OPERNHAUS ZÜRICH 2015-2016: PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude DEBUSSY le 14 MAI 2016 (Dir.mus :Alain ALTINOGLU; Ms en scène: Dmitri TCHERNIAKOV)

Dispositif © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Dispositif © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Voir Pelléas et Mélisande au milieu d’une série de Tristan une Isolde est riche d’enseignements pour le mélomane qui peut tisser des fils, créer des ponts, voir ce qui lie les deux œuvres et ce qui les différencie. Si j’ai parlé de doxa à propos de Tristan, il y a une doxa sur Pelléas de la même manière, dans la manière de dire les mots de Maeterlinck, dans la manière de diriger : il y a une idée de Pelléas, dans le dire, dans l’évocatoire, dans le rêve, et l’idée d’une identité française irréductible. Quant à moi, incurable wagnérien, je n’ai cessé de penser à Wagner en entendant ce Pelléas, les citations presque littérales de Parsifal (premier intermède), les références si nettes au duo de Tristan (final de l’acte 3), les lointains échos de Lohengrin. Wagner était bien une obsession française à la fin du XIXème.
Il y a aussi une doxa dans les mises en scènes, mais, à la différence de Tristan und Isolde, Pelléas, au nom du mystère, au nom du symbolisme , au nom d’une approche très éthérée de la musique, n’a quasiment droit qu’à un type d’approche. Déjà le travail très poétique et fouillé de Christophe Honoré à Lyon la saison dernière dérangeait le bel ordonnancement de certitudes scéniques que plus d’un siècle de tradition a fossilisées en France, mais après cette production de Dmitri Tcherniakov à Zürich, qui eût déchainé les passions si elle avait été proposée sur une scène parisienne, il est clair que la réflexion sur l’approche de l’œuvre s’est quand même un peu plus approfondie et surtout ouvre d’autres perspectives riches de potentialités. On connaît le travail de Dmitri Tcherniakov, sur les univers familiaux clos et leurs non-dits, sur la pesanteur bourgeoise, , on connaît aussi son faux réalisme, qui est lui-même un symbolisme, une sorte de concrétude trompeuse qui fit ulcérer le public de Milan à la vue d’Alfredo épluchant des patates. Dans Macbeth à Paris, dans Lulu ou Les dialogues des Carmélites à Munich, il échappait à la clôture bourgeoise pour créer une vision très synthétique d’une situation : dans Pelléas à Zürich, il créé un univers étouffant dans un espace blanc et luxueux, pur et clair, ouvert sur une nature luxuriante, et crée une Mélisande comme élément perturbateur d’une famille déjà bousculée mais qui cache ses plaies sous un bel ordonnancement lisse, représenté par l’espace très contemporain où vont évoluer les personnages : un espace qui se fracture par des rideaux de tulle translucides, laissant voir sans voir, et des cloisons qui se plient et déplient, d’où on entend sans voir, et des baies vitrées d’où on voit sans entendre. « Pelléas ton univers impitoyable » comme on le chantait naguère à propos du feuilleton Dallas. Univers bien plutôt insupportable ici. D’autant plus qu’il est chic et bien propre sur soi. Le malaise évident dans l’œuvre de Debussy mais dilué dans un Moyen âge légendaire et rêvé, « crève l’écran » dans cet univers proche de nous d’une famille d’aujourd’hui qui la plupart du temps se tait, en proie à des gestes rituels (boire de l’eau, une activité obsessionnelle tout au long de l’opéra) attablée en silence pendant que les êtres se déchirent.

Familles je vous hais © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Familles je vous hais © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Dans cette famille dominée par un Arkel qui ressemble au «Commendatore » de Don Giovanni, dictatorial et en même temps bousculé par le désir, Pelléas survient en bousculant les codes, tandis qu’Yniold parcourt les scènes en jouant, déguisé en joueur de football américain, en ourson, illustrant un malaise qui va en faire un double presque muet de Mélisande et que Geneviève est préposée à gérer la maladie du père de Pelléas. Dans cet univers tendu et silencieux du prélude, Golaud survient en ramenant une petite noiraude, vaguement gothique, qu’il présente rapidement à la famille et avec qui il entame une analyse, hors de son cabinet, aucoeur de la famille. C’est un cas clinique (ça, tout auditeur ou lecteur de Pelléas et Mélisande s’en doute) et la psychanalyse se déroule, sous l’œil de caméras qu’Yniold regarde sur l’écran plat accroché au mur, pendant que Mélisande est étendue sur des divans qui forment le premier plan du grand salon-salle à manger, ouvrant sur une forêt, qui sera le seul décor de la soirée. Cette psychanalyse de Mélisande va tourner à la tragédie quand Golaud va tomber amoureux de sa patiente. Un transfert en quelque sorte, mais dans le mauvais sens.

C’est une première vision, mais évidemment, et là se situe toute l’ambiguïté, rien ne nous dit que ce que nous voyons est aussi simple, nous aurions une transposition-transfert de la situation effective du drame de Maeterlinck, dans la famille d’un psychanalyste.
Mais rien ne nous dit que ce que nous voyons ne soit pas non plus un effet de « montées d’images » de Mélisande et que ce qui est vu ne soit pas une sorte de rêve, où elle s’inventerait dans le cadre même de sa psychanalyse, l’histoire même que le spectateur regarde. Vrai, faux, réel, rêvé, image mentale ou réalité : toute la difficulté est là pour le spectateur, et aussi toute la stimulation intellectuelle autour d’une mise en scène qui est ou bien représentation d’une psychanalyse qui tourne mal, ou une succession de signes cliniques internes à la psychè de Mélisande, voire une réalité perturbatrice d’une famille faussement ordonnée, où la présence de Mélisande devient un révélateur. Le spectateur navigue entre ces pôles, et il n’est pas mauvais qu’il navigue. Rien ne dit qu’une mise en scène doive forcément nous donner une réponse, elle peut être une glose de plus sur des questions qui agitent la critique littéraire ou musicale depuis plus d’un siècle. Et je trouve cette ambiguïté stimulante.
Il reste que dans ce cadre général, une fois de plus, les qualités de Tcherniakov apparaissent aveuglantes ; son travail est millimétré, avec une direction d’acteurs époustouflante : il arrive à obtenir des gestes, des mouvements d’une vérité stupéfiante, qui met même mal à l’aise quelquefois par sa dureté et sa violence. Le Golaud qu’il peint va beaucoup plus loin dans la violence et la dureté, dans la jalousie et la souffrance qu’aucun Golaud vu jusqu’ici sur une scène : il agresse physiquement Mélisande, la jette, la bouscule : il y a une scène de fauteuil à bascule où elle est projetée d’un bout de la scène à l’autre qui est bouleversante, alors que la jeune femme apparaît au départ « petit oiseau blessé » ne pas supporter qu’on la touche ou même qu’on l’effleure, une sorte de sauvagerie silencieuse et de peur structurelle de l’autre qui d’emblée étonne et bouscule.  Et le Golaud de Kyle Ketelsen est formidable de vérité et de présence.

Ariel (Brindley Sherratt) Mélisande (Corinne Winters) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Ariel (Brindley Sherratt) Mélisande (Corinne Winters) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Mais le caractère de la mise en scène est d’être aussi distanciée et ironique, on entend souvent la salle secouée de petites rires, à certains moments : quand Arkel demande à Mélisande de lui donner un baiser en une scène très ambiguë (ou plutôt sans ambiguïté) et que survient Golaud, surprenant son père en une position peu équivoque, il y a un côté « ciel mon mari » qui fait rire bien des spectateurs.

Yniold (Damien Göritz) Père de Pelléas (Reinhard Mayer) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Yniold (Damien Göritz) Père de Pelléas (Reinhard Mayer) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Tcherniakov n’évite pas d’affronter les situations vaudevillesques et n’en fait pas un écueil, mais une facette supplémentaire du kaléidoscope, une image supplémentaire de la complexité, de même quand Yniold apparaît comme un double de Mélisande, ou même un double de son père Golaud et qu’il entame la psychanalyse (avec crayon et carnet) du père de Pelléas à qui il fait faire les gestes même de Mélisande, ou qu’il joue avec la fameuse bague perdue que Pelléas a en réalité ramassée et mise en poche lors de la scène de la fontaine.

 

Pelléas (Jacques Imbrailo) Mélisande (Corinne Winters) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Pelléas (Jacques Imbrailo) Mélisande (Corinne Winters) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

L’amour de Pelléas lui même est-il amour réel ou projection de Mélisande ? Le doute est permis, notamment dans la manière dont Pelléas annonce son départ et disparaît, ou fuit, sans qu’on sache si Golaud l’a tué, comme si il fuyait lui aussi la famille, l’ambiance et même Mélisande. Quant à la scène finale, elle est elle aussi à la limite du supportable par la violence de Golaud, dans une scène qui rappelle, je l’ai d’ailleurs déjà signalé ailleurs, la scène de la mort du Prince de Clèves dans le roman de Madame de la Fayette où il accable sa femme de très violents reproches, et notamment de lui avoir dit la vérité, comme Mélisande la profère quand Golaud la questionne.

Golaud (Kyle Ketelsen) Mélisande (Corinne Winters) Pelléas (Jacques Imbrailo) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Golaud (Kyle Ketelsen) Mélisande (Corinne Winters) Pelléas (Jacques Imbrailo) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Il s’agit donc d’un travail fort, où le « mystère » de Mélisande est lu sous plusieurs angles, sous un prisme multiface qui met le spectateur quelquefois en peine, d’autres fois en malaise, mais qui ne laisse jamais indifférent. Aucune provocation, aucune exagération mais les attendus et les résultats du drame, sans que le drame ne soit effacé, mais aussi tout en effaçant quelquefois les conditions du drame et l’étendant à la famille étouffée par un Arkel dominant, même si les scènes finales me sont apparues moins finement travaillées que les trois premiers actes. On est aussi bien dans un drame de la jalousie vériste, une sorte de Tabarro debussyste, mais aussi dans Tristan, et par ricochet ou par reflet, toujours aussi dans Maeterlinck.
Dans un tel contexte, peut-on interpréter un Debussy « français » traditionnel, à la Désormières ? Comment la musique peut-elle entrer dans le rythme de cette mise en scène, qui isole les scènes en faisant le noir entre chaque tableau, en signalant les actes de manière précise par une projection sur le cadre de scène, comme si on était dans un parcours inexorable où chaque tableau est une station, soulignant aussi d’une manière pour moi neuve comment Maeterlinck et Debussy font du « Stationendrama» expressionniste, qui avance inexorablement vers une fin tragique. Cinq actes d’une tragédie, dans la tradition d’un XVIIème siècle bien français, mais plus des étapes scandées par les 15 tableaux, autant d’étapes d’une Passion qui dans ce travail est celle de Golaud.
Expressionniste : le mot est lâché et il y a quelque chose de cela aussi dans la belle direction musicale d’Alain Altinoglu.

Mélisande (Corinne Winters) Pelléas (Jacques Imbrailo) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Mélisande (Corinne Winters) Pelléas (Jacques Imbrailo) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

En entendant la manière dont Altinoglu prend l’œuvre à revers, tout en lui donnant une couleur dramatique inconnue, j’ai pensé d’emblée « vérisme », mais un vérisme mâtiné de Debussy, un « vérisme » à la Zandonai. En approfondissant le propos et notamment par le travail qu’il suppose avec la mise en scène (Altiniglu et Tcherniakov viennent de travailler ensemble à Paris sur Iolanta et Casse-Noisette) car une telle mise en scène demande de la part du chef une adhésion, ne serait ce que pour le rythme, ou pour le tempo scénique : c’est une direction forte, énergique, dramatique et contrastée, qui tire vers un univers à la Zemlinski, ou à l’Hindemith de Sancta Susanna. Je crains la réaction du debussyste AOC, mais je trouve qu’Altinoglu, tout en proposant une lecture précise, très en place, même sans les raffinements de certaines lectures de cette partition en forme de tonneau des danaïdes, réussit à donner une couleur d’une violence et d’une crudité inhabituelles, quelquefois même un peu trop forte en volume, mais dans la salle de Zürich, douée d’une vraie proximité entre la scène et la salle, c’est souvent le cas. Oui j’avais tout de suite pensé « Puccini », mais c’est peut-être encore trop sage, et je pense qu’il faut faire jouer les systèmes d’écho en allant plus loin. Nous avons là une direction musicale inhabituelle du drame de Debussy, qu’on aurait accusé sous une baguette non française, de se tromper de répertoire. Mais Altinoglu est trop fin pour donner corps à un tel reproche. Il n’y pas de contresens, il y a adhésion à une vision, au nom de la cohérence fosse-plateau, et au nom d’un travail sans conteste prodigieusement intelligent. Avec un tel metteur en scène et pour une vision aussi iconoclaste et audacieuse, Altinoglu en vrai chef d’opéra a embrassé des voies là aussi inhabituelles et neuves : qu’il en soit remercié. Je serais curieux d’entendre quel Debussy il proposera à Vienne la saison prochaine, avec un autre metteur en scène et surtout un autre orchestre qui a épousé les raffinements debussystes avec Abbado il y a 27 ans…Il y a violence, relief, tension, en somme tous les ingrédients fréquents dans les opéras des trente premières années du XXème siècle.
Et l’ensemble de cette vision a trouvé dans cette distribution très inhabituelle (il n’y a pas un seul français) un ensemble d’artistes exceptionnels qui proposent un des Pelléas les plus maîtrisés et les plus justes de ces dernières années. Une distribution en tous points convaincantes, à commencer par la langue, si importante dans Pelléas. Tous ne sont pas au même niveau d’expression française, mais tous sont justes et expressifs et l’essentiel du plateau débutait dans l’œuvre, sauf Corinne Winters, Mélisande et le Pelléas de Jacques Imbrailo , jeunes artistes, qui sont chacun déchirants. Le Pelléas de Jacques Imbrailo n’a pas les raffinements d’autres, y compris de Paolo Fanale avec Gatti à Florence, ni ceux de Bernard Richter à Lyon, mais il a de la vaillance, il a de la présence, il a de l’émotion…et quand même quelques problèmes avec les nasales. C’est une jolie prestation qui n’a rien de vraiment problématique et qui donne à Pelléas un aspect en même temps adolescent, mais sur le chemin de la maturité, qui assume sa jeunesse en tous cas et son malaise, au contraire d’un Golaud plus mûr, aux cheveux grisonnants, à l’allure de quadragénaire en crise.

Mélisande (Corinne Winters) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Mélisande (Corinne Winters) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Il en est de même pour Corinne Winters, à la diction correcte sinon exemplaire, qui compose un personnage très expressif et lui aussi tout particulièrement émouvant, son jeu colle merveilleusement au personnage voulu par Tcherniakov et au texte de Maeterlinck, c’est une vraie découverte et une vraie performance scénique, même si vocalement elle ne domine pas complètement le rôle.

Yvonne Naef en Geneviève est tout simplement anthologique, une voix d’une incroyable présence, une diction exemplaire, et une humanité dans le jeu qui laisse rêveur, d’un personnage en général assez effacé elle fait une présence, une présence telle qu’à chacune de ses apparitions, nombreuses dans cette mise en scène alors que le personnage ne chante qu’au début de l’opéra, on a l’impression qu’elle va intervenir. C’est prodigieux de vérité et jamais lecture de lettre de fut plus profonde, plus sentie. Geneviève par antonomasie.
Même impression pour l’Arkel de Brindley Sherratt : à la présence physique et vocale impressionnante. Un Arkel lui aussi très puissant, doué d’une autorité scénique incroyable et d’une voix d’une profondeur et d’une justesse étonnantes. J’avais entendu Ghiaurov avec Abbado mais autant la voix était une légende, autant la prononciation française restait très problématique ; ici la voix est magnifique et le français parfait. Il répond parfaitement à la Geneviève de Naef : un couple exceptionnel, incroyable même parce que totalement inattendu d’une présence pesante et forte, qu’elle soit muette ou sonore..

Yniold (Damien Göritz) Golaud (Kyle Ketelsen) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Yniold (Damien Göritz) Golaud (Kyle Ketelsen) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Inattendu aussi le petit Yniold . Le choix de leur faire jouer et chanter par un enfant et pas comme souvent par une chanteuse travestie est évidemment à la fois un choix de mise en scène et un choix musical. Il faut évidemment avoir à disposition l’enfant qui pourra assumer un rôle qui dans cette mise en scène est long (puisqu’on le voit tout au long de l’œuvre), et qui pourra chanter en français. L’opéra de Zürich est allé droit au but et a affiché en alternance deux jeunes du très fameux Tölzer Knabenchor (ceux qui traditionnellement chantent notamment die drei Kinder de Zauberflöte. Ce soir c’était Damien Göritz, magnifique de vérité et de présence, dans ses différentes apparitions où il passait dans la pièce ou dans le parc derrière la baie vitrée, regardant l’intérieur, présence muette étrange et quelquefois insupportable tellement elle crée le malaise.  Quand il se met à chanter (notamment au 4ème acte), il est très émouvant et juste, comme un double de Mélisande, dans un univers ennuyeux et pesant, tragique et violent.

Le docteur épisodique de Charles Dekeyser, membre de la troupe, n’appelle pas non plus de remarques désobligeantes, tant l’ensemble de cette distribution affiche un niveau plus qu’enviable et par certains côtés exceptionnel.
C’est bien le cas du Golaud de Kyle Ketelsen, un bon chanteur vu notamment à Aix , dans Don Giovanni (Mise en scène Tcherniakov) et dans le Figaro de Nozze di Figaro dans la mise en scène de Richard Brunel. Bon chanteur, certes, mais pouvait-on imaginer de voir sans l’ombre d’un doute le plus beau, le plus tendu, les plus intense, le plus violent des Golaud, avec un français impeccable à tous points de vue, et avec un jeu d’un confondant naturel. Époustouflant,  il occupe la scène avec une présence inouïe, et diffuse en même temps une émotion incroyable dans un jeu d’attirance (l’homme qui souffre) et de rejet (l’homme qui doute, qui pressure, d’une rare violence) ; c’est totalement étourdissant. Jamais je n’ai vu en scène un Golaud aussi bouleversant et aussi engagé. Pour un tel Golaud, la production vaut le voyage, dans une mise en scène qu’il épouse et qu’il défend avec une vérité et une dureté incroyables.

Acte V © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Acte V © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

Ainsi donc c’est un Pelléas inhabituel qui est présenté à Zürich, un Pelléas et Mélisande aux antipodes de la tradition, où l’équipe musicale joue le jeu de cette hyper dramatisation et de cette tension à la limite du supportable. Le contexte psychanalytique clôt le dernier tableau où Yniold allume l’écran plat avec la télécommande, pour voir la caméra qui filme les séances de psy de Mélisande, dont en quelque sorte nous, derrière le quatrième mur, nous sommes aussi les spectateurs voyeurs.
On sort de ce spectacle convaincu une fois de plus que Dmitri Tcherniakov est l’un des plus grands metteurs en scènes de la scène d’aujourd’hui, avec une direction d’acteurs inouïe dans sa précision et son naturel, même s’il poursuit un règlement de compte personnel contre les univers (aux ambiances diverses) des familles bourgeoises dont il égrène les chapitres; mais on sort aussi frappé par un Pelléas musicalement inhabituel : à l’audace du théâtre correspond l’audace de la musique, orchestrée par un Altinoglu inventif et courageux : il n’est pas sûr que son travail eût été accueilli avec compréhension en France où l’on est souvent si sourcilleux sur la « tradition » qui est d’ailleurs plus pour cette œuvre un combiné de l’idée qu’on en a , des enregistrements considérés  comme fondateurs (Desormières) et des images symbolistes qui hantent les anthologies, à la Gustave Moreau. On est passé avec cette production de Gustave Moreau à un univers lumineux à la Frank Lloyd Wright, le célèbre architecte américain, meublé par les dernières trouvailles d’un design d’aujourd’hui, sous le rythme des jeux subtils des lumières de Gleb Filshtinsky qui accompagnent le drame, changeant la vision des espaces, les rendant oppressants ou inquiétants, ou rassurants tour à tour, tout comme la vision de la forêt extérieure, qui commence à l’été et finit en hiver, en passant progressivement par l’automne d’un déplaisir grandissant. Tout nous propose un parcours, un parcours dans des méandres dramaturgiques et psychologiques, autant d’images psychanalytiques aussi dont on est bien incapable de saisir dans les filets de l’imaginaire, que vous croyez saisir et qui vous échappent comme des anguilles : mais n’est-ce pas l’identité même de Pelléas et Mélisande que ce mystère-là ? Dans mon parcours personnel autour de cette œuvre, cette production fera sans aucun doute date.[wpsr_facebook]

Mélisande (Corinne Winters) et Golaud (Kyle Ketelsen) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf
Mélisande (Corinne Winters) et Golaud (Kyle Ketelsen) © T+T Fotografie / Toni Suter + Tanja Dorendorf

OPERNHAUS ZÜRICH 2014-2015: TRISTAN UND ISOLDE de Richard WAGNER le 7 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: John FIORE; Ms en scène: Claus GUTH)

Nina Stemme le 7 février 2015
Nina Stemme le 7 février 2015

Il en va de Stephen Gould et Nina Stemme comme Dino et Shirley : ils sont inséparables et font le tour des opéras du monde pour présenter leur dernier show, pardon, leur dernier Tristan. On les a vus cette année à Berlin, à Londres, et maintenant à Zurich, mises en scène différentes, chefs différents, mais eux, tels qu’en eux mêmes enfin l’éternité les change.
Le Wanderer, comme Panurge, a suivi le troupeau à l’étape zurichoise, après avoir commencé par l’étape berlinoise (avec une Nina souffrante mais vaillante), en sautant l’étape londonienne.

…Et là, le Wanderer a vraiment honte de commencer cette histoire par l’ironie, mais c’est pour masquer l’émotion. Ce qui a été vu et entendu à Zurich fera sans doute date. C’est sans doute le Tristan le plus beau, le plus intense, le plus intelligent et le plus bouleversant des dernières années. Pas mal d’amis étaient dans la salle, leur tête un peu « sonnée » à la fin du spectacle était un signe qui ne trompe pas, l’attention et la tension pendant le phénoménal troisième acte de Stephen Gould étaient palpables en salle.

Acte 1 © Suzanne Schwiertz
Acte 1 (2008) © Suzanne Schwiertz

De toute manière, dès les premières notes du prélude et dès que Nina Stemme émergeant du lit a ouvert la bouche, la messe était dite.
Ce spectacle est une reprise d’une production déjà ancienne de Claus Guth (première en décembre 2008) où était affichés déjà Nina Stemme et alors Ian Storey, sous la direction de Ingo Metzmacher. Un pur produit Pereira, qui a aussi voyagé à Düsseldorf.
On pourra se reporter au compte rendu que j’en ai fait en octobre 2010, j’avais été attiré par la reprise dirigée par Bernard Haitink avec Waltraud Meier. Malheureusement Meier et Haitink n’avaient pu se mettre d’accord, et la grande Waltraud s’en était allée.

J’avais été frappé de surprise par la direction énergique, dynamique, aux tempos inhabituellement rapides de Haitink, qui proposait de Tristan une vision vraiment très personnelle. J’avais aimé la production intelligente de Claus Guth, explorateur de l’inconscient et qui a fait de Tristan un travail sur la schizophrénie, sur le mental, dans l’ambiance zurichoise de la maison Wesendonk, reproduite dans le décor d’après des photos. Un travail sur des nœuds sentimentaux non résolus, sur la soif d’absolu et le choix du relatif et du moindre mal. Un décor très construit de Christian Schmidt, intérieur bourgeois comme les aime Claus Guth, de ces bourgeois premiers clients du divan freudien, un travail très proustien aussi sur la résolution par l’œuvre des nœuds sentimentaux dont il était question plus haut. Tristan ou Le Temps retrouvé.
Ce décor, installé sur une tournette, ne cesse de tourner comme un manège mental : ces espaces très réalistes sont aussi des espaces mentaux où les personnages se dédoublent, où ils se perdent, où ils se fondent.

Acte 1© Suzanne Schwiertz
Acte 1(2008) © Suzanne Schwiertz

Comme le jardin intérieur où Tristan et Isolde se retrouvent au premier acte se cherchant comme des enfants entre les plantes (on pense aux enfants de La Dispute de Chéreau). Comme les moments où se parlent Brangäne et Isolde qui portent le même costume où l’on confondrait presque leurs paroles (mais pas leurs voix…). Deux faces de Janus, l’une sociale et prête au compromis et l’autre mythique, absolue, dédiée, sans doute rongée ou ravagée par l’ennui. La première image, Brangäne à la fenêtre et Isolde dans le lit, observée par Marke (Herr Wesendonk ?), comme prise de langueur.

Acte 2, duo © Suzanne Schwiertz
Acte 2, duo © Suzanne Schwiertz

Dans les grandes histoires d’amour (La Princesse de Clèves : c’est la même déchirure), on fait des choix, et dans les grandes histoires d’amour, on choisit l’amour et souvent la mort. Brangäne-Isolde sortira de la scène finale avec Marke et laissera Isolde-Brangäne lovée sur le corps de son Tristan, sur la table de la salle à manger, sur la table du repas de mariage. Au milieu des reliques du repas, une relique parmi les reliques.
Une magnifique image résume l’histoire au deuxième acte:  Brangäne en noir (cygne noir) et Isolde en blanc (cygne blanc) insérées l’une dans l’autre en une masse Ying et Yang !
Le décor du dernier acte, une façade qui se délite, avec son crépi en miettes, ses briques apparentes, correspond à la ruine de cet amour, et les intérieurs restent cependant tels qu’ils étaient dans les deux autres actes : ils sont le monde fantasmatique, le monde intérieur, comme ces gens immobiles du deuxième acte qui trinquent et fêtent le mariage autour desquels Isolde et Tristan tournent et se cherchent, comme entre les plantes du premier acte.
Une série d’idées, menées jusqu’au bout, qui ne trahissent pas le livret, qui en laissent la déchirante histoire, mais qui l’inscrivent dans une autre histoire qui est l’une des pièces de la genèse de l’œuvre. En somme, nous assistons à un Tristan en train de se faire, à une musique qui procède de la vie, comme si les personnages vivaient la musique en vivant leur histoire, comme dans une éternelle première fois.
Dans cet écrin zurichois et bourgeois (pléonasme ?), il fallait pour cette reprise un moment musical particulier : le couple Gould/Stemme, au sommet de l’art du chant, au sommet de l’incarnation rejoint là les grands couples mythiques de l’histoire de l’opéra, les Nilsson/Windgassen ou les Mödl/Vinay; la manière dont Nina Stemme aux saluts s’est jetée dans les bras de Stephen Gould montre à quel point ils forment un couple d’opéra, montre à quel point l’un et l’autre s’alimentent en une émulation incroyable, montre à quel point aussi le travail, les différentes productions auxquelles ils ont participé construisent une expérience, une maturation, qui conduisent à cette profondeur, cette vie brûlante, à cette consomption proprement stupéfiante. Car j’ai vu Nina Stemme depuis ses débuts dans le rôle : depuis Bayreuth je suis ses Isolde. Et si la voix fut la plupart du temps au rendez-vous, l’implication, la couleur, l’intelligence du texte ici atteignent un tel niveau d’empathie avec le rôle qu’on ne peut qu’être justement « sonné ». Les amateurs de comparaisons disent « Nilsson ». C’est sans doute qu’ils n’ont jamais entendu Nilsson en scène. Je dis simplement « Stemme », car à ce point de la carrière, Stemme est devenue elle-même, c’est à dire qu’elle est proprement incomparable et qu’elle a pris sa place au Panthéon des Isolde. Puissance, couleurs multiples, contrastes, violence, chaleur, douceur, intériorité, expressionisme, cri, chant : la voix peut tout, à ce niveau-là d’incarnation.
Et bien sûr, l’écrin merveilleux de l’Opernhaus Zürich joue aussi son rôle : pas d’amants perdus au loin comme à Orange avec Nilsson et Vickers (qui se détestaient), ici ils sont là, à portée de main, dans l’intimité de ce théâtre et on les voit, on les sent, on les entend sans jamais d’ailleurs qu’ils nous assomment de son: ce n’est jamais fort, et c’est toujours juste.
Stephen Gould, dont c’étaient les débuts à Zurich, n’est pas en reste évidemment : ce qu’il fait, ce qu’il offre, ce qu’il fait entendre est à peine croyable, on oserait dire à peine humain. Il chante sur toute l’étendue du registre, il ne crie jamais (et dans le monologue du troisième acte, c’est ce que font parfois les meilleurs), ses cris sont du chant, avec des notes aiguës tenues jusqu’à l’impossible. Dans le duo du deuxième acte, il murmure, il allège, il est lyrique jusqu’à l’impossible là encore. Je crois n’avoir depuis Vickers jamais entendu pareille performance, d’autant que Gould a un lyrisme inné, je n’oublie pas l’avoir découvert dans Tannhäuser où il stupéfiait parce qu’il réunissait à chanter en liant tout, avec une vraie ligne, et une vraie suavité, si importante dans Tannhäuser. C’est tout à fait similaire ici : il est déchirant dans sa tendresse, les paroles qu’il prononce à Marke (« o König, das kann ich dir nicht sagen ») à la fin du 2nd acte sont dans leur simplicité et dans leur retenue un des moments les plus émouvants, les plus lacérants de l’ensemble de la soirée. Mais dans sa violence, il sait aussi dire le désespoir, l’incarner, le faire surgir. Ahurissant.
Car tous les deux, au-delà de ces qualités, savent aussi le secret des grands, la diction, la présence du texte, d’une clarté, d’une luminosité incroyable. Il leur suffit de dire les paroles, de chanter les mots pour faire surgir le personnage, pour l’imposer avec l’évidence de la simplicité ; car ici rien n’est surjoué, rien n’est caricatural et tout est dit.
On ne cesserait de trouver des perfections à cette performance, qui n’a pu ailleurs être aussi forte, car le rapport scène/salle de Zurich est particulier ; à Zurich, on peut faire du baroque comme du Wagner, Haendel comme Zimmermann, et cela fonctionne toujours ; c’est là la magie du lieu. Nous étions à l’intérieur du drame, immergés dans la brûlante chaleur de la passion.
Il faut aussi souligner la prestation exceptionnelle ce soir de Matti Salminen en Roi Marke, en Wesendonk fatigué et accablé. Salminen va avoir 70 ans cette année. La voix a perdu un peu l’éclat, mais pas le bronze, mais pas son timbre, ni ses qualités d’émission et de clarté. Je soulignais les qualités de diction des grands : encore un exemple ici. Pas une parole n’échappe, pas un mot qui se soit prononcé, mâché, exprimé. Il y a aujourd’hui des Marke miraculeux (René Pape). Il ne fallait pas pour cette production un Marke vocalement miraculeux. Il fallait Matti Salminen. D’abord parce qu’il a toujours été Marke dans cette production qu’il connaît bien, ensuite parce qu’il est chez lui à l’opéra de Zurich depuis des lustres, enfin parce que cette voix convient, dans son état actuel, parfaitement au rôle que Guth a presque construit pour lui. Et ce soir, aux dires de ceux qui ont eu la chance de l’entendre plusieurs fois dans cette série, il était en forme, les aigus sortaient, la voix avait une grande présence, notamment au deuxième acte, et surgissait alors le grand Salminen, celui qui toujours nous a fascinés par sa présence…depuis Chéreau à Bayreuth…

John Lundgren, Kurwenal, le 7 février 2015
John Lundgren, Kurwenal, le 7 février 2015

John Lundgren en Kurwenal s’est tiré avec honneur, voire avec bonheur d’un rôle difficile, impossible même. On ne sait jamais que faire de Kurwenal qui ne prend vraiment son rôle qu’au troisième acte (au premier, le personnage est insupportable) Je n’ai pas toujours été convaincu par ce chanteur de bon niveau, mais ici, il a à la fois la brutalité et la douceur, la mauvaise éducation (1er acte) et la tendresse (3ème acte), il arrive à colorer chaque moment de manière différente et colle parfaitement au personnage voulu par Guth. Il a remporté sa part de succès (enfin, de triomphe), méritée.

Un cran en dessous, la Brangäne de Michele Breedt. Comme personnage, dans la mise en scène, elle est vraiment impeccable, avec sa face ronde, son look bourgeois, son côté quotidien. Surtout par rapport à l’Isolde de Stemme et surtout dans la mise en scène de Guth, où le double est évidemment antithétique : la grandeur tragique contre le drame bourgeois. J’avoue ne jamais avoir été convaincu ou bouleversé par cette voix sans grand éclat, bien posée certes, mais qui ne se remarque pas. On est loin des Brangäne de forte
présence vocale qui vous font frissonner aux « Habet Acht ». Mais c’est peut-être la voix qu’il fallait face au mythe vivant représenté par le couple ; il fallait peut-être un son plus ordinaire, plus laïc.

Brangäne (Michelle Breedt) le 7 février 2015
Brangäne (Michelle Breedt) le 7 février 2015

Elle avait la voix d’une Brangäne-Isolde selon Guth, elle avait la voix de la compromission avec le monde.
Je voudrais souligner aussi la bonne tenue des rôles plus effacés, le très bon Melot (c’est assez rare) de Cheyne Davidson et les trois membres de l’Opernstudio de Zurich, Spencer Lang (un Hirt très frais), Ivan Thirion et Mauro Peter.
DSC03323La direction musicale était confiée à John Fiore. Peu connu en France, ce chef américain a été une dizaine d’années durant le directeur musical de la Deutsche Oper am Rhein (Düsseldorf/Duisbourg) et il est actuellement directeur musical de l’opéra d’Oslo. C’est un chef apprécié pour ses interprétations wagnériennes (son Parsifal à Genève était vraiment somptueux).
Il n’y a pas plus opposé que la conception hyper-énergique de Bernard Haitink aux tempos rapides, à l’incroyable dynamique, à celle de John Fiore, qui propose un Tristan tout en largeur, tout en épaisseur, aux tempos plutôt lents (le prélude est à ce titre frappant), même s’il y avait des moments très dynamiques.
La conception est « classique ». Attention, ne rien entendre de négatif là. John Fiore dit la partition, dans son ensemble, dans sa complétude, plutôt qu’il ne lui « fait dire ». C’est une approche qui travaille avec beaucoup d’attention sur les équilibres et les volumes, car il est facile dans cette salle aux dimensions réduites, de faire basculer les équilibres et de ne faire entendre que l’orchestre au détriment des voix, même si avec les voix du jour, c’était moins évident. Donc il retenait l’orchestre, et a pris grand soin aussi d’en révéler les détails, magnifiques sons des contrebasses, violoncelles et altos, bel espace laissés aux bois (cor anglais, comme il se doit, mais pas seulement) et très belle performance des cuivres au début du deuxième acte qui sonnaient particulièrement juste, en rythme, en couleur, en dynamique.
Le Philharmonia Zurich est un orchestre de fosse de très bonne réputation, c’est un orchestre jeune, engagé, et cela se sent ici.
John Fiore a réussi également à souligner les moments de très grande intensité, sans jamais être tonitruant, sans jamais être démonstratif : les notes, rien que les notes, mais toutes les notes étaient entendues, et avec quelle justesse, et avec quel lyrisme : il a su faire de la musique. Le prélude était somptueux, le duo du deuxième acte vraiment à la fois lyrique et tendu, avec de magnifiques crescendos, et le troisième acte de bout en bout exceptionnel (le début donnait le frisson) au plus haut niveau.

Quand orchestre, mise en scène, plateau se rencontrent, il en résulte une soirée d’exception : les visages parlaient au rideau final. Le triomphe et les rappels infinis ont fait le reste.
On se rappellera longtemps le Tristan de Zurich. [wpsr_facebook]

Stephen Gould le 7 février
Stephen Gould le 7 février

OPERNHAUS ZÜRICH 2014-2015: NORMA de Vincenzo BELLINI le 6 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Fabio LUISI; Ms en scène: Robert WILSON)

L'affiche de Norma (2011) © Suzanne Schwiertz
L’affiche de Norma (2011) © Suzanne Schwiertz

J’ai aimé, j’ai adoré Bob Wilson. Je n’ai manqué aucun de ses spectacles entre la fin des années 70 et les années 90. Je suis même allé au fin fond de l’Ohio voir une de ses premières œuvres « Poles », une installation en pleine campagne en face d’une école Montessori à Grailville, à quelques encablures de Cincinnati où je séjournais. J’ai vu Einstein on the beach, Parsifal, Salomé, Le Ring, Orlando (avec une fulgurante Isabelle Huppert), Butterfly et plein d ‘autres choses encore.
J’avoue qu’il n’arrive plus à m’étonner, même si ses spectacles restent fascinants, et cette Norma produite en 2010-2011 à l’Opéra de Zurich et reprise pour la première fois cette saison n’y fait pas exception.
Quand je fais le bilan de mon parcours lyrique, je n’ai pas souvent vu Norma. Ma première fut à Orange en 1974, lors d’une représentation mythique avec Montserrat Caballé et Jon Vickers, Joséphine Veasey en Adalgisa sous la direction de Giuseppe Patanè injustement oublié et pas toujours bien considéré, au temps où Orange représentait quelque chose dans le paysage. Cette représentation existe en vidéo, et il faut sans cesse y revenir pour comprendre ce que peut et doit être Norma.
À la Scala, dans la mise en scène de Mauro Bolognini (1972) reprise deux fois (en 1974-75 et 76-77) avec dans les trois séries Montserrat Caballé en Norma et Cossotto, Cortez et Troyanos en Adalgisa, l’œuvre n’a plus été reprise. Et c’est un signe.
Les dernières divas qui ont marqué le rôle en Norma sont Joan Sutherland, qui a chanté essentiellement dans les pays anglo-saxons, Beverly Sills, qui n’a pratiquement jamais quitté les USA, et Montserrat Caballé qui l’a chanté un peu partout. Cela remonte aux années 70…
Bien sûr je n’oublie pas Callas ni Gencer, hors compétition, ni Gruberova, merveilleuse chanteuse, mais que je n’arrive pas à sentir en Norma, ni la récente Bartoli, impressionnante en scène à Salzbourg. Le reste est broutille.
Car il faut pour Norma à la fois la rondeur et la douceur sonores, le lyrisme éthéré et un sens dramatique aigu, sans que le rôle ne verse dans le répertoire de soprano dramatique. Et d’ailleurs si l’on a coutume de donner Norma à un soprano et Adalgisa à un mezzo soprano, il n’est pas sûr que les choses soient aussi claires. Au niveau du timbre, Adalgisa est un timbre plutôt clair et Norma un timbre plutôt sombre : écoutons Leyla Gencer dans le rôle et écoutons les premières répliques du personnage. Ecrit à un moment où les caractéristiques vocales n’étaient pas aussi délimitées qu’aujourd’hui, le rôle de Norma sied à une large palette de tessitures, des mezzos qui ont envie d’être sopranos, des sopranos qui sont en réalité des mezzos manqués : il faut engagement vocal et dramatique, il faut les aigus et suraigus, il faut du grave et surtout une capacité à passer du grave à l’aigu sans vaciller, il faut l’agilité, il faut la souplesse, il faut savoir filer les notes, il faut le contrôle. Bref, il faut tout et son contraire et c’est la raison pour laquelle seules des sopranos d’exception, les artistes planétaires, d’une intelligence et d’une intuition peu communes ont pu triompher dans ce rôle ou bien plutôt le marquer à jamais.
Cela n’empêche pas qu’aujourd’hui bien des chanteuses se frottent au rôle, et même avec succès, mais c’est un opéra qu’on donne assez peu, et le public ne mesure pas toujours les exigences du rôle, l’importance de l’orchestre, et la nécessaire homogénéité de la distribution : toute Adalgisa se rêve un jour Norma, si par hasard elles ne chantent pas alternativement les deux. On a même vu côte à côte la mezzo Bartoli en Norma, et la soprano Sumi Jo en Adalgisa.
Tout de même, si la créatrice du rôle Giuditta Pasta est à l’origine un mezzo comme la Malibran, la tendance aujourd’hui est de le distribuer à un soprano (et Bartoli fait exception, mais elle se l’est distribué..).
Il était donc d’autant plus intéressant de profiter de ma présence à Zurich pour un autre opéra moins complexe à distribuer (Tristan) et d’aller voir cette Norma proposée il y a quatre ans dans une mise en scène de Robert Wilson (on disait plutôt Bob, on dit aujourd’hui Robert…) alors avec Elena Mosuc (qu’on a vue dans Norma à Lyon et Paris en concert l’an dernier) et cette fois avec Maria Agresta, qui est en train de gravir à grande vitesse les sentiers de la gloire,  sous la direction du directeur musical de Zurich, Fabio Luisi.
Bien m’en a pris parce que ce fut une belle soirée.

Norma est à l’origine une tragédie (1831) d’Alexandre Soumet, Norma ou l’infanticide, qui est à la Gaule ce que Médée est à la Grèce. Beaucoup de mauvaises tragédies ont fait de très beaux opéras, et les bonnes tragédies peuvent faire de beaux opéras, mais ce n’est pas systématique. La même année, Bellini en fait un opéra. C’est une tragédie et donc Bob Wilson crée un espace tragique, une action tragique, comme si tragique rimait avec désincarné, distant et hiératique. C’est beau, c’est lointain, c’est lent…et le travail de Bob Wilson n’est pas différent de ce qu’il fait ailleurs pour d’autres œuvres, inspiration du Nô japonais, hiératisme des figures, gestes lents et personnages isolés, ne se touchant pratiquement jamais, dans une sorte de jeu de marionnettes humaines où apparaissent çà et là des animaux mythiques (Licorne) ou symboliques (Lion), le tout dans des éclairages merveilleux, avec des transitions subtiles et des références théâtrales précises : les croisements des traines, Giorgio Strehler l’avait utilisé avec quel brio et quelle justesse dans Macbeth…en 1975, et bien des techniques d’éclairage (les contre jour) avaient déjà été expérimentées et utilisées par le grand metteur en scène italien.

Le choeur © Suzanne Schwiertz
Le choeur © Suzanne Schwiertz

Il y a de belles images comme le chœur (vraiment excellent, dirigé par Ernst Raffelsberger) affublé de rameaux effeuillés, qui est à la fois chœur et forêt décharnée quand il est assemblé, mais qui rappelle aussi des armes ou des lances, et donc l’ambiance guerrière qui règne ou du moins l’attente de l’attaque et d’une révolte que Norma repousse systématiquement en utilisant ses prérogatives de prêtresse et ses dons de medium. Elle fait en somme ce que tous les prêtres de l’antiquité (et d’époques plus récentes) installés auprès des oracles ou des politiques faisaient (et font?), de l’exégèse religieuse dictée par la nécessité politique, par l’opportunité du moment, par les intérêts particuliers et, ici, personnelle.

Image initiale © Suzanne Schwiertz
Image initiale © Suzanne Schwiertz

Pas d’autre dramaturgie qu’une succession de symboles, cercle traversé par des traits, lumières isolant des personnages, système solaire figuré scandant le dernier duo Norma-Pollione, des variations de lumières au milieu de décors essentiels, minéraux (trio final du 1er acte) ou métalliques. C’est beau, c’est même quelquefois fascinant (dernière scène et montée au bûcher), mais c’est tout de même un peu systématique (son Incoronazione di Poppea qu’on voit actuellement à Milan est une sorte de spectacle jumeau et on n’a pas l’impression d’avancer ou d’évoluer). Un travail wilsonien, pour ne pas dire un lieu commun wilsonien, ni plus, ni moins.

Fin 1er acte © Suzanne Schwiertz
Fin 1er acte (2011) © Suzanne Schwiertz

Il en va différemment musicalement, dans une salle aux dimensions idéales pour ce type de répertoire et pour les voix.
Le premier artisan en est Fabio Luisi. Sa très longue fréquentation du répertoire (il a passé grande partie de sa carrière comme chef de répertoire à Vienne, à Berlin et ailleurs – mais pas en Italie où finalement il n’a été redécouvert qu’assez récemment) en fait un chef très attentif au plateau, très soucieux de ne jamais pousser les chanteurs dans leurs retranchements, un chef à l’écoute, plutôt qu’un chef autiste  comme il y en a beaucoup à l’opéra et surtout un chef ductile, capable de (bien) diriger Wagner aussi bien que Verdi.
Je trouve qu’au-delà du plateau, Fabio Luisi est l’artisan de la réussite de la soirée par une approche de la partition qui sait faire la place à l’épique et au lyrisme, par des variations de couleur qui ne se limitent pas aux seules variations de tempo : la manière rapide de diriger certains moments du chœur (« guerra ») ou l’ouverture se retrouve chez d’autres chefs notamment italiens, même si Bonynge nous a habitués à des tempos moins contrastés. En ce sens Fabio Luisi s’inscrit dans la vraie tradition italienne.
Moins traditionnel en revanche le souci de fouiller la partition, d’en relever certaines phrases, de clarifier les différents niveaux, d’exalter certains pupitres, de savoir alléger jusqu’au murmure. Moins traditionnels l’élégance des transitions et la souplesse des phrasés. Fascinants les pizzicati « cachés » qu’il nous révèle, le soin mis à exalter altos et violoncelles, comme pour nous indiquer que la partition n’est pas un écrin pour chanteurs, mais qu’elle porte en elle à la fois et couleur et profondeur, et qu’elle est la créatrice de la dynamique musicale de la soirée. À ce titre, la scène finale, à l’orchestre, est vraiment bouleversante, et crée bonne part de l’émotion qu’elle diffuse.
Doit-on rappeler l’admiration que Wagner portait à Bellini : il a lui-même dirigé Norma à Riga, et a écrit sur la mélodie bellinienne et son apparente simplicité des lignes bien senties. Et Wilhelmine Schröder-Devrient, qu’il admirait et qui fut sa créatrice de Senta, d’ Elisabeth et d’Adriano de Rienzi, fut une notable Norma qu’elle interpréta même sur la scène de Zurich.

Norma ou l'infanticide  © Suzanne Schwiertz
Norma ou l’infanticide (2011) © Suzanne Schwiertz

 

Nous devons reconnaître qu’ici Luisi travaille dans le tissu de la partition, dont il révèle des détails inconnus, et donc un tissu orchestral plus complexe et profond qu’il n’y paraît : Bellini va plus loin que la mélodie auquel on le réduit souvent et cette direction donne a l’ensemble une grande cohérence; elle permet notamment d’homogénéïser le plateau. Un plateau globalement satisfaisant, avec de belles personnalités, émergentes ou non.
La Clotilde de Judith Schmid s’impose par une voix forte, bien projetée, mais  sans vraie couleur, un peu trop « droite » tandis que le Flavio de Dmitry Ivanchey, droit venu de l’Helikon de Moscou et qui appartient à la troupe (excellente) de Zurich se sort avec honneur du rôle qu’il aborde, tout comme sa collègue pour la première fois.
La surprise très agréable vient de l’Oroveso de Wenwei Zhang, jeune basse chinoise qui a travaillé à l’Opernstudio de Francfort, désormais en troupe à Zurich. Une voix qui, sans être forcément large, est parfaitement projetée, et qui donc convient parfaitement à la salle. Son visage asiatique sied aussi aux maquillages wilsoniens et c’est l’un de ceux dont la tenue en scène correspond le mieux par son hiératisme et sa fixité à la volonté de la mise en scène. De plus, la diction est claire, l’émission parfaite, le phrasé soigné, chacune de ses apparitions a été un vrai moment musical. Ce n’est pas pour l’instant une voix spectaculaire, mais c’est incontestablement une voix. À suivre sans aucun doute : voilà un chanteur qui montre du goût, de l’intelligence et une vraie présence.
Marco Berti est un artiste qu’on voit beaucoup sur les scènes, il fait partie de la catégorie (rare) des ténors italiens. C’est une voix forte, avec des aigus placés et triomphants. Il répond sans aucun doute pour cela aux exigences du rôle de Pollione …s’il ne fallait que cela. Mais Pollione est un de ces rôles ingrats qui ne font jamais triompher, tant la présence de Norma est écrasante. Un Pollione, fût-il Vickers, fût-il Bergonzi, ne construira jamais sa carrière sur ce rôle. Rôle ingrat aussi que d’être une sorte de vilain, d’infidèle, même amoureux. Car l’amour, n’est-ce pas, n’explique pas tout.
Un rôle ingrat parce que, comme les rôles féminins, il n’est pas clairement défini. Pour sûr ce n’est pas un ténor di grazia, mais pas plus un ténor dramatique. C’est un ténor pour rôles difficiles de type Florestan ou Enée, nécessitant une voix large, mais modulée, des aigus dardés, mais du style, mais de la couleur, un dramatico-belcantiste (catégorie qui n’existe pas), aujourd’hui on pense à Brian Hymel, à John Osborn, peut-être qui excella à Salzbourg. Ce fut aussi Vickers parce que Vickers savait ce que chanter signifie (n’oublions pas qu’il fut aussi bien Tristan qu’Otello ou Nerone de Poppea), ce que colorer signifie. Ce fut Bergonzi parce que en matière d’émission et de style, il était unique. Marco Berti chante à peu près Bellini comme il fait Puccini, aigus dardés, trop poussés (au début notamment dans une salle aux dimensions très moyennes) manque de legato, manque de style et difficultés à affronter les passages,  les agilités et les modulations pour lesquels il a systématiquement de gros problèmes de justesse. Avec sa technique, son intonation est en permanence au bord de la rupture, un peu comme le fut Salvatore Licitra, Marco Berti répond en force contrôlée, mais pas en élégance, mais pas en style. Il en ressort un personnage qui sonne vériste, cinquante ans avant le vérisme.

"Guerra"  © Suzanne Schwiertz
“Guerra” (prod.2011) © Suzanne Schwiertz

Roxana Constantinescu est une jeune mezzo roumaine, qui aborde ici Adalgisa pour la première fois. Sans nul doute il y a du style, un soin très sourcilleux apporté aux notes filées, à l’expressivité, à l’élégance. Sans nul doute aussi il y a une technique bien maîtrisée acquise à l’école de Mozart ou de Rossini qu’elle a beaucoup chantés déjà, il y a quelquefois de l’émotion et toujours de la vie. Ce qui lui manque le plus souvent c’est de la couleur, c’est une personnalité vocale affirmée. Son Adalgisa est bonne, mais elle manque d’incarnation. Le timbre est assez quelconque et il faut à mon avis qu’elle travaille plus l’expressivité. Il est vrai que la mise en scène un peu vitrifiée de Bob Wilson n’aide pas à se revêtir d’un rôle, mais elle aurait dû peut-être lui permettre d’aller fouiller le chant et la musique. Je tournais autour du pot mais je crois avoir trouvé ce qui pour mon goût fait problème, c’est quelque part la musicalité, ou l’intuition musicale. Il reste que la prestation est fort honorable. Mira o Norma fut un vrai moment de bonheur.
Maria Agresta fait figure de nouveau phénix du chant italien et on l’a vue aborder tous les grands rôles de soprano verdien, mais aussi Puritani à Paris.
J’ai souligné les difficultés de Norma et les pièges de ce rôle aux multiples facettes. Et la soprano italienne s’en sort avec tous les honneurs. Elle triomphe grâce à une belle présence scénique, grâce à une grande sûreté vocale sur toute l’étendue du registre, le registre aigu et suraigu bien sûr et le registre grave, bien dominé et jamais détimbré. La couleur est plutôt claire, mais l’assise est large. Et la présence vocale prend de plus en plus d’assurance, le deuxième acte est vraiment émouvant, contrôlé, très senti.

Certes, on relève dans Casta Diva non des difficultés, le mot serait trop rude, mais quelques menus problèmes de passages (avec les conséquences sur quelques petits problèmes d’intonation), de trilles, et un certain manque d’homogénéité, mais n’est pas Caballé qui veut et même Caballé avait ses détracteurs, voir ses chiens galeux qui hurlaient à son passage. D’ailleurs Agresta n’a pas vraiment une voix profilée « bel canto » au sens où on l’entend aujourd’hui, ces voix sous verre qui m’agacent et qui ne touchent pas, ces machines parfaites ou « crémeuses » qui vont droit à l’oreille mais jamais droit au cœur encore moins à l’âme. Agresta est plutôt de celles qui vivent, qui risquent, qui donnent, et c’est pourquoi elle me plaît. Hier, même dans la mise en scène de Bob Wilson qui revendique une sorte d’intériorité ou de « répression expressive », une sorte de formalisme qui pourrait être une gangue, Agresta vibrait, Agresta donnait, Agresta vivait et diffusait une jeunesse et presque une fraîcheur émouvante. C’est avec Wenwei Zhang celle qui a le mieux réussi à entrer dans le monde wilsonien.
Comme souvent à Zurich, une belle soirée musicale : malgré les réserves sur Wilson, monde à la fois minimaliste par ce qu’il montre et maximaliste par ce qu’il évoque, le spectacle donne à voir et à rêver, et la musique, vraiment, a fait le reste. Dans le genre Norma « traditionnelle » (c’est à dire sans instruments anciens, sans orchestre baroque, sans rêves bartoliens), on peut difficilement faire mieux à mon avis.[wpsr_facebook]

Norma 52011) © Suzanne Schwiertz
Norma (2011) © Suzanne Schwiertz

OPERNHAUS ZÜRICH 2013-2014: ALCINA, de Georg Friedrich HAENDEL le 7 FÉVRIER 2014 (Dir.mus: Giovanni ANTONINI, ms en scène: Christof LOY) avec Cecilia BARTOLI

Alcina Acte I ©Monika Rittershaus
Alcina Acte I ©Monika Rittershaus

La salle de l’opéra de Zürich est spéciale. Elle est petite, le volume et la jauge sont réduits (1100 places). On peut s’en étonner pour la salle la plus importante de Suisse. Mais le plateau, l’ouverture de scène et la fosse sont assez larges (même si les dégagements empêchent le dépôt des décors, toujours sous des bâches à l’extérieur), pour permettre aussi bien d’accueillir des Wagner ou des grands Verdi que des opéras baroques aux effectifs plus réduits. Voilà une salle où épique et lyrique, intime et lointain peuvent se conjuguer parfaitement.

Le rapport scène-salle est idéal pour avoir une impression de proximité et pour des voix qui sans forcer, se font entendre.
Cecilia Bartoli a depuis très longtemps compris que c’était le lieu pour sa voix: c’est à Zürich qu’elle chante le plus à l’opéra et Alcina est une prise de rôle, d’un rôle chanté par les plus grandes: c’est par exemple celui choisi par Anja Harteros pour sa première apparition à la Scala en 2009, belle prestation, mais qui n’égale pas ce que nous avons entendu ce soir…
C’est aussi une prise de rôle pour Julie Fuchs (Morgane), Varduhi Abrahamyan (Bradamante) et Malena Ernman (Ruggiero) qui le 7 février a fait annoncer qu’elle était souffrante. Il n’en est rien paru. C’est enfin une prise de rôle pour le ténor Fabio Trümpy (Oronte), et la basse Erik Anstine (Melisso). C’est donc pour toute la distribution une prise de rôle, et c’est un coup de maître.
En effet, malgré la musique, on peut très rapidement tomber dans l’ennui ou la langueur, à cause de la dramaturgie particulière de ce type d’œuvre, de la succession des airs, d’une apparente légèreté du propos : une île gouvernée par une magicienne, des hommes qu’elle a séduits, pétrifiés ou animalisés, une île enchantée,  ses plaisirs et ses jours, et l’amour, toujours.
Christof Loy a fait là un travail remarquable, approfondi, plein de sens, avec une tension maintenue jusqu’à la fin. L’histoire qu’il raconte est à la fois celle d’Alcina la cruelle, vaincue par l’amour, celle des aimant et celle des mal aimés, mais en même temps celle du théâtre comme métaphore de cet enchantement. Vie et mort du théâtre des intermittences du cœur.

Cecilia Bartoli Acte I ©Monika Rittershaus
Cecilia Bartoli Acte I ©Monika Rittershaus

L’île enchantée d’Alcina, c’est un théâtre du XVIIIème siècle, dont on voit scène et dessous au premier acte,  loges des artistes au deuxième, et plateau et décors abandonnés au troisième. Trois lieux pour trois moments : l’enchantement au premier acte, bas les masques au deuxième pour des personnages qui retournent à eux-mêmes dans l’intimité de leurs loges, et au troisième, un anti-théâtre, un théâtre qui déchante pour des personnages revenus à leur réalité, le tout traversé par une Alcina qui n’est rien d’autre qu’une Maréchale désespérée avant l’heure.
Dans ce théâtre où circulent illusions et désillusions, Christof Loy sème à la fois la fantaisie et la mélancolie, l’humour et la tristesse. Il affirme dans une interview  dans le programme de salle combien dans ses opéras londoniens (Alcina a été créé en 1735 à Londres) Haendel est redevable à Shakespeare, et notamment à ces comédies telles que « Comme il vous plaira » où l’on passe de la comédie au drame, de la gaieté à la mélancolie, dans une atmosphère de magie impalpable.
Car si l’illusion baroque est évoquée comme référence, elle est totalement absente de la soirée : Alcina a usé de sa magie par le passé, menace d’user de sa magie dans le futur, mais en fait n’en use pas durant l’ensemble de l’opéra. En revanche c’est bien de l’illusion du théâtre dont use Loy, une illusion comique au sens où Corneille l’entendait, qui révèle les âmes et leurs entrelacs. Quelle est la part du réel ? Qui aime qui ? Où suis-je ? Que dit ce visage ? Que dit ce corps ? Voilà tout ce qu’en résumé le théâtre ici nous dit.
Et dès le premier acte, où les personnages en costume d’opéra (baroque), au milieu des danseurs, jouent toutes les apparences de l’amour, nous voyons intervenir en costumes de businessmen tels des intrus du réel dans ce monde enchanté, Bradamante et Melisso. Bradamante est elle-même habillée en homme, Ricciardo, pour mieux vérifier l’amour de Ruggiero et surtout voir sans être vue, dans un monde qui n’est pas le sien.
Mais voilà, le fil d’amour du théâtre et de la vie fait des nœuds: Bradamante aime Ruggiero, mais Ruggiero aime Alcina par magie (ou dans l’illusion du théâtre).

Bradamante (Ricciardo) Acte II ©Monika Rittershaus
Bradamante (Ricciardo) et Ruggiero Acte II ©Monika Rittershaus

Bradamante déguisée en Ricciardo fait naître l’amour de la sœur d’Alcina, Morgane, qui délaisse ainsi Oronte, premier des mal aimés. Tous les protagonistes sont chantés par des voix féminines, dans des rôles de femmes (Alcina, Morgane), ou d’hommes (Ruggiero, Ricciardo), mais Ricciardo est en réalité, Bradamante, déguisée en homme, et non pas un travesti…Il y a de quoi donner le tournis à la théorie du genre,  aux lois de l’amour…et interdire Haendel à tout jamais dans nos écoles…Seules voix masculines, Melisso (basse), et Oronte (ténor) ne sont pas des comparses dans ce réseau de relations complexes où l’apparence et l’être se confondent et se superposent: la mise en scène les traite en vrais personnages.

Malena Ernmann (Ruggiero) ©Monika Rittershaus
Malena Ernmann (Ruggiero) ©Monika Rittershaus

C’est que l’amour n’est pas chose simple : lorsqu’au deuxième acte les personnages semblent retourner à leurs sentiments premiers et reformer les anciens couples Ruggiero-Bradamante et Morgane-Oronte, les choses ne sont pas si claires, et il n’est pas facile de laisser choir un cœur : dans des images à la Così fan tutte avant la lettre, Christof Loy explore l’ambiguïté des situations et des relations, et l’amertume qui s’en dégage par des jeux de regards intenses, voire chavirants.
Le bonheur n’est pas encore une idée neuve.
Alcina va suivre exactement le parcours de la Maréchale chez Strauss. Elle s’amuse au premier acte, comprend au second acte qu’elle est elle-même prise à son propre piège. Mais elle aime en femme mature, qui vieillit : magnifique scène au miroir où elle se voit face à face avec la vieille dame qu’elle sera, et qui a les traits de cet amour vieilli qui accompagne pratiquement chaque scène, comme une projection à la fois souriante et terrible(Sylvia Fenz, véritable figure à la fois tendre et ironique qui accompagne tous les personnages).

Cecilia Bartoli Acte II ©Monika Rittershaus
Cecilia Bartoli Acte II ©Monika Rittershaus

Mais Alcina qui à la fin du deuxième acte en perd sa baguette magique (en fait un gratte dos…) comme Wotan sa lance, reste dangereuse, comme la bête blessée.
Ainsi le troisième acte semble par son côté échevelé une réponse à un second acte très intérieur, dans l’écriture scénique de Christof Loy . Dans ce théâtre presque à l’abandon, l’envers du décor marque l’impuissance d’Alcina (quand le décor  à l’endroit du premier acte marquait son triomphe) et l’énergie de son désespoir : à dessein l’épisode d’Oberto a été coupé. Plus de magie dans cette approche où l’héroïne cruelle et puissante semble au contraire devenue une femme malheureuse qui cherche à en finir. Sortant l’intrigue de l’illusion baroque et du récit magique, il finit par en faire l’histoire de cœurs qui se lacèrent et cherchent à se détruire.

Cecilia Bartoli (Acte III) ©Monika Rittershaus
Cecilia Bartoli et Cupido septuagénaire (Acte III) ©Monika Rittershaus

Mais comme chez Shakespeare, l’humour ne perd pas ses droits : l’appel de Ruggiero à son héroïsme passé et à sa force est traduit par une époustouflante scène de comédie musicale, où Ruggiero vocalise en faisant des pompes – oui vous avez bien lu – où Melisso et Bradamante se mêlent aux danseurs en un ballet endiablé, là où au premier acte ils traversaient le ballet baroque sans le voir. Un des moments les plus joyeux et des plus marquants de la soirée, qui déchaîne l’enthousiasme mérité du public.

Dans ce théâtre ruiné, aux décors abandonnés (un incendie au début du troisième acte ?), l’image finale inscrit encore pourtant quelque chose de l’illusion. Si l’ordre humain est rétabli, si les couples sont reformés, Alcina, seule, apparaît au loin, émergeant d’une trappe, en robe à paniers, en fée baroque du premier acte, auprès du lustre (réplique de celui de l’Opéra de Zürich). L’illusion persiste (et d’ailleurs Ruggiero tombe à genoux), le théâtre continue, the show must go on.
Dans une mise en scène aussi précise, aussi construite, aussi riche et argumentée, aussi convaincante, Christof Loy a réussi à impliquer dans le jeu l’ensemble de la distribution exceptionnelle à tous égards. Nous sommes face à une troupe d’acteurs-chanteurs bluffants où chaque air semble s’insérer à point dans le déroulement de l’intrigue, jamais pezzo chiuso, et toujours aperto, et s’accompagne d’un travail théâtral stupéfiant de précision.

Ruggiero& Alcina Acte II ©Monika Rittershaus
Ruggiero& Alcina Acte II ©Monika Rittershaus

Je suis resté abasourdi par le jeu des gestes et des mouvements de Cecilia Bartoli dans ses deux airs Ah! Mio cor immense moment de chant intériorisé et d’amour désespéré et ombre pallide, plus énergique, mais toujours teinté de désespérance. Cecilia Bartoli réussit sur l’ensemble de l’œuvre à incarner grandeur et décadence d’une femme atteinte, qui n’a rien de la méchante magicienne de théâtre, mais dont l’humanité blessée éclate au contraire à chacune de ses apparitions : vive au premier acte, parce qu’habillée en fée baroque, elle rentre au deuxième acte, vêtue de noir jusqu’à la fin, en deuil de sa vie et de son amour. On ne peut que saluer la performance technique, l’art de la nuance, l’art de l’expression et du phrasé, de la couleur, dans un chant qui n’est jamais démonstratif, mais monologue intérieur toujours incarné tout en réussissant à se fondre dans l’ensemble car les autres ne pâlissent pas devant cette magnifique performance.
Cecilia Bartoli fait de sa maturité (relativement à ses partenaires) un atout extraordinaire pour construire un personnage à distance, qui n’a plus de prise sur les choses, sur les gens, sur elle-même ; elle le fait avec une attention et une modestie, elle l’immense star, qui ne peut que provoquer une grande admiration. Brava l’artiste.

Ruggiero est Malena Ernman, mezzo-soprano suédoise qui a fait annoncer qu’elle était souffrante. Il faut vraiment faire preuve d’un pointillisme maniaque pour s’en apercevoir. D’abord, elle est tellement naturelle dans le personnage de travesti que sa nature féminine est bientôt oubliée, elle fait croire  de manière convaincante à ce rôle redoutable. D’abord emperruquée dans le premier acte où les personnages prisonniers de l’île enchantée sont tous éléments de l’opéra baroque mis en scène par Alcina, elle devient une sorte d’Oktavian au deuxième et troisième acte.

Sa prestation au troisième acte, notamment dans l’air Sta nell’Ircana pietrosa tana  est proprement étourdissante (voir youtube) : les agilités s’y conjuguent avec une ballet endiablé où elle accompagne des danseurs (Chorégraphie: Thomas Wilhelm) comme dans un Musical de Broadway. Chacun de ses airs correspond à un état psychologique différent, l’amour exclusif et inconscient pour Alcina au premier acte (sieguo Cupido), l’hésitation amoureuse très mozartienne de Mi lusinga il dolce affetto, et le magnifique il mio tesoro accompagné à la flûte par le chef lui-même, chef d’œuvre d’intériorité  dominé par une voix chaude, ronde, avec des agilités complètement maîtrisées et des passages de registre impressionnants. Malena Ernman propose un authentique personnage, d’une incroyable présence, mais surtout un feu d’artifice vocal d’une incroyable densité.

Ruggiero "Comédie Musicale" Acte III ©Monika Rittershaus
Ruggiero “Comédie Musicale” Acte III ©Monika Rittershaus

Varduhi  Abrahamyan est elle aussi une illustration dangereuse de la théorie du genre, tant sa personnification de Bradamante, déguisé en Ricciardo, supposé être l’ami de Bradamante est confondante de vérité, mais aussi de versatilité. Elle passe de l’un à l’autre à l’occasion des rencontres, tantôt plus féminine avec Ruggiero, tantôt de nouveau masculine et même mâle avec Morgane : elle est étonnante à tous les moments, dans toutes les situations. De plus sa voix sombre, très ductile, avec une diction exemplaire et un suprême sens de la couleur est douée de magnifiques agilités qui laissent espérer une grande réussite dans les rôles rossiniens (elle va chanter Isabella de L’Italiana in Algeri et elle a déjà été Arsace de Semiramide à Montpellier). Elle obtient donc un triomphe mérité, entre autres pour sa participation active au ballet de Musical du 3ème acte dont il a été question précédemment. Je l’avais déjà remarquée pour sa belle présence dans la Néris de Médée de Cherubini au TCE la saison dernière. Elle confirme l’impression première ; c’est un nom à suivre avec grande attention.

Julie Fuchs (Morgana) & Varduhi Abrahamyan (Bradamante) ©Monika Rittershaus
Julie Fuchs (Morgana) & Varduhi Abrahamyan (Bradamante) ©Monika Rittershaus

Dernière des quatre dames exceptionnelles de la soirée, Julie Fuchs à peine auréolée d’une Victoire de la musique classique 2014 remporte un éclatant succès dans Morgane. Elle chante beaucoup à Zürich (Marzelline, Morgane, Melanto du Ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi) car elle fait partie de la troupe depuis cette année. Cela signifie pour elle élargissement  du répertoire et appartenance à un des ensembles les plus solides d’Europe. Cela veut dire aussi qu’il faudra guetter les prises de rôle.
Je m’attendais à une voix très aiguë (elle chante Zerbinetta, mais pourquoi se fourvoyer dans Ciboulette ?). Elle a incontestablement les aigus et les suraigus. Mais ce qui frappe d’abord, c’est l’homogénéité vocale, c’est la tenue de souffle, c’est la manière d’ouvrir la voix après l’avoir retenue, c’est le sens de la nuance, mais c’est l’assise large de cette voix, dont le volume embrasse la salle. Je sens plus un soprano lyrique qu’un colorature, et un lyrique dont les qualités prédisposent à un très large répertoire pour lequel manquent de vraies voix. Le contrôle, les filati hallucinants, la présence scénique, magnifique, avec chez elle aussi une très grande versatilité scénique, de la fée baroque (elle est sœur d’Alcina), rousse splendide, en grand équipage,  à sa transformation méconnaissable en femme ordinaire et amoureuse au troisième acte lors de son duo avec Oronte.
Elle maîtrise les pièges du rôle, se plie de manière scrupuleuse aux demandes de la mise en scène et chacune de ses apparitions est un enchantement vocal : une telle sûreté, un tel contrôle paraissent stupéfiants chez une chanteuse en début de carrière. Comme on dit, elle a tout d’une grande.

Il y a quand même deux hommes (des vrais…car on s’y perd) dans cette distribution qui avec des moyens et une personnalité très différents réussissent eux aussi à tenir la scène : Fabio Trümpy, Oronte, surprend au départ. Son attitude scénique nerveuse, ses gestes brusques, à la limite un peu vulgaires, voulus par la mise en scène car c’est la figure du  jaloux, nuisent au départ à l’impression positive dégagée par un chant bien contrôlé, avec un timbre clair et une diction sans reproche, notamment dans les belles premières scènes du troisième acte . Quant à la basse américaine Erik Anstine, qui chante Melisso, la voix est peut-être moins intéressante, mais le personnage est très fouillé, notamment grâce au regard ironique de Loy sur ce serviteur plutôt zélé, sans doute amoureux de sa maîtresse Bradamante, et qui ne devrait pas lever la jambe trop haut au troisième acte. Il est une figure un peu humoristique , un peu décalée, comme un Sganarelle de Wall Street dans un ensemble particulièrement détaillé dans la sculpture des personnages.

La direction musicale de Giovanni Antonini accompagne cette explosion par un soutien sans faille au plateau. Il obtient de l’Orchestra La Scintilla, la formation baroque de l’orchestre de l’Opéra de Zürich, des sons clairs, nets, mais aussi raffinés, avec un dynamisme et une énergie marqués mais sans aucune sécheresse. Le continuo très présent (Violoncelle, harpe, clavecin) donne une couleur particulièrement poétique aux récitatifs. Une direction de vrai chef de théâtre,  qui colle parfaitement aux intentions de la mise en scène: les deux se répondent, en écho et donnent à la représentation un rythme, une intensité et surtout une cohérence et une homogénéité exceptionnelles…
On l’aura compris : nous tenons l’Alcina de référence, certains ont dit historique, et pourquoi pas ?
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Morgana (Julie Fuchs) & Oronte (Fabio Trümpy) Acte III ©Monika Rittershaus
Morgana (Julie Fuchs) & Oronte (Fabio Trümpy) Acte III ©Monika Rittershaus

 

LES WANDERUNGEN DU WANDERER: LES STATIONS de la PASSION. LA TABLE DES MATIÈRES 2013

Les 132 articles de l’année 2013

Janvier 2013 (8)

Les Troyens au cinéma (MET HD)
La succession de Sir Simon Rattle est ouverte (Actualité)
Der fliegende Holländer (Budapest)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (Bayerische Staatsoper München)
Der Ring des Nibelungen: Die Walküre (Bayerische Staatsoper München)
Der Ring des Nibelungen: Siegfried (Bayerische Staatsoper München)
Concert: Münchner Philharmoniker-Ingo Metzmacher-Michael Volle/Berg-Mahler-Pfitzner-Wagner (Philharmonie in Gasteig München)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Bayerische Staatsoper München)

Février 2013 (15)

Der Ring des Nibelungen, de Beckham à Wagner, une rêverie (Bayerische Staatsoper München)
Falstaff (Scala)
Nabucco (Scala)
La Traviata (Grand Théâtre de Genève)
Après Genève, La Traviata, promenade dans la discothèque (Grand Théâtre de Genève)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (Opéra de Paris)
Parsifal (MET-New York)
Rigoletto (MET-New York)
Théâtre: Sommergäste (Les estivants) (Schaubühne Berlin)
Concert: Gewandhausorchester-Riccardo Chailly/Mendelssohn-Schlee-Mahler (Gewandhaus Leipzig)
Sur Wolfgang Sawallisch (In memoriam)
Die Feen (Oper Leipzig)
Opéra de Paris, saison 2013-2014 (Actualité)
MET, saison 2013-2014 (Actualité)
DNO Amsterdam, saison 2013-2014 (Actualité)

Mars 2013 (12)

Remarques rêveries sur le Parsifal du MET (MET HD)
Teatro Real & Liceu Barcelona, saisons 2013-2014 (Actualité)
Das Rheingold (Grand Théâtre de Genève)
Der fliegende Holländer (Scala)
Concert: Orchestra Mozart-Claudio Abbado-Martha Argerich /Mozart-Beethoven (Lucerne Festival)
Théâtre: Phèdre (Comédie Française)
Concert: Symphonieorchester BR-Mariss Jansons/Britten (Lucerne Festival)
Concert: Symphonieorchester BR-Mariss Jansons/Beethoven-Chostakovitch (Lucerne Festival)
Concert: Staatskapelle Dresden-Christian Thielemann/Brahms (Osterfestpiele Salzburg 2013)
Concert: Staatskapelle Dresden-Christian Thielemann-Yefim Bronfman/Henze-Beethoven-Brahms (Osterfestspiele Salzburg 2013)
Parsifal (Bayerische Staatsoper München)
Parsifal (Osterfestspiele Salzburg)

Avril 2013 (11)

Der Ring des Nibelungen: Siegfried (Opéra de Paris)
Opéra National de Lyon, la saison 2013-2014 (Actualité)
Il Prigioniero/Erwartung (Opéra de Lyon)
Macbeth (Scala)
Claude (Opéra de Lyon)
Concert: Mahler Chamber Orchestra – Claudio Abbado-Martha Argerich/Beethoven-Mendelssohn (Salle Pleyel, Paris)
Théâtre: Le Misanthrope (Sivadier) Comédie de Valence
Bayerische Staatsoper, la saison 2013-2014 (Actualité)
Grand Théâtre de Genève, la saison 2013-2014 (Actualité)
Wiener Staatsoper, la saison 13-14 (Actualité)
Staatsoper Berlin/Deutsche Oper Berlin, saisons 13-14 (Actualité)

Mai 2013 (12)

Oberto conte di San Bonifacio (Scala)
Concert: Orchestra Mozart-Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino- Claudio Abbado/Wagner-Verdi-Berlioz (Teatro Comunale Firenze)
Oper Frankfurt Saison 2013-2014 (Actualité)
ROH Covent Garden et ENO, saisons 2013-2014 (Actualité)
Capriccio (Opéra de Lyon)
Der Fliegende Holländer (Staatsoper Berlin)
Le Grand Macabre (Komische Oper Berlin)
Concert: Berliner Philharmoniker-Claudio Abbado/Mendelssohn-Berlioz (Philharmonie Berlin)
Teatro alla Scala, saison 2013-2014 (Actualité)
Der fliegende Holländer (MC2 Grenoble)
Le Vaisseau fantôme ou le maudit des mers (MC2 Grenoble)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Scala)

Juin 2013 (8)

La Gioconda (Opéra de Paris)
Alexander Pereira, nouveau sovrintendente de la Scala (Actualité)
Rigoletto à Vernier (Le Lignon, Stadttheater Biel)
Die Meistersinger von Nürnberg (Amsterdam DNO)
Concert: Orchestra Mozart-Claudio Abbado/Beethoven-Mozart-Haydn-Prokofiev (Salle Pleyel, Paris)
Cosi fan tutte (Teatro Real à la TV)
Bon anniversaire Claudio (Actualité)
Interview de Claudio Abbado dans Die Zeit (Actualité)

Juillet 2013 (14)

Die Zauberflöte (Opéra de Lyon)
Concours international de Chant Toti dal Monte (Trévise)
Rienzi (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Das Liebesverbot (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Der Ring des Nibelungen, Siegfried (Münchner Opernfestspiele 2013)
Otello (Münchner Opernfestspiele 2013)
Wagnerjahr 2013, Frühwerke: quelques questions sans réponses (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Elektra (Aix 2013)
Don Giovanni (Aix 2013)
Rigoletto (Aix 2013)
Un ballo in maschera (Scala)
Don Carlo (Münchner Opernfestspiele 2013)
Boris Godunov (Münchner Opernfestspiele 2013)
Der Ring des Nibelungen, ce qu’on en dit (Bayreuth 2013)

Août 2013 (11)

Sur Regina Resnik (In memoriam)
Concert: Lucerne Festival Orchestra-Claudio Abbado/Brahms-Schönberg-Beethoven (Lucerne Festival 2013)
Tannhäuser (Bayreuth 2013)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Bayreuth 2013)
Der fliegende Holländer (Bayreuth 2013)
Concert: Percussive Planet Ensemble-Martin Grubinger/Xenakis-Bartok (Lucerne Festival 2013)
Die Meistersinger von Nürnberg (Salzburg 2013)
Concert: Lucerne Festival Orchestra-Claudio Abbado/Schubert-Bruckner (Lucerne Festival 2013)
Norma (Salzburg 2013)
Claudio Abbado nommé “Senatore a vita” (Actualité)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (version de concert) Lucerne Festival 2013

 

Septembre 2013 (12)

Orphée et Eurydice (version de concert) (Festival Berlioz)
Der Ring des Nibelungen: Die Walküre (version de concert) (Lucerne Festival 2013)
Concert: Concertgebouw-Gatti/Mahler (Lucerne Festival 2013)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (version de concert) (Lucerne Festival 2013)
Concert: Maurizio Pollini (Schönberg-Schumann-Chopin) (Lucerne Festival 2013)
Gérard Mortier limogé du Teatro Real (Actualité)
Claudio Abbado annule sa tournée au Japon (Actualité)
Arrivée anticipée de Stéphane Lissner à Paris (Actualité)
Concert: Symphonieorchester BR-Jansons-Uchida/Beethoven-Berlioz (Lucerne Festival 2013)
Concert: Symphonieorchester BR-Jansons/Mahler (Lucerne Festival 2013)
Alceste (Opéra de Paris)
Concert: Budapest Festival Orchestra-Ivan Fischer/Bartok-Dvorak (Lucerne Festival 2013)
Concert: Philharmonia Orchestra/Esa-Pekka Salonen (Lucerne Festival 2013)

Octobre 2013 (13)

Falstaff (Opéra de Budapest)
Die Soldaten-1 (Opernhaus Zürich)
Patrice Chéreau (In memoriam)
Aida (Opéra de Paris)
Les Dialogues des Carmélites-1 (Opéra de Lyon)
Les Noces de Figaro d’après Mozart (Odyssée – Eybens)
Les Dialogues des Carmélites-2 (Opéra de Lyon)
Théâtre: Lucrèce Borgia (Athénée)
Concert: ONF-Gatti/Haydn-Ravel-Tchaïkovski (TCE)
Lucerne 2014: La programmation de Pâques 2014 (Lucerne Festival)
Lucerne 2014: La programmation de l’été et de l’automne (Lucerne Festival)
Inauguration Académie Liszt de Budapest (Liszt Academy)
Die Soldaten-2 (Opernhaus Zürich)

Novembre 2013 (7)

Der fliegende Holländer (Geneva Wagner Festival, BFM-Genève)
Théâtre: L’Avare (Toneelgroep Amsterdam) (MAC Créteil)
Norma (version de concert) (Opéra de Lyon)
Théâtre: Le Conte d’hiver (MC2 Grenoble)
Elektra (Opéra de Paris)
Mémopéra, l’opéra et la mémoire (Opéra de Paris)
I Puritani (Opéra de Paris)

Décembre 2013 (9)

Die Frau ohne Schatten (1) (Bayerische Staatsoper München)
Die Frau ohne Schatten (2) (Bayerische Staatsoper München)
La Traviata (Scala)
Les contes d’Hoffmann (Opéra de Lyon)
Les Dialogues des Carmélites (TCE)
La Grande Duchesse de Gerolstein (Athénée)
Méditation sur Forza del destino (streaming)
Les Wanderungen 2013 du Wanderer (Blog Wanderer)
Le Palmarès 2013 du Blog du Wanderer (Blog Wanderer)

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OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (5) : SPECTACLES A RETENIR – SUISSE – ZÜRICH – GENÈVE

Il y a en Suisse de très bons théâtres, à commencer par Bâle (Theater Basel), qui est sans doute l’un des meilleurs théâtres du monde germanique, où Christoph Marthaler produit régulièrement des spectacles magistraux, un théâtre voué à la modernité qui ose explorer systématiquement le répertoire avec des clefs contemporaines. En ce moment (décembre) un joli Ballo in Maschera mis en scène par Vera Nemirova. Le théâtre de St Gallen, Theater St Gallen, un peu plus traditionnel, mais qui accorde de l’importance aux voix. Celui qui je préfère reste le minuscule théâtre de Bienne/Biel ,où la dimension réduite donne à la représentation la qualité d’une représentation de salon, allez-y! cela vaut vraiment la peine de vivre cette expérience très intime.
Mais la vie lyrique suisse est dominée par ses deux plus grandes institutions, très différentes, et par les moyens, et par l’esprit que sont
– l’Opernhaus Zürich, dans sa salle XIXème aux dimensions moyennes, au bord du lac de Zürich, qui sort d’une longue période où Alexander Pereira (l’actuel intendant du Festival de Salzbourg) en a fait une des références du monde lyrique européen, et qui vient d’être confié depuis 2012 à Andreas Homoki, lui même venu de la Komische Oper de Berlin. C’est un théâtre de répertoire à l’allemande
– le Grand Théâtre de Genève, au plateau immense, à la vaste salle, construite en référence au Palais Garnier au XIXème siècle et qui est un théâtre de stagione à la française, est dirigé par Tobias Richter, qui a longtemps présidé aux destinées de la Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf. Il succède à des générations de managers français, Jean-Claude Riber, Hugues Gall, Renée Auphan, Jean-Marie Blanchard et dispose de moyens inférieurs à ses prédécesseurs et en tous cas largement inférieurs à Zürich.

OPERNHAUS ZÜRICH

Zürich est désormais à portée de TGV en quatre heures de Paris, et cela peut valoir le déplacement de voir un certain nombre de spectacles. Jusqu’à ce jour, Zürich a offert des productions qui toutes, se tiennent, et défendent de manière très honorable tous les répertoires. Dans les premières qui peuvent vraiment intéresser, notons en ce mois de décembre Der Fliegende Holländer, de Wagner,  première production de Andreas Homoki à Zürich, dirigé par Alain Altinoglu avec une distribution intéressante, Anja Kampe en Senta, Bryn Terfel en Holländer (sauf fin décembre), Matti Salminen en Daland avec des représentations en décembre, janvier, juillet. A noter qu’on pourra voir cette production à la Scala dirigée par Hartmut Haenchen avec Bryn Terfel et Anja Kampe mais avec Ain Anger au lieu de Matti Salminen fin février début mars. Les amoureux de Wagner et des productions zurichoises reviendront pour Tannhäuser (mise en scène Harry Kupfer)en janvier et début février, sans Metzmacher, mais avec Marc Albrecht au pupitre, toujours avec Vesselina Kassarova en  Venus, Peter Seiffert en Tannhäuser, mais Thomas Hampson en Wolfram et surtout Anja Harteros en Elisabeth, et pour Parsifal (mise en scène excellente de Claus Guth) fin mars début avril (on ne va pas savoir où donner de la tête entre celui de Munich, de Vienne, de Salzbourg, tous plus somptueux les uns que les autres), dirigé par Mikko Franck avec Angela Denoke en Kundry, Evguenyi Nikitin en Amfortas et Stuart Skelton en Parsifal, mais hélas Jan-Hendrik Rootering en Gurnemanz, rôle pour lequel à mon avis il a passé l’âge.

La salle de Zürich

Ceux qui voudront voir Waltraud Meier en Santuzza de Cavalleria Rusticana peuvent faire le voyage en janvier pour la reprise de l’opéra qui commence le 1er janvier (dir.mus: Alexander Vedernikov, ms en scène Grischa Asagaroff) avec Zoran Todorovitch et Lucio Gallo entre autres.
En février, bicentenaire Verdi oblige, une nouvelle production de Rigoletto, mise en scène par la jeune Tatjana Gürbaca qui avait raté sa mise en espace de Fidelio avec Abbado à Lucerne, dirigée par Fabio Luisi, nouveau directeur musical de Zürich, qui succède à Daniele Gatti. La distribution, honnête,  comprend Saimir Pirgu en Duc, Quinn Kelsey en Rigoletto, Alexandra Kurzak en Gilda et Christof Fischesser en Sparafucile. Fabio Luisi en profitera pour diriger une reprise de La Bohème (Mise en scène Philippe Sireuil) avec Inva Mula et Stefano Secco.
En mars, création de l’opéra de Peter Eötvös, Drei Schwester (Les trois soeurs), mis  en scène de Herbert Fritsch et dirigé par Michael Boder, qui est un très bon chef. Mais le 7 avril, première de Lady Macbeth de Mzensk, de Chostakovitch (avril, début mai, juin) dirigé par Theodor Currentzis en avril et Vassily Sinaisky en mai et juin, avec Kurt Rydl et Gun-Brit Barkmin en Katerina Ismailova et dans une mise en scène de Andreas Homoki. Avril est un mois dédié au baroque puisque sont affichée une reprise de Rinaldo de Haendel (mise en scène Jens Daniel Herzog dans des décors de Claus Guth)  et une première de l’Opernstudio de Zürich, Der geduldige Socrates (La patience de Socrate) de Telemann créé en 1721. Passonbs sur un Falstaff de grande série en avril mai, arrêtons-nous quelque peu en mai sur une Traviata dont l’intérêt réside dans la Violetta de Diana Damrau (Mise en scène Jürgen Flimm, dir.mus Keri-Lynn Wilson), mais signalons la première d’une nouvelle production de Don Giovanni, dirigée par le jeune Robin Ticciati et mise en scène par Sebastian Baumgarten, dont les amoureux de Wagner connaissent le Tannhäuser de Bayreuth(!) avec Peter Mattei, désormais Don Giovanni mondial, et Pavol Breslik en Ottavio, Marina Rebeca en Anna et Julia Kleiter en Elvira (Mai et tout le mois de juin). En juin également, une reprise de Rusalka dirigé par Eivind Gullberg Jensen dont je me méfie après une mauvaise Bohème à Oslo et un Fidelio très moyen à Madrid et la saison se termine par une grande reprise en juillet (Der Rosenkavalier) et deux premières, celle d’une fantaisie spéciale autour de Wagner, Richard Wagner: wie ich Welt wurde (comment je devins monde) mise en scène par Hans Neuenfels, ce qui promet vu l’imagination du sieur Neuenfels, et tout à la fois théâtre et musique (avec Catherine Naglestad) et celle de La Straniera, opéra de Vincenzo Bellini, mis en scène par Christof Loy (cela ne promet rien de bon…) dirigé par Fabio Luisi et dont l’attraction est la grande Edita Gruberova (juin/juillet), toujours bon pied bonne voix.

Quant au Rosenkavalier (reprise de la mise en scène de Sven-Erik Bechtolf qui clôt la saison, il réunira “alla grande”, Fabio Luisi au pupitre, Nina Stemme, Vesselina Kassarova,Rachel Harnisch et Alfred Muff: de quoi faire le voyage.
Comme on le voit, de grandes reprises, et des premières contrastées, qui marquent une nouvelle couleur donnée par Andreas Homoki aux productions, et peut-être des choix de chanteurs et de chefs qui peuvent être discutés après l’ère du Prince A.Pereira. Mais la saison mérite qu’on ne s’arrête pas seulement à l’UBS quand on va Zürich!

 

Le Grand Théâtre de Genève

GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Fonctionnement tout différent à Genève, selon le système stagione, avec environ une production par mois et quelques concerts lyriques de stars internationales.
Après un Barbier de Séville, une création autour de Rousseau de Philippe Fénelon (JJR, citoyen de Genève)et un Samson et Dalila moyen dont j’ai rendu compte, en décembre 2012, Tobias Richter a programmé une opérette de Arthur Honegger, Les aventures du roi Pausole. Il programme chaque année au moins une rareté du répertoire français et c’est une initiative très bienvenue. La mise en scène est de Robert Sandoz, la direction musicale de Claude Schnitzler, et le rôle du roi Pausole est assuré par Jean-Philippe Lafont. Fin janvier et en février, c’est au tour de La Traviata, de Verdi, dans une mise en scène de David Mc Vicar, en coproduction avec le Welsh National Opera et le Gran Teatro del Liceu,  jouée à peu près chaque jour du 28 janvier au 12 février avec trois distributions en alternance, trois Violetta, Maia Alexandres, Agneta Eichenholtz, et Patricia Ciofi, deux Alfredo, Leonardo Capalbo et Daniel Johansson et deux Giorgio Germont, Tassis Christoyannis et Simone del Savio, le tout dirigé par Baldo Podic.
En mars, le très attendu Rheingold, prologue du Ring des Nibelungen de Richard Wagner dont le chef sera Ingo Metzmacher. La mise en scène est du très vieux routier Dieter Dorn, et la distribution est dominée par le Wotan de Thomas Johannes Mayer, le Fasolt d’Alfred Reiter et la Fricka d’Elisabeth Kulman.

La salle du Grand Théâtre

Fin avril, Madama Butterfly, de Puccini, dirigée par Alexander Joel, un habitué de Düsseldorf, avec la Cio Cio San d’Alexia Voulgaridou, jolie Mimi, mais sera-t-elle une Butterfly? L’artiste est  émouvante en tous cas. Pinkerton sera Arnold Rutkowsky, et Suzuki Isabelle Henriquez. La mise en scène est confiée à Michael Grandage.
En juin, la saison se clôt sur une nouvelle production de Rusalka de Dvorak, venant du Festival de Salzbourg mise en scène de Sergio Morabito et Jossi Wieler et dirigée par Dmitri Jurowski. Loin d’être à la hauteur de la merveilleuse Rusalka de Stephan Herheim (Bruxelles, Graz, Barcelone), cette production se laisse quand même voir, et m’a laissé un assez bon souvenir. Les trois principaux rôles féminins sont de très bon niveau: Jezibaba, c’est Brigitte Remmert, la princesse étrangère Nadia Krasteva et Rusalka Camilla Nylund qui chantait déjà le rôle à Salzbourg,  considérée comme la Rusalka du moment.
Suivant le Grand théâtre depuis des années, j’ai l’impression que Tobias Richter n’a cependant pas encore réussi depuis qu’il est en poste à trouver une vraie couleur à ce théâtre. Des distributions plutôt ordinaires, des mises en scènes très germaniques, et pas toujours réussies (abus de Christof Loy!) des chefs souvent moyens, le feu d’artifice imaginatif qu’avait su proposer Jean-Marie Blanchard n’est pas au rendez-vous. On a plutôt l’impression d’une programmation de théâtre de répertoire à l’allemande, du genre Düsseldorf ou Francfort, qu’une vraie programmation dans le style qu’avaient imposé un Hugues Gall ou un Blanchard. On s’ennuie un peu à Genève en ce moment, et je ne vois jamais le théâtre plein. Gageons que le Rheingold, ou même l’actuel Roi Pausole vont faire mentir cette impression. Il faut bien reconnaître que les productions de Traviata (malgré Mc Vicar) ou de Butterfly n’ont pas musicalement de quoi exciter vraiment et dans l’ensemble les choix de distribution sont souvent discutables ou pâlichons, en tous cas insuffisamment recherchés à mon avis: Genève qui peut se payer une ou deux fois par an des chanteurs très reconnus, voire des stars, comme Diana Damrau, devrait plutôt renifler les futures stars (comme jadis Jonas Kaufmann dans La Damnation de Faust en 2003 ou Anja Harteros dans Meistersinger) et explorer le marché des grands espoirs, or, la direction artistique se limite souvent à la série B .
Lyon, à 150km, a une offre désormais bien supérieure, et en qualité, et en imagination, et en créativité.[wpsr_facebook]

OPERNHAUS ZÜRICH 2011-2012 le 5 février 2012: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, de Richard WAGNER (Dir.Mus: Daniele GATTI-Ms en scène: Harry KUPFER)

Saluts, Daniele Gatti

Après Tannhäuser, Harry Kupfer s’est vu confier par Alexander Pereira dont c’est la dernière saison zurichoise une mise en scène nouvelle des Meistersinger von Nürnberg.
Après Parsifal à Bayreuth, Lohengrin à la Scala, Daniele Gatti affronte cette partition foisonnante que peu de chefs non germaniques abordent.
Après Beckmesser à Bayreuth (un immense triomphe), Michael Volle aborde  Hans Sachs, autre paire de manches, le rôle sans doute le plus écrasant du répertoire wagnérien, le plus écrasant, et l’un des moins spectaculaires. Trois motifs pour venir à Zürich.
Quelques souvenirs de Bernd Weikl et de Dietrich Fischer Dieskau font mes grands Hans Sachs sur scène, j’aime beaucoup le Theo Adam d’un enregistrement de Böhm chez Orfeo. Aujourd’hui, l’expérience de Bayreuth (Hawlata, Rutherford) est décevante, seul Bryn Terfel aux proms de Londres a pu impressionner.
Michael Volle est l’un des grands barytons basses du moment, son Wolfram l’an dernier dans cette même salle était tout simplement sublime, et son Hans Sachs ne pouvait qu’exciter ma curiosité.
Me voilà donc sur le chemin de Zürich (-13°) , entre deux Puccini lyonnais!
Au premier abord, la mise en scène de Harry Kupfer apparaît décevante, non parce que le livret est scrupuleusement suivi, ce qui est plutôt positif, mais parce qu’on se demande alors pourquoi cette transposition après guerre. En effet à part les costumes (juste après guerre) et le décor (une église en ruines qu’on commence à reconstruire – échafaudages métalliques qui semblent le faire tenir debout -, une ville au fond en ruines), on ne réussit pas au premier abord à mettre en relation  l’espace et l’intrigue. Kupfer nous avait habitués à bien d’autre propositions, à bien d’autres postures…Pourtant, je suis frappé par la qualité et la précision de la direction d’acteurs, de la mise en place, de la manière, notamment dans la dernière partie de l’acte (les discussions des maîtres) combien Kupfer soigne le naturel, les échanges, les gestes, y compris ces petits gestes à peine esquissés d’une conversation. En observant Michael Volle, et la manière dont il construit Sachs, une sorte de primus (implicite) inter pares, comment il discute, comment on voit naître son étonnement d’abord, son admiration ensuite envers le jeune Walther, et comment Kupfer construit l’image conformiste des autres protagonistes. Du beau travail, tissé seulement à partir des gestes et des mouvements.
Dès le second acte, dans les mêmes espaces: la scène est constituée comme au premier acte d’une ruine de portail monumental gothique et de quelques piliers et de pans de mur, installés sur une tournette, qui ainsi amène sans cesse un changement d’espace et une mobilité des foules, sans que le plateau n’ait à être modifié. Le fond de scène a changé, des ruines on est passé aux grues, on reconstruit…on commence alors à comprendre le propos de Kupfer, qui inscrit ces Maîtres dans un contexte particulier et dans un univers qui est au fond l’opposé de celui de Katharina Wagner à Bayreuth, qui fait des Maîtres une réflexion sur le conformisme en art, sur le populisme et le refus de la marginalité. L’univers de Kupfer est d’abord un univers incroyablement optimiste. Lui qui vient de l’Est et qui a été marqué par une culture scénique plutôt idéologique, le voilà qui fait de ce symbole d’une germanité qu’on a tendance à refuser (Les Maîtres Chanteurs furent le seul opéra de Wagner qui trouva grâce aux yeux du nazisme finissant, et qui eut droit d’être représenté à Bayreuth jusqu’à la fin) le symbole d’une germanité et d’une Allemagne retrouvées, dans le bonheur et la joie d’un futur ouvert et réussi, une germanité ouverte et moderne. De fait, le troisième acte se déroule sur fond d’Allemagne reconstruite (gratte-ciels), seuls les échafaudages subsistent autour de l’église centrale, on peut s’imaginer que bientôt, tout sera reconstruit (on pense irrésistiblement à la Frauenkirche de Dresde), ou l’on peut voir derrière cette ruine qui permane, qu’une certaine Allemagne peine à se retrouver dans la nouvelle, ou qu’on tient à laisser des traces visibles de la destruction. Dans une Allemagne qui retrouve sa place et sa tradition, les Maîtres retrouvent le symbolique positive et non pervertie… Kupfer nous étonnera toujours. On était loin de s’attendre de sa part à une lecture aussi ouverte et aussi positive de cette œuvre. Il en résulte donc à la fois une construction très précise des personnages, une attention à garder à la fois la fraîcheur et les gestes de la comédie – si j’osais, je dirais aussi…de l’opérette. la Festswiese est un authentique défilé des corporations, mais un défilé comme on en voit dans les carnavals d’aujourd’hui, si populaires encore en Allemagne (voir le Carnaval de Mayence, par exemple).

Kupfer est très attentif aux rapports qui se construisent entre les personnages, notamment entre Eva et Sachs, on apparaissent très clairement l’ambiguité de la relation, et la situation d’Eva, qui a peine à choisir entre Sachs et Walther, entre le refuge et le désir. Ainsi l’individu Sachs, tel une maréchale au masculin, laisse les jeunes gens s’aimer et le désir s’assouvir, et reste seul, mais une solitude qui est compensée par l’admiration de tous, qui le fêtent comme l’artiste de référence, mais là aussi, Sachs comprend qu’entre l’artiste artisan qu’il est et le génie qu’il entrevoit chez Walther, il doit là aussi laisser la place. D’où son insistance pour que Walther devienne Maître: il refuse l’idée de l’artiste “voleur de feu” à la Rimbaud qui repousserait la reconnaissance sociale, même si elle passe par une institution un peu fossilisée. Walther doit intégrer une institution qui fait que même les bourgeois, même les artisans parlent d’art. Et le monologue final de Sachs, qui parlent de l’art allemand et qu’on a si souvent pointé du doigt pour ses relents nationalistes est d’abord un monologue à la gloire de l’art.
Il s’agit donc à mon avis d’un vrai travail de reconstruction, d’un véritable effort pour replacer les Maîtres Chanteurs à une place positive, ouverte, et non à une place qui obligerait systématiquement à en faire une lecture destructrice.
A cette entreprise vraiment optimiste correspond une troupe de chanteurs souvent remarquables. Matti Salminen, qui est l’un des artistes maison les plus fidèles, compose un Pogner puissant, et humain, avec une voix certes un peu vieillie, mais toujours impressionnante. Quel plaisir de constater qu’il a encore une présence et une personnalité vocales incomparables. Martin Gantner, lui aussi l’un des piliers de l’opéra de Zürich, compose un Beckmesser loin de la caricature, homme mur un peu traditionaliste, peu clairvoyant, mais qui rend le troisième acte à la fois désopilant (il arrive en scène encore tout déglingué par la bataille finale du second acte) et attendrissant, la manière dont il est seul, laissé de côté lors de la Festwiese, et dont Sachs s’approche pour “faire la paix” avant que chacun de son côté s’enfuie vers sa solitude est très tendre et si juste. La voix est claire, bien posée, et la composition est excellente.
Roberto Saccà est une   surprise en Walther, la voix, sans être d’une qualité intrinsèque exceptionnelle, est forte, bien conduite, la technique est sans faille. Son air final est vraiment de très grande qualité. Un artiste  à suivre, sans nul doute, même si la personnalité et l’interprétation restent un peu frustes et plates…
Le David du jeune autrichien Peter Sonn est aussi une belle personnalité scénique et vocale, il remporte un grand succès personnel. je suis moins enthousiaste des rôles féminins: une Magdelene à la voix chaude, bien timbrée,  de Wiebke Lehmkuhl, et une Eva malheureusement discutable de Juliane Banse. Magnifique scéniquement, avec une fraicheur et une jeunesse éclatante, et un engagement réel, mais vocalement inégale, ne réussissant pas toujours à stabiliser la voix, ayant tendance à crier à l’aigu, ce qui fait du quintette du 3ème acte de ce point de vue un des moments musicaux les plus attendus et les moins réussis de la soirée, tant les voix ne réussissent pas à fusionner, et Juliane Banse a sa responsabilité!

Roberto Saccà /Michael Volle Photo Suzanne Schwiertz, @ Opernhaus Zürich

Reste Michael Volle. Son Sachs prend le parti pris du non spectaculaire, avec une fluidité de la “conversation en musique” vraiment étonnante, et une diction exemplaire. Mais la voix, impressionnante dans d’autres rôles, est apparue un peu fatiguée, luttant contre l’orchestre, et réellement à bout dans les dernières minutes. Il reste un très grand artiste, et son Hans Sachs est présent, fort, passionnant et tellement juste au niveau scénique, tellement “naturel”, tellement humain. Mais je suis un tout petit peu déçu par rapport aux attentes, même si parmi les Sachs de ces dernières années (hors Terfel) il  émerge du lot sans discussion.
Daniele Gatti, directeur musical de l’opéra de Zürich, s’en titre avec les les plus grands honneurs. Le programme de salle souligne  qu’il affronte une œuvre symbole de la culture germanique, à laquelle  peu de “latins” osent s’attaquer. Il se place dans le sillage de Toscanini, qui comme lui dirigea Parsifal à Bayreuth. Mais Daniele Gatti est dirige aussi bien Wagner ou Berg que Verdi. Il est donc dans son élément ici et dirige un Wagner très clair, très limpide, même si dans la très petite salle de Zürich l’orchestre apparaît quelquefois un peu fort et les équilibres scène/salle quelque peu bousculés. Il est possible que Volle en ait souffert. Il reste que sa direction très contrastée (prélude du 3ème acte exceptionnel), et particulièrement lisible permet de constater une fois de plus la complexité et l’épaisseur de cette partition, qui a inspiré bien des musiciens de la fin du XIXème, la manière dont la musique aide à DIRE le texte, dont elle l’accompagne comme si elle commentait des images, et si l’on se met à suivre un seul instrument, n’importe lequel, on entre alors dans une forêt de surprises, une sorte de labyrinthe de sons à se perdre. Dans mon parcours wagnérien, j’ai eu du mal avec cette œuvre au début, mais plus je l’écoute, plus je la respire, et plus je me dis que c’est peut-être là le chef d’œuvre absolu du maître de Bayreuth et la direction remarquable de Gatti permet de s’y immerger et de s’en étourdir. En sortant du théâtre, après 6h de spectacle, on est heureux, regonflé, et on en  reprendrait bien un “Schluck”…

Salut général

OPERAS EN EUROPE 2011-2012 (1): SPECTACLES A RETENIR – BRUXELLES, AMSTERDAM, STRASBOURG, ZÜRICH, BÂLE, MUNICH

Si l’offre locale ne vous suffit (satisfait)  pas, si vous en avez la possibilité, ou si vous prévoyez un seul voyage en Europe pour voir l’opéra de vos rêves, ce petit résumé des spectacles qui m’apparaissent intéressants peut vous aider, ou même simplement nous faire tous rêver. J’ai évidemment mes préférences, Berlin, Munich, Amsterdam, Bruxelles…mais si le blog n’est pas une affaire de goût, alors inutile d’en créer un!!
Se reporter aux articles sur les saisons pour la Scala, Paris, Lyon.

1) Les spectacles qui m’attirent

BRUXELLES

Le Théâtre de la Monnaie a été élu Maison d’opéra de l’année par Opernwelt dans son édition annuelle “Jahrbuch 2011”.
Les curieux peuvent aller voir le très rare Oedipe, de Georges Enescu, (22 octobre- 6 novembre) dir.mus Leo Hussain et mise en scène Alex Ollé de la Fura dels Baus. Mais comme c’est une coproduction avec l’Opéra de Paris, on va bientôt le voir sur les rives de la Seine.
Deux spectacles m’attirent tout particulièrement pour des raisons différentes,

Rusalka, mise en scène Stefan Herheim, dir.mus Adam Fischer, l’une des plus belles productions de ces dernières années en Europe, à voir absolument (et à revoir ) encore plus si vous ne connaissez pas Stefan Herheim. J’irai pour sûr la revoir. C’est  du 6 au 13 mars, avec deux distributions en alternance et c’est A NE PAS MANQUER.

Il Trovatore, mise en scène, Dimitri Tcherniakov, dir.mus. Marc Minkowski. Certes, je ne suis pas loin de là un fan de Minkowski, certes, la distribution ne m’enthousiasme pas (Poplavskaia…), mais il y a Tcherniakov, et surtout, Il Trovatore, qu’on ne voit presque plus sur les grandes scènes tant c’est difficile à réussir, c’est mon opéra chéri de Verdi. Toute nouvelle production de Trovatore est bonne à prendre, et celle-là offre au moins une mise en scène qui devrait être intéressante.

A signaler aussi dans la saison, en décembre, une Cendrillon de Massenet mise en scène par Laurent Pelly et dirigée par Alain Altinoglu

AMSTERDAM

Comme d’habitude une belle saison à l’Opéra d’Amsterdam avec des titres alléchants (Elektra, Don Carlo (avec M.Petrenko en Philippe II) , Deidamia, Il turco in Italia et d’autres. J’en retiens un que je veux absolument voir , c’est

Kitège (La Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia, et soyons pédants  “Сказание о невидимом граде Китеже и деве Февронии”) de Rimski Korsakov. On ne donne pas suffisamment d’œuvres de Rimski Korsakov en Europe occidentale, j’ai vu il y a longtemps à Reggio Emilia “Le conte du tsar Saltan” (d’où est extrait le très fameux Vol du Bourdon), ce fut un enchantement, dans une mise en scène sublime de Luca Ronconi. On appelle Kitège quelquefois le Parsifal russe, l’oeuvre est très poétique, et mérite vraiment d’être connue. Puisque c’est l’occasion, j’irai pour sûr, d’autant que la mise en scène est de Dimitri Tcherniakov (encore lui!) et la direction du nouveau directeur musical du lieu, Marc Albrecht. (8 février-1er mars)

A signaler en outre un Parsifal intéressant en fin de saison, bien distribué (Christopher Ventris, Petra Lang) dans une mise en scène de Pierre Audi, dirigé par Ivan Fischer (12 juin-8 juillet)

STRASBOURG

L’Opéra du Rhin présente des saisons toujours intéressantes ces dernières années (rappelons le Ring mis en scène par David McVicar) et cette année, je retiens deux spectacles:

Les Huguenots, de Meyerbeer, mise en scène, Olivier Py, dir.mus, Daniele Callegari avec une belle distribution (Mireille Delunsch, Laura Aikin, Karine Deshayes). Cette production présentée l’an dernier à Bruxelles a fait exploser les Thalys du dimanche, gageons qu’elle fera exploser cette fois les TGV-Est. Oeuvre très rare désormais, difficile et lourde à monter et à distribuer. Meyerbeer ne fait plus recette, et c’est un peu dommage. (14-28 mars à Strasbourg et 13-15 avril à Mulhouse)

Farnace, d’Antonio Vivaldi . je ne suis pas un fou de répertoire baroque, mais j’aime beaucoup Vivaldi, et surtout qu’à Strasbourg, c’est Diego Fasolis qui dirigera et Lucinda Childs qui assurera chorégraphie et mise en scène. Diego Fasolis est un chef suisse (organiste) de plus en plus réclamé notamment pour ce type de répertoire . Quant à Lucinda Childs, inutile de la présenter. Belle opération en perspective. (18-28 mai à Strasbourg et 8-10 juin à Mulhouse)

ZÜRICH

L’Opernhaus Zürich change de mains, puisque Alexander Pereira part à Salzbourg et qu’arrive de Berlin Andreas Homoki. Les saisons de Zürich sont toujours très variées allant vers tous les répertoires, et tous types de mise en scène, avec des productions souvent soignées, les productions wagnériennes de ces dernières années furent souvent des références. Aussi, ne sera-t-on pas étonné si j’ai choisi de voir à Zürich:

Die Meistersinger von Nürnberg (22 janvier-18 février), mise en scène: Harry Kupfer, dir.mus. Daniele Gatti. De Kupfer le dernier Tannhäuser (à Zürich justement) ne m’a vait pas déplu, et je suis curieux d’entendre Gatti après son très beau Parsifal (à Bayreuth, mais aussi à Zürich dont il est directeur musical). Mais ce qui m’intéresse au plus haut point c’est une belle distribution dominée par Michael Volle, que je tiens comme le plus grand baryton-basse wagnérien actuel, qui avait fait à Bayreuth un extraordinaire Beckmesser et à Zürich un Wolfram anthologique, qui laisse loin derrière tous ceux que j’ai entendus avant et depuis. Rien que pour lui je ferais le voyage, alors si on ajoute Salminen, et Juliane  Banse, voilà d’excellentes raisons de se précipiter à Zürich.

Mais il y en a au moins quatre autres (parmi un vaste choix):

Palestrina, de Pfitzner, populaire en Allemagne, mais rarissime en France, en décembre 2011-janvier 2012 (10 décembre-12 janvier), dirigé par l’excellent Ingo Metzmacher -un des grands chefs allemands qu’on ne voit jamais en France…)- dans une mise en scène de Jens-Daniel herzog, dont j’avais vu il y a quelques années Königskinder de Humperdink avec Jonas Kaufmann (et Metzmacher aussi) toujours à Zürich. Belle distribution, et donc spectacle à ne pas rater.

Otello ossia il Moro di Venezia de Rossini, l’autre Otello, une occasion d’entendre Cecilia Bartoli dans un théâtre dont la salle est adapté à sa voix, et les excellents John Osborn dans le rôle titre et Javier Camerana dans Rodrigo, dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et une direction musicale  de Muhai Tang, l’ex-chef du Zürcher Kammerorchester. On pourra aussi voir la Bartoli dans une reprise du Comte Ory, même équipe pour la mise en scène et la direction (fin décembre 2011).

Don Carlo, en mars, dirigé par Zubin Mehta et mis en scène par Sven Eric Bechtolf (le metteur en scène du Ring viennois (4 mars-9 avril), avec Anja Harteros, Vesselina Kassarova, Matti Salminen et Fabio Sartori ce qui n’est pas une mauvaise distribution, loin de là: Salminen est encore un très grand chanteur. On ne dédaigne pas un Don Carlo, mais il y a une forte concurrence pas bien loin de Zürich

Le Prince Igor, de Borodine. Encore une œuvre peu donnée qui bénéficie de la direction de Vladimir Fedosseyev et d’une mise en scène de David Pountney (15 avril 2012-29 avril 2012), avec une distribution de bon niveau (Egils Silins, Olga Guryakova), une raerté à ne pas manquer.

Comme on le voit, le voyage à Zürich pourrait devenir une habitude tant le répertoire et varié et les productions attirantes.

BÂLE

Le Theater Basel  n’est pas à négliger (il fut lui aussi désigné récemment Théâtre de l’année par Opernwelt)  si vous êtes ouverts aux mises en scènes décoiffantes et au regietheater, la plupart des productions sont faites avec la troupe locale, de qualité en général avec quelques invités. On y voit souvent de très intéressantes productions de Christoph Marthaler (on se rappelle de la Grande Duchesse de Gerolstein). Cette année je vais sans doute faire le déplacement pour une Carmen qui promet.

Carmen: mise en scène Calixto Bieito, dir.mus. Gabriel Feltz (du 18 décembre 2011 au 10 juin 2012) avec Tanja Ariane Baumgartner, Svetlana Ignatovich, Solenn’ Lavanant-Linke, Agata Wilewska, Karl-Heinz Brandt, Eung Kwang Lee. J’avais vu dans ce même théâtre un Don Carlos en français du même Calixto Bieito qui m’avait impressionné par sa logique et sa justesse malgré son aspect particulièrement provocateur.

Signalons pour les fans de Marthaler un spectacle de théâtre musical (Première le 25 novembre 2011, dernière le 9 avril) Lo Stimolatore Cardiaco Una soluzione transitoria…mise en scène Christoph Marthaler, dir.mus Bendix Dethleffsen/Giuliano Betta.

MUNICH

L’Opéra de Munich est à n’en pas douter l’une des institutions lyriques qui affichent en Europe un des plus hauts niveaux en permanence. C’est là que Kleiber dirigeait le plus souvent, c’est là que l’on a vu les plus belles productions wagnériennes ou straussiennes (un héritage de Wolfgang Sawallisch, qui fut l’âme de cette maison durant des décennies). Aujourd’hui, le directeur musical sortant est Kent Nagano, le futur directeur est Kirill Petrenko, un chef excellent qui devrait diriger le Ring du bicentenaire Wagner à Bayreuth.
Dans les nouvelles productions, c’est incontestablement Der Ring des Nibelungen, dirigé par Kent Nagano qui attire, dans une mise en scène de Andreas Kriegenburg, metteur en scène né à l’est en 1963 (Magdeburg), ex directeur du Thalia Theater de Hambourg et actuel directeur du Deutsches Theater de Berlin, qui compte parmi les grands d’aujourd’hui. Une distribution comprenant des wagnériens désormais éprouvés (on retrouvera Katharina Dalayman en Brünnhilde, Juha Uusitalo en Wotan, Sophie Koch en Fricka) mais aussi  des nouveaux venus ou des prises de rôle (Anja Kampe en Sieglinde, Klaus Florian Vogt en Siegmund, Johan Reuter en Wotan de Rheingold); A suivre sans nul doute! (début en février, puis Walkyrie en mars, puis Siegfried en mai et Götterdämmerung en ouverture du festival de Munich fin juin).

Signalons aussi

Turandot, mise en scène de Carlos Padrissa (La Fura dels Baus) et dir.mus. Zubin Mehta, l’équipe du Ring de Valence/Florence se retrouve avec sa Brünnhilde, la magnifique Jennifer Wilson aborde cette fois la glaciale princesse Turandot. En décembre avec Zubin Mehta, en avril dirigé par Dan Ettinger.

Mais trois reprises m’attirent dont une m’électrise rien qu’à la lecture de la distribution pour lesquelles je vais faire sans doute les 800 km qui me séparent de Munich:

– Don Carlo en janvier (15 janvier 2012-29 janvier 2012) avec la meilleure distribution dont on puisse aujourd’hui rêver: Anja Harteros (Elisabetta), Jonas Kaufmann (Don Carlo), René Pape (Philippe II), Marius Kwiecen (Posa), Anna Smirnova (Eboli). Pour les parisiens, Marius Kwiecien fut le Roi Roger dans la belle production de l’opéra de Szymanowski mise en scène par Warlikowski . C’est un magnifique baryton qui vient de triompher dans Don Giovanni au MET. Les autres on les présente pas…  Direction Asher Fisch (qui fera la Veuve Joyeuse à paris le mois suivant), qu’importe alors que la production soit une reprise de la mise en scène de Jürgen Rose qui ne brille pas par l’imagination, mais qui garantit quelques images. A NE MANQUER SOUS AUCUN PRETEXTE

Roberto Devereux de Donizetti, pour l’encore si grande et inusable Edita Gruberova, dirigé par Friedrich Haider, dans une mise en scène de Christof Loy (que je n’aime pas beaucoup, voir les Vêpres Siciliennes de Genève) avec Joseph Calleja, très bon ténor qu’on voit plus au MET qu’en Europe. A voir absolument, pour l’œuvre rare et pour la dame…

Parsifal, en avril, pour Pâques comme il se doit  dans une reprise de la mise en scène de Peter Konwitschny (celui qui a fait aussi le Tristan vu en juillet dernier dans cette salle), dirigé par Kent Nagano avec une distribution très alléchante: Waltraud Meier (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Michael Volle (Amfortas), Stephen Milling (Gurnemanz) Gerd Grochowski (Klingsor)…rien que des très bons…

En bref, entre Munich et Zürich, cela promet de belles virées!

A suivre…Berlin, Vienne, Londres, New York, Florence, Rome etc…

 

2) Le spectacle à ne pas manquer dans cette série à mon avis:

DON CARLO A MUNICH évidemment, en janvier,  si on aime le beau chant!

OPERNHAUS ZÜRICH 2010-2011 : TANNHÄUSER le 6 février 2011 (Dir:Ingo METZMACHER, Ms.en scène:Harry KUPFER, avec Nina STEMME)

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Il y a des représentations où la qualité musicale envahit tout, et où on arrive même à fermer les yeux sur une mise en scène ratée ou discutable. C’est bien le cas aujourd’hui à Zürich, où j’ai assisté un Tannhäuser musicalement exceptionnel. Alexander Pereira a réuni, il faut le dire, une distribution de choix: Nina Stemme (Elisabeth), Vesselina Kasarova (Venus), Peter Seiffert (Tannhäuser), Michael Volle (Wolfram), Alfred Muff (Landgrave), l’orchestre et le choeur sous la direction d’Ingo Meztmacher. Je m’attendais à un beau moment, mais pas forcément à un très grand moment, d’autant que la première à ce qui m’a été rapporté n’avait pas si bien marché (Seiffert en méforme, Stemme ordinaire, orchestre trop fort). Mais voilà, l’opéra est un art qui n’est jamais uniforme et monolithique, les choses de soir en soir peuvent évoluer. Cette matinée dominicale en est la preuve. Sans doute l’effet du temps ensoleillé sur la ville de Zürich.

En revanche, Harry Kupfer n’a pas vraiment réussi son cinquième Tannhäuser. Certes, c’est un metteur en scène de qualité, il l’a prouvé de nombreuses fois, et les idées qu’il véhicule sont souvent justes. Dans ce travail, il transpose  l’oeuvre de nos jours, au sein d’une société gavée de luxe, une société de réseau, d’aisance, où l’Eglise et l’Armée dominent. Que ce soit au Venusberg ou dans la “teure Halle” du deuxième acte, on retrouve les mêmes messieurs élégants, les mêmes prêtres (Eh! oui,  au Venusberg aussi!), mêmes hauts gradés de l’armée. Au premier acte, la Bacchanale est bien sage, même si elle essaie de suivre le livret, très détaillé qu’Olivier Py avait suivi de manière très provocatrice et assez juste à Genève il y a 6 ans. Dans la deuxième partie de ce premier acte, on ne revient pas de la chasse (on ne chasse plus à courre…) mais du golf, et on se repose sur des chaises longues, servis par une armée de domestiques. On ne joue pas de la harpe, mais de la guitare (électrique?).
Le deuxième acte se déroule sur une scène, sous l’oeil de caméras TV, et devant un parterre de ces mêmes membres gâtés de la société la plus haute, celle qui emploie et fait vivre les artistes. je dois dire qu’il est le moment le moins intéressant, le plus conforme et l’ensemble est réglé sans inspiration.
Plus intéressant à mon avis le troisième acte, le décor (fait de cloisons tournant sur elles-mêmes et remplies de portes, comme au premier acte) représente un hall de gare avec une gigantesque verrière (la gare de Leipzig?) et au milieu un banc où attend Elisabeth. C’est une image intéressante, enrichie par la présence de Wolfram deux âmes solitaires dans cet espace de drame qu’est le lieu de l’attente.
Au final, après les efforts de Vénus (qui apparaît dans les mêmes conditions qu’elle avait disparu au premier acte, derrière les portes de vitre opaque), la société, toujours la même, se réunit autour du cadavre d’Elisabeth, qui passe, puis devant celui de Tannhäuser qui meurt sauvé, et même sanctifié par le pape sous un cercueil de verre comme on voit les saints dans les églises, avec le bâton de pélerin qui a refleuri: l’artiste est réintégré dans le corps social après en avoir été rejeté, mais mort, pour être objet du culte effrené de l’art dans nos sociétés, mais sans qu’il ne soit plus un danger. Kupfer souligne bien la maladresse de Tannhäuser, son comportement discutable à tout le moins avec Elisabeth, ses excès, mais le propos reste tout de même assez banal, plutôt déjà vu. Carsen à l’Opéra Bastille avait entrepris une lecture de ce type, mais plus subtile que celle de Kupfer:  on pense surtout à des visions à la Götz Friedrich, des lecture socio-politiques telles qu’on les voyait dans les années 80. Le décor de Hans Schavernoch (une vieille connaissance lui aussi) est habile, très contemporain, métal et verre, utilisant la vidéo. Mais j’ai plutôt l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Il reste que les chanteurs sont assez bien dirigés et que ce spectacle est discutable mais pas détestable. Dans la même maison, j’ai de beaucoup préféré l’approche de Claus Guth dans Tristan und Isolde et attends avec impatience son Parsifal en juin prochain.

chef2.1297205344.jpgSalut de Ingo metzmacher

Du côté musical en revanche une grande réussite d’ensemble, sans être à l’orchestre aussi brillant que la lecture d’Ozawa à Paris en 2007. D’abord, une fois de plus, je trouve qu’Ingo Metzmacher est un chef qui gagnerait à être invité plus souvent sur des scènes autres que celles de l’espace germanophone.  Sa manière de sculpter la musique, d’en faire ressentir les détails, son tempo sans reproche, qui colle parfaitement aux moments de l’action, sa manière de suivre les chanteurs, sans les couvrir (il est vrai que les voix sont telles que c’est une entreprise difficile) sont des points positifs:   il semble qu’il ait trouvé le juste équilibre dans cette salle assez petite – bien que des amis aient eu une tout autre impression l’autre dimanche. Pour moi c’est une belle prestation,un beau moment, avec un choeur très honorable, sans être exceptionnel. Un seul reproche, la sonorisation de certains pupitres à certains moments (les cors au milieu du premier acte par exemple) ou du choeur quand il est derrière la scène (lever de rideau). Vu la taille de la salle, c’est inutile, et si c’est voulu, c’est raté.

salutseiffert2.1297205518.jpgPeter Seiffert (second plan Nina Stemme et Michael Volle)

Difficile de reprocher quoi que ce soit aux chanteurs: Peter Seiffert, qui est souvent irrégulier, était ce dimanche en forme éblouissante, expressif, engagé, avec ce timbre à la fois clair et puissant qui le caractérise: il était juste,  sans failles avec des aigus triomphants,ce fut un magnifique Tannhäuser. Même remarque pour la Vénus de Vessalina Kasarova. Certes, son visage carré et assez dur ne fait pas penser à la Vénus de Botticelli, mais la prestation est tellement convaincante, éclatante, imposante qu’on trouve presque juste une Vénus plus inquiétante que séductrice, une Vénus “dure” qui use sans doute d’arguments cachés pour séduire. Face à elle, Nina Stemme promène sa voix puissante, légèrement affligée d’un petit vibrato. La prestation sans être impressionnante (comme au troisième acte de Walküre à Milan) est de très  haut niveau, sans être pourtant digne de la légende ou égaler simplement celle de Westbroek à Paris: elle n’est pas vraiment émouvante et même un tantinet indifférente, comme ailleurs, pas toujours concernée. On était heureux de revoir Alfred Muff, un vétéran, avec cette voix très humaine, encore très sonore, d’une belle couleur et d’une belle intensité dans le Landgrave. Signalons aussi les autres chanteurs, tous honorables, notamment Christoph Strehl en Walther von der Vogelweide, meilleur au deuxième acte qu’au premier (souvenez-vous, il était le Tamino d’Abbado) et le touchant berger de la jeune Camille Butcher.
Il reste Le chanteur triomphateur absolu de la matinée, digne, lui, de la légende: Michael Volle, qui a chanté pour moi le plus beau des Wolfram entendus sur une scène. Il tire les larmes dans “Oh du, mein holder Abendstern”. Il a tout: puissance, intelligence du chant, diction parfaite, inflexions, subtilités: du beau chant tout pur, et en même temps un magnifique personnage, humain, émouvant, senti, généreux. Il m’avait déjà convaincu dans son époustouflant Beckmesser à Bayreuth, il est vraiment pour moi le plus grand baryton wagnérien actuel. Un miracle qui surpasse même Goerne à Paris à mon avis.

Il y a encore quelques représentations, une matinée le dimanche 13 février: si vous n’êtes pas si loin de Zürich, courez y: rien que pour Michael Volle, cela vaut le voyage. Et si les autres sont aussi en forme que dimanche dernier, ce sera d’autant mieux. Un beau moment wagnérien, comme il y en a pas mal en ce moment.

Dimanche en sortant de l’Opéra, j’étais heureux.

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OPERNHAUS ZÜRICH 2010-2011: TRISTAN UND ISOLDE, le 17 octobre 2010 (Dir:Bernard HAITINK, Ms.en scène:Claus GUTH)

Tristan und Isolde (Ms Claus Guth)

A un mois et cinquante kilomètres de distance, deux Tristan und Isolde très différents et pourtant passionnants tous les deux. Il y a un peu plus d’un mois, à Lucerne, Esa Pekka Salonen dirigeait la production désormais culte de Peter Sellars et Bill Viola, dans une direction grandiose, presque “apocalyptique” à la fin du 1er acte, avec une distribution globalement très réussie. Cette fois-ci, à Zürich, le vétéran Bernard Haitink dirige la production maison de Claus Guth (créée l’an dernier par Ingo Metzmacher), qui fit couler beaucoup d’encre, avec une distribution non moins efficace et particulièment en forme ce dimanche soir. Ce fut là aussi à la fois une très belle soirée, et une surprise énorme tant la direction de Haitink impose un rythme et un style d’un dynamisme et d’une vitalité qui laissent rêveur. La salle relativement petite de l’Opéra de Zürich permet à des voix pas forcément grandes de se faire entendre. Elle permet aussi des interprétations plus “retenues” et un travail analytique de qualité. Haitink est très attentif à chaque inflexion de l’orchestre, qu’il mène avec une énergie peu commune, et ainsi propose une interprétation très dramatique, très tendue, laissant moins de place à l’attendrissement et beaucoup plus d’espace aux explosions de la passion. la présence permanente de l’orchestre, son engagement, une pâte sonore virulente en constituent les éléments essentiels. Le suivi des instruments (avec quelques problèmes sur les cuivres), la parfaite clarté de l’ensemble, la distribution du dispositif (le cor anglais solo, les trompettes en proscenium de troisième balcon), tout fait de ce Tristan un très grand moment. La relative discrétion médiatique de Bernard Haitink fait penser de manière erronée que cette discrétion se retrouve au pupitre, rien de cela et la performance orchestrale est une de celles dont on se souvient longtemps. C’est une interprétation d’une jeunesse et d’une passion peu communes! Est-ce là le travail d’un chef qui a dépassé quatre vingts ans? Que nenni, c’est là un travail de jeune homme sauvage et échevelé: totalement inoubliable!

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A cet orchestre exceptionnel correspond une distribution vocale de grande qualité. Remplaçant Waltraud Meier qui est entrée en conflit avec Haitink, Barbara Schneider-Hofstetter propose une Isolde de très haut niveau, de plus en plus engagée, avec un premier acte un peu crié. Son deuxième acte est tout simplement éblouissant. Grande surprise aussi face au Tristan de Stig Andersen. Ce chanteur honnête dans Siegmund ou Siegfried s’est littéralement surpassé, avec une vrai présence vocale tout au long de l’oeuvre, mais avec un troisième acte tout à fait exceptionnel et bouleversant , qui arrache les larmes. Pouvait-on attendre autre chose qu’un très grand triomphe devant le Roi Marke de Matti Salminen? Une fois de plus, une performance émouvante, convaincante, une voix de bronze sur laquelle les années n’ont pas de prise. Autre surprise, le Kurwenal plein d’émotion et remarquable de présence de Martin Gantner. Je suis à  chaque fois plus convaincu que  ce chanteur mérite une vraie carrière internationale, car dans tous les rôles qu’il interprète, il a à la fois la voix, l’intensité, la couleur, l’humanité. Du grand art. Quand à la Brangäne de Michèle Breedt, qui dans la mise en scène est un double d’Isolde, un double plus social, plus sociable, plus conciliant, elle est aussi très émouvante, et la voix solide fait merveille au second acte (Habet Acht!), le reste de la distribution n’appelle aucun reproche, notamment le Melot de Volker Vogel.
Et la mise en scène? Bien sûr, Claus Guth, dont on connaît notamment un bon Fliegende Holländer à Bayreuth, des Nozze di Figaro et un Don Giovanni passionnants (mais âprement discutés) à Salzbourg signe là un travail de grande précision, rempli d’idées, dont la principale est de faire de Tristan und Isolde une sorte de fantasme de Mathilde Wesendonk, dont on sait qu’elle inspira bien des moments de l’opéra, et de faire de Marke Otto Wesendonk, même si l’on ne va pas jusqu’à assimiler clairement Tristan à Wagner. Le fait d’être à Zürich, dans la ville même des Wesendonk, fait de ce travail une mise en scène très cohérente et très brillamment construite.
Le décor, qui représente la maison des Wesendonk, un intérieur très bourgeois inspiré des photos de l’époque, est installé sur une tournette et les chanteurs passent d’une pièce à l’autre. On est donc dans un Drame “bourgeois” dont la première image (Isolde au lit, un médecin à son chevet) fait irrésistiblement penser au troisième acte de Traviata. L’idée de faire de Brangäne un double d’Isolde, vêtue à l’identique au premier acte, en noir quand Isolde est en blanc au deuxième, et toutes deux en noir au troisième, et se prenant tour à tour la parole avec une telle habileté qu’il est difficile de ne pas s’y perdre est excellente notamment parce qu’ainsi Brangäne est le double “social” d’Isolde, celle qui compose avec le Monde! L’idée qu’Isolde mime l'”habet Acht” du deuxième acte quand Brangäne le chante en coulisse, l’idée de faire de la soirée chez le Roi Marke la soirée de mariage d’Isolde, et de faire que les deux amants circulent entre les invités ou les convives figés dans leurs attitudes sociales tout cela est rigoureusement pensé et très bien réalisé. On appréciera aussi la table défaite du Festin, devenue lieu du couple, puis de la Liebestod, dans un décor très réaliste d’intérieur XIXème, et l’utilisation de cette même table pour en faire une sorte de Tribunal des deux amants. Intérieur impeccable au 1er acte, 366_dsc_0204.1287438098.jpgmurs décrépis au dernier, où l’on passe tour à tour des des espaces “réels” ou “fantasmés”, l’excellente idée de remimer les soins apportés à Tristan, allongé sur le lit au milieu de bandages sanguinolents, tout cela montre un travail attentif et très rigoureux, non dénué de poésie (acte II) et dont les partis pris radicaux, parce qu’ils sont bien traduits sur scène, ne choquent absolument pas. Il en résulte une fluidité de l’action qui enlève tout statisme à l’ensemble. On voit quelquefois des Tristan statiques, voire ennuyeux: on a ici à la fois une direction musicale très dynamique, incroyablement jeune et vigoureuse, et une traduction scénique là aussi tout en mouvement et prodigieusement stimulante. Tout ennui est banni, et on n’a qu’une envie après cinq heures de spectacle que de recommencer l’expérience a plus vite. Pour Haitink d’abord et avant tout, pour le reste du spectacle ensuite, à ne manquer sous aucun prétexte dès que ce sera repris.
Claus Guth en fin de saison fera Parsifal avec Daniele Gatti au pupitre et le wagnérien impénitent pourra aussi en janvier aller voir Tannhäuser dans la mise en scène du très grand Harry Kupfer et sous la direction de Ingo Metzmacher. Zürich est une bonne maison pour le wagnérien!