatre protagonistes sur cinq encore vivants chantent la clémence de Tamerlan, tandis que Asteria, la cinquième n’apparaît pas, comme effacée par la mort de son père Bajazet.
Autre attrait, la présence de deux contreténors, les deux amoureux d’Asteria, la fille du sultan Bajazet, Tamerlano, le conquérant mal aimé et mal aimant, et Andronico, l’ami de Tamerlan, amoureux d’Asteria, se croyant mal aimé d’une Asteria qui feint d’accepter l’amour de Tamerlan pour mieux l’assassiner ensuite (la parabole de Judith et Holopherne…), et chantant continuellement son désespoir.
Quand Minkowski dirige son orchestre, il en résulte une performance de haute qualité et de haute tenue, il obtient d’ailleurs un triomphe mérité, l’orchestre est magnifique de ductilité, les bois et cuivres sont somptueux, notamment lorsqu’ils jouent en solistes et sont mis en valeur par le chant, les récitatifs sont accompagnés au clavecin souvent avec humour (une touche de “marche nuptiale” de Mendelssohn bien incongrue et souriante à la fin!) par Francesco Corti, remarquable. Minkowski conduit avec beaucoup d’énergie comme toujours, mais aussi avec subtilité, en modulant le son, en donnant à chaque moment sa couleur, son volume, son épaisseur propres. Du grand travail, un magnifique résultat.
Si je venais en bon fan pour Placido Domingo, je repars ravi par le Festival de beau chant auquel nous avons eu droit à tous niveaux. Deux contreténors, d’une couleur et d’un timbre très différents. Le premier, Bejun Mehta, entendu il y a quelques semaines à Aix dans Written on skin, timbre clair, acrobate pyrotechnique de la vocalise, corps tout au service du chant, gesticulant, prenant ses élans, connaissant son rôle sans partition, qui compose un personnage certes conquérant mais faible devant l’amour: moins d’airs que l’autre contreténor, mais tous ahurissants de vélocité, de technicité. Une immense performance saluée par un très grand triomphe de public.
Le second, l’argentin Franco Fagioli, timble moins éclatant, plus sombre, voix plus petite aussi,  qui joue d’une alternance graves (avec une voix “normale” et aigus avec la voix du contreténor) d’une rare intensité. C’est qui a les airs les plus nombreux, souvent acrobatiques,  avec des variations de couleur étonnantes. Très grande performance également.
Face à eux, Placido Domingo dans le premier rôle écrit pour ténor de l’histoire de l’opéra je crois, qui affiche certes une voix au timbre un peu vieilli dans les parties centrales, qui cherche loin son grave un peu détimbré, mais qui, dès qu’il y a des agilités ou des aigus, retrouve son timbre de toujours et sa couleur intacte. On reste stupéfait de la maîtrise technique, de la perfection des agilités, de l’interprétation, et de la diction. Le personnage est là, remplissant la scène, et la scène finale à la fois dite et chantée, murmurée avec un sublime accompagnement orchestral, est un moment d’anthologie qui fait penser aux grandes morts chantées par Domingo, Otello ou Boccanegra et qui sait diffuser une émotion intense. Grandiose.
Face à ces trois grands, la jeune soprano Julia Lezhneva, 22 ans, chante Asteria de manière, il faut  bien le dire, totalement époustouflante: elle a tout d’une grande, technique, maturité, modulation. La qualité de la voix, le timbre, la maîtrise de la couleur, tout, vraiment tout y est. Chacune de ses apparitions est un pur bonheur. Ah! quelle Fiordiligi elle doit être!! En voilà une qui pouvait faire le soprano du Requiem de Mozart à Lucerne, à la place de  l’acide Prohaska. Si le marché et les agents ne la ruinent pas, elle pourrait bien être le soprano mozartien des prochaines années: en tous cas, ne la manquez surtout pas. Triomphe évidemment!
Face à elle l’Irene de la jeune française Marianne Crebassa, une belle voix de mezzo, aux graves sompteux, à la technique bien dominée, très énergique, très intense, qui promet de grands succès tant sa prise sur le public est forte par une présence hors du commun. Une future Charlotte peut-être, et en tout cas une future grande…
Enfin,  last but not least, dans le rôle secondaire de Leone, le baryton-basse Michael Volle, (le Mandryka d’Arabella à Paris, le Sachs de Meistersinger à Zürich, le merveilleux Wolfram de Tannhäuser à Zürich encore) venu à Salzbourg appelé par Pereira dont il a fait les beaux soirs zurichois, et l’un des barytons vedette des scènes germaniques, complète à la perfection la distribution, en apportant sa touche de (baryton)basse noble, et cette couleur incomparable dans les ensembles.
On l’aura compris, ce Tamerlano (long de 3h45 quand même) valait bien les onze heures de route aller/retour Lucerne Salzbourg et j’en suis revenu émerveillé par la qualité du chant entendu et ébloui par l’ensemble de la performance. Au-delà du formalisme inhérent au genre, car c’est bien d’abord un festival formel auquel l’opéra baroque invite le public, des formes pyrotechniques impressionnantes qui laissent évidemment imaginer ce que devaient être les représentations d’alors: on écoutait les airs et on faisait autre chose entre les airs. Mais avec un Domingo habitué des scènes, et maître de l’interprétation sensible (ceux qui l’ont entendu dans ses grandes années savent ce que je veux dire), et un opéra qui tranche avec les formes traditionnelles en son troisième acte, on a vraiment droit à un mélange entre forme et fond qui produit une soirée merveilleuse, et qui fait aussi mentir les Cassandre qui en 1976 promettaient à Domingo, tout jeune Otello encore, une fin de carrière dans les trois ans.
Ce ne fut ce soir que du bonheur.
[wpsr_facebook]

FESTIVAL d’AIX-EN-PROVENCE 2012: DAVID ET JONATHAS de Marc-Antoine CHARPENTIER le 19 juillet 2012 (Dir.mus : William CHRISTIE , Ms en scène : Andreas HOMOKI)

Le prologue (Neal Davies à droite/Dominique Visse à gauche)© Pascal Victor/ArtComArt

Ils en avaient de la chance les garçons et filles des collèges ou maisons d’éducation de la fin du XVIIème!  Dans les mêmes années, aux  demoiselles  de Saint Cyr, Racine écrivait Esther et Athalie, et aux garçons du collège Louis le Grand, Charpentier concoctait ce David et Jonathas, série d’intermèdes devant être insérés dans une tragédie, et composant eux mêmes une belle tragédie lyrique. Il est vrai que Charpentier, face au grand Lully jaloux de son exclusivité, n’avait pas grand espace pour produire. On puise donc dans des épisodes bibliques (ici le premier livre des Rois de l’Ancien Testament) pour contribuer à l’édification des jeunes…sauf que pour l’édification des jeunes, l’histoire de l’amour de David et Jonathas pourrait induire à des pratiques que la morale réprouve, et que les collèges (qu’on dit surtout anglais…) ont largement accueillies. Littérature, musique et cinéma abordent la question des amitiés viriles avec une jolie constance, le livre Les amitiés particulières de Roger Peyrefitte, en 1943, des films comme Another Country de Marek Kanievska (1984) ou Maurice de James Ivory (1987). A l’opéra, le sujet est clairement abordé dans Iphigénie en Tauride de Gluck avec la relation entre Oreste et Pylade.
Amitié passionnée? Amour? Relation physique? Platonique? La question de l’amitié entre hommes aux XVIème et XVIIème se pose en termes philosophiques, dans le monde intellectuel des lecteurs du De amicitia de Cicéron ou des Lettres à Lucilius de Sénèque ou même des Essais de Montaigne, avec la relation qui existe entre Montaigne et La Boétie, ou sur le théâtre (Alceste et Philinte dans Le Misanthrope). Il semble qu’il y ait entre amitié camaraderie et homosexualité un espace occupé au XVIIème par le concept d’amitié, dans la société noble, une amitié beaucoup plus forte, plus passionnée, plus exclusive que ce que notre société du XXIème siècle appelle amitié. Une sorte d’amour sans sexe . Les exemples sont assez nombreux à l’époque et les études universitaires sur le concept ne manquent pas, surtout à l’heure des “gender studies“.
Tout cela pour dire qu’il n’est pas vraiment étonnant de voir l’enseignement des collèges religieux s’approprier des codes sociaux de la société noble: après tout, ils formaient leurs élèves aux codes de la vie sociale aristocratique, où depuis le Moyen Âge, les relations individuelles vassal/ suzerain, chevalier/écuyer, maître/page débouchent sur des relations où l’amitié peut aussi être le nom déguisé du clientélisme, notamment au XVIIème siècle: le nom d’ami ne recouvre pas les mêmes concepts d’un siècle à l’autre: il n’est que de voir la fortune du mot sur Facebook aujourd’hui…

Ana Quintans/Pascal Charbonneau©Pascal Gely / CDDS Enguerand

Ainsi la relation entre David et Jonathas n’est pas forcément réductible à un simple amour homosexuel, et Andreas Homoki a raison de ne pas (trop) insister sur la chose, en dépit de quelques baisers passionnés.
La seconde piste suivie par ce David et Jonathas, est de parcourir les méandres des conflits ethniques, religieux, sectaires, qui émaillent la bible (Ancien et Nouveau Testament), notamment en Palestine, et de tirer de cette triste histoire des conclusions très actualisables sur les rivalités entre juifs et philistins (origine du mot Palestine…). Au yeux du roi Saül, David est l’autre (un berger, non un fils de roi), qui s’introduit par son amitié avec son fils dans la famille royale, pour la détruire de l’intérieur, le ver dans le fruit en quelque sorte: il le pousse dans le camp philistin, alors que David ne le veut pas, si bien qu’à la fin, David est un roi reconnu par les deux communautés, une sorte de modèle héroïque qui par son nom unit les peuples opposés (un Tito des temps bibliques, en quelque sorte).
Andreas Homoki propose une vision très sobre, qui ne manque pas de grandeur, de la situation. Avec son décorateur Paul Zoller, il opte pour des espaces qui n’ont rien de baroque: pas de colonnes, pas de dorures, pas de franfreluches (on est à l’opposé de l’univers d’un Pierluigi Pizzi), mais des caissons en bois, modulables en hauteur et en largeur, qui semblent enfermer les personnages dans des scènes (un peu la même idée que dans Written on skin) qui sont autant de vignettes: il est vrai que l’absence de continuité dramatique, la composition en scènes successives reliées par de la musique (sublime) favorise ce cloisonnement.
Comme le sens dramaturgique n’est pas la qualité principale du librettiste le père François de Paule Bretonneau, que cette tragédie était destinée à se mêler à une autre tragédie (latine), Saül, du père Étienne Chamillard, on a en fait une juxtaposition de tableaux  comme on pouvait en imaginer dans des peintures murales, mais qui sont cette fois-ci des tableaux vivants, un peu comme ce qu’on pouvait voir dans certaines fêtes religieuses, illustrant tel ou tel épisode biblique: Andreas Homoki et Paul Zoller, en concevant ces caissons de bois, qui n’accrochent en rien le regard, en font un espace abstrait qui devient aussi espace psychologique, c’est très évident dans le prologue, transféré en fin de second acte, qui est le climax de la représentation, montrant le glissement de Saül vers la folie: les espaces rétrécissent, s’agrandissent, le plafond monte ou descend, les cloisons s’écartent ou se rapprochent, pendant que la Pythonisse vêtue en ménagère de plus de 50 ans (extraordinaire Dominique Visse) se démultiplie dans chaque espace et crée l’étourdissement de Saül,  c’est aussi notable dans l’air de Jonathas de l’acte III, où Jonathas finit coincé entre deux cloisons rapprochées. Caissons de bois, quelques tables, quelques chaises, et le tour est joué: l’espace est dessiné.

AFP PHOTO/GERARD JULIEN

En choisissant d’actualiser le propos et situant l’histoire dans une Palestine des années 30, avec d’un côté les juifs, de l’autre les palestiniens (femmes voilées, hommes portant le fez ou la chéchia), et, belle idée, faisant de cette amitié une longue histoire d’enfants, où se voient des retours en arrière (au début) où les deux enfants sont ensemble et où le père de Jonathas essaie de les séparer, quand la mère veut les laisser ensemble. Il n’y a aucun indice de “pouvoir”, pas de roi, pas de cour, peu de soldats: on est dans un monde “civil” où se pose la question des amours inter communautaires, comme l’ont posé certains films israéliens des dernières années, comme The Bubble de Eytan Fox (2007): en faisant de cette histoire d’abord une histoire d’individus, Homoki débarrasse l’histoire de son arrière plan biblique à première vue, mais il souligne du même coup comment la Bible pose des questions fortement ancrées à notre quotidien, à notre histoire, à nos mythes. L’héroïsme de David est à la fois invisible et présent: il est chez Homoki un jeune homme écrasé par l’amour, par les obstacles à sa vie individuelle, et qui à la fin résiste au destin que le peuple lui offre (le peuple le hisse en triomphe et le tient pour l’empêcher de tomber, très belle image). La sortie de Jonathas mort, attiré vers une lumière latérale où l’attendent aussi le David  et le Jonathas de l’enfance, sorte de passage de plain pied dans le mythe est d’une jolie facture également. On a souligné la manière dont les chœurs se donnent des bourrades et dont ils épousent mal le jeu imposé par Homoki. Mais justement, le jeu est très limité (l’espace, les mouvements sont rares) et je pense que c’est volontaire: il faut aussi donner dans le cliché des tableaux vivants ou des tableaux d’histoire. Ce qui m’a frappé, c’est plutôt comment le chant, qui est si codé dans le répertoire baroque, est ici quelquefois libéré, devient cri, devient parole, et parole rauque selon les besoins: la vie vient de la musique.
Car à cette mise en scène d’une grande rigueur, et aussi d’une grande profondeur, et d’une belle modernité, correspond une lecture musicale exceptionnelle des Arts Florissants et de William Christie, le vieux pape du baroque. On reste stupéfait du son qu’il imprime à son ensemble, de la clarté de la lecture, des rythmes et des sons à la fois ronds et nets, et de cette musique souvent  sublime (le final est tout à fait extraordinaire). J’avais noté la difficulté à repérer les niveaux sonores (et quelquefois les sons, simplement) dans l’orchestre des Nozze di Figaro, dirigé par son ancien assistant Jérémie Rhorer,  il n’en est rien ici, où l’on entend vraiment chaque instrument, chaque son, chaque inflexion. Magnifique travail sur une musique grandiose, sans ornementation, mais avec une sorte de naturel qu’on trouvera  notamment chez Gluck.
Ce naturel, on le retrouve dans le travail sur le texte et sur la diction de l’ensemble des chanteurs, une volonté d’éviter tout ce qui pourrait être afféterie ou maniérisme, avec une diction très contrôlée, mais aussi souvent comme précisé plus haut, souvent parlée, donnant quelquefois l’impression d’un texte dit plutôt que chanté, avec de beaux effets, alimentant le concept de “Tragédie lyrique”.

Ana Quintans/Pascal Charbonneau ©Pascal Gely / CDDS Enguerand

Les chanteurs servent globalement avec bonheur cette belle entreprise: au premier rang, le ténor canadien Pascal Charbonneau, qui avait participé l’an dernier à l’aventure d’Acis et Galatée au Grand Saint Jean, David héros malgré lui, plus David “normal”(au sens hollandais du terme)  que David “héros”, avec son timbre très étrange, qui surprend d’abord, mais qui séduit vite, avec un beau contrôle sur la voix, mais aussi des moments très forts (ah! la manière dont il crie “Ciel!” à la fin), une très belle prestation d’un artiste très éclectique (il était dans la distribution de My fair Lady au Châtelet) dont on entendra sans doute parler.
Jonathas était confié à la jeune portugaise Ana Quintans. Ce jeune soprano réussit à la fois à construire un personnage juvénile et engagé, et à chanter avec une rare intensité, avec une diction française parfaite. La voix porte dans tous les registres, grave comme aigu, et la présence est remarquable.
Plus difficile d’apprécier en revanche le Saül de Neal Davies, la voix est vieillie, et éprouve des difficultés, dans le grave notamment, complètement inexistant. Le personnage est bien campé, mais c’est vocalement insuffisant.
Dominique Visse compose, on l’a dit, une pythonisse exceptionnelle. Le contre ténor réussit non seulement une composition scénique d’envergure, mais réussit à donner à sa voix diverses colorations, et une expressivité modèle. Un grand moment.
Tout en étant bien meilleur dans Joabel que dans Titus il y a deux ans, Krešimir Špicer continue de ne pas m’impressionner. La prestation est correcte, mais rien de plus
Frédéric Caton compose un Achis très satisfaisant, et l’ombre de Samuel confiée à Pierre Bessière complètent la palette de basses de bon niveau de la distribution. A noter l’utilisation de solistes du choeur (excellent) des Arts Florissants pour chanter l’Ombre de Samuel, mais aussi des bergers et bergères avec un joli résultat.
Au total, un spectacle aussi rigoureux scéniquement que musicalement: il marque surtout un effort commun pour rendre l’action lisible. Cette lisibilité et cette grande simplicité (nous sommes à l’opposé des Nozze surchargées d’accessoires) permettent de comprendre les caractères de la Tragédie Lyrique, et aussi de  l’ascétisme de Charpentier. Un grand moment, à mettre à l’actif du Festival, grâce à un William Christie toujours au sommet et un metteur en scène qui a construit un  travail clair et convaincant.

[wpsr_facebook]

 

FESTIVAL D’AIX 2011: ACIS AND GALATEA, de G.F. HAENDEL, dir.mus: Leonardo GARCIA ALARCON, ms en scène: Saburo TESHIGAWARA


© Patrick Berger / ArtcomArt
Il y en a cette année pour tous les goûts à Aix-en-Provence, Traviata pour les amateurs de grands standards, Clemenza pour Mozart (et Aix sans Mozart ne serait plus Aix…), Le Nez pour les œuvres rares, deux créations Thanks to my eyes, et Austerlitz, et un opéra baroque, Acis et Galatée, présenté dans le cadre bucolique du Domaine du Grand Saint Jean, coproduction avec la Fenice de Venise et l’Opéra de Bergen. En sortant de la représentation, je me demandais ce que pourrait être ce travail dans un espace clos, sans le mur du domaine, sans les lumières du fond du parc, sans le vent discret et cet air de campagne qui va si bien avec l’histoire de cet opéra pastoral, joué et chanté par de jeunes chanteurs valeureux, et dirigé par la découverte du festival d’Ambronay, l’argentin Leonardo Garcia Alarcon (qui ce soir là,  suite à un incident impromptu, a abandonné le pupitre, pour disparaître deux minutes, en laissant le chef de chant Lionel Desmeules  reprendre l’orchestre l’espace d’un instant …). C’est d’abord la magie du lieu et l’harmonie entre le paysage réel et le paysage scénique qui charme le spectateur, qui l’installe l’espace du spectacle dans une atmosphère vaguement arcadienne. L’approche de Saburo Teshigawara, metteur en scène et en gestes, et en mouvements de ce spectacle ajoute à l’atmosphère étrange qui s’en dégage: sans faire danser les chanteurs, il leur a appris une gestique intermédiaire, qui met le corps en premier plan et qui du même coup ôte toute velléité réaliste à l’ensemble, mais qui accompagne la musique et rythme l’intrigue. Il en résulte un spectacle très frais (sans doute l’influence du “locus amoenus” et de la fontaine finale…), très jeune, et dans lequel on se laisse entraîner sans vraiment chercher “derrière les yeux”. La précision des mouvements, qui semblent quelquefois reproduire les gestes étranges de certains tableaux du XVIIème, l’engagement des chanteurs (le chœur est magnifique de précision, à la fois dans la voix, mais aussi dans les gestes), la subtilité des éclairages, proches ou lointains (l’utilisation du parc donne une magie toute particulière), tout concourt à produire une impression de poésie en adéquation avec l’univers pastoral voulu par Haendel: il y a quelque chose qui renvoie aux atmosphères de fête de cour, tout en restant résolument moderne dans le propos.
Ce qui frappe c’est qu’il n’y a aucun excès, nous sommes dans la mesure, dans une simplicité apparente (bien conforme aux origines nippones deTeshigawara ) qui en réalité cache un travail d’orfèvre à tous les niveaux de la réalisation scénique (jusqu’à la perspective des corps recroquevillés à la fin de l’œuvre):

© Patrick Berger / ArtcomArt

les dernières images avec Acis transformé en fontaine sont vraiment très marquantes . Voilà encore un choix de production très pertinent de Bernard Foccroule.
A cette ambiance scénique, se projetant dans un espace rêvé mais aussi étonnamment intimiste, correspond un son qui accompagne notre rêve, 16 musiciens, des sons à la fois grêles et très présents (les bois), vifs (les cordes), et d’une grande délicatesse (le luth), jusqu’à l’orgue dont le son réussit à se fondre dans un ensemble et qui donne aussi cette couleur intime, renforcée par la proximité des artistes et du public. La vivacité des rythmes, l’attention donnée aux moments plus lyriques (la fin est exemplaire et continue à sonner longtemps à nos oreilles, tout comme l’image qui lui correspond), tout cela donne une présence musicale très forte à l’entreprise, et le chef obtient de ses musiciens mais aussi des chanteurs, de magnifiques couleurs.
La jeunesse de l’équipe de chanteurs est aussi un atout: on sent que ces jeunes artistes sont disponibles, aussi bien pour des mouvements inhabituels sur une scène d’opéra,


© Patrick Berger / ArtcomArt

que pour un chant très dominé et souvent remarquable. Si la première partie, plus convenue, laisse un peu sur sa faim (sauf pour le chœur, justement) la deuxième partie est particulièrement riche en airs d’une poésie et d’une délicatesse qui ont fait la réputation de l’œuvre (dont c’est la version de 1718 qui est jouée, sans doute la plus conforme à ce que en voulait Haendel). Signalons l’air magnifique de Coridon “would you gain the tender creature”, chanté par le jeune et remarquable Zachary Wilder, merveilleux de technique et de contrôle, mais aussi de poésie et de sensibilité, qui est sans doute l’un des sommets de la représentation. Rupert Charlesworth, tout jeune lui aussi, allie une vrai sens chorégraphique et une voix bien dominée d’une délicate légèreté,  notons que tous deux sont issus de l’école anglo-saxonne…

© Patrick Berger / ArtcomArt

Julien Behr en Acis (qui est un rôle plutôt pâle) au timbre chaud, à la voix bien posée et forte, réussit à donner à cette partie ingrate une vraie personnalité. Julie Fuchs, après un premier acte un peu discret, donne à son deuxième acte une intensité plus grande, correspondant au côté tragique qui envahit la scène, mais est douée d’une forte présence scénique et d’une grande élégance en dominant parfaitement les gestes de la “chorégraphie”  .

© Patrick Berger / ArtcomArt
Seul Polyphème (Joseph Barron, en costume de cuir noir) m’est apparu un peu en retrait, sa voix manque de projection, malgré de bonnes qualités d’agilité. Mais on se souviendra du  jeu de l’ombre projetée sur la frêle Galatée, qui est est une vraie réussite de la mise en scène, et d’un monstre avec un zeste de tendresse, qui justifierait la voix contenue qu’il donne au personnage.

Il reste un spectacle de très bonne facture, une réussite théâtrale supplémentaire dans un Festival, qui cette année, semble avoir réussi (presque) tous ses paris scéniques. On se souviendra longtemps de “would you gain the tender creature”, dans la douceur de l’air aixois et de l’extraordinaire fraîcheur que respiraient ce soir le plateau et la musique.


© Patrick Berger / ArtcomArt