METROPOLITAN OPERA (MET) 2009-2010: LA BOHEME , le 27 février 2010, avec Anna Netrebko et Piotr Beczala

La Bohème est une valeur sûre du panthéon lyrique, et parmi les Bohèmes qui traînent dans les opéras du monde, qui ne connaît pas La Bohème de Zeffirelli? sa mise en scène pour la Scala qui remonte aux années 60  avec Karajan, est toujours à l’honneur à Milan, ainsi qu’à Vienne qui en est la copie conforme. Pour New York, Zeffirelli en 1981 a refait des décors nouveaux, adaptés à l’immense scène,  encore plus impressionnants et plus chargés qu’ailleurs, le deuxième acte, qui arrache des applaudissements nourris d’un public heureux est à ce titre ahurissant! On y trouve tout, y compris une calèche avec un vrai cheval pour l’arrivée de Musetta!! Autre variation, la mansarde, vue de l’extérieur (en pan coupé), ce qui éloigne les protagonistes du spectateur  ( le premier plan est occupé par des toits, et la mansarde est en fait surélevée au deuxième plan) ce qui  ne favorise pas la naissance de l’émotion.
La direction de Marco Armiliato n’est pas dénuée de poésie, elle est même assez fine et souligne de beaux détails de la partition, mais elle manque un peu de chair, ce qui chez Puccini est difficile à admettre. L’orchestre ne sonne pas suffisamment, le pathos nécessaire est quelquefois absent. C’est un peu dommage parce qu’il y a un vrai travail de direction.
Le plateau réunit des chanteurs de très bon niveau. le Rodolfo de Madame Netrebko est Piotr Beczala, étoile qui monte vers l’Olympe des ténors. L’an dernier à Baden-Baden, dans Yolantha, avec Anna Netrebko, il avait vraiment  remporté un très gros succès. Ce soir, il remporte aussi les suffrages du public: la voix est carrée, solide, l’aigu soutenu avec vaillance, il n’y a rien à dire au plan technique mais le timbre, la couleur et le style ne correspondent pas vraiment au personnage solaire qu’on attend. Il reste que ce Rodolfe est crédible, même avec la voix d’Hermann de la Dame de Pique… Gérard Finley est un bon Marcello, on ne s’en étonnera pas, le chant est élégant et expressif, la diction est un modèle, le troisième acte est vraiment réussi. Musetta est la jeune soprano américaine Nicole Cabell, qui chante avec beaucoup de vivacité et d’engagement et obtient un triomphe personnel après “quando m’en vo”. Une vraie découverte.
Anna Netrebko est-elle une Mimi? Elle en a indiscutablement la voix, mais en a-t-elle  l’âme. Si l’on puise dans les stars du passé récent, il eut des Mimi improbables, Kiri Te Kanawa par exemple, et des Mimi dans l’âme: Mirella Freni d’abord, LA Mimi des quarante dernières années, sans l’ombre d’une discussion, et Ileana Cotrubas, autre Mimi dans l’âme, elle aussi née victime du Destin. Anna Netrebko n’a pas le physique du rôle, à voir cette figure délicieuse et charnue (elle a pris un peu de corps…) on croit difficilement à la maladie. La voix est incroyablement pure, ronde, le timbre est magnifique, la couleur somptueuse, mais justement, ce chant somptueux sans douleur dans la voix ne convient peut-être pas non plus. C’est très beau, très pur, mais peut-être pas assez habité ou concerné.

Au total bien sûr une matinée (commencée à 13h…) de qualité, on ne crache jamais sur une Bohème, surtout honorablement distribuée: les autres chanteurs sont bons (Massimo Cavaletti dans Schaunard) sans être exceptionnels (Oren Gradus dans Colline) et on se réjouit de voir le vétéran Paul Plishka faire les utilités (Benoît, Alcindoro): je vis ainsi Erich Kunz dans Benoît à Vienne. Le réemploi des gloires passées, loin d’être une aumône, est une marque de fabrique des grandes maisons.  Enfin, ce samedi commença par Bohème à 13h et se clôtura par Attila à 20h, c’est cela aussi, les grandes maisons.

METROPOLITAN OPERA (MET) 2009-2010: ATTILA de G.VERDI, dirigé par Riccardo Muti, avec Violeta Urmana et Ildar Abdrazakov (27 février 2010)

ATTILA S’HABILLE EN PRADA

Soirée triomphale au MET pour cet Attila de haute volée, création au MET qui affiche rarement des opéras du jeune Verdi, et débuts de Riccardo Muti qui n’y avait jamais dirigé. Mieux vaut tard que jamais. Peter Gelb a réuni pour l’occasion une distribution de très haut niveau, Violeta Urmana, Carlos Alvarez, Ildar Abdrazakov, Ramon Vargas et une équipe scénique surprenante, mais très chic: Pierre Audi metteur en scène, Miuccia Prada, la styliste italienne,  Herzog et de Meuron, les architectes du stade de Pékin (celui en nid d’oiseau) et de la New Tate Gallery comme équipe de décors et costumes. Sans doute en hommage à Pierre Audi, Madame Prada a mis sur le casque d’Attila et les épaulettes d’Ezio et Attila des diodes qui ressemblent fort à celles qui soulignent les phares des Audi récentes!

Est-ce une mise en scène d’ailleurs?  Le choix est celui non d’un travail sur l’épopée, avec des grandes masses chorales qui bougent et des grands espaces, mais d’un espace très limité, vertical et non  horizontal, où les protagonistes bougent peu et se retrouvent comme écrasés par un mur comme dans la tragédie. Le chœur apparaît le plus souvent à moitié enterré, comme écrasé sous le décor qui se soulève pour l’occasion. De quoi satisfaire Riccardo Muti qui aime à avoir un chœur fixe, face au chef, et des chanteurs qui jouent peu, pour mieux chanter et mieux voir le chef. Deux décors, l’un, une sorte de ruine fait d’un tas de plaques de béton armé, comme une ville après la bataille, est le cadre du premier acte, plus violent; l’autre censé représenté la forêt, est un superbe mur végétal magnifiquement éclairé par Jean Kalman, complice habituel de Pierre Audi dans lequel s’ouvrent des espaces où prennent place les protagonistes. Des couleurs violentes, vert, jaune, rose, bleu profond donnent une véritable ambiance, mais ne disent rien sur l’œuvre. Pourquoi pas d’ailleurs, ce genre d’opéra n’a pas pour caractère la finesse psychologique, mais plutôt des caractères tout d’une pièce: une héroïne par nature, forte, courageuse, qui va jusqu’au bout, sorte de Judith romaine, Odabella, son amant Foresto, sacrifié sur l’autel de la vengeance, Ezio le général romain vaillant mais un peu trouble, qui tirerait bien d’Attila un accord qui lui donnerait l’Italie, et Attila enfin, qui – conformément à la vérité historique d’ailleurs- n’est pas le monstre sanguinaire de la tradition, mais un souverain non dénué d’humanité et de noblesse.
On assiste plus à une succession de tableaux, assez beaux à voir , qu’à un travail théâtral et dramaturgique puissant. La mise en scène de la Scala de Jérôme Savary ne brillait pas non plus par son originalité, mais Savary avait à l’époque laissé entendre qu’il avait été bridé par le chef (un certain Riccardo Muti). Du coup les chanteurs sont le plus souvent livrés à eux-mêmes et ne font pas grand chose (ce qui ne peut que convenir à Violeta Urmana, jamais très concernée par le jeu scénique).

Musicalement, le travail effectué par Riccardo Muti avec l’orchestre du MET est tout à fait remarquable, enfin l’orchestre sonne (alors que lors des deux autres représentations, Bohème et Barbiere ce n’était pas toujours le cas) et la construction musicale (les italiens appellent cela la “concertazione”) est tout à fait remarquable, beaux équilibres sonores,  précision des attaques, mise en relief du son, une approche raffinée et créatrice d’émotion notamment dans les ensembles (magnifique final du premier acte). Un seul problème, qui va s’accentuer dans la seconde partie, c’est la dynamique. On aimerait que ce Verdi bouge un peu plus, on aimerait sentir la nervosité, l’énergie, la sève, bref, on aimerait entendre un peu du Muti des années 70, et là c’est raté. Grandiose, certes, ô combien, mais pas assez soucieux de la vie intense de cette musique du jeune Verdi. Il reste que c’est tout de même un grand moment auquel le public américain, toujours très participatif, fait une triomphe avec standing ovation.

Du point de vue vocal, on apprécie de voir le très grand Attila de la génération précédente, Samuel Ramey, affiché cette fois dans le rôle très épisodique de Leone l’évèque, et si la voix a un peu vieilli, le volume reste intact. Ildar Abdrazakov  ne démérite pas, mais la voix qui est belle et profonde, manque justement de ce volume et de ce relief qui doivent coller au rôle, le timbre est élégant, mais le style reste un peu indifférent, et le personnage manque de consistance, le digne successeur de Ramey n’est pas encore trouvé.  L’Odabella de Violeta Urmana, estplus intéressante que d’ordinaire et surprend même au premier acte: les aigus et les suraigus sont là, même si ces derniers sont un peu criés par une voix qui se resserre et atteint sa limite, les graves en revanche sont somptueux (on sent l’ancien mezzo!), la vaillance est là, mais peu à peu la voix s’opacifie et la deuxième partie de l’opéra est moins intéressante. A la Scala, Cheryl Studer n’avait pas tout à fait la ressource – elle le paya par des huées cruelles et injustes- mais elle avait une beauté vocale que Madame Urmana n’a pas . Giovanni Meoni remplace Carlos Alvarez malade pour toute les réprésentations dirigées par Muti, le timbre est joli, mais le volume manque, ainsi que le souffle car les notes hautes ne sont jamais tenues, une prestation passable. En revanche, rien à dire du Foresto de Ramon Vargas, absolument impeccable de style, de technique, d’engagement. Que cette voix qui à ses débuts semblait destinée à des rôles de ténor léger puisse aborder avec assurance les rôles lourds (Don Carlos!) laisse rêveur: en tous cas aucun doute, c’est lui qui s’en tire le mieux, et de la manière la plus homogène.
Mais laissons là les réserves: ce fut malgré tout un bel Attila, esthétiquement remarquable, musicalement de haut niveau, et la première partie de la soirée fut vibrante, même si la suite a un peu déçu. Ne boudons pas quand même notre plaisir, il n’est pas fréquent que Verdi soit à la fête dans les théâtres aujourd’hui.

GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2009-2010: LULU d’Alban Berg(Ms en scène: Olivier PY, avec Patricia PETIBON) le 10 février 2010

 LA PIETA’ DU SEXE

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On attendait beaucoup de cette LULU d’Alban Berg, au Gra nd théâtre de Genève, une prise de rôle de Patricia Petibon, une nouvelle mise en scène d’Olivier Py, annoncée comme si sulfureuse qu’elle en est déconseillée aux moins de 16 ans, dans le théâtre où l’on se souvient encore fortement de son extraordinaire Damnation de Faust (notamment quand Jonas Kaufmann chantait Faust!), de son Tannhäuser, et des autres productions (Contes d’Hoffmann, Freischütz) qui sans atteindre les sommets de la Damnation, étaient de bons spectacles.
Quand les fauteuils d’orchestre se vident par dizaines (un peu au premier entracte,  beaucoup au second), c’est un indice que quelque chose ne fonctionne pas, et l’on ne peut accuser les genevois d’être allergiques à la musique de Berg (pas en 2010!). D’autant que musicalement, la production fonctionne, même si celle de Lyon (pour rester dans les dernières années et dans la région) avait plus de force (le magnifique Schigolch de Franz Mazura à 85 ans , la Lulu de Laura Aikin…la direction passionnante de Kazushi Ono). La direction de Marc Albrecht est précise, détaillée, claire, l’orchestre de la Suisse Romande domine la partition et le résultat est vraiment remarquable, on repère parfaitement les formes, les répétitions et les motifs, en soulignant même un certain lyrisme qui rend justice à ce grand monument du XXème siècle. Il est assez rare qu’un chef soit si convaincant à Genève.

La distribution vocale est très correcte, très homogène sans être exceptionnelle. Elle est dominée par Patricia Petibon, qui s’engage dans ce rôle terrible d’une manière telle qu’on ne peut que la saluer et rester admiratif de la performance. Scéniquement Patricia Petibon est impressionnante et va très loin dans l’incarnation.

patriciapetibona3.1266022616.jpgGTG/Gregory Batardon

Vocalement, l’artiste se confronte avec tous les honneurs au rôle, elle domine la partition et contrôle de bout en bout le volume, l’émission au service d’une interprétation expressive et convaincante, avec des subtilités étonnantes, des notes filées parfaitement contrôlées, on sent la technique de l’ex-baroqueuse. Il est seulement dommage que son allemand n’est pas dominé,  notamment dans les dialogues où son accent français gêne, dans les parties chantées en revanche, on entend le texte clairement, et c’est moins gênant. Il reste qu’on tient là sans doute une des grandes Lulu d’aujourd’hui et des prochaines années (on aimerait d’ailleurs que Natalie Dessay se lance aussi), même si pour l’instant la performance n’atteint pas celle, légendaire, de Teresa Stratas, inoubliable dans le couple qu’elle formait avec Franz Mazura dans la production Chéreau-Boulez de 1979, ni même Christine Schäfer, phénoménale Lulu de la production de Salzbourg de Michael Gielen et Peter Mussbach en 1995.
petibon-juon-hunka.1266022631.jpgGTG/Gregory Batardon

Notons également très bonne comtesse Geschwitz de Julia Juon, même si j’ai encore dans la tête le “Lulu! Mein Engel! Lass dich noch einmal sehn! Ich bin dir nah! Bleibe dir nah! In Ewigkeit! ” final d’Yvonne Minton dans la production Chéreau-Boulez qui me bouleverse encore aujourd’hui au disque. La voix est bien posée, forte, très présente, et le personnage conçu par Py est vraiment très marquant, à la fois laid et séduisant, qui attire et repousse à la fois. La distribution masculine est très homogène et très honorable: j’ai aimé le Alwa de Gerhard Siegel, spécialiste désormais des grands rôles de ténor de composition, voix claire, flûtée comme il convient au rôle, et interprétation rigoureuse et juste, tout comme le Schigolch de Hartmut Welker, bien plus marquant et présent (il est le clown de la ménagerie de Py) que les dernières fois où je l’ai entendu, mais bien moins convaincant que celui de Franz Mazura à Lyon, tout à fait incroyable. A noter également le dompteur/athlète de Sten Byriel, dans son costume de gorille.  J’ai moins aimé le Schön/Jack de Pavlo Hunka à l’interprétation un peu trop neutre pour mon goût (je n’arrive pas à effacer Franz Mazura -encore lui- de mon souvenir: c’est incroyable comme certains artistes habitent la mémoire, Franz Mazura est de ceux-là), même si la composition (ah! ces lunettes!) est assez convaincante, il faut dire que la trouvaille de Jack en Père Noël est très forte! Mais d’une ecrtaine manière, Py noie Schön dans l’anonymat de la ménagerie, alors que je pense que la volonté de Berg de faire chanter Schön et Jack par le même chanteur devrait être valorisée dans la mise en scène.

Au total une Lulu musicalement de très bon niveau, les spectateurs qui n’ont jamais entendu l’opéra de Berg peuvent se réjouir d’en avoir entendu une version de haute tenue.

ensemble.1266022441.jpgGTG/Gregory Batardon

Et la mise en scène?
Beaucoup de spectateurs sont venus, attirés par le soufre de l’interdiction aux moins de 16 ans: “Pour traduire les intentions du compositeur et de son inspirateur Frank Wedekind, Olivier Py et son équipe ont fait appel à des images qui, quoi que de plus en plus usuelles et répandues, restent rares et inhabituelles sur une scène lyrique et pourraient choquer un spectateur non averti.
Respectueux du regard de chacun ainsi que de ses opinions, il nous paraît important de vous en informer avant votre entrée en salle ou avant l’achat de votre billet. Nous déconseillons le spectacle aux personnes de moins de 16 ans.”
dit le site du Grand Théâtre.
Much ado about  nothing, beaucoup de bruit pour rien, sinon l’effet de curiosité ( de voyeurisme, comme ces spectateurs représentés par Py?) qui fait que le théâtre ne désemplit pas, mais les déçus du sexe fuient dès le premier acte. Ce n’était ni utile, ni justifié; le film pornographique proposé au troisième acte (une sodomie?) est de toute manière brouillé et neigeux, et vraiment pas de la nourriture pour voyeurs invétérés, et après tout celui qui va voir Lulu sait (du moins j’espère) qu’il ne verra pas une vie de saint(e), malgré le final christique proposé par Py dans sa mise en scène.
L’idée centrale de Py est de développer l’idée du prologue, et de montrer le monde comme une vaste ménagerie, évoluant dans un univers à la Otto Dix, et  dansant sur la mort (les néons aux couleurs criardes proposent un certain nombre d’affirmations “Meine Seele”(Mon âme), “Mein Herz ist schwer”(mon coeur est lourd), “I hate Sex” (je hais le sexe) et le décor de façades qui défile sans cesse dans les deux premiers actes propose des magasins comme “Boucherie” ou “Pompes funèbres” qui sont autant de liens avec l’intrigue. Tous les personnages sont partie d’un cirque mortifère (le clown, le gorille etc…) leurs costumes sont clinquants ou rutilants comme dans notre bonne vieille “Piste aux étoiles”, (celui de Geschwitz et de Lulu au départ est semblable – un rouge vif satiné- et Lulu traverse cela comme indifférente, tantôt nue comme un ver, tantôt (début du troisième acte) vêtue en Marilyn, autre icône mortifère. Peu à peu la scène se remplit côté jardin de tous les objets accumulés depuis le début et finit par être une sorte de décharge : le monde n’est qu’immondice. Tandis qu’en arrière plan se déroulent tantôt des danses (lascives) sous le regard d’un public toujours voyeur, ou Lulu apparaît en star, ou le film pornographique, qui illustre la déchéance finale de Lulu, et qu’en arrière plan une roue multicolore nous avertit de l’inexorable progression du fatum. Beaucoup d’objets, beaucoup de mouvements beaucoup de personnages, dans un univers immédiatement identifiable qui devient vite répétitif, et même vaguement ennuyeux, ce qui explique sans doute que la salle, au moins à l’orchestre, se vide. Py voit Lulu comme une apocalypse dans un monde qui danse sur des braises (la première scène du troisième acte sur la spéculation, fait frémir quand on la rapporte à notre actualité). Les rapports des personnages entre eux en sont même savonnés, ils glissent comme le décor en mouvement permanent, au profit de flashes, comme dans un univers de bande dessinée, et ne sont que bornes d’un parcours inexorable vers la mort (et transfiguration) magnifiquement voulue comme final.

La fin est en effet stupéfiante et rattrape à mon avis bien des approximations, des répétitions, des vides (dans cet univers du trop plein!) du spectacle. Lulu meurt par un Jack déguisé en Père Noël, arme fatale du dérisoire, ou ange exterminateur qui va transfigurer Lulu, nue, en christ baroque au milieu de ses disciples -tous les personnages de l’oeuvre- baignant dans une lumière rouge sang: la pietà du sexe. Vision frappante qui fait de Lulu le christ de la déliquescence, qui donne sa vie non pour notre vie, mais pour la pourriture de notre monde animal. Il n’y a donc que de l’animal à voir dans l’humain, et Lulu ne serait donc que la seule figure humaine, la seule de la ménagerie qui ressemblerait à chacun de nous.

Le propos est sans aucun doute séduisant, et Py reste un metteur en scène qui a du génie. On retrouve sans ce spectacle la mobilité d’un monde incapable de se fixer, la multiplicité des points de vue, l’absence totale de concession, mais aussi quelques facilités et des trouvailles multiples qui n’arrivent pas toujours à produire un autre sens que celui découvert initialement, en ce sens le spectacle fait quelquefois du sur place, et c’est dommage. Certes, la vision est plus approfondie que chez Peter Stein à Lyon et bientôt à Milan, mais pas forcément plus productive. Chéreau en faisait un objet, une sorte de pâte adaptable au regard des hommes,dans un univers cinématographique d’une stupéfiante beauté, qui construisait immédiatement un mythe, Mussbach construisait lui-aussi une sorte de mythe cinématographique. Py donne du sens à tout, ou plutôt jette, éblouit, étouffe sous les signes, et arrive quelquefois à lasser.Le trop étant quelquefois l’ennemi du bien, ce n’est pas son meilleur spectacle,  mais cela reste un travail passionnant.

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OPERA DE NATIONAL DE PARIS 2009-2010: WERTHER de Massenet à l’OPERA BASTILLE avec Jonas Kaufmann (4 février 2010)

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© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

C’est curieux, mais c’est ainsi. Werther n’a fait son entrée au répertoire de l’Opéra qu’en 1984, dans une production de Pierluigi Samaritani, avec en alternance, Alfredo Kraus et Neil Shicoff, Lucia Valentini-Terrani et Tatiana Troyanos, sous la direction magnifique de Georges Prêtre (Werther a été en revanche un des piliers du répertoire de l’Opéra Comique). Après 25 ans d’absence, coup sur coup deux productions différentes, écrins pour ténors vedettes, l’an dernier Jürgen Rose et Rolando Villazon (avec la grande Susan Graham), cette année Benoît Jacquot et Jonas Kaufmann (avec la jeune et déjà grande Sophie Koch).
On a beaucoup glosé dans la presse sur ces deux Werther coup sur coup. Après la représentation d’hier, on peut dire sans hésiter que Nicolas Joel a vu juste: on a assisté tout simplement une performance exceptionnelle, alimentée par une distribution sans failles, un orchestre merveilleusement dirigé (Michel Plasson), et une belle mise en scène parfaitement en phase avec l’oeuvre (Benoît Jacquot).
paris-werther-villazon.1265479096.jpgRolando Villazon et Susan Graham
(Photo Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

L’an dernier, Gérard Mortier avait loué une production de Munich de Jürgen Rose, qui centrait le propos autour de l’univers mental de Werther, en mettant en perspective toute l’intrigue. Susan Graham campait une Charlotte très maternelle et vocalement impressionnante, Ludovic Tézier alternait avec Villazon dans la version pour baryton de l’opéra de Massenet, et chantait Albertavec son élégance coutumière lorsque Villazon était Werther . Alain Vernhes comme toujours faisait un bailli humain et très présent vocalement, et Villazon, sans être au mieux de ses capacités vocales, donnait du héros goethéen une vision très romantique, montrait une grande fragilité psychologique, avec un timbre, notamment dans le medium, enchanteur et lumineux; quant à la direction de Nagano, elle était non pas froide (on accuse souvent ce chef d’être trop distancié), mais très analytique, très claire, et particulièrement contrastée: un très beau moment.

3258_2009-10-werth-134.1265478745.jpg© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer
Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Anne-Catherine Gillet

Le Werther présenté cette saison va dans une tout autre direction. La mise en scène de Benoît Jacquot concentre le propos sur l’intrigue, elle est une regard non sur une âme, comme chez Jürgen Rose, mais sur une situation: ce sont les personnages essentiels sur qui se concentre la vision, sur les ressorts psychologiques de ces deux corps qui sans cesse se rapprochent se frôlent puis s’éloignent, sur cet érotisme de l’interdit qui finit par être insupportable. Le décor est minimaliste (une terrasse, un mur) l’intérieur de la maison d’Albert est d’une austérité pesante, la chambre de Werther  au milieu de l’immense plateau de Bastille renforce l’idée d’isolement et de singularité. Les éclairages d’André Diot tour à tour ombres et lumière accompagnent la situation d’une manière magistrale, et la manière de Benoît  Jacquot de concentrer tout sur l’aventure humaine du trio Werther/Charlotte/Albert en plaçant “hors champ” tout ce qui peut être anecdotique (l’anniversaire du Pasteur, les chants de Noël) renforce la couleur tragique de l’oeuvre. La tension qui naît des duos n’en est que plus palpable, le troisième acte étant  d’une force singulière, qui tranche fortement avec les deux premiers. Un beau travail sur l’acteur, une mise en scène solide qui sait souligner l’essentiel avec une économie de moyens qui en renforce les effets.

Musicalement, on ne peut que rester subjugué de ce que l’on a entendu. Rien à dire de la distribution réunie, en tous points exemplaire: Alain Vernhes reste ce bailli si humain, à la voix sonore et impressionnante qu’on avait entendue l’an derneir. Ludovic Tézier (est-ce l’effet de la mise en scène?) à l’élégance vocale presque glacée en devient glaçant et terrible. Son jeu me paraît plus impressionnant que l’an dernier, et sa prestation vocale parfaite, de cette perfection qui finit par effrayer. Anne Catherine Gillet est une Sophie fraîche, sensible, engagée, et vocalement sans reproches: cette jeune chanteuse confirme à chaque apparition qu’elle est l’une des futures étoiles du chant français.

Sophie Koch est absolument exceptionnelle. Susan Graham l’an dernier avait cette distance que confère la maturité qui s’étonne d’elle-même, et c’était tout aussi magnifique. Sophie Koch est d’abord la jeunesse, sur qui s’abat la tragédie. Cette jeunesse, elle la respire par son engagement, sa fraicheur, la force d’une voix naturelle et puissante: l’interprétation devient de plus en plus tendue, de plus en plus engagée au fur et à mesure des actes. Beaucoup d’amis à moi ne l’appréciaient pas, ceux qui l’ont entendue dans Brangäne à Covent Garden l’automne dernier ont admis enfin que cette chanteuse avait un vrai talent, qui tenait la route, même face à une Nina Stemme au zénith. Cette Charlotte si juste, si neuve, si torturée, revient mettre définitivement les pendules à l’heure. Nous tenons là une très grande artiste.

040220101587.1265478188.jpgSophie Koch et Jonas Kaufmann

Reste Jonas Kaufmann. Son entrée en scène (vêtu de bleu, avec des lunettes de soleil) surprend, on n’attend pas un Werther avec un timbre aussi sombre, mais en trois minutes, la messe est dite: car tout y est. Je suis encore sous le coup de l’étonnement admiratif. J’ai plusieurs fois entendu Jonas Kaufmann (Fidelio, Traviata, Bohème, Damnation de Faust, Carmen, Königskinder), à chaque fois la performance, le style, la technique m’ont bluffé. Même si je persiste à penser qu’il devrait abandonner les personnages italiens du type Alfredo ou Rodolfo, qui à mon avis ne correspondent ni à son timbre, ni à sa manière de chanter,où  il est sans reproche, mais sans vraie singularité. Dans Werther, tout est balayé: il a d’abord le physique du rôle, il a aussi la culture du rôle. Son français est parfait. Et on sait combien le texte est essentiel dans le chant français, tant par le sens que par l’expression. Rousseau disait déjà dans la Lettre sur la musique française que le français  était une langue a priori peu adaptée à la musique; langue sans accents, elle ne colle pas forcément à une mélodie, et elle contraint à substituer ce défaut par des artifices de style et un grand contrôle (importance des demi-teintes, des mezzavoce). Le chant de Kaufmann est contrôlé, avec une technique de fer, des aigus triomphants, des demi-teintes à se damner, des murmures émis avec une telle science que même à la Bastille on entend tout avec une clarté confondante. Alors évidemment, on pense à l’autre Werther, Alfredo Kraus, qui avait lui aussi une technique et un sens du texte et du mot exemplaires et qui fut le Werther de la seconde moitié du XXème siècle. On pourra le préférer à Kaufmann, à cause de ce timbre éclatant et méditérranéen que Kaufmann n’a pas, mais justement, ce timbre sombre convient bien à Werther, ce personnage décrit comme dépressif, incapable de sourire. La mise en scène, avare de mouvements, qui souligne l’intériorité des personnages, qui ne leur concède que de s’effleurer et non se toucher, est exactement la métaphore de cette voix, à la fois incroyablement solide et toute en effleurements. En l’entendant l’autre soir, je me prenais à découvrir sans cesse des perfections à cette incroyable performance que je compte parmi les expériences les plus rares de ma longue vie d’opéra. Ce qui frappe chez Kaufmann, c’est qu’il peut déjà tout chanter: de Florestan à Rodolfo! Sans nul doute pourra-t-il aussi chanter Samson, il en a évidemment les potentialités, et on attend ses Wagner. Mais je dois le dire et le répéter à l’envi parce que cette performance est ancrée en moi depuis deux jours, j’ai vu, émerveillé, Alfredo Kraus en 1984 et je place Kaufmann d’emblée à ce niveau de perfection. Littéralement éblouissant.

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040220101594.1265478228.jpgSaluts le 4 février, Plasson serrant Sophie Koch et Jonas Kaufmann

A cette distribution sans reproches correspond une direction musicale de très haut lignage. Je ne suis pas un fan de Michel Plasson, dont j’ai apprécié certaines interprétations (Faust de Gounod, Guercoeur de Magnard). J’aime son Werther au disque, à cause de Kraus et de la merveilleuse Troyanos. je n’aime pas toujours son approche à l’orchestre, quelquefois un peu trop pâteuse pour mon goût, ne manquant jamais de justesse, mais quelquefois de clarté. L’approche de Nagano l’an dernier m’avait vraiment séduit justement par sa clarté cristalline. Mais Plasson avec une autre approche réussit à accompagner les chanteurs comme on accompagnerait un Lied, attentif au moindre souffle, à la moindre inflexion, amenant l’orchestre à murmurer à l’unisson, à éclater quand il le faut, mais en ne couvrant jamais les voix. Un travail vraiment magnifique.

Quand direction musicale, chant, et mise en scène réussissent chacun dans leur ordre à être aussi proches de la perfection, on comprend que le résultat à la scène ne peut qu’être un sommet aujourd’hui difficilement égalable. Il nous reste à souhaiter très vite que ce Werther soit repris, et que la captation d’ARTE devienne un DVD qu’on s’empressera d’ajouter à sa discothèque . En attendant, vous trouverez le lien ci-contre, pour courir sur le site d’ARTE la regarder si vous l’avez laissé échapper.

OPERA DE NATIONAL DE PARIS 2009-2010:LA SONNAMBULA de Bellini avec Natalie DESSAY à l’Opéra Bastille (3 février 2010)

La Sonnambula, un des phares du répertoire du bel canto entre au répertoire de l’Opéra de Paris. Voilà une des curiosités de notre opéra national, des pans entiers du grand répertoire ont été oubliés par les programmateurs: ce qui se passe sur le bel canto est aussi vérifiable sur le vérisme: Adrienne Lecouvreur entrée dans années 90 (avec une Freni impériale pour sa dernière apparition à Paris), André Chénier cette année, on n’ose imaginer quand on verra Fedora. Certes, toutes ces oeuvres ne sont pas des chefs d’oeuvres, mais, outre que la plupart des livrets s’appuient souvent sur des oeuvres françaises, les voir une fois au répertoire de notre opéra national ne pourrait pas nuire à la culture musicale du public.
Natalie Dessay promène sa “Sonnambula” sur les scènes internationales depuis quelques années, et elle fait un triomphe ce soir, dans une production de 2001 de Marco Arturo Marelli, louée à l’opéra de Vienne pour la circonstance. Solution pratique, qui permet de voir une production nouvelle à moindre frais. Pourquoi pas? vu les coûts d’une nouvelle production! Gérard Mortier l’a abondamment pratiquée par rapport aux productions de Salzbourg au début de son mandat (la presse française l’avait alors beaucoup et stupidement critiqué).

La production de Marco Arturo Marelli, metteur en scène de qualité, qui avait en son temps proposé un Don Carlos/Don Carlo à Garnier sous le règne de Bogianckino ( raté, certes) ou à qui l’on doit un bon Capriccio de Strauss à l’opéra de Vienne l’an dernier, propose une vision de l’oeuvre rénovée. Tout se passe dans un sanatorium de luxe (ou un hôtel/sanatorium) en montagne et Amina est l’une des femmes de chambre. A ce propos, je voudrais préciser que Renaud Machart dans Le Monde a fait une petite erreur: le Comte Rodolfo, lorsqu’il chante devant le bar « Le moulin ! La fontaine ! Le bois ! (…) Je vous reconnais, lieux charmants. » n’admire pas le bar, mais un tableau au dessus du bar, censé représenter le village et ses environs.
Qu’apporte cette transposition ? Elle enlève peut-être à l’œuvre son côté pacotille et opérette, pour lui donner une valence plus “sérieuse” dans un univers médical où la “maladie” du somnambulisme pourrait s’insérer, ou une esquisse de travail sur les classes sociales (le comte/Amina), il reste que cette transposition ne me paraît pas vraiment déterminante pour la logique de l’œuvre, même si la vision finale du premier acte, avec la neige qui envahit l’espace suite à une baie vitrée qu’Elvino brise, et qui d’une certaine manière,  “congèle” l’espace, est assez riche. Au total un travail cohérent, qui n’ajoute rien à l’oeuvre, mais qui au moins, ne dérange pas.

Musicalement, Evelino Pidò  est un bon chef, précis, attentif aux chanteurs, très sûr pour un directeur d’opéra ou un orchestre. C’est un bon musicien, non un grand inventeur, c’est aussi un chef favori de Natalie Dessay. Sa direction de Sonnambula, qui n’est pas le chef d’oeuvre de Bellini , est très satisfaisante, pas routinière, mais sans vrai relief. Ce n’est pas ce soir qu’on trouvera des vertus nouvelles aux aventures d’Amina. Pour mon goût, je lui préfère Capuleti e Montecchi, Les Puritains et Norma (mais qui se risque à Norma aujourd’hui?) et on attends patiemment que l’Opéra ouvre enfin sa scène à ces oeuvres. Patience et longueur de temps…

La distribution réunie autour de Natalie Dessay est de qualité: on notera la Teresa (la mère d’Amina) de Cornella Oncioiu qui s’est taillé un beau succès, le Rodolfo de Michele Pertusi,  un rôle presque surdistribué à cette grande basse rossinienne qui en donne une interprétation chaleureuse impeccable, très musicale. Et qui confère au personnage une vraie tenue. La Lisa de Marie-Adeline Henry semble moins à l’aise, et la voix n’est pas toujours adaptée aux exigences du rôle: elle manque de fluidité, et les aigus sont un peu tirés. Notons surtout le jeune ténor  mexicain Javier Camarena qui chante Elvino avec un très beau style, une technique sûre, et un timbre très adapté à ce répertoire, qui va sans doute s’ajouter à la liste déjà longue des ténors sud-américains qui comptent, notamment spécialisés dans le bel canto. Seul petit problème, les graves et la dynamique: dès que le rythme s’accélère, on ne l’entend plus et on lui sent de petites difficultés. mais c’est une valeur à suivre.

030220101583.1265394621.jpgNatalie Dessay salue en diva!

Et Natalie Dessay? le public vient pour elle, elle est la Diva et le final devant le rideau (de Garnier) en Diva vêtue de rouge qui chante le dernier air comme en récital, lui va comme un gant. Le personnage est là, on sait le soin que la soprano française attache au théâtre et au jeu, et aux exigences en matière de mise en scène. Elle est cette Amina fragile qu’on attend, mais elle n’est pas seulement la fragilité, elle montre beaucoup de dignité. Elle a seulement quelquefois un peu tendance à surjouer, ce qui nuit à l’émotion. La  voix est là, très personnelle, moins élégiaque qu’énergique, très engagée, mais on aimerait aussi plus de suavité pour un personnage aussi typé. Les aigus triomphent toujours, même si le suraigu est moins facile qu’avant, mais la voie s’est élargie et remplit sans problème le navire de Bastille. Nul doute que Dessay change l’image du bel canto: ceux qui aiment Mariella Devia ne seront peut-être pas convaincus, il n’est même pas certain qu’un public italien soit totalement séduit. A la Scala, beaucoup de commentaires restaient un peu dubitatifs devant son Amina, malgré le succès indéniable. Mais voilà, notre Natalie est singulière, et sa présence est telle qu’on lui pardonne même ses quelques menus excès.

030220101586.1265394654.jpgSaluts du chef Evelino Pidò

Une très bonne soirée, qui vaut la visite: allez voir cette Sonnambula qui restera sans doute rare à Paris. Un beau succès qui fait regretter amèrement l’absence de bel canto dans le répertoire de la maison.

DEUTSCHE OPER BERLIN 2009-2010 le 30 janvier 2010: RIENZI de Richard Wagner (Dir.Mus: Sebastian LANG-LESSING, Ms en scène: Philippe STÖLZL)

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Photo: Bettina Stöß

Où aujourd´hui monte-t-on Rienzi, ce monument du Grand Opéra dont Hans von Bülow disait qu´il était le “l´opéra le plus réussi de Meyerbeer” ? Il faut faire le voyage de Berlin, enneigée jusqu´à la garde, pour découvrir cette nouvelle production à l´occasion des semaines que le Deutsche Oper dédie à Richard Wagner, dirigée par Sebastian Lang-Lessing et mise en scène par Philippe Stölzl, qui attire une grande affluence de public et évidemment des discussions infinies sur les choix de la mise en scène et les coupures du chef, puisque l’oeuvre qui dure normalement 5h15, en est à peine réduite à  3h (Sawallisch à Munich en 1983 l’avait réduite à 4h…). Dans le cas d’une oeuvre qu’on peut voir à peu près tous les trente ans, j’estime qu’il vaut le coup de monter l’intégrale sans coupures même au prix d’efforts terribles des des artistes (et quelquefois peut-être du public) et en dépit des coûts de l’entreprise. Dans le programme, le chef justifie son choix par l’impossibilité de monter aujourd’hui ce type d’oeuvre (avec un ballet de 40 minutes de belle musique!) et par l’ignorance en Allemagne de ce qu’est le Grand Opéra à la Meyerbeer. Par ailleurs, le metteur en scène qui vient du monde du cinéma en a fait une sorte de “montage” destiné à clarifier l’intrigue et à en donner une lecture linéaire, vidée de ses méandres qui risquent de perdre le spectateur. Sebastian Lang-Lessing insiste sur l’italianité de cette oeuvre et pourtant rien de plus “germanique”, oserais-je dire “teuton” au très mauvais sens du terme, que la manière d’aborder cet opéra pour cette fois, tant à l’orchestre, beaucoup trop fort, trop livré aux cuivres, sans aucune subtilité – on a appelé le chef Lang-Lessing “Laut”-Lessing (laut en allemand signifiant “fort”) qu’à la scène, où Stölzl, propose en fin de compte une lecture au prisme de la folie nazie, ce qui n’a rien d’original vu l’imposante théorie de mises en scènes allemandes depuis les années 70 où les nazis sont mis à contribution.

Certes, cette histoire s’y prête bien, qui raconte l’ascension et la chute du tribun romain Cola di Rienzo lequel, profitant de la présence de la papauté à Avignon au XIVème siècle, réveille les plébeiens de Rome au nom de l’antique gloire de la ville éternelle  et les entraîne à la victoire, puis à la guerre et à la misère. A cette trame assez linéaire du type “Grandeur et décadence” ou “résistible ascension..” s’ajoutent des amours problématiques: sa soeur Irène est amoureuse du fils du chef de la famille aristocratique ennemie  des Colonna (Adriano) à quoi s’ajoute une relation trouble entre le frère et la soeur (Wagner aime décidément els amours incestueuses, voir Walküre…). En fait c’est une trame qui n’est pas sans rappeler par certains aspects  Simon Boccanegra, mais d’un Boccanegra moins politique, moins stratégique, et plus fragile et livré aux affects.

Vocalement, les exigences sont fortes, des basses profondes, un rôle de ténor redoutable (un Florestan mâtiné de Max…rien moins), un travesti mezzo soprano qui exige puissance et engagement, et un soprano lirico spinto de style italien dit Lang-Lessing, un mélange redoutable de Senta,  et d’Elvira d’Ernani… qui exige une voix dynamique, une couleur et un style italiens, et la puissance d’une Senta.

La distribution est très contrastée: le Rienzi de Torsten Kerl est vraiment irréprochable, malgré une voix un peu resserrée au début notamment, il est le personnage voulu (une sorte de Goering) et il est aussi solide dans les parties héroïques que dans les parties plus lyriques, notamment à la fin.

Kate Aldrich dans Adriano est exceptionnelle : elle a tout, engagement, puissance, élégance, style, présence: c’est une magnifique découverte d’un mezzosoprano qui à n’en pas douter, est promis à une grande carrière.

Camilla Nylund dans Irène déçoit profondément: la voix est tendue, manque de puissance, mais surtout, est incapable d’expression: son chant est plat, le personnage inexistant et la voix est complètement engloutie dans les ensembles. Déjà elle nous avait déçu dans Salomé à Paris (voir ce même Blog en novembre dernier), cette fois-ci elle nous agace,  la déception est fortement confirmée.

Le reste de la distribution ne nous semble pas vraiment à la hauteur (sauf lpeut-être le Steffano Colonna de Ante Jerkunica ou le Baroncelli de Clemens Bieber ) et les choeurs gigantesques sont corrects, sans plus.
Nous avons souligné la “manière forte” avec laquelle Lang-Lessing lit la partition. On a l’impression qu’il a choisi les seuls passages fortissimos et que tous les moments lyriques ont été sacrifiés, mais l’orchestre est en place, bien préparé, notamment les cuivres.

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Photo: Bettina Stöß

Et la mise en scène? Philipp Stölzl (qui signe ce travail avec sa collègue Mara Kurotschka) a choisi d’en faire une parabole du pouvoir totalitaire, qui aveugle et écrase les valeurs. L’ouverture se joue à rideau ouvert où une pantomime se déroule sur scène, très inspirée de l’univers de Chaplin dans Le Dictateur, dès la première scène, les choeurs portent des masques qui renvoient à  l’expressionnisme des tableaux de Munch, Max Bechstein ou de Otto Dix, dans des décors qui renvoient à Metropolis de Fritz Lang . Très marqué par l’univers du cinéma et désireux de donner une sens à la narration, on comprend vite ce que Stölzl veut construire: le peuple quitte les masques pour les uniformes, et Rienzi asseoit son pouvoir et sa dictature en faisant faire le sale boulot par “le peuple” qui écrase les complots aristocrates. La fin de la première partie est un triomphe. La deuxième partie est une chute: le peuple est fatigué de la guerre, il ne suit plus son chef que contraint et forcé, et Rienzi, enfermé dans un Bunker (tiens tiens)  devient de plus en plus solitaire au milieu des maquettes de sa nouvelle Rome, qui ressemble à s’y méprendre à la Berlin rêvée d’Albert Speer… On pense au film La Chute, de Oliver Hirschbiegel avec Bruno Ganz. Le personnage d’Irène, sorte d’Eva Braun très pâle et vaguement ridicule, choisit de s’enfermer avec lui.

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Photo: Bettina Stöß

Tout fonctionne, parce que l’histoire est très emblématique de la montée d’un dictateur, de l’oubli des promesses, du culte de la personnalité: le spectacle est donc recevable, se laisse même voir  avec  plaisir, le décor d’Ulrika Siegristest est impressionnant, les vidéos qui rappellent évidemment l’univers des  films de Leni Riefenstahl (Momme Hinrichs et Torge Møller) très ironiques et particulièrement bien réalisées et insérées dans le travail scénique…mais ce travail qui répétons-le fonctionne, est trop démonstratif, trop didactique, manque de finesse (il est vrai que la finesse n’est pas vraiment la qualité du dictateur) ou de travail psychologique: l’allusion à l’inceste en fin de spectacle n’est pas vraiment préparée, les personnages sont tout d’une pièce. Tout cela laisse un peu insatisfait, avec la certitude qu’une autre voie était possible, où le passé nazi n’aurait pas encore une fois servi à l’édification des foules allemandes…

Il reste que j’ai passé une excellente soirée: il y a beaucoup de notes (et de belles notes) dans Rienzi, on y sent la fougue de la jeunesse, l’explosion du génie, on y reconnaît des phrases futures de Lohengrin (les cuivres) ou du Vaisseau (la scène finale), Wagner se construit, mais j’ai entendu la moitié de la construction: j’attends la version complète.

OPÉRA DE LYON 2009-2010: MANON LESCAUT de Puccini (Kazushi Ono, Svetla Vassileva) le 28 janvier 2010

Manon a inspiré les musiciens, ballets et opéras, mais aussi films s´appuient sur l´oeuvre de l´abbé Prévost tout au long des trois siècles qui nous séparent de la première édition du roman. Le XIXème siècle en a fait un grand mythe romantique de l´amour. Auber, Massenet, Puccini nous ont laissé une Manon – et Massenet même deux, puisqu´il en a laissé une suite en 1894 (le Portrait de Manon) – , au XXème c´est le tour de Henze dans son Boulevard Solitude . Huit ans séparent la Manon de Massenet de celle de Puccini. Le livret de Puccini a été écrit à plusieurs mains, et l´immense succès de Massenet freinait beaucoup Giulio Ricordi, mais Puccini tenait à cette histoire d´amour. Alors que Massenet reste fidèle à la trame du roman (même s´il élimine l´épisode américain et sans la figure de Tiberge mais Puccini la sacrifie aussi, en reprenant seulement de pâles traits dans le personnage d´Edmond au premier acte), Puccini transforme profondément l’intrigue en se concentrant sur l´histoire du couple et de leur passion , plus que sur le destin de Manon et en proposant une construction trés elliptique, presque parabolique: il élimine totalement le bonheur du couple, et après le premier acte et la fuite, on retrouve Manon , qui a déjà quitté Des Grieux, chez Géronte. Le climax de l´oeuvre étant l´arrestation de Manon à la fin du deuxième acte. La rencontre et la fuite, les retrouvailles, la chute, la mort: quatre moments clefs de l´existence du couple: de cette concentration naît une construction serrée, qui plaît à Puccini (La Bohème est à peu près construite en quatre moments de la même manière). Puccini semble moins à l´aise dans les moments plus narratifs, ce qui l´intéresse ce sont les vraies scènes entre personnages forts, les grands duos – il rêva de produire un duo d´amour qui eût pu voisiner celui de Tristan), bref, les grands chocs. L´oeuvre, considérée quelquefois encore comme une oeuvre de jeunesse, contient déjà une structure harmonique complexe, une maîtrise absolue de la mélodie et de l´instrumentation: ce n´est pas un hasard si Abbado, qui n´a jamais dirigé de Puccini à l´opéra, projetait de s´attaquer à Manon Lescaut.

Kazushi Ono, qui dirige la production de Lyon semble être, par son attirance vers les oeuvres du XXème siècle, bien adapté à une lecture “moderne” de l´écriture puccinienne. Puccini,  rappelons-le, a suivi avec attention notamment le parcours de Schönberg et aimait le Pierrot Lunaire. La lecture du chef japonais est précise, très claire et révèle bien les niveaux de l´instrumentation, il met notamment bien en valeur les vents, il suit les chanteurs avec grande attention, mais son interprétation  manque à mon avis de ce lyrisme intrinsèque à Puccini et reste un peu froide. Il est vrai qu´il n´est pas aidé par l´acoustique très sèche de l´opéra de Lyon, qui ne permet pas au son de se développer, de réverbérer, d´envelopper le spectateur.

Les voix sont pour le moins contrastées: Svetla Vassilieva est une Manon crédible, à l’aigu triomphant, au volume énorme. La voix manque cependant d’homogénéité et se détimbre dans le grave, comme si tous ses efforts avaient porté exclusivement sur les aigus. c’est dommage car les moyens sont très impressionnants et le personnage bien campé.

J’avais déjà remarqué Lionel Lhote dans Germont en juin dernier lors des représentations de Traviata à Lyon: il impressionne très favorablement dans Lescaut, c’est décidément un baryton à suivre, avec du style, de la puissance, de l’élégance.

Ni style ni élégance en revanche chez Misha Didyk qui est un bien piètre Des Grieux.  Non qu’il manquât de puissance, mais la technique est défaillante, peu de legato, les passages très mal négociés, il donne l’impression de s’égosiller et en plus la voix n’est pas de première qualité.Vaillant mais sûrement pas prince…

Le Géronte d’ Alexander Teliga est honorable et les autres rôles sont correctement tenus, sans plus. Notons quand même l’excellent Edmond de Benjamin Bernheim: il faudra l’écouter dans d’autres rôles, car il a chanté sa partie de manière particulièrement élégante et stylée, qui tranchait avec le désordre de Didyk.

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Photo Jean-Louis Hernandez

Quant à la mise en scène, dans un beau décor de Paco Azorín  inspiré d’une célèbre série de tableaux de Monet, la Gare St Lazare (Art Institute de Chicago et Musée d’Orsay notamment) et des costumes de Franca Squarciapino, elle transpose l’action au XXème siècle, dans les années quarante : Géronte de fermier général devient producteur de films à quatre sous, le deuxième acte se déroule dans un hangar studio (allusion à Lulu?), et l’on y tourne un film en costumes ( 2bf8c3d42a.1265063359.jpg

 

Photo Jean-Louis Hernandez

du XVIIIème bien sûr), mais tout cela est anecdotique: Pasqual a voulu insister sur le voyage et notamment le voyage tragique: le troisième acte, départ pour l’Amérique, est une claire allusion à la déportation, et ces voies de chemin de fer qui n’arrivent nulle part sinon là où Manon trouve la mort au quatrième acte en sont une autre. Modernité, crudité du propos, aventures tragiques d’adultes: il y a tout cela dans ce travail interessant sinon toujours convaincant, les deux derniers actes (et notamment le troisième) sont les plus réussis, on aurait aimé un travail scénique plus raffiné sur les choeurs et les foules du premier acte, on aurait aimé un deuxième acte plus fluide et plus clair dans le propos, mais on se souviendra des deux derniers, et notamment de la descente des wagons et du défilé des malheureuses vers le départ pour l’Amérique.Au total un spectacle de bonne qualité scénique au propos pertinent, mais musicalement partiellement convaincant. Les lyonnais ou les Rhônalpins y passeront un très bon moment. Les parisiens pour cette fois peuvent rester dans la capitale!

Trente ans de mises en scène de la TETRALOGIE de Richard WAGNER /(2) De 1980 à 2010

 

 

 

Eté 1980: rappelons l’incroyable succès de la production Chéreau, après des débuts très contestés, qui se termine par une ovation qui dure 1H30 au Festival de Bayreuth à la dernière du Götterdämmerung, et qui marque vraiment le début d’une ère nouvelle de la mise en scène wagnérienne, mais aussi de la mise en scène tout court puisqu’elle ouvre définitivement partout  l’opéra au vent nouveau: elle scelle ce qu’on a appelé l’ère des metteurs en scène. En programmateur avisé, Wolfgang Wagner sait bien qu’il ne peut reproposer pour son Ring suivant, en 1983 (Ring du centenaire, lui aussi, mais de la mort de Wagner) une vision qui aille dans le sens de Chéreau: le spectateur a besoin de digérer le choc, et il faut aussi proposer quelque chose de radicalement différent. C’est Sir Georg Solti qui doit diriger ce Ring, événement considérable puisque le chef du premier enregistrement stéréo du Ring (le fameux “son DECCA”) n’a jamais dirigé à Bayreuth. Or Solti sans doute ébranlé par l’expérience parisienne avortée, veut une mise en scène naturaliste “où un arbre soit un arbre”.

 

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Wolfgang Wagner fait appel au tandem Peter Hall/William Dudley pour réaliser un Ring naturaliste, qui revienne à la narration, tout en proposant des solutions scéniques impressionnantes: les filles du Rhin devant un immense mur d’eau, on construit pour la chevauchée des Walkyries un plateau qui se retourne sur lui même, dispositif unique au monde; le décor est souvent surchargé, mais c’est dans l’ensemble un échec relatif. Non que le public soit seulement nostalgique de Chéreau, mais il faut bien dire qu’en matière de direction d’acteurs, en matière d’esthétique générale, en matière de visions, l’équipe a tapé à côté. Les spectateurs se souviennent que le rocher de Brunnhilde, après la sublime vision de Chéreau, était une sorte de pizza géante qui faisait sourire sans jamais impressionner, alors que d’autres moments avaient été plus réussis (notamment le premier tableau de l’Or du Rhin), la distribution réunie, Hildegard Behrens exceptée, n’était pas vraiment mémorable, et la direction de Solti assez critiquée (à l’audition aujourd’hui, je la trouve pourtant impressionnante).

 

hall_siegfried_02.1263943099.jpgLe résultat, c’est que Solti se retire de l’opération, laissant la place à Peter Schneider, qui assumera les trois saisons suivantes, en brave soldat de la cause wagnérienne. Signalons pour l’anecdote (mais est-ce une anecdote?) une magnifique exposition en 1983 à Villa Wahnfried sur Bayreuth et les juifs, où l’on signale qu’en 1983, tous les chefs qui dirigent à Bayreuth sont d’origine juive, Solti, Levine, Barenboim.

Pendant qu’à Bayreuth on digère l’effet Chéreau, d’autres théâtres réagissent indirectement à l’ouragan. C’est le cas au MET, où James Levine dans ces années propose une nouvelle production du Ring, volontairement « traditionnelle » dans une mise en scène d’Otto Schenk et des décors de Günther Schneider-Siemssen. Cette production a fait les beaux soirs du MET jusqu’au printemps 2009, dernière année de bons et loyaux services, puisque dans deux ans, c’est Robert Lepage qui a été chargé de monter la prochaine production, on le verra. La production Schenk revient à des canons traditionnels (le public du MET est un public moins habitué qu’en Europe à des expériences nouvelles en matière de mises en scène) et c’est une réponse très claire à ce qui est en train de se passer en Europe au point que lace travail va devenir l’emblème des visions traditionnelles du Ring. Le spectacle que j’ai vu ce printemps pour sa dernière édition est un travail très respectable, dans des décors impressionnants (notamment l’Or du Rhin), et a toujours bénéficié comme c’est le cas la plupart du temps au MET de distributions somptueuses. De plus, on en a très tôt proposé une vidéo en VHS, et au départ le marché était divisé en deux produits concurrentiels et opposés, la version Chéreau et la version Schenk.  Les années 80 – et c’est un paradoxe- représentent pour le Ring un « recul » simplement dû à l’impact violent de Chéreau sur les metteurs en scène, même si notamment en Allemagne la plupart des opéras municipaux ou régionaux proposent des Ring dans la plus pure orientation « Regietheater » avec quelquefois des productions tout à fait remarquables (Götz Friedrich au Deutsche Oper de Berlin Ouest, qu’on peut encore voir aujourd’hui)ou la production munichoise, très contestée de Herbert Wernicke (pour l’Or du Rhin) et David Alden (pour les autres journées).

Après l’échec de la production Hall, qui fut d’ailleurs  plus coûteuse que celle de Chéreau, Wolfgang Wagner propose en 1988 à Harry Kupfer, directeur de la Komische Oper de Berlin (encore à Berlin-Est pour un an), de mettre en scène le Ring que Daniel Barenboim doit diriger, avec lequel il entame un très long compagnonnage dont on voit encore des traces précises dans la programmation wagnérienne de la Staatsoper de Berlin. Harry Kupfer est à l’époque l’un des plus fameux metteurs en scène allemands. A Bayreuth, il a à son actif un « Fliegende Holländer» qui a fait date et ce choix est tout à fait symbolique de l’alternance que propose Wolfgang Wagner. On revient à un regard très dramaturgique et moins naturaliste, et Kupfer annonce très clairement qu’il se place dans le sillage de Chéreau (il emploiera même l’expression « papa Chéreau » dans une conférence de presse). Bien que très différente de l’approche historique et très XIXème siècle (naissance du capitalisme et de l’industrialisation) qu’en faisait Chéreau, Kupfer lit les caractères et les rapports entre les personnages dans le même esprit. Chéreau a laissé des traces précises, des idées géniales qui ont fait date et qui ont été reprises par nombre de productions : la violence (y compris érotique) des rapports entre les êtres, l’intensité de la relation Brünnhilde-Wotan, la complexité du personnage de Mime, mais aussi, le final du deuxième acte de la Walkyrie, où Wotan serre dans ses bras ce fils qu’il vient de tuer (depuis, la plupart des metteurs en scène cherchent à marquer ce moment d’un geste fort), ou la marche funèbre du Crépuscule, où Chéreau montrait le cadavre de Siegfried sous les yeux d’une foule anonyme qui le regardait en passant son chemin. Kupfer choisit l’option très dépouillée : tout se déroule sur une surface lunaire, glaciale : le début de l’Or du Rhin impressionne fortement (la video rend parfaitement ce moment stupéfiant, avec ses jeux de fumées et de lasers) et il invente, ou rajoute lui aussi des idées qui vont faire florès ensuite chez les épigones.

 

2anneevanstomli21.1263943533.jpgAnne Evans(Brünnhilde) et John Tomlinson (Wotan) dans la mise en scène de Harry Kupfer

On se souvient aussi des Wälsungen, la descendance de Wotan marquée par des cheveux roux (Wotan, Brünnhilde, Sieglinde, Siegmund, Siegfried), la marche funèbre du Crépuscule, où le corps de Siegfried s’enfonce dans les entrailles de la terre qui s’ouvre comme un gouffre au bord duquel se trouve Brünnhilde face à qui Wotan apparaît (idée reprise par Stéphane Braunschveig à Aix) face à elle et cette marche funèbre devient une sorte d’insoutenable face à face, les Nornes dans une forêt d’antennes télévisuelles, Siegfried qui ronge son frein lorsqu’il est en couple avec Brünnhilde et qui ne cesse de regarder ailleurs alors que Brünnhilde est en train de broder, l’entrée de Siegfried/Günther à la fin du premier acte du Crépuscule. Toutes ces visions marquantes font du travail de Kupfer, incontestablement, l’une des productions les plus passionnantes de la période, et la vidéo du spectacle disponible en DVD, montre qu’elle n’a rien perdu de sa fascination. Je tiens cette production, comme la plus intéressante avec celle de Chéreau, qu’on ait pu voir sur une scène pendant ces trente ans.

A partir des années 1990, le réservoir à idées semble se tarir. On aurait espéré Heiner Müller après le magnifique Tristan qu’il donna à Bayreuth, mais il mourut trop tôt. Wolfgang Wagner explore alors une autre veine, celle de l’esthétique, et de l’unité par l’esthétique et la vision, plus que par la mise en scène proprement dite, en confiant à une équipe composée de James Levine, Alfred Kirchner (à qui l’on doit une belle Khovantchina avec Abbado à Vienne), et de Rosalie, une artiste peintre qui imprime à cette production une incontestable poésie. En fait, il s’agit (presque) à travers les yeux de Rosalie, et la vision cosmique de Kirchner, de rappeler, en clé contemporaine, l’univers de Wieland Wagner : les personnages sont dans le mythe, ils évoluent sur le globe terrestre, presque comme des géants, et c’est presque à une bande dessinée ou un dessin animé qu’on a droit. Musicalement, la lenteur de James Levine va souvent rendre ce travail ennuyeux et assez rapidement oublié, quant à la distribution, à part Polaski dans Brünnhilde, elle reste assez moyenne.

Pendant la même période, Robert Wilson se lance dans l’aventure à Zurich (le Châtelet présentera ce Ring au début des années 2000). Ce n’est plus la période créatrice de Wilson, et on préférera d’autres productions wagnériennes comme Lohengrin (au MET) ou surtout un magnifique Parsifal à Hambourg. Les 16 heures du spectacle en paraissent 1000, et là aussi, on s’ennuie ferme. Pourtant le hiératisme de Wilson, confronté à une histoire qui est qui est de chair et de sang, aurait pu faire merveille, ce n’est pas le cas.

Avec la mise en scène de Jürgen Flimm à Bayreuth pour l’an 2000 clôt sans doute une ère. Cette production a des atouts, un chef original et discutable, mais prestigieux à l’époque, Giuseppe Sinopoli, Placido Domingo et Waltraud Meier en Siegmund et Sieglinde, et un metteur en scène qui jouit d’un préjugé favorable. Mais la production montre que désormais tout ou presque a été dit, et Flimm ne cesse de répéter des figures désormais presque imposées du Regietheater sur le Ring, en poussant la logique jusqu’au bout :  c’est à une lecture clairement idéologique que nous assistons, où est en jeu la lutte des classes laborieuses et  exploités contre les exploiteurs : le monde de la production à outrance qui règne à Nibelheim, chez Alberich dans l’Or du Rhin d’où un Hagen qui représente clairement en fils d’Alberich  le monde ouvrier dans un palais des Gibichungen qui est un univers de multinationale avec des secrétaires qui courent partout, , l’ intérieur relativement bourgeois de Hunding dans la Walkyrie montre en même temps que les héros sont au-delà de la lutte des classes. Une production assez propre où le fantôme de Chéreau (cette fois-ci en vrai grand-papa) règne çà et là. Le versant musical était à mon avis discutable (les options insupportablement dilatées de SInopoli ralentissant l’histoire), il pâtira de la mort brutale du chef italien, remplacé par Adam Fischer, chef par ailleurs très solide, mais qui dirige une production à la genèse de laquelle il n’a pas été associé, et désormais sans Domingo ni Meier. Tout ce que nous apprend Flimm, c’est qu’il est temps de changer de lecture, d’époque, de stratégie, et que le monde du Ring, notre monde, ne peut plus être lu avec les mêmes yeux ni avec la même loupe, à l’aube des années 2000.

De 2000 à 2010, les productions du Ring dans les grands théâtres ne sont pas toutes convaincantes, loin de là, même si on sent se développer une veine nouvelle, fondée sur l’histoire, sur le récit, une sorte de version lyrique du Seigneur des anneaux parallèlement à des soubresauts élégants mais sans grand intérêt (Braunschweig), ou à des ratages absolus (Bayreuth 2005).

Après Flimm à Bayreuth, on sent donc qu’une ère se termine et s’étiole, et qu’il faut chercher ailleurs une clé de lecture possible. Wolfgang Wagner vieillit, confie de plus en plus les rênes à sa fille et un espoir extraordinaire naît lorsqu’on apprend que c’est Lars von Trier, le cinéaste danois, qui va mettre en scène la future production du Ring : Marthaler pour Tristan, Schlingensief (et Boulez) pour Parsifal en 2004 et désormais Lars von Trier : le Festival de Bayreuth retourne à être cet atelier expérimental que Wolfgang a voulu relancer en 1976 avec Chéreau. Les batailles rangées après Parsifal (spectacle génialement fou, d’une complexité rare), après Tristan (lecture glaciale et bouleversante d’un Tristan stratifié par le temps) laissent présager des frissons chez les spectateurs, alors qu’on se demande comment un chef comme Christian Thielemann, idéologiquement étiqueté à l’opposé de Lars von Trier, et plutôt classique dans ses lectures musicales, va pouvoir dialoguer comme il se doit lors de la préparation d’une pareille entreprise. Au bout de deux ans, Lars von Trier abandonne le navire, prétextant une complexité de laquelle il ne vient pas à bout, et confessant un échec. Il est difficile de savoir ce qui se cache derrière ce départ, sans nul doute très regrettable, et qui plonge le Festival dans une énorme difficulté, trouver un metteur en scène qui en à peine eux ans, va proposer un concept et monter un spectacle gigantesque. La surprise est grande lorsque le metteur en scène choisi par Wolfgang (ce diable d’homme réussit encore à étonner à 85 ans !) n’est justement pas un metteur en scène, mais un écrivain, dramaturge, homme du théâtre de l’écriture plus que de la scène, une figure incontestable de la scène allemande néanmoins, Tankred Dorst, 80 ans. Il s’entoure d’une équipe nombreuse, qui va littéralement mettre en image le concept de Dorst, un concept original, intéressant et jusque là peu exploité : le Ring se déroule devant nous, dans le monde, mais nous ne le voyons pas. Tout est fondé sur cette double appartenance, un monde mythique en transparence et en correspondance (au sens baudelairien) avec notre monde d’aujourd’hui.

Cette production est pour moi un échec absolu, qui finit même par nuire à la lecture de Thielemann, que j’ai à chaque fois trouvé ennuyeuse, sans vrai souffle, sans idée. Est-ce que ce que l’on voyait sur scène, cette insondable médiocrité, influait à ce point sur ce qu’on entendait ? Je vais sans doute écouter avec attention les CD de cette production très contrastée au niveau du chant (avec du très bon, Wotan de Falk Struckmann ou Alfred Dohmen, Siegfried magnifique (enfin !) de Stephen Gould, Eva Maria Westbroek depuis peu dans Sieglinde, mais du mauvais aussi comme la Brünnhilde inexistante et sans âme de Linda Watson). Peut-être changerai-je un peu d’avis…
Que s’est-il passé ? A mon avis, il fallait à ce concept intéressant à la fois adjoindre un vrai metteur en scène, et aussi un décorateur qui aurait trouvé des solutions moins lourdes et moins caricaturales : les chanteurs sont livrés à eux-mêmes, l’espace scénique est encombré, aucune image esthétiquement un peu recherchée : il ne se passe rien, on ne comprend pas toujours le sens de ce que l’on voit, on a l’impression d’un travail gratuit, sans intérêt, sans âme, et sans intelligence, alors que ce n’est pas le cas. En fait, la traduction visuelle du concept est totalement ratée. Un spectacle à oublier, je dirais presque (à mon avis du moins, par rapport à l’histoire du Ring dans cette maison) un vrai naufrage.

On ne connaît pas encore les choix définitifs du Ring 2013, le Ring du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, le Ring de l’année Wagner. On parle du chef russe Kyrill Petrenko (et ça c’est une excellente nouvelle !) et on a murmuré les noms les plus fous, jusqu’à Quentin Tarantino: ce sera en fait Wim Wenders. C ela veut dire que depuis l’affaire  Lars von Trier, on n’a pas renoncé à travailler sur l’univers cinématographique, ce qui est une excellente idée, non encore bien exploitée à Bayreuth ou ailleurs, mais le cinéaste n’est pas toujours un excellent metteur en scène lyrique.

Parallèlement, une évolution se lit dans les choix des théâtres, qui sentent tous que l’âge post-moderne exige un âge post-chéreau. En ce sens Stéphane Braunschweig à Aix et Salzbourg m’a bien déçu. Non pas que le spectacle fût médiocre, il y a au contraire de bons moments (l’Or du Rhin, incontestablement le meilleur des quatre, ou dans une moindre mesure, le Crépuscule), mais la lecture globale ne m’est pas apparue ajouter une pierre définitive à l’édifice des lectures du Ring. Beaucoup de redites (prise à Chéreau, voire à Kupfer), une direction d’acteurs pas vraiment convaincante, une vision souvent illustrative, en fait on a l’impression d’une hésitation fondamentale, et pas vraiment d’un choix et d’une direction affirmés. Comme chez Flimm (que j’ai trouvé plus intéressant) on arrive à l’impasse.

Pour en sortir, il faut aller explorer d’autres territoires. Deux productions me sont apparues ouvrir des pistes, parce qu’elles reviennent à l’histoire, au récit, à la création d’un univers, en collant plus aux images, tout en proposant une vraie lecture. Elles sont qui plus est toutes les deux d’un très haut niveau musical.

 

A Vienne d’abord, où Franz Welser-Möst propose un Ring très stimulant, avec une équipe de chanteurs actuellement sans rivale. Le Siegfried si difficile à réaliser est l’une des plus grandes réussites (Stephen Gould encore une fois exceptionnel) le Mime prodigieux d’Hedwig Pecoraro, le Wotan impressionnant de Juha Uusitalo- je l’ai entendu avant son accident de santé, il paraît qu’il est moins convaincant en ce moment-, et la Brünnhilde de Nina Stemme. Une production qui utilise la vidéo, qui n’est pas une lecture, mais une très rigoureuse illustration (Sven-Eric Bechtolf pour la mise en scène et Rolf et Marianne Glittenberg pour les décors et costumes).

A Valence et Florence ensuite, l’expérience remarquable de la Fura dels Baus (Carlos Padrissa) musicalement de très haut niveau avec Zubin Mehta au pupitre (et notamment à Valence avec Domingo dans Siegmund, le jeune Lance Ryan en Siegfried, incroyable de solidité et la magnifique Jennifer Wilson si engagée dans son chant, que j’appelais par affection Jennifer Nilsson, tant la solidité de la voix et le volume rappellent la soprano suédoise.). Tout en utilisant à fond les possibilités techniques, avec des trouvailles phénoménales (Walhalla en mur humain, marche funèbre dans la salle, précision des vidéos qui donnent souvent une lecture-commentaire  en transparence de ce qui se fait sur scène) ; spectacle passionnant, très complexe qui rend au déroulé du récit tout son aspect épique. Un conte, à la fois pour les enfants et pour les adultes.

Cette année, Paris et Milan se lancent. Les deux théâtres sont orphelins de Ring, pour des raisons expliquées au début de mon propos. Paris a choisi Günther Krämer, qui est un metteur en scène de qualité : je ne suis pas sûr que le renouveau vienne de là. J’ai plus d’intérêt à voir ce que Guy Cassiers, de l’école flamande de théâtre (Tonelhuis d’Anvers !), très en pointe dans la lecture du monde d’aujourd’hui, va proposer en utilisant des moyens techniques les plus avancés; j’ai vu de lui il y a un an un passionnant tryptique du Pouvoir, à partir du Mephisto de Klaus Mann (Mefisto for ever), un dialogue imaginaire entre Lénine, Hitler et Hirohito (Wolfskers) et une fascinante relecture de la tragédie grecque et de la guerre de Troie( Atropa), à l’éclairage de la politique et des discours de George Bush. L’Anneau est vraiment en prise directe sur cette problématique.

Enfin, last but not least, le MET est engagé dans l’entreprise la plus complexe de son histoire, aux dires de Peter Gelb, son directeur, en confiant le Ring à Robert Lepage, ce qui pourrait bien être la production que nous attendons tous. Jusque là les spectacles d’opéras de Lepage, son travail sur les contes, sur Shakespeare, ont montré que c’est un incomparable raconteur d’histoire, un conteur scénique qui fait à la fois rêver et frémir. Le Ring lui va comme un gant, et cela fait douze ou quinze ans que j’attends cela tant ses spectacles me faisaient désirer un Ring. Réponse dans deux ans.

En attendant Bayreuth et une production qui sans nul doute va marquer le véritable début du tandem Katharina et Eva Wagner, on peut voir, comme c’est logique, que les différentes productions du Ring illustrent parfaitement les évolutions de notre monde et de nos approches intellectuelles. Chéreau a transféré au théâtre une lecture des textes fortement marquée par les travaux de Barthes, de Foucault (spectateur assidu et militant du Ring de Bayreuth) et de tous les travaux sur la textualité triomphante ;  sa connaissance du monde germanique et de la culture allemande a fait qu’il a su croiser les deux mondes intellectuels, ce qui explique le côté « fondateur » de son entreprise. Mais comme l’a dit Todorov, c’est une attitude qui, dans la littérature, a fait quelquefois oublier le lecteur simplement spectateur, celui qui sait dire « c’est beau ». Certes, Chéreau créait de l’émotion à chaque moment, mais en même temps il ouvrait un regard en abîme sur le monde. On n’était plus le même en sortant du théâtre. Car le Ring est une œuvre qui rencontre à chaque moment le monde, qui dit la création de l’homme, qui dit l’amour et sa mort, qui dit les rapports maître-esclave, qui dit la naissance de l’exploitation, qui dit aussi la mort des dieux. On voit bien aujourd’hui que le théâtre a besoin de retourner au mythe, au récit, à la narration, le théâtre a aussi besoin d’expérimenter de nouvelles formes, de nouveaux outils, nés par exemple de l’invasion du numérique : le Ring pourrait être (je crois même que cela a été fait) un magnifique jeu vidéo. En ce sens La Fura dels Baus et Lepage nous emmènent ou nous emmèneront pour sûr au pays de l’étonnement, sans forcément revenir sur des lectures idéologiques qui pour l’instant me semblent épuisées. Peut-être Cassiers fera-t-il le lien entre les deux, avec sa lecture du monde à la fois violente et glacée, sa fascination des phénomènes de pouvoir et sa science des effets. De toute manière nous avons toujours besoin du Ring, source inépuisable de fantasmes et de lectures, et nous avons aussi besoin de belles histoires tristes.

 

 

Trente ans de mises en scène de la TETRALOGIE de Richard WAGNER /(1) Les racines

Il  y a maintenant plus de 33 ans, Patrice Chéreau mettait en scène la Tétralogie (le “Ring” du centenaire) au Festival de Bayreuth et ce travail allait révolutionner la scène wagnérienne pour longtemps. Or, la période actuelle est riche en projets de productions de la Tétralogie, et tous les grands opéras ont soit mis en chantier, soit achevé leur Tétralogie des années 2000. Le MET projette la chose pour 2012, l’Opéra de Paris commence cette année, la Scala également, Vienne et Londres ont bouclé la leur. Dans un théâtre de répertoire, une Tétralogie dure au moins 20 ans, vu l’investissement que ce type de projet représente, dans un théâtre “stagione”, il faut au moins la programmer 3 ou 4 fois pour l’amortir, ou sinon en prévoir une tous les trente ans. A ce titre Paris et Milan ont eu des destins malheureux parallèles. A Milan, Luca Ronconi n’a jamais terminé le travail commencé en 1974 (il l’a terminé plusieurs années après, mais à Florence et avec un autre chef), à Paris, le beau projet de Peter Stein et Klaus Grüber en 1976 s’est achevé à peine commencé, à cause des coûts et surtout de l’accueil mitigé du public et du chef, Sir Georg Solti. Les efforts de la Scala pour monter un Ring sous l’ère Muti se sont soldés par une solution ridicule, où sur quatre opéras, deux ont été mis en scène par André Engel, un a été présenté en version de concert, et le dernier mis en scène par Yannis Kokkos, autrement dit la négation même de ce que Wagner préconisait, mais telle était la politique artistique bien en cour à Milan dans les années Muti/Fontana. Aussi ne peut-on que saluer Nicolas Joel et Stéphane Lissner de programmer un Ring.

Il me semble qu’il est donc opportun de faire le point sur ces trente dernières années pour comprendre les évolutions de la scène actuelle, et qu’il est donc bon de rappeler la situation des années 1970, lorsque Chéreau est arrivé au Festival de Bayreuth.

Le rôle du Festival de Bayreuth

Il est dans ce domaine déterminant. La salle de Bayreuth, avec sa structure en amphithéâtre et son orchestre caché sous le plateau, concentre tous les regards sur la scène, ce qui fait dire à certains spectateurs que le spectacle se rapproche du cinéma, et que la musique accompagne l’action. Wagner dès les origines, souligne, par son concept de “Gesamtkunstwerk” (“l’oeuvre d’art totale”), que la musique ne peut être séparée de la représentation scénique. C’est pourquoi Bayreuth est un lieu où une très grande attention est toujours portée à la mise en scène, et où, parallèlement, la scène doit posséder les atouts techniques les plus modernes pour répondre aux exigences scéniques. Par ailleurs, les répétitions musicales, par nécessité sont plus brèves que les répétitions scéniques: les musiciens de l’orchestre, membre de tous les orchestres allemands, arrivent à Bayreuth à la fin juin, et le Festival ouvre traditionnellement le 25 juillet. Trois petites semaines pour répéter 7 oeuvres, Ring compris. Les chefs répètent en fait très peu. Et de plus les espaces de répétitions sont réduits, on répète peu dans la salle, mais beaucoup dans les espaces laissés libres par les bars et restaurants, au moins jusqu’à ces dernières années, car la situation s’est peu à peu améliorée. Lorsqu’on monte un nouveau Ring, c’est même très acrobatique pour le nouveau chef, et Carlos Kleiber je crois avait invoqué le manque de répétitions pour abandonner en cours de route(au bout de deux ans) le Tristan qu’il dirigeait. Certes, le monde germanique est habitué à Wagner, et habitué aussi aux répétitions musicales limitées (il en va de même à Salzbourg, et Abbado avait renoncé en 2000 à Cosi’ fan Tutte et Tristan, parce qu’il n’avait pas réussi à se mettre d’accord avec les Wiener Philharmoniker). C’est aussi pourquoi Bayreuth se considère comme un atelier (“Werkstatt Bayreuth”), où chaque année on revient sur le métier, avec les mêmes chefs, mêmes chanteurs, pour arranger, peaufiner, changer radicalement tel ou tel aspect. Ce que la famille Wagner a toujours voulu, c’est créer un esprit de troupe, qui adhère à l’idéal wagnérien de travail, de répétition, de construction prenant peu à peu une forme idéale. C’est bien d’ailleurs l’enjeu des prochaines années dans un marché lyrique complètement différent aujourd’hui (je traiterai de cet aspect dans un autre article sur Bayreuth très bientôt).
Les répétitions scéniques commencent beaucoup plus tôt, par à coups, selon les libertés des uns et des autres, mais c’est bien la mise en scène qui va marquer de son sceau l’image du “Ring”.
Dans l’histoire des mises en scène du “Ring” jusqu’à aujourd’hui, et sans nier l’apport des autres théâtres et d’autres artistes jamais invités à Bayreuth, c’est bien le Festival qui a marqué les étapes. Il y a eu l’avant-guerre puis le neues Bayreuth, et Chéreau. Si l’on peut résumer brièvement l’histoire de l’avant guerre, de 1876 à 1939, l’image visuelle du Ring s’est peu à peu allégée, d’un naturalisme luxuriant au départ (les animaux du Ring, des chevaux au crapaud, étaient vrais! Seul le dragon évidemment….), modifié par les interventions de Siegfried Wagner. Heinz Tietjen, le dernier metteur en scène d’avant guerre, avec les décorateurs Alfred Roller et Emil Preetorius, n’ont rien changé de fondamental. Bayreuth était le temple de la conservation.
Parallèlement la réflexion sur la mise en scène wagnérienne avait marqué certains intellectuels, c’est le cas d’Adolphe Appia, dès la fin du XIXème sicèle. Ce metteur en scène suisse, lié à tous les grands novateurs du théâtre des années 20 et notamment à Jacques Copeau, a conçu en effet des mises en scène de l’Anneau du Nibelung, des Maîtres chanteurs de Nuremberg et de Tristan et Yseult dès 1891 et 1892, et écrit un ouvrage fondamental, La mise en scène du drame wagnérien, en 1895. Il fera peu de mises en scène (un Tristan à la Scala en 1923) et restera célèbre particulièrement par ses décors, dépouillés, hiératiques, qui influenceront tout particulièrement le Neues Bayreuth, au point qu’en 1955, Wieland et Wolfgang Wagner lui rendront un hommage certes “mesuré”, comme le dit Philippe Godefroid (1), mais réel. Ainsi donc, en 1951, Bayreuth change complètement de direction, et ce virage est justifié par l’obligation de se démarquer de la politique artistique précédente, gagnée par le nazisme certes, mais aussi par la volonté farouche de Cosima, puis de Winifred, de rester dans le sillon tracé par le Maître sans déroger. Wieland Wagner inaugure des mises en scènes à l’opposé du naturalisme, avec des gestes minimaux des chanteurs, dans des décors minimaux, en utilisant voiles, couleurs, éclairages. Regina Resnik, Sieglinde en 1953, me racontait que Wieland lui disait qu’un geste pouvait gâcher toute la personnalité scénique qu’elle avait rien qu’en apparaissant sur scène et qu’elle n’avait jamais oublié ses conseils. Jusqu’à sa mort, en 1966, il règnera sur l’image artistique de Bayreuth. Certes, son frère est aussi metteur en scène, mais il n’a jamais eu le génie créatif de Wieland, Wolfgang, c’est plutôt le management du Festival qui va le revéler. A la mort de Wieland, Wolfgang se retrouve seul, il sait bien qu’il ne pourra longtemps vivre sur les acquis de la période, et qu’il faudra faire appel à des personnalités extérieures pour renouveler le paysage artistique de Bayreuth.
Il reste que pendant toute cette période, et après bien des scandales (le public supportait mal les mises en scènes minimalistes de Wieland au départ, notamment les Maîtres Chanteurs, opéra “national” allemand par excellence), c’est la tendance qui va marquer toute l’histoire de la mise en scène wagnérienne, et tous les metteurs en scène de l’époque feront du Wieland, ou des pâles copies de Wieland. Cela continuera jusqu’au seuil des années 1980: le Tristan d’August Everding à Bayreuth (décors de Josef Svoboda) en 1975 (celui dirigé par Carlos Kleiber, puis par Horst Stein) est un exemple typique de cette tendance.
C’est de Bayreuth que part l’appel aux metteurs en scène de la nouvelle génération, toujours dans l’esprit de l’atelier de recherche, et c’est ainsi que Wolfganag invite en 1972 Götz Friedrich, allemand de l’est,  ex étudiant et assistant de Walter Felsenstein, pour mettre en scène Tannhäuser (une mise en scène qui insiste sur la fossilisation des nobles aristocrates et fait de Tannhäuser le porte drapeau de la nouveauté et du peuple), et ce sera le premier très grand scandale du Festival. Parallèlement, Wolfgang appelle Pierre Boulez, pour le Ring du centenaire et pour marquer les esprits et bien montrer que Bayreuth est un lieu d’exploration plus que de consécration, il demande à Peter Stein (le jeune et bouillant directeur de la Schaubühne de Berlin, alors à la pointe de la recherche théâtrale et du nouveau théâtre allemand, le fondateur de ce qu’on appelle aujourd’hui le “Regietheater”) de faire la mise en scène. Peter Stein renonce (le projet sera récupéré par Liebermann à Paris en 1976 avec Solti), et Boulez conseille à Wolfgang d’appeler Patrice Chéreau, connu du public de théâtre pour “La dispute”, de Marivaux, et des amateurs d’opéra pour d’inoubliables Contes d’Hoffmann, qui firent les beaux soirs du Palais Garnier.C’est le début de l’histoire.

Chéreau et le contexte de la période

Il n’y a pas de hasard. Depuis la fin des années 1960, la théâtre évoluait fortement, on passait insensiblement d’un théâtre d’acteurs à un théâtre de mise en scène. C’était Giorgio Strehler au Piccolo Teatro (un des maîtres de Chéreau), qui proposait une vision nouvelle de grands classiques italiens (Goldoni) mais aussi allemands (Brecht) ou anglais (Shakespeare), fondée sur un travail subtil de l’acteur né des leçons de Jouvet, mais aussi des ambiances, des lumières, des effets esthétiques: la scène devenait un lieu “à voir”. Et Strehler avait été appelé à l’opéra par son vieux compagnon Paolo Grassi devenu Surintendant de la Scala, co-fondateur avec lui du Piccolo Teatro,  (pour L’enlèvement au sérail , et surtout l’incroyable et inoublié Simon Boccanegra, en 1971(3)), puis à Paris pour Le Nozze di Figaro, qui inaugurèrent l’ère Liebermann et qui marquèrent pendant des décennies l’Opéra de Paris. Paolo Grassi et Claudio Abbado à Milan, Rolf Liebermann à Paris depuis 1973, posaient la question du théâtre à l’opéra: on vit des scandales fleurir, Faust de Lavelli, Contes d’Hoffmann de Chéreau, et le début du Ring (La Walkyrie) Sawallisch-Ronconi à la Scala. Tout cela avait déjà mis en rage le public conservateur et traditionnel de l’Opéra (“faire ça à des abonnés!” entendait-on). Ronconi notamment proposait une vision d’une beauté et d’une intelligence rarement vues sur une scène d’Opéra dans des décors somptueux de Pier Luigi Pizzi. Nul doute à mon avis que l’expérience de Chéreau à Bayreuth doit beaucoup à ce spectacle qui date de 1974, quand Chéreau remonte à 1976.  Wolfgang Wagner, en directeur avisé, savait qu’un des enjeux du Festival de Bayreuth, un peu effacé entre 1970 et 1975, se trouvait dans la mise en scène. Il avait donc choisi le plus avancé des metteurs en scène, Peter Stein et devant l’échec, proposait à ce jeune Chéreau qu’il ne connaissait que par Boulez interposé la réalisation du spectacle le plus attendu, qui devait remettre le Festival au centre des commentaires et de la création artistique. Belle marque de confiance en Boulez d’abord, dont l’amitié ne s’est jamais démentie (Boulez dirigera le Parsifal de 2002, dans la mise en scène échevelée de Christoph Schlingensief), et ensuite magnifique sens des opportunités et du risque, et incroyable intuition. Wolfgang Wagner est un metteur en scène sans grand intérêt, mais il est sans conteste le plus grand directeur de Festival qu’on ait pu connaître, car il a su reproposer Bayreuth au devant de la scène, il a su faire de Bayreuth le centre de débats importants et encore vifs aujourd’hui sur la mise en scène à l’Opéra, il a su prendre des risques, et il a ramassé la mise.

On a tout dit sur le spectacle du centenaire, je vais donc simplement évoquer quelques souvenirs personnels , puisque à 24 ans, j’ai eu l’incroyable chance de voir cette production chaque année entre 1977 et 1980. En 1977, année charnière puisque le profil définitif de la production date de cette année-là (Chéreau va faire de nombreux changements), le public était encore très divisé. Distributions de tracts devant le théâtre, incroyable tension dans la salle où le public (qui se réserve pour les saluts, garde habituellement un silence de plomb pendant le déroulement des spectacles)  manifestait sa surprise ou sa désapprobation ou son horreur pendant l’exécution musicale (que de “oh!” de”nein” de “Buuh”devant certaines scènes). je me souviens particulièrement du final de l’acte II de la Walkyrie, d’une insoutenable violence, qui provoquait tant de remous dans le public, et je me souviens aussi des interminables batailles d’applaudissement et de huées (jamais moins de 30 à 45 minutes) à la fin de chaque opéra, autant de batailles d’Hernani.
Cela reste pour moi le plus grand, le plus beau des souvenirs, celui qui a décidé de ma passion profonde pour la scène et la mise en scène, qui m’a fait basculé: oui, je suis sorti de Bayreuth différent, oui, j’ai appris l’essentiel là-bas. Je me souviens des polémiques (Karl Ridderbusch, magnifique Hunding, n’aimait ni Boulez ni Chéreau, René Kollo, fragile Siegfried, le suivait et se répandait dans la ville) des craintes (Wolfgang tiendra-t-il le Festival, ne succombera-t-il pas sous la critique?), mais aussi je me souviens des merveilles aussi: Donald Mc Intyre, qui n’est sans doute pas la plus belle voix pour Wotan, mais sans doute la plus habitée et la plus intelligente (ah! ce monologue”au pendule” de l’acte II de Walkyrie) Gwyneth Jones, avec cette classe inimitable, cette puissance évocatrice en scène jamais retrouvée chez d’autres malgré des défauts vocaux quelquefois marquants ou Zoltan Kelemen, mort en 1979 malheureusement, le plus formidable Alberich qui m’ait été donné de voir, jamais remplacé ou enfin  l’inoubliable Siegmund de Peter Hoffmann ou le Hunding de Matti Salminen, qui succèdera à Ridderbusch en réussissant presque à le faire oublier. Enfin, le regard du metteur en scène (la voie avait été ouverte par Strehler, mais aussi par Luchino Visconti ou Jean-Louis Barrault) se conjuguait avec celle du chef, et la production devenait le fruit d’un travail commun, concerté, élaboré ensemble, ce qui était une grande nouveauté pour l’époque (pour mémoire, les relations Strehler-Solti pour Le nozze di Figaro n’avaient pas été de tout repos).

Lorsque la production s’installe (après 1978), la messe est dite, et cette production produit un effet boule de neige: désormais oui, il est possible à l’opéra de faire du théâtre, de faire jouer les chanteurs comme des acteurs. En ce sens, la production Chéreau-Boulez a non seulement changé les modes de représentation du Ring sur toutes les scènes du monde, mais elle a installé durablement le théâtre et la mise en scène théâtrale à l’opéra. Le tournant est historique dans l’histoire du spectacle vivant dans le monde occidental. A Bayreuth même, du coup, la mise en scène de Götz Friedrich de Tannhäuser semble bien timide, mais Harry Kupfer propose sa production triomphale, historique elle aussi, du Vaisseau fantôme, qui est sans doute encore aujourd’hui la référence.

Les progrès de la technique vidéo permettent la mise en boite de tous ces spectacles qu’on peut encore voir encore aujourd’hui en DVD. Quant à l’Anneau du Nibelung, rien ne sera plus comme avant, et le public va se mettre à attendre à chaque production des idées nouvelles, sur les traces de Chéreau.

De quoi s’agit-il? On passe d’un travail qui raconte une histoire, en essayant de créer des images qui fixent le mythe et essayaient d’en traduire les aspects essentiels, qui essaient de renvoyer à un immense et cosmique mythe de la création du monde en quelque sorte, à une interprétation du mythe qui va tenter d’en donner des clefs, on passe donc de la mythologie à l’histoire, de l’illustration (au plus haut sens du terme) du mythe à sa signification. La mise en scène de Chéreau est comme chez Wieland, une réponse à la question “qu’est ce que cela raconte?”, mais en s’attachant à ce qu’il y a “derrière les yeux” comme dirait Breton. Chéreau entame une exégèse scénique du texte, et ouvre donc la voie à tous les possibles. Si Wieland s’attachait à l’être du texte, Chéreau s’attache à ses possibles. Les deux approche ne sont pas contradictoires, et Chéreau, qui a lu, et approfondi le texte jusqu’à le savoir par coeur (il jouera même un soir Siegfried, avec le chanteur René Kollo dans la fosse, et certains diront que ce fut le plus grand Siegfried scénique possible), est resté d’une incroyable fidélité au sens. Contrairement à ce qui se disait alors, il n’y a aucune trahison du texte: Chéreau montre ce que le texte dit.

Ainsi peut-on voir deux voies possibles dans les lectures du Ring: un chemin qui va s’attacher à l’histoire qui est racontée, c’est Wieland, un autre chemin qui va s’attacher à ce que cette histoire peut nous dire, hic et nunc, et c’est Chéreau. L’histoire de la mise en scène du Ring depuis Chéreau à Bayreuth et ailleurs le confirme. Et Wolfgang lui-même dans sa programmation du Festival, va l’illustrer.

(1) Philippe Godefroid, Adolphe Appia et la mise en scène du drame wagnérien, L’Avant scène Opéra n°38-39, Parsifal, Janv-Févr.1982

(2) A la fin de 1972, Götz Friedrich passera à l’Ouest et deviendra pour de longues années directeur de l’Opéra de Hambourg

(3) Les deux spectcales furent vus à Paris, en 1977-78 pour Boccanegra, et dans les années 80 sous Bogianckino pour L’enlèvement

ABBADO ET LULU, l’extrait de l’interview

C’est dans le mensuel italien CLASSIC VOICE que Claudio Abbado a confié travailler sur LULU. En voici le texte italien, puis la traduction:

 

 

Ma ora ci sono opere che m’interessano di più”.
A questo punto, ci piacerebbe saperlo.
“Sto lavorando sulla Lulu di Berg”.
Una scelta logica nel suo percorso nel teatro del Novecento.
Immagino che abbia un’idea precisa col come-e-dove farla. 
“Posso dire che vorrei coinvolgere nel progetto Michael Haneke [67enne regista austriaco di La Pianista, Caché-Niente da nascondere e Nastro bianco, Palma d’oro a Cannes e European Film Awards 2009; nel 2006 ha debuttato con Don Giovanni all’Opera di Parigi, ndr.].
Nastro bianco è un’opera straordinaria, d’una violenza fredda e terribile che mi ha impressionato”.
Ma quando pensa di realizzarla?
“Per ora, nell’ultimo concerto di stagione della Mozart
[Bologna, 28 novembre 2010, ndr.], dirigerò i Lieder”.
Sarà una produzione destinata a girare, magari arrivando alla Scala?
“E’ prematuro parlarne”.

L’interview porte essentiellement sur les rapports d’Abbado et de Pergolèse, en liaison avec la publication de plusieurs disques Pergolèse de l’Orchestra Mozart dirigé par Abbado dans la collection “Archiv” de Deutsche Grammophon . On évoque la possibilité de monter des opéras de Pergolèse et Abbado répond:

“Pour l’instant il y a des oeuvres qui m’intéressent plus.

Alors là, on aimerait en savoir plus !

” Je suis en train de travailler sur la Lulu de Berg”

Un choix logique dans votre parcours dans l’opéra du XXème siècle .J ‘imagine que vous avez une idée précise de ce que vous voulez en faire (et où?)

“Je peux dire que j’aimerais impliquer dans le projet Michael Haneke [67 ans, cinéaste autrichien auteur de La pianiste, Cachet, Le ruban blanc, Palme d’Or à Cannes, European Film Award 2009, en 2006 il a débuté  dans Don Giovanni à l’Opéra de Paris ndr].
Le ruban blanc est une oeuvre extraordinaire, d’une violence froide et terrible qui m’a impressionné.

Mais quand pensez-vous le faire?

Pour l’instant, lors du dernier concert de la saison de l’Orchestra Mozart (le 28 novembre prochain à Bologne), je dirigerai les Lieder.

Ce sera une production destinée à tourner? peut-être à la Scala?

C’est trop tôt pour en parler”

Ainsi parle Claudio Abbado, à 76 ans toujours à l’affût de nouveaux talents, de nouveaux projets,  de nouveaux défis, et toujours jeune, et toujours ouvert. Sacré bonhomme, lui aussi!